Affaire T-61/99


Adriatica di Navigazione SpA
contre
Commission des Communautés européennes


«Concurrence – Article 85, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 81,paragraphe 1, CE) – Définition du marché en cause – Motivation – Accord de fixation de prix – Preuve de la participation à l'entente – Preuve de la distanciation – Principe de non-discrimination – Amendes – Critères de détermination»

Arrêt du Tribunal (cinquième chambre) du 11 décembre 2003
    

Sommaire de l'arrêt

1.
Concurrence – Ententes – Délimitation du marché – Objet – Appréciation de l’impact de l’entente sur le jeu de la concurrence et les échanges entre États membres – Conséquences quant aux griefs articulés à son égard

[Traité CE, art. 85 et 86 (devenus art. 81 CE et 82 CE)]

2.
Concurrence – Procédure administrative – Décision de la Commission – Identification des infractions sanctionnées – Priorité revenant au dispositif par rapport à la motivation

[Traité CE, art. 85 et 86 (devenus art. 81 CE et 82 CE)]

3.
Actes des institutions – Motivation – Obligation – Portée

(Art. 253 CE)

4.
Concurrence – Ententes – Pratique concertée – Notion – Coordination et coopération incompatibles avec l’obligation pour chaque entreprise de déterminer de manière autonome son comportement sur le marché

[Traité CE, art. 85, § 1 (devenu art. 81, § 1 CE)]

5.
Concurrence – Ententes – Participation à des réunions d’entreprises ayant un objet anticoncurrentiel – Circonstance permettant, en l’absence de distanciation par rapport aux décisions prises, de conclure à la participation à l’entente subséquente

[Traité CE, art. 85, § 1 (devenu art. 81, § 1 CE)]

6.
Concurrence – Ententes – Accords entre entreprises – Preuve de la durée de l’infraction à la charge de la Commission

[Traité CE, art. 85, § 1 (devenu art. 81, § 1, CE)]

7.
Concurrence – Amendes – Montant – Marge d’appréciation réservée à la Commission

(Règlement du Conseil nº 4056/86, art. 19, § 2)

8.
Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Critères – Gravité des infractions – Respect des principes de proportionnalité et d’équité

(Règlement du Conseil nº 4056/86, art. 19, § 2)

9.
Concurrence – Amendes – Montant – Réduction du montant de l’amende en contrepartie d’une coopération – Recours en annulation – Nouvelle appréciation de l’ampleur de la réduction – Exclusion

(Règlement du Conseil nº 17, art. 15)

1.
La définition du marché en cause ne joue pas le même rôle selon qu’il s’agit d’appliquer l’article 85 ou l’article 86 du traité (devenus articles 81 CE et 82 CE). Dans le cadre de l’application de l’article 86, la définition adéquate du marché en cause est une condition nécessaire et préalable au jugement porté sur un comportement prétendument anticoncurrentiel, puisque, avant d’établir l’existence d’un abus de position dominante, il faut établir l’existence d’une position dominante sur un marché donné, ce qui suppose que ce marché ait été préalablement délimité. Dans le cadre de l’application de l’article 85, c’est pour déterminer si l’accord, la décision d’association d’entreprises ou la pratique concertée en cause est susceptible d’affecter le commerce entre États membres et a pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun qu’il faut définir le marché en cause. C’est la raison pour laquelle, dans le cadre de l’application de l’article 85, paragraphe 1, du traité, les griefs formulés à l’encontre de la définition du marché retenue par la Commission ne sauraient revêtir une dimension autonome par rapport à ceux relatifs à l’affectation du commerce entre États membres et à l’atteinte à la concurrence. La contestation de la définition du marché pertinent est donc inopérante si la Commission a conclu à juste titre, sur la base des documents mentionnés dans sa décision, que l’accord en question faussait la concurrence et était susceptible d’affecter de façon sensible le commerce entre États membres.

Il n’en demeure pas moins que des griefs à l’encontre de la définition du marché en cause peuvent viser d’autres éléments propres à l’application de l’article 85, paragraphe 1, du traité, tels que la portée de l’entente en question, son caractère unique ou global ainsi que la portée de la participation individuelle de chacune des entreprises concernées, lesquels sont des éléments intimement liés au principe de la responsabilité personnelle pour la commission d’infractions collectives. Il est donc souhaitable que la Commission, lorsqu’elle adopte une décision constatant la participation d’une entreprise à une infraction complexe, collective et ininterrompue, comme le sont souvent les cartels, au-delà de la vérification du respect des conditions spécifiques d’application de l’article 85, paragraphe 1, du traité, prenne en considération le fait que, si une telle décision doit entraîner la responsabilité personnelle de chacun de ses destinataires, c’est uniquement pour leur participation établie aux comportements collectifs sanctionnés et correctement délimités. Une telle décision étant susceptible de générer des conséquences importantes sur les relations des entreprises concernées non seulement vis-à-vis de l’administration, mais également vis-à-vis des tiers, il convient que la Commission examine le ou les marchés en cause et les identifie dans les motifs de la décision de manière suffisamment précise.

(voir points 27, 30-32)

2.
C’est par le dispositif des décisions que la Commission indique la nature et l’étendue des infractions aux articles 85 ou 86 du traité (devenus articles 81 CE et 82 CE) qu’elle sanctionne. En principe, s’agissant précisément de la portée et de la nature des infractions sanctionnées, c’est le dispositif, et non les motifs, qui importe. C’est uniquement dans le cas d’un manque de clarté des termes utilisés dans le dispositif qu’il convient d’interpréter ce dernier en ayant recours aux motifs. Dès lors, en vue de déterminer si la Commission a sanctionné une infraction unique ou deux infractions distinctes, il convient de s’en tenir au dispositif de cette décision, lorsque celui-ci ne prête pas au doute.

(voir points 43, 45)

3.
La motivation d’une décision faisant grief doit permettre l’exercice effectif du contrôle de sa légalité et fournir à l’intéressé les indications nécessaires pour savoir si la décision est ou non bien fondée. Le caractère suffisant d’une telle motivation doit être apprécié en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte en cause, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires peuvent avoir à recevoir des explications.

(voir point 47)

4.
Pour qu’il y ait accord, au sens de l’article 85, paragraphe 1, du traité (devenu article 81, paragraphe 1, CE), il suffit que les entreprises en cause aient exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d’une manière déterminée.

Les critères de coordination et de coopération, loin d’exiger l’élaboration d’un véritable «plan», doivent être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du traité relatives à la concurrence et selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché commun. S’il est exact que cette exigence d’autonomie n’exclut pas le droit des opérateurs économiques de s’adapter intelligemment au comportement constaté ou à escompter de leurs concurrents, elle s’oppose cependant rigoureusement à toute prise de contact directe ou indirecte entre de tels opérateurs ayant pour objet ou pour effet soit d’influencer le comportement sur le marché d’un concurrent actuel ou potentiel, soit de dévoiler à un tel concurrent le comportement que l’on a décidé ou que l’on envisage de tenir soi-même sur le marché.

(voir points 88-89)

5.
Dès lors qu’il a été établi qu’une entreprise a participé à des réunions entre entreprises à caractère manifestement anticoncurrentiel, il incombe à cette entreprise d’avancer des indices de nature à établir que sa participation auxdites réunions était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel, en démontrant qu’elle a indiqué à ses concurrents qu’elle y participait dans une optique différente de la leur. En l’absence d’une telle preuve de distanciation, le fait que cette entreprise ne se conforme pas aux résultats de ces réunions n’est pas de nature à la priver de sa pleine responsabilité du fait de sa participation à l’entente.

La notion de distanciation publique en tant qu’élément d’exonération de la responsabilité doit, elle-même, être interprétée de manière restrictive.

À cet égard, le fait d’adopter des instructions internes clarifiant la volonté de l’entreprise de ne pas s’aligner avec les concurrents participant à une entente constitue une mesure d’organisation interne et ne saurait dès lors, en l’absence de preuves d’une extériorisation de telles instructions internes, suffire à apporter la preuve de la distanciation.

(voir points 91, 112, 118, 135-136)

6.
S’agissant de la durée alléguée d’une infraction aux règles de concurrence, le principe de sécurité juridique impose que, en l’absence d’éléments de preuve susceptibles d’établir directement la durée de l’infraction, la Commission invoque, au moins, des éléments de preuve qui se rapportent à des faits suffisamment rapprochés dans le temps, de façon à ce qu’il puisse être raisonnablement admis que cette infraction s’est poursuivie de façon ininterrompue entre deux dates précises.

(voir point 125)

7.
La Commission dispose, dans le cadre du règlement nº 4056/86, déterminant les modalités d’application des articles 85 et 86 du traité aux transports maritimes, d’une marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes, afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence.

(voir point 170)

8.
Dès lors que, dans une décision unique, la Commission a sanctionné deux infractions distinctes, des raisons d’équité et de proportionnalité commandent qu’une entreprise n’ayant participé qu’à une seule infraction soit condamnée moins sévèrement que celles ayant participé aux deux. Il s’ensuit que, en ayant calculé les amendes à partir d’un montant de base unique pour toutes les entreprises, modulé en fonction de leur taille respective, mais sans faire aucune distinction en fonction de leur participation à une ou à deux des infractions sanctionnées, la Commission a fait subir à l’entreprise n’ayant été déclarée responsable que d’avoir participé à une entente une amende disproportionnée par rapport à l’importance de l’infraction commise.

(voir points 189-192)

9.
Le risque qu’une entreprise ayant bénéficié d’une réduction du montant de l’amende, en contrepartie de sa coopération, forme ultérieurement un recours en annulation contre la décision constatant l’infraction aux règles de la concurrence et sanctionnant l’entreprise responsable à ce titre et obtienne gain de cause devant le Tribunal en première instance ou devant la Cour en cassation est une conséquence normale de l’exercice des voies de recours prévues par le traité et le statut de la Cour. Dès lors, le seul fait que l’entreprise ayant coopéré avec la Commission et bénéficié d’une réduction du montant de son amende à ce titre ait obtenu judiciairement gain de cause ne saurait justifier une nouvelle appréciation de l’ampleur de la réduction qui lui a été accordée.

(voir point 209)




ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)
11 décembre 2003(1)

«Concurrence – Article 85, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 81, paragraphe 1, CE) – Définition du marché en cause – Motivation – Accord de fixation de prix – Preuve de la participation à l'entente – Preuve de la distanciation – Principe de non-discrimination – Amendes – Critères de détermination»

Dans l'affaire T-61/99,

Adriatica di Navigazione SpA, établie à Venise (Italie), représentée par Mes U. Feraro, M. Siragusa et F. M. Moretti, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. R. Lyal et Mme L. Pignataro, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision 1999/271/CE de la Commission, du 9 décembre 1998, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/34.466 – Transbordeurs grecs) (JO 1999, L 109, p. 24),



LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),



composé de MM. J. D. Cooke, président, R. García-Valdecasas et Mme P. Lindh, juges,

greffier: M. J. Plingers, administrateur,

rend le présent



Arrêt




Faits à l’origine du recours

1
La requérante, Adriatica di Navigazione SpA, est une société maritime à participation publique qui exerce son activité de transport de passagers, de véhicules particuliers et de véhicules utilitaires entre la Grèce et l’Italie sur la ligne Brindisi-Corfou-Igoumenitsa-Patras. Elle est la seule société italienne à assurer un tel type de service de transport par transbordeurs rouliers entre la Grèce et l’Italie.

2
À la suite d’une plainte adressée par un usager, selon laquelle les tarifs des transbordeurs étaient très semblables sur les lignes maritimes entre la Grèce et l’Italie, la Commission, agissant en vertu de l’article 18, paragraphe 3, du règlement (CEE) n° 4056/86 du Conseil, du 22 décembre 1986, déterminant les modalités d’application des articles 85 et 86 du traité aux transports maritimes (JO L 378, p. 4), a procédé à des vérifications dans les bureaux de six exploitants de transbordeurs, à raison de cinq en Grèce et de un en Italie.

3
Par décision du 21 février 1997, la Commission a ouvert une procédure formelle en envoyant une communication des griefs à neuf sociétés, dont la requérante.

4
Le 9 décembre 1998, la Commission a adopté la décision 1999/271/CE, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CE (IV/34.466 – Transbordeurs grecs) (JO 1999, L 109, p. 24, ci-après la «Décision»).

5
La Décision comprend les dispositions suivantes:

«Article premier

1. Minoan Lines, Anek Lines, Karageorgis Lines, Marlines et Strintzis Lines ont enfreint l’article 85, paragraphe 1, du traité CE en s’accordant sur les prix à appliquer aux services de transbordeurs rouliers entre Patras et Ancône.

La durée des infractions est la suivante:

a)
dans le cas de Minoan Lines et Strintzis Lines, du 18 juillet 1987 à juillet 1994;

b)
dans le cas de Karageorgis Lines, du 18 juillet 1987 au 27 décembre 1992;

c)
dans le cas de Marlines SA, du 18 juillet 1987 au 8 décembre 1989;

d)
dans le cas d’Anek Lines, du 6 juillet 1989 à juillet 1994.

2. Minoan Lines, Anek Lines, Karageorgis Lines, Adriatica di Navigazione SpA, Ventouris Group Enterprises SA et Strintzis Lines ont enfreint l’article 85, paragraphe 1, du traité CE en s’accordant sur les niveaux de prix devant être appliqués aux véhicules utilitaires sur les lignes de Patras à Bari et Brindisi.

La durée des infractions est la suivante:

a)
dans le cas de Minoan Lines, Ventouris Group Enterprises SA et Strintzis Lines, du 8 décembre 1989 à juillet 1994;

b)
dans le cas de Karageorgis Lines, du 8 décembre 1989 au 27 décembre 1992;

c)
dans le cas d’Anek Lines, du 8 décembre 1989 à juillet 1994;

d)
dans le cas d’Adriatica di Navigazione SpA, du 30 octobre 1990 à juillet 1994.

Article 2

Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises suivantes pour l’infraction constatée à l’article 1er:

Minoan Lines: une amende de 3,26 millions d’écus,

Strintzis Lines: une amende de 1,5 million d’écus,

Anek Lines: une amende de 1,11 million d’écus,

Marlines SA: une amende de 0,26 million d’écus,

Karageorgis Lines: une amende de 1 million d’écus,

Ventouris Group Enterprises SA: une amende de 1,01 million d’écus,

Adriatica di Navigazione SpA: une amende de 0,98 million d’écus.

[...]»

6
La Décision a été adressée à sept entreprises: Minoan Lines, établie à Héraklion, Crète (Grèce) (ci-après «Minoan»), Strintzis Lines, établie au Pirée (Grèce) (ci-après «Strintzis»), Anek Lines, établie à Hania, Crète (ci-après «Anek»), Marlines SA, établie au Pirée (ci-après «Marlines»), Karageorgis Lines, établie au Pirée (ci-après «Karageorgis»), Ventouris Group Enterprises SA, établie au Pirée (ci-après «Ventouris Ferries»), et Adriatica di Navigazione SpA, établie à Venise (Italie) (ci-après la «requérante»).


Procédure et conclusions des parties

7
Par requête enregistrée au greffe du Tribunal le 1er mars 1999, la requérante a introduit un recours en annulation à l’encontre de la Décision.

8
Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, a demandé à la Commission de répondre par écrit à des questions et de produire certains documents. La Commission a déféré à ces demandes dans le délai imparti.

9
Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal à l’audience qui s’est déroulée le 3 juillet 2002.

10
La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal:

annuler la Décision, en tout ou en partie, pour ce qui concerne la requérante; à titre subsidiaire,

annuler l’amende infligée à la requérante ou réduire son montant;

condamner la Commission aux dépens.

11
La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal:

rejeter le recours comme non fondé;

condamner la requérante aux dépens.


En droit

12
Dans ses conclusions principales, tendant à l’annulation de la Décision, la requérante soutient que la Commission a commis une série d’erreurs en estimant qu’elle avait violé l’article 85, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 81, paragraphe, 1 CE).Dans le cadre d’un premier moyen, elle fait valoir que la Décision est entachée d’un défaut de motivation en ce qui concerne la définition du marché en cause et d’une contradiction entre l’exposé des motifs et le dispositif. Par son deuxième moyen, elle soutient que la Commission n’a pas établi à suffisance de droit sa participation à l’entente qui lui est reprochée dans la Décision. Dans le cadre de sa première branche, elle invoque une appréciation erronée des pièces retenues comme éléments à charge et une imputation erronée de l’infraction. Dans le cadre de sa deuxième branche, elle invoque une erreur de qualification de l’infraction commise. Le troisième moyen est tiré d’une violation des principes d’équité et d’égalité de traitement dans l’imputation de l’infraction aux entreprises assurant la même ligne que la requérante. Le quatrième moyen est tiré d’une application erronée de l’article 85 du traité en l’absence de préjudice grave au commerce entre États membres.

13
À l’appui de ses conclusions subsidiaires, tendant à l’annulation ou à la réduction de l’amende, la requérante invoque un cinquième moyen pris de la violation de l’article 19 du règlement n° 4056/86, la Commission lui ayant infligé une amende disproportionnée et ayant apprécié de façon erronée tant la gravité que la durée de l’infraction.

I –  Sur les conclusions tendant à l’annulation de la Décision

Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 85 du traité et de l’article 190 du traité CE (devenu article 253 CE), en ce que la Décision est entachée d’un défaut de motivation en ce qui concerne la définition du marché en cause et d’une contradiction entre l’exposé des motifs et le dispositif

Arguments des parties

14
La requérante reproche à la Commission d’avoir adopté la Décision à partir d’une définition erronée et incomplète du marché en cause en omettant, sans justification, de prendre en compte les différences fondamentales existant entre les lignes exploitées, entre les opérateurs présents sur ces lignes et entre les différents types de services offerts. Elle fait valoir que cette définition erronée a affecté très négativement sa position dans la présente espèce, en tant qu’entreprise assurant uniquement une des lignes visées par la Décision et tirant 90 % de son chiffre d’affaires du transport de passagers, un service non couvert par la Décision. Selon la requérante, ces spécificités auraient dû être prises en compte de façon à limiter sa responsabilité éventuelle eu égard à la ligne qu’elle exploite.

15
Plus précisément, elle fait remarquer que le transport de fret et de véhicules utilitaires présente des spécificités par rapport au transport de passagers et de voitures particulières, en ce que le transport de fret tend à privilégier la fréquence du service même en basse saison. En outre, pour les clients de ce type de services, la proximité entre le port d’embarquement et de débarquement et les lieux de livraison des marchandises serait un facteur plus important que les tarifs. Le particulier, de son coté, se montrerait plus sensible à la qualité du service et/ou à son coût qu’à la fréquence (et à la distance) de celui-ci. Selon la requérante, la définition des trois lignes concernées comme constituant un marché géographique unique n’est pas suffisamment précise. Les trois lignes en question devraient être considérées comme des marchés géographiques partiellement séparés correspondant à des «réserves de clientèle» distinctes.

