CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. SIEGBERT ALBER
présentées le 13 mars 2003(1)



Affaire C-243/01



Procédure pénale
contre
Piergiorgio Gambelli e.a.



[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunale di Ascoli Piceno (Italie)]

«Libre prestation des services – Droit d'établissement – Collecte et transmission des paris sur les événements sportifs via internet vers un autre État membre – Interdiction pénale – Législation d'un État membre réservant à certains organismes le droit de collecter des paris»





I –
Introduction
II –
Cadre juridique
A –
Réglementation communautaire
B –
Réglementation italienne
III –
Faits et procédures
IV –
Observations des parties
A –
M. Gambelli
B –
M. Garrisi
C –
Le gouvernement italien
D –
Le gouvernement belge
E –
Le gouvernement hellénique
F –
Le gouvernement espagnol
G –
Le gouvernement luxembourgeois
H –
Le gouvernement portugais
I –
Le gouvernement finlandais
J –
Le gouvernement suédois
K –
La Commission
V –
Analyse
A –
Les arrêts Schindler, Läärä e.a. et Zenatti
1.
L’arrêt Schindler
2.
L’arrêt Läärä e.a.
3.
L’arrêt Zenatti
B –
La liberté d’établissement
1.
Les conditions d’un établissement
2.
Les centres de transmission de données en tant qu'établissements de la société Stanley
3.
Restrictions des activités
a)
Discrimination
b)
Raisons impérieuses d'intérêt général ─ Finalité et caractère approprié de la mesure et proportionnalité
C –
La libre prestation des services
1.
L'entrave à la libre prestation des services et ses justifications
2.
Caractère approprié des moyens utilisés en vue de l'objectif poursuivi
a)
Dangers ayant leur origine auprès de l’organisateur
b)
Canalisation de la passion du jeu
c)
Signification des recettes publiques
3. Jeux de hasard et médias électroniques
4. Conséquences
VI –
Conclusion

I –    Introduction

1.        La Cour de justice a été saisie de la présente affaire par une demande de décision préjudicielle formée par le Tribunale di Ascoli Piceno (Italie). Cette question est apparue dans le cadre d’une procédure pénale diligentée contre M. Piergiorgio Gambelli et plus de 100 autres personnes  (2) en raison de la violation notamment de l’article 4 de la loi italienne n° 401/89, qui interdit ─ au moyen de sanctions pénales ─ la collecte et la transmission de paris qui sont réservés à l’État ou à des concessionnaires. Les paris effectués en Italie sont transmis à un bookmaker britannique. C’est la raison pour laquelle la procédure soulève des questions relatives à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services en ce qui a trait à la compatibilité des dispositions légales nationales en question avec le droit communautaire. Les dispositions italiennes pertinentes faisaient déjà partiellement l’objet d’une appréciation de la Cour dans l’affaire Zenatti  (3) . Toutefois, dans la présente affaire, et en comparaison avec l’affaire Zenatti, une autre dimension du problème est abordée dans la mesure où elle s’inscrit dans un contexte de droit pénal où se pose principalement la question de la proportionnalité des mesures litigieuses. En outre, les dispositions nationales sont examinées sous l’angle de la liberté d’établissement, alors que, par le passé, la Cour de justice n’avait examiné la problématique des loteries  (4) , des jeux de hasard  (5) et des paris sportifs  (6) que sous l’angle de la libre prestation des services. Enfin, les dispositions italiennes ont été renforcées par une loi de 2000  (7) , entrée en vigueur en 2001, de telle sorte qu’il est possible que cette dernière pose des problèmes en droit communautaire.

(Les arrêts Zenatti, Schindler et Läärä e.a. cités aux notes 3 à 5 seront mentionnés à plusieurs reprises ci-dessous. À cet égard, les références ne seront indiquées qu’au cas par cas).

II –   Cadre juridique

A –    Réglementation communautaire

2.        L’article 43 CE énonce:

« Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s’étend également aux restrictions à la création d’agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d’un État membre établis sur le territoire d’un autre État membre.

La liberté d’établissement comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises, et notamment de sociétés au sens de l’article 48, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d’établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux. »

3.        L’article 48 CE prévoit:

« Les sociétés constituées en conformité de la législation d’un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de la Communauté sont assimilées, pour l’application des dispositions du présent chapitre, aux personnes physiques ressortissantes des États membres.

Par sociétés, on entend les sociétés de droit civil ou commercial [...] »

4.        L’article 46, paragraphe 1, CE énonce:

«1. Les prescriptions du présent chapitre et les mesures prises en vertu de celles-ci ne préjugent pas l’applicabilité des dispositions législatives, réglementaires et administratives prévoyant un régime spécial pour les ressortissants étrangers, et justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique.»

5.        Au terme de l’article 49, premier alinéa, CE:

«Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de la Communauté sont interdites à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un pays de la Communauté autre que celui du destinataire de la prestation.»

Suivant l’article 55 CE, les dispositions des articles 45 CE à 48 CE en matière de liberté d’établissement sont applicables en matière de libre prestation des services.

B –    Réglementation italienne

6.        Suivant l’article 88 du Testo Unico delle Leggi di Pubblica Sicurezza  (8) (texte unique des lois en matière de sécurité publique, ci-après le «TULPS»), aucune licence ne peut être délivrée pour la collecte de paris, à l’exception des paris sur les courses, les régates, les jeux de balle ou de ballon et autres compétitions du même genre lorsque la collecte des paris constitue une condition nécessaire au déroulement utile de la compétition. La licence d’exploitation des paris est accordée exclusivement à ceux qui sont concessionnaires ou qui sont autorisés par un ministère ou par une autre entité, à laquelle la loi réserve la faculté d’organiser ou d’exploiter des paris. Les paris peuvent porter soit sur le résultat d’événements sportifs placés sous le contrôle du comité olympique national italien (Comitato olimpico nazionale italiano, ci-après le «CONI»), ou des organisations dépendantes de celui-ci, soit sur le résultat des courses de chevaux organisées par l’intermédiaire de l’union italienne pour l’amélioration des races équines (Unione italiano per l’incremento delle razze equine, ci-après l’ «UNIRE»).

7.        L’article 4 de la loi n° 401/89  (9) portant interventions dans le secteur du jeu et des paris clandestins et protection du bon déroulement des compétitions sportives, modifié par l’article 37, cinquième alinéa, de la loi n° 388/00, dispose:

1.
Quiconque participe abusivement à l’organisation de loteries, de paris ou de concours de pronostics légalement réservés à l’État ou à d’autres organismes concessionnaires encourt des peines de six mois à trois ans d’emprisonnement. Cette même peine peut être infligée à toute personne qui organise des paris ou des concours de pronostics sur des activités sportives gérées par le CONI, les organismes placés sous son autorité ou l’UNIRE. Quiconque participe abusivement à l’organisation de paris sur d’autres compétitions de personnes ou d’animaux, ainsi que sur des jeux d’adresse, est passible d’une peine de trois mois à un an d’emprisonnement et d’une amende au moins égale à 1 million de ITL.

2.
Quiconque fait de la publicité pour les concours, les jeux ou les paris organisés selon les modalités décrites au paragraphe 1, sans être pour autant coauteur de l’un des délits qui y sont définis, est passible d’une peine d’emprisonnement de trois mois au maximum et d’une amende comprise entre 100 000 et 1 million d’ITL.

3.
Quiconque participe à des concours, des jeux ou des paris organisés selon les modalités décrites au paragraphe 1, sans être pour autant coauteur de l’un des délits qui y sont définis, encourt une peine d’emprisonnement de trois mois au maximum ou une amende comprise entre 100 000 et 1 million d’ITL.

4.
Les dispositions des paragraphes 1 et 2 s’appliquent également aux jeux de hasard organisés au moyen des appareils interdits par l’article 110 du décret royal n° 773 du 16 juin 1931, modifié par la loi n° 507 du 20 mai 1965 et en dernier lieu par l’article 1 er de la loi n° 904 du 17 décembre 1986.

4.a) (10) Les sanctions prévues par le présent article s’appliquent à quiconque exerce en Italie, sans concession ni autorisation ou licence au sens de l’article 88 du TULPS, une activité organisée en vue d’accepter ou de collecter ou, en tout cas, de faciliter l’acceptation ou la collecte de quelque manière que ce soit, y compris par téléphone ou par voie télématique, de paris de toutes sortes, acceptés par quiconque en Italie ou à l’étranger.

4.b)
Sans préjudice des pouvoirs conférés au ministère des Finances par l’article 11 du décret loi n° 557 du 30 décembre 1993, devenu après modifications la loi n° 133 du 26 février 1994, et en application de l’article 3, alinéa 228, de la loi n° 549 du 28 décembre 1995, les sanctions prévues par le présent article s’appliquent à quiconque effectue la collecte ou l’enregistrement de grilles loto, de concours de pronostics ou de paris par téléphone ou par voie télématique, sans être muni d’autorisation à l’effet d’utiliser ces moyens pour effectuer ces opérations de collecte ou d’enregistrement.

III –   Faits et procédures

8.        Suivant l’ordonnance de renvoi, le ministère public et le juge d’instruction auprès du Tribunale di Fermo (Italie) ont constaté l’existence d’une «organisation diffuse et ramifiée d’agences italiennes» ─ connectées via internet au bookmaker Stanley International Betting Ltd (ci-après «Stanley»), à Liverpool ─, et à laquelle appartiennent M. Gambelli et plus de 100 autres personnes; cette organisation est chargée, sur le territoire italien, de «recueillir des paris qui sont normalement réservés à l’État par la loi selon les modalités suivantes»: le joueur communique au responsable de l’agence les matchs sur lesquels il entend parier avec indication de la somme misée. Le responsable de l’agence envoie, via internet, la demande d’acceptation du pari au bookmaker britannique, avec indication des rencontres de football concernées et des sommes misées. Le bookmaker envoie alors, via internet et immédiatement (littéralement: «en temps réel») la confirmation de l’acceptation du pari. Cette confirmation est transmise au joueur qui paie alors la somme due, transférée ensuite au bookmaker britannique sur un compte étranger spécialement prévu à cet effet. Ces agissements et ces modalités de collecte et de transmission des paris ont été considérés contraires au régime de monopole sur les paris sportifs accordé au CONI et donc constitutifs du délit prévu à l’article 4 de la loi n° 401/89.

9.        Le ministère public auprès du Tribunale di Fermo a engagé des poursuites contre M. Gambelli et les autres prévenus en raison de l’organisation et de la réception de paris interdits, au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la loi n° 401/89. Le juge d’instruction auprès du Tribunale di Fermo a rendu en outre une ordonnance de saisie et ordonné la mise sous garde à vue de M. Giovanni Garrisi. Les prévenus ont également fait l’objet de perquisitions dans leurs agences, leurs domiciles et leurs véhicules. Un recours en vue de la main levée de l’ordonnance de saisie a été formé devant la juridiction de renvoi.

10.      La Stanley est une société de capitaux de droit britannique, inscrite au registre du commerce au Royaume-Uni et qui exerce l’activité de bookmaker. Elle exerce cette activité sur la base d’une licence accordée par la ville de Liverpool en vertu de la réglementation des «Betting Gaming and Lotteries», avec faculté d’exercer cette activité au Royaume-Uni et à l’étranger. Le bookmaker organise les paris en vertu de la licence britannique et fait de la publicité dans la presse quotidienne et hebdomadaire. Il organise et gère les paris, sélectionne les événements et les cotations, assume le risque économique et fonctionne également par les médias téléphoniques et télématiques. Il paie les impôts dus au Royaume-Uni (taxe sur les paris, TVA et impôt sur les sociétés), outre les taxes sur les salaires et autres et verse les primes gagnées. La société est soumise à des contrôles rigoureux sur le plan interne, à des contrôles effectués par des auditeurs privés et par l’administration fiscale.

11.      L’entreprise britannique opère sur le marché italien par le fait qu’elle conclut des contrats avec des opérateurs locaux relatifs à la création de centres de transmission de données au moyen desquels ces entreprises italiennes deviennent intermédiaires pour les paris sportifs. Ces centres ─ suivant l’ordonnance de renvoi ─ «mettent à la disposition des utilisateurs des moyens télématiques pour accéder au bookmaker, rassemblent et enregistrent les intentions de paris, et les transmettent à Liverpool». Le bookmaker britannique propose un large éventail de paris portant aussi bien sur des événements sportifs exploités par le CONI ou par des organisations dépendant de lui que sur des événements sportifs étrangers et internationaux. Les ressortissants italiens ont également la possibilité de participer depuis leur propre domicile aux paris que les bookmakers organisent et exploitent par l’intermédiaire de divers systèmes tels que internet, fax, téléphone, etc.

12.      Les prévenus sont inscrits à la chambre de commerce italienne en qualité de titulaires d’entreprises pour l’exploitation d’un centre de transmission de données et ont été autorisés par le ministère des Postes et Télécommunications à transmettre des données (au sens de la décision 467/00/Cons du 19 juillet 2000 et du décret du président de la République n° 318 du 19 septembre 1997).

13.      La juridiction de renvoi considère que le droit communautaire accorde à la société Stanley le droit d’établir son principal établissement ou des succursales dans un État membre de l’Union européenne. Ces principaux établissements ou succursales mettent à la disposition de leurs clients la possibilité de transmettre des données au bookmaker. La juridiction de renvoi ajoute que les prévenus n’ont pas uniquement participé à la collecte des paris du bookmaker, mais qu’ils ont développé une activité économique et fourni un service à l’entreprise étrangère. L’affaire soumise à la juridiction de renvoi soulève des questions préjudicielles quant à la compatibilité des dispositions nationales avec le droit communautaire. Il y aurait lieu d’observer en outre qu’en Italie il y aurait déjà eu en la matière un grand nombre de décisions de justice contradictoires qui ont conduit à des solutions antinomiques.

