CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
MME CHRISTINE STIX-HACKL
présentées le 15 mai 2003(1)



Affaires jointes C-19/01, C-50/01 et C-84/01



Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS)
et
Milena Castellani
et
Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS)
contre
Alberto Barsotti e.a. (C-19/01)
Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS) (C-50/01)
Anna Maria Venturi (C-84/01)


[demandes de décision préjudicielle formées par le Tribunale di Pisa, le Tribunale di Siena et la Corte suprema di cassazione (Italie)]



Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS)
et
Milena Castellani
et
Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS)
contre
Alberto Barsotti e.a. (C-19/01)
Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS) (C-50/01)
Anna Maria Venturi (C-84/01)


[demandes de décision préjudicielle formées par le Tribunale di Pisa, le Tribunale di Siena et la Corte suprema di cassazione (Italie)]



Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS)
et
Milena Castellani
et
Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS)
contre
Alberto Barsotti e.a. (C-19/01)
Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS) (C-50/01)
Anna Maria Venturi (C-84/01)


[demandes de décision préjudicielle formées par le Tribunale di Pisa, le Tribunale di Siena et la Corte suprema di cassazione (Italie)]

«Directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur – Limitation de l'obligation de paiement des institutions de garantie»






I –   Remarques préliminaires

1.        La présente procédure concerne l’interprétation de la directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur (2) (ci-après la «directive»). Elle a plus particulièrement trait à la fonction d’un plafond à l’obligation de paiement d’une institution de garantie nationale.

II –  Cadre juridique

A –   Directive

2.        Aux termes du premier considérant:

«des dispositions sont nécessaires pour protéger les travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur, en particulier pour garantir le paiement de leurs créances impayées, en tenant compte de la nécessité d’un développement économique et social équilibré dans la Communauté».

L’article 3, paragraphe 1, stipule:

«Les États membres prennent les mesures nécessaires afin que des institutions de garantie assurent, sous réserve de l’article 4, le paiement des créances impayées des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail et portant sur la rémunération afférente à la période qui se situe avant une date déterminée.»

L’article 4, paragraphe 3, première phrase, dispose:

«Toutefois, les États membres peuvent, afin d’éviter le versement de sommes allant au-delà de la finalité sociale de la présente directive, fixer un plafond pour la garantie de paiement des créances impayées des travailleurs salariés.»

Selon l’article 10:

«La présente directive ne porte pas atteinte à la faculté des États membres:

a)
de prendre les mesures nécessaires en vue d’éviter des abus;

b)
de refuser ou de réduire l’obligation de paiement visée à l’article 3 ou l’obligation de garantie visée à l’article 7 s’il apparaît que l’exécution de l’obligation ne se justifie pas en raison de l’existence de liens particuliers entre le travailleur salarié et l’employeur et d’intérêts communs concrétisés par une collusion entre ceux-ci.»

B –   Droit national

3.        Pour transposer la directive, la République italienne avait adopté le décret législatif n° 80/1992, du 27 janvier 1992 (3) (ci-après le «décret législatif»). En application de celui-ci, il existe auprès de l’Istituto nazionale della previdenza sociale (ci-après l’«INPS») un fonds de garantie qui garantit certains paiements aux travailleurs en cas de créances impayées pour cause d’insolvabilité de leur employeur.

4.        Le montant de ces paiements par le fonds de garantie est calculé en déduisant certains éléments d’une somme fixée individuellement (ci-après la «somme fixe»). La différence est versée au travailleur. La somme fixe correspond à trois fois le plafond de «l’indemnité exceptionnelle versée à titre de complément du salaire mensuel», qui représente à son tour un certain pourcentage du salaire individuel perçu avant la fin du contrat de travail ou de la relation de travail. Les prestations qui sont déduites de la somme fixe sont indiquées dans le décret législatif («complément de salaire exceptionnel», rémunération et «indemnité de mobilité»).