16
La requérante ajoute que la manière hâtive et superficielle dont la Décision a abordé les questions relatives au marché en cause constitue une violation de l’article 190 du traité. Elle fait observer, à cet égard, qu’il y a une contradiction entre l’exposé des motifs et le dispositif de la Décision en ce qui concerne la définition du marché en cause et la nature de l’infraction. Elle signale que, contrairement à certains passages des motifs dans lesquels les comportements reprochés sont présentés comme relevant d’une seule et même infraction unique et globale, le dispositif fait clairement la différence tant entre les types de services faisant l’objet d’ententes qu’entre les lignes concernées par les différents comportements reprochés. Elle soutient que cette manière de procéder a eu des conséquences sur le montant de l’amende qui lui a été infligée.

17
Plus précisément, la requérante critique le fait que la Commission la considère responsable d’une entente globale concernant non seulement le service de transport de fret et de véhicules utilitaires mais aussi celui de transport de passagers, et ceci non seulement pour la seule ligne qu’elle assure mais également pour toutes les lignes assurées de diverses manières par les autres sociétés destinataires de la Décision.

18
À cet égard, la requérante souligne les conséquences concrètes qu’entraîne une telle manière d’imputer les infractions. Il suffirait, en effet, de se référer au cas des usagers qui auraient éventuellement recouru aux services de la requérante au cours de la période litigieuse et qui, se prévalant de la Décision, laquelle a établi l’existence d’une entente visant à fixer les tarifs du transport maritime à un niveau déterminé – plus élevé qu’il ne l’aurait été, le cas échéant, en l’absence de la présumée entente –, décideraient d’introduire une action en réparation à l’encontre de la requérante. Or, si la Décision était maintenue (rebus sic stantibus), elle aboutirait à légitimer l’action des personnes qui ont fait appel aux services de la requérante pour le transport de passagers et, donc, pas uniquement des clients pour le transport de véhicules utilitaires. Dans ces circonstances, la requérante soutient que, dans la mesure où une définition erronée du marché de référence affecte l’attribution des responsabilités, une telle erreur constitue un manquement grave entachant nécessairement la validité de la Décision. La requérante ajoute que, si la Commission avait reconnu que les trois lignes visées par la Décision constituaient des marchés séparés, du moins pour ce qui est du transport de fret et des véhicules utilitaires, elle n’aurait pu étendre la responsabilité de la requérante aux services assurés par d’autres compagnies sur d’autres lignes. De plus, la gravité de l’infraction qui lui est imputable, le cas échéant, aurait inévitablement été moins importante, ce qui aurait eu des conséquences notables sur le montant de l’amende qui lui a été infligée.

19
La Commission conteste le bien-fondé de ce moyen faisant valoir que, dès lors qu’il existait des preuves suffisantes permettant de démontrer l’existence d’une infraction sur les trois lignes considérées (Ancône/Bari/Brindisi-Patras) dans leur ensemble, il n’était pas nécessaire qu’elle donne une définition différente du marché en cause. Elle ajoute, à cet égard, que la requérante n’indique pas de quelle façon une éventuelle erreur dans la définition du marché en cause entraînerait l’invalidité de la Décision.

20
La Commission considère que, du point de vue de l’offre des compagnies maritimes en question, les trois lignes considérées forment un seul et unique marché concerné, raison pour laquelle il n’était pas nécessaire d’analyser du point de vue de la demande l’éventuelle substituabilité des services de transport de passagers et de fret. Elle aurait effectivement constaté dans sa Décision que les ports d’Ancône, de Bari et de Brindisi sont substituables pour les services de transport par transbordeurs rouliers entre la Grèce et l’Italie, étant donné qu’ils présentent un certain degré d’interchangeabilité (voir considérant 5 de la Décision). En outre, aux considérants 3, 20, 29, 31, 34, 36, 97 et 144 de la Décision, elle aurait indiqué que, du point de vue de l’offre, le marché en cause est celui des services de transport par transbordeurs rouliers entre la Grèce et l’Italie. Enfin, la Commission souligne que l’accord conclu entre les compagnies maritimes portait sur tous les services «roll-on/roll-off» fournis entre la Grèce et l’Italie, sans tenir compte des lignes spécifiques assurées par chaque compagnie en particulier.

21
En ce qui concerne la définition du marché en cause du point de vue géographique, la Commission invoque l’arrêt du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappig e.a./Commission, dit arrêt «PVC II» (T-305/94 à T-307/94, T-313/94 à T-316/94, T-318/94, T-325/94, T-328/94, T-329/94 et T-335/94, Rec. p. II-931, point 773), dans lequel le Tribunal a affirmé qu’une entreprise peut être tenue pour responsable d’une entente globale, même si elle n’a participé directement qu’à un ou à plusieurs des éléments constitutifs de celle-ci, si elle savait que la collusion s’inscrivait dans un plan global destiné à fausser le jeu normal de la concurrence. En conséquence, la Commission soutient que le fait que la requérante ait participé à l’entente uniquement pour la ligne qu’elle exploitait n’écarte pas sa responsabilité pour l’ensemble de l’infraction étant donné qu’elle était au courant de l’existence d’un plan global des compagnies maritimes visant à fixer les prix (considérant 117 de la Décision). Ainsi, le fait qu’elle n’ait participé qu’à l’un des aspects de l’entente, relatif aux seuls services de transport fournis entre Brindisi et Patras, aurait uniquement des conséquences à l’égard de son degré de participation à l’accord et de sa responsabilité pour cet aspect de l’accord, mais ne jouerait aucun rôle dans la définition du marché concerné. À cet égard, elle renvoie aux considérants 111 et 144 de la Décision, dans lesquels il est indiqué que les accords devant être appliqués sur les lignes Patras-Bari et Patras-Brindisi faisaient partie d’un système collusoire plus étendu par lequel étaient fixés les tarifs des services de transbordeurs rouliers entre la Grèce et l’Italie et que, par conséquent, ces accords ne doivent pas être considérés comme des infractions distinctes, mais comme des aspects différents d’une infraction unique et continue.

22
La Commission en conclut que l’argument visant à démontrer une prétendue contradiction entre les motifs et le dispositif de la Décision doit être considéré comme dépourvu de pertinence et dépassé par la jurisprudence du Tribunal (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Cascades/Commission, T-308/94, Rec. p. II-925, point 156), selon laquelle les considérants d’une décision doivent être interprétés à la lumière de l’économie générale de la décision et de la communication des griefs.

23
La Commission se réfère également à la jurisprudence relative à la portée de l’obligation de motivation des décisions prises en application de l’article 85 du traité en ce qui concerne la définition du marché en cause. Elle cite, en particulier, l’arrêt du Tribunal du 21 février 1995, SPO e.a/Commission (T-29/92, Rec. p. II-289, point 74), dans lequel le Tribunal a estimé que la définition du marché en cause ne joue pas le même rôle selon qu’il s’agit d’appliquer l’article 85 du traité ou l’article 86 du traité CE (devenu article 82 CE).

24
La Commission estime que cette jurisprudence s’applique en l’espèce et fait observer qu’elle s’est limitée à motiver la Décision, pour ce qui est de la définition du marché en cause, dans la mesure où elle a jugé qu’il était nécessaire de le faire pour permettre au juge communautaire d’exercer son contrôle de légalité de la Décision, compte tenu du fait que la requérante, au cours de la procédure administrative, n’avait pas soulevé d’objection sur ce point. À cet égard, elle invoque la jurisprudence constante des juridictions communautaires selon laquelle la motivation d’une décision faisant grief doit permettre l’exercice effectif du contrôle de sa légalité et fournir à l’intéressé les indications nécessaires pour savoir si la décision est, ou non, bien fondée. Le caractère suffisant d’une telle motivation doit être apprécié en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte en cause, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires peuvent avoir à recevoir des explications (arrêt de la Cour du 29 février 1996, Belgique/Commission, C-56/93, Rec. p. I-723; arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Sarrió/Commission, T-334/94, Rec. p. II-1439, point 341, et du 14 mai 1998, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, T-354/94, Rec. p. II-2111, point 56). Ainsi, il ressortirait d’une lecture de la réponse de la requérante à la communication des griefs qu’elle n’avait contesté ni la définition du marché en cause présentée par la Commission aux points 3 à 6 de la communication des griefs ni l’appréciation de l’effet de l’accord sur le commerce entre États membres (point 55 de la communication des griefs).

Appréciation du Tribunal

25
Dans le cadre de ce premier moyen, la requérante reproche à la Commission d’avoir adopté une définition erronée et incomplète du marché en cause. Elle invoque ce moyen sous un double volet. D’une part, en critiquant la manière dont la Commission a défini le marché en cause, la requérante invoque une application erronée de l’article 85, paragraphe 1, du traité aux faits de l’espèce. D’autre part, elle soutient que la Commission a commis une violation de l’article 190 du traité en ce qu’il y aurait une contradiction entre l’exposé des motifs et le dispositif de la Décision.

A – Sur l’argument tiré d’une application erronée de l’article 85, paragraphe 1, du traité en l’absence d’une définition suffisante du marché en cause

26
La requérante reproche à la Commission d’avoir adopté la Décision sans avoir examiné au préalable le marché en cause en l’espèce. Elle considère que, si un tel examen avait été réalisé, la Commission aurait pu apprécier correctement les différences existant entre les divers types de services offerts par les entreprises opérant sur les diverses lignes maritimes unissant la Grèce et l’Italie. Ce premier volet du moyen soulève donc la question de savoir quel est le rôle à accorder à la définition du marché en cause lorsque la Commission applique l’article 85, paragraphe 1, du traité pour sanctionner une entente entre entreprises comme celle de l’espèce.

27
Il ressort de la jurisprudence du Tribunal que la définition du marché en cause ne joue pas le même rôle selon qu’il s’agit d’appliquer l’article 85 ou l’article 86 du traité. Dans le cadre de l’application de l’article 86, la définition adéquate du marché en cause est une condition nécessaire et préalable au jugement porté sur un comportement prétendument anticoncurrentiel (arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, SIV e.a./Commission, T-68/89, T-77/89 et T-78/89, Rec. p. II-1403, point 159), puisque, avant d’établir l’existence d’un abus de position dominante, il faut établir l’existence d’une position dominante sur un marché donné, ce qui suppose que ce marché ait été préalablement délimité. Dans le cadre de l’application de l’article 85, c’est pour déterminer si l’accord, la décision d’association d’entreprises ou la pratique concertée en cause est susceptible d’affecter le commerce entre États membres et a pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun qu’il faut définir le marché en cause. C’est la raison pour laquelle, dans le cadre de l’application de l’article 85, paragraphe 1, du traité, les griefs formulés à l’encontre de la définition du marché retenue par la Commission ne sauraient revêtir une dimension autonome par rapport à ceux relatifs à l’affectation du commerce entre États membres et à l’atteinte à la concurrence (arrêts du Tribunal SPO e.a/Commission, précité, point 75, et du 14 mai 1998, Enso Española/Commission, T-348/94, Rec. p. II-1875, point 232). Il a également été jugé que la contestation de la définition du marché pertinent est inopérante si la Commission a conclu à juste titre, sur la base des documents mentionnés dans la décision attaquée, que l’accord en question faussait la concurrence et était susceptible d’affecter de façon sensible le commerce entre États membres (arrêt du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T-25/95, T-26/95, T-30/95 à T-32/95, T-34/95 à T-39/95, T-42/95 à T-46/95, T-48/95, T-50/95 à T-65/95, T-68/95 à T-71/95, T-87/95, T-88/95, T-103/95 et T-104/95, Rec. p. II-491, point 1094).

28
Aux considérants 142 et 143 de la Décision, la Commission a exposé les raisons pour lesquelles, en l’espèce, l’accord en question faussait la concurrence et était susceptible d’affecter de façon sensible le commerce entre États membres. La Décision indique au considérant 142 que l’affectation de la concurrence par l’accord visé est établie car son objet consistait à imposer des prix communs et donc à restreindre la faculté des parties à agir en toute indépendance sur le marché. En ce qui concerne l’effet de cet accord sur le commerce entre États membres, au considérant 143 de la Décision, la Commission expose qu’en l’espèce l’accord visait les services de transbordeurs rouliers entre la Grèce et l’Italie, des lignes maritimes qui seraient devenues encore plus importantes en 1992 lorsque le début des hostilités dans l’ex- Yougoslavie a fermé les voies terrestres aux importations et aux exportations entre la Grèce et les autres États de l’Union européenne. Elle précise qu’en 1993 1 316 003 passagers et 213 839 véhicules utilitaires ont été transportés sur les lignes reliant la Grèce à l’Italie et que, sur ces totaux, 49 et 38 % ont été transportés sur la ligne Patras-Ancône, 35 % et 38 % sur la ligne Patras-Brindisi et 10 % et 19 % sur la ligne Patras-Bari. Elle ajoute que «[t]out accord qui affecte la demande d’un service entre deux États membres (par exemple, un accord fixant les niveaux de prix entre les principaux prestataires de ce service) est susceptible de détourner la demande au sein du groupe des entreprises impliquées dans l’accord, mais aussi des entreprises hors de ce groupe, et donc de modifier les modalités du commerce sur ce service entre les États membres».

29
Ces affirmations n’étant pas contestées, la Commission a conclu à juste titre, sur la base des documents mentionnés dans la Décision, que l’accord en question faussait la concurrence et était susceptible d’affecter de façon sensible le commerce entre États membres. Dès lors, à la lumière de la jurisprudence citée ci-dessus, la contestation de la définition du marché pertinent est inopérante en l’espèce dans la mesure où elle ne saurait conduire à démontrer que les conditions d’application de l’article 85, paragraphe 1, du traité ne sont pas remplies.

30
Il n’en demeure pas moins que, comme le démontre la requérante en l’espèce, des griefs à l’encontre de la définition du marché en cause, retenue par la Commission, peuvent viser d’autres éléments propres à l’application de l’article 85, paragraphe 1, du traité, tels que la portée de l’entente en question, son caractère unique ou global ainsi que la portée de la participation individuelle de chacune des entreprises concernées. Certes, ces éléments ne constituent pas des «conditions d’application» de l’article 85, paragraphe 1, du traité, expressément prévues dans le texte de cette disposition comme l’existence d’un «accord» entre entreprises, «l’affectation du commerce entre États membres» et «l’atteinte à la concurrence». Or, il s’agit d’éléments intimement liés au principe de la responsabilité personnelle pour la commission d’infractions collectives, reconnu expressément par la Cour dans son arrêt du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni (C-49/92 P, Rec. p. I-4125, point 78), ainsi qu’à des principes généraux du droit comme les principes de sécurité juridique et de proportionnalité.

31
Or, comme la requérante l’a souligné, les risques inhérents au fait que la Commission impute la participation d’une entreprise à des infractions complexes sans définir précisément le marché en cause ne sont pas négligeables. Un tel manque de précision pourrait en effet impliquer des conséquences importantes sur les relations entre des tiers et des entreprises destinataires d’une décision sanctionnant une entente. En effet, il est envisageable que, se prévalant du fait que la Décision considère établie l’existence d’une entente générale sur les prix, des clients des entreprises sanctionnées tentent d’obtenir la réparation des dommages engendrés par le fait d’avoir dû payer, au cours de la période en cause, des services de transport à des prix plus élevés que les prix concurrentiels.

32
Il est donc souhaitable que la Commission, lorsqu’elle adopte une décision constatant la participation d’une entreprise à une infraction complexe, collective et ininterrompue, comme le sont souvent les cartels, au-delà de la vérification du respect des conditions spécifiques d’application de l’article 85, paragraphe 1, du traité, prenne en considération le fait que, si une telle décision doit entraîner la responsabilité personnelle de chacun de ses destinataires, c’est uniquement pour leur participation établie aux comportements collectifs sanctionnés et correctement délimités. Une telle décision étant susceptible de générer des conséquences importantes sur les relations des entreprises concernées non seulement vis-à-vis de l’administration mais également vis-à-vis des tiers, il convient que la Commission examine le ou les marchés en cause et les identifie dans les motifs de la décision sanctionnant une infraction à l’article 85, paragraphe 1, du traité de manière suffisamment précise afin de saisir les conditions de fonctionnement du marché dans lequel la concurrence se trouve faussée, tout en répondant aux besoins essentiels de sécurité juridique.

33
Il y a lieu de relever, à cet égard, que, dans son arrêt SIV e.a./Commission, précité (point 159), le Tribunal a rejeté l’argument de la Commission selon lequel, dès lors que les preuves écrites des ententes en question étaient claires et explicites, elles rendaient tout à fait superflu n’importe quel type d’enquête sur la structure du marché. Le Tribunal a estimé que au contraire «la définition adéquate du marché en cause est une condition nécessaire et préalable à tout jugement porté sur un comportement prétendument anticoncurrentiel». L’importance d’un tel examen avait déjà été relevée par l’avocat général M. Darmon, dans ses conclusions sous l’arrêt de la Cour du 27 janvier 1987, Verband der Sachversicherer/Commission (45/85, Rec. p. 405, point 10) qui avait considéré ce qui suit:

«[La] réalisation [des trois conditions de l’interdiction prévue à l’article 85, paragraphe 1, du traité dans un cas déterminé] doit être vérifiée ‘par référence au cadre réel’ où se placent l’accord, la décision d’association ou la pratique concertée (5/69, Völk, Rec. 1969, p. 295, point 7). L’analyse du marché à prendre en considération pour l’application en l’espèce des dispositions de l’article 85, paragraphe 1, du traité apparaît, étant donné ses caractéristiques, comme un préalable nécessaire.»

34
Enfin, la Commission a elle-même souligné l’importance d’un tel examen dans sa Communication sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (JO 1997, C 372, p. 5), aux termes de laquelle:

«La présente communication a pour objet d’expliquer la manière dont la Commission applique le concept de marché de produits ou de marché géographique en cause, dans sa mise en oeuvre du droit communautaire de la concurrence [...] La définition du marché permet d’identifier et de définir le périmètre à l’intérieur duquel s’exerce la concurrence entre les entreprises. Elle permet d’établir le cadre dans lequel la Commission applique la politique de la concurrence. Son objet principal est d’identifier de manière systématique les contraintes que la concurrence fait peser sur les entreprises en cause. La définition d’un marché, au niveau tant des produits que de sa dimension géographique, doit permettre de déterminer s’il existe des concurrents réels, capables de peser sur le comportement des entreprises en cause ou de les empêcher d’agir indépendamment des pressions qu’exerce une concurrence effective. C’est dans cette optique que la définition du marché permet entre autres de calculer les parts de marché, qui apportent des informations utiles concernant le pouvoir de marché pour l’appréciation d’une position dominante ou pour l’application de l’article 85 du traité.»

