62000C0339

Conclusions de l'avocat général Tizzano présentées le 6 février 2003. - Irlande contre Commission des Communautés européennes. - FEOGA - Apurement des comptes - Exercices 1997 et 1998 - Aide au boisement des terres agricoles - Article 2, paragraphes 1, sous c), et 2, sous b), du règlement (CEE) nº 2080/92 - Notion de 'personne morale de droit privé' - Principe de protection de la confiance légitime - Devoir de coopération loyale. - Affaire C-339/00.

Recueil de jurisprudence 2003 page I-11757


Conclusions de l'avocat général


1. Dans la présente affaire, l'Irlande demande, en vertu de l'article 230 CE, l'annulation partielle de la décision 2000/449/CE de la Commission, du 5 juillet 2000, écartant du financement communautaire certaines dépenses effectuées par les États membres au titre du Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA), section «garantie» . La demande d'annulation vise plus particulièrement la décision en ce qu'elle ne reconnaît pas comme étant à la charge du FEOGA, au titre des exercices financiers 1997 et 1998, le montant global de 4 844 345,35 euros, correspondant à la part de cofinancement communautaire de certaines aides au boisement versées par l'Irlande au Coillte Teoranta (l'Irish Forestry Board Limited, office irlandais des forêts, ci-après l'«office des forêts»).

I - Le cadre juridique

A - Réglementation en matière d'apurement des comptes FEOGA

2. Les articles 1er, paragraphe 2, sous b), et 3, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 729/70 du Conseil, du 21 avril 1970, relatif au financement de la politique agricole commune , disposent que la section «garantie» du FEOGA finance les interventions destinées à la régularisation des marchés agricoles, entreprises selon les règles communautaires dans le cadre de l'organisation commune des marchés agricoles.

3. L'article 5, paragraphe 2, sous c), dudit règlement, tel que modifié par le règlement (CE) n° 1287/95 du Conseil, du 22 mai 1995 , définit la procédure à suivre par la Commission lorsqu'elle constate que des dépenses n'ont pas été effectuées conformément aux règles communautaires (audit de conformité). Cette disposition confère à la Commission, après consultation du comité du FEOGA, le pouvoir de refuser, le cas échéant, le financement communautaire des dépenses concernées. Une décision en ce sens doit toutefois être précédée d'une discussion bilatérale entre la Commission et l'État membre intéressé sur les résultats des vérifications effectuées par l'institution, afin de tenter de parvenir à un accord entre les parties sur les suites à donner aux vérifications. En l'absence d'accord, l'État membre peut demander l'ouverture d'une procédure visant à concilier les positions respectives. Les résultats de cette procédure de conciliation font l'objet d'un rapport que la Commission est tenue d'examiner avant de décider le refus de financement.

4. Le règlement n° 729/70 a ensuite été abrogé et remplacé par le règlement (CE) n° 1258/1999 du Conseil, du 17 mai 1999, relatif au financement de la politique agricole commune . En vertu de son article 20, ce dernier règlement est entré en vigueur le 3 juillet 1999, mais il s'applique «aux dépenses effectuées à partir du 1er janvier 2000».

5. La procédure de conciliation visée à l'article 5, paragraphe 2, sous c), du règlement n° 729/70 est régie par la décision 94/442/CE de la Commission, du 1er juillet 1994, relative à la création d'une procédure de conciliation dans le cadre de l'apurement des comptes du Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA), section «garantie» . Aux termes de l'article 1er, paragraphe 1, de cette décision, la procédure en question est conduite par un organisme (organe de conciliation) institué auprès de la Commission, qui doit tenter de rapprocher les positions divergentes des parties et établir un rapport sur le résultat de la procédure, accompagné d'éventuelles observations relatives au litige, au cas où la tentative ne produirait pas les effets escomptés. Le paragraphe 2, sous a), de cet article précise à cet effet que la position prise par l'organe de conciliation «ne préjuge pas la décision définitive de la Commission en matière d'apurement des comptes [...]».

B - Réglementation en matière d'aides aux mesures forestières

6. Le règlement (CEE) n° 2080/92 du Conseil, du 30 juin 1992 , a institué un régime communautaire d'aides aux mesures forestières en agriculture, cofinancé par le FEOGA, section «garantie». Comme il ressort de l'article 1er, deuxième alinéa, sous a), de ce règlement, le régime en question vise, en particulier, à promouvoir «une utilisation alternative des terres agricoles par boisement».

7. L'article 2 du règlement n° 2080/92 énumère les mesures d'aide que le régime peut comprendre et identifie les bénéficiaires potentiels desdites mesures. Il prévoit, en particulier, que:

«1. Le régime d'aides peut comprendre:

a) des aides destinées à couvrir les coûts de boisement;

b) une prime annuelle par hectare boisé destinée à couvrir les coûts de l'entretien des surfaces boisées pendant les cinq premières années;

c) une prime annuelle par hectare destinée à compenser des pertes de revenu découlant du boisement des surfaces agricoles;

[...]

2. a) Les aides visées au paragraphe 1 points a) et b) peuvent être accordées à toutes personnes physiques ou morales qui procèdent au boisement des surfaces agricoles.

b) Les aides visées au paragraphe 1 point c) ne sont éligibles que si elles sont octroyées:

- aux exploitants agricoles ne bénéficiant pas du régime de préretraite visé au règlement (CEE) n° 2079/92 du Conseil, du 30 juin 1992, instituant un régime communautaire d'aides à la préretraite en agriculture,

- à toute autre personne physique ou morale de droit privé.

[...]

3. En outre, le régime peut comprendre une contribution communautaire aux coûts de boisement des terres agricoles réalisé par les autorités publiques compétentes des États membres.»