III –  Faits et procédures au principal

5.        Dans les trois affaires examinées, des travailleurs ont des créances impayées résultant de contrats de travail ou de relations de travail parce que leur employeur respectif est devenu insolvable. Ils en ont demandé le paiement au fonds de garantie, mais on le leur a refusé en tout ou en partie.

6.        Dans l’affaire C-19/01, l’INPS refuse tout paiement à M. Alberto Barsotti (4) parce que les acomptes versés par l’employeur dépassent déjà au total la somme fixe.

7.        Dans l’affaire C-50/01, l’INPS refuse en partie le paiement réclamé par Mme Castellani. L’INPS a déduit de la somme fixe les acomptes versés par l’employeur et les autres éléments déductibles et il a payé la différence. Mme Castellani demande cependant une somme équivalant à l’ensemble de ses créances résultant de son contrat de travail ou de sa relation de travail demeurées impayées au cours de la période de référence.

8.        Dans l’affaire C-84/01, l’employeur a payé à Mme Venturi deux de ses trois derniers mois de salaire. Mme Venturi réclame à l’INPS le paiement de son salaire pour le troisième mois. L’INPS rejette la demande parce que les salaires déjà versés sont au total supérieurs à la somme fixe.

IV –  Questions préjudicielles

9.        Dans l’affaire C-19/01, le Tribunale di Pisa a sursis à statuer et a posé à la Cour la question suivante:

«La directive 80/987/CEE et les actes qui en découlent (arrêts du 19 novembre 1991, Francovich e.a., C-6/90 et C-9/90, Rec. p. I-5357, et du 10 juillet 1997, Maso e.a., C-373/95, Rec. p. I-4051) peuvent-ils être interprétés en ce sens que, dans la limite d’un plafond, l’instauration d’une interdiction de cumul entre l’indemnité attribuée par le fonds de garantie et la partie des rémunérations versée par l’employeur au cours des trois derniers mois n’est légale que pour le montant excédant l’indemnité de mobilité prévue, ratione temporis, pour la même période, compte tenu du fait que lesdits acomptes semblent destinés, à l’instar de l’indemnité de mobilité et à concurrence du même montant, à subvenir aux besoins élémentaires du travailleur licencié?»

10.      Dans l’affaire C-50/01, le Tribunale di Siena a sursis à statuer et a posé à la Cour les questions suivantes:

«La règle de non-cumul entre, d’une part, la valeur comptable de l’indemnité exceptionnelle versée à titre de complément du salaire mensuel et, d’autre part, la rémunération perçue par le travailleur au cours de la période de référence (article 2, paragraphe 4, du décret législatif n° 80/1992) est-elle ─ également à la lumière de la jurisprudence antérieure de la Cour concernant ledit décret législatif ─ compatible avec la directive 80/987/CEE? Plus précisément:

1)
Cette règle de non-cumul peut-elle être compatible avec l’objectif de la directive (article 3, paragraphe 1) tendant à assurer le paiement des créances salariales impayées portant sur la rémunération afférente à une période déterminée (article 4, paragraphes 1 et 2), précédant une date déterminée (à l’article 2, paragraphe 2), ou

2)
Cette règle de non-cumul repose-t-elle sur un critère d’aide sociale, non conforme au critère social qui sous-tend la directive 987/80?

3)
Cette règle de non-cumul aboutit-elle à rendre inopérante ou partiellement inapplicable la directive?

4)
Une telle règle de non-cumul peut-elle être admise eu égard à la faculté ouverte aux États membres de fixer un plafond pour la garantie du paiement des créances des travailleurs salariés (article 3, paragraphe 4), étant entendu par ailleurs que le législateur italien a déjà instauré un tel plafond à travers l’article 2, paragraphe 2, du décret législatif précité?

