61999J0285

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 27 novembre 2001. - Impresa Lombardini SpA - Impresa Generale di Costruzioni contre ANAS - Ente nazionale per le strade et Società Italiana per Condotte d'Acqua SpA (C-285/99) et Impresa Ing. Mantovani SpA contre ANAS - Ente nazionale per le strade et Ditta Paolo Bregoli (C-286/99). - Demande de décision préjudicielle: Consiglio di Stato - Italie. - Directive 93/37/CEE - Marchés publics de travaux - Attribution des marchés - Offres anormalement basses - Modalités de justification et d'exclusion appliquées dans un Etat membre - Obligations du pouvoir adjudicateur au titre du droit communautaire. - Affaires jointes C-285/99 et C-286/99.

Recueil de jurisprudence 2001 page I-09233


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


Rapprochement des législations - Procédures de passation des marchés publics de travaux - Directive 93/37 - Attribution des marchés - Offres anormalement basses - Exclusion automatique - Inadmissibilité - Obligation de mettre en oeuvre une procédure de vérification contradictoire - Application d'un critère mathématique aux fins de déterminer les offres anormalement basses empêchant les entreprises intéressées de connaître, avant la présentation de leurs offres, le seuil d'exclusion - Admissibilité - Conditions - Exclusion de certaines justifications - Inadmissibilité

irective du Conseil 93/37, art. 30, § 4)

Sommaire


$$L'article 30, paragraphe 4, de la directive 93/37, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à la réglementation et à la pratique administrative d'un État membre qui, d'une part, permettent au pouvoir adjudicateur de rejeter comme anormalement basses les offres présentant un rabais supérieur au seuil d'anomalie en tenant uniquement compte des justifications des prix proposés, portant sur au moins 75 % de la valeur de base du marché mentionnée dans l'avis de marché, que les soumissionnaires étaient tenus de joindre à leur offre, sans donner à ces derniers la possibilité de faire valoir leur point de vue, après l'ouverture des enveloppes, sur les éléments de prix proposés qui ont donné lieu à des suspicions, et, d'autre part, imposent au pouvoir adjudicateur de prendre en considération, pour les besoins de la vérification des offres anormalement basses, les seules justifications tenant à l'économie du procédé de construction ou des solutions techniques adoptées ou aux conditions particulièrement favorables dont dispose le soumissionnaire, à l'exclusion de celles relatives à tout élément pour lequel une valeur minimale est établie par la voie législative, réglementaire ou administrative ou peut être déterminée sur la base de données officielles.

En revanche, l'article susmentionné ne s'oppose pas, en principe, pour autant que toutes les exigences qu'il impose sont par ailleurs respectées et que les objectifs poursuivis par la directive 93/37 ne sont pas affectés, à la réglementation et à la pratique administrative d'un État membre qui, en matière de détermination des offres anormalement basses et de vérification de ces offres, d'une part, obligent tous les soumissionnaires, sous peine d'exclusion de leur participation au marché, à accompagner leur offre de justifications des prix proposés, portant sur au moins 75 % de la valeur de base dudit marché, et, d'autre part, appliquent une méthode de calcul du seuil d'anomalie fondée sur la moyenne de l'ensemble des offres reçues pour l'adjudication en cause, de sorte que les soumissionnaires ne sont pas en mesure de connaître ledit seuil au moment du dépôt de leur dossier, le résultat auquel aboutit l'application de cette méthode de calcul devant cependant pouvoir être reconsidéré par le pouvoir adjudicateur.

( voir point 86 et disp. )

Parties


Dans les affaires jointes C-285/99 et C-286/99,

ayant pour objet des demandes adressées à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le Consiglio di Stato (Italie) et tendant à obtenir, dans les litiges pendants devant cette juridiction entre

Impresa Lombardini SpA - Impresa Generale di Costruzioni

et

ANAS - Ente nazionale per le strade,

Società Italiana per Condotte d'Acqua SpA (C-285/99),

et entre

Impresa Ing. Mantovani SpA

et

ANAS - Ente nazionale per le strade,

Ditta Paolo Bregoli (C-286/99),

en présence de:

Coopsette Soc. coop. arl (C-286/99),

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 30, paragraphe 4, de la directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 199, p. 54),

LA COUR (sixième chambre),

composée de Mme N. Colneric, président de la deuxième chambre, faisant fonction de président de la sixième chambre, MM. C. Gulmann, J.-P. Puissochet, R. Schintgen (rapporteur) et V. Skouris, juges,

avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,

considérant les observations écrites présentées:

- pour Impresa Lombardini SpA - Impresa Generale di Costruzioni, par Mes A. Cinti, R. Ferola et L. Manzi, avvocati,

- pour Impresa Ing. Mantovani SpA, par Me A. Cancrini, avvocato,

- pour Coopsette Soc. coop. arl, par Me S. Panunzio, avvocato,

- pour le gouvernement italien, par M. U. Leanza, en qualité d'agent, assisté de M. P. G. Ferri, avvocato dello Stato,

- pour le gouvernement autrichien, par M. W. Okresek, en qualité d'agent,

- pour la Commission des Communautés européennes, par M. M. Nolin, en qualité d'agent, assisté de Me M. Moretto, avvocato,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de Impresa Lombardini SpA - Impresa Generale di Costruzioni, représentée par Me R. Ferola, de Impresa Ing. Mantovani SpA, représentée par Me C. De Portu, avvocato, de Coopsette Soc. coop. arl, représentée par Me S. Panunzio, du gouvernement italien, représenté par M. D. Del Gaizo, avvocato dello Stato, et de la Commission, représentée par M. M. Nolin, assisté de Me M. Moretto, à l'audience du 3 mai 2001,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 5 juin 2001,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par deux ordonnances du 26 mai 1999, parvenues au greffe de la Cour le 30 juillet suivant, le Consiglio di Stato a posé, en application de l'article 234 CE, cinq questions préjudicielles sur l'interprétation de l'article 30, paragraphe 4, de la directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 199, p. 54, ci-après la «directive»).

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre de deux litiges opposant les sociétés de droit italien Impresa Lombardini SpA - Impresa Generale di Costruzioni (ci-après «Lombardini») (C-285/99) et Impresa Ing. Mantovani SpA (ci-après «Mantovani») (C-286/99) à l'ANAS - Ente nazionale per le strade (ci-après l'«ANAS»), instance adjudicatrice de droit public en Italie, au sujet du rejet des offres déposées par Lombardini et Mantovani dans deux procédures restreintes de passation de marchés publics de travaux au motif que ces offres étaient anormalement basses.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3 La directive a été adoptée sur le fondement des articles 57, paragraphe 2, du traité CE (devenu, après modification, article 47, paragraphe 2, CE), 66 du traité CE (devenu article 55 CE) et 100 A du traité CE (devenu, après modification, article 95 CE).