8. Aux termes de l'article 4, paragraphe 1, du règlement n° 2080/92:

«Les États membres mettent en oeuvre le régime d'aides visé à l'article 2 au moyen de programmes pluriannuels nationaux ou régionaux concernant les objectifs visés à l'article 1er et qui déterminent notamment:

- les montants et la durée des aides visées à l'article 2 en fonction des dépenses réelles de boisement et de l'entretien des essences ou types d'arbres utilisés pour le boisement, ou en fonction de la perte de revenus,

[...]»

9. L'article 5 du règlement organise la procédure d'examen de ces programmes. En particulier, les paragraphes 1 à 3 de la disposition précitée disposent:

«1. Les États membres communiquent à la Commission les projets des programmes nationaux ou régionaux visés à l'article 4 ainsi que les dispositions législatives, réglementaires ou administratives existantes ou qu'ils envisagent d'adopter pour permettre l'application du présent règlement, avant le 30 juillet 1993, accompagnés par une estimation des dépenses annuelles prévues pour la réalisation des programmes.

2. La Commission examine les communications des États membres en vue de déterminer:

- leur conformité avec le présent règlement, compte tenu des objectifs de celui-ci et du lien entre les différentes mesures,

- la nature des actions cofinançables,

- le montant total des dépenses cofinançables.

3. La Commission décide de l'approbation des programmes nationaux ou régionaux compte tenu des éléments visés au paragraphe 2.

[...]»

II - Les faits et la procédure

10. À la suite d'une vérification effectuée en Irlande du 30 mars au 3 avril 1998, les services de la Commission ont examiné la conformité à la réglementation communautaire des aides accordées à l'office des forêts à titre de compensation des pertes de revenus découlant du boisement de surfaces agricoles au sens de l'article 2, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 2080/92.

11. Dans ce contexte, le 3 août 1999 , à l'issue de la procédure prévue à l'article 5, paragraphe 2, sous c), du règlement n° 729/70, les services de la Commission ont informé l'Irlande de leur intention de proposer le refus du cofinancement communautaire des aides compensatoires versées à l'office des forêts à compter du 1er août 1996, au motif que celui-ci serait une entité publique et, partant, ne pourrait bénéficier de telles aides en vertu de l'article 2, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 2080/92. À cette même occasion, les services de la Commission ont fait remarquer aux autorités irlandaises - qui soutenaient avoir acquis une confiance légitime dans la légalité des paiements en cause - qu'il n'existait aucune preuve du fait que la Commission ait précédemment consenti au versement des aides en question à l'office des forêts.

12. Le 11 octobre 1999, l'Irlande a demandé, en conséquence, l'ouverture de la procédure de conciliation prévue par la décision 94/442. Dans son rapport final du 30 mars 2000, l'organe de conciliation, sans prendre position sur le statut juridique de l'office des forêts ou sur l'existence d'une confiance légitime dans le chef de l'Irlande, s'est borné à constater l'impossibilité de rapprocher les positions divergentes des parties . Au vu de ce rapport, les services de la Commission ont proposé la rectification financière déjà annoncée dans la lettre du 3 août 1999. Le 5 juillet 2000, le collège des commissaires a décidé d'approuver cette proposition.

13. C'est précisément contre cette décision que l'Irlande a introduit le présent recours.

III - Analyse juridique

14. L'Irlande invoque deux moyens à l'appui de son recours:

- l'incompétence de la Commission pour adopter la décision attaquée, car, à la date d'adoption de la décision, ni le règlement n° 729/70 ni le règlement suivant, n° 1258/1999, n'auraient conféré les pouvoirs nécessaires à la Commission;

- la violation de règles de droit relatives à l'application du traité, dès lors que la Commission aurait considéré à tort l'office des forêts comme une «autorité publique» et non comme une «personne morale de droit privé» aux fins de l'application du règlement n° 2080/92, et que la Commission elle-même aurait agi en violation de son devoir de coopération loyale et des principes de la sécurité juridique, de bonne administration et de protection de la confiance légitime.

15. Nous examinerons successivement ces deux moyens.

A - Sur la prétendue incompétence de la Commission pour adopter la décision attaquée

Arguments des parties

16. Le gouvernement irlandais soutient que, au 5 juillet 2000, aucune disposition communautaire ne conférait à la Commission les pouvoirs nécessaires pour adopter la décision attaquée. L'article 5, paragraphe 2, sous c), du règlement n° 729/70, sur lequel cette décision est fondée, ne pouvait constituer une base juridique adéquate, car cette disposition avait déjà été abrogée par l'article 16, paragraphe 1, du règlement n° 1258/1999 à compter du 3 juillet 1999, date d'entrée en vigueur de ce dernier règlement. Le règlement n° 1258/1999 lui-même, qui, en vertu de son article 20, n'est applicable qu'aux dépenses effectuées à partir du 1er janvier 2000, alors que la décision attaquée concerne des dépenses relatives aux exercices financiers 1997 et 1998, n'aurait pas davantage pu fournir de base juridique à la décision litigieuse.

17. D'autant plus, ajoute le gouvernement irlandais, que ce dernier règlement ne contient aucune disposition transitoire qui permette d'appliquer le règlement n° 729/70, en dépit de son abrogation, au-delà du 3 juillet 1999. Si l'on peut avoir des doutes sur le fait que cette omission ait eu pour objet de priver volontairement la Commission de pouvoirs en matière de dépenses agricoles dans la période allant de l'entrée en vigueur du règlement n° 1258/1999 au 1er janvier 2000, cela n'autorise pas à formuler l'hypothèse d'une disposition implicite qui conférerait ces pouvoirs à la Commission. On ne pourrait pas non plus invoquer à cette fin la continuité des règlements nos 729/70 et 1258/1999 en se prévalant du libellé du préambule de ce dernier texte et de la présence, en annexe de ce règlement, d'un tableau de correspondance avec les dispositions du règlement abrogé. De tels éléments, souligne l'Irlande, ne peuvent suppléer à l'absence de disposition explicite.