35
La requérante soutient que, dans la mesure où une définition erronée du marché de référence affecte l’attribution des responsabilités des entreprises concernées, une telle erreur constitue un manquement grave entachant nécessairement la validité de la Décision.

36
Certes, comme le relève la requérante, une erreur dans l’attribution des responsabilités peut trouver son origine dans une définition insuffisante et confuse du marché en cause, c’est-à-dire résulter d’un défaut d’examen suffisant de cette question. Le risque principal afférent à une définition insuffisante du marché en cause serait que la Commission commette des erreurs tant dans la compréhension de la nature et de l’ampleur précises de l’infraction ou de l’entente en question que, par ricochet, dans l’attribution des responsabilités individuelles aux entreprises concernées. Toutefois, le Tribunal estime que l’incidence de telles erreurs sur la légalité d’une décision et sur son éventuelle annulation doit être examinée au cas par cas.

37
En l’espèce, la requérante soutient que la contradiction entre les motifs et le dispositif de la Décision a conduit la Commission à commettre une erreur d’attribution de responsabilité la concernant, en la tenant pour responsable d’une entente globale concernant tant le service de transport de fret et de véhicules utilitaires que celui de transport de passagers, et ceci non seulement pour la ligne qu’elle assure, mais pour aussi toutes les lignes assurées de diverses manières par les entreprises destinataires de la Décision.

38
Toutefois, la Décision n’impute pas à la requérante la responsabilité d’une entente globale sur les trois lignes unissant la Grèce et l’Italie.

39
En effet, il convient de noter que le libellé de la Décision indique que la Commission a sanctionné en l’espèce deux infractions: l’article 1er, paragraphe 1, vise un accord sur les prix des divers services de transport (véhicules utilitaires, passagers, véhicules des passagers, etc.) fournis par les transbordeurs rouliers entre Patras et Ancône; l’article 1er, paragraphe 2, vise un accord sur les prix du transport des véhicules utilitaires à appliquer sur les lignes de Patras à Bari et à Brindisi.

40
S’agissant de la première infraction, qui aurait eu lieu de juillet 1987 à juillet 1994, seules des entreprises assurant la ligne Patras-Ancône y auraient participé. Il s’agit de Minoan, d’Anek, de Karageorgis, de Marlines et de Strintzis. En revanche, s’agissant de la seconde infraction, celle concernant les lignes de Patras à Bari et à Brindisi et qui aurait eu lieu de décembre 1989 à juillet 1994, trois des entreprises assurant lesdites lignes (Adriatica, Ventouris Ferries et Strintzis), mais également trois entreprises qui n’assurent pas lesdites lignes (Minoan, Anek et Karageorgis), y auraient participé. Il convient de noter, à cet égard, que la Commission n’a pas inversement estimé que les entreprises assurant les lignes du Sud (de Patras à Bari et à Brindisi) avaient pris part à une entente avec les entreprises assurant les lignes du Nord (de Patras à Ancône) concernant les prix applicables sur ces dernières lignes, sur lesquelles elles ne sont pas actives.

41
La Commission considère que la Décision ne vise pas deux infractions distinctes, mais une seule et même infraction ininterrompue. Elle soutient que l’article 1er de la Décision doit être lu à la lumière des motifs de la Décision et fait valoir que ces motifs se réfèrent toujours à un accord unique sur les trois lignes (Ancône/Bari/Brindisi-Patras) considérées comme formant un seul marché concerné. Elle cite notamment le considérant 144 in fine de la Décision dans lequel elle a signalé:

«Eu égard aux considérations qui précèdent, la Commission estime que Minoan, Anek, Karageorgis, Marlines et Strintzis ont participé à un accord contraire à l’article 85 du traité, en s’accordant sur les prix qui seraient appliqués aux services de transbordeurs rouliers entre Patras et Ancône. La Commission considère également que Minoan, Anek, Karageorgis, Strintzis, Ventouris Ferries et Adriatica Navigazione se sont accordées sur les niveaux de prix devant être appliqués aux véhicules utilitaires sur les lignes Patras-Bari et Patras-Brindisi. Ces accords se sont inscrits dans le cadre d’un mécanisme collusoire plus vaste sur la fixation des prix des services de transbordeurs entre l’Italie et la Grèce. C’est pourquoi ils ne doivent pas être considérés comme des infractions distinctes, mais comme une seule et même infraction ininterrompue.»

42
Il est incontestable que le dispositif de la Décision et le considérant 144 de celle-ci ne reflètent pas la même idée dès lors que le dispositif ne retient pas l’existence d’une infraction unique.

43
Or, il convient de rappeler que c’est par le dispositif des décisions que la Commission indique la nature et l’étendue des infractions qu’elle sanctionne. Il doit être relevé qu’en principe, s’agissant précisément de la portée et de la nature des infractions sanctionnées, c’est le dispositif, et non les motifs, qui importe. C’est uniquement dans le cas d’un manque de clarté des termes utilisés dans le dispositif qu’il convient de l’interpréter en ayant recours aux motifs de la Décision. Comme l’a jugé la Cour, en vue de définir les personnes faisant l’objet d’une décision constatant une infraction, il convient de s’en tenir au dispositif de cette décision, lorsque celui-ci ne prête pas au doute (arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, point 315).

44
En l’espèce, le libellé du dispositif de la Décision ne présente aucune ambiguïté; au contraire, il est clair et précis. Il ressort clairement de celui-ci que la Commission a considéré établies, d’une part, une entente entre les compagnies assurant la ligne du Nord (Patras-Ancône) sur les prix applicables à cette ligne et, d’autre part, une entente entre toutes les entreprises visées par la Décision (à l’exception de Marlines) sur les prix d’un des services de transport fournis sur les lignes du Sud (Patras-Bari et Patras-Brindisi), celui des véhicules utilitaires. En outre, non seulement aucune mention n’est faite dans le dispositif de la Décision quant au caractère unique de l’infraction, mais, de plus, le dispositif est particulièrement précis dans sa description des infractions sanctionnées. En effet, d’une part, l’article 1er de la Décision est subdivisé en deux paragraphes visant des entreprises distinctes et, d’autre part, pour ce qui est du groupe d’entreprises visées à l’article 1er, paragraphe 2, de la Décision, le dispositif précise que la violation de l’article 85, paragraphe 1, du traité réside dans le fait qu’elles se sont accordées sur les niveaux de prix devant être appliqués aux véhicules utilitaires et donc à l’exclusion des prix pour les passagers et ce uniquement sur les lignes Patras-Bari et Patras-Brindisi. Il s’ensuit que les deux paragraphes de l’article 1er de la Décision visent des infractions qui sont distinctes pour deux raisons: elles visent des entreprises différentes et elles ont une portée ou une intensité différente.

45
Le dispositif de la Décision n’étant pas ambigu, dans l’examen des divers moyens soulevés en l’espèce, il y a lieu de considérer que ce que la Commission a établi et sanctionné ce n’est pas une infraction unique concernant toutes les lignes, mais bien deux infractions distinctes, une concernant la ligne du Nord (article 1er, paragraphe 1) et une autre concernant les lignes du Sud (article 1er, paragraphe 2). S’agissant de la requérante, il ressort clairement de la Décision que celle-ci ne lui impute d’autres responsabilités que celles afférentes à l’infraction visée à l’article 1er, paragraphe 2, de la Décision.

46
Eu égard à tout ce qui précède, il convient de rejeter cette première partie du premier moyen. L’incidence éventuelle de la contradiction entre les motifs et le dispositif de la Décision sur la manière dont la Commission a apprécié la responsabilité de la requérante doit être analysée, le cas échéant, dans le cadre de l’examen des moyens par lesquels la requérante conteste la preuve et la qualification juridique de l’entente visée à l’article 1er, paragraphe 2, de la Décision. L’incidence d’une telle contradiction sur la manière dont la requérante a été sanctionnée pécuniairement sera examinée dans le cadre de l’examen du cinquième moyen concernant l’amende.

B – Sur l’argument tiré d’une violation de l’obligation de motivation en ce qui concerne la délimitation du marché en cause

47
Il ressort d’une jurisprudence constante que la motivation d’une décision faisant grief doit permettre l’exercice effectif du contrôle de sa légalité et fournir à l’intéressé les indications nécessaires pour savoir si la décision est ou non bien fondée. Le caractère suffisant d’une telle motivation doit être apprécié en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte en cause, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires peuvent avoir à recevoir des explications (voir, notamment, arrêts du Tribunal du 28 avril 1994, AWS Benelux/Commission, T-38/92, Rec. p. II-211, point 26, et du 14 mai 1998, Gruber + Weber/Commission, T-310/94, Rec. p. II-1043, point 209).

48
En l’espèce, les considérants 3, 5 et 144 de la Décision se référent à la manière dont la Commission entendait délimiter les marchés en cause. Au considérant 3 de la Décision, il est dit que «[l]e marché en cause est celui de la prestation de services de transport par transbordeurs rouliers entre la Grèce et l’Italie». Au considérant 5 de la Décision, la Commission précise que, aux fins de la présente procédure, elle «ne juge pas nécessaire d’examiner de près le degré d’interchangeabilité de ces lignes, puisque les pratiques visées par la procédure ont concerné les trois lignes principales pendant une partie au moins de la période en question». Au considérant 144, la Décision signale que les accords respectifs des trois lignes «se sont inscrits dans le cadre d’un mécanisme collusoire plus vaste sur la fixation des prix des services de transbordeurs entre l’Italie et la Grèce», circonstance ayant amené la Commission à les considérer comme une «seule et même infraction ininterrompue». Il ressort d’une lecture d’ensemble de ces considérants que la requérante pouvait comprendre que c’était bien toutes les lignes unissant la Grèce à l’Italie qui étaient considérées par la Commission comme appartenant à un même marché.

49
Or, il est constant que l’ensemble de la Décision a permis à la requérante d’identifier et d’invoquer à juste titre un manque de cohérence entre lesdits passages des motifs et le dispositif. Il a été jugé que le libellé du dispositif de la Décision était clair et précis; ce qui a permis à la requérante de comprendre la portée exacte de la Décision, qui sanctionne deux ententes distinctes, et, donc, de tenter de démontrer que la Commission l’avait pénalisée en calculant les amendes à partir de l’idée qu’il s’agissait en l’espèce d’une infraction unique.

50
Il s’ensuit que la requérante a pu contester la légalité de la Décision et que le Tribunal a pu exercer de manière effective son contrôle de légalité.

51
Enfin, les éléments de preuve que la Commission a retenus pour démontrer la participation de la requérante à l’entente sanctionnée pour ce qui la concerne, c’est-à-dire l’entente sur les prix applicables aux véhicules utilitaires sur la ligne Patras-Brindisi, sont clairement identifiés et analysés aux considérants 122 à 126. En outre, les arguments de la requérante sont identifiés et examinés aux considérants 56, 57, 75, 80, 87, 92 et 96 de la Décision.

52
Dans ces circonstances, la requérante ne saurait soutenir que l’insuffisance de motivation de la Décision l’a empêchée de la contester devant le Tribunal en toute connaissance de cause.

53
Dès lors, il y a lieu de rejeter également cette deuxième partie du premier moyen. Le premier moyen doit donc être rejeté dans son intégralité.

Sur le deuxième moyen, tiré d’un défaut de preuve de la participation de la requérante à l’entente sur les niveaux de prix devant être appliqués au transport de véhicules utilitaires sur la ligne Brindisi-Patras

Sur la première branche, prise d’une appréciation erronée des pièces retenues comme éléments à charge et d’une imputation erronée de l’infraction

– Arguments des parties

54
La requérante admet que son représentant en Grèce a été présent à deux réunions d’entreprises opérant sur les lignes maritimes entre la Grèce et l’Italie qui ont eu lieu le 25 octobre 1990 et le 24 novembre 1993. Toutefois, elle soutient ne pas avoir participé à la collusion qui lui est reprochée, car ni au cours desdites réunions ni à une quelconque autre occasion elle ne s’est associée à des ententes sur les prix avec des entreprises concurrentes. Elle fait valoir qu’elle a toujours maintenu son indépendance commerciale, laquelle ressortirait également de la différence entre les conditions qu’elle appliquait à la prestation du service en question et les conditions appliquées par ses concurrents grecs, lesquels menaient une politique «insensée» de remises, de rabais et de délais de paiement, qui leur a permis de conquérir une clientèle importante.

55
La requérante conteste la valeur probante des documents retenus à son égard dans la Décision (voir considérant 117), à savoir les télécopies de Strintzis des 8 décembre 1989, 5 septembre 1990 et 30 octobre 1990; la lettre de Minoan du 2 novembre 1990; la télécopie envoyée à Anek le 22 octobre 1991; le document de Minoan du 25 février 1992; le télex de Minoan du 7 janvier 1993 et le télex de l’European Trust Agency (ci-après l’«ETA») du 24 novembre 1993.

56
La requérante fait valoir qu’il ressort de l’instruction menée par la Commission que, depuis 1987, une coordination des prix existait entre Minoan, Anek, Strintzis, Karageorgis et Marlines concernant les tarifs applicables au transport de passagers et de véhicules utilitaires sur la ligne Patras-Ancône, et que, à partir des années 1989-1990, ces mêmes sociétés auraient commencé à s’intéresser également aux lignes Patras-Bari et Patras-Brindisi, et ce «afin de disposer d’une base de calcul sûre et certaine pour établir la différenciation pour chaque catégorie en fonction de la distance en milles».

57
La requérante fait observer que la première preuve rapportée par la Commission de la volonté des compagnies de la ligne Patras-Ancône de prendre contact avec les exploitants des lignes Bari-Patras et Brindisi-Patras, à savoir la télécopie envoyée le 8 décembre 1989 par Strintzis à Anek, à Minoan, à Karageorgis et à la compagnie HML, ne fait aucune référence, même indirecte, à elle.

58
Ensuite, la requérante évoque la réunion qui s’est tenue entre les différents opérateurs le 25 octobre 1990. Elle fait valoir qu’elle avait décidé d’augmenter ses prix et de modifier certaines conditions commerciales à compter du mois de novembre 1990, bien avant que ladite réunion n’ait eu lieu. Elle estime que, puisque les augmentations tarifaires avaient déjà été arrêtées antérieurement, comme le reconnaît la Commission au considérant 18 de la Décision, il est faux de prétendre que les parties se sont accordées sur l’augmentation des tarifs lors de ladite réunion.

59
La requérante soutient que le fait que son représentant sur place ait participé à la réunion ne peut pas être interprété comme la preuve qu’elle a conclu ou rejoint un accord de fixation des prix avec ses concurrents. Elle souligne que son représentant n’avait aucun pouvoir de décision et n’était pas en mesure de l’engager. Ensuite, elle fait valoir que, si elle n’est soumise au respect d’aucune règle formelle, la notion d’entente requiert la présence d’éléments qui, en l’espèce, font défaut, comme l’existence d’un concours de volonté entre les participants se cristallisant autour d’un même objet illicite constitué en l’espèce, selon la Commission, par la fixation de niveaux de prix communs. Dans ces circonstances, s’il est vrai que la requérante a informé ses concurrents de la politique tarifaire qu’elle comptait mener en leur communiquant les tarifs ainsi que les différentes modifications d’ordre secondaire (suppression des réductions sur les billets aller-retour et suppression de la gratuité des repas pour les chauffeurs de poids lourds) qu’elle avait décidés de manière indépendante, elle ne se serait toutefois pas associée à une entente contraire à l’article 85, paragraphe 1, du traité, puisque rien dans son comportement ne permettrait de déceler une volonté de coordination des politiques commerciales à travers la fixation de prix communs.

60
La requérante fait observer que, dans la correspondance échangée entre les entreprises en cause, son nom n’apparaît que sur deux des nombreux documents recueillis au cours de l’instruction.

61
S’agissant du premier document, une télécopie datée du 30 octobre 1990, par laquelle Strintzis demandait, notamment, à la requérante de confirmer son accord sur les tarifs convenus – à la suite d’une réunion à laquelle la requérante a d’emblée reconnu avoir participé – et qui contenait, notamment, les tarifs qui devaient entrer en vigueur à compter du 5 novembre 1990, la requérante fait valoir l’absence d’un document postérieur à cette télécopie prouvant son approbation dudit accord. Ainsi, elle ne pourrait pas être accusée d’avoir rejoint un accord quelconque du seul fait qu’elle a participé à une réunion et, par conséquent, elle n’aurait pas eu à confirmer quoi que ce soit. Le fait que les tarifs entrés en vigueur correspondaient à ceux figurant dans la télécopie précitée ne viendrait en rien démontrer une quelconque adhésion à un accord, puisque la requérante aurait fixé ces tarifs de manière indépendante avant cette réunion. De même, le fait que les dates d’entrée en vigueur des tarifs soient identiques (5 novembre 1990) ne devrait pas surprendre puisqu’en règle générale les tarifs pour l’année suivante prenaient effet à la fin de l’automne.

62
S’agissant du deuxième document, un télex envoyé le 24 novembre 1993 par l’ETA à Minoan, la requérante précise qu’il s’agit d’une communication interne par laquelle une société mère, Minoan, a été informée par son agent, l’ETA, qu’au cours d’une réunion qui s’est tenue le 24 novembre 1993, à laquelle la requérante a reconnu avoir pris part, plusieurs compagnies seraient parvenues à un accord sur les tarifs à appliquer à compter du 16 décembre 1993. Ce document mentionnerait la requérante en précisant que cette dernière avait – avec d’autres compagnies nommément citées – annoncé qu’elle souhaitait procéder à des augmentations de prix plus modestes (de 5 à 10 %) que celles envisagées par Minoan qui étaient de l’ordre de 15 %. Or, la requérante fait valoir que la mention de son nom est erronée, puisqu’elle n’avait nullement prévu d’introduire une augmentation des prix pour l’année 1994, car elle devait contrebalancer les effets de l’introduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), comme le démontrerait le fait qu’elle a ensuite maintenu ses tarifs au même niveau (voir le considérant 125 de la Décision).

63
En outre, la requérante souligne que ce document fait état d’un accord précédent auquel la nouvelle entente se serait substituée, sans préciser toutefois pour quelle période ni à quelles entreprises il était censé s’appliquer. Elle soutient que la mention de «quatorze compagnies» n’est pas de nature à la mettre en cause, puisque, vu le grand nombre d’exploitants de transbordeurs entre la Grèce et l’Italie, le nombre de participants à ladite réunion aurait pu être nettement plus élevé. Enfin, ce document ayant été rédigé par, et adressé à, des tiers et ne mentionnant la requérante que pour signaler sa divergence d’opinion par rapport à celle défendue par la compagnie à laquelle appartient l’auteur du document, il ne pourrait constituer une preuve irréfutable de l’adhésion de la requérante à un accord sur les tarifs devant être appliqués pour l’année 1994.