4 Aux termes de son deuxième considérant, «la réalisation simultanée de la liberté d'établissement et de la libre prestation de services en matière de marchés publics de travaux, conclus dans les États membres pour le compte de l'État, des collectivités territoriales et d'autres organismes de droit public, comporte, parallèlement à l'élimination des restrictions, une coordination des procédures nationales de passation des marchés publics de travaux».

5 L'article 30 de la directive, qui figure au chapitre 3, intitulé «Critères d'attribution du marché», du titre IV, intitulé «Règles communes de participation», dispose:

«1. Les critères sur lesquels le pouvoir adjudicateur se fonde pour attribuer les marchés sont:

a) soit uniquement le prix le plus bas;

b) soit, lorsque l'attribution se fait à l'offre économiquement la plus avantageuse, divers critères variables suivant le marché en question: par exemple, le prix, le délai d'exécution, le coût d'utilisation, la rentabilité, la valeur technique.

[...]

4. Si, pour un marché donné, des offres apparaissent anormalement basses par rapport à la prestation, le pouvoir adjudicateur, avant de pouvoir rejeter ces offres, demande, par écrit, des précisions sur la composition de l'offre qu'il juge opportunes et vérifie cette composition en tenant compte des justifications fournies.

Le pouvoir adjudicateur peut prendre en considération des justifications tenant à l'économie du procédé de construction, ou aux solutions techniques adoptées, ou aux conditions exceptionnellement favorables dont dispose le soumissionnaire pour exécuter les travaux, ou à l'originalité du projet du soumissionnaire.

Si les documents relatifs au marché prévoient l'attribution au prix le plus bas, le pouvoir adjudicateur est tenu de communiquer à la Commission le rejet des offres jugées trop basses.

Toutefois, pour une période allant jusqu'à la fin de 1992 et lorsque la législation nationale en vigueur le permet, le pouvoir adjudicateur peut, exceptionnellement et à l'exclusion de toute discrimination fondée sur la nationalité, rejeter les offres présentant un caractère anormalement bas par rapport à la prestation, sans être tenu d'observer la procédure prévue au premier alinéa, dans le cas où le nombre de ces offres pour un marché déterminé serait tellement important que la mise en oeuvre de cette procédure conduirait à un retard substantiel et compromettrait l'intérêt public qui s'attache à la réalisation du marché en question. [...]»

La législation nationale

6 L'article 30, paragraphe 4, de la directive a été transposé en droit italien par l'article 21, paragraphe 1 bis, de la loi n° 109, du 11 février 1994 (GURI n° 41, du 19 février 1994, p. 5), loi-cadre sur les travaux publics.

7 Dans sa version résultant de l'article 7 du décret-loi n° 101, du 3 avril 1995 (GURI n° 78, du 3 avril 1995, p. 8), ratifié par la loi n° 216, du 2 juin 1995 (GURI n° 127, du 2 juin 1995, p. 3), cette disposition est ainsi libellée:

«En cas d'adjudication de travaux d'une valeur égale ou supérieure à 5 millions d'écus en utilisant le critère du prix le plus bas visé au paragraphe 1, l'administration concernée évalue l'anomalie, au sens de l'article 30 de la directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, de toute offre présentant un rabais supérieur au pourcentage fixé avant le 1er janvier de chaque année par décret du ministre des Travaux publics, après avoir entendu l'Osservatorio des travaux publics, sur la base du cours des offres admises dans le cadre de marchés attribués au cours de l'année précédente.

À cette fin, l'administration publique ne peut prendre en considération que des justifications tenant à l'économie du procédé de construction ou des solutions techniques adoptées ou aux conditions particulièrement favorables dont dispose le soumissionnaire, à l'exclusion, cependant, de justifications relatives à tout élément pour lequel une valeur minimale est établie par la voie législative, réglementaire ou administrative, ou pour lequel une valeur minimale peut être déterminée sur la base de données officielles. Les offres doivent être accompagnées, dès leur présentation, de justifications tenant aux composantes les plus significatives du prix indiquées dans l'avis de marché ou dans la lettre d'invitation, représentant ensemble un montant d'au moins 75 % de la valeur de base du marché».

8 Par décrets ministériels des 28 avril 1997 (GURI n° 105, du 8 mai 1997, p. 28) et 18 décembre 1997 (GURI n° 1, du 2 janvier 1998, p. 26), tous deux pris au titre de l'article 21, paragraphe 1 bis, premier alinéa, de la loi n° 109/94, modifiée, et déterminant le seuil d'anomalie des offres dans les avis de marché, le ministre des Travaux publics, ayant reconnu l'impossibilité d'établir un seuil d'anomalie unique pour l'ensemble du territoire national et eu égard au fait que l'«Osservatorio» n'avait pas été institué, a décidé que le pourcentage du rabais déclenchant l'obligation, pour le pouvoir adjudicateur, de soumettre l'offre à une procédure de vérification serait fixé, pour 1997 et 1998, «à une mesure égale à la moyenne arithmétique des rabais, en termes de pourcentage, de toutes les offres admises, augmentée de l'écart arithmétique moyen des rabais, en termes de pourcentage, qui dépassent la moyenne précitée».

Les litiges au principal et les questions préjudicielles

Affaire C-285/99

9 En 1997, Lombardini a participé à une procédure restreinte de passation d'un marché public de travaux lancée par l'ANAS, en vue de l'exécution de travaux d'élargissement à trois voies d'une portion d'autoroute, d'une valeur de base du marché de 122 250 216 000 ITL.

10 Tant l'avis de marché que la lettre d'invitation à soumissionner précisaient que l'attribution dudit marché interviendrait conformément à l'article 21 de la loi n° 109/94, modifié par la loi n° 216/95, selon le critère du rabais maximal sur le bordereau des prix et sur le montant du gros oeuvre retenus comme base du marché, et que le pouvoir adjudicateur déterminerait quelles offres seraient considérées comme anormalement basses par application du critère fixé par le décret ministériel du 28 avril 1997.

11 Conformément audit article 21, paragraphe 1 bis, la lettre d'invitation faisait obligation aux soumissionnaires d'assortir leur offre des justifications relatives aux composantes les plus significatives du prix équivalant à 75 % de la valeur de base du marché mentionnée dans l'avis de marché. L'offre et les explications sur sa composition devaient, sous peine d'exclusion, être rédigées selon les règles jointes à cette invitation et incluses dans l'enveloppe contenant la documentation administrative. Il était également précisé que la documentation justificative nécessaire à la vérification du sérieux des prix offerts pour les composantes significatives du marché devait, toujours sous peine d'exclusion, être insérée dans une enveloppe séparée et scellée, laquelle ne devait être ouverte, et son contenu examiné, que pour les offres présentant un rabais supérieur au seuil arithmétique d'anomalie. Dans l'hypothèse où le marché serait attribué à un soumissionnaire dont l'offre présentait un tel rabais, il était en outre prévu que les analyses des prix et les justifications produites à l'appui de l'offre feraient partie intégrante de cette dernière et seraient jointes au contrat de marché avec force contractuelle.