18. La Commission répond en affirmant que la décision attaquée trouve au contraire une base juridique adéquate dans le règlement n° 729/70, dont l'abrogation par le règlement n° 1258/1999 n'en exclut pas l'applicabilité aux dépenses effectuées avant le 1er janvier 2000. Selon la défenderesse, il découle clairement du règlement n° 1258/1999 que celui-ci est destiné à se substituer, sans solution de continuité, au règlement n° 729/70, dont il entend modifier et reformuler les dispositions. Rien n'indiquerait en revanche que, avec l'abrogation de ce dernier règlement, le législateur communautaire ait voulu priver la Commission, dans la période comprise entre le 3 juillet et le 31 décembre 1999, du pouvoir de refuser, en cas d'irrégularité, le financement de dépenses agricoles effectuées avant le 1er janvier 2000, sans préjudice du fait, ajoute la Commission, que, si le règlement n° 729/70 n'avait pas été applicable entre le 3 juillet et le 31 décembre 1999, les mesures prises en exécution de ce règlement afin d'assurer le remboursement aux États membres des dépenses agricoles exposées pendant cette période seraient elles aussi dépourvues de base juridique.

19. Tout en admettant, donc, le silence du législateur communautaire sur le régime transitoire, la Commission affirme que le règlement n° 1258/1999 contient une disposition transitoire implicite visant à garantir que les dépenses effectuées jusqu'au 1er janvier 2000 continuent de relever du précédent règlement. À l'appui de cette interprétation, la Commission invoque l'arrêt du 6 mars 2001, Pays-Bas/Commission , dans lequel la Cour aurait elle-même reconnu que, en matière d'apurement des comptes FEOGA, il convient de faire preuve d'une certaine flexibilité pour déterminer la période pendant laquelle une réglementation est applicable, étant donné que la procédure de contrôle des dépenses agricoles se prolonge plusieurs années après que les dépenses elles-mêmes ont été effectuées.

Appréciation

20. Entre les deux thèses exposées ci-dessus, c'est la seconde qui recueille notre assentiment. Nous ne croyons pas que l'interprétation des articles 16 et 20 du règlement n° 1258/1999 puisse conduire au résultat suggéré par l'Irlande, lequel nous paraît être, en outre, en contradiction ouverte avec les objectifs de ce règlement et, plus encore, du règlement n° 729/70.

21. À cet égard, il convient de rappeler que ces règlements ne se bornent pas à régir les pouvoirs de la Commission en matière d'apurement des comptes FEOGA - c'est-à-dire en matière de vérification de la régularité formelle des comptes des organismes payeurs des États membres et de conformité à la réglementation communautaire des dépenses effectuées par ces organismes - mais concernent, plus généralement, l'ensemble des mécanismes de financement de la politique agricole commune. Or, ainsi que la Commission l'a relevé à juste titre, la thèse soutenue par l'Irlande ne se traduirait pas uniquement par le fait que, avec l'entrée en vigueur du règlement n° 1258/1999, cette institution ne pourrait plus vérifier la conformité à la réglementation communautaire des dépenses agricoles exposées par les États membres sous l'empire du règlement n° 729/70, dès lors que la base juridique lui permettant d'en refuser l'imputation au FEOGA aurait cessé d'exister. Cette thèse aurait également pour effet de priver de base juridique les actes adoptés par la Commission après l'entrée en vigueur du règlement n° 1258/1999, mais en application du règlement n° 729/70, afin d'assurer la couverture financière des dépenses agricoles effectuées jusqu'au 31 décembre 1999, au premier rang desquelles le versement des avances mensuelles aux États membres . Si cette thèse était fondée, les mécanismes de financement de la politique agricole commune n'auraient pu recommencer à fonctionner que pour les dépenses effectuées à partir du 1er janvier 2000.

22. En d'autres termes, si l'interprétation que propose le gouvernement irlandais devait être retenue, on devrait admettre que, en abrogeant le règlement n° 729/70, le règlement n° 1258/1999 a non seulement supprimé, durant la période comprise entre le 3 juillet et le 31 décembre 1999, la possibilité de contrôler la régularité des dépenses agricoles exposées par les États membres sous l'empire du règlement n° 729/70, mais a également suspendu temporairement le financement communautaire de la politique agricole commune, en violation du principe consacré à l'article 2, paragraphe 2, du règlement n° 25 du Conseil , en vertu duquel les conséquences financières résultant de la mise en oeuvre de cette politique incombent précisément à la Communauté. Cependant, nous ne pouvons que partager l'avis de la défenderesse sur le fait qu'un choix aussi radical aurait au moins dû trouver une expression normative quelconque, tout au moins dans le préambule du règlement n° 1258/1999. Toutefois, celui-ci se borne, au seizième considérant, à préciser que l'abrogation du règlement n° 729/70 répond à un simple souci de clarté, étant donné les nombreuses modifications apportées jusqu'alors audit règlement.

23. C'est à la lumière de ces considérations qu'il convient à notre sens d'interpréter l'article 16, paragraphe 1, du règlement n° 1258/1999. Dans cette perspective, il y a lieu de souligner que, bien que ne prévoyant pas expressément l'applicabilité du règlement n° 729/70 au-delà du 3 juin 1999, cette disposition n'exclut pas non plus cette éventualité. Au contraire, ce résultat semble tout à fait compatible avec l'intention explicitement manifestée par le législateur d'abroger le règlement n° 729/70 aux seules fins d'en reformuler les dispositions dans un souci de clarté. Cela nous paraît être en harmonie avec ce que la Cour a déclaré dans l'arrêt Klomp , selon lequel, «conformément à un principe commun aux systèmes juridiques des États membres [...], il y a lieu, en cas de changement de législation, d'assurer, sauf expression d'une volonté contraire par le législateur, la continuité des structures juridiques» .

24. Par conséquent, à notre sens, en vertu des dispositions combinées des règlements nos 1258/1999 et 729/70, et à la lumière des principes évoqués ci-dessus, la Commission était compétente pour adopter la décision attaquée. Pour les raisons exposées, nous estimons que le premier moyen n'est pas fondé et qu'il doit être rejeté.