14.      La juridiction de renvoi fait observer en outre que l’article 4, paragraphe 1, de la loi n° 401/89 n’exclut pas la répression dans le cas où le sujet a la qualité d’entreprise étrangère communautaire autorisée par les autorités compétentes de son État d’origine à effectuer des opérations de transmission de données. C’est la raison pour laquelle il pourrait y avoir une discrimination inacceptable par rapport aux opérateurs nationaux munis des concessions ou autorisations nécessaires pour exercer de la même manière la collecte et l’acceptation de paris sportifs pour le compte du CONI. Cette différence de traitement pourrait être contraire aux principes de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services transfrontaliers.

15.      Se fondant sur l’arrêt de la Corte suprema di cassazione n° 1680, du 28 avril 2000, la juridiction de renvoi considère que, au regard du risque potentiel pour la sécurité publique pouvant résulter du libre exercice des activités connexes aux paris, ces exigences pourraient être prises en compte de manière appropriée si l’opérateur économique était une entreprise déjà soumise à une surveillance dans l’État où il a son siège et qui garantirait le contrôle de ses activités.

16.      En ce qui concerne le risque d’une incitation aux dépenses, la juridiction de renvoi fait observer qu’il existe en Italie une tendance à l’accroissement des possibilités de jeux et de paris. À cet égard, le «phénomène» des paris placés auprès d’opérateurs étrangers serait «marginal» par rapport au marché national du jeu. «L’analyse des problèmes inhérents aux sommes encaissées par le Trésor public sur les jeux de hasard autorisés soulèverait encore plus de perplexité.» Avec la nouvelle réglementation des paragraphes 4 bis et 4 ter de l’article 4 de la loi n° 401/89, la collecte de paris sur des événements sportifs internationaux ou sur des manifestations mondaines ou autres sur lesquels l’État n’aurait pas le moindre intérêt fiscal se trouve également punie.

17.      Il ressort de la lecture de travaux parlementaires afférents à la modification de la loi de finances de 2001, que les restrictions nouvellement introduites seraient dictées avant tout par la nécessité de protéger ce que l’on appelle les «Totoricevitori» (le loto sportif), qui sont une catégorie d’entreprises privées, et l’on n’y découvrirait aucune préoccupation d’ordre public qui pourrait justifier une restriction au droit communautaire ou au droit constitutionnel.

18.      La juridiction de renvoi ajoute que la licéité de la collecte et de la transmission de paris sur des événements sportifs étrangers, que l’on pouvait, jusqu’à présent, déduire de la formule initiale de l’article 4, «a eu pour conséquence le développement d’une chaîne d’opérateurs ayant investi des capitaux et des infrastructures dans ce secteur d’activités». Ces opérateurs verraient à présent la régularité et la licéité remises en cause à la suite de la modification de la législation, sans qu’ils aient pu le prévoir. À cet égard, la juridiction de renvoi observe qu’il apparaît manifeste que l’article 4 n’est pas compatible avec le respect des grands principes communautaires que sont la liberté d’établissement et la libre prestation des services en ce qui a trait à l’initiative économique privée pour les activités non soumises au prélèvement de recettes fiscales par l’État italien, comme la prise de paris sur des événements sportifs étrangers, ou sur des événements autres que sportifs.

19.      La juridiction de renvoi est indécise à deux égards. Tout d’abord, elle estime devoir s’interroger sur le respect du principe de proportionnalité entre, d’une part, «la rigueur de l’interdiction (répression pénale)» choisie par le législateur italien et, d’autre part, «l’importance de l’intérêt interne protégé qui conduit à sacrifier les libertés conférées aux individus par le traité CE». Ensuite, la juridiction de renvoi estime devoir s’interroger sur l’ampleur de l’apparent décalage entre une réglementation interne encadrant de façon rigoureuse l’activité de prise de paris sportifs par des entreprises communautaires étrangères, et la politique en sens inverse, de forte expansion du jeu et des paris, que l’État italien poursuit sur le plan national dans le but d’obtenir des rentrées fiscales.

20.      Par conséquent, la juridiction de renvoi a posé à la Cour la question préjudicielle suivante:«Y a-t-il incompatibilité (avec les conséquences que cela implique en droit italien), entre, d’une part, les articles 43 et suivants et 49 et suivants du traité CE concernant la liberté d’établissement et la libre prestation des services transfrontaliers, et, d’autre part, une réglementation nationale telle que la législation italienne matérialisée par l’article 4, paragraphes 1 à 4, 4 bis et 4 ter de la loi n° 401/89 (telle que modifiée en dernier lieu par l’article 37, paragraphe 5, de la loi n° 388 du 23 décembre 2000), qui interdit ─ au moyen de sanctions pénales ─ l’exercice d’activités, par quiconque et en tout lieu, de collecte, d’acceptation, d’enregistrement et de transmission de propositions de paris, notamment sur les événements sportifs, en l’absence des conditions de concession et d’autorisation prescrites par le droit interne?»

IV –   Observations des parties

21.      M. Gambelli et les autres prévenus ainsi que M. Garrisi ─ administrateur de la société Stanley en Italie ─ considèrent que la présente affaire présente d’importantes différences par rapport aux affaires précédemment soumises à la Cour, notamment l’affaire Zenatti. Les États membres intervenants et la Commission estiment en revanche unanimement que la jurisprudence de la Cour rendue dans les arrêts Schindler, Läärä e.a. et surtout Zenatti apporte la solution à la question préjudicielle.

A –    M. Gambelli

22.      M. Gambelli estime que l’activité de paris exploitée par le CONI et l’UNIRE constitue un exemple typique de pouvoir monopolistique. La présence d’une société étrangère telle que Stanley constitue une garantie de qualité et de fiabilité pour le cocontractant. La société étrangère, titulaire d’un certificat et d’une licence, assujettie à des contrôles, qui agit par l’intermédiaire de centres autoréglementés et soumis à des contrôles opérerait conformément à l’évolution technologique dans le respect de la législation britannique et du droit communautaire et sans enfreindre le système italien.

23.      Les préoccupations que les autorités nationales font valoir concernant la protection des parieurs contre les dangers de fraude seraient dénuées de fondement. Au contraire, la législation nationale des dernières années, qui a permis la création d’un nombre toujours plus important de jeux de hasard (Lotto, Totocalcio, Totip, scommesse ippiche, Totogol, Corsa tris, Totosei, Superenalotto, Bingo, Totobingol, Gratta e vinci, etc.), ne saurait se comprendre comme poursuivant la finalité de réduire les occasions de jeu afin d’éviter les conséquences dommageables, sur les plans individuel et social, ni d’empêcher l’incitation à la dépense ni de servir à la sauvegarde de la sécurité et de l’ordre publics.

24.      La sanction pénale constituerait l’ultima ratio à laquelle on ne pourrait recourir que lorsque les autres mesures ou instruments ne sont pas à même d’assurer une protection adéquate des intérêts à protéger. La peine d’emprisonnement prévue pour la simple collecte de paris constituerait une violation flagrante du principe de proportionnalité.

25.      En ce qui concerne le droit d’établissement, M. Gambelli fait valoir que les centres de transmission de données sont seulement des agences ou des établissements secondaires non autonomes, liés par contrat à Stanley. Un État membre ne pourrait refuser à un ressortissant d’un autre État membre de s’établir sous cette forme. Or, le législateur italien voudrait lier l’activité des centres de traitement des données avec l’activité d’exploitation et de gestion des paris qui se déroule à l’étranger, en appliquant un régime d’autorisation soumise à concession. En outre, les sociétés de capitaux se verraient a priori refuser l’accès au régime des concessions.

26.      En ce qui concerne la libre prestation des services, M. Gambelli relève que le matériel que Stanley transmet au centre, les cotes des jeux, le calendrier des événements, les reçus et tout ce qui est nécessaire à l’identification et à l’acceptation des paris gérés et exploités à l’étranger ainsi que les transferts des mises et des cotes collectées par le centre constituent la prestation de services transfrontaliers conformément aux libertés fondamentales sanctionnées par le traité. Or, la législation italienne méconnaît les principes communautaires en interdisant aux citoyens italiens de contacter des sociétés étrangères pour choisir les jeux ou les combinaisons les plus divertissants ou en interdisant de placer les paris par téléphone ou par voie télématique. Elle violerait également le principe communautaire de protection de la confiance légitime en ne respectant pas la confiance légitime des titulaires des centres de transmission de données en la légalité de leurs activités, à tout le moins pour les événements sportifs internationaux.

27.      M. Gambelli examine ensuite, à la lumière des arrêts Schindler, Läärä e.a. et Zenatti, les motifs qui pourraient justifier de telles entraves aux libertés communautaires. L’objectif politique des États membres consistant à réglementer les activités de jeu ne constituerait pas nécessairement une raison impérieuse d’intérêt général, la mesure restrictive devant être le reflet d’une politique de l’État membre visant à limiter de manière cohérente les activités de jeu ou à les supprimer. D’ailleurs, la mesure restrictive ne devrait pas poursuivre ou produire des effets directement ou indirectement discriminatoires à l’égard des ressortissants et des entreprises des autres États membres. En tout état de cause, elle devrait satisfaire au critère de proportionnalité.

28.      Or, selon M. Gambelli, l’État italien encourage et stimule indiscutablement les politiques du Trésor public. Le monopole qu’il accorde au système composé par le CONI et les agences hippiques ne répondrait pas à des raisons impérieuses d’intérêt général. De plus, en refusant toute reconnaissance des mesures législatives des autres États membres ─ en l’occurrence le système britannique, qui est rigoureux et largement reconnu ─, la législation italienne aurait des effets discriminatoires et violerait les principes afférents à la réalisation du marché unique.

29.      Selon M. Gambelli, cette affaire pose des problèmes qui n’ont pas été abordés auparavant dans la jurisprudence de la Cour et qui vont au-delà de la perplexité exprimée par la juridiction de renvoi en ce qui a trait à la proportionnalité de la sanction pénale et à la contradiction existant entre la législation restrictive pour les paris à l’extérieur de l’Italie et l’encouragement du jeu dans cet État. Ainsi, la Cour n’aurait jamais examiné la compatibilité des dispositions pénales italiennes en matière de paris avec le droit communautaire. En outre, la loi n° 388/00, que la Cour n’aurait pas encore eu l’occasion d’examiner, aurait modifié la législation italienne dans un sens nettement plus restrictif englobant les événements internationaux sur lesquels l’État italien ne saurait faire valoir aucun intérêt de nature fiscale. De même, la Cour n’aurait pas examiné la compatibilité de la législation italienne avec le droit d’établissement, ni le problème de la discrimination à l’encontre des citoyens italiens qui se verraient empêchés de jouer ou de parier avec des opérateurs étrangers via internet.

30.      En ce qui concerne le danger potentiel pour l’ordre public, M. Gambelli considère qu’il serait possible d’identifier d’autres formes adéquates et efficaces de contrôle des opérateurs étrangers en vue d’assurer et de garantir l’ouverture progressive et naturelle du marché européen. À la lumière des nouvelles perspectives technologiques, de l’évolution de la législation et des objectifs communautaires en matière de communication ou de commerce via internet, M. Gambelli considère qu’un nouvel examen par la Cour s’impose.

31.      M. Gambelli propose de répondre comme suit à la question préjudicielle:

1)
La législation de la République italienne, telle qu’elle est prévue à l’article 88, du TULPS, plusieurs fois modifié, et à l’article 4 de la loi n° 401/89, plusieurs fois modifié (et plus récemment par l’article 37, paragraphes 4 et 5, de la loi n° 388/00), est incompatible avec les articles 43 CE et suivants en matière de liberté d’établissement et/ou avec les articles 49 CE et suivants en matière de libre prestation des services; est discriminatoire au détriment des opérateurs communautaires; viole les principes de proportionnalité, de reconnaissance mutuelle, de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime; est contraire aux directives communautaires sur les libertés en matière d’offres des services internet et de services de télécommunications; élude le principe de collaboration loyale et les obligations visées à l’article 10 CE; s’oppose à l’intérêt général; n’est pas justifiée par des raisons d’ordre public ou de sécurité publique; ne saurait poursuivre des finalités de nature fiscale; restreint la liberté des ressortissants et des entreprises de l’Union, et opère une discrimination au détriment des ressortissants italiens.

2)
Subsidiairement, une législation nationale, telle que celle en question, est incompatible avec les articles 43 CE et suivants ou 49 CE et suivants ainsi qu’avec les principes et les directives communautaires, lorsque son application n’est pas écartée par les autorités et les juridictions nationales ou lorsqu’elle n’est pas appliquée d’une manière conforme aux principes, aux directives et aux mesures communautaires susmentionnées.

B –    M. Garrisi

32.      M. Garrisi est membre du conseil d’administration de Stanley et assume la responsabilité des opérations du groupe dans le secteur des paris sportifs. Il ajoute aux observations de M. Gambelli que la modification législative italienne de l’année 2000 a eu pour effet de rendre le marché italien des services en matière de collecte et d’acceptation des paris sur les événements sportifs définitivement impénétrable aux opérateurs des autres États membres.