12 Après avoir fixé, conformément aux modalités prévues dans le décret ministériel du 28 avril 1997, le seuil d'anomalie à 28,004 % pour le marché en cause, l'autorité compétente a uniquement procédé à l'ouverture des enveloppes qui contenaient la documentation justificative concernant les seules offres qui présentaient un rabais s'étant avéré supérieur à ce seuil, parmi lesquelles figurait celle de Lombardini.

13 À l'issue de l'examen de cette documentation, elle a déclaré irrecevables toutes les offres présentant un rabais supérieur audit seuil, sans toutefois donner aux entreprises concernées la possibilité de fournir d'autres justifications après que leurs offres eurent été jugées anormalement basses et avant que l'adjudication définitive du marché ait eu lieu.

14 Ainsi, l'offre de Lombardini, qui prévoyait un rabais de 29,88 %, a été exclue et le marché attribué à la Società Italiana per Condotte d'Acqua SpA, dont l'offre, qui comportait un rabais de 27,70 %, était la plus basse des offres n'ayant pas été considérées comme anormalement basses.

15 Lombardini a alors introduit un recours devant le Tribunale amministrativo regionale del Lazio (Italie), en faisant valoir que la réglementation italienne n'était pas conforme aux exigences de la directive, en ce que, pour lever tout soupçon d'anomalie, il ne suffisait pas d'évaluer les justifications fournies lors de la présentation de l'offre, lesquelles pouvaient d'ailleurs ne concerner que 75 % de la valeur de base du marché, mais que, au vu de la directive, il était indispensable que le pouvoir adjudicateur demande ensuite à l'entreprise en cause des précisions et des éclaircissements dans le cadre d'un débat réellement contradictoire.

16 Le Tribunale amministrativo ayant rejeté son recours par décision du 1er juillet 1998, Lombardini a porté le litige devant le Consiglio di Stato.

17 Celui-ci souligne que la réglementation et la pratique administrative italiennes imposent aux entrepreneurs qui participent à un appel d'offres de fournir, dès la présentation de leur offre, des justifications, rédigées sur des formulaires ad hoc et correspondant à au moins 75 % de la valeur de base du marché, sous peine d'exclusion automatique de l'offre, alors même que ces opérateurs ne sont pas en mesure de connaître, au moment du dépôt de leur dossier et avant le dépouillement de toutes les offres admises au marché, le niveau de rabais que le pouvoir adjudicateur considérera comme anormal. Il estime que la solution du litige exige de déterminer si cette situation juridique est conforme à la directive ou si, au contraire, cette dernière fait obligation à l'autorité adjudicatrice de mener un débat contradictoire postérieurement à la présentation des offres, au moyen d'une vérification individuelle dans le cadre d'un dialogue avec l'entrepreneur concerné, sans limite de temps quant à la fourniture par ce dernier des éléments susceptibles de corroborer la crédibilité de son offre.

18 En outre, le Consiglio di Stato s'interroge sur la compatibilité avec le droit communautaire de la réglementation italienne, en tant qu'elle exclut toute justification concernant les éléments pour lesquels des valeurs minimales sont établies par la voie législative, réglementaire ou administrative ou peuvent être déterminées sur la base de données officielles. La disposition en cause pourrait en effet s'avérer incompatible avec le droit communautaire, dans la mesure où elle risquerait d'enfreindre le jeu de la libre concurrence et le principe selon lequel il importe de rechercher les entreprises ayant soumis la meilleure offre, principe qui devrait être considéré comme fondamental dans l'ordre juridique communautaire.

19 Considérant que la solution du litige requérait ainsi l'interprétation du droit communautaire, le Consiglio di Stato a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) Des clauses d'avis de marchés publics qui empêchent la participation d'entreprises qui n'auraient pas accompagné leurs offres de justifications du prix indiqué, égales à au moins 75 % de la valeur de base du marché, sont-elles incompatibles avec l'article 30, paragraphe 4, de la directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux?

2) Un mécanisme de calcul automatique du seuil d'anomalie des offres à soumettre à une vérification de pertinence, fondé sur un critère statistique et une moyenne arithmétique, de sorte qu'il ne permet pas aux entrepreneurs de connaître ce seuil à l'avance, est-il incompatible avec l'article 30, paragraphe 4, de la directive 93/37?

3) Un débat contradictoire anticipé, sans que l'entreprise à laquelle on impute la présentation d'une offre anormale ait la possibilité de faire valoir ses arguments, après l'ouverture des enveloppes et avant l'adoption de la décision d'exclusion, est-il incompatible avec l'article 30, paragraphe 4, de la directive 93/37?

4) Une disposition ne permettant au pouvoir adjudicateur de prendre en considération que des justifications tenant à l'économie du procédé de construction ou aux solutions techniques adoptées ou aux conditions exceptionnellement favorables dont dispose le soumissionnaire est-elle incompatible avec l'article 30, paragraphe 4, de la directive 93/37?

5) L'exclusion de justifications concernant des éléments pour lesquels les valeurs minimales peuvent être extraites de cours officiels est-elle incompatible avec l'article 30, paragraphe 4, de la directive 93/37?»

Affaire C-286/99

20 En 1997, Mantovani a participé à un appel d'offres restreint lancé par l'ANAS pour l'exécution de travaux de construction d'un tronçon de route provinciale. Il ressortait de cet appel d'offres que le marché serait attribué à l'entreprise soumissionnaire qui consentirait le rabais le plus important par rapport à la valeur de base du marché s'élevant à la somme de 15 720 000 000 ITL.

21 Le seuil d'anomalie ayant été fixé à 40,865 %, l'offre de Mantovani, qui comportait un rabais de 41,460 %, supérieur audit seuil, a été exclue pour des raisons analogues à celles qui ont conduit à l'exclusion de l'offre de Lombardini dans l'affaire C-285/99.

22 Les travaux ont été adjugés à l'entrepreneur Paolo Bregoli, dont l'offre était la plus basse parmi celles n'ayant pas été considérées comme anormalement basses.

23 Le recours introduit par Mantovani devant le Tribunale amministrativo regionale del Lazio a été rejeté par décision du 26 juin 1998.

24 Mantovani ayant saisi du litige le Consiglio di Stato, celui-ci, se fondant sur des considérations analogues à celles développées dans le cadre de l'affaire C-285/99, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour cinq questions préjudicielles libellées de manière identique à celles posées dans l'affaire C-285/99.

25 Coopsette Soc. coop. arl a été admise à intervenir dans le litige au principal à l'appui de Mantovani.

26 Par ordonnance du président de la Cour du 14 septembre 1999, les affaires C-285/99 et C-286/99 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale et de l'arrêt.