B - Sur la prétendue violation de règles de droit relatives à l'application du traité

25. Le second moyen invoqué par l'Irlande s'articule en quatre branches. Par la première et la deuxième, qui méritent d'être examinées conjointement, la requérante soutient que l'office des forêts ne peut être qualifié d'«autorité publique» au sens de l'article 2, paragraphe 3, du règlement n° 2080/92, mais de «personne morale de droit privé» au sens de l'article 2, paragraphe 2, sous b), du même règlement, et qu'il est donc en droit de recevoir les aides prévues au paragraphe 1, sous c), de cet article.

26. Par les troisième et quatrième branches de ce moyen, pour lesquelles un examen commun est également justifié, l'Irlande invoque ensuite la violation, par la Commission, de ses devoirs de coopération loyale et de bonne administration, ainsi que des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime.

1. Sur la qualification de l'office des forêts en tant que «personne morale de droit privé» au sens du règlement n° 2080/92

Arguments des parties

27. Dans le cadre des première et deuxième branches du second moyen, le gouvernement irlandais explique que l'office des forêts a été constitué en 1988 sous la forme d'une «private limited company», régie par la loi irlandaise sur les sociétés, afin de poursuivre les objectifs énoncés par l'Irish Forestry Act 1988 (loi sur la foresterie). Cette loi avait envisagé la création d'une société à laquelle serait confiée la tâche d'exercer, dans un cadre commercial, des activités sylvicoles et connexes, de créer et de gérer une industrie forestière et de participer avec d'autres entités à des activités sylvicoles compatibles avec ces objectifs. Au moment de la création de l'office des forêts, le gouvernement irlandais a transféré à cet organisme la propriété d'environ 400 000 hectares de forêt et d'autres biens nécessaires pour entreprendre les activités qui lui avaient été confiées par la loi, recevant en contrepartie l'intégralité de ses actions.

28. C'est dans ce contexte que l'Irlande soutient que la Commission aurait commis une erreur en excluant l'office des forêts de la catégorie des bénéficiaires de la prime prévue à l'article 2, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 2080/92. La raison en serait, selon le gouvernement requérant, qu'entrerait dans cette catégorie toute personne susceptible d'être qualifiée de «personne morale de droit privé» au sens de l'article 2, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 2080/92, et ce indépendamment du fait que cette personne puisse également agir en tant qu'«autorité publique» au sens de l'article 2, paragraphe 3, dudit règlement. Il manquerait, dans le règlement, une disposition spécifique visant à exclure les autorités publiques du bénéfice de la prime prévue à l'article 2, paragraphe 1, sous c).

29. Cette conclusion serait également compatible, fait valoir le gouvernement irlandais, avec l'objectif du règlement n° 2080/92, qui vise à promouvoir le boisement de la plus grande proportion possible de superficies agricoles. Une interprétation restrictive de l'article 2, paragraphe 2, sous b), ayant pour effet d'exclure l'office des forêts du nombre des bénéficiaires de la prime prévue à l'article 2, paragraphe 1, sous c), impliquerait inévitablement une limitation du champ d'application du règlement lui-même, au détriment de la poursuite pleine et entière des objectifs qu'il énonce.

30. De plus, continue l'Irlande, pareille interprétation serait contraire à la lettre même de l'article 2, paragraphe 2, sous b), et à la notion de «personne morale de droit privé» qui en découle. Selon le gouvernement requérant, en utilisant cette expression, le législateur communautaire aurait voulu identifier essentiellement les sociétés par actions qui ne peuvent inviter le public à souscrire à leurs actions, comme c'est le cas, dans l'ordre juridique irlandais, de la «private limited company», à savoir la forme de société sous laquelle l'office des forêts a été constitué.

31. Selon le gouvernement requérant, en outre, la notion de «personne morale de droit privé» au sens du règlement n° 2080/92 pourrait être déduite a contrario de celle d'«organisme de droit public», utilisée par la réglementation communautaire en matière de marchés publics. Selon cette réglementation, pour être considéré comme étant «de droit public», un organisme doit être créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial. L'office des forêts, exerçant son activité dans un cadre purement industriel et commercial, ne réunirait pas ces conditions.

32. L'Irlande admet que, dès lors que l'État irlandais détient la quasi-totalité des actions de l'office des forêts, celui-ci relève de la notion communautaire d'«entreprise publique». Toutefois, cela ne serait pas pertinent en l'espèce, car, selon le gouvernement requérant, le règlement n° 2080/92 identifie les catégories de bénéficiaires des mesures d'aide qu'il prévoit sur la seule base de leur statut juridique, indépendamment de qui en est le propriétaire.

33. À titre subsidiaire par rapport aux considérations qui précèdent, l'Irlande affirme ensuite que, même si l'office des forêts n'était pas une «personne physique ou morale de droit privé» au sens du règlement n° 2080/92, il ne pourrait de toute façon pas être considéré comme une «autorité publique» au sens de l'article 2, paragraphe 3, dudit règlement. À cet égard, l'Irlande conteste la référence faite par la Commission aux arrêts Commission/Irlande et Connemara Machine Turf , qui ont considéré l'office des forêts comme un «pouvoir adjudicateur» au sens de la réglementation en matière de marchés publics de fournitures [directive 77/62/CEE du Conseil, du 21 décembre 1976, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fourniture (JO 1977, L 13, p. 1)]. En premier lieu, selon le gouvernement irlandais, ces arrêts ne seraient pas pertinents en l'espèce, car il n'existerait pas de notion unitaire d'«autorité publique» en droit communautaire. En second lieu, lesdits arrêts auraient été rendus per incuriam, la Cour ayant commis une erreur, que ce soit en appliquant une approche dite «fonctionnelle» à la détermination de la position juridique de l'office des forêts ou en retenant que l'État irlandais exerce un contrôle au moins indirect sur l'adjudication des marchés publics de fournitures par ledit office.