64
Ensuite, la requérante mentionne deux éléments qui confirmeraient ces considérations. D’une part, le télex du 1er décembre 1993 (joint en annexe 24 à la requête), par lequel sa direction commerciale aurait, en réponse au compte rendu de la réunion fait par son représentant sur place, refusé explicitement de se rallier à l’entente proposée par les armateurs grecs. Pour la requérante, ce document constitue incontestablement un indice clair et irréfutable d’une distanciation de toute forme de collusion et de l’affirmation de son indépendance commerciale, de nature à remettre en cause la valeur probante éventuelle de la télécopie de l’ETA. D’autre part, la décision de n’appliquer aucune augmentation de tarifs pour 1994 aurait au préalable été confirmée par appel téléphonique de la requérante au directeur de l’ETA, M. Sfinias, qui avait organisé la réunion, et aurait été concrètement appliquée, comme le reconnaît la Commission au considérant 125 de la Décision.

65
La requérante se réfère en outre à la valeur probante accordée à sa participation à la réunion du 24 novembre 1993 et fait valoir qu’elle y a participé uniquement afin de s’informer de l’attitude des exploitants grecs à l’égard de la TVA communautaire récemment introduite. La requérante aurait estimé impératif de savoir si l’intention des armateurs grecs était d’appliquer la réglementation ou, au contraire, de s’y soustraire, puisque, dans la seconde hypothèse, la requérante aurait subi un préjudice sur le plan commercial.

66
La requérante admet qu’au cours de cette deuxième réunion les discussions ont porté, notamment, sur les tarifs applicables au transport des véhicules utilitaires, y compris ceux concernant la ligne Brindisi-Patras. Toutefois, elle rappelle qu’elle a refusé d’appliquer les tarifs convenus par les autres opérateurs et qu’elle a, au contraire, prévu de maintenir ses tarifs au même niveau, comme il ressortirait du télex précité du 1er décembre 1993.

67
La requérante fait valoir l’absence de tout élément de preuve établissant qu’elle a eu d’autres contacts avec les opérateurs concurrents avant la réunion du 25 octobre 1990 au cours de la période comprise entre les deux réunions en cause ou de la période qui a suivi la deuxième réunion.

68
Elle précise, ensuite, que ni la télécopie du 8 décembre 1989 ni le télex du 5 septembre 1990 de Strintzis ne lui étaient adressés et ne la mentionnaient ni explicitement ni implicitement.

69
Pour ce qui est de la lettre de Minoan du 2 novembre 1990, du télex de Karageorgis du 22 octobre 1991, du document de Minoan du 25 février 1992 et du télex de Minoan du 7 janvier 1993, la requérante estime qu’il ressort à l’évidence de la communication des griefs que, contrairement à ce que prétend la Commission, ceux-ci n’étaient pas pertinents au regard des faits qui lui sont reprochés.

70
En ce qui concerne la lettre de Minoan du 2 novembre 1990, consécutive à la réunion du 25 octobre 1990, la requérante estime que la déclaration contenue dans celle-ci, reproduite dans la Décision (considérant 20) et indiquant que des «prix avaient été convenus par les compagnies sur toutes les lignes entre la Grèce et l’Italie», doit être replacée dans son contexte. Elle fait valoir que cette lettre ne la concerne pas, puisqu’elle n’a fait que communiquer des décisions qu’elle avait déjà prises de manière irrévocable et qu’elle n’a rien approuvé ou fait approuver.

71
En ce qui concerne le document de Minoan du 25 février 1992, visé au considérant 28 de la Décision, la requérante souligne qu’il ne cite nommément que Ventouris Ferries et ne vise de façon expresse et précise que les lignes d’Ortona, de Bari et d’Ancône, sans faire la moindre allusion, pas même implicite, à elle ou à la ligne de Brindisi. Dès lors, ce document ne pourrait être utilisé comme preuve contre elle.

72
Quant au télex daté du 7 janvier 1993, adressé par Minoan à Strintzis, à Anek et à Karageorgis et évoquant une proposition d’ajustement des tarifs «véhicules» sur les lignes entre la Grèce et l’Italie, la requérante affirme que le lien avec ses activités est à l’évidence inexistant, puisque la ligne Brindisi-Patras n’est pas citée une seule fois dans ce télex.

73
S’agissant, enfin, du télex envoyé le 22 octobre 1991 par Karageorgis, Minoan et Strintzis à Anek (considérant 22 de la Décision), la requérante souligne qu’il avait été envoyé à Anek pour se plaindre du fait que cette dernière n’avait pas augmenté ses tarifs sur la ligne Patras-Trieste. Or, si, accessoirement, il était également question d’un accord entre onze compagnies, ni la période durant laquelle celui-ci devait produire ses effets ni le nom des compagnies concernées par ledit accord ne seraient toutefois spécifiés, alors que plus de onze compagnies assuraient, à l’époque, la traversée entre la Grèce et l’Italie. La requérante soutient que la conclusion de la Commission selon laquelle le télex en question se rapportait à l’accord conclu entre les compagnies grecques à l’occasion de la réunion du 25 octobre 1990 n’est corroborée par aucune preuve.

74
De surcroît, la requérante conteste le fait que la Commission puisse lui reprocher d’avoir participé à un accord ayant pour objet la fixation de tarifs communs, alors qu’elle n’a pas démontré que ses tarifs concordaient avec ceux de ses concurrents participant à l’entente présumée. Or, il suffirait de constater que l’annexe à la télécopie du 30 octobre 1990, qui, aux dires de la Commission, établirait l’existence de l’entente et en stigmatiserait le contenu, annonce pour la requérante des prix qui ne coïncident nullement avec ceux de ses concurrents HML et Medline, figurant dans le même document. Ces différences de tarifs seraient par ailleurs reconnues par la Décision, au considérant 124, dans lequel la Commission précise:

«[...] les différences entre les prix d’Adriatica et ceux des opérateurs grecs sur la même ligne sont également indiquées dans la télécopie de Strintzis.»

75
Eu égard à ce qui précède, la requérante conclut que la Commission n’a pas établi qu’elle a rejoint une entente concernant la fixation de tarifs communs. Or, elle fait valoir que, puisque, dans ces conditions, la concordance des tarifs – ou, le cas échéant, leur adaptation – ne constitue pas un «effet» de l’accord mais l’«objet» de celui-ci, à défaut d’avoir prouvé cet élément nécessaire pour l’application de l’article 85, la Décision est dénuée de tout fondement susceptible de justifier sa condamnation ou l’imposition d’une amende.

76
La requérante souligne que sa participation à deux réunions sans aucun objectif contraire au droit de la concurrence, non suivie d’un quelconque comportement d’exécution et contredite par les décisions commerciales adoptées par la compagnie, ne peut suffire à fonder sa culpabilité.

77
Elle ajoute que sa situation est identique à celle de l’entreprise Part Carton dans l’«affaire du Carton» ayant donné lieu à l’arrêt Sarrió/Commission, précité, dans lequel le Tribunal a, pour la première fois, admis, à bon droit, que la simple participation à une réunion peut, même en l’absence d’une distanciation expresse, ne pas constituer une preuve suffisante de la participation d’une entreprise à une violation de l’article 85, paragraphe 1, du traité.

78
La requérante en conclut qu’une participation à une entente avec les armateurs grecs sur des tarifs communs pour le transport de véhicules utilitaires entre la Grèce et l’Italie ne peut lui être reprochée et que la Décision doit être annulée dans son intégralité pour ce qui la concerne.

79
La Commission note, à titre liminaire, qu’il semble ressortir des allégations susvisées que la requérante cherche à contester les faits établis dans la Décision et fait valoir que, dans une telle hypothèse, le Tribunal devrait nécessairement procéder à une révision à la hausse de l’amende qui lui a été infligée car, comme il est signalé au considérant 169 de la Décision, une réduction de 20 % a été accordée à la requérante au motif qu’elle n’avait pas contesté les faits exposés dans la communication des griefs.

80
La Commission conteste l’argument principal de la requérante selon lequel on ne peut légitimement parler d’un concours de volontés entre les entreprises en cause dès lors que les augmentations tarifaires auraient été décidées à une date antérieure à la réunion du 25 octobre 1990.

81
Elle soutient d’abord que la requérante ne peut pas nier que la réalisation, au cours des réunions entre les compagnies de navigation, d’initiatives de prix et d’échanges d’informations sur les différents tarifs pendant plusieurs années, montrent l’expression d’une volonté commune de se comporter sur le marché d’une façon déterminée, ce qui, d’après la jurisprudence, constitue un accord au sens de l’article 85, paragraphe 1, du traité (arrêts de la Cour du 15 juillet 1970, Chemiefarma/Commission, 41/69, Rec. p. 661, point 112, et du 29 octobre 1980, Van Landewyck e.a./Commission, 209/78 à 215/78 et 218/78, Rec. p. 3125, point 86).

82
Quant à l’inexistence d’un concours de volontés, la Commission affirme qu’il apparaît de manière non équivoque que des entreprises opérant sur la ligne d’Ancône ont demandé aux entreprises opérant sur les lignes de Bari et de Brindisi de fixer les tarifs d’un commun accord (voir télex du 5 septembre 1990).

83
La Commission se réfère ensuite aux éléments de preuve retenus dans la Décision et tirés, notamment, de mentions explicites de la requérante dans certains documents. Elle soutient que la télécopie de Strintzis du 30 octobre 1990 constitue un indice non équivoque de ce qu’un accord avait déjà été conclu à une date antérieure à la réunion et que la requérante avait manifesté sa volonté de fixer les tarifs d’un commun accord avec ses concurrents. Elle affirme qu’il est sans importance que la télécopie du 24 novembre 1993 envoyée par l’ETA à Minoan, n’ait pas été adressée à la requérante, dès lors que, ayant été rédigée par l’organisateur de la réunion, l’ETA, elle constitue une preuve évidente des résultats de la réunion du 24 novembre 1993. Elle considère qu’il est correct d’avoir accordé une valeur probante limitée à la note interne d’Adriatica du 1er décembre 1993, car, dans le cas contraire, il serait aisé, pour une entreprise qui aurait participé à une entente, de se soustraire à sa responsabilité en produisant des documents internes censés prouver qu’elle se dissociait du contenu de l’accord.

84
En ce qui concerne l’argument tiré de l’imputation erronée des comportements retenus pas la Décision à la requérante dans la mesure où elle a seulement participé à deux réunions, la Commission considère que c’est à juste titre qu’elle a vu un indice non équivoque de la participation de la requérante à l’entente dans la participation de celle-ci aux deux réunions en question dès lors que «la régularité de la présence d’une entreprise aux réunions entre producteurs n’affecte pas sa participation à l’infraction, mais le degré de sa participation» (arrêt PVC II, point 939).

85
S’agissant, enfin, de la prétendue absence de preuves de contacts entre les compagnies assurant, respectivement, les lignes de Patras à Ancône et de Patras à Bari ou à Brindisi, la Commission affirme que l’existence desdits contacts après la réunion du 25 octobre 1990 et jusqu’au 24 novembre 1993 est amplement motivée dans la Décision, en particulier, au considérant 117, lequel mentionne les divers documents montrant qu’il y a eu des négociations et des ententes constantes entre lesdites compagnies.

86
Pour ce qui est de la participation de la requérante à l’entente au cours de la période allant de 1992 au début de 1993, la Commission estime qu’elle doit être considérée comme prouvée par ce qui est affirmé aux considérants 28 et 29 de la Décision, desquels il ressort que les tarifs fixés pour 1991 ont été appliqués également en 1992. En ce qui concerne la période antérieure, la simple participation à la réunion du 25 novembre 1990 serait la confirmation que la requérante a participé à l’entente afin de fixer les prix d’un commun accord. Enfin, s’agissant de la période qui a suivi la réunion du 24 novembre 1993, la Commission affirme qu’elle déduit la participation de la requérante à l’entente a contrario, comme il est indiqué au considérant 126 de la Décision, lequel indique qu’il n’y a aucune preuve qu’après avoir rejoint l’entente la requérante l’ait quittée après le 24 novembre 1993.

87
Enfin, la Commission conteste la prétendue absence de preuves relatives au réajustement des tarifs de la requérante par rapport à ceux décidés par ses concurrents.

– Appréciation du Tribunal

A – Considérations liminaires

88
Il ressort d’une jurisprudence constante que, pour qu’il y ait accord, au sens de l’article 85, paragraphe 1, du traité, il suffit que les entreprises en cause aient exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d’une manière déterminée (notamment, arrêts Chemiefarma/Commission, précité, point 112; Van Landewyck e.a./Commission, précité, point 86, et arrêt PVC II, points 715, 719 et 720).

89
Les critères de coordination et de coopération retenus par la jurisprudence, loin d’exiger l’élaboration d’un véritable «plan», doivent être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du traité relatives à la concurrence et selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché commun. S’il est exact que cette exigence d’autonomie n’exclut pas le droit des opérateurs économiques de s’adapter intelligemment au comportement constaté ou à escompter de leurs concurrents, elle s’oppose cependant rigoureusement à toute prise de contact directe ou indirecte entre de tels opérateurs ayant pour objet ou pour effet soit d’influencer le comportement sur le marché d’un concurrent actuel ou potentiel, soit de dévoiler à un tel concurrent le comportement que l’on a décidé ou que l’on envisage de tenir soi-même sur le marché (arrêt Suiker Unie e.a./Commission, précité, points 173 et 174, et arrêt PVC II, précité, point 720).

90
Il y a lieu de rappeler que, en cas de litige sur l’existence d’une infraction aux règles de concurrence, il appartient à la Commission de rapporter la preuve des infractions qu’elle constate et d’établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction (arrêt de la Cour du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C-185/95 P, Rec. p. I-8417, point 58).

91
Toutefois, dès lors qu’il a été établi qu’une entreprise a participé à des réunions entre entreprises à caractère manifestement anticoncurrentiel, il incombe à cette entreprise d’avancer des indices de nature à établir que sa participation auxdites réunions était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel, en démontrant qu’elle a indiqué à ses concurrents qu’elle y participait dans une optique différente de la leur (arrêts de la Cour du 8 juillet 1999, Hüls/Commission, C-199/92 P, Rec. p. I-4287, point 155, et Montecatini/Commission, C-235/92 P, Rec. p. I-4539, point 181). En l’absence d’une telle preuve de distanciation, le fait que cette entreprise ne se conforme pas aux résultats de ces réunions n’est pas de nature à la priver de sa pleine responsabilité du fait de sa participation à l’entente (arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Mayr-Melnhof/Commission, T-347/94, Rec. p. II-1751, point 135, et Cimenteries CBR e.a./Commission, précité, point 1389).

B – Sur les pièces à charge retenues dans la Décision pour prouver l’infraction reprochée à la requérante

92
Il ressort du dispositif de la Décision que la Commission a estimé que Minoan, Anek, Karageorgis, Ventouris Ferries, Strintzis et la requérante avaient enfreint l’article 85, paragraphe 1, du traité en s’accordant sur les niveaux de prix devant être appliqués aux véhicules utilitaires sur les lignes de Patras à Bari et à Brindisi. Au considérant 126, la Commission précise sa position sur la participation de la requérante à l’infraction visée en l’espèce. Elle estime que des preuves solides montrent qu’il y a eu un accord persistant entre lesdites compagnies. La requérante aurait rejoint l’entente à partir du 30 octobre 1990 au plus tard, en acceptant de réajuster ses tarifs pour les véhicules utilitaires pour 1991. Elle estime également qu’il existe des preuves directes de la participation de la requérante à l’entente en 1993 et que, au cours de la réunion du 24 novembre 1993, la requérante a négocié et arrêté avec ses concurrents le réajustement de ses tarifs pour les véhicules utilitaires à compter de décembre 1993. Enfin, la Commission considère que, en l’absence de preuves qu’après avoir rejoint l’entente la requérante l’ait quittée au cours de cette période, la durée de la participation de la requérante à l’entente s’est étendue jusqu’au mois de juillet 1994.

93
Il y a lieu d’examiner les éléments de preuve ayant amené la Commission à une telle conclusion en ce qui concerne l’existence de l’entente sur la ligne de Patras à Bari et à Brindisi, l’adhésion de la requérante à ladite entente et la durée de sa participation.

1. Sur l’existence d’une entente sur les prix du transport des véhicules utilitaires applicables sur les lignes Patras-Bari et Patras-Brindisi

94
La Commission affirme qu’il apparaît de manière non équivoque que des opérateurs d’Ancône ont demandé aux opérateurs de Bari et de Brindisi d’entrer dans une collusion pour fixer les tarifs d’un commun accord. Elle invoque une série de pièces qu’elle estime probantes quant à l’existence de comportements interdits par l’article 85, paragraphe 1, du traité, auxquels auraient pris part tant des compagnies assurant la ligne Patras-Ancône que des compagnies assurant les lignes Patras-Bari et Patras-Brindisi. Il s’agit, notamment, d’un barème de prix à appliquer sur les trois lignes à partir du 10 décembre 1989 (télécopie du 8 décembre 1989) ainsi que du télex du 24 novembre 1993, qui se réfère à la réunion de la même date à laquelle aurait participé des entreprises assurant les deux lignes.

95
Le premier document est une télécopie envoyée le 8 décembre 1989 par Strintzis à Minoan, à Anek, à Karageorgis et à la compagnie Hellenic Mediterranean Lines, joignant en annexe un barème des prix par ligne et par catégorie de véhicules utilitaires, à appliquer à compter du 10 décembre 1989, sur les trois lignes concernées, à savoir Patras-Ancône, Patras-Bari et Patras-Brindisi. L’auteur de la télécopie s’y exprime dans les termes suivants:

«[...] veuillez trouver ci-joint une photocopie des prix applicables aux véhicules utilitaires sur les lignes reliant la Grèce et l’Italie acceptés également par Ventouris Ferrys.»

96
Cette télécopie, échangée entre les compagnies assurant les diverses lignes unissant la Grèce et l’Italie, constitue donc un indice clair de l’existence d’un accord entre les compagnies intéressées visant à la fixation des prix applicables aux véhicules utilitaires sur les trois lignes en question. Toutefois, il convient de noter que la requérante ne figure pas parmi les entreprises destinataires de cette première télécopie, et que, en conséquence, la Commission ne considère pas cette pièce comme un élément de preuve de la participation de la requérante à l’entente. L’adhésion de la requérante à l’entente aurait eu lieu, selon la Commission, le 30 octobre 1990.

97
Corroborent l’existence de l’entente en question d’autres documents évoquant des événements intervenus ultérieurement, à savoir un télex du 5 septembre 1990, une télécopie du 30 octobre 1990, un télex du 22 octobre 1991, un document daté du 25 février 1992, envoyé par l’ETA à Minoan, un télex du 7 janvier 1993 et un télex du 24 novembre 1993.