Sur les questions préjudicielles

27 Il y a lieu de rappeler d'emblée que, s'il n'appartient pas à la Cour de se prononcer, dans le cadre d'une procédure introduite en application de l'article 234 CE, sur la compatibilité de normes de droit interne avec le droit communautaire ni d'interpréter des dispositions législatives ou réglementaires nationales, elle est toutefois compétente pour fournir à la juridiction de renvoi tous les éléments d'interprétation relevant du droit communautaire qui peuvent permettre à celle-ci d'apprécier une telle compatibilité pour le jugement de l'affaire dont elle est saisie (voir, notamment, arrêts du 15 décembre 1993, Hünermund e.a., C-292/92, Rec. p. I-6787, point 8; du 3 mai 2001, Verdonck e.a., C-28/99, Rec. p. I-3399, point 28, et du 12 juillet 2001, Ordine degli Architetti e.a., C-399/98, non encore publié au Recueil, point 48).

28 Dans ces conditions, les questions préjudicielles, qu'il convient d'examiner conjointement, doivent être comprises comme visant en substance à savoir si l'article 30, paragraphe 4, de la directive doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à la réglementation et à la pratique administrative d'un État membre qui,

- d'une part, permettent au pouvoir adjudicateur de rejeter comme anormalement basses les offres présentant un rabais supérieur au seuil d'anomalie - calculé selon une formule mathématique en fonction de l'ensemble des offres reçues pour l'adjudication en cause, de sorte que les soumissionnaires ne sont pas en mesure de connaître ledit seuil au moment du dépôt de leur dossier -, lorsque ledit pouvoir prend sa décision en tenant uniquement compte des justifications des prix proposés, portant sur au moins 75 % de la valeur de base du marché mentionnée dans l'avis de marché, que les soumissionnaires étaient tenus, sous peine d'exclusion de leur participation, de joindre à leur offre, sans donner à ces derniers la possibilité de faire valoir leur point de vue, après l'ouverture des enveloppes, sur les éléments de prix proposés qui ont donné lieu à des suspicions, et,

- d'autre part, imposent au pouvoir adjudicateur de prendre en considération, pour les besoins de la vérification des offres anormalement basses, les seules justifications tenant à l'économie du procédé de construction ou des solutions techniques adoptées ou aux conditions particulièrement favorables dont dispose le soumissionnaire, à l'exclusion de celles relatives à tout élément pour lequel une valeur minimale est établie par la voie législative, réglementaire ou administrative ou peut être déterminée sur la base de données officielles.

29 À titre liminaire, il convient de rappeler qu'il ressort des ordonnances de renvoi ainsi que des dossiers que, conformément à la réglementation et à la pratique administrative applicables dans les affaires au principal, toute offre doit être accompagnée, au moment de sa présentation, des justifications relatives aux composantes les plus significatives du prix représentant un montant d'au moins 75 % de la valeur de base du marché en cause. Ces informations doivent être soumises sous enveloppe séparée et scellée, dont le contenu ne sera examiné que si l'offre de l'entreprise concernée présente un rabais supérieur au seuil d'anomalie, lequel est fixé pour chaque marché en fonction de l'ensemble des offres faites par les soumissionnaires, de sorte que ceux-ci ne connaissent pas ledit seuil au moment du dépôt de leur dossier.

30 Il s'avère que, dans les faits, le pouvoir adjudicateur écarte comme anormalement basses celles des offres qui présentent un rabais supérieur au seuil d'anomalie ainsi calculé et attribue systématiquement le marché à l'entreprise dont l'offre est la plus basse parmi les autres offres. L'exclusion des offres anormalement basses et l'adjudication du marché ont lieu sur la seule base d'une évaluation par l'autorité compétente des justifications fournies en même temps que les offres elles-mêmes et ne portant que sur 75 % de la valeur de base du marché, sans que cette autorité demande de plus amples précisions aux entreprises concernées et sans que celles-ci aient la faculté de fournir d'autres justifications après que leur offre a été suspectée d'anomalie.

31 En outre, la réglementation nationale pertinente, d'une part, prévoit que le pouvoir adjudicateur ne peut prendre en considération que des justifications tenant à l'économie du procédé de construction ou des solutions techniques adoptées ou aux conditions particulièrement favorables dont dispose le soumissionnaire et, d'autre part, exclut que l'autorité adjudicatrice puisse se fonder sur les justifications relatives à tout élément pour lequel une valeur minimale est établie par la voie législative, réglementaire ou administrative ou peut être déterminée sur la base de données officielles.

32 C'est à la lumière de ces caractéristiques normatives et factuelles qu'il y a lieu de répondre aux questions préjudicielles telles que reformulées au point 28 du présent arrêt.

Sur les modalités de détermination, de vérification et d'exclusion des offres anormalement basses

33 S'agissant de ce premier aspect des questions préjudicielles, il ressort de l'intitulé et du deuxième considérant de la directive que celle-ci a simplement pour objet la coordination des procédures nationales de passation des marchés publics de travaux, si bien qu'elle ne prévoit pas un régime complet de règles communautaires en la matière.

34 La directive vise néanmoins, ainsi qu'il résulte de son préambule et de ses deuxième et dixième considérants, à éliminer les restrictions à la liberté d'établissement et à la libre prestation des services en matière de marchés publics de travaux en vue d'ouvrir ces marchés à une concurrence effective entre les entrepreneurs des États membres (voir arrêt Ordine degli Architetti e.a., précité, point 52).

35 L'objectif primordial de la directive est ainsi la mise en concurrence des marchés publics de travaux. En effet, c'est l'ouverture à la concurrence communautaire selon les procédures prévues par la directive qui garantit l'absence de risque de favoritisme de la part des pouvoirs publics (arrêt Ordine degli Architetti e.a., précité, point 75).

36 La coordination au niveau communautaire des procédures de passation des marchés publics a donc pour but essentiel de protéger les intérêts des opérateurs économiques établis dans un État membre désireux d'offrir des biens ou des services aux pouvoirs adjudicateurs établis dans un autre État membre et, à cette fin, d'exclure à la fois le risque qu'une préférence soit donnée aux soumissionnaires nationaux lors d'une passation de marché et la possibilité qu'un pouvoir adjudicateur public se laisse guider par des considérations autres qu'économiques (voir, en ce sens, arrêts du 3 octobre 2000, University of Cambridge, C-380/98, Rec. p. I-8035, points 16 et 17, et du 1er février 2001, Commission/France, C-237/99, Rec. p. I-939, points 41 et 42).

37 Le pouvoir adjudicateur est dès lors tenu de respecter le principe d'égalité de traitement des soumissionnaires, ainsi qu'il résulte du reste de manière expresse des articles 22, paragraphe 4, 30, paragraphe 4, quatrième alinéa, et 31, paragraphe 1, de la directive.