5)
Partant, le renvoi à la ‘limite maximale afférente à l’indemnité exceptionnelle versée à titre de complément du salaire mensuel’, visée à l’article 2, paragraphe 2, précité, doit-il ou non être considéré comme ayant un caractère simplement formel et comptable, ou renvoie-t-il à une autre norme (ce qui se traduirait par l’intégration, dans le décret législatif 80/1992, des règles de l’aide sociale concernant l’indemnité exceptionnelle versée à titre de complément du salaire mensuel, y compris la règle de non-cumul)?

6)
Enfin, la règle de non-cumul peut-elle être considérée comme admissible eu égard à la faculté laissée aux États membres d’adopter les mesures nécessaires en vue d’éviter des abus [article 10, sous a)]?»

11.      Dans l’affaire C-84/01, la Corte suprema di cassazione a sursis à statuer et a posé à la Cour la question suivante:

«L’article 4, paragraphe 3, de la directive n° 80/987/CEE du 20 octobre 1980 ─ en ce qu’il prévoit que les États membres, pour éviter d’outrepasser la finalité sociale de la directive elle-même, peuvent fixer un plafond au paiement des créances impayées des travailleurs salariés concernant la rémunération afférente aux trois derniers mois du contrat de travail ─ permet-il d’imposer le sacrifice d’une partie de la créance à ceux dont le montant de la rémunération est supérieur au plafond et qui auraient reçu, au cours des trois derniers mois de la relation de travail, des acomptes d’un montant égal ou supérieur audit plafond, étant entendu que ceux dont la rémunération est inférieure au plafond peuvent obtenir le désintéressement total (ou un taux supérieur) de leur créance en additionnant les acomptes versés par leur employeur et les paiements effectués par l’organisme public?»

V –  Sur la recevabilité des questions préjudicielles

A –   Thèse des parties

12.      Le gouvernement italien fait valoir qu’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer, dans le cadre d’une procédure préjudicielle au titre de l’article 234 CE, sur la compatibilité du droit national avec le droit communautaire ou sur la validité et l’interprétation de dispositions nationales. Sur cette base, il faudrait reformuler une grande partie des questions du Tribunale di Pisa et du Tribunale di Siena et il suffirait à la place, pour les trois affaires, de répondre à la question de la Corte suprema di cassazione.

13.      La Commission est également d’avis que les questions préjudicielles des différentes juridictions doivent être résumées et reformulées, étant donné qu’elles portent toutes sur le même problème, qui est de savoir si l’on peut interpréter l’article 4, paragraphe 3, première phrase, de la directive en ce sens que le plafond qu’un État membre peut fixer pour la garantie de paiement constitue:

a) une limite maximale du montant des créances impayées par l'employeur pendant la période de référence et remboursables par l'institution de garantie, déduction faite des acomptes éventuellement perçus au cours de cette période, ou

b) une somme fixe à rembourser par l’institution de garantie, déduction faite de toutes les sommes perçues par le travailleur pendant la période de référence.

B –   Appréciation

14.      Pour que la Cour puisse donner à la juridiction de renvoi une réponse utile dans la procédure au principal, il faut, comme l’avancent à bon droit la Commission et le gouvernement italien, résumer et reformuler les questions préjudicielles (5) .

15.      Dans le cadre de l’article 234 CE, la Cour n’est compétente pour se prononcer ni sur l’interprétation de dispositions législatives ou réglementaires nationales ni sur la conformité de telles dispositions avec le droit communautaire. Elle peut cependant fournir à la juridiction nationale les éléments d’interprétation relevant du droit communautaire qui permettront à celle-ci de résoudre le problème juridique dont elle se trouve saisie (6) .

16.     «Enfin, selon une jurisprudence constante, il reste réservé à la Cour, en présence de questions formulées de manière imprécise, d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale et du dossier du litige au principal les éléments de droit communautaire qui appellent une interprétation, compte tenu de l’objet du litige» (7) .

17.      Sur la base des indications fournies dans les ordonnances de renvoi, il semble préférable de reformuler en une question les questions préjudicielles des trois affaires:

«Les articles 3, paragraphe 1, et 4, paragraphe 3, première phrase, de la directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur, doivent-ils être interprétés en ce sens que la protection des travailleurs exigée par la directive est également assurée lorsque l’institution de garantie ne doit au travailleur qu’une somme fixe couvrant ses besoins élémentaires, déduction faite de certaines autres prestations, incluant aussi celles versées par l’employeur?»