33.      M. Garrisi relève, en ce sens, que les conditions de participation aux appels d’offres du CONI pour l’attribution de 1 000 concessions nouvelles pour l’exploitation des paris non hippiques ne pouvaient être concrètement remplies que par les agences hippiques relevant déjà du système UNIRE ou CONI, car elles exigeaient de pouvoir faire état de différentes structures appartenant obligatoirement à des personnes physiques ou à des sociétés de personnes et de disposer par ailleurs de locaux sur le territoire national. En outre, les agences hippiques italiennes se seraient vu attribuer antérieurement et par la suite de manière prédominante les concessions relatives aux paris hippiques et non hippiques sans qu’elles aient dû participer à une procédure d’adjudication publique. Elles auraient obtenu de cette manière les concessions définitives pour les paris nouveaux et cela alors que d’autres opérateurs communautaires n’auraient pas pu obtenir le «statut» ainsi présumé d’agence hippique, concessionnaire de l’UNIRE.

34.      En ce qui concerne les justifications possibles aux entraves aux libertés fondamentales du traité, M. Garrisi invoque le principe confirmé par une jurisprudence récente, selon lequel des objectifs de nature économique ne peuvent constituer une raison d’intérêt général justifiant une entrave à une liberté fondamentale. M. Garrisi invoque à cet égard les arrêts rendus dans les affaires SETTG  (11) , Bond van Adverteerders e.a.  (12) et Collective Antennevoorziening Gouda  (13) .

35.      Or, ainsi qu’il ressortirait d’une étude d’une société de conseil économique indépendante de Londres, NERA, intitulée «Extension de l’industrie italienne des paris» et actualisée en 2001, l’État italien poursuivrait avec une détermination absolue une politique fortement expansive dans le secteur, dans le but de récolter des fonds pour le Trésor public. Loin de répondre au souci de réduire effectivement les occasions de jeu, l’État italien chercherait donc à les développer. Les restrictions graves que la législation italienne apporterait aux libertés fondamentales en matière de prestation des services et d’établissement ne correspondraient pas à des raisons de politique sociale, mais à des motivations de politique fiscale.

36.      M. Garrisi reproche à la législation italienne d’omettre totalement de prévoir qu’il y a lieu de vérifier si le prestataire de services communautaire est assujetti dans son État d’origine à des réglementations équivalentes et aux dispositions prohibitives qui, d’une part, poursuivent également des finalités de protection des mêmes intérêts ─ tels que l’ordre public et la moralité publique ─ et d’autre part, prévoient une prévention et une répression pénale. Par conséquent, les opérateurs voulant accéder au marché italien se verraient imposer un doublement des charges, contrôles et sanctions. Cela constituerait une discrimination grave en faveur des opérateurs nationaux. Il en résulterait que la législation en cause violerait le principe de reconnaissance mutuelle.

37.      M. Garrisi considère que la modification législative opérée en 2000 porte également atteinte à la confiance légitime et à la sécurité juridique de ceux, comme les prévenus dans l’instance au principal, qui, à l’époque de l’entrée en vigueur de la loi n° 388/00, exerçaient en Italie des activités d’intermédiaires télématiques ayant pour objet des paris sportifs sur les événements ne relevant pas du domaine des paris réservés au CONI et à l’UNIRE. De plus, il y aurait également violation de la directive 1999/42/CE  (14) .

38.      Enfin, la législation italienne présenterait des aspects qui sont incompatibles avec les directives 90/388/CEE  (15) , 97/13/CE  (16) et 97/66/CE  (17) ; elle serait donc contraire non seulement aux libertés fondamentales de prestations des services et d’établissement, mais aussi à la liberté de l’offre des services de télécommunications.

39.      M. Garrisi propose de répondre à la question préjudicielle de la manière suivante:

La législation italienne en matière de paris sportifs est incompatible avec les articles 43 CE et suivants et 49 CE et suivants:

A)
Elle est positivement discriminatoire au préjudice des opérateurs communautaires non ressortissants et/ou, encore qu’indistinctement applicable sur le plan nominal, se traduit en fait ou en droit par des obstacles qui empêchent ou rendent extrêmement difficile la prestation des services s’y rapportant tant directement que par le biais de l’établissement, par les opérateurs des autres États membres; et/ou viole les principes de proportionnalité, de reconnaissance mutuelle et de non-contradiction avec les autres politiques internes; et/ou viole les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime.

B)
Elle est incompatible avec les dispositions de la directive 1999/42 en matière de reconnaissance des qualifications.

C)
Elle est incompatible avec les dispositions des directives en matière de liberté de l’offre des services de télécommunications libéralisés, autres que la téléphonie vocale.

Subsidiairement, la législation italienne en matière de paris sportifs est incompatible avec les articles 43 CE et suivants et 49 CE et suivants et/ou avec les dispositions de la directive 1999/42 et/ou avec les dispositions de la directive 90/388, de la directive 97/13 et de la directive 97/66, en ce que son application n’est pas écartée par les autorités et les juridictions nationales ou en ce qu’elle n’est pas appliquée par ces autorités et juridictions d’une manière conforme aux principes de non-discrimination, de proportionnalité, de reconnaissance mutuelle, de non-contradiction avec d’autres politiques nationales, de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime.

C –    Le gouvernement italien

40.      Le gouvernement italien considère que, au vu des principes dégagés de l’arrêt Zenatti, la législation italienne est compatible avec la réglementation communautaire en matière de prestation des services et de liberté d’établissement. L’affaire Zenatti visait les dispositions concernant l’autorisation administrative d’exercice de l’activité de la collecte et de la gestion des paris sur le territoire italien (article 88 du TULPS). La présente affaire concernerait les règles nationales qui sanctionnent pénalement l’interdiction de la collecte et de la gestion des paris. Les deux réglementations poursuivraient le même but, à savoir l’interdiction de l’activité en question en dehors des cas expressément prévus par la loi.

41.      Le gouvernement italien rappelle que, dans son arrêt du 28 avril 2000, n° 1680, la Corte suprema di cassazione a déjà jugé, à la lumière des principes de l’arrêt Zenatti, que les règles italiennes relatives aux paris étaient pleinement légales, dans la mesure où elles sont destinées à réduire les opportunités de jeu et à protéger l’ordre public.

D –    Le gouvernement belge

42.      Le gouvernement belge rappelle que les activités des centres constituent, au sens de la jurisprudence de la Cour, une activité économique au sens du traité. Toutefois, le gouvernement belge considère qu’un marché unique des jeux d’argent ne pourra qu’inciter les consommateurs à davantage de gaspillage et produire des effets dommageables importants pour la société; à cet égard, il invoque les points 60 et 61 de l’arrêt Schindler. Se référant aux arrêts Kraus  (18) et Gebhard  (19) , le gouvernement belge fait observer que la législation échappe à la prohibition de l’article 49 CE si les quatre conditions pour une restriction licite de la libre prestation des services, énoncée dans ces arrêts, sont remplies. La volonté d’endiguer les jeux de hasard et leurs effets dommageables pourrait être considérée comme un objectif d’intérêt général au sens des arrêts Schindler, Läärä e.a. et Zenatti. Cet objectif ne serait pas exclus par le simple fait que les jeux de hasard ne seraient pas totalement interdits. La législation italienne ne serait pas non plus discriminatoire. Seules les organisations qui sont titulaires d’une autorisation délivrée par le ministère des Finances pourraient organiser des jeux de hasard. Cela vaudrait tant pour les organisations italiennes que les organisations étrangères. La réglementation italienne respecterait également le principe de la proportionnalité. Même si elle constitue en fin de compte une entrave au principe de la liberté d’établissement, elle serait justifiée pour les mêmes raisons que celles s’appliquant à la restriction à la libre prestation des services.

E –    Le gouvernement hellénique

43.      Le gouvernement hellénique considère qu’il existe un parallèle entre la réglementation italienne concernée et les dispositions de droit grec pertinentes. Il considère que toutes deux sont compatibles avec le droit communautaire. La libéralisation des jeux de hasard comporterait des risques nouveaux pour la collectivité. Par ce motif, il serait justifié que les jeux de hasard, et en particulier les paris sportifs, soient soumis au contrôle de l’État et exercés sous forme de monopoles.

F –    Le gouvernement espagnol

44.      Le gouvernement espagnol considère lui aussi que la législation italienne est justifiée pour des raisons d’intérêt général, suivant la jurisprudence actuelle de la Cour. Tant l’octroi de droits spéciaux ou exclusifs par le biais d’un régime strict d’autorisations ou de concessions, que l’interdiction d’ouvrir des succursales d’agences étrangères seraient compatibles avec le droit communautaire, pourvu que ces mesures aient été adoptées dans le but de réduire les occasions de jeu et d’éviter les risques qui en résultent. Les autorités nationales disposeraient d’un pouvoir d’appréciation suffisant pour déterminer les modalités d’organisation des loteries et des jeux de hasard ainsi que l’affectation des profits qu’elles dégagent.

G –    Le gouvernement luxembourgeois

45.      Le gouvernement luxembourgeois fait valoir que, s’il est vrai que la législation italienne litigieuse constitue une entrave à la libre circulation des services et à la liberté d’établissement, elle serait toutefois justifiée dans la mesure où elle satisfait aux quatre critères développés par la jurisprudence pour admettre cette entrave. Tel serait le cas de la législation italienne car on pourrait considérer qu’elle a été uniquement adoptée en vue de canaliser les occasions de jeu.

H –    Le gouvernement portugais

46.      Le gouvernement portugais fait remarquer que l’on constate dans tous les États membres de l’Union des comportements contraires aux législations nationales visant à limiter l’exploitation des jeux de hasard, consistant soit dans la commercialisation de billets de loteries étrangères, soit dans la collecte de paris hippiques. Ces comportements s’inscriraient dans une stratégie de libéralisation et de privatisation du marché du jeu d’argent qui aurait été rejetée expressément au sommet d’Édimbourg de 1992. L’enjeu de la présente affaire serait important pour le maintien, en Italie comme dans tous les États membres de l’Union, de l’exploitation des loteries sous un régime de monopole public et, dans cette mesure, pour la préservation d’une source importante de recettes pour les États, remplaçant le recouvrement d’impôts et servant dans tous ces États à financer les politiques sociales, culturelles et sportives et à procurer un niveau de bien-être significatif aux citoyens de l’Union.

47.      Le gouvernement portugais relève également que le principe de subsidiarité, en vertu duquel la Communauté n’est pas intervenue à ce jour pour harmoniser ces activités, constitue la ligne directrice de l’interprétation du droit communautaire applicable. Dans le cadre de l’examen de proportionnalité des mesures nationales relatives aux jeux de hasard, il appartiendrait au législateur national de définir les objectifs qu’il entend garantir et les intérêts qu’il entend protéger. De la même manière, il lui appartiendrait de déterminer quels sont les moyens qui lui semblent les plus appropriés à cet effet, sous réserve que ces mesures ne soient pas discriminatoires. Le gouvernement portugais s’appuie à cet égard sur les arrêts précités Schindler, Läärä e.a. et Zenatti.

48.      Selon le gouvernement portugais, un encadrement législatif permissif des jeux d’argent est susceptible de causer de graves problèmes sociaux en entraînant la perte des patrimoines individuels et familiaux. En outre, les jeux de hasard comporteraient un risque de fraude et peuvent entraîner d’autres activités criminelles, comme le blanchiment d’argent. Le caractère improductif des jeux de hasard ne permettrait pas de se fonder sur la liberté d’initiative et la libre concurrence. Dans la mesure où il n’y aurait aucune production d’aucun type, les libertés ayant pour finalité le bien-être de la Communauté ne pourraient prévaloir.

49.      Le gouvernement portugais cite la jurisprudence de la Cour  (20) pour en déduire que les exigences impératives d’intérêt général résultent d’une appréciation concrète. Le gouvernement portugais rappelle ses observations dans l’affaire Anomar e.a.  (21) , par lesquelles il a déclaré que le contenu de l’ordre public englobe des valeurs d’ordre moral, éthique et politique et que celles-ci dépendent d’un modèle national, qui ne peut être apprécié ni au niveau supranational ni de manière uniforme.

50.      Selon le gouvernement portugais, il ressortirait clairement du point 30 de l’arrêt Zenatti que la législation italienne vise à lutter contre les risques de fraude et les conséquences sociales dommageables des jeux de hasard et à ne les permettre que dans la mesure où ils peuvent présenter un caractère d’utilité sociale pour le bon déroulement d’une compétition sportive.

51.      Le gouvernement portugais fait observer en outre que la libre concurrence sur le marché des jeux de hasard entraînerait un transfert des sommes recueillies des pays pauvres vers les pays riches. Les parieurs joueraient là où des gains plus importants sont à espérer, ce qui aurait pour conséquence que les joueurs des petits États financeraient le budget social, culturel et sportif des grands États, ce qui se traduirait par une diminution des recettes des petits États et contraindrait ceux-ci à augmenter les impôts. Par ailleurs, la division du marché des jeux de loteries et de lotos des États entre trois ou quatre grands opérateurs en Europe produirait des mutations structurelles entraînant une destruction d’emplois et créant des disparités sociales importantes.

52.      Le gouvernement portugais considère que la législation italienne, comme la législation portugaise, est compatible avec le principe de proportionnalité, parce qu’elle s’avère nécessaire pour garantir l’intérêt général. L’alternative serait soit l’interdiction totale, soit la libéralisation des activités de jeu. Les motifs ayant conduit à l’arrêt Zenatti resteraient valables dans la présente affaire. Les entraves au droit d’établissement d’une entreprise britannique en Italie ne seraient, partant, pas disproportionnées. Mettre fin aux monopoles étatiques sur le jeu aurait des conséquences économiques graves, ainsi que des conséquences individuelles et sociales préjudiciables.