38 En outre, le principe de non-discrimination en raison de la nationalité implique, notamment, une obligation de transparence afin de permettre au pouvoir adjudicateur de s'assurer de son respect [voir, par analogie, concernant la directive 93/36/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures (JO L 199, p. 1), arrêt du 18 novembre 1999, Unitron Scandinavia et 3-S, C-275/98, Rec. p. I-8291, point 31].

39 C'est dans cette perspective que la directive prévoit, ainsi qu'il ressort de son douzième considérant, des règles communes de participation aux marchés publics de travaux, comprenant des critères de sélection qualitative et des critères d'attribution du marché.

40 En ce qui concerne plus précisément ces critères d'attribution du marché, ils sont notamment définis à l'article 30 de la directive.

41 Ainsi qu'il résulte de son premier considérant, la directive constitue une codification de la directive 71/305/CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 185, p. 5), et de ses modifications successives. Comme la Cour l'a déjà relevé au point 13 de l'arrêt du 16 octobre 1997, Hera (C-304/96, Rec. p. I-5685 ), l'article 30, paragraphe 4, de la directive correspond à l'article 29, paragraphe 5, de la directive 71/305, dans sa version résultant de la directive 89/440/CEE du Conseil, du 18 juillet 1989 (JO L 210, p. 1).

42 Dans sa version initiale, l'article 29, paragraphe 5, de la directive 71/305 était ainsi libellé:

«Si, pour un marché donné, des offres présentent manifestement un caractère anormalement bas par rapport à la prestation, le pouvoir adjudicateur en vérifie la composition avant de décider l'attribution du marché. Il tient compte de cette vérification.

À cet effet, il demande au soumissionnaire de fournir les justifications nécessaires et lui signale, le cas échéant, celles qui sont jugées inacceptables.

[...]»

43 Or, la Cour a déjà dit pour droit que, lorsque, de l'avis de l'adjudicateur public, les offres d'un soumissionnaire présentent manifestement un caractère anormalement bas par rapport aux prestations à accomplir, l'article 29, paragraphe 5, de la directive 71/305 oblige cet adjudicateur, avant de décider l'attribution du marché, à inviter le soumissionnaire à fournir une justification de ses offres de prix ou à informer ce soumissionnaire de celles de ses offres qui présentent un caractère anormal et à lui donner un délai raisonnable pour présenter des précisions complémentaires (arrêt du 10 février 1982, Transporoute, 76/81, Rec. p. 417, point 18).

44 Au point 17 de cet arrêt, la Cour a en effet considéré que le pouvoir adjudicateur ne saurait en aucun cas rejeter une offre anormalement basse sans même demander au soumissionnaire de se justifier, au motif que l'objectif de l'article 29, paragraphe 5, de la directive 71/305, qui est de protéger le soumissionnaire de l'arbitraire du pouvoir adjudicateur, ne pourrait être atteint si on laissait à celui-ci le soin d'apprécier l'opportunité d'une demande de justification.

45 De même, il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour que l'article 29, paragraphe 5, de la directive 71/305 interdit aux États membres de mettre en place des dispositions qui prévoient l'exclusion d'office des marchés de travaux publics de certaines offres déterminées selon un critère mathématique, au lieu d'obliger les pouvoirs adjudicateurs à appliquer la procédure de vérification contradictoire prévue par la directive (voir arrêts du 22 juin 1989, Fratelli Costanzo, 103/88, Rec. p. 1839, points 19 et 21, et du 18 juin 1991, Donà Alfonso, C-295/89, Rec. p. I-2967, publication sommaire, points 1 et 2 du dispositif).

46 La Cour a ainsi jugé que l'article 29, paragraphe 5, de la directive 71/305 prescrit au pouvoir adjudicateur de vérifier la composition des offres présentant un caractère anormalement bas et lui impose à cet effet l'obligation de demander au soumissionnaire de fournir les justifications nécessaires (voir arrêt Fratelli Costanzo, précité, point 16).

47 Selon la Cour, un critère mathématique, en vertu duquel seraient considérées comme anormales et donc exclues de la procédure d'adjudication les offres présentant une majoration inférieure de 10 % à la majoration moyenne, par rapport à la valeur de base fixée pour le prix des travaux, de l'ensemble des offres admises à l'adjudication, enlève aux soumissionnaires qui ont présenté des offres particulièrement basses la possibilité de prouver que ces offres sont sérieuses, si bien que l'application d'un tel critère est contraire à l'objectif de la directive 71/305 de favoriser le développement d'une concurrence effective dans le domaine des marchés publics (arrêt Fratelli Costanzo, précité, point 18).

48 La Cour a également relevé que c'est pour permettre aux soumissionnaires qui ont présenté des offres particulièrement basses de prouver que ces offres sont sérieuses, et pour assurer ainsi l'ouverture des marchés de travaux publics, que le Conseil a prescrit, dans l'article 29, paragraphe 5, de la directive 71/305, une procédure précise et détaillée de vérification des offres paraissant anormalement basses, et que cet objectif serait compromis si les États membres pouvaient transposer ladite disposition en s'en écartant de manière substantielle (arrêt Fratelli Costanzo, précité, point 20).

49 Elle a enfin ajouté que la procédure de vérification prévue par l'article 29, paragraphe 5, de la directive 71/305 doit être appliquée toutes les fois que le pouvoir adjudicateur entend écarter des offres en raison de leur caractère anormalement bas par rapport à la prestation, de façon que les soumissionnaires soient assurés de ne pas être écartés du marché mis en concurrence sans avoir pu s'expliquer sur le sérieux de leurs offres (arrêt Fratelli Costanzo, précité, point 26).

50 Or, dès lors que les exigences prévues par l'article 29, paragraphe 5, de la directive 71/305, tant dans sa version initiale que dans sa version modifiée, sont en substance identiques à celles imposées par l'article 30, paragraphe 4, de la directive, les considérations qui précèdent valent également s'agissant de l'interprétation de cette dernière disposition.

51 En conséquence, l'article 30, paragraphe 4, de la directive présuppose nécessairement l'application d'une procédure de vérification contradictoire des offres qui ont été considérées comme anormalement basses par le pouvoir adjudicateur, en imposant à celui-ci l'obligation, après avoir pris connaissance de l'ensemble des offres et avant de décider d'attribuer le marché, de demander d'abord par écrit des précisions sur les éléments de l'offre suspectée d'anomalie qui ont concrètement donné lieu à des doutes de sa part et d'apprécier ensuite cette offre au regard des justifications fournies par le soumissionnaire concerné en réponse à ladite demande.

52 Mis à part le fait que, conformément à la réglementation et à la pratique administrative applicables dans les affaires au principal, les entreprises soumissionnaires ne sont tenues, au moment du dépôt de leur dossier, de soumettre des justifications que pour 75 % de la valeur de base du marché, alors qu'il importe qu'elles puissent faire la preuve du sérieux de leur offre pour l'ensemble des éléments qui la composent, de telles justifications préalables ne sont, en tout état de cause, pas conformes à l'esprit de la procédure de vérification contradictoire mise en place par l'article 30, paragraphe 4, de la directive.