VI –  Réponse à la question préjudicielle reformulée

A –   Arguments essentiels des parties

18.      M. Barsotti (C-19/01) est d’avis que les dispositions du décret législatif selon lesquelles les acomptes de l’employeur sont déduits de la somme fixe ne peuvent être interprétées et appliquées qu’en ce sens que l’INPS doit payer les créances impayées résultant du contrat de travail ou de la relation de travail jusqu’à concurrence de la somme fixe, lorsque, en raison de l’insolvabilité de son employeur, le travailleur subit de fortes pertes. D’éventuels acomptes versés par l’employeur ne doivent donc pas venir encore réduire la somme fixe due dans ces cas.

19.      Mme Castellani (C-80/01) est d’avis que la directive ne vise pas, par les institutions de garantie, à accorder des prestations de soutien destinées à éviter une situation de besoin, mais à instituer une garantie générale de paiement des créances impayées. La somme fixe due par le fonds italien de garantie ne peut donc pas subir de déductions. Elle invoque l’arrêt dans l’affaire Maso e.a. (8) . La Cour y a déjà déclaré que l’«indemnité de mobilité» italienne ne repose pas sur le contrat de travail ou la relation de travail, mais sert à atténuer l’état de besoin du travailleur licencié, de sorte qu’elle ne peut pas réduire les paiements à effectuer en application de la directive.

20.      Mme Venturi (C-84/01) estime que les dispositions italiennes concernant le fonds de garantie sont contraires au contenu et à la finalité de la directive. Selon elle, la somme fixe prévue dans le décret législatif pourrait tout au plus être considérée comme conforme à la directive si elle garantissait la réparation du préjudice subi.

21.      Même si cette somme était en tant que telle compatible avec la directive, il ne faudrait en tout état de cause y appliquer aucune déduction. Sinon le montant des paiements varierait en effet selon que le travailleur a ou non encore perçu des prestations de son employeur. Cependant, la directive charge les États membres de prendre, en cas d’insolvabilité de l’employeur, des mesures pour assurer le paiement des créances impayées résultant de contrats de travail ou de relations de travail. Mme Venturi invoque aussi le terme «plafond» figurant dans l’article 4, paragraphe 3, première phrase, de la directive. Cette disposition indique que les paiements des institutions de garantie doivent être des montants garantis et que toute déduction est donc interdite. Elle invoque en outre l’arrêt Maso e.a. (9) , dans lequel une partie des déductions prévues par le droit italien a déjà été jugée incompatible avec la directive.

22.      L’INPS allègue qu’il résulte de l’interprétation systématique de la directive que les institutions de garantie servent à aider financièrement le travailleur en cas d’insolvabilité de l’employeur. En conséquence, la directive ne saurait avoir pour objectif d’accorder au travailleur concerné des sommes venant s’ajouter aux prestations déjà obtenues de l’employeur.

23.      L’article 1er de la directive impose de couvrir les besoins du travailleur lorsque l’employeur du fait de son insolvabilité n’a pas payé les créances résultant du contrat de travail ou de la relation de travail. L’article 4, paragraphe 3, première phrase, de la directive fait référence à la finalité sociale des institutions de garantie et le premier considérant de la directive renvoie à la «nécessité d’un développement économique et social équilibré dans la Communauté». Selon l’INPS, le travailleur n’a donc droit qu’à une prestation sociale, qui peut être accordée, conformément à l’article 4, paragraphe 3, première phrase, de la directive, en appliquant une somme fixe pour éviter que des paiements aillent au-delà de la finalité sociale.