34. Pour sa part, la Commission rappelle tout d'abord, de façon générale, que le règlement n° 2080/92 opère une distinction claire entre les aides destinées aux «personnes physiques et morales de droit privé» au sens de l'article 2, paragraphe 1, sous c), et celles accordées aux «autorités publiques» en vertu de l'article 2, paragraphe 3. Les sixième et septième considérants du règlement précisent clairement que les aides prévues à l'article 2, paragraphe 1, sous c), sont destinées aux exploitants agricoles et à d'autres personnes privées; en revanche, le huitième considérant situe les activités de boisement exercées par les autorités publiques dans un contexte différent. Si le législateur communautaire, fait observer la Commission, n'avait pas eu l'intention d'exclure les autorités publiques du bénéfice des aides en cause, la distinction qu'il a opérée à l'article 2, paragraphe 2, sous a) et b), entre les bénéficiaires des diverses mesures d'aide prévues par le règlement n° 2080/92 n'aurait aucun sens.

35. Ce rappel effectué, la Commission établit, en rapport avec la présente affaire, au moyen de références précises à la réglementation et à la pratique irlandaises, que, contrairement à ce que soutient la requérante, l'office des forêts est soumis, dans l'exercice de ses activités, à des pouvoirs effectifs de contrôle de l'État irlandais et qu'il n'est pas assimilable à une société privée ordinaire.

36. La Commission fait valoir enfin qu'il ressort des arrêts Commission/Irlande et Connemara Machine Turf que l'office des forêts est chargé d'assurer un service public. Non seulement celui-ci est propriétaire de douze parcs nationaux auxquels l'accès est gratuit, mais ses objectifs comprennent également l'aménagement d'installations à caractère récréatif, sportif, éducatif, scientifique et culturel.

Appréciation

37. À notre avis, pour déterminer si l'office des forêts était en droit de bénéficier de la prime destinée à compenser la perte de revenus, prévue à l'article 2, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 2080/92, il convient en premier lieu de comprendre le sens de la notion de «personne morale de droit privé» utilisée à l'article 2, paragraphe 2, sous b), dudit règlement. Ce n'est que lorsque la signification de cette notion aura été éclaircie qu'il sera possible de déterminer si l'office des forêts en relève et, partant, s'il a légitimement bénéficié de ladite prime.

38. Nous observons tout d'abord à cette fin que la notion en question ne peut être reconstruite par référence aux différents ordres juridiques des États membres. En effet, non seulement cette notion pourrait avoir un sens distinct d'un système à un autre, mais, comme l'a rappelé le gouvernement irlandais lui-même, elle pourrait être totalement méconnue dans d'autres ordres juridiques comme les systèmes irlandais et britannique et, de façon générale, les systèmes de «common law».

39. Dans une tentative de trouver malgré tout un point d'ancrage à la définition de cette notion dans son propre ordre juridique, le gouvernement irlandais soutient que l'on pourrait déduire de certaines versions linguistiques du règlement n° 2080/92 que la notion en cause coïncide avec celle de «private limited company» existant en droit des sociétés irlandais. Il est clair, toutefois, que, si cette interprétation était retenue, l'article 2, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 2080/92 risquerait de ne pas trouver à s'appliquer dans les États membres dans lesquels il n'existe pas de formes de société comparables à la «private limited company» irlandaise. Ce résultat serait contraire aux principes de l'effet utile et de l'application uniforme des dispositions du droit communautaire.

40. En réalité, comme dans de nombreux autres cas, la notion de «personne morale de droit privé» ne peut être, à notre sens, qu'une notion de droit communautaire, qui doit être interprétée par référence au contexte dans lequel elle est utilisée, c'est-à-dire à la lumière de l'objectif du règlement n° 2080/92 et des dispositions qu'il contient. Ce n'est que s'il s'avérait impossible d'interpréter ainsi le sens de cette notion que l'on pourrait éventuellement avoir recours à des expressions similaires figurant dans d'autres dispositions du droit communautaire.

41. Dans cette optique, nous estimons pouvoir partager l'interprétation que propose la Commission de la notion de «personne morale de droit privé» consacrée à l'article 2, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 2080/92. Comme l'a expliqué la Commission, cette expression reflète l'intention du législateur communautaire de limiter le bénéfice de la prime destinée à compenser les pertes de revenus découlant du boisement de surfaces agricoles aux seuls exploitants agricoles et aux personnes physiques et morales qui ne sont pas des émanations de l'État, ce qui exclut par conséquent de la catégorie des bénéficiaires non seulement les «autorités publiques» visées à l'article 2, paragraphe 3, du règlement, mais également tout autre organisme détenu par des fonds publics.

42. Cette exclusion, ainsi que l'explique la Commission, est justifiée par le fait que la prime en question s'inscrivait dans le cadre des initiatives visant à encourager l'abandon de la culture de surfaces agricoles. Pour en augmenter l'efficacité, le Conseil a reconnu non seulement aux exploitants agricoles, mais également à d'autres personnes privées la possibilité de bénéficier d'une telle mesure. Toutefois, le Conseil n'a jugé opportun d'étendre cette possibilité ni aux autorités publiques, qui peuvent, en tout état de cause, bénéficier des aides visant à couvrir les coûts de boisement, prévues à l'article 2, paragraphe 3, du règlement, ni aux entreprises publiques, qui peuvent bénéficier des aides destinées à couvrir les coûts de boisement et les coûts d'entretien des surfaces boisées, visées à l'article 2, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement.

43. Que ce soit là l'intention du législateur, observe à juste titre la Commission, découle d'ailleurs des sixième et septième considérants du règlement, qui clarifient les motifs ayant conduit le Conseil à créer la prime destinée à compenser les pertes de revenus, prévue à l'article 2, paragraphe 1, sous c), du règlement.