53 En effet, il est essentiel que chaque soumissionnaire soupçonné d'avoir présenté une offre anormalement basse dispose de la faculté de faire valoir utilement son point de vue à cet égard, en lui donnant la possibilité de fournir toutes justifications sur les différents éléments de son offre à un moment - se situant nécessairement après l'ouverture de l'ensemble des enveloppes - où il a connaissance non seulement du seuil d'anomalie applicable au marché en cause ainsi que du fait que son offre est apparue anormalement basse, mais également des points précis qui ont suscité des interrogations de la part du pouvoir adjudicateur.

54 L'interprétation qui précède est au demeurant la seule qui soit conforme tant à la lettre qu'à la finalité de l'article 30, paragraphe 4, de la directive.

55 Ainsi, d'une part, il ressort du libellé même de ladite disposition, rédigée en termes impératifs, qu'il incombe au pouvoir adjudicateur, premièrement, d'identifier les offres suspectes, deuxièmement, de permettre aux entreprises concernées d'en démontrer le sérieux, en leur réclamant les précisions qu'il juge opportunes, troisièmement, d'apprécier la pertinence des explications fournies par les intéressés et, quatrièmement, de prendre une décision quant à l'admission ou au rejet desdites offres. Il n'est donc possible de considérer que les exigences inhérentes au caractère contradictoire de la procédure de vérification des offres anormalement basses, au sens de l'article 30, paragraphe 4, de la directive, ont été respectées que dans la mesure où toutes les étapes ainsi décrites ont été successivement accomplies.

56 Par ailleurs, ce n'est que sous réserve des conditions strictes énoncées à l'article 30, paragraphe 4, quatrième alinéa, que la directive permet au pouvoir adjudicateur d'écarter cette procédure contradictoire de vérification des offres anormalement basses. Or, il est constant que, dans les litiges au principal, cette disposition dérogatoire est inapplicable ratione temporis.

57 D'autre part, l'existence d'un débat contradictoire effectif, situé à un moment utile dans la procédure d'examen des offres, entre le pouvoir adjudicateur et le soumissionnaire constitue une exigence fondamentale de la directive, en vue d'éviter l'arbitraire de l'autorité adjudicatrice et de garantir une saine concurrence entre les entreprises.

58 Eu égard aux considérations qui précèdent, force est de constater que l'article 30, paragraphe 4, de la directive s'oppose à une réglementation et à une pratique administrative, telles celles applicables dans les litiges au principal, qui permettent au pouvoir adjudicateur d'exclure comme anormalement basse une offre en se fondant uniquement sur les justifications des composantes les plus significatives du prix, produites en même temps que l'offre elle-même, sans que le pouvoir adjudicateur ait procédé à un quelconque examen contradictoire des offres suspectes en formulant des demandes d'éclaircissement sur les points douteux apparus lors d'une première vérification et en donnant aux entreprises en cause la possibilité de faire valoir leurs arguments à cet égard avant l'adoption de la décision finale.

59 En effet, dans les procédures d'appel d'offres en cause au principal, au moment où le soumissionnaire dépose son offre, qu'il doit accompagner de justifications portant sur 75 % de la valeur de base du marché mentionnée dans l'avis de marché, il n'a pas connaissance des points précis de son offre qui seront suspectés d'anomalie, si bien que, à ce stade de la procédure, il n'est pas en mesure de fournir des explications utiles et complètes à l'appui des différents éléments composant son offre.

60 La juridiction de renvoi cherche encore à savoir si l'article 30, paragraphe 4, de la directive s'oppose également à une réglementation et à une pratique administrative d'un État membre, telles celles en cause au principal, en vertu desquelles, d'une part, les soumissionnaires sont tenus, sous peine d'exclusion de leur participation au marché, d'accompagner leur offre de justifications du prix, portant sur au moins 75 % de la valeur de base dudit marché, en utilisant à cet effet des formulaires ad hoc, et, d'autre part, le seuil d'anomalie des offres est calculé, pour chaque marché, sur la base d'une formule mathématique qui est fonction de l'ensemble des offres effectivement déposées dans le cadre de l'appel d'offres dont il s'agit.

61 À cet égard, il convient de noter que la directive ne comporte pas d'exigences spécifiques en la matière.

62 En ce qui concerne plus particulièrement la première des modalités mentionnées au point 60 du présent arrêt, il apparaît qu'il s'agit d'une exigence pesant sur tous les soumissionnaires sans distinction et qui semble destinée à garantir une certaine uniformité dans la présentation des offres, de nature à faciliter un premier examen par le pouvoir adjudicateur, ainsi qu'à permettre d'apprécier prima facie le sérieux de l'offre. Il se peut en effet que, sur la base de ces seules justifications, le pouvoir adjudicateur acquière la conviction que l'offre, bien qu'apparaissant anormalement basse, est sérieuse et, partant, l'accepte. De cette façon, ladite modalité contribue à accélérer la procédure de vérification des offres.

63 Certes, ainsi que la Commission l'a relevé à juste titre, une procédure nationale de passation des marchés publics de travaux serait incompatible avec les exigences de l'article 30, paragraphe 4, de la directive si elle n'assurait pas l'examen contradictoire des offres anormalement basses imposé par cette disposition.

64 Tel serait notamment le cas, ainsi qu'il a déjà été constaté aux points 58 et 59 du présent arrêt, si le pouvoir adjudicateur rejetait comme anormalement basse une offre en se fondant exclusivement sur les justifications présentées au moment du dépôt de l'offre, sans procéder, après l'ouverture des enveloppes et avant la décision finale, à la vérification contradictoire prévue par la directive.

65 Toutefois, pareil vice aurait son origine non pas dans l'obligation même de présenter certaines justifications conjointement avec le dépôt de l'offre, mais plutôt dans la méconnaissance des exigences de la directive lors d'une étape ultérieure de la procédure d'examen des offres anormalement basses.

66 Dans ces conditions, l'article 30, paragraphe 4, de la directive ne s'oppose pas à une obligation de justification préalable, telle celle en cause au principal, prise isolément, pour autant que toutes les exigences découlant de cette disposition soient par ailleurs respectées par les pouvoirs adjudicateurs.

67 En ce qui concerne la seconde modalité mentionnée au point 60 du présent arrêt, il est constant que la directive ne définit pas la notion d'offre anormalement basse et, a fortiori, ne détermine pas le mode de calcul d'un seuil d'anomalie. Cette tâche incombe dès lors aux différents États membres.

68 Quant au seuil d'anomalie appliqué dans les affaires au principal, il résulte d'un calcul effectué pour chaque avis de marché et est fondé essentiellement sur la moyenne des offres présentées dans le cadre dudit marché.