24.      Cette opinion n’est pas davantage contraire à l’arrêt Maso e.a.  (10) . L’indemnité de mobilité en cause dans cette affaire constituait en effet une aide financière pour le travailleur. Cet arrêt n’affecte donc pas la possibilité de réduire les versements du fonds de garantie du montant des acomptes versés par l’employeur.

25.      Le gouvernement italien invoque la finalité de la directive et, à cet égard, les arrêts de la Cour dans les affaires Bonifaci e.a. et Berto e.a. (11) et Maso e.a. (12) . Selon lui, il ressort de ces arrêts et du premier considérant de la directive que cette dernière vise à accorder au travailleur une assurance sociale minimale en cas d’insolvabilité de son employeur. Les dispositions du décret législatif sont donc compatibles avec la directive dans la mesure où elles prévoient une somme fixe dont certaines autres prestations sont déduites. Ce système vise à éviter des charges financières excessives pour l’État.

26.      Le gouvernement français renvoie également à l’arrêt Maso e.a.  (13) , dans lequel la Cour a précisé l’objectif de l’article 4, paragraphe 3, première phrase, ainsi que la finalité sociale de la directive. Il en ressort que la finalité de la directive consiste à garantir aux travailleurs salariés un minimum communautaire de protection en cas d’insolvabilité de l’employeur par le paiement des créances impayées résultant de contrats ou de relations de travail. Il résulterait de cet arrêt que, en l’espèce, des acomptes versés par l’employeur sur des créances impayées ne sauraient être déduits des sommes dues par le fonds de garantie.

27.      La Commission est d’avis que la notion de «plafond» de l’article 4, paragraphe 3, première phrase, de la directive doit être interprétée en ce sens qu’il constitue une limite maximale du montant des créances impayées par l’employeur pendant la période de référence et remboursables au travailleur par l’institution de garantie, déduction faite des acomptes éventuellement perçus au cours de cette période. La directive vise en effet à garantir, en cas d’insolvabilité de l’employeur, le paiement aux travailleurs des créances impayées. Le fait que l’article 4 de la directive donne aux États membres la possibilité de limiter l’obligation de paiement des institutions de garantie ne saurait affecter cet objectif.

B –   Appréciation

28.      La motivation des ordonnances de renvoi et la thèse des parties dans la procédure devant la Cour sont principalement axées sur la licéité des déductions prévues par le décret législatif. À notre avis, toutefois, le problème se situe en amont dans la question de la compatibilité d’un système comme celui visé en l’espèce avec les objectifs et indications de la directive.

29.      Les arguments des parties sur l’illégalité des déductions sont en effet en l’espèce étroitement liés à une certaine interprétation de la nature des paiements du fonds de garantie. Avant d’aborder la question des déductions, il convient donc d’abord d’examiner si la directive autorise en soi une méthode de calcul comme celle que prévoit le décret législatif italien pour les paiements effectués par l’institution de garantie.

1. La méthode de calcul des versements du fonds de garantie selon le décret législatif

30.      Comme nous l’avons déjà dit plus haut (14) , le montant du paiement du fonds de garantie est calculé en fixant, sur la base de la dernière rémunération du travailleur, une somme individuelle dont sont ou peuvent être déduits certains éléments.

31.      En conséquence, de façon inhérente au système on en arrive à l’effet suivant que nous souhaiterions décrire à partir d’un exemple fourni par un représentant de l’INPS à l’audience et dont le résultat n’a pas été contesté:

Un travailleur a une créance salariale totale de 5 000 euros née au cours de la période ayant précédé l’insolvabilité de son employeur. Ce dernier lui ayant encore versé 3 000 euros avant la demande de paiement au fonds de garantie, il reste une créance impayée de 2 000 euros. Le plafond individuel, dans la limite duquel le fonds de garantie doit intervenir pour ce travailleur, s’élève à 2 000 euros.