44. Le sixième considérant mentionne l'opportunité d'introduire des «primes destinées à compenser la perte de revenu pendant la période non productive des superficies agricoles boisées des agriculteurs». Le septième considérant ajoute que, étant donné que «[...] des personnes privées autres que des exploitants agricoles sont en mesure de procéder aux boisements des terres agricoles [...] il s'avère opportun de prévoir des mesures d'incitation s'adressant à cette catégorie de personnes [en introduisant] une prime par hectare à octroyer à d'autres personnes privées que des exploitants agricoles procédant à un boisement des terres agricoles» . Or il nous paraît clair qu'ici l'expression «personnes privées» ne peut désigner ni les autorités publiques ni les «entreprises publiques», à savoir les entreprises dont la gestion se caractérise par l'influence, même potentielle, de l'État .

45. Interprétée dans cette optique, la notion de «personne morale de droit privé» utilisée à l'article 2, paragraphe 2, sous b), du règlement ne peut que désigner, à notre sens, toute personne morale qui ne fait pas partie, ou qui n'est pas soumise à l'influence, même potentielle, de l'administration publique, et ce indépendamment de la forme juridique sous laquelle elle a été constituée.

46. À cet égard, il convient de relever qu'il est peu plausible que le législateur communautaire ait eu l'intention, comme l'affirme le gouvernement irlandais, de faire dépendre l'octroi de la prime en question de la seule forme juridique adoptée par les personnes morales propriétaires des surfaces agricoles. Outre que l'Irlande ne fournit aucune précision quant aux motifs pour lesquels le législateur communautaire aurait fait un tel choix, un système de sélection des bénéficiaires des aides qui se fonderait uniquement sur la forme juridique adoptée par ces derniers ne serait que de peu d'utilité, car, comme la Commission le souligne à juste titre, il serait trop facile à contourner. Nous estimons, par conséquent, que la qualification de «personne morale de droit privé» doit faire abstraction du statut juridique des personnes auxquelles elle se réfère.

47. Le sens de la notion de «personne morale de droit privé», consacrée à l'article 2, paragraphe 2, sous b), du règlement, étant maintenant défini, il n'est pas difficile d'en exclure, dans la présente affaire, l'office des forêts, étant donné que le gouvernement requérant lui-même a reconnu que cet office relevait de la notion communautaire d'«entreprise publique» . Comme nous avons tenté de l'expliquer plus haut, en effet, les entreprises publiques ne relèvent pas de la notion de «personne morale de droit privé» visée à l'article précédemment cité.

48. Ces précisions apportées, nous estimons pouvoir écarter la question de savoir si l'office des forêts est également une «autorité publique» au sens de l'article 2, paragraphe 3, du règlement ou un «organisme de droit public» au sens de la réglementation communautaire en matière de marchés publics. Si l'on admet que cet office est une entreprise publique et qu'il ne peut donc bénéficier, en vertu de l'article 2, paragraphe 2, sous b), de la prime prévue à l'article 2, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 2080/92, cette question perd toute pertinence aux fins du présent recours.

49. En conclusion, nous sommes d'avis, à la lumière des considérations qui précèdent, que les première et deuxième branches du second moyen ne sont pas fondées et qu'elles doivent être rejetées.

2. Sur la prétendue violation par la Commission de ses devoirs de coopération loyale et de bonne administration, ainsi que des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime

Arguments des parties

50. Ces griefs constituent, comme nous l'avons indiqué plus haut, les troisième et quatrième branches du second moyen.

51. Le gouvernement irlandais soutient que, à l'occasion des contacts entretenus de juillet à octobre 1992 en vue de l'élaboration du programme pluriannuel de boisement pour l'Irlande, les services de la Commission avaient exprimé des doutes quant à la possibilité pour l'office des forêts, étant donné son statut juridique particulier, de bénéficier des aides compensatoires prévues à l'article 2, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 2080/92 et avaient, en conséquence, demandé des éclaircissements à ce sujet. Lesdits éclaircissements auraient été fournis par lettre du 26 janvier 1993 adressée par M. O'Flaherty, du ministère de l'Agriculture, de l'Alimentation et des Forêts irlandais à M. Anz, chef de division à la direction générale «Agriculture» de la Commission. Cette lettre, selon le gouvernement requérant, contenait une description précise de la structure et du statut juridique de l'office des forêts et était accompagnée de la documentation pertinente à cet effet, et notamment de la loi sur la foresterie de 1988.

52. La Commission n'aurait jamais répondu à ladite lettre. Le 27 avril 1994, elle aurait toutefois approuvé le programme pluriannuel de boisement soumis par l'Irlande et, le 8 décembre suivant, l'Operational Programme for Agriculture, Rural Development and Forestry (ci-après le «programme opérationnel irlandais pour l'agriculture, le développement rural et la sylviculture») pour la période 1994-1999. Ces programmes, selon le gouvernement requérant, contenaient des références précises à l'office des forêts. Des références analogues à cet office en tant que bénéficiaire des aides communautaires dans le cadre des mesures de soutien au secteur sylvicole apparaîtraient en outre dans le Strategic Plan for the Development of the Forestry Sector in Ireland (ci-après le «plan stratégique pour le développement du secteur sylvicole en Irlande») de 1996, qui aurait été accueilli favorablement par la Commission, au point que M. Fischler lui-même, commissaire chargé de l'agriculture, en aurait signé la préface.

53. Dans le cadre des programmes susmentionnés, précise ensuite le gouvernement irlandais, les aides compensatoires prévues à l'article 2, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 2080/92 ont été versées à l'office des forêts. Jusqu'en 1997, le FEOGA n'aurait opposé aucune difficulté au remboursement de la part de cofinancement communautaire des aides en question, et les services de la Commission n'auraient à aucun moment soulevé d'objections à cet égard au cours des vérifications concernant le secteur sylvicole effectuées en Irlande.