69 Un tel mode de calcul apparaît à première vue objectif et non discriminatoire.

70 La seule circonstance, invoquée par certains des soumissionnaires en cause au principal, que le seuil d'anomalie n'est pas connu des entreprises au moment où elles font leur offre - puisqu'il n'est déterminé qu'une fois déposées l'ensemble des offres - n'est en tout état de cause pas de nature à affecter sa compatibilité avec la directive. En effet, à ce stade de la procédure, l'ensemble des soumissionnaires, tout comme le pouvoir adjudicateur lui-même, ignorent quel sera ledit seuil.

71 Certains des soumissionnaires en cause au principal ont toutefois soutenu qu'un mécanisme de calcul du seuil d'anomalie fondé sur la moyenne des offres pour un marché déterminé risquerait d'être falsifié par des offres ne correspondant pas à une volonté effective de contracter, mais visant uniquement à influencer le résultat dudit calcul. Aussi la concurrence pourrait-elle être faussée, puisqu'il arriverait que des soumissionnaires cherchent à présenter non pas la meilleure offre possible, mais celle qui, notamment sur la base de critères statistiques, a selon toute probabilité le plus de chances d'être la première parmi les offres non suspectes, laquelle se voit automatiquement attribuer le marché.

72 Il est vrai que le résultat auquel aboutit un mécanisme de calcul du seuil d'anomalie fondé sur la moyenne des offres peut être sensiblement influencé par des pratiques telles que celles décrites au point précédent, ce qui irait à l'encontre des objectifs poursuivis par la directive, tels que définis aux points 34 à 36 du présent arrêt. C'est pourquoi, afin que l'effet utile de la directive soit pleinement préservé, ledit résultat ne doit pas être intangible et doit pouvoir être reconsidéré par le pouvoir adjudicateur si cela s'avère nécessaire eu égard, notamment, au seuil d'anomalie des offres appliqué dans des marchés comparables et aux enseignements qui se dégagent de l'expérience commune.

73 Il en résulte que, si, ainsi qu'il a été rappelé aux points 45 et 47 du présent arrêt, il est de jurisprudence constante que le droit communautaire s'oppose à l'exclusion d'office des marchés de travaux publics de certaines offres déterminées selon un critère mathématique, en revanche, le droit communautaire ne s'oppose pas, en principe, à ce qu'un critère mathématique, tel le seuil d'anomalie appliqué dans les litiges au principal, soit utilisé aux fins de déterminer quelles offres apparaissent anormalement basses, pour autant, toutefois, que le résultat auquel aboutit l'application de ce critère ne soit pas intangible et que l'exigence d'une vérification contradictoire de ces offres conforme à l'article 30, paragraphe 4, de la directive soit respectée.

74 Certains des soumissionnaires en cause au principal ont encore soutenu, sans que leurs allégations aient été réfutées de manière plausible par le gouvernement italien, que les deux modalités de la procédure d'appel d'offres italienne visées au point 60 du présent arrêt ne sauraient être analysées de façon isolée, étant donné que les différents aspects de ladite procédure seraient indissociablement liés entre eux.

75 Ils ont fait valoir en particulier que la condition tenant à la fourniture de justifications au moment même du dépôt de l'offre ne trouve sa raison d'être que dans le fait que le pouvoir adjudicateur prend sa décision relative à l'acceptation ou au rejet de l'offre sur la base de ces seules justifications, sans permettre aux entreprises d'apporter de plus amples explications par la suite. En outre, la même condition ne s'appliquerait pas indistinctement aux soumissionnaires, en ce que seules les enveloppes des entreprises dont les offres apparaissent anormalement basses seraient ouvertes, si bien qu'un entrepreneur qui ne serait pas suspecté d'anomalie pourrait se voir attribuer le marché alors même qu'il aurait remis une enveloppe relative aux justifications exempte de tout contenu. Enfin, il pourrait en résulter une distorsion de la concurrence entre les entreprises, puisque l'obligation d'accompagner l'offre d'une documentation justificative volumineuse entraînerait pour les soumissionnaires ayant offert un prix particulièrement avantageux non seulement une charge administrative plus lourde, mais également l'inconvénient de devoir révéler au préalable des données le cas échéant confidentielles, et qu'elle désavantagerait en tout état de cause les entreprises originaires d'autres États membres.

76 À cet égard, il suffit de constater que, s'il est indéniable que toutes les exigences imposées par le droit communautaire doivent être respectées dans le cadre des différents aspects des procédures nationales de passation des marchés publics de travaux, lesquelles doivent par ailleurs être appliquées de manière à garantir le respect des principes de la libre concurrence et d'égalité de traitement des soumissionnaires ainsi que de l'obligation de transparence, il n'en reste pas moins que la Cour n'est pas en mesure de statuer sur ces allégations.

77 Le bien-fondé de celles-ci présuppose en effet des constatations et appréciations des faits ainsi qu'une interprétation du droit interne relevant de la seule compétence de la juridiction de renvoi. Les éléments d'interprétation relatifs à la portée de l'article 30, paragraphe 4, de la directive ainsi qu'à l'esprit et à la finalité de celle-ci, dégagés aux points 34 à 40 du présent arrêt, fournissent à cette juridiction toutes les indications nécessaires pour lui permettre d'apprécier la compatibilité des dispositions nationales en cause avec le droit communautaire aux fins du jugement des affaires dont elle est saisie.

Sur la prise en compte des justifications des offres anormalement basses

78 S'agissant du second aspect des questions préjudicielles telles que reformulées au point 28 du présent arrêt, il importe de souligner que, aux termes de l'article 30, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive, le pouvoir adjudicateur «peut», pour les besoins de l'appréciation d'une offre anormalement basse, prendre en considération «des» justifications tenant à l'économie du procédé de construction, ou aux solutions techniques adoptées, ou aux conditions exceptionnellement favorables dont dispose le soumissionnaire pour exécuter les travaux, ou à l'originalité du projet du soumissionnaire.

79 Ainsi qu'il ressort de son libellé même, cette disposition reconnaît au pouvoir adjudicateur la simple faculté, et pas l'obligation, de se fonder sur certains types de justifications objectives du prix proposé par un soumissionnaire donné.

80 Replacée dans son contexte, ladite disposition n'a pour objet que de préciser la règle énoncée à l'article 30, paragraphe 4, premier alinéa, de la directive, en vertu duquel le pouvoir adjudicateur demande au soumissionnaire concerné des précisions sur la composition de l'offre qu'il juge opportunes et vérifie cette composition en tenant compte des justifications fournies.

81 Or, aux points 51 à 59 du présent arrêt, la Cour a déjà souligné l'importance du principe selon lequel, avant que le pouvoir adjudicateur puisse rejeter une offre comme anormalement basse, le soumissionnaire doit disposer de la possibilité de faire valoir, utilement et de manière contradictoire, son point de vue sur chacun des différents éléments de prix proposés.