Dans la conception du décret législatif italien, le travailleur a droit à une somme fixe théorique de 2 000 euros, qui ─ selon la proportion requise ─ inclut les versements de l’employeur et d’autres prestations plus les versements du fonds 15  –Voir ci-dessus, point 4.. Ce montant a cependant déjà été atteint par les versements effectués par l’employeur avant la demande au fonds de garantie. Le travailleur n’obtiendrait donc dans ce cas plus rien du fonds de garantie.

Par contre, le même travailleur qui aurait réclamé au fonds de garantie les créances impayées par son employeur d’un montant de 2 000 euros aurait droit au paiement de celles-ci jusqu’au plafond. Il obtiendrait donc 2 000 euros du fonds de garantie.

32.      Comme l’ont eux-mêmes souligné le gouvernement italien et l’INPS, le système du décret législatif repose sur l’idée que les paiements du fonds de garantie constituent des «prestations sociales» servant à couvrir les besoins élémentaires du travailleur. La somme fixe prévue par le décret législatif a la fonction d’un droit forfaitaire théorique, qui est lié à la dernière rémunération et dont sont déduites d’autres prestations, qui réduisent les besoins du travailleur concerné. La compensation de la perte individuelle effective (c’est-à-dire la différence entre les créances impayées et les prestations encore perçues) ne peut donc pas constituer un critère décisif dans cette optique.

33.      La question se pose de savoir si cette conception, qui est manifestement à la base du décret législatif italien, est conforme à la finalité de la directive.

2. La finalité de la directive

34.      On remarquera d’abord que ni l’article 3, paragraphe 1, ni l’article 4, paragraphe 3, première phrase, de la directive ne donnent d’indications concrètes sur la manière d’effectuer le calcul du montant des paiements du fonds de garantie. Cela incombe donc en principe aux États membres.

35.      Le gouvernement italien a appuyé son interprétation de la directive essentiellement sur son article 4, paragraphe 3, première phrase. Il semble toutefois douteux que cette disposition puisse réellement être comprise en ce sens qu’il en ressort, en ce qui concerne les paiements effectués par les institutions de garantie, que ces dernières octroient des «prestations sociales» visant à couvrir les besoins élémentaires du travailleur.

36.      L’article 4, paragraphe 3, première phrase, de la directive parle certes de la «finalité sociale de la présente directive» et justifie sur cette base la fixation d’un «plafond» pour le cas où les paiements iraient sans cela au-delà de cette finalité. Toutefois, on ne peut en soi pas en déduire que la finalité de la directive est au total ─ simplement ─ de couvrir les besoins élémentaires du travailleur affecté par l’insolvabilité de son employeur. Cette disposition constitue en effet une disposition dérogatoire. Elle doit notamment permettre d’éviter que les institutions de garantie, qui opèrent par exemple sous la forme d’un fonds alimenté de l’extérieur, connaissent elles-mêmes des difficultés financières à la suite de grandes faillites.

37.      La disposition centrale, qui donne des indications sur la finalité de la directive, est celle de l’article 3, paragraphe 1, de la directive. Cette disposition, tout comme le premier considérant de la directive, plaide cependant contre le fait de comprendre les paiements d’une institution de garantie comme des «prestations sociales» au sens précisé.

38.      L’article 3, paragraphe 1, de la directive définit le contenu de l’obligation des États membres en la matière comme étant la garantie du «paiement des créances impayées des travailleurs» (16) . Le premier considérant dit lui aussi que la directive doit garantir «le paiement [des] créances impayées [des travailleurs]». Cela montre que la directive vise en premier lieu à garantir le paiement des créances impayées des travailleurs et non à atténuer l’état de besoin éventuellement généré par cette situation.

3. L'interprétation de la directive quant aux déductions

39.      Il ressort des arguments des parties sur ce point que la question de la licéité des déductions ne se pose apparemment que si l’on ne remet pas en cause la conception italienne des paiements de l’institution de garantie. Or, comme à notre avis cette conception n’est en tant que telle pas couverte par la directive, il n’est plus nécessaire d’aborder cette question.