54. L'Irlande souligne que, dans de telles circonstances, la Commission avait l'obligation stricte de l'informer de tout doute qu'elle nourrissait quant à la possibilité d'accorder des aides à l'office en vertu de l'article 2, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 2080/92. L'inaction de la Commission au cours de la période précédant l'adoption de la décision attaquée entraîne, de l'avis de l'Irlande, une violation des principes de sécurité juridique et de bonne administration, au respect desquels la Commission est tenue dans l'administration et la gestion du FEOGA. Un tel comportement, fait valoir l'Irlande, constitue également une violation du devoir de coopération loyale que l'article 10 CE impose, comme la Cour l'a reconnu dans l'affaire Zwartveld e.a. , non seulement aux États membres vis-à-vis des institutions communautaires, mais également à ces dernières vis-à-vis des États membres.

55. Enfin, selon le gouvernement irlandais, il découle des circonstances décrites ci-dessus que la décision attaquée enfreint également le principe de protection de la confiance légitime. En effet, bien que la Commission ait eu connaissance du statut juridique de l'office des forêts et de l'intention des autorités irlandaises d'accorder à ce dernier des aides destinées à compenser les pertes de revenus, elle n'aurait jamais soulevé d'objections à cet égard et aurait, au contraire, approuvé les programmes de boisement présentés. L'Irlande en aurait légitimement déduit que la Commission considérait les aides en question comme conformes à la réglementation communautaire. À son tour, l'office des forêts se serait fié à la légalité de ces aides, contractant des prêts pour financer ses activités, dont le remboursement serait assuré par la perception des aides en question. S'il se voyait maintenant contraint de renoncer à ces prêts, voire de les rembourser, l'office des forêts s'exposerait à de lourdes pertes qui l'obligeraient à réduire certaines de ses activités, parmi lesquelles celles que le règlement n° 2080/92 vise à encourager.

56. Pour sa part, la Commission nie que l'absence de réponse à la lettre du 26 janvier 1993 puisse être interprétée comme une approbation implicite de l'intention manifestée par les autorités irlandaises de verser à l'office des forêts les primes destinées à compenser les pertes de revenus, prévues à l'article 2, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 2080/92. À l'appui de ses arguments, la Commission invoque l'arrêt de la Cour dans l'affaire Cooke , dont il conviendrait de déduire le principe selon lequel l'absence de réponse de la Commission aux demandes d'un État membre concernant l'interprétation par cet État membre d'une réglementation communautaire n'autorise pas ce dernier à conclure que cette interprétation est correcte. Par ailleurs, poursuit la défenderesse, la lettre du 26 janvier 1993 n'aurait en aucun cas permis d'établir que l'office des forêts est effectivement une «personne morale de droit privé» au sens de l'article 2, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 2080/92, car elle ne contenait pas d'informations complètes sur les relations existant entre cet organisme et le gouvernement irlandais. C'est dans ce contexte que doit être considérée, selon la Commission, l'absence de réponse à ladite lettre.

57. À part cette lettre, toutefois, la Commission souligne qu'elle n'a plus été sollicitée ensuite pour prendre position à ce sujet.

58. Enfin, s'agissant de l'approbation du programme national de boisement aux fins du règlement n° 2080/92, la Commission fait valoir que cette circonstance ne peut en aucun cas avoir suscité une confiance légitime dans le chef de l'Irlande, car, s'il est vrai que le programme en question mentionne l'office des forêts, cela n'indique absolument pas que cet organisme aurait bénéficié des aides compensatoires litigieuses.

Appréciation

59. À la lumière des arguments exposés, nous estimons qu'entrent essentiellement en ligne de compte ici le principe de protection de la confiance légitime et, à titre subsidiaire, le devoir de coopération loyale auquel la Commission est tenue en vertu de l'article 10 CE.

60. En ce qui concerne le principe de la confiance légitime, nous rappelons que, selon la jurisprudence du Tribunal, il peut être invoqué par quiconque «se trouve dans une situation de laquelle il ressort que l'administration communautaire, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître dans son chef des espérances fondées» . Plus spécifiquement, le Tribunal a affirmé que «le silence observé par la Commission [à l'égard d'une demande d'éclaircissement qui lui avait été adressée], pour regrettable qu'il soit, ne saurait [...] être considéré comme une assurance précise fournie par l'administration» propre à créer une situation de confiance légitime .

61. À la lumière de cette jurisprudence, nous sommes d'avis que l'Irlande ne peut invoquer la violation du principe de la confiance légitime. Sur la base des éléments fournis par les parties, il nous paraît évident que la Commission n'a jamais donné d'«assurances précises» à l'Irlande quant au fait que l'office des forêts était en droit de bénéficier des primes destinées à compenser les pertes de revenus, prévues à l'article 2 du règlement n° 2080/92. Au contraire, la seule fois où, avant l'ouverture de la procédure ayant conduit à l'adoption de la décision attaquée, les fonctionnaires de la Commission se sont prononcés à ce sujet, à savoir pendant les réunions bilatérales tenues avec les fonctionnaires du gouvernement irlandais au cours de la seconde moitié de 1992, cela a été pour soulever des doutes et certainement pas pour fournir des assurances sur le droit de l'office des forêts à recevoir lesdites primes .

62. Nous excluons donc que des «assurances précises» à cet effet puissent être déduites du comportement adopté par la Commission après la réception de la lettre du 26 janvier 1993.

63. En ce qui concerne, tout d'abord, l'absence de réponse à cette lettre, il nous semble évident que celle-ci ne peut constituer une «assurance précise» fournie au gouvernement irlandais quant au droit de l'office des forêts de percevoir les primes prévues à l'article 2, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 2080/92. Comme l'a déclaré le Tribunal dans l'arrêt précité, l'absence de réponse de la Commission à une lettre, pour déplorable qu'elle soit, n'est pas en soi de nature à susciter une confiance légitime dans le chef de la personne qui l'a envoyée .