I –    Le gouvernement finlandais

53.      Se fondant sur les arrêts Schindler, Läärä e.a. et Zenatti, le gouvernement finlandais estime que l’interdiction assortie de ses conséquences pénales a pour but de protéger un monopole admis par le droit communautaire sous certaines conditions; elle est de nature à empêcher des opérateurs d’autres États membres de s’établir en Italie ou d’y proposer des services. La Cour concéderait aux États membres un large pouvoir d’appréciation. Cela vaudrait en matière de libre circulation des marchandises, de libre prestation des services et en matière de liberté d’établissement. La législation en cause serait justifiée si elle n’était pas discriminatoire et s’appliquait indistinctement à tous les opérateurs, qu’ils soient originaires d’Italie ou étrangers.

54.      Selon le gouvernement finlandais, le fait que la législation prévoie des sanctions pénales et le fait que la réglementation s’applique aussi à la collecte de paris ne présentant aucun intérêt fiscal pour l’État italien n’ont pas d’importance décisive du point de vue du droit communautaire. Suivant le point 36 de l’arrêt Läärä e.a., la proportionnalité d’une mesure ne devrait être appréciée qu’au regard des objectifs poursuivis par les autorités nationales et du niveau de protection qu’elles entendent assurer, ce qu’il appartiendrait à la juridiction de renvoi de vérifier.

J –    Le gouvernement suédois

55.      Le gouvernement suédois considère qu’il convient que la Cour emprunte la même voie que celle des arrêts Schindler, Läärä e.a. et Zenatti. La législation italienne constituerait une entrave à la libre prestation des services, mais cette entrave ne serait pas discriminatoire ni appliquée de manière discriminatoire. La circonstance que ces mesures auraient une finalité fiscale ne constituerait pas un problème du point de vue du droit communautaire tant qu’elles seraient proportionnées et non discriminatoires, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier. Le gouvernement suédois ne pense pas que les intérêts protégés par la législation italienne puissent être satisfaits par un régime de contrôles exercés sur les bureaux de paris dans leur État d’origine. La nouvelle législation italienne permettrait d’empêcher une société qui s’est vu refuser une autorisation en Italie, de contourner la réglementation. Dans les arrêts Läärä e.a. (point 36) et Zenatti (point 34), la Cour aurait considéré que la circonstance qu’un État membre a choisi un système de protection différent de celui adopté par un autre État membre ne saurait avoir d’incidence sur l’appréciation de la nécessité et de la proportionnalité des dispositions prises en la matière qui doivent être uniquement appréciées au regard des objectifs poursuivis par les autorités nationales de l’État membre intéressé et du niveau de protection qu’elles entendent assurer. De plus, les restrictions à la liberté d’établissement seraient également justifiées.

K –    La Commission

56.      La Commission fait valoir que la solution de l’arrêt Zenatti trouve pleinement application dans la présente affaire. Les modifications législatives de 2000 ne feraient que compléter l’interdiction préexistante, sans introduire de nouvelles catégories d’infractions. De plus, la directive 2000/31/CE relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur ( «directive sur le commerce électronique»)  (22) ne s’appliquerait pas aux paris. En ce qui concerne l’expansion de l’offre des paris, qui ne présenterait pas d’intérêt fiscal pour l’État italien, la Commission constate que la présente affaire concerne des paris sur des matchs de football nationaux et non pas sur des événements sportifs étrangers, comme dans l’affaire Zenatti. La Commission considère que cette différence ne semble toutefois pas suffisante pour procéder à une appréciation différente du souci de protection poursuivi par la réglementation. S’appuyant sur l’arrêt Zenatti, point 33, la Commission ajoute que la détermination de l’étendue de la protection qu’un État membre entend assurer relève de son pouvoir d’appréciation. Par conséquent, il lui appartiendrait d’apprécier s’il est nécessaire d’interdire totalement ou partiellement des activités de cette nature ou seulement de les soumettre à certaines restrictions.

57.      En ce qui concerne la liberté d’établissement, la Commission fait valoir que les agences gérées par M. Gambelli sont formellement indépendantes et qu’il n’y a aucun lien de subordination avec Stanley. Dans de telles circonstances, il semblerait plus logique de continuer à examiner l’affaire sous l’angle de la libre prestation des services, d’autant plus que, suivant la jurisprudence de la Cour  (23) , celle-ci comprend également la liberté pour les destinataires des services d’aller dans un autre État membre pour y bénéficier d’un service ou de se connecter par voie télématique à un fournisseur de services établi dans cet État. Même si l’on devait retenir l’hypothèse de l’applicabilité du droit d’établissement, la législation italienne serait justifiée pour les mêmes motifs que ceux invoqués dans le cadre de la libre prestation des services.

58.      La Commission propose donc de répondre à la question préjudicielle comme suit:

a)
Les dispositions du traité relatives au droit d’établissement et à la libre prestation des services ne s’opposent pas à une législation nationale, telle que la législation italienne, qui réserve à certains organismes le droit de collecter, y compris par voie télématique, des paris sur les événements sportifs ou autres, si cette législation est effectivement justifiée par des objectifs de politique sociale visant à limiter les effets nocifs de telles activités et si les restrictions qu’elle impose ne sont pas disproportionnées au regard de ces objectifs.

b)
Il incombe au juge national de vérifier si la législation nationale, à la lumière de ses modalités d’application concrètes, répond effectivement aux objectifs qui lui servent de justification et si les restrictions qu’elle impose ne sont pas disproportionnées au regard de ces objectifs.

V –   Analyse

59.      Bien que les gouvernements qui sont intervenus dans la présente procédure et la Commission soutiennent que la solution à cette affaire est tracée dans les arrêts Schindler, Läärä e.a. et Zenatti, la juridiction de renvoi et les prévenus de l’affaire au principal ont de sérieux doutes quant à la compatibilité de la législation nationale avec le droit communautaire. De même, les juridictions italiennes semblent être très perplexes quant à l’interprétation appropriée du droit communautaire en cette matière avec les conséquences fatales qui en découlent pour la sécurité juridique. Il en résulte que la liberté économique des sujets de droit est fortement affectée. Dans certains États, certains agissements commerciaux sont considérés comme légaux tandis que, dans d’autres, ils font l’objet de poursuites et de sanctions pénales allant parfois même jusqu’à une peine d’emprisonnement.

60.      De même, l’arrêt Zenatti, qui semble trouver application dans le présent litige, ne peut, avec toutes ses conséquences, apporter de clarté dans l’ordre juridique de l’État membre dans la mesure où le requérant dans l’affaire Zenatti s’était désisté de son recours dans la procédure au principal après l’arrêt de la Cour de justice. En tout état de cause, un arrêt de la Cour venant apporter des précisions revêt une importance fondamentale et il doit tenir compte des particularités de la présente espèce ─ tout en s’inscrivant dans la jurisprudence antérieure de la Cour. Par conséquent, cet arrêt devrait poser clairement les jalons d’une solution tant pour la juridiction de renvoi que pour l’ensemble des juridictions des États membres saisies de la même problématique.

61.      Effectivement, la présente espèce dépasse à plusieurs égards la problématique examinée dans l’affaire Zenatti. Ainsi, la matière des jeux de hasard transfrontaliers n’a pas encore été examinée par la Cour sous l’angle du droit d’établissement. Seules les conclusions des avocats généraux Gulmann  (24) , La Pergola  (25) et Fennelly  (26) rendues dans les affaires Schindler, Läärä e.a. et Zenatti et l’arrêt Zenatti  (27) donnent des indications relatives à l’applicabilité des dispositions en matière de liberté d’établissement. En tout état de cause, tout dépend du cas de figure concret de l’espèce pour savoir si les dispositions relatives à la liberté d’établissement sont pertinentes en matière de jeux de hasard transfrontaliers. Il y aura lieu d’examiner ce point dans la présente affaire.

De même, les aspects de droit pénal n’ont à ce jour pas encore fait l’objet d’un examen par la Cour. Il est vrai que la protection pénale d’une interdiction ne peut être séparée de la question de la licéité fondamentale ou de l’éventuelle infraction au droit communautaire de la disposition en question. C’est pourquoi il y a lieu tout d’abord d’examiner la question de principe de la légalité de l’interdiction nationale à la lumière du droit communautaire. En outre, il y aura lieu d’examiner de manière autonome la question de la proportionnalité de la règle pénale.

Enfin, il y aura lieu également d’examiner de manière autonome le renforcement récent des dispositions de droit national. Même si, considérées de manière abstraite, certaines restrictions aux libertés fondamentales devaient être considérées par la Cour comme compatibles avec le droit communautaire, cela ne rend pas pour autant justifiables les restrictions allant à l’encontre de l’esprit de ces libertés fondamentales.

62.      Avant d’examiner concrètement ces questions, il convient de rappeler les principes dégagés par les arrêts Schindler, Läärä e.a. et Zenatti en vue d’apprécier plus avant le présent cas d’espèce.

A –    Les arrêts Schindler, Läärä e.a. et Zenatti

1.        L’arrêt Schindler

63.      Dans l’affaire Schindler, il s’agissait à l’époque des événements litigieux d’une interdiction totale des loteries sur le marché des jeux de hasard au Royaume-Uni. L’ensemble des activités concernant l’organisation, l’exploitation et la publicité relative à la participation à des loteries étaient interdites. Cette situation n’est pas remise en question par le fait que de petites loteries étaient susceptibles d’une autorisation dans des limites territoriales très étroites et avec des objets très limités; elle n’est pas non plus remise en question par la circonstance qu’ultérieurement la loi a permis l’organisation d’une grande loterie nationale au Royaume-Uni. Ces données n’étaient pas pertinentes pour l’affaire Schindler. La Cour partait donc d’une situation d’interdiction totale des loteries sur le marché concerné.

64.      Les frères Schindler, qui voulaient importer à grande échelle au Royaume-Uni du matériel publicitaire venant des Pays-Bas pour la Süddeutsche Klassenlotterie au moyen de la poste, en ont été empêchés par la douane britannique. L’interdiction d’importation de ces matériels était durable aux yeux de la Cour qui a énoncé à cet égard au point 62 de l’arrêt:

«Lorsqu’un État membre interdit sur son territoire l’organisation des loteries de grande ampleur et, plus particulièrement, la publicité et la diffusion des billets de ce type de loteries, l’interdiction d’apporter des matériels destinés à permettre aux ressortissants de cet État membre de participer à de telles loteries organisées dans un autre État membre ne saurait être regardée comme une mesure portant une atteinte injustifiée à la libre prestation des services. En effet, une telle interdiction d’importation est un élément nécessaire à la protection que cet État membre entend assurer sur son territoire en matière de loteries.»

65.      La Cour avait considéré aux points 33 et 35 de cet arrêt tout d’abord le caractère économique du marché des loteries et avait qualifié alors cette activité de service (point 37). Toutefois, les dispositions britanniques en matière de loteries constituaient, même si elles étaient indistinctement applicables (points 43 et 47), une entrave à la libre prestation des services (point 45). Quant aux motifs allégués pour justifier cette entrave (point 57), la Cour s’est fondée sur la «nature particulière des loteries» (point 59) permettant de justifier ces restrictions allant jusqu’à l’interdiction des loteries.

66.      Les personnes concernées se sont à plusieurs reprises fondées sur les déclarations de la Cour aux points 60 et 61 de l’arrêt Schindler et la Cour y a fait elle-même référence dans sa jurisprudence  (28) . Par conséquent, il y a lieu de les citer littéralement:

« En effet, il n’est pas possible de faire abstraction tout d’abord, des considérations d’ordre moral, religieux ou culturel qui entourent les loteries comme les autres jeux d’argent dans tous les États membres. Celles-ci tendent, de manière générale, à limiter voire à interdire la pratique des jeux d’argent et à éviter qu’ils ne soient une source de profit individuel. Il convient ensuite de relever que, compte tenu de l’importance des sommes qu’elles permettent de collecter et des gains qu’elles peuvent offrir aux joueurs, surtout lorsqu’elles sont organisées à grande échelle, les loteries comportent des risques élevés de délit et de fraude. Elles constituent, en outre, une incitation à la dépense qui peut avoir des conséquences individuelles et sociales dommageables. Enfin, sans que ce motif puisse, en lui-même, être regardé comme une justification fictive, il n’est pas indifférent de relever que les loteries peuvent participer, de manière significative, au financement d’activités désintéressées ou d’intérêt général telles que les oeuvres sociales, les oeuvres caritatives, le sport ou la culture.

Ces particularités justifient que les autorités nationales disposent d’un pouvoir d’appréciation suffisant pour déterminer les exigences que comportent la protection des joueurs et, plus généralement, compte tenu des particularités socio-culturelles de chaque État membre, la protection de l’ordre social, tant en ce qui concerne les modalités d’organisation des loteries, le volume de leurs enjeux, que l’affectation des profits qu’elles dégagent. Dans ces conditions, il leur revient d’apprécier non seulement s’il est nécessaire de restreindre les activités des loteries, mais aussi de les interdire, sous réserve que ces restrictions ne soient pas discriminatoires. »

2.        L’arrêt Läärä e.a.

67.      Cette affaire portait sur un autre cas de figure. Il s’agissait de la réglementation finlandaise sur les jeux de hasard ─ réservés aux entreprises disposant d’un monopole ─ au moyen des machines à sous, qui devaient également être considérés comme des jeux d’adresse. Dans cette affaire, la Cour s’est également fondée sur les dispositions relatives à la libre prestation des services et non pas sur celles concernant la libre circulation des marchandises, bien qu’il s’agissait d’une importation de machines à sous, et que, partant, on aurait pu également examiner cette problématique sous l’angle de la libre circulation des marchandises  (29) .