2. Sur la participation de la requérante à l’entente sur les lignes Patras-Bari et Patras-Brindisi

98
La requérante admet que son représentant en Grèce a été présent à deux réunions d’entreprises opérant sur les lignes maritimes entre la Grèce et l’Italie, qui ont eu lieu le 25 octobre 1990 et le 24 novembre 1993. Toutefois, elle soutient ne pas avoir participé à la collusion qui lui est reprochée par la Commission, car ni au cours desdites réunions ni à une quelconque autre occasion elle ne s’est associée à des ententes sur les prix avec des entreprises concurrentes.

a) Sur la réunion du 25 octobre 1990 et sur la télécopie du 30 octobre 1990

99
Le premier document que la Commission a utilisé comme preuve directe que la requérante s’était jointe à la collusion avec ses concurrents et qu’elle était d’accord avec la fixation des tarifs est la télécopie envoyée par Strintzis le 30 octobre 1990 à huit entreprises, à savoir la requérante, Anek, la compagnie Hellenic Mediterranean Lines, Karageorgis, Minoan, la compagnie Med Lines, Strintzis et Ventouris Ferries. L’auteur de cette télécopie s’exprime comme suit:

«Nous vous communiquons l’accord définitif concernant les tarifs pour les véhicules utilitaires, en vous priant de bien vouloir confirmer votre accord sur son contenu. Nous proposons d’annoncer les prix le 1er novembre et de les appliquer, comme convenu, à compter du 5 novembre 1990».

100
La requérante reconnait que son représentant sur place a été invité par les compagnies d’Ancône à participer à une réunion le 25 octobre 1990 qui s’est tenue en présence de l’ensemble des opérateurs du marché, et donc des compagnies exploitant les lignes d’Ancône, de Bari et de Brindisi. Elle prétend que son représentant s’est limité à prendre acte des informations données par les compagnies présentes et à communiquer à l’assistance les nouveaux tarifs qu’elle avait déjà décidé d’appliquer et de diffuser à compter du 5 novembre 1990.

101
Il convient de relever que, comme la Commission le souligne, ce comportement, que la requérante ne conteste pas avoir eu, suffit pour considérer que la requérante a enfreint l’article 85, paragraphe 1, du traité, car les entreprises doivent s’abstenir de toute prise de contact directe ou indirecte entre elles ayant pour objet ou pour effet soit d’influencer le comportement sur le marché d’un concurrent actuel ou potentiel, soit de dévoiler à un tel concurrent le comportement que l’on a décidé ou que l’on envisage de tenir soi-même sur le marché (arrêt Suiker Unie e.a./Commission, précité, points 173 et 174). Il s’ensuit que des comportements tels que ceux que la requérante admet avoir eu relèvent largement de l’interdiction visée à l’article 85, paragraphe 1, du traité, même s’il n’a pas pu être établi qu’elle avait répondu positivement à la demande de confirmation de l’accord sur les barèmes de prix communiqués dans la télécopie du 30 octobre 1990.

102
Dès lors, même à supposer que la requérante ait décidé de fixer au préalable et de façon autonome ses nouveaux tarifs ainsi que la date de leur entrée en vigueur, elle ne pourrait pour autant prétendre que cette circonstance démontre qu’elle ne s’est pas associée à une entente contraire à l’article 85, paragraphe 1, du traité. Au contraire, dès lors qu’elle a participé à la réunion du 25 octobre 1990 évoquée par la télécopie du 30 octobre 1990, qu’elle était destinataire de ladite télécopie, que les prix qu’elle allait appliquer à partir du 5 novembre 1990 y sont correctement reproduits, et, enfin, que les prix qu’elle avait adoptés sont ceux qui ont été adoptés par les autres compagnies, la Commission pouvait conclure que la requérante avait joué un rôle important dans le cadre de l’accord en question.

103
Les arguments soulevés par la requérante à l’encontre d’une telle conclusion ne peuvent pas être retenus.

104
La requérante insiste sur le fait qu’elle avait décidé d’appliquer les prix en question avant la réunion et ce de manière autonome. Toutefois elle ne fournit aucun élément de preuve à l’appui d’une telle affirmation. En outre, elle prétend s’être adressée au préalable aux agences pour leur communiquer par télex les prix qu’elle avait décidé d’appliquer à partir du 5 novembre 1990, mais ne soutient pas les avoir envoyés avant la date de la réunion. Il convient de noter que la copie dudit télex ne permet pas d’en connaître la date. En réalité, le seul fait que ce télex (joint en annexe 18 à la requête) confirme est que les barèmes de prix communiqués aux agences correspondent à ceux qui figurent dans la télécopie du 30 octobre 1990.

105
La requérante ne saurait se prévaloir en vue de nier son adhésion à l’accord en cause de la lettre du 24 octobre 1990, envoyée par l’Union grecque des armateurs de bateaux de passagers de cabotage au journal Kerdos. Cette lettre vise uniquement les nouveaux tarifs «poids lourds» applicables sur la ligne Ancône-Patras à partir du 20 octobre 1990. Si ce document pouvait prouver que l’accord sur la ligne Patras-Ancône était antérieur à la réunion, il ne pouvait pas servir à établir que les nouveaux tarifs pour la ligne Patras-Brindisi avaient été fixés d’un commun accord entre les compagnies grecques avant la réunion du 25 octobre 1990, ni que la requérante avait communiqué aux opérateurs du marché ses nouveaux prix avant ladite réunion.

106
Il en découle que l’argument selon lequel rien dans le comportement de la requérante ne permet de déceler une volonté de coordination des politiques commerciales à travers la fixation de prix communs doit être rejeté.

107
Il convient de rejeter également l’argument tiré d’un prétendu manque de preuve de l’objet anticoncurrentiel de l’accord, dans la mesure où l’existence d’un accord entre les principaux opérateurs des lignes entre la Grèce et l’Italie ayant comme objet une restriction de la concurrence a été largement établie en l’espèce (voir télécopie du 30 octobre 1990 et documents précédents exposés ci-dessus).

108
Dans ces circonstances, le Tribunal estime qu’il n’y a pas lieu de faire suite à la demande de la requérante d’ordonner à la Commission de produire le deuxième tarif concernant les véhicules utilitaires pour 1991 – lequel était destiné à entrer en vigueur à partir de novembre 1990 – qu’elle prétend avoir déposé et qui n’a pas été porté à la connaissance de la Commission.

b) Sur la réunion du 24 novembre 1993

109
La Décision (considérant 37) expose que le 24 novembre 1993 a eu lieu une réunion à laquelle ont assisté quatorze compagnies de navigation, qui aurait eu pour objet le réajustement des prix à pratiquer en 1994 sur les lignes de Patras à Ancône, à Brindisi et à Bari. Un télex envoyé à la même date par l’ETA au siège de Minoan indique:

«Nous avons le plaisir de vous informer qu’à la réunion de ce jour, nous sommes parvenus à un accord sur le réajustement du tarif ‘véhicules’ de l’ordre de 15 % [...] avec effet immédiat, à compter du 16 décembre 1993.

Nous en sommes très heureux, car nous avions commencé avec le problème de l’échec de l’accord précédent du fait de l’opposition des compagnies Kosma-Giannatou et Ventouris A. Nous avons rétabli la situation petit à petit, passant d’abord de 5 à 10 % (positions de Strintzis, Ventouris G et Adriatica), pour obtenir finalement le pourcentage indiqué ci-dessus [...]

[...]»

110
Cette télécopie démontre qu’il y a eu des tentatives pour parvenir à un concours de volontés entre certaines compagnies sur la manière de se comporter sur le marché et qu’un accord précis sur le taux de réajustement des prix et sur la date d’application de ceux-ci a été finalement obtenu. Selon l’interprétation la plus plausible, la dernière phrase indique qu’il existait un accord antérieur au sujet de la différenciation des tarifs pour les véhicules utilitaires entre Ancône, Bari et Brindisi.

111
La requérante reconnait avoir pris part à la réunion du 24 novembre 1993 et admet que, au cours de cette réunion, les discussions ont porté sur les tarifs applicables aux véhicules utilitaires, y compris ceux concernant la ligne Brindisi-Patras. Toutefois, elle conteste la véracité de l’indication, faite par l’auteur de ce télex, selon laquelle elle avait annoncé qu’elle souhaitait procéder à des augmentations de prix plus modestes (de 5 à 10 %) que celles proposées par Minoan, qui étaient de l’ordre de 15 %. Elle fait valoir que la mention de son nom est erronée, puisqu’elle n’avait nullement prévu d’introduire une augmentation des prix pour l’année 1994 car elle devait contrebalancer les effets de l’introduction de la TVA, comme le démontrerait le fait qu’elle a ensuite maintenu ses tarifs au même niveau (voir considérant 125 de la Décision).

112
Cet argument ne saurait être retenu. Comme il a été rappelé ci-dessus, il ressort de la jurisprudence que, dès lors qu’il a été établi qu’une entreprise a participé à des réunions entre entreprises à caractère manifestement anticoncurrentiel, il incombe à cette entreprise d’avancer des indices de nature à établir que sa participation auxdites réunions était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel, en démontrant qu’elle a indiqué à ses concurrents qu’elle y participait dans une optique différente de la leur (arrêts Hüls/Commission, précité, point 155, et Montecatini/Commission, précité, point 181). Or, alors que le but anticoncurrentiel de la réunion du 24 novembre 1993 est reconnu par la requérante elle-même, celle-ci reste dans l’impossibilité d’avancer de tels indices.

113
La requérante ne saurait non plus se prévaloir du manque de précision du télex du 24 novembre 1993 quant aux entreprises et à la période pour laquelle il fait état d’un accord précédent auquel la nouvelle entente se serait substituée, dans la mesure où elle figure précisément parmi les quelques entreprises nommément citées et compte tenu du fait que la participation de la requérante à une réunion précédente à caractère anticoncurrentiel a été établie.

114
Ces considérations ne sont pas contredites par le fait que le document a été rédigé par et adressé à des tiers et qu’il ne mentionne la requérante que pour signaler sa divergence d’opinion par rapport à celle défendue par la compagnie à laquelle appartient l’auteur du document.

115
Les arguments de la requérante tirés de ce qu’elle a toujours maintenu son indépendance commerciale, ce que la Commission ne semble pas contester, ne sauraient être retenus.

116
Premièrement, comme le souligne la Commission, la Décision n’a pas reconnu la requérante responsable d’avoir appliqué les tarifs convenus avec ses propres concurrents, mais uniquement d’avoir participé à un accord ayant pour objet la fixation, par les parties en présence, des prix de vente et d’autres conditions de transaction (considérant 141 de la Décision).

117
Deuxièmement, il ressort d’un examen comparatif des tarifs proposés dans le barème (colonne Adriatica) annexé à la télécopie du 30 octobre 1990, du télex que la requérante a adressé aux agences et également du tableau produit en réponse à la communication des griefs les informant des nouveaux tarifs «poids lourds» valables à compter du 5 novembre 1990, que les prix proposés et communiqués sont identiques pour chacune des catégories de véhicules et ce tant en drachmes grecques qu’en lires italiennes.

118
Troisièmement et en tout état de cause, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le fait qu’une entreprise ne se plie pas aux résultats des réunions ayant un objet manifestement anticoncurrentiel n’est pas de nature à la priver de sa pleine responsabilité du fait de sa participation à l’entente, dès lors qu’elle ne s’est pas distanciée publiquement du contenu des réunions (arrêt Mayr-Melnhof/Commission, précité, point 135).

119
Pour ces mêmes raisons, sont inopérants les arguments tirés de ce que la requérante a appliqué des conditions de prestation du service en question différentes de celles pratiquées par ses concurrents grecs concernant la politique de remises et de délais de paiement; de ce que les tarifs qu’elle a établis à la fin des années 1990 sont inférieurs de 10 % à ceux proposés par les autres compagnies sur la même ligne (à savoir HML et Medline); de ce qu’elle a continué à utiliser le dollar des États-Unis en tant qu’unité tarifaire; de ce que ni les modalités de paiement du fret, ni l’application des conditions d’octroi d’éventuelles ristournes à la clientèle, ni la question des commissions dues pour l’obtention du fret n’ont été abordées au sein de l’entente; de ce qu’il y avait un défaut total de mécanismes et d’outils de contrôle des comportements mis en oeuvre dans le cadre de l’entente présumée; de ce qu’un accord sur le maintien des parts de marché à un niveau inchangé pas plus que la question de l’application et du calcul des suppléments tarifaires, tels que pour le branchement à l’électrique ou pour le transport de fret dangereux) n’ont pas même été discutés au cours de la réunion.

120
Doit également être écarté l’argument de la requérante selon lequel la position de la Commission repose essentiellement sur la prémisse que les tarifs étaient réajustés tous les deux ans afin de ne pas avoir à prouver sa participation à l’infraction pour la période allant d’octobre 1990 à novembre 1993. Il ressort des considérants 124 et 126 de la Décision que, loin de prouver la participation de la requérante à l’accord pour la période 1991-1993 par la simple affirmation que le réajustement des tarifs avait lieu tous les deux ans, la Commission a indiqué que, dans un contexte de persistance de l’entente, le fait pour la requérante de ne pas s’être dissociée de l’accord au cours de cette période de référence permettait aussi de conclure à sa participation à celui-ci.

121
Enfin, la requérante ne saurait non plus se prévaloir du fait prétendu que c’est son représentant sur place qui a assisté à la réunion, qu’il était dépourvu de tout pouvoir de décision et qu’il n’était pas en mesure de l’engager. Il suffit de constater, à cet égard, qu’il n’est pas contesté que le représentant en Grèce de la requérante était perçu par les autres compagnies comme tel et, donc, que ses agissements, observations et actions étaient bien interprétés sur le marché comme étant ceux de la requérante.

c) Sur la persistance de l’infraction pendant la période comprise entre les réunions du 25 octobre 1990 et du 24 novembre 1993

122
La requérante souligne l’absence de tout élément de preuve établissant l’existence d’autres contacts entre elle et les opérateurs concurrents au cours de la période séparant les deux réunions en cause. Elle évoque le considérant 126 de la Décision et, s’agissant du télex envoyé à Anek le 22 octobre 1991, dans lequel l’auteur mentionne la collusion entre «les 11 compagnies et les 36 navires assurant la traversée entre la Grèce et l’Italie», elle reproche à la Commission d’avoir déduit du simple fait qu’il faisait allusion à onze compagnies qu’elle figurait nécessairement parmi ces compagnies.

123
En outre, la requérante soutient que les conclusions de la Commission contredisent manifestement ce que le Tribunal a jugé dans son arrêt du 7 juillet 1994, Dunlop Slazenger/Commission (T-43/92, Rec. p. II-441, point 79), quant à l’activité de recherche des éléments de preuve que la Commission doit assurer pour établir, à suffisance de droit, la durée d’une infraction tout en respectant le principe de sécurité juridique, exigeant que les éléments de preuve allégués se rapportent à des faits suffisamment rapprochés dans le temps. La requérante se demande comment la Commission peut invoquer le télex envoyé le 22 octobre 1991 à Anek pour étayer sa présomption qu’elle a participé à une entente sur les prix au cours de la période se situant entre le 30 octobre 1990 et le 24 novembre 1993, compte tenu, d’une part, du fait que ce télex ne permet pas de situer avec certitude la période au cours de laquelle l’entente présumée entre les onze compagnies aurait existé et, d’autre part, du fait que ce télex n’offre aucune certitude que trois auteurs se référaient à elle.

124
La Commission affirme que l’existence de contacts après la réunion du 25 octobre 1990 et jusqu’au 24 novembre 1993 est établie et évoque, à cette fin, les divers documents cités au considérant 117 de la Décision, montrant qu’il y a eu des négociations et des ententes constantes entre lesdites compagnies (télécopies de Strintzis des 8 décembre 1989, 5 septembre et 30 octobre 1990, lettre de Minoan du 2 novembre 1990, télécopie envoyée à Anek le 22 octobre 1991, document de Minoan du 25 février 1992, télex de Minoan du 7 janvier 1993 et télex de l’ETA du 24 novembre 1993).

125
Il ressort de la jurisprudence que, s’agissant d’établir la durée alléguée d’une infraction, le principe de sécurité juridique impose que, en l’absence d’éléments de preuve susceptibles d’établir directement la durée d’une infraction, la Commission invoque, au moins, des éléments de preuve qui se rapportent à des faits suffisamment rapprochés dans le temps, de façon qu’il puisse être raisonnablement admis que cette infraction s’est poursuivie de façon ininterrompue entre deux dates précises (arrêt Dunlop Slazenger/Commission, précité, point 79).

126
Il convient d’analyser si c’est à juste titre que la Commission estime que le document du 2 novembre 1990 et les télex du 22 octobre 1991 et du 7 janvier 1993, lus conjointement avec les documents examinés ci-dessus, suffisent à confirmer que l’infraction jugée établie dans les points précédents s’est poursuivie de façon ininterrompue entre les deux réunions auxquelles la requérante admet avoir participé.

127
En premier lieu, il ressort d’un document du 2 novembre 1990 (considérant 20 de la Décision) que, à la suite de la réunion du 25 octobre 1990, Minoan a communiqué à ses agents les nouveaux tarifs prenant effet à compter du 5 novembre 1990, en indiquant que ces prix avaient été convenus par les compagnies sur toutes les lignes entre la Grèce et l’Italie.

128
En deuxième lieu (voir considérant 22 de la Décision), le 22 octobre 1991, Karageorgis, Minoan et Strintzis ont envoyé à Anek un télex l’invitant à s’en tenir «à l’accord conclu entre les 11 compagnies et les 36 navires assurant la traversée entre la Grèce et l’Italie». Il est constant que la requérante desservait la ligne Patras-Brindisi à l’époque de référence et il a été établi qu’elle avait pris part en octobre 1990 à une entente sur les prix des véhicules utilitaires. Dans ces circonstances, les éléments de preuve devant être interprétés dans le contexte où les événements qu’ils évoquent sont intervenus et devant être mis en liaison avec l’ensemble des autres éléments de preuve, même en l’absence d’une mention des noms des entreprises en question, la Commission pouvait estimer, au vu de l’ensemble de données dont elle disposait, que la requérante devait vraisemblablement figurer parmi les «onze compagnies» membres de l’entente auxquelles l’auteur du télex a fait référence.

129
En troisième lieu, dans un télex envoyé le 7 janvier 1993 par Minoan à Strintzis, à Anek et à Karageorgis en vue de proposer une révision des tarifs applicables aux véhicules sur les lignes entre la Grèce et l’Italie, l’auteur indiquait: «Nous vous signalons que deux années se sont écoulées depuis le dernier ajustement des tarifs véhicules.» Il y a lieu d’en déduire que, pendant la période comprise entre la réunion du 25 octobre 1990 et le 7 janvier 1993, les membres de l’entente n’ont procédé à aucun ajustement des tarifs entrés en vigueur le 5 novembre 1990 et que les tarifs fixés pour 1991 sont restés applicables également en 1992. Ce document démontre que l’entente sur la ligne Patras-Brindisi continuait car, comme le souligne la Commission, le terme «véhicule» est suffisamment général pour inclure également les véhicules utilitaires.