40.      La réponse à la question préjudicielle devant mettre les juridictions de renvoi en mesure de poursuivre la procédure au principal dans le respect du droit communautaire en vigueur, il paraît néanmoins indiqué de faire avec la brièveté requise quelques remarques de principe sur les éventuelles déductions de la créance contre une institution de garantie en vue de la protection des travailleurs en cas d’insolvabilité de leur employeur.

41.      Il résulte de l’article 3, paragraphe 1, de la directive que, dans un système dans lequel une institution de garantie doit effectuer des paiements de créances impayées du travailleur en raison de l’insolvabilité de son employeur, le montant des versements doit naturellement être lié au montant des créances impayées. Cela signifie que les prestations que l’employeur a versées ou que des tiers ont versées de son fait ne doivent pas être compensées par l’institution de garantie.

42.      La Cour a aussi déjà déclaré dans l’arrêt Maso e.a. que les articles 4, paragraphe 3, première phrase, et 10 de la directive autorisent en principe les États membres à adopter des règles anticumul. On ne peut toutefois imputer que certaines autres prestations sur la créance contre l’institution de garantie (17) , à savoir celles dont l’obtention doit de manière établie être considérée comme un abus (18) .

43.      Il appartient aux juridictions de renvoi d’établir si et dans quelle mesure les déductions litigieuses peuvent ou doivent être opérées lors d’un calcul des montants dus par le fonds de garantie assurant le paiement des créances impayées des travailleurs au sens de la directive. Dans ce cas, les juridictions de renvoi devraient respecter les critères résultant des articles 4, paragraphe 3, première phrase, et 10 de la directive. Nous soulignons en particulier que la Cour s’est déjà prononcée à cet égard dans l’arrêt Maso e.a. (19) sur l’«indemnité de mobilité» italienne selon le droit en vigueur en Italie à l’époque.

VII – Conclusion

44.      Sur la base de l’ensemble des considérations qui précèdent, nous proposons de répondre à la question préjudicielle reformulée de la façon suivante:

«La directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur, et en particulier ses articles 3, paragraphe 1, et 4, paragraphe 3, première phrase, doivent être interprétés en ce sens que la protection des travailleurs exigée par la directive n’est pas assurée lorsqu’une institution de garantie ne doit au travailleur concerné qu’une somme fixe couvrant ses besoins élémentaires, déduction faite de certaines autres prestations, incluant aussi celles versées par l’employeur.»


1
Langue originale: l'allemand.


2
JO L 283, p. 23.


3
GURI du 13 février 1992.


4
À l’origine, d’autres travailleurs, outre M. Barsotti, étaient manifestement parties au litige au principal («Barsotti e.a.»). L’ordonnance de renvoi ne se rapporte toutefois plus qu’à M. Barsotti dans l’exposé des faits.


5
Voir, par exemple, l’arrêt du 18 novembre 1999, Teckal (C-107/98, Rec. p. I-8121).


6
Arrêts Teckal, précité note 5, point 33, et du 4 mai 1993, Fedicine (C-17/92, Rec. p. I-2239, point 8).


7
Arrêts Teckal, précité note 5, point 34, ainsi que du 13 décembre 1984, Haug-Adrion (251/83, Rec. p. 4277, point 9), et du 26 septembre 1996, Arcaro (C-168/95, Rec. p. I-4705, point 21).


8
Arrêt du 10 juillet 1997 (C-373/95, Rec. p. I-4051).


9
Précité note 8.


10
Précité note 8.


11
Arrêt du 10 juillet 1997 (C-94/95 et C-95/95, Rec. p. I-3969).


12
Précité note 8.


13
Précité note 8.


14
Voir ci-dessus, points 3 et suiv.


15
Voir ci-dessus, point 4.


16
Arrêts du 2 février 1989, Commission/Italie (22/87, Rec. p. 143, points 7 et 11), et Maso e.a., précité note 8.


17
Voir, notamment, les points 57 et suiv. de l’arrêt précité note 8.


18
Article 10 de la directive.


19
Arrêt précité note 8, point 59.