68.      Pour justifier la disposition nationale, le gouvernement finlandais avait exposé des motifs analogues à ceux de l’affaire Schindler. Considérant ces motifs dans leur ensemble (point 33), la Cour a examiné expressément le fait que ces activités n’étaient pas totalement interdites, mais devaient être considérées comme permises à certaines conditions (point 34). La Cour reconnaissait dès lors un large pouvoir d’appréciation aux autorités nationales, ce qu’elle a formulé au point 35 de l’arrêt Läärä e.a.:

«Toutefois, la détermination de l’étendue de la protection qu’un État membre entend assurer sur son territoire en matière de loteries et autres jeux d’argent fait partie du pouvoir d’appréciation reconnu aux autorités nationales [...] Il appartient à celles-ci, en effet, d’apprécier si, dans le contexte du but poursuivi, il est nécessaire d’interdire totalement ou partiellement des activités de cette nature ou seulement de les restreindre et de prévoir à cet effet des modalités de contrôle plus ou moins strictes.»

Aux points 36 et 37 la Cour ajoute:

« Dans ces conditions, la seule circonstance qu’un État membre a choisi un système de protection différent de celui adopté par un autre État membre ne saurait avoir d’incidence sur l’appréciation de la nécessité et de la proportionnalité des dispositions prises en la matière. Celles-ci doivent seulement être appréciées au regard des objectifs poursuivis par les autorités nationales de l’État membre intéressé et du niveau de protection qu’elles entendent assurer.

Le fait que les jeux en cause ne sont pas totalement interdits ne suffit pas, contrairement à ce que soutiennent les appelants au principal, à démontrer que la législation nationale ne vise pas réellement à atteindre les objectifs d’intérêt général qu’elle prétend poursuivre et qui doivent être considérés dans leur ensemble. En effet, une autorisation limitée de ces jeux dans un cadre exclusif, qui présente l’avantage de canaliser l’envie de jouer et l’exploitation des jeux dans un circuit contrôlé, de prévenir les risques d’une telle exploitation à des fins frauduleuses et criminelles et d’utiliser les bénéfices qui en découlent à des fins d’utilité publique, s’inscrit aussi dans la poursuite de tels objectifs. »

69.      Quant à la question du monopole des activités de jeux permises, la Cour a précisé au point 39 de ce même arrêt:

«Quant à la question de savoir si, pour atteindre ces objectifs, il serait préférable, plutôt que d’octroyer un droit exclusif d’exploitation à l’organisme public autorisé, d’adopter une réglementation imposant aux opérateurs intéressés les prescriptions nécessaires, elle relève du pouvoir d’appréciation des États membres, sous réserve toutefois que le choix retenu n’apparaisse pas disproportionné au regard du but recherché.»

Au point 42 de cet arrêt, la Cour a jugé alors que la législation n’apparaît pas «disproportionnée au regard des objectifs qu’elle poursuit».

3.        L’arrêt Zenatti

70.      C’est l’affaire Zenatti qui se rapproche le plus du présent cas d’espèce. Il s’agissait dans cette affaire de l’interdiction initiale de la prise de paris sportifs en Italie, en vertu de l’article 88 du TULPS, qui présente également de l’importance dans la présente affaire. Le recours préjudiciel intenté dans l’affaire Zenatti est né dans le cadre d’une procédure administrative contentieuse. Il s’agissait de l’autorisation d’exercer une activité en Italie en tant qu’intermédiaire pour une société ─ établie au Royaume-Uni ─ spécialisée dans la prise de paris sur des événements sportifs. La législation italienne avait pour objet ─ tout comme la législation finlandaise dans l’affaire Läärä e.a. ─ une interdiction sous réserve d’autorisation en faveur d’une structure monopolistique d’exploitation des paris sportifs.

71.      Contrairement aux loteries, les paris sportifs ne dépendent pas du hasard de la même manière; au contraire, l’habileté et plus encore les connaissances des parieurs ont une influence potentielle sur leur chance de gains. C’est la raison pour laquelle on discute en doctrine de savoir si les paris doivent être considérés comme des jeux d’adresse ou plutôt comme des jeux de hasard. Le fait que les événements dépendent en grande partie du hasard, en particulier lorsqu’on parie sur tout un bloc de jeux, plaiderait pour que l’on considère les paris comme des jeux de hasard. Dans le cadre de la présente affaire, nous pouvons en fin de compte nous en tenir là en ce qui concerne la question de la qualification, car, dans l’affaire Läärä e.a., où il était question de jeux d’adresse, lors de l’examen de la législation nationale, la Cour s’était fondée sur les mêmes modalités d’examen que dans l’affaire Schindler dans laquelle il s’agissait d’une loterie et donc clairement d’un jeu de hasard.

72.      Au point 18 de l’arrêt Zenatti, la Cour a jugé sur cette question:

«Dans la présente affaire [...] les paris sur les compétitions sportives, même s’ils ne peuvent pas être considérés comme des jeux de pur hasard, offrent, comme ces derniers, contre une mise valant paiement, une espérance de gain en argent. Compte tenu de l’importance des sommes qu’ils permettent de collecter et des gains qu’ils peuvent offrir aux joueurs, ils comportent les mêmes risques de délit et de fraude et peuvent avoir les mêmes conséquences individuelles et sociales dommageables.»

73.      Toutefois, la Cour a souligné certaines différences fondamentales entre l’affaire Zenatti et l’affaire Schindler en ce que ─ cela a déjà été mentionné ci-dessus ─ dans l’affaire Zenatti, d’une part, il était uniquement question d’une interdiction relative et non absolue des jeux et, d’autre part, le droit d’établissement pouvait éventuellement trouver application (points 21 et 22 de l’arrêt Zenatti).

74.      Malgré le fait que le traité prévoit que les dispositions relatives à la libre prestation des services sont subsidiaires par rapport à celles relatives à la liberté d’établissement  (30) , la Cour n’a pas cru opportun d’examiner la question de la liberté d’établissement au motif que la question de la juridiction de renvoi se limitait expressément à la libre prestation des services (point 23). En ce qui concerne l’interdiction relative, à savoir qu’elle ne s’applique pas à tous (point 32), la Cour a jugé au point 33:

«Toutefois, la détermination de l’étendue de la protection qu’un État membre entend assurer sur son territoire en matière de loteries et d’autres jeux d’argent fait partie du pouvoir d’appréciation reconnu par la Cour aux autorités nationales au point 61 de l’arrêt Schindler. Il appartient à celles-ci, en effet, d’apprécier si, dans le contexte du but poursuivi, il est nécessaire d’interdire totalement ou partiellement des activités de cette nature ou seulement de les restreindre et de prévoir à cet effet des modalités de contrôle plus ou moins strictes.»

75.      Dans le cadre de l’examen de la justification des législations nationales interprétées comme une entrave à la libre prestation des services ─ à cet égard, les arguments soulevés par le gouvernement italien correspondaient largement aux objectifs de la législation en cause dans l’affaire Schindler (point 30) ─, la Cour a déclaré aux points 34 à 37 de l’arrêt Zenatti:

« Dans ces conditions, la seule circonstance qu’un État membre a choisi un système de protection différent de celui adopté par un autre État membre ne saurait avoir d’incidence sur l’appréciation de la nécessité et de la proportionnalité des dispositions prises en la matière. Celles-ci doivent seulement être appréciées au regard des objectifs poursuivis par les autorités nationales de l’État membre intéressé et du niveau de protection qu’elles entendent assurer.

De même que l’a relevé la Cour au point 37 de l’arrêt [...] Läärä e.a. [...], en ce qui concerne l’exploitation de machines à sous, le fait que les paris en cause ne sont pas totalement interdits ne suffit pas à démontrer que la législation nationale ne vise pas réellement à atteindre les objectifs d’intérêt général qu’elle prétend poursuivre et qui doivent être considérés dans leur ensemble. En effet, une autorisation limitée des jeux d’argent dans le cadre de droits spéciaux ou exclusifs accordés ou concédés à certains organismes, qui présente l’avantage de canaliser l’envie de jouer et l’exploitation des jeux dans un circuit contrôlé, de prévenir les risques d’une telle exploitation à des fins frauduleuses et criminelles et d’utiliser les bénéfices qui en découlent à des fins d’utilité publique, s’inscrit aussi dans la poursuite de tels objectifs.

Cependant, ainsi que l’a relevé l’avocat général au point 32 de ses conclusions, une telle limitation n’est admissible que si elle répond d’abord effectivement au souci de réduire véritablement les occasions de jeu et si le financement d’activités sociales au moyen d’un prélèvement sur les recettes concernant des jeux autorisés ne constitue qu’une conséquence bénéfique accessoire, et non la justification réelle, de la politique restrictive mise en place. En effet, comme l’a relevé la Cour au point 60 de l’arrêt Schindler, même s’il n’est pas indifférent que les loteries et autres jeux d’argent puissent participer, de manière significative, au financement d’activités désintéressées ou d’intérêt général, un tel motif ne peut, en lui-même, être regardé comme une justification objective de restrictions à la libre prestation des services.

Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si la législation nationale, au vu de ses modalités concrètes d’application, répond véritablement aux objectifs susceptibles de la justifier et si les restrictions qu’elle impose n’apparaissent pas disproportionnées au regard de ces objectifs. »

B –    La liberté d’établissement

76.      Il reste à présent à examiner si et comment les principes énoncés par ces trois arrêts sont applicables au présent cas d’espèce. Dans la mesure où la juridiction de renvoi s’est expressément interrogée sur la question de l’application du droit d’établissement et des effets de celui-ci sur la législation nationale litigieuse, et que, suivant la hiérarchie des normes du traité, la liberté d’établissement intervient avant la libre prestation des services  (31) , il y a lieu d’examiner tout d’abord la compatibilité des dispositions nationales avec la liberté d’établissement.

1.        Les conditions d’un établissement

77.      Il résulte des observations non contestées des parties que les agences qui ont fait l’objet de perquisitions et de saisies dans l’affaire au principal sont liées contractuellement avec Stanley et que cette société a établi de cette manière un réseau complet permettant l’offre et la réception de paris sportifs sur le territoire italien. Par conséquent, il est permis d’examiner si Stanley s’est établie ainsi en Italie.

78.      Suivant l’arrêt rendu dans l’affaire Factortame e.a.  (32) , l’établissement réside «dans l’exercice effectif d’une activité économique au moyen d’une installation stable dans un autre État membre pour une durée indéterminée». Aux termes de l’article 43 CE, les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre sont interdites dans le cadre des dispositions ci-après. Aux termes de l’article 48 CE, les sociétés constituées en conformité de la législation d’un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de la Communauté sont assimilées, pour l’application des dispositions du chapitre relatif à la liberté d’établissement, aux personnes physiques ressortissantes des États membres.

79.      Stanley est une société de capitaux de droit britannique et, en tant que personne morale poursuivant un but lucratif, elle est suivant l’article 48, paragraphe 2, CE un utilisateur potentiel du droit d’établissement. Suivant l’article 43, premier alinéa, deuxième phrase, CE, les restrictions à la création d’agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d’un État membre établis sur le territoire d’un autre État membre sont interdites.

80.      Après que la Cour a, dans l’affaire Commission/Allemagne  (33) , adopté une définition large du champ d’application de la liberté d’établissement, une entreprise  (34) qui maintient dans un autre État membre une présence permanente relève des dispositions du traité sur le droit d’établissement, «et cela même si cette présence n’a pas pris la forme d’une succursale ou d’une agence, mais s’exerce au moyen d’un simple bureau, géré par le propre personnel de l’entreprise, ou d’une personne indépendante, mais mandatée pour agir en permanence pour celle-ci comme le ferait une agence».

81.      Par conséquent, un tel établissement dit secondaire d’une entreprise peut sans aucun doute être considéré comme une entité non autonome qui opère pour la maison mère. Si on la considère comme un établissement au sens du traité, elle peut dès lors invoquer le bénéfice des droits qui en découlent.

82.      Il est nécessaire de vérifier s’il s’agit d’un établissement au sens du traité car, suivant la jurisprudence de la Cour dans l’affaire Commission/Allemagne, une entreprise agissant dans le cadre du droit d’établissement ne peut faire valoir la libre prestation des services  (35) .

83.      Le fait d’invoquer l’une ou l’autre de ces libertés peut en fin de compte entraîner des différences quant aux conditions de l’activité économique sur le marché du pays de destination dans la mesure où certaines conditions particulières de l’État d’établissement ─ même dans l’hypothèse d’une reconnaissance des contrôles effectués dans l’État d’origine et des garanties fournies ─ ne peuvent être exigées sous cette forme de la part d’un prestataire de services. En règle générale, pour un prestataire de services d’un autre État membre, il suffit de satisfaire aux conditions d’autorisation de l’État d’origine. Il en résulte que les entraves à la libre prestation des services ne seront licites que si elles satisfont aux quatre conditions de justification mentionnées ci-dessous au point 91.

84.      Pour pouvoir apprécier si l’on fait référence au droit d’établissement ou à la libre prestation des services, il y a lieu de toujours examiner les circonstances concrètes de l’espèce au motif qu’il n’existe pas de définition générale permettant de délimiter ces deux libertés pour tous les cas d’activités économiques transfrontalières. Si l’on se fonde sur la définition d’un établissement faite par la Cour et citée au point 78 ci-dessus, il doit s’agir d’une installation stable faite pour une durée indéterminée.