130
Au vu de ce qui précède et dans la mesure où la requérante ne s’est pas distanciée de l’entente (voir ci-après), sa participation à celle-ci pendant la période comprise entre les deux réunions pouvait lui être imputée. En effet, la circonstance alléguée par la requérante selon laquelle elle aurait augmenté ses tarifs chaque année pendant la période en question alors même qu’aucune modification des tarifs n’avait été prévue par les membres de l’entente ne saurait suffire à exclure sa responsabilité pour avoir enfreint l’article 85, paragraphe 1, du traité. Il convient de relever, d’une part, que la requérante n’avait pas opté pour une baisse des prix mais pour une augmentation de ceux-ci et, d’autre part, qu’une telle modification pouvait répondre au besoin d’équilibrer les tarifs pour tenir compte des fluctuations des monnaies intervenues à l’époque. Enfin, il y a lieu de noter que l’examen du comportement adopté en pratique par la requérante ne saurait avoir qu’une valeur relative dans l’évaluation de l’existence de l’infraction dès lors qu’il est constant qu’elle avait pris part, antérieurement et postérieurement à cette période, à des réunions au cours desquelles les représentants des entreprises concernées ont eu des comportements clairement interdits par l’article 85, paragraphe 1, du traité.

131
Il ressort de l’ensemble de ces documents que la Commission pouvait considérer que, pendant la période comprise entre les deux réunions, l’entente sur les niveaux de prix devant être appliqués aux véhicules utilitaires sur les lignes Patras-Bari et Patras-Brindisi persistait et que la requérante y avait pris part.

d) Sur le défaut de distanciation

132
La requérante fait valoir qu’après que son représentant en Grèce a pris part à la réunion en question, elle lui a envoyé, le 1er décembre 1993, à titre officiel, un document interne par lequel sa direction commerciale excluait radicalement toute adhésion à n’importe quelle forme de collusion avec d’autres entreprises. Elle souligne que cette communication écrite a été suivie i) d’une communication verbale faite à l’organisateur de la réunion, M. Sfinias afin, d’une part, que celui-ci prenne acte de son absence de soutien à la politique d’augmentation des prix discutée au cours de la réunion et, d’autre part, qu’il communique ce refus aux autres entreprises, et ii) de la décision de ne procéder à aucune augmentation de prix, en contradiction totale avec les affirmations contenues dans la télécopie de Minoan du 24 novembre 1993. La requérante estime que ces documents prouvent sa distanciation par rapport aux questions discutées au cours de la réunion.

133
La requérante fait observer qu’exiger en l’espèce la preuve d’une distanciation publique de l’objet de l’entente revient à imposer une preuve impossible et propose, dès lors, de préciser le sens de l’expression «se distancier publiquement». En effet, dans un contexte où l’absence tant de procès-verbaux que de notes prises par les participants en vue de rendre compte de la teneur des discussions est la règle, le critère de la distanciation n’exigerait pas de déclaration écrite adressée aux concurrents. Si le Tribunal devait considérer qu’une prise de position aussi nette n’est pas suffisante, il faudrait en conclure que, plus qu’un critère d’appréciation de la fiabilité des moyens en défense, l’exigence de la distanciation constitue déjà en soi un élément de l’accusation en ce qu’il n’offre à l’entreprise mise en cause aucune possibilité de prouver sa bonne foi.

134
La Commission soutient que la note interne du 1er décembre 1993 a une valeur probante limitée, car, sinon, il serait aisé pour une entreprise qui aurait participé à une entente de se soustraire à sa responsabilité en produisant simplement des documents internes. De plus, cette volonté de ne pas respecter l’entente n’aurait pas été extériorisée: un simple appel téléphonique, celui de la requérante à l’ETA, ne permettrait pas de conclure que la requérante se serait réellement dissociée de l’accord.

135
Le Tribunal rappelle que la doctrine de la distanciation publique relève d’un principe jurisprudentiel selon lequel lorsqu’une entreprise a participé à des réunions ayant un contenu illégal, son exonération de responsabilité ne peut découler que de la preuve qu’elle s’était distanciée formellement du contenu de ces réunions (arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Tréfileurope/Commission, T-141/89, Rec. p. II-791; arrêts Sarrió/Commission, et PVC II, précités), distanciation qu’il incombe à l’entreprise en cause d’établir en apportant la preuve que sa participation aux réunions était dépourvue de toute finalité anticoncurrentielle et en démontrant qu’elle avait indiqué à ses concurrents qu’elle participait à ces réunions dans une optique différente de la leur (arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, Chemie Linz/Commission, T-15/89, Rec. p. II-1275, point 135). Il s’ensuit que la notion de distanciation publique en tant qu’élément d’exonération de la responsabilité doit être interprétée de manière restrictive.

136
Certes, le fait d’adopter des instructions internes clarifiant la volonté de l’entreprise de ne pas s’aligner avec les concurrents participant à une entente, comme l’a fait la requérante en l’espèce, constitue une mesure d’organisation interne qui doit être considérée comme positive. Toutefois, aux fins de l’imputation d’une infraction à l’article 85, paragraphe 1, du traité, la Commission ne pouvait, en l’absence de preuves d’une extériorisation de telles instructions internes, considérer que la requérante s’était distanciée de l’entente.

137
Contrairement à ce que prétend la requérante, il ne s’agit pas d’apporter une preuve impossible. Pour pouvoir bénéficier de l’exonération liée à la distanciation, l’entreprise ayant pris part à des réunions ayant un but anticoncurrentiel, doit tout simplement communiquer de manière suffisamment claire aux autres compagnies représentées que, malgré les apparences, elle est en désaccord avec les démarches interdites entreprises par celles-ci. Le fait évoqué par la requérante selon lequel de telles réunions interviennent dans un contexte caractérisé par l’absence tant de procès-verbaux que de notes prises par les participants ne saurait nuancer la portée de la distanciation publique requise pour conclure à une exonération de responsabilité. Bien au contraire, dans un tel contexte, seule l’entreprise qui établit avoir manifesté de manière ferme et claire son désaccord est susceptible de remplir le critère de la distanciation publique tel qu’exigé par la jurisprudence. Or, contrairement à ce que suggère la requérante, il ne ressort pas de cette jurisprudence que la preuve de la distanciation d’une entreprise dépend des seules affirmations faites par ses concurrents. Il s’agit de démontrer que le moyen choisi par l’entreprise pour se distancier publiquement a bien eu pour résultat de faire connaître son désaccord aux autres entreprises présentes lors de la réunion.

138
Dans ces conditions, le document interne du 1er décembre 1993 de la direction commerciale de la requérante ne saurait suffire à apporter la preuve de la distanciation. En l’absence de preuves documentaires, le fait allégué que cette communication interne a été suivie d’une communication verbale faite par téléphone à l’organisateur de la réunion, M. Sfinias, afin que celui-ci prenne acte de son absence de soutien à la politique d’augmentation des prix discutée au sein de la réunion et afin qu’il communique ce refus aux autres entreprises n’a pas plus de valeur probante. Si la requérante avait effectivement voulu se dissocier de l’objet de l’accord, elle aurait pu indiquer clairement à ses concurrents, au cours de la réunion du 24 novembre 1993 ou postérieurement par écrit, qu’elle ne voulait plus être considérée comme une participante à l’accord. Enfin, la volonté de la requérante de ne pas respecter l’entente, exprimée dans le document interne, n’ayant pas été extériorisée, il est permis de considérer qu’une telle attitude constituait une tentative pour tromper les autres membres de l’entente dans l’attente que celle-ci soit respectée, ce qui, comme le souligne la Commission, confirmerait la participation, même infidèle, de l’entreprise à l’entente elle-même.

139
Il s’ensuit que la requérante n’a pas démontré la distanciation requise par la jurisprudence pour pouvoir considérer que sa participation à la réunion ne prouve pas son adhésion à l’entente.

140
Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu de considérer comme un élément allant à l’encontre des considérations précédentes, qui concernent la preuve de la participation de la requérante à l’entente, les arguments tirés du prétendu caractère autonome et préalable à la réunion de sa décision de n’appliquer aucune augmentation de prix pour l’année 1994. Une telle décision ne constitue pas en soi une preuve de distanciation. Il en va de même pour les arguments relatifs aux prétendues raisons pour lesquelles elle aurait pris part à la réunion. À cet égard, il doit être signalé que le document ne fait aucunement mention du fait que les participants à la réunion avaient discuté de la question de l’introduction et de l’application de la TVA communautaire.

e) Sur l’argument tiré de la présence de la requérante à seulement deux réunions

141
La requérante soutient que son cas était tellement particulier que sa participation à deux réunions à but anticoncurrentiel ne suffisait pas pour considérer établie son adhésion à l’entente. Elle prétend que sa situation est analogue à celle de l’entreprise Part Carton dans l’«affaire du Carton» ayant donné lieu à l’arrêt Sarrió/Commission, précité, dans le cadre duquel le Tribunal a estimé que la simple participation à une réunion peut, même en l’absence d’une distanciation expresse, ne pas constituer une preuve suffisante de la participation d’une entreprise à une violation de l’article 85, paragraphe 1, du traité.

142
Il convient toutefois de rappeler que, dans la présente espèce, la présence de la requérante à deux réunions à objectif anticoncurrentiel n’est pas contestée et que l’insertion de ces deux réunions dans le contexte d’une entente durable sur les lignes Patras-Bari et Patras-Brindisi a été jugée établie. Ne sont donc pas transposables au cas de la requérante les considérations ayant mené le Tribunal à exclure Prat Cartón de l’entente dans l’arrêt Sarrió/Commission, précité, lesquelles reposaient sur le fait que cette entreprise n’avait participé qu’à une seule réunion et que, ultérieurement, elle n’avait donné aucune suite aux décisions prises au cours de cette réunion, de sorte que le contenu de la réunion avait eu pour elle un caractère exceptionnel. C’est dans ces circonstances particulières que le Tribunal avait estimé qu’il «ne saurait être reproché à cette entreprise de ne pas s’être publiquement distanciée du contenu des discussions de cette réunion» (arrêt Sarrió/Commission, précité, point 211).

143
Enfin, il y a lieu de relever que le Tribunal a jugé que la régularité de la présence d’une entreprise aux réunions entre opérateurs n’affecte pas sa participation à l’infraction, mais le degré de sa participation (arrêt PVC II, précité, point 939). Il en résulte qu’il faut faire la distinction entre la preuve de la participation à une entente et l’évaluation du degré de participation, pertinent dans le cadre de la détermination de l’amende. En l’espèce, c’est précisément ce que la Commission a fait en prenant en compte la participation limitée de la requérante à l’entente dans la détermination du montant de l’amende et en lui accordant une réduction pour n’avoir joué qu’un rôle suiviste (considérant 164 de la Décision).

144
Il ressort de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à juste titre que la Commission a vu, dans la participation de la requérante aux deux réunions en question, un indice non équivoque de sa participation à l’entente.

f) Conclusion

145
La participation de la requérante à l’entente visée à l’article 1er, paragraphe 2, de la Décision ayant été établie à suffisance de droit, la première branche de ce moyen doit être rejetée.

Sur la deuxième branche, soulevée à titre subsidiaire et prise d’une erreur de qualification de l’infraction commise par la requérante

146
La requérante soutient, à titre subsidiaire, que la Commission n’a pas apprécié de manière adéquate le type d’infraction qu’elle a éventuellement commise. S’étant bornée à fournir des informations commerciales, la requérante aurait tout au plus participé à un échange d’informations portant sur les tarifs applicables au transport de véhicules utilitaires et non à une entente, puisqu’elle s’est toujours abstenue de s’entendre avec ses concurrents sur la politique commerciale à mener. Or, la requérante fait valoir que cet échange d’informations constitue incontestablement une infraction moins grave qu’une entente.

147
Il convient de constater qu’en l’espèce la Commission ne fonde pas sa Décision sur de simples échanges d’informations commerciales entre des concurrents à caractère anticoncurrentiel. La Décision est fondée sur la constatation d’une entente prolongée sur les prix applicables au transport des véhicules automobiles sur les lignes de Patras-Bari et de Patras-Brindisi. Il a été jugé établie la réalisation, au cours des réunions, par les entreprises visées à l’article 1er, paragraphe 2, de la Décision, dont la requérante, d’initiatives de prix et d’échanges d’informations sur les tarifs applicables au transport de véhicules utilitaires au cours de plusieurs années, et que ces initiatives constituaient l’expression d’une volonté commune de se comporter sur le marché d’une façon déterminée et, donc, que la Commission pouvait qualifier ces faits d’infraction à l’article 85, paragraphe 1, du traité. Cette constatation a été faite à partir d’un ensemble de documents et de déclarations de quelques-unes des entreprises visées, lesquels établissent à suffisance de droit l’existence de l’entente.

148
Enfin, il y a lieu de relever que, au cours des réunions auxquels la requérante a participé, les entreprises représentées ne se sont pas simplement limitées à échanger des informations. Il suffit de rappeler, à titre d’exemple, les termes de la télécopie de Strintzis du 30 octobre 1990 et, en particulier, la référence à l’accord final, laquelle doit être interprétée comme la preuve que cet accord constitue l’acte final d’une série de discussions antérieures entre toutes les compagnies de navigation intéressées, la requérante comprise, ayant pour but la fixation des tarifs. Il s’ensuit que l’argument soulevé par la requérante dans le cadre de cette branche du moyen ne peut pas être retenu.

149
Cette deuxième branche doit donc être rejetée.

150
Dès lors, le deuxième moyen doit être rejeté dans son intégralité.

Sur le troisième moyen, tiré d’une violation des principes d’équité et de non-discrimination

Arguments des parties

151
La requérante considère que les preuves retenues par la Commission comme éléments à charge à son égard sont analogues à celles concernant la participation à l’infraction d’autres compagnies comme AK Ventouris et HML. Ayant estimé ne pas disposer de preuves suffisantes pour sanctionner ces entreprises, la Commission a, selon la requérante, traité de façon différente et sans justification des situations presque identiques et a, par conséquent, violé manifestement l’article 190 du traité. La requérante soutient que le raisonnement suivi par la Commission pour ne pas leur imputer l’infraction aurait pu lui être également appliqué eu égard à sa position.

152
Elle reproche le fait que la participation d’AK Ventouris à la réunion du 23 novembre 1993 n’a pas constitué un indice suffisant pour lui reprocher la participation à l’entente alors que sa participation à deux réunions a été qualifiée d’anticoncurrentielle.

153
Il en irait de même en ce qui concerne HML, compagnie citée dans deux documents (télécopies de Strintzis du 30 octobre 1990 et du 8 décembre 1989) et pour laquelle, selon la requérante, la Commission disposait d’un barème revêtu de la signature du représentant de HML pour confirmer son acceptation des tarifs convenus. La requérante critique le fait que, dans le cas de HML, la Commission a refusé de condamner, apparemment au nom du principe, du reste inapplicable en l’espèce, selon lequel le fait d’avoir participé à une seule réunion ne peut être considéré comme un indice suffisant d’une infraction, le comportement d’une entreprise qui avait manifestement souscrit à une entente anticoncurrentielle, tandis qu’il est clair qu’elle-même a été sanctionnée en l’absence de tout document exprimant son accord à la conclusion d’une entente. Enfin, en confirmation de la violation invoquée de l’article 190 du traité, la différence de traitement ne ferait l’objet d’aucune justification de la part de la Commission.

154
S’agissant, enfin, de la compagnie Med Link, la requérante estime qu’elle s’est substituée à la compagnie Med Lines en 1993 comme cela résulte de la consultation du Lloyd’s Register of Ships ainsi que du Skolarikos, Greek Marchant Marine Directory. La requérante estime que la Commission aurait pu réfuter facilement les explications de la compagnie Med Link et soutient que, en s’abstenant de lui imputer l’infraction, elle a violé non seulement l’article 85 du traité, mais également les principes de non-discrimination et d’égalité de traitement.

155
Eu égard à ce qui précède, la requérante estime que la Décision devrait être annulée pour violation des principes généraux d’égalité et de non-discrimination, lesquels constituent des principes fondamentaux du droit communautaire, ainsi que pour motivation insuffisante et contradictoire.

156
La Commission conteste le bien-fondé de ce moyen. Elle rappelle que, en vertu d’une jurisprudence constante, il faut concilier le respect du principe d’égalité de traitement avec le principe de légalité, selon lequel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d’autrui (arrêts Mayr-Melnhof/Commission, précité, point 334, et Cascades/Commission, précité, point 259). En l’espèce, l’illégalité éventuelle serait de ne pas avoir adressé la Décision à AK Ventouris et non le fait de l’avoir adressée à la requérante.

Appréciation du Tribunal

157
Il ressort d’une jurisprudence bien établie que le respect du principe d’égalité de traitement doit être concilié avec le principe de légalité, selon lequel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d’autrui (arrêts Mayr-Melnhof/Commission, précité, point 334, et Cascades/Commission, précité, point 259).

158
Il s’ensuit que les arguments de la requérante ne peuvent pas être retenus dès lors qu’il a été relevé ci-dessus que c’est à juste titre que la Commission a reproché à la requérante d’avoir participé à l’entente visée par la Décision. En effet, même à supposer que la Commission se soit trompée en s’abstenant d’inclure d’autres compagnies comme HML, MedLink et AK Ventouris parmi les destinataires de la Décision, en raison d’une mauvaise appréciation des preuves disponibles, la requérante ne saurait tirer profit d’une telle erreur, qui ne concerne pas sa participation à l’entente.

159
Enfin, en tout état de cause, il convient d’observer que, contrairement à ce que la requérante prétend, les situations de ces autres entreprises n’étaient pas identiques à la sienne. En effet, la situation de la requérante était distincte de celle d’AK Ventouris, dans la mesure où la requérante avait participé à deux réunions et avait pris part à l’entente pendant trois ans, alors qu’AK Ventouris avait participé à une seule réunion. En ce qui concerne HML, cette compagnie n’a été mentionnée que dans un seul document, la télécopie de Strintzis du 30 octobre 1990 (considérant 117 de la Décision), la Commission ayant signalé que la mention de ladite société au considérant 16 de la Décision résultait d’une erreur d’impression, cette référence se rapportant, en réalité, à la compagnie ML (Mediterranean Lines ou Med Lines). Enfin, s’agissant de Med Link, la Commission a été confrontée à des difficultés pour déterminer si celle-ci avait succédé à Med Lines; une situation tout à fait distincte de celle de la requérante.