64. L'approbation, par la Commission, du programme pluriannuel de boisement (annexe 5 de la requête), du programme opérationnel irlandais pour l'agriculture, le développement rural et la sylviculture (annexe 6 de la requête) et du plan stratégique pour le développement du secteur sylvicole en Irlande (annexe 7 de la requête) ne peut pas non plus être considérée, à nos yeux, comme une «assurance précise» fournie par la Commission à l'Irlande au sujet de la légalité du versement des primes en question.

65. En ce qui concerne le plan pluriannuel de boisement, l'Irlande n'a pas contesté l'objection de la Commission selon laquelle il ne contenait aucune référence expresse à l'office des forêts.

66. S'agissant ensuite des deux autres programmes, s'il est vrai, ainsi que la Commission l'a relevé à juste titre, que l'office des forêts y est mentionné, il ne l'est toutefois pas en qualité de bénéficiaire potentiel des aides spécifiquement prévues à l'article 2, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 2080/92. Or, comme nous l'avons expliqué plus haut, en vertu de ce règlement, les entreprises publiques peuvent bénéficier de diverses catégories d'aides, en particulier des aides prévues à l'article 2, paragraphe 1, sous a) et b). En conséquence, le fait que l'office des forêts soit mentionné dans ces programmes n'est certainement pas suffisant pour conclure que leur approbation par la Commission constitue une «assurance précise» fournie au gouvernement irlandais quant à la possibilité de verser à cet office les primes destinées à compenser les pertes de revenus, prévues à l'article 2, paragraphe 1, sous c).

67. Nous aurions été d'un avis opposé si, au moment de la présentation formelle à la Commission du programme de boisement, intervenue en juillet 1993, le gouvernement irlandais avait confirmé clairement, malgré les doutes soulevés par les fonctionnaires de la Commission et l'absence, jusqu'alors, d'une réponse à la lettre du 26 janvier 1993, son intention de verser à l'office des forêts la prime en question. Dans cette hypothèse, l'approbation du programme par la Commission aurait sans aucun doute fait naître une confiance légitime dans le chef de l'Irlande, dès lors que, conformément à l'article 5, paragraphe 2, du règlement n° 2080/92, la Commission, lorsqu'elle examine de tels programmes, doit «déterminer leur conformité avec [ledit] règlement, compte tenu des objectifs de celui-ci et du lien entre les différentes mesures».

68. Quant à l'affirmation du gouvernement irlandais selon laquelle les fonctionnaires de la Commission ont eu connaissance du versement desdites primes avant la vérification qui a donné lieu à la décision attaquée, mais n'auraient soulevé aucune objection, nous relevons qu'elle est contestée par la Commission et que l'Irlande n'apporte aucune preuve en ce sens.

69. Pour les raisons qui précèdent, nous sommes d'avis que, en adoptant la décision attaquée, la Commission n'a pas méconnu le principe de la confiance légitime.

70. Cela étant, il reste encore à examiner si, comme le soutient l'Irlande, la Commission, en ne répondant pas à la lettre du 26 janvier 1993, a tout au moins enfreint le principe de coopération loyale consacré à l'article 10 CE.

71. À cet égard, nous observons tout d'abord que, comme il ressort de ce qui précède, l'Irlande ne pouvait pas déduire de cette absence de réponse de la Commission la conviction que les primes qu'elle entendait verser à l'office des forêts étaient légales. Nous ne voyons donc pas comment ce comportement pourrait empêcher la Commission d'exclure du financement FEOGA les dépenses effectuées par l'Irlande en violation du règlement n° 2080/92.

72. Au demeurant, il nous semble que la Cour s'est prononcée dans le même sens, bien que dans un contexte partiellement différent, dans l'affaire Commission/Royaume-Uni (C-56/90) . Dans cet arrêt, la Cour a affirmé qu'un État membre tenu de mettre en oeuvre une directive ne peut déduire du fait que, dans un premier temps, la Commission est restée inactive face à une communication qu'il lui avait adressée sur la manière dont il entendait assurer cette mise en oeuvre, que cette institution, en l'absence d'une obligation, fondée sur une disposition de la directive, de réagir dans un délai déterminé, aurait approuvé les termes de cette communication. Selon la Cour, c'est à la Commission qu'il appartient de décider du moment où elle entend formuler des objections et rien ne l'empêche d'engager ultérieurement une procédure en manquement.

73. Au-delà de ces considérations, il nous paraît en tout état de cause opportun de rappeler que, s'il est vrai, comme l'a relevé le gouvernement irlandais, que l'article 10 CE impose aux institutions communautaires elles aussi un devoir de coopération loyale avec les États membres , il est également important de souligner que cette obligation revêt, par nature, un caractère réciproque.

74. Or, même en admettant que la Commission ait méconnu cette obligation en ne répondant pas à la lettre du 26 janvier 1993 , l'Irlande a commis la même violation en se comportant, après l'envoi de cette lettre, comme elle l'a fait.

75. En effet, bien que spécifiquement tenue, en vertu de l'article 8, paragraphe 1, du règlement n° 729/70, qui reflète, au demeurant, l'article 10 CE , de prendre les mesures nécessaires pour s'assurer de la régularité, au regard de la réglementation communautaire, de son programme de boisement, elle a omis, au moment de présenter ce dernier à la Commission, en juillet 1993, d'indiquer de manière précise le type d'aides qu'elle entendait accorder à l'office des forêts. Cette omission a empêché la Commission de se prononcer formellement, comme il est prévu à l'article 5, paragraphe 2, du règlement n° 2080/92, sur la conformité desdites aides à ce règlement.

76. Pour les raisons qui précèdent, nous sommes d'avis qu'aucune des branches du second moyen n'est fondée et, partant, que ce moyen doit être rejeté avec l'ensemble du recours.

IV - Sur les dépens

77. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens si la demande en est faite. La Commission ayant conclu en ce sens et au vu de ce que nous avons indiqué sur l'issue du recours, nous estimons qu'il y a lieu d'accueillir cette demande.

V - Conclusions

78. Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de déclarer que:

«1) Le recours est rejeté.

2) L'Irlande est condamnée aux dépens.»