2.        Les centres de transmission de données en tant qu'établissements de la société Stanley

85.      Les centres de transmission de données constituent très vraisemblablement des installations stables. La question de savoir si ils représentent Stanley de manière durable  (36) sur le marché italien dépend des modalités fixées par contrat entre les parties. Toutefois, il est douteux que ces centres participent de manière durable à la gestion des affaires de la maison mère ou à la représentation de celle-ci en tant que bureaux extérieurs, au motif qu’ils se limitent à transmettre des informations pour des affaires qui sont organisées au Royaume-Uni. Il ressort des observations formulées par les personnes concernées que le serveur gérant les offres, les collectes et le déroulement des paris est situé à Liverpool et que les centres n’exercent qu’une activité d’intermédiaires. Lors de la prestation de tels services auxiliaires non autonomes, la présence d’une entreprise sur le territoire d’un autre État ne pourra être acceptée que si cette installation est dépendante de l’entreprise «comme le serait une agence»  (37) . S’il s’agit de simples activités d’intermédiaires tels que des bureaux de collecte de paris, on exigerait en outre et pour cette raison un lien exclusif ou à tout le moins un rattachement prépondérant avec l’organisateur.

86.      Toutefois, si l’activité d’intermédiaire pour le compte de l’organisateur des paris ne constitue qu’une occupation parmi d’autres, on ne pourra que difficilement accepter qu’il existe un mandat durable d’agir pour le compte de l’entreprise comme une agence au motif que, dans un tel cas, l’intermédiaire ─ suivant le contrat ─ peut décider librement de mettre fin à la collaboration; par conséquent, il n’existe pas de dépendance vis-à-vis de la maison mère. Il apparaît à la lecture du dossier, que les centres de transmission de données offrent des services télématiques de nature très variée et dont les opérations d’intermédiaire pour le compte de Stanley constituent une des activités.

87.      Dans ces circonstances, nous tendons à considérer que les centres de transmission de données ne constituent pas des établissements secondaires de la société Stanley, mais qu’ils agissent au titre de la prestation de services. Toutefois, il y a lieu d’examiner en fin de compte d’après chaque cas. À cet égard, il conviendrait de ne pas perdre de vue la manière dont les autorités nationales considèrent les centres dans le cadre des enquêtes en cours.

88.     À supposer que les centres doivent toutefois être considérés comme des établissements de Stanley en raison de l’intensité des liens qui les unissent à cette société, la question se pose alors de savoir dans quelle mesure leurs activités peuvent être restreintes par la législation nationale.

3.        Restrictions des activités

89.      Dans la mesure où le secteur des jeux de hasard constitue une activité économique qui relève du champ d’application du traité, la Cour s’est déjà prononcée en ce sens  (38) .

90.      Il y a lieu de considérer tout d’abord que les restrictions en cause ne constituent pas un régime spécial au sens de l’article 46, paragraphe 1, CE, qui serait justifié par l’ordre public ou la sécurité. Dans l’arrêt Zenatti, la Cour a examiné l’article 46 CE qui, via l’article 55 CE, s’applique également dans le cadre de la libre prestation des services. Toutefois, la Cour n’en a pas tiré de conséquences pour l’appréciation des dispositions nationales litigieuses, mais elle s’est directement attelée à l’examen des raisons impérieuses d’intérêt général. C’est pourquoi il conviendrait de considérer également ici, en accord avec la méthode adoptée par la Cour, que les dispositions nationales ne sont pas justifiées au titre de l’article 46 CE.

91.      La jurisprudence de la Cour nous apprend en outre que le commencement et l’exercice d’une activité économique dans un autre État membre, dans le cadre du droit d’établissement s’exerçant dans une matière qui est soumise à certaines conditions fixées par l’État membre d’accueil, doivent en principe remplir ces conditions  (39) . Toutefois les «mesures nationales» ─ au sens des exigences impérieuses, et donc dans l’hypothèse où les causes d’exception de l’article 46, paragraphe 1, CE n’existent pas ─ «susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité doivent remplir quatre conditions [...] Elles doivent s’appliquer de manière non discriminatoires, se justifier par des raisons impérieuses d’intérêt général, être propres à garantir la réalisation de l’objectif qu’elles poursuivent et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre»  (40) . Il y a lieu en outre de tenir compte du fait que les qualifications  (41) acquises dans l’État d’origine et les garanties  (42) fournies peuvent également être considérées comme ayant la même valeur. Ainsi donc, lorsqu’un État membre réglemente le secteur des jeux de hasard par un système de concessions, il n’y a a priori rien à redire. Toutefois, l’opérateur économique étranger doit avoir la possibilité d’être candidat à l’attribution des concessions comme un ressortissant national et le système des concessions doit lui-même satisfaire aux quatre conditions d’une réglementation nationale apportant des restrictions à l’exercice d’une activité économique  (43) .

a)        Discrimination

92.      Par conséquent, il y a lieu d’examiner tout d’abord si la réglementation nationale contient une discrimination ou a des effets discriminatoires.

93.      Il a été fait état, devant la Cour, du fait que la législation italienne visant à réglementer les paris sportifs aurait une «structure monopolistique». Cela doit se comprendre en ce sens qu’elle contient certaines caractéristiques d’un monopole, mais non qu’elle constitue un monopole au sens strict du terme. En ce qui concerne les effets discriminatoires d’un monopole, deux hypothèses peuvent être formulées. D’un côté, on pourrait considérer qu’un monopole n’a pas d’effets discriminatoires au sens de l’article 43, deuxième alinéa, CE en raison du fait que tant les opérateurs économiques nationaux que les étrangers sont, de la même manière, exclus de certaines activités. D’autre part, on pourrait considérer également qu’il existe une discrimination en raison de la nationalité lorsque des opérateurs économiques étrangers sont exclus d’entrée de jeu d’une activité dans l’État membre concerné. On peut avoir des doutes quant à la question de savoir si ces considérations peuvent s’appliquer à une «structure monopolistique».

94.      Toutefois, il y aurait lieu de considérer que d’autres opérateurs économiques pourraient en tout état de cause éventuellement participer à la «structure monopolistique», en ce sens qu’ils sont candidats à l’attribution d’une concession. Par conséquent, cela dépend de la manière dont sont rédigées les conditions pour l’attribution d’une concession. Même si l’appel d’offres pour l’attribution d’une concession ne contient pas de conditions contenant des discriminations directes en raison de la nationalité, certaines conditions ─ telles que l’exigence de disposer au préalable de locaux sur le territoire italien ─ peuvent toutefois avoir pour effet de favoriser les nationaux et, partant, porter préjudice aux opérateurs économiques étrangers. Dans un tel cas, il y a lieu de considérer qu’il existe une discrimination indirecte qui est également interdite par le droit communautaire.

95.      Certains éléments nous permettent de considérer que l’attribution d’une concession pour la collecte des paris sportifs en Italie est organisée de manière discriminatoire. C’est précisément la condition mentionnée ci-dessus et dénoncée dans le cadre de la présente procédure ─ obligeant tout concessionnaire potentiel à disposer au préalable de locaux sur le territoire italien ─ qui a des effets discriminatoires. Cela est d’autant plus vrai que le commencement et l’exercice d’une activité sans concession sont illégaux et que les activités pertinentes ─ dans des locaux prévus à cet effet ─ n’ont pas encore pu commencer.

96.      Est également discriminatoire le fait que certaines formes de sociétés sont a priori exclues de la concession. La Commission a déjà stigmatisé cela comme une infraction au droit communautaire et, suivant un communiqué de presse du 17 octobre 2002, elle a initié une procédure en manquement et adressé un avis motivé à la République italienne. Aux termes de ce communiqué de presse:

«La Commission européenne a décidé de demander formellement à l’Italie de respecter le droit communautaire dans l’attribution des concessions pour la gestion de paris sportifs. Actuellement, les sociétés de capitaux cotées sur les marchés réglementés de l’Union européenne sont exclues de la possibilité d’obtenir de telles concessions, une exclusion que la Commission ne considère pas nécessaire pour combattre la fraude et la criminalité. De plus, l’Italie a renouvelé sans concurrence environ trois cent concessions pour l’exercice des paris hippiques. Lorsqu’une concession publique importante est attribuée sans ouverture à tout soumissionnaire potentiel européen (conformément au traité CE et aux directives sur les marchés publics), des entreprises européennes sont injustement privées de leur droit de soumettre une offre. En outre, les autorités publiques qui attribuent la concession, et dans ce cas d’espèce les parieurs, risquent de recevoir un service de moindre qualité que celui qui aurait pu être fourni par un soumissionnaire irrégulièrement exclu [...]»

97.      Dans la mesure où l’on considère que cette façon de procéder est discriminatoire au sens de l’article 43, deuxième alinéa, CE elle constituerait en soi une entrave à la liberté d’établissement au sens du traité et serait contraire au droit communautaire. La sanction supplémentaire d’une entrave à l’établissement au moyen d’une interdiction pénale serait alors certainement considérée comme une infraction au droit communautaire.

b)        Raisons impérieuses d'intérêt général ─ Finalité et caractère approprié de la mesure et proportionnalité

98.      Si, en revanche, on considère que les conditions ne constituent pas une discrimination, alors il s’agit en tout état de cause d’une entrave qui ne peut être que justifiée par les quatre conditions strictes posées par la Cour ─ mentionnées au point 91. La Cour a cité comme raison impérieuse d’intérêt général permettant de justifier des réglementations très larges des États membres en matière de jeux de hasard, la protection des consommateurs et la protection de l’ordre social  (44) . Dès lors, s’il s’agit effectivement de l’objectif légitime de veiller à ce que les concessionnaires ne soient pas impliqués dans des agissements délictueux ou frauduleux, on peut se poser la question de savoir si l’exclusion absolue des sociétés de capitaux est une mesure appropriée à cet effet.

99.      Pour vérifier que les sociétés de capitaux ont la moralité nécessaire, certains contrôles peuvent être effectués, tels que la recherche d’informations évaluant l’honorabilité des représentants de l’entreprise et celle des principaux actionnaires. En tout état de cause, l’exclusion absolue de ces sociétés semble être une mesure disproportionnée. Toutefois, si une exclusion absolue constitue une infraction au droit communautaire, alors les mesures pénales garantissant celle-ci sont dans la même mesure certainement contraires au droit communautaire.

100.    Par conséquent, dans le cadre de la procédure d’attribution des concessions, il y aurait lieu également de prendre en considération les contrôles effectués dans un autre État membre et les garanties fournies  (45) . Dans ce contexte, les affirmations de M. Garrisi selon lesquelles les activités de loteries feraient également l’objet de la directive 1999/42  (46) présentent de l’intérêt. Suivant l’article 1 er de cette directive, les États membres sont tenus de prendre certaines mesures en ce qui concerne la prestation de services et la liberté d’établissement. La directive s’applique aux activités énumérées à l’annexe A où il est notamment mentionné dans la première partie de la liste VI au point 3:

« ex 84
Services récréatifs

843
Services récréatifs non classés ailleurs:

activités sportives (terrains de sports, organisations de réunions sportives, etc.), à l’exception des activités de moniteur de sports,

activités de jeux (écuries de course, terrains de jeux, champs de courses, etc.),

autres activités récréatives (cirques, parcs d’attraction, autres divertissements, etc.) »

101.    Il est vrai que la mention explicite prétendue par M. Garrisi de «bookmakers» et «bureaux de paris» n’est pas contenue dans cette disposition. Comme nous l’avons démontré, les activités qui s’en rapprochent le plus ne sont pas classifiées sous ex 859 dans la nomenclature NICE comme l’affirme M. Garrisi, mais sous 843.

102.    Si l’on procède à une interprétation large du groupe visé, on pourrait défendre la conception soutenue par M. Garrisi. Toutefois, suivant le quatrième considérant de la directive:

«il convient de procéder au remplacement des principales dispositions desdites directives dans la ligne des conclusions du Conseil européen d’Édimbourg, des 11 et 12 décembre 1992, concernant la subsidiarité, la simplification de la législation communautaire, et plus particulièrement le réexamen par la Commission des directives relativement anciennes dans le domaine des qualifications professionnelles [...]»

Toutefois, les conclusions du Conseil européen dont il fait état mentionnent expressément dans la partie A, annexe 2:

       «Ainsi, elle renonce [on parle de la Commission] notamment [...] à la réglementation des jeux de hasard»  (47) .

103.    Il n’est pas improbable que cette renonciation, dont il fait état à plusieurs reprises dans le cadre de la présente procédure, ait des effets quant à l’interprétation de la directive 1999/42. En tout état de cause, que ce soit dans le cadre de la procédure décrite dans la directive 1999/42 ou directement sur la base du droit primaire, les États membres sont tenus de prendre en considération les «connaissances et qualifications»  (48) acquises dans un autre État membre et les «contrôles et garanties»  (49) , capacités professionnelles, autorisations et contrôles.

104.    On peut retenir à ce stade que, lorsqu’il s’agit d’un établissement ─ ce qu’il appartient à la juridiction nationale de constater ─, l’interdiction d’activités prévues dans la législation italienne litigieuse frappant les organisateurs de paris sportifs régulièrement autorisés dans d’autres États membres est contraire au principe de la liberté d’établissement au sens du traité CE.

C –    La libre prestation des services

105.    Toutefois, si pour des raisons de pur fait on devait considérer que les centres de transmission ne sont pas des établissements de la société Stanley, ils participent en tout état de cause à la prestation des services offerts par Stanley. Les opérations commerciales effectuées par Stanley constituent des services classiques par correspondance, sous réserve que cette entreprise ne dispose pas sur le territoire italien de représentation considérée comme un établissement. Les prestataires et les destinataires de services ont leur siège dans deux États membres différents et seule la prestation de services a un caractère transfrontalier.

1.        L'entrave à la libre prestation des services et ses justifications

106.    Le fait de donner la possibilité, contre paiement, de participer à des jeux de hasard ─ activités qui incluent, selon la Cour, les paris sportifs ─ a déjà été reconnu par la Cour comme une prestation de services et, pour les besoins de la présente procédure, ne doit plus faire l’objet de discussions  (50) . De la même manière, la Cour a bien évidemment considéré qu’une législation qui empêche les opérateurs des autres États membres de procéder à la collecte de paris sur le territoire italien constitue une entrave à la libre prestation des services  (51) .