160
Il ressort de ce qui précède que le troisième moyen doit être rejeté.

Sur le quatrième moyen, tiré d’une application erronée de l’article 85 du traité en l’absence d’affectation sensible du commerce entre États membres

Arguments des parties

161
La requérante considère que la condition d’affectation du commerce entre États membres n’a pas été remplie en l’espèce. Elle fait valoir, à cet égard, que les données concernant le volume de transport et le nombre d’opérateurs au cours de la période concernée sur la ligne Brindisi-Patras montrent non seulement que le nombre de traversées effectuées et le nombre de camions transportés ont été en augmentation constante, mais aussi que plusieurs des nouveaux opérateurs ont fait leur entrée sur le marché au cours de cette même période. Dès lors, le marché ayant continué à se développer régulièrement, il n’aurait pas subi la moindre conséquence du fait de l’accord.

162
La Commission conteste le bien-fondé de ce moyen et considère que, dans les circonstances de l’espèce, pour prouver que la condition d’affectation du commerce entre États membres est remplie, il suffit de démontrer l’existence du trafic entre la Grèce et l’Italie. La circonstance que l’accord a par ailleurs eu pour effet d’augmenter les échanges n’aurait aucune importance.

Appréciation du Tribunal

163
La condition d’application de l’article 85, paragraphe 1, du traité concernant le préjudice causé au commerce intracommunautaire est remplie s’il est démontré que l’accord altère le cours naturel des flux commerciaux, portant ainsi atteinte au commerce intracommunautaire en imposant un développement du commerce différent de celui qui se serait produit en l’absence de l’accord (arrêts de la Cour du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, 56/64 et 58/64, Rec. p. 429, point 429; du 15 mai 1975, Frubo/Commission, 71/74, Rec. p. 563, point 38, et du 11 juillet 1985, Remia/Commission, 42/84, Rec. p. 2545, point 22).

164
S’agissant en l’espèce d’une entente portant sur les prix du transport de véhicules utilitaires sur des lignes maritimes unissant la Grèce et l’Italie, la possibilité qu’elle puisse affecter les échanges ne peut pas être mise en question.

165
L’argument de la requérante tiré du fait que le volume de transport et le nombre d’opérateurs au cours de la période concernée sur la ligne Brindisi-Patras ont été en augmentation constante ne peut être retenu. En premier lieu, il est plausible que, en l’absence de l’entente en cause, le nombre de camions transportés auraient pu augmenter de manière encore plus sensible. En second lieu, la condition d’application de l’article 85, paragraphe 1, du traité, visant l’affectation aux échanges, ne pouvait pas dépendre de la production de la preuve d’une affectation effective, dès lors que l’article 85, paragraphe 1, du traité vise les accords et pratiques concertées ayant pour «objet» ou pour «effet» la restriction de la concurrence et l’affectation des échanges.

166
Il s’ensuit que ce moyen doit être rejeté.

II – Sur les conclusions subsidiaires tendant à l’annulation ou à la réduction de l’amende imposée par la Décision

167
À l’appui de ses conclusions subsidiaires, tendant à l’annulation ou à la réduction de l’amende imposée par la Décision, la requérante fait valoir un moyen tiré d’une violation du règlement n° 4056/86 à son égard pour lui avoir infligé une amende, ainsi que pour avoir erronément apprécié tant la gravité que la durée de l’infraction.

168
La requérante demande subsidiairement au Tribunal d’annuler l’article 2 de la Décision en ce qu’elle lui inflige une amende de 0,98 millions d’écus. Elle soutient que ses agissements ne sont pas revêtus de la gravité suffisante pour être sanctionnés par une amende, dans l’hypothèse où le Tribunal devait considérer que le simple fait de participer passivement à deux réunions au contenu éventuellement anticoncurrentiel constitue une violation de l’article 85, paragraphe 1, du traité. Elle souligne, en particulier, la passivité de son comportement, la distanciation des décisions prises au cours des réunions auxquelles elle a participé, le très petit nombre d’éléments de preuve à contre elle ainsi que l’impact commercial très réduit de l’entente présumée.

169
Aux termes de l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 4056/86, «[l]a Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d’entreprises des amendes de mille [euros] au moins et de un million d’[euros] au plus, ce dernier montant pouvant être porté à dix pour cent du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l’infraction, lorsque, de propos délibéré ou par négligence [...] elles commettent une infraction aux dispositions de l’article [85], paragraphe 1, [...] du traité». Il est prévu, dans la même disposition, que «[p]our déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci».

170
Il convient de rappeler que la Commission dispose, dans le cadre du règlement n° 4056/86, d’une marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes, afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence (voir en ce sens, par analogie, arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T-150/89, Rec. p. II-1165, point 59; du 11 décembre 1996, Van Megen Sports/Commission, T-49/95, Rec. p. II-1799, point 53, et du 21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission, T-229/94, Rec. p. II-1689, point 127).

171
Il s’ensuit que, dans la mesure où l’infraction reprochée à la requérante a été jugée établie à suffisance de droit, celle-ci ne saurait reprocher à la Commission de lui avoir infligé une amende en application de l’article 19, paragraphe 2, du règlement 4056/86.

172
S’agissant du montant et de la proportionnalité de l’amende par rapport à l’infraction reprochée, la requérante soulève une série de griefs à l’égard de l’appréciation de la gravité et de la durée de l’infraction retenue contre elle qu’il convient d’examiner séparément.

A – Sur la première branche, prise de la violation de l’article 19 du règlement n° 4056/86 dans l’appréciation de la gravité de l’infraction

Arguments des parties

173
La requérante expose que la Décision l’a qualifiée à tort d’exploitant de taille moyenne, que la Commission a fait une évaluation erronée du chiffre d’affaires de référence et qu’elle a violé l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 4056/86 en lui infligeant une amende supérieure à 10 % de son chiffre d’affaires.

174
La requérante observe que, aux fins du calcul du montant de l’amende, la Commission l’a considérée comme un exploitant de taille moyenne sur la base de son chiffre d’affaires global réalisé en 1993, dernière année pleine de l’infraction pour presque toutes les compagnies. Or, la requérante fait valoir que, pour déterminer correctement l’impact réel sur la concurrence de son comportement, dans le sens retenu dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les «lignes directrices»), la Commission doit se fonder sur le chiffre d’affaires réalisé sur la ligne maritime visée par l’infraction alléguée. Dès lors, en l’espèce, elle aurait dû se fonder sur le chiffre d’affaires réalisé pour le transport de véhicules utilitaires sur la ligne Brindisi-Patras. Le choix de la Commission de retenir, pour l’ensemble des compagnies, le chiffre d’affaires global réalisé en 1993 pénaliserait injustement la requérante dans la mesure où l’infraction qui lui est reprochée concerne une seule ligne de transbordeurs, Brindisi-Patras, et, sur cette ligne, un seul type de services offerts, le transport de véhicules utilitaires. Or, la majeure partie des compagnies impliquées auraient été considérées comme responsables d’une infraction concernant plusieurs lignes – pour ce qui est de Minoan, de Anek, de Strintzis et de Karageorgis, l’ensemble des lignes sont visées – et plusieurs types de services – pour ce qui est de Minoan, Anek, Strintzis et Karageorgis, à la fois le transport de passagers et le transport de véhicules utilitaires –. Il serait, en effet, incompréhensible qu’une compagnie à laquelle est reprochée une infraction beaucoup moins grave, eu égard à son impact sur la concurrence et à sa durée, et plus limitée quant à son objet se voit sanctionnée sur la base de son chiffre d’affaires global dont 95 % n’a aucun lien avec l’infraction présumée.

175
La requérante soutient en outre que, bien que la Commission ait affirmé avoir pris en considération le chiffre d’affaires réalisé en 1993 pour le transport par transbordeurs rouliers, elle s’est fondée, en ce qui la concerne, sur le chiffre d’affaires global, lequel est supérieur à celui réalisé pour les seuls services de transbordeurs rouliers (81,2 milliards de ITL au lieu de 68,7 milliards de ITL en 1993). D’après la requérante, la Commission n’a jamais eu connaissance de son chiffre d’affaires pour le transport par transbordeurs rouliers car elle ne l’a jamais demandé.

176
Aux yeux de la requérante, dès lors qu’elle a réalisé en 1993 environ 5 % de son chiffre d’affaires global par le transport de véhicules utilitaires sur la ligne Brindisi-Patras, à savoir 4,3 milliards de ITL sur un total de 81,2 milliards de ITL, il convient de réduire en proportion le chiffre d’affaires de référence utilisé pour déterminer sa taille. Si tel était le cas, le rapport entre son chiffre d’affaires et celui de Minoan se situerait bien en deçà de l’indice 0,4 figurant au considérant 151 (tableau 1) de la Décision et, par conséquent, elle devrait être considérée, de manière plus appropriée, comme un «petit exploitant».

177
Ensuite, la requérante soutient que l’amende de 980 000 écus qui lui a été infligée correspond à 54 % environ de son chiffre d’affaires réalisé pour le service visé par l’infraction. La requérante fait valoir que, si la Commission jouit d’une large marge d’appréciation dans le choix du chiffre d’affaires de référence, la disproportion entre le chiffre d’affaires global et le chiffre d’affaires propre au cas d’espèce est telle que, dans son cas, la Commission aurait dû, de sa propre initiative et pour des raisons fondamentales d’équité, calculer l’amende qui lui a été infligée à partir du second plutôt que du premier.

178
De même, la requérante reproche à la Commission d’avoir infligé aux exploitants de taille moyenne – dont elle fait partie – une amende s’élevant à 65 % du montant des amendes supportées par les grands exploitants, un pourcentage qu’elle estime trop élevé et disproportionné alors que le rapport entre le chiffre d’affaires de Minoan – l’opérateur principal – et les exploitants de taille moyenne allait de 0,45 à 0,26, précisément 0,40 dans son cas, et que, par sa limite inférieure, il se rapprochait essentiellement de celui du seul «petit exploitant», Marlines, qui s’est vu infliger une amende égale à 20 % du montant des amendes infligées aux grands exploitants. Elle ajoute que la majeure partie des exploitants de taille moyenne ont été sanctionnés à partir d’un montant de base supérieur, en termes de pourcentage du chiffre d’affaires, au montant de l’amende infligée aux deux exploitants principaux, à savoir 3,3 % en ce qui la concerne.

179
Enfin, la requérante soutient que la Commission a déterminé en pratique les montants des amendes en contredisant sa propre assertion énoncée au considérant 151 de la Décision selon laquelle: «C’est l’année [1993] qu’il convenait de retenir pour comparer la taille relative des compagnies, parce qu’elle permet à la Commission d’évaluer le poids et l’importance de chaque compagnie sur le marché en cause et, partant, l’effet réel de l’infraction commise sur la concurrence.» À l’appui de cette thèse, la requérante présente un tableau qui démontrerait que l’amende qui lui a été infligée représente 2,45 % de son chiffre d’affaires total alors que celle infligée à l’instigateur principal de l’entente, Minoan, ne représenterait que 3,26 % dudit chiffre, alors même que, contrairement à la requérante, Minoan a pris part à l’ensemble des comportements sanctionnés et ce pour le total de la durée de l’infraction retenue dans la Décision. Agissant ainsi, la Commission aurait pénalisé les compagnies telles que la requérante qui, en chiffres absolus, auraient été condamnées plus sévèrement que les gros exploitants, lesquels ont pourtant participé à l’ensemble des infractions pendant une période nettement plus longue.

180
La Commission conteste le bien-fondé des critiques de la requérante. Elle rappelle, à titre liminaire, que la Décision applique la nouvelle méthode de la Commission dans le calcul des amendes, exposée dans les lignes directrices. Elle souligne que ces orientations ont été publiées en réaction aux observations faites par le Tribunal dans trois arrêts du 6 avril 1995 dans lesquels il exprimait clairement la nécessité que la Commission expose tous les éléments sur la base desquels elle fixe les amendes (arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, Société métallurgique de Normandie/Commission, T-147/89, Rec. p. II-1057; Tréfilunion/Commission, T-148/89, Rec. p. II-1063, point 142, et Société des treillis et panneaux soudés/Commission, T-151/89, Rec. p. II-1191). Elle ajoute que, selon la nouvelle méthode, les amendes ne sont pas considérées comme un pourcentage du chiffre d’affaires global des entreprises concernées, car la Commission a voulu prendre en considération, comme base, un chiffre exprimé en termes absolus (en écus) choisi en fonction de la gravité de l’ensemble de l’infraction. Cette approche serait en phase avec la jurisprudence reconnaissant la possibilité de prendre en considération un nombre important de paramètres plutôt que d’attribuer une importance excessive au chiffre d’affaires aux fins du calcul du montant de l’amende (arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique diffusion française/Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, points 120 et 121, et arrêt PVC II, précité, point 1230). Cette approche refléterait l’idée que, du point de vue économique, le chiffre d’affaires ne donne pas d’indications très précises sur le dommage causé par l’infraction où sur le gain éventuellement obtenu grâce à elle par l’entreprise et, par conséquent, sur le montant de l’amende nécessaire pour assurer une dissuasion suffisante. La Commission estime que la détermination des amendes infligées aux entreprises qui ont participé à une seule et même infraction doit plutôt se fonder sur le rôle joué par chacune d’entre elles, meneur ou simple exécutant, et sur leur degré de coopération avec la Commission. Elle fait observer que, de fait, le préjudice qui peut avoir été provoqué par une infraction considérée dans son ensemble et le gain tiré par chacun des participants à celle-ci ne sont pas nécessairement proportionnels à leur chiffre d’affaires.

181
Elle fait valoir qu’elle a pleinement appliqué les lignes directrices au cas d’espèce. Elle aurait considéré, comme point de départ, qu’un accord portant sur la fixation des prix constitue une infraction très grave (considérant 147 de la Décision). Toutefois, compte tenu de l’effet réel de l’infraction sur le marché et du fait que le marché géographique concerné ne constituait qu’une partie limitée du marché commun, elle a estimé que l’infraction en cause devait être seulement considérée comme une infraction grave (considérant 150 de la Décision). Elle aurait, en outre, tenu compte de la capacité effective des auteurs de l’infraction à causer un dommage important et, par conséquent, elle aurait fixé les montants des amendes à un niveau propre à garantir à l’amende un effet suffisamment dissuasif. Enfin, elle aurait tenu compte de la dimension des entreprises pour infliger des amendes plus lourdes aux entreprises les plus importantes, distinction qui aurait été faite sur la base des chiffres d’affaires réalisés en 1993 comme indice relatif.

182
La Commission estime que cette façon de procéder est conforme à la jurisprudence, car le juge communautaire n’a jamais exprimé sa préférence en faveur de la fixation des amendes en fonction d’un pourcentage du chiffre d’affaires, que ce soit le chiffre d’affaires global de l’entreprise ou celui réalisé sur le marché sur lequel l’infraction a été commise. En fait, il aurait toujours attendu de la Commission qu’elle module le montant des amendes «en fonction des circonstances de la violation et de la gravité de l’infraction» (arrêt de la Cour du 12 novembre 1985, Krupp/Commission, 183/83, Rec. p. 3609, point 97) et qu’elle apprécie la gravité de l’infraction en tenant compte «notamment de la nature des restrictions apportées à la concurrence» (arrêt Chemiefarma/Commission, précité, point 176; arrêt de la Cour du 15 juillet 1970, Boehringer/Commission, 45/69, Rec. p. 769, point 53; arrêt du Tribunal du 23 février 1994, CB et Europay /Commission, T-39/92 et T-40/92, Rec. p. II-49, point 143). Pour sa part, le Tribunal aurait confirmé l’idée selon laquelle l’adéquation des amendes doit s’apprécier «par rapport à la nature et à la gravité intrinsèque de l’infraction» (arrêt CB et Europay/Commission, précité, point 147), et il aurait constamment mis en évidence les facteurs essentiels de l’appréciation de la gravité de l’infraction ainsi que le devoir de la Commission de faire en sorte que son action ait un effet dissuasif, en particulier à l’égard des infractions qui porteraient préjudice de façon particulièrement grave à la poursuite des objectifs de la Communauté (arrêts du Tribunal du 10 mars 1992, ICI/Commission, T-13/89, Rec. p. 1021, points 352 et 385, et du 22 octobre 1997, SCK et FNK/Commission, T-213/95 et T-18/96, Rec. p. II-1739, point 246).

183
Le juge communautaire se limiterait à vérifier que, lors de la fixation de l’amende, la Commission a respecté trois conditions, à savoir l’adéquation des amendes à la nature, à la gravité intrinsèque de l’infraction et à l’assurance d’un effet dissuasif. Ensuite, dans une deuxième étape de son appréciation, il analyserait l’importance, la pertinence et le caractère approprié des facteurs particuliers pris en compte par la Commission dans chaque cas individuel, et, dans une dernière étape du raisonnement, il vérifierait si les facteurs choisis ont été appliqués correctement. Partant, la Commission pourrait prendre en considération toute une série de facteurs, sous le contrôle de la Cour, le chiffre d’affaires relatif au marché sur lequel l’infraction a été commise étant l’un des facteurs possibles dont elle peut tenir compte, mais qui est loin d’être obligatoire (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 8 février 1990, Tipp-Ex/Commission, C-279/87, Rec. p. I-261, et du Tribunal du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission, T-327/94, Rec. p. II-1373, point 184).

184
Enfin, la Commission remarque que la requérante ne conteste pas qu’après avoir établi le degré de gravité de l’infraction, en raison de sa nature et au genre de restriction apportée par l’accord en question à la concurrence, la Commission a modulé le montant de l’amende selon les différentes dimensions des entreprises, en utilisant comme critère le chiffre d’affaires de chacune d’elles pour l’année 1993 sur le marché sur lequel l’infraction avait été constatée, à savoir les trois lignes entre la Grèce et l’Italie considérées ensemble. Elle considère que ce que la requérante conteste par ses arguments, c’est une fois encore la définition du marché en cause, lequel, selon elle, devrait être limité à la seule route assurée par la requérante, à savoir la ligne Patras-Bari-Brindisi.

185
En ce qui concerne l’argument relatif à l’imposition de l’amende à la requérante dans une proportion de 65 % de celle infligée aux grands exploitants de transbordeurs, la Commission se réfère à la jurisprudence du Tribunal (arrêt Martinelli/Commission, précité), selon laquelle la Commission bénéficie d’une certaine marge d’appréciation pour la fixation des amendes. En effet, elle ne serait pas tenue d’appliquer une formule mathématique précise (arrêt Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, précité, point 119) ni de respecter une proportionnalité parfaite entre les amendes infligées aux grands exploitants et aux exploitants de taille moyenne.

Appréciation du Tribunal

186
La requérante reproche à la Commission d’avoir calculé l’amende en méconnaissant la portée de l’infraction retenue à son encontre, qui concerne uniquement une infraction sur la ligne Patras-Bari-Brindisi et vise seulement les prix applicables au transports des véhicules utilitaires, à la différence de l’entente sur la ligne Patras-Ancône qui visait également les prix applicables au transport des passagers et de leurs véhicules. Dès lors, la requérante se considère injustement traitée dans le calcul de l’amende par rapport aux autres entreprises destinataires de la Décision ayant participé plus activement aux comportements sanctionnés par la Commission. En agissant de la sorte, la Commission aurait imposé à la requérante une amende disproportionnée par rapport à l’importance de l’infraction qui lui est reprochée. En outre, dans la détermination du montant des amendes, la Commission aurait mal appliqué, dans le cas de la requérante, sa propre méthode de calcul, laquelle, telle qu’énoncée au considérant 151 de la Décision, consistait à comparer la taille relative des compagnies afin de pouvoir évaluer «le poids et l’importance de chaque compagnie sur le marché en cause et, partant, l’effet réel de l’infraction commise sur la concurrence».