82 Étant donné que, dans la perspective du développement d'une concurrence effective dans le domaine des marchés publics, il est essentiel que cette faculté soit la plus large et complète possible, le soumissionnaire doit pouvoir présenter à l'appui de son offre toutes les justifications, et notamment celles énoncées à l'article 30, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive, que, compte tenu de la nature et des caractéristiques du marché en cause, il estime appropriées, sans aucune limitation à cet égard. Quant au pouvoir adjudicateur, il est tenu de prendre en considération l'intégralité des justifications avancées par l'entrepreneur avant d'adopter sa décision quant à l'admission ou au rejet de l'offre en cause.

83 Il en résulte que, au vu tant de son libellé que de sa finalité, l'article 30, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive n'établit pas un catalogue exhaustif des justifications susceptibles d'être présentées, mais se borne à donner des exemples des justifications que le soumissionnaire peut fournir afin de démontrer le sérieux des différents éléments de prix proposés. À plus forte raison la disposition en cause n'autorise-t-elle pas l'exclusion de certains types de justifications.

84 Ainsi que le gouvernement autrichien et la Commission l'ont fait valoir dans leurs observations et que M. l'avocat général l'a souligné aux points 50 et 51 de ses conclusions, toute limitation à cet égard serait en effet en contradiction manifeste avec l'objectif de la directive de faciliter le jeu de la libre concurrence entre l'ensemble des soumissionnaires, une telle limitation entraînant l'exclusion pure et simple des offres justifiées par des considérations autres que celles admises par la réglementation nationale applicable, en dépit d'un prix le cas échéant plus avantageux.

85 Il s'ensuit que l'article 30, paragraphe 4, de la directive s'oppose à une réglementation nationale, telle celle applicable au principal, qui, d'une part, impose au pouvoir adjudicateur de ne prendre en considération, pour les besoins de la vérification des offres anormalement basses, que certaines justifications limitativement énumérées, cette énumération omettant de surcroît les justifications tenant à l'originalité du projet du soumissionnaire pourtant formellement visées au deuxième alinéa de ladite disposition, et qui, d'autre part, exclut expressément certains types de justifications, telles celles relatives à tout élément pour lequel une valeur minimale est établie par la voie législative, réglementaire ou administrative ou peut être déterminée sur la base de données officielles.

86 Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que l'article 30, paragraphe 4, de la directive doit être interprété de la manière suivante:

- Il s'oppose à la réglementation et à la pratique administrative d'un État membre qui permettent au pouvoir adjudicateur de rejeter comme anormalement basses les offres présentant un rabais supérieur au seuil d'anomalie en tenant uniquement compte des justifications des prix proposés, portant sur au moins 75 % de la valeur de base du marché mentionnée dans l'avis de marché, que les soumissionnaires étaient tenus de joindre à leur offre, sans donner à ces derniers la possibilité de faire valoir leur point de vue, après l'ouverture des enveloppes, sur les éléments de prix proposés qui ont donné lieu à des suspicions.

- Il s'oppose également à la réglementation et à la pratique administrative d'un État membre qui imposent au pouvoir adjudicateur de prendre en considération, pour les besoins de la vérification des offres anormalement basses, les seules justifications tenant à l'économie du procédé de construction ou des solutions techniques adoptées ou aux conditions particulièrement favorables dont dispose le soumissionnaire, à l'exclusion de celles relatives à tout élément pour lequel une valeur minimale est établie par la voie législative, réglementaire ou administrative ou peut être déterminée sur la base de données officielles.

- En revanche, il ne s'oppose pas, en principe, pour autant que toutes les exigences qu'il impose sont par ailleurs respectées et que les objectifs poursuivis par la directive ne sont pas affectés, à la réglementation et à la pratique administrative d'un État membre qui, en matière de détermination des offres anormalement basses et de vérification de ces offres, d'une part, obligent tous les soumissionnaires, sous peine d'exclusion de leur participation au marché, à accompagner leur offre de justifications des prix proposés, portant sur au moins 75 % de la valeur de base dudit marché, et, d'autre part, appliquent une méthode de calcul du seuil d'anomalie fondée sur la moyenne de l'ensemble des offres reçues pour l'adjudication en cause, de sorte que les soumissionnaires ne sont pas en mesure de connaître ledit seuil au moment du dépôt de leur dossier, le résultat auquel aboutit l'application de cette méthode de calcul devant cependant pouvoir être reconsidéré par le pouvoir adjudicateur.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

87 Les frais exposés par les gouvernements italien et autrichien, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le Consiglio di Stato, par ordonnances du 26 mai 1999, dit pour droit:

L'article 30, paragraphe 4, de la directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, doit être interprété de la manière suivante:

- Il s'oppose à la réglementation et à la pratique administrative d'un État membre qui permettent au pouvoir adjudicateur de rejeter comme anormalement basses les offres présentant un rabais supérieur au seuil d'anomalie en tenant uniquement compte des justifications des prix proposés, portant sur au moins 75 % de la valeur de base du marché mentionnée dans l'avis de marché, que les soumissionnaires étaient tenus de joindre à leur offre, sans donner à ces derniers la possibilité de faire valoir leur point de vue, après l'ouverture des enveloppes, sur les éléments de prix proposés qui ont donné lieu à des suspicions.

- Il s'oppose également à la réglementation et à la pratique administrative d'un État membre qui imposent au pouvoir adjudicateur de prendre en considération, pour les besoins de la vérification des offres anormalement basses, les seules justifications tenant à l'économie du procédé de construction ou des solutions techniques adoptées ou aux conditions particulièrement favorables dont dispose le soumissionnaire, à l'exclusion de celles relatives à tout élément pour lequel une valeur minimale est établie par la voie législative, réglementaire ou administrative ou peut être déterminée sur la base de données officielles.

- En revanche, il ne s'oppose pas, en principe, pour autant que toutes les exigences qu'il impose sont par ailleurs respectées et que les objectifs poursuivis par la directive 93/37 ne sont pas affectés, à la réglementation et à la pratique administrative d'un État membre qui, en matière de détermination des offres anormalement basses et de vérification de ces offres, d'une part, obligent tous les soumissionnaires, sous peine d'exclusion de leur participation au marché, à accompagner leur offre de justifications des prix proposés, portant sur au moins 75 % de la valeur de base dudit marché, et, d'autre part, appliquent une méthode de calcul du seuil d'anomalie fondée sur la moyenne de l'ensemble des offres reçues pour l'adjudication en cause, de sorte que les soumissionnaires ne sont pas en mesure de connaître ledit seuil au moment du dépôt de leur dossier, le résultat auquel aboutit l'application de cette méthode de calcul devant cependant pouvoir être reconsidéré par le pouvoir adjudicateur.