107.    Les entraves à la libre prestation des services ne sont licites que si soit elles sont prévues expressément par le traité CE ─ dans ce cas, même des réglementations discriminatoires seraient possibles ─, soit elles peuvent être justifiées par des raisons impérieuses, conformément à la jurisprudence de la Cour  (52) . Dans l’affaire Zenatti ─ ainsi que cela a été dit au point 90 ci-dessus ─ la Cour a jugé que les articles 45 CE, 46 CE et 55 CE admettent les restrictions justifiées par la participation, même à titre occasionnel, à l’exercice de l’autorité publique ou par des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique; toutefois, elle n’a pas examiné ces prescriptions, mais a directement procédé à l’examen des raisons impérieuses d’intérêt général. On pourrait en déduire que, selon la Cour, les activités de paris, quelle que soit la manière dont elles sont réglementées par l’État, ne participent pas à l’exercice de l’autorité publique ni ne mettent en danger l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique d’une manière telle que leur réglementation pourrait être justifiée.

108.    Mais c’est surtout l’idée selon laquelle l’ordre et la sécurité publics pourraient justifier une réglementation stricte réservant à l’État un large pouvoir d’organisation dans le secteur des jeux de hasard qui ne paraît pas dépourvue de pertinence. Les motifs sur lesquels se fonde la réglementation italienne, ainsi qu’il en est des réglementations comparables  (53) en vigueur dans pratiquement tous les États membres, font état de la prévention des délits  (54) . Ainsi, les dispositions établissant le contrôle des jeux de hasard par l’État qui sont garanties par des dispositions pénales en Italie et dans d’autres États membres indiquent également que les législateurs considèrent ces jeux comme dangereux. Toutefois, la Cour n’a pas considéré que la réglementation italienne, déjà examinée dans l’arrêt Zenatti, était justifiée par des raisons d’ordre de sécurité publique, et les parties à la procédure n’ont pas non plus sérieusement défendu ce point de vue.

109.    Par conséquent, à l’instar de la Cour  (55) , il y a lieu de procéder directement à l’examen de la justification des mesures nationales indistinctement applicables ─ et donc ne causant pas de discrimination ─ qui constituent des entraves à la libre prestation des services. Dès lors, il y a lieu d’examiner s’il existe des raisons impérieuses d’intérêt général permettant de justifier ces mesures nationales. Dans les affaires en matière de jeux, dont la Cour a été saisie, toute une série d’arguments visant à justifier les réglementations nationales ont constamment été présentés.

110.    Dans l’arrêt Schindler, la Cour les a résumés comme suit (point 57):

«prévenir les délits et garantir que les participants aux jeux d’argent seront traités honnêtement; éviter de stimuler la demande dans le secteur des jeux d’argent dont les excès ont des conséquences sociales dommageables; veiller à ce que des loteries ne puissent pas être organisées en vue d’un profit personnel et commercial mais seulement à des fins caritatives, sportives ou culturelles.»

111.    Dans l’affaire Läärä e.a., la législation en cause répondait au souci de ─ suivant le point 32 ─ «limiter l’exploitation de la passion des êtres humains pour le jeu, éviter les risques de délit et de fraude engendrés par les activités correspondantes et n’autoriser celles-ci qu’afin de recueillir des fonds destinés à des oeuvres de bienfaisance ou au soutien de causes désintéressées».

112.    Quant à la réglementation initiale, qui fait également l’objet de la présente procédure, la Cour a ajouté que, suivant les indications contenues dans l’ordonnance de renvoi et dans les observations du gouvernement italien, elle poursuit des objectifs analogues à ceux recherchés par la législation britannique sur les loteries. «La législation italienne vise, en effet, à empêcher que ces jeux soient une source de profits individuels, à éviter les risques de délit et de fraude et les conséquences individuelles et sociales dommageables résultant de l’incitation à la dépense qu’ils constituent et à ne les permettre que dans la mesure où ils peuvent présenter un caractère d’utilité sociale pour le bon déroulement d’une compétition sportive»  (56) .

113.    Dans la présente affaire, aucune autre raison ou nouvelle raison n’ont été avancées. Jusqu’ici, la Cour s’est gardée de procéder à un examen différencié de chacune des raisons. Au contraire, elle les a expressément considérées dans leur ensemble  (57) . Ces raisons se rattachent à la «protection des destinataires du service et, plus généralement des consommateurs ainsi qu’à la protection de l’ordre social»  (58) , qui peuvent être considérées comme des raisons impérieuses d’intérêt général.

114.    Dans l’affaire Schindler (point 61), ces motifs permettaient de justifier une interdiction totale des loteries. Quant à la législation en cause dans l’affaire Zenatti et qui n’interdisait pas totalement ces opérations, la Cour a reconnu aux États membres un pouvoir d’appréciation pour décider s’ils entendaient interdire totalement ou partiellement les activités de ce type ou s’ils voulaient simplement les restreindre; à cet effet, les États membres pouvaient prévoir des modalités de contrôle (point 33). Dans ces conditions ─ ainsi que la Cour l’a jugé au point 34 ─ il appartient aux États membres de définir les objectifs et le niveau de protection.

115.    La licéité partielle de ces activités, qui a pour objectif «de canaliser l’envie de jouer et l’exploitation des jeux dans un circuit contrôlé, de prévenir les risques d’une telle exploitation à des fins frauduleuses et criminelles et d’utiliser les bénéfices qui en découlent à des fins d’utilité publique», s’inscrit aussi dans la poursuite des objectifs d’intérêt général. Cependant, la Cour a considéré qu’une «telle limitation partielle n’est admissible que si elle répond d’abord effectivement au souci de réduire véritablement les occasions de jeu et si le financement d’activités sociales au moyen de prélèvements sur les recettes provenant des jeux autorisés ne constitue qu’une conséquence bénéfique accessoire [...]»  (59) .

116.    Par conséquent, il semble conforme à la jurisprudence de la Cour de soumettre les objectifs poursuivis et les moyens affectés à cet effet à un examen plus approfondi, même si la Cour a, à ce jour, considéré qu’il appartenait aux juridictions nationales de procéder à cet examen  (60) ; ce dernier semble manifestement leur causer certaines difficultés, ainsi que nous l’avons mentionné ci-dessus.

2.        Caractère approprié des moyens utilisés en vue de l'objectif poursuivi

117.    Les objectifs poursuivis peuvent être classés en plusieurs catégories. D’une part, il y a les dangers qui trouvent leur source auprès de l’organisateur tels que les fraudes ou les délits. D’autre part, il y a la protection du joueur contre lui-même. Parmi cette catégorie figure la volonté de canaliser les possibilités de jeux qui visent à prévenir les mises excessives, la passion du jeu ou même la dépendance aux jeux ainsi que les conséquences patrimoniales et les effets sociaux nocifs qui en résultent. Les conséquences sociales dommageables peuvent relever également de cet objectif, car la limitation des possibilités de jeux vise à rencontrer cet objectif. Enfin, il y a lieu de tenir compte également des aspects économiques non négligeables liés aux importantes recettes revenant au budget de l’État ou, en tout état de cause, aux sommes affectées à des activités d’intérêt général.

a)        Dangers ayant leur origine auprès de l’organisateur

118.    Il peut être fait face aux dangers potentiels ayant leur origine auprès de l’organisateur au moyen de contrôles lors de son admission ou éventuellement au moyen de la surveillance de ses activités. En ce sens, il n’y a rien à redire à une procédure d’admission en tant que telle. Dans le cadre de la libre prestation des services, cela peut toutefois poser un problème lorsqu’on agit de manière telle que les organisateurs admis dans d’autres États membres et qui respectent les règles qui y sont applicables sont en pratique exclus des activités. Nous pouvons partir du fait que les jeux de hasard sont réglementés dans pratiquement tous les États membres  (61) et que les motifs avancés pour réglementer ces activités concordent le plus souvent entre eux  (62) . Par conséquent, lorsqu’un opérateur d’un autre État membre y respecte les conditions en vigueur, les autorités de l’État destinataire des services devraient s’en contenter et elles devraient les considérer comme un gage suffisant de l’intégrité de l’organisateur.

b)        Canalisation de la passion du jeu

119.    En ce qui concerne à présent les risques inhérents à la diversification et à l’extension de l’offre de jeux, il y a lieu d’examiner si ces dernières sont l’objet d’une politique cohérente de l’État membre, en particulier lorsqu’il n’existe pas d’interdiction absolue, mais uniquement une interdiction sous réserve d’autorisation. Lorsqu’il s’agit d’une interdiction absolue pour un segment précis des jeux, la limitation de l’offre est manifeste. Toutefois, lorsque les jeux de hasard et donc les paris sportifs en l’espèce sont permis ─ même si c’est dans des limites légales précises ─, il y a lieu d’examiner de manière plus précise la finalité prétendue d’imposer une limitation. Toutefois, ainsi que la Cour l’a jugé au point 35 de l’arrêt Zenatti, une autorisation limitée ne suffit pas pour établir que la législation nationale ne vise pas réellement à poursuivre les objectifs d’intérêt général. De la même manière, la législation ne suffit pas en soi pour établir qu’elle vise à atteindre les objectifs prétendus car, ainsi que le considère également la Cour (point 36 de l’arrêt Zenatti), elle ne sera licite que si «elle répond d’abord effectivement au souci de réduire véritablement les occasions de jeux».

120.    Pour savoir si tel est le cas, il y aura lieu toutefois de procéder à un examen d’ensemble qui prendra en considération l’attitude et le comportement de l’organisateur de jeux dans l’État membre. Cela est corroboré par le fait que la Cour a jugé dans l’affaire Zenatti qu’il appartenait aux juridictions nationales de procéder à cette évaluation. En revanche, si suffisamment de faits sont établis et qu’ils permettent à la Cour de procéder à cette évaluation, rien n’empêche celle-ci d’agir de la sorte.

121.    Il a été affirmé que, dans la présente affaire, les organisateurs concessionnaires de paris sportifs se manifestent par une publicité agressive. Un tel comportement vise à stimuler et à promouvoir l’envie de jouer. Mais ce n’est pas tout. L’État italien a lui-même prévu par la loi la possibilité d’étendre de manière significative l’offre de jeux sur le marché italien  (63) . Il a été affirmé en outre et de manière non contestée que l’État italien avait également veillé à alléger la collecte de paris. Il a déjà été fait référence à l’extension de l’infrastructure par l’octroi de 1 000 nouvelles concessions.

122.    Il ressort de ce qui précède, que l’on ne peut plus parler d’une politique cohérente visant à limiter l’offre des jeux de hasard. Par conséquent, les objectifs affirmés mais pas (ou plus) réellement poursuivis ne permettent pas de justifier l’entrave à la libre prestation des services imposée aux opérateurs régulièrement admis et établis dans d’autres États membres.

123.    En ce qui concerne à présent la modification législative apportée en 2000 par la loi n° 388/00 et les circonstances ayant accompagné son adoption ─ modification ayant renforcé les dispositions législatives en vigueur jusqu’alors et ayant déjà fait l’objet d’un examen par la Cour dans l’affaire Zenatti ─, il y a lieu de souligner que, en vertu des actes législatifs cités dans les mémoires écrits, cette modification a également été adoptée pour protéger les concessionnaires nationaux. On peut donc y déceler clairement des objectifs protectionnistes qui ne permettent pas de justifier cette modification et qui jettent un éclairage contestable sur la réglementation dans son ensemble. Dans la mesure où il n’y a plus lieu de considérer que la réglementation initiale n’est plus animée aujourd’hui par les mêmes objectifs que ceux qui l’animaient éventuellement lors de son adoption, au motif que les circonstances de fait et de droit se sont modifiées, aucun renforcement de cette nature ne peut en aucun cas être adopté.

c)        Signification des recettes publiques

124.    De plus, le fait que cette réglementation a été adoptée sous la forme d’une Legge Finanziaria indique l’intérêt déterminant de l’État en matière de jeux de hasard, et ce pour des raisons économiques.

125.    La Cour a certes affirmé au point 60 de l’arrêt Schindler «qu’il n’est pas indifférent» ─ sans que ce motif puisse, en lui-même, être regardé comme une justification ─ «de relever que les loteries peuvent participer, de manière significative, au financement d’activités désintéressées ou d’intérêt général telles que les oeuvres sociales, les oeuvres caritatives, le sport ou la culture». Si, en se fondant sur cette affirmation, on pouvait considérer dans certaines circonstances que les raisons économiques ─ en tout cas jointes à d’autres ─ sont des raisons d’intérêt général, la Cour a néanmoins, dans l’arrêt Zenatti, clarifié les questions de ce type dans la suite logique de sa jurisprudence relative à la non-pertinence des motifs économiques comme critères de justification des mesures restrictives  (64) ; au point 36 de ce même arrêt, elle a jugé que «le financement d’activités sociales au moyen d’un prélèvement sur les recettes provenant des jeux autorisés ne constitue qu’une conséquence bénéfique accessoire, et ne peut être la justification réelle de la politique restrictive mise en place».

126.    Il s’ensuit que les conséquences financières positives des jeux de hasard pour le budget de l’État ne peuvent être considérées comme des raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier l’exclusion des opérateurs des autres États membres du marché des jeux. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que les conséquences économiques positives des jeux de hasard pour les recettes publiques des États membres ont une grande importance. Cela ressort de manière plus ou moins claire des observations présentées par les États membres. C’est le gouvernement portugais qui s’est exprimé de la manière la plus claire à cet égard, en décrivant les conséquences inquiétantes et presque dramatiques que la libéralisation des jeux de hasard au niveau européen entraînerait pour les petits États membres. De telles préoccupations ne sont certainement pas dénuées de pertinence.