187
Il convient de rappeler la manière dont la Commission a déterminé le montant de base de l’amende en l’espèce.

188
Il est constant que la Commission a calculé le montant des amendes en l’espèce à partir du raisonnement, exposé au considérant 144 de la Décision, selon lequel la Commission a considéré que relèvent d’une «seule et même infraction ininterrompue» les deux ententes qu’elle estime établies dans la Décision. La Commission fait observer que c’est en raison du fait que l’infraction a été constatée sur les trois lignes, considérées comme formant un seul et même marché, que l’amende de base a été fixée en tenant compte du chiffre d’affaires des entreprises sur l’ensemble du marché des services de transbordeurs entre la Grèce et l’Italie.

189
Il ressort, en effet, des considérant 157 et 158 de la Décision que la Commission a calculé les amendes à partir d’un montant de base unique pour toutes les entreprises, modulé en fonction de leur taille respective, mais sans faire aucune distinction en fonction de leur participation à une ou aux deux infractions sanctionnées.

190
Or, il convient de rappeler qu’il a été jugé que le dispositif de la Décision montre clairement que la Commission a sanctionné deux infractions distinctes et qu’il n’est reproché à la requérante que d’avoir participé à l’entente sanctionnée à l’article 1er, paragraphe 2, à savoir celle concernant les niveaux des prix devant être appliqués aux véhicules utilitaires sur les lignes Patras-Bari et Patras-Brindisi. Il en découle que l’amende infligée à la requérante a été calculée à partir de la prémisse erronée suivant laquelle la Décision sanctionnait une seule infraction concernant les trois lignes.

191
La Commission a donc sanctionné de la même façon les entreprises ayant pris part aux deux infractions et celles n’ayant participé qu’à l’une d’entre elles, en méconnaissance du principe de proportionnalité. Or, pour des raisons d’équité et de proportionnalité, il importe que les compagnies dont la participation est restée circonscrite à une seule entente soient condamnées moins sévèrement que les compagnies qui ont participé à tous les accords litigieux. La Commission ne saurait sanctionner avec la même sévérité les compagnies auxquelles la Décision impute les deux infractions et celles qui, comme la requérante, ne se sont vu imputer que l’une des infractions.

192
Il s’ensuit que, dans la mesure où la requérante n’a été déclarée responsable que d’avoir participé à l’entente sanctionnée à l’article 1er, paragraphe 2, de la Décision, elle a subi une amende disproportionnée par rapport à l’importance de l’infraction commise.

193
De même, il convient de constater qu’en agissant de la sorte la Commission a appliqué de façon erronée sa propre méthode de calcul du montant de base en raison de la gravité de l’infraction. En effet, il ressort du considérant 151 de la Décision qu’en l’espèce la Commission a estimé «pertinent d’infliger aux grandes entreprises des amendes plus élevées que celles dont sont passibles les petites entreprises en raison de la très forte disparité de dimension». Le tableau exposé dans ce considérant montre la taille relative de chacune des compagnies concernées par rapport à celle de Minoan, le plus grand exploitant du marché. Il est dit dans la dernière phrase de ce considérant, ce que la Commission a confirmé dans ses mémoires, que la comparaison des tailles relatives porte sur le chiffre d’affaires réalisé en 1993 pour tous les services de transport par transbordeurs rouliers fournis par les entreprises concernées sur les lignes adriatiques, c’est-à-dire sur le marché sur lequel, selon la Commission, l’infraction avait été constatée, à savoir les trois lignes entre la Grèce et l’Italie considérées ensemble. Aux dires de la Commission «[c]’est l’année [1993] qu’il convenait de retenir pour comparer la taille relative des compagnies, parce qu’elle permet à la Commission d’évaluer le poids et l’importance de chaque compagnie sur le marché en cause et, partant, l’effet réel de l’infraction commise sur la concurrence» (considérant 151, in fine).

194
En outre, les entreprises destinataires de la Décision sont réparties dans ce tableau en trois catégories: grands exploitants, exploitants de taille moyenne et petits exploitants. Il y est indiqué que la requérante était un exploitant de taille moyenne et que sa taille équivaut à 40 % de celle de Minoan, sans pour autant distinguer les entreprises ayant participé à un seul des accords en cause, comme c’est le cas pour la requérante, de celles ayant pris part aux deux accords sanctionnés. De plus, il ressort du considérant 152 de la Décision que la Commission a considéré que le montant de base de l’amende infligée aux exploitants de taille moyenne, la requérante y compris, devait s’élever à 65 % de celle infligée à Minoan. En concordance avec cette approche, le tableau exposé au considérant 158 de la Décision montre que, s’agissant des exploitants de taille moyenne, dont la requérante, le montant de base retenu pour ce qui est de la gravité a été de 1,3 million d’écus, alors que pour les grands exploitants il a été de 2 millions.

195
Il résulte du dossier qu’en 1993, année prise comme année de référence par la Commission pour comparer les tailles des entreprises, la requérante n’a réalisé pour l’activité objet de l’accord sanctionné, à savoir le transport de véhicules utilitaires sur la ligne Brindisi-Patras, qu’une petite partie de son chiffre d’affaires global.

196
Or, dans la mesure où la Commission a évalué la taille relative de la requérante en prenant en considération la totalité de son chiffre d’affaires et où elle ne s’est pas limitée à prendre en compte le chiffre d’affaires réalisé par elle pour le service visé par l’entente sanctionnée, elle a commis une erreur dans l’application au cas de la requérante du facteur «taille relative» retenu au considérant 151 de la Décision comme pertinent en l’espèce pour sanctionner les entreprises. Elle n’a donc pas correctement considéré le «poids et l’importance de chaque compagnie sur le marché en cause et, partant, l’effet réel de l’infraction commise sur la concurrence».

197
Dans la mesure où la Commission a appliqué de façon erronée, pour ce qui est de la requérante, sa propre méthode de calcul du montant de base en raison de la gravité, il n’y a pas lieu d’examiner le bien-fondé des autres griefs soulevés par la requérante invoquant d’autres erreurs commises par la Commission dans l’appréciation dudit montant de base.

198
Cette branche doit, donc, être accueillie en partie, ce qui justifie une réduction du montant de l’amende.

B – Sur la deuxième branche, prise de la violation de l’article 19 du règlement n° 4056/86 dans l’appréciation de la durée de l’infraction

1. Sur la réduction de la durée de l’infraction en raison de la légalité de la participation de la requérante à la réunion du 24 novembre 1993 et de l’absence de preuves directes de la poursuite de l’infraction

Arguments des parties

199
La requérante demande au Tribunal, dans l’hypothèse où il devrait considérer que le fait d’avoir participé à la première réunion constitue en soi une infraction, l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la Décision, dans la mesure où il déclare que l’infraction constatée s’est prolongée au-delà du 25 octobre 1991, date à laquelle, en toute hypothèse, l’accord du 30 octobre 1990 aurait pris fin. Elle estime que, dans un tel cas de figure, il y a lieu de réduire la durée de l’infraction retenue.

200
La Commission renvoie le Tribunal aux observations qu’elle a avancées afin de démontrer l’existence de documents prouvant la participation de la requérante à l’infraction.

Appréciation du Tribunal

201
Dans la mesure où il a été relevé que la participation de la requérante à l’accord pour la période allant du 30 octobre 1990 au 24 novembre 1993 est établie à suffisance de droit, il y a lieu de rejeter cette partie de la deuxième branche.

2. Sur la réduction de l’amende en raison de la discrimination que la requérante aurait subie dans le calcul de la majoration de l’amende par rapport à Anek et à Ventouris Ferries

Arguments des parties

202
La requérante soutient qu’elle a été traitée différemment d’Anek et de Ventouris Ferries lors du calcul de la majoration de l’amende en raison de la durée. La requérante considère que ladite majoration a été calculée à raison de 5 % pour chaque semestre de durée de l’infraction, pour toutes les compagnies sauf pour Anek et Ventouris Ferries, lesquelles ont bénéficié d’une réduction injustifiée, en violation du principe d’égalité de traitement. S’agissant de la requérante, la Commission aurait arrondi «par excès» les pourcentages globaux auxquels elle serait arrivée en utilisant le taux de 10 % par an et de 0,83 % par mois, tandis que, pour Anek et pour Ventouris Ferries, la Commission aurait au contraire arrondi «par défaut».

203
La Commission soutient que la requérante ne peut se prévaloir d’une éventuelle illégalité commise dans le calcul de l’amende d’Anek et de Ventouris Ferries étant donné qu’il faut concilier le principe d’égalité de traitement avec le principe de légalité et rappelle qu’elle n’est pas tenue d’appliquer une formule mathématique pour fixer le montant de l’amende (arrêt Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, précité).

Appréciation du Tribunal

204
Il ressort des considérants 155 et 156 de la Décision que la Commission a conclu que l’infraction a été de longue durée pour ce qui est de Minoan, de Strintzis et de Karageorgis et de moyenne durée en ce qui concerne les autres compagnies, y compris la requérante, Anek et Ventouris Ferries. Puis, elle a estimé que ces éléments justifiaient «une majoration des amendes de 10 % par année, sur toute la durée de l’infraction, pour Minoan et Strintzis, de 20 % pour Marlines et de 35 %-55 % pour les autres exploitants». Le tableau 2 indique les pourcentages de majoration qu’il convient d’appliquer aux différentes compagnies.

205
Il ressort de ce tableau 2 que, pour tenir compte de la durée, le montant de référence calculé en fonction de la gravité a été augmenté de 45 % dans le cas d’Anek, de 40 % dans le cas de Ventouris Ferries et de 35 % dans le cas de la requérante.

206
Il a lieu d’observer, tout d’abord, que l’application de cette méthode répond tout à fait à ce qui est prévu dans les lignes directrices pour tenir compte de la durée de l’infraction lors du calcul de l’amende, lesquelles, dans le point 1.B, prévoient que pour «les infractions de moyenne durée (en général de un à cinq ans) [le montant peut] aller jusqu’à 50 % du montant retenu pour la gravité de l’infraction».

207
Dans le cas de la requérante, la Commission a estimé établi qu’elle avait participé à l’entente entre le 30 octobre 1990 et le mois de juillet 1994 (Décision, point 154), c’est-à-dire pendant trois ans et neuf mois. Il s’ensuit que, s’agissant de la requérante, la Commission a respecté les orientations qu’elle-même avait données dans les lignes directrices, le montant de l’amende dans les cas d’infractions de durée moyenne pouvant aller jusqu’à 50 % du montant retenu pour la gravité de l’infraction. D’ailleurs, en prenant de façon isolée le cas de la requérante, il pourrait même être relevé que la Commission l’a traité de manière favorable par rapport à ce qu’elle aurait pu faire, eu égard au fait que, s’agissant d’infractions de moyenne durée, de un à cinq ans selon les lignes directrices, un critère logique aurait été d’adopter un taux de majoration de 10 % pour chaque année d’infraction. Dans ce cas, le montant de base de l’amende en raison de la durée pour ce qui est de la requérante aurait pu être majoré de 37,5 % au lieu du taux de 35 % qui lui a été effectivement appliqué.

III – Sur la demande de la Commission de révision à la hausse de l’amende infligée à la requérante

208
La Commission considère que la requérante a contesté les faits établis dans la Décision et fait valoir, dans le cadre du deuxième moyen, que, dès lors, le Tribunal devrait procéder à une révision à la hausse de l’amende infligée à la requérante car, comme il est signalé au considérant 169 de la Décision, une réduction de 20 % lui a été accordée au motif qu’elle n’avait pas contesté les faits se trouvant à la base de la communication des griefs.

209
Le Tribunal considère que cette demande ne saurait être accueillie. En effet, le Tribunal a jugé dans son arrêt du 28 février 2002, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission (T-354/94, Rec. p. II-843), sur renvoi de la Cour après un pourvoi, que le risque qu’une entreprise ayant bénéficié d’une réduction du montant de l’amende, en contrepartie de sa coopération, forme ultérieurement un recours en annulation contre la décision constatant l’infraction aux règles de la concurrence et sanctionnant l’entreprise responsable à ce titre et obtienne gain de cause devant le Tribunal en première instance ou devant la Cour en cassation est une conséquence normale de l’exercice des voies de recours prévues par le traité et le statut [de la Cour de justice]. Dès lors, le seul fait que l’entreprise ayant coopéré avec la Commission et bénéficié d’une réduction du montant de son amende à ce titre ait obtenu judiciairement gain de cause ne saurait justifier une nouvelle appréciation de l’ampleur de la réduction qui lui a été accordée (point 85).

IV – Conclusion

210
Il a été jugé que, la requérante n’ayant été déclarée responsable que d’avoir participé à l’entente sanctionnée à l’article 1er, paragraphe 2, de la Décision, elle s’est vu infliger une amende disproportionnée par rapport à l’importance de l’infraction. Par conséquent, l’amende infligée à la requérante doit être réduite.

211
Au vu de l’économie de la Décision ainsi que du fait que la Commission a voulu appliquer en l’espèce une méthode visant à tenir compte du poids spécifique des entreprises et de l’effet réel des infractions commises sur la concurrence, le montant de l’amende de la requérante doit être fixé en prenant en considération l’importance relative du trafic sur les lignes visées par l’article 1er, paragraphe 2, de la Décision, Patras-Bari et Patras-Brindisi, par rapport à celle du trafic sur la ligne visée par l’article 1er, paragraphe 1, de la Décision Patras-Ancône. Il ressort de la réponse de la Commission à la question formulée par le Tribunal, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, que le chiffre d’affaires total des entreprises sanctionnées dans la Décision s’élève à 114,3 millions d’écus. Il ressort du dossier que le chiffre d’affaires correspondant aux services de transport qui ont fait l’objet de l’entente sanctionnée à l’article 1er, paragraphe 2, de la Décision, sur les lignes Patras-Bari et Patras-Brindisi, équivaut, approximativement, à un quart du total du chiffre d’affaires qui avait été pris en compte.

212
Eu égard aux éléments susmentionnés, le Tribunal considère, dans l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction, que l’amende infligée à la requérante, d’un montant de 980 000 écus, doit être réduite à 245 000 euros.

213
Le recours doit être rejeté pour le surplus.


Sur les dépens

214
Aux termes de l’article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, ce dernier peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. En l’espèce, il y a lieu de condamner la requérante à supporter ses propres dépens, ainsi que les trois quarts de ceux exposés par la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

déclare et arrête:

1)
Le montant de l’amende infligée à Adriatica di Navigazione SpA est fixé à 245 000 euros.

2)
Le recours est rejeté pour le surplus.

3)
Adriatica di Navigazione SpA est condamnée à supporter ses propres dépens, ainsi que trois quarts de ceux exposés par la Commission. La Commission supportera un quart de ses propres dépens.

Cooke

García-Valdecasas

Lindh

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 décembre 2003.

Le greffier

Le président

H. Jung

P. Lindh

Table des matières

Faits à l’origine du recours
Procédure et conclusions des parties
En droit
     I –  Sur les conclusions tendant à l’annulation de la Décision
         Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 85 du traité et de l’article 190 du traité CE (devenu article 253 CE), en ce que la Décision est entachée d’un défaut de motivation en ce qui concerne la définition du marché en cause et d’une contradiction entre l’exposé des motifs et le dispositif
             Arguments des parties
             Appréciation du Tribunal
                 A – Sur l’argument tiré d’une application erronée de l’article 85, paragraphe 1, du traité en l’absence d’une définition suffisante du marché en cause
                 B – Sur l’argument tiré d’une violation de l’obligation de motivation en ce qui concerne la délimitation du marché en cause
         Sur le deuxième moyen, tiré d’un défaut de preuve de la participation de la requérante à l’entente sur les niveaux de prix devant être appliqués au transport de véhicules utilitaires sur la ligne Brindisi-Patras
             Sur la première branche, prise d’une appréciation erronée des pièces retenues comme éléments à charge et d’une imputation erronée de l’infraction
                 –  Arguments des parties
                 –  Appréciation du Tribunal
                     A – Considérations liminaires
                     B – Sur les pièces à charge retenues dans la Décision pour prouver l’infraction reprochée à la requérante
                     1. Sur l’existence d’une entente sur les prix du transport des véhicules utilitaires applicables sur les lignes Patras-Bari et Patras-Brindisi
                     2. Sur la participation de la requérante à l’entente sur les lignes Patras-Bari et Patras-Brindisi
                     a) Sur la réunion du 25 octobre 1990 et sur la télécopie du 30 octobre 1990
                     b) Sur la réunion du 24 novembre 1993
                     c) Sur la persistance de l’infraction pendant la période comprise entre les réunions du 25 octobre 1990 et du 24 novembre 1993
                     d) Sur le défaut de distanciation
                     e) Sur l’argument tiré de la présence de la requérante à seulement deux réunions
                     f) Conclusion
             Sur la deuxième branche, soulevée à titre subsidiaire et prise d’une erreur de qualification de l’infraction commise par la requérante
         Sur le troisième moyen, tiré d’une violation des principes d’équité et de non-discrimination
             Arguments des parties
             Appréciation du Tribunal
         Sur le quatrième moyen, tiré d’une application erronée de l’article 85 du traité en l’absence d’affectation sensible du commerce entre États membres
             Arguments des parties
             Appréciation du Tribunal
     II –  Sur les conclusions subsidiaires tendant à l’annulation ou à la réduction de l’amende imposée par la Décision
         A –  Sur la première branche, prise de la violation de l’article 19 du règlement n° 4056/86 dans l’appréciation de la gravité de l’infraction
             Arguments des parties
             Appréciation du Tribunal
         B –  Sur la deuxième branche, prise de la violation de l’article 19 du règlement n° 4056/86 dans l’appréciation de la durée de l’infraction
             1.  Sur la réduction de la durée de l’infraction en raison de la légalité de la participation de la requérante à la réunion du 24 novembre 1993 et de l’absence de preuves directes de la poursuite de l’infraction
                 Arguments des parties
                 Appréciation du Tribunal
             2.  Sur la réduction de l’amende en raison de la discrimination que la requérante aurait subie dans le calcul de la majoration de l’amende par rapport à Anek et à Ventouris Ferries
                 Arguments des parties
                 Appréciation du Tribunal
     III –  Sur la demande de la Commission de révision à la hausse de l’amende infligée à la requérante
     IV –  Conclusion
Sur les dépens


1
Langue de procédure: l'italien.