127.    Toutefois, il ressort clairement des observations formulées par les États membres qu’ils craignent en premier lieu les conséquences économiques qui pourraient résulter d’un changement dans le secteur des jeux de hasard. À cet égard, il est très peu question d’éventuels effets dangereux que présenteraient les jeux de hasard pour les joueurs et leur environnement social. Par conséquent, ces craintes ne peuvent pas être évaluées au titre de la protection des consommateurs comme des raisons impérieuses d’intérêt général.

128.    Si, à la suite d’une ouverture relative des marchés nationaux des jeux de hasard, les craintes concernant un bouleversement des recettes publiques devaient se vérifier, il y aurait lieu alors d’y remédier éventuellement par d’autres moyens appropriés. De simples considérations économiques ne peuvent toutefois pas servir à juguler la libre prestation des services d’un opérateur admis dans un autre État membre.

129.    Il en résulte que la restriction apportée à la libre prestation des services ne peut être considérée comme justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général compte tenu des motifs invoqués et dans les circonstances données.

3.        Jeux de hasard et médias électroniques

130.    La modification législative de 2000, qui devait apparemment uniquement renforcer les interdictions existantes, doit à tout le moins faire également l’objet d’un examen à la lumière des évolutions technologiques. Il est totalement incontestable que, à la suite de ces évolutions, il est devenu de plus en plus difficile de surveiller le respect des réglementations en vigueur. Même en l’absence d’intervention d’un intermédiaire, le parieur potentiel peut placer ses paris par téléphone, télécopie ou internet auprès d’un opérateur européen de son choix. Ces facilités, qui n’exigent plus de déplacement géographique pour participer à des jeux étrangers, conduisent à des réactions diverses sur le plan législatif. Ainsi, le Royaume-Uni a adopté la Lotteries Act de 1993 ─ qui est d’ailleurs invoquée dans l’affaire Schindler, même si non pertinente ─ créant une loterie nationale en vue de permettre sur le territoire britannique une offre comparable aux offres des opérateurs étrangers. Dans d’autres États membres tels que la République italienne ou la République fédérale d’Allemagne  (65) , les réglementations existantes ont été renforcées en particulier sur le plan pénal.

4.        Conséquences

131.    L’appréciation des sanctions pénales va de pair avec la légalité des entraves et interdictions sur lesquelles elles se fondent, alors que, en ce qui concerne le droit communautaire, ce sont les objectifs poursuivis qui sont déterminants. Si, comme dans la présente espèce, les objectifs affirmés des réglementations concernées sont mis en cause par le comportement non cohérent des autorités nationales et qu’ils ne peuvent être considérés comme des raisons impérieuses d’intérêt général, il y a lieu dès lors de considérer qu’une réglementation pénale venant renforcer ce genre de mesure est disproportionnée.

132.    Par conséquent, il y a lieu de considérer qu’une réglementation nationale telle que la réglementation italienne litigieuse, qui interdit au moyen de sanctions pénales l’exercice d’activités, par quiconque et en tout lieu, de collecte, d’acceptation, d’enregistrement et de transmission de propositions de paris, notamment sur les événements sportifs dans les circonstances de la présente espèce, viole la libre prestation des services selon les articles 49 CE et suivants.

133.    Enfin, et pour être complet, il y a lieu d’examiner les arguments invoqués par les prévenus selon lesquels la législation italienne en question violerait le droit communautaire dérivé sur le commerce électronique et les directives citées au point 38. À cet égard, il suffit dans un premier temps de souligner que la directive 2000/31  (66) sur le commerce électronique prévoit en son article 1 er , paragraphe 5, sous d), troisième tiret, qu’elle n’est pas applicable «aux activités de jeux d’argent impliquant des mises ayant une valeur monétaire dans des jeux de hasard, y compris les loteries et les transactions portant sur les paris». De plus, en ce qui concerne la directive 96/19 modifiant la directive 90/388 en ce qui concerne la réalisation de la pleine concurrence sur le marché des télécommunications, la directive 97/13 et la directive 97/66, il y a lieu de constater qu’elles ne s’expriment ni explicitement ni implicitement sur la question de l’organisation des jeux de hasard. Par conséquent, il n’y a pas lieu de considérer qu’il existe une réglementation en droit dérivé en cette matière. C’est pourquoi, si l’on considère qu’il n’existe pas de réglementation communautaire spécifique, il y a lieu d’appliquer dès lors le droit primaire et d’ailleurs le droit dérivé doit s’interpréter à la lumière de celui-ci.

VI –   Conclusion

134.    Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre comme suit à la question préjudicielle:

«Les articles 49 CE et suivants concernant la libre prestation des services doivent être interprétés en ce sens qu’une réglementation nationale telle que la législation italienne matérialisée par l’article 4, paragraphes 1 à 4, 4 bis et 4 ter de la loi n° 401 du 13 décembre 1989 (telle que modifiée en dernier lieu par l’article 37, paragraphe 5, de la loi n° 388 du 23 décembre 2000), qui interdit au moyen de sanctions pénales l’exercice d’activités, par quiconque et en tout lieu, de collecte, d’acceptation, d’enregistrement et de transmission de propositions de paris, notamment sur les événements sportifs, lui est contraire, lorsque ces activités sont exercées par, auprès ou pour un organisateur de paris ayant son siège dans un autre État membre et qui y exerce ses activités de manière licite et dans le respect de la réglementation en vigueur dans cet État.»


1
Langue originale: l'allemand.


2
Suivant l’ordonnance de renvoi, il y aurait 137 autres personnes, suivant le mémoire en défense du conseil de M. Gambelli, il y aurait 140 autres personnes. En raison de cette incertitude, on parlera dans ce qui suit de «M. Gambelli et plus de 100 autres personnes» ou «M. Gambelli et les autres prévenus».


3
Arrêt du 21 octobre 1999 (C-67/98, Rec. p. I-7289).


4
Voir arrêt du 24 mars 1994, Schindler (C-275/92, Rec. p. I-1039).


5
Voir arrêt du 21 septembre 1999, Läärä e.a. (C-124/97, Rec. p. I-6067).


6
Voir arrêt Zenatti, précité, note 3.


7
Voir loi n° 388/00 du 23 décembre 2000, Legge Finanziaria; Supplemento ordinario n° 302 de la GURI du 29 décembre 2000 (ci-après la «loi n° 388/00»).


8
Décret royal n° 773 du 16 juin 1931 (GURI n° 146, du 26 juin 1931), tel que modifié par la loi n° 388/00, voir note 7.


9
Loi du 13 septembre 1989 (GURI n° 294, du 18 décembre 1989, ci-après la «loi n° 401/89»).


10
Les paragraphes 4.a) et 4.b) ont été introduits par la loi n° 388/00 dans la loi n° 401/89 en tant que paragraphes 4 bis et 4 ter, ce qui, suivant l’ordonnance de renvoi, étend les conséquences pénales à l’ensemble des personnes qui exploitent en Italie des paris interdits de quelque nature qu’ils soient.


11
Arrêt du 5 juin 1997 (C-398/95, Rec. p. I-3091, point 23).


12
Arrêt du 26 avril 1988 (352/85, Rec. p. 2085, points 32 à 34).


13
Arrêt du 25 juillet 1991 (C-288/89, Rec. p. I-4007, point 11).


14
Il s’agit de la directive du Parlement européen et du Conseil, du 7 juin 1999, instituant un mécanisme de reconnaissance des diplômes pour les activités professionnelles couvertes par les directives de libéralisation et portant mesures transitoires, et complétant le système général de reconnaissance des diplômes (JO L 201, p. 77).


15
Directive de la Commission, du 28 juin 1990, relative à la concurrence dans les marchés des services de télécommunications (JO L 192, p. 10), telle que modifiée par la directive 96/19/CE de la Commission, du 13 mars 1996, modifiant la directive 90/388 en ce qui concerne la réalisation de la pleine concurrence sur le marché des télécommunications (JO L 74, p. 13).


16
Directive du Parlement européen et du Conseil, du 10 avril 1997, relative à un cadre commun pour les autorisations générales et les licences individuelles dans le secteur des services de télécommunications (JO L 117, p. 15).


17
Directive du Parlement européen et du Conseil, du 15 décembre 1997, concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des télécommunications (JO 1998, L 24, p. 1).


18
Arrêt du 31 mars 1993 (C-19/92, Rec. p. I-1663).


19
Arrêt du 30 novembre 1995 (C-55/94, Rec. p. I-4165, sixième tiret du point 39). En ce qui concerne les quatre conditions, voir ci-après, le point 92.


20
Voir arrêts Schindler (précité, note 4), Läärä e.a. (précité, note 5) et Zenatti (précité, note 3) ainsi que les arrêts du 20 février 1979, Rewe-Zentral, dit «Cassis de Dijon» (120/78, Rec. p. 649, point 8); du 25 juillet 1991, Säger (C-76/90, Rec. p. I-4221), et Collective Antennevoorziening Gouda (précité, note 13).


21
C-6/01, affaire pendante devant la Cour, point 90 des observations.


22
Directive du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000 (JO L 178, p. 1).


23
Voir arrêt du 31 janvier 1984, Luisi et Carbone (286/82 et 26/83, Rec. p. 377, point 10).


24
Conclusions de l’avocat général Gulmann du 16 décembre 1993 (Rec. p. I-1042, points 42 et suiv.).


25
Conclusions de l’avocat général La Pergola du 4 mars 1999 (Rec. p. I-6069, point 26).


26
Conclusions de l’avocat général Fennelly du 20 mai 1999 (Rec. p. I-7291, points 21 et 22).


27
Voir points 22 et 23 de l’arrêt (précité, note 3).


28
Voir arrêts Läärä e.a. (précité, note 5, points 13 et suiv.) et Zenatti (précité, note 3, point 33).


29
Voir points 24, 25, 26 et 35 de l’arrêt Läärä e.a. (précité, note 5).


30
Voir article 50 CE; voir également arrêt Gebhard (précité, note 19, point 22).


31
Voir article 50 CE et arrêts Gebhard (précité, note 19, point 22) et du 4 décembre 1986, Commission/Allemagne (205/84, Rec. p. 3755, point 21, dernière phrase).


32
Arrêt du 25 juillet 1991 (C-221/89, Rec. p. I-3905, point 20).


33
Arrêt précité, note 31, point 21.


34
Arrêt Commission/Allemagne, précité, note 31. Dans cette affaire, il s’agissait d’une entreprise d’assurances.


35
Arrêt précité, note 31, point 21; voir également arrêt Gebhard (précité, note 19, point 20), qui dit pour droit que les chapitres relatifs au droit d’établissement et ceux concernant la libre prestation de services s’excluent l’un l’autre.


36
Voir l’exigence posée par l’arrêt Commission/Allemagne (précité, note 31, point 21).


37
Voir arrêt Commission/Allemagne (précité, note 31, point 21).


38
Arrêt Schindler (précité, note 4, points 33 et suiv.).


39
Voir arrêt Gebhard (précité, note 19, point 39).


40
Ibidem, point 39, sixième tiret.


41
Ibidem, point 39, quatrième tiret.


42
Voir arrêt Commission/Allemagne (précité, note 31, point 47).


43
Voir l’interdiction de discrimination résultant de l’article 43, deuxième alinéa, CE.


44
Voir arrêt Schindler (précité, note 4, point 58).


45
Voir arrêt Commission/Allemagne (précité, note 31, point 47).


46
Directive précitée, note 14.


47
Voir Bulletin des Communautés européennes 1992, n° 12, p. 18.


48
Arrêt du 7 mai 1991, Vlassopoulou (C-340/89, Rec. p. I-2357).


49
Arrêt Commission/Allemagne (précité, note 31, point 47).


50
Voir arrêt Zenatti (précité, note 3, points 24 et suiv.).


51
Ibidem, point 27.


52
Ibidem, point 28.


53
Voir observations de l’avocat général Gulmann dans les conclusions rendues dans l’affaire Schindler (précitées, note 24, points 1 et suiv.).


54
Voir arrêts Schindler (précité, note 4, point 57); Läärä e.a. (précité, note 5, point 32) et Zenatti (précité, note 3, point 30).


55
Voir arrêt Zenatti (précité, note 3, point 29).


56
Voir arrêt Zenatti (précité, note 3, point 30).


57
Voir arrêts Schindler (précité, note 4, point 58) et Zenatti (précité, note 3, point 31).


58
Voir arrêt Zenatti (précité, note 3, point 31).


59
Ibidem, points 35 et 36; nous soulignons.


60
Ibidem, point 37.


61
Voir, à cet effet, les conclusions de l’avocat général Gulmann dans l’affaire Schindler (précitée, note 24) qui se fonde sur une étude de la Commission, n° 1 f).


62
Il y a lieu de comprendre en ce sens les observations des États membres dans les affaires Schindler, Läärä e.a. et Zenatti ainsi que dans la présente affaire.


63
Voir les observations de M. Gambelli, mentionnées ci-dessus au point 23.


64
Voir arrêts du 24 janvier 2002, Portugaia Construções (C-164/99, Rec. p. I-787, point 26) et du 21 novembre 2002, X et Y (C-436/00, Rec. p. I-10829, point 50) et les références qui y sont citées.


65
Voir la sixième loi de réforme du droit pénal du 26 juin 1998 (BGBl. I, p. 164, ayant renforcé en son article 287 le délit d’organisation illicite de loteries ou de jeux.


66
Précitée, ci-dessus, point 56.