61999C0475

Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 17 mai 2001. - Firma Ambulanz Glöckner contre Landkreis Südwestpfalz. - Demande de décision préjudicielle: Oberverwaltungsgericht Rheinland-Pfalz - Allemagne. - Articles 85, 86 et 90 du traité CE (devenus articles 81 CE, 82 CE et 86 CE) - Transport de malades en ambulance - Droits spéciaux ou exclusifs - Restriction à la concurrence - Mission d'intérêt général - Justification - Incidence sur le commerce entre Etats membres. - Affaire C-475/99.

Recueil de jurisprudence 2001 page I-08089


Conclusions de l'avocat général


Table des matières

I - Introduction

II - La loi du Land en cause

1. Notions de base

2. Le service d'aide médicale d'urgence («Rettungsdienst»)

3. Le financement du service d'aide médicale d'urgence

4. Les autorisations de fournir des services indépendants de transport en ambulance

III - La procédure au principal

IV - La portée de la présente procédure préjudicielle

V - Les arguments des parties en présence

VI - L'applicabilité de l'article 86, paragraphe 1, CE: entreprises investies de droits spéciaux ou exclusifs

1. La notion d'entreprise

a) Les organisations sanitaires considérées comme des entreprises

b) Les autorités publiques considérées comme des entreprises

2. Droits spéciaux ou exclusifs

a) La notion de droits spéciaux ou exclusifs

b) Les organisations sanitaires, entreprises investies de droits spéciaux ou exclusifs

VII - Violation de l'article 86, paragraphe 1, CE conjugué avec d'autres dispositions du traité

1. Les articles 86, paragraphe 1, CE et 249,

paragraphe 1, CE

2. Les articles 86, paragraphe 1, CE et 81, paragraphe 1, sous c), CE

3. Les articles 86, paragraphe 1, et 82 CE

a) Position dominante d'une ou plusieurs entreprises sur une partie substantielle du marché commun

- Le marché de produits en cause

- Le marché géographique en cause

- Position dominante sur le marché en cause

- Le marché en cause, partie substantielle du marché commun

b) L'article 18, paragraphe 3, du RettDG 1991 et les abus potentiels de position dominante

- Situation dans laquelle les entreprises dominantes ne sont manifestement pas en mesure de satisfaire la demande

- Création d'un conflit d'intérêts

c) Les effets sur le commerce entre États membres

VIII - Justification au titre de l'article 86, paragraphe 2, CE

IX - Conclusion

I - Introduction

1. La présente affaire, soumise à la Cour par l'Oberverwaltungsgericht Rheinland-Pfalz (Allemagne) porte sur la compatibilité avec les dispositions combinées des articles 86 CE et 82 CE d'une disposition législative en vertu de laquelle les entreprises privées se voient refuser l'autorisation de fournir des services indépendants de transport en ambulance lorsque l'octroi d'une telle autorisation est susceptible d'affecter le fonctionnement et la rentabilité du service public d'aide médicale d'urgence, qui est délégué pour des secteurs géographiques déterminés à des organisations sanitaires privées, telle la Croix-Rouge.

II - La loi du Land en cause

2. En Allemagne, les services de transport en ambulance sont régis par des lois adoptées au niveau des Länder. La loi pertinente du Land de Rhénanie-Palatinat est le Rettungsdienstgesetz dans sa version du 22 avril 1991 (loi relative au service de secours, ci-après le «RettDG 1991»).

1. Notions de base

3. Le RettDG 1991 distingue fondamentalement deux types de service de transport en ambulance, à savoir le transport d'urgence («Notfalltransport») et le transport de malades («Krankentransport»).

4. Le «transport d'urgence» concerne les cas d'urgences médicales («Notfallpatienten»), c'est-à-dire des personnes blessées ou atteintes d'affections mettant leur vie en danger. Il consiste à prendre des mesures propres à leur sauver la vie, à préparer les patients en situation d'urgence au transport, et à les transporter, en leur dispensant les soins appropriés, vers un hôpital adapté à la poursuite de leur traitement .

5. Le «transport de malades» est le transport de personnes souffrantes, blessées ou diminuées qui ne constituent pas des cas d'urgence. Il consiste à prodiguer l'aide médicalement appropriée et à transporter les patients tout en surveillant leur état .

6. Les services de transport d'urgence, de même que les services de transport de malades, doivent être assurés en ambulances («Krankenkraftwagen») , dont il existe deux types principaux.

7. Le transport d'urgence doit en principe être assuré par un véhicule de secours d'urgence («Rettungswagen») . Un véhicule de secours d'urgence doit être équipé d'un appareillage spécial. La personne qui dispense des soins au patient en cas d'urgence au cours du transport doit être un assistant urgentiste qualifié («Rettungsassistent») .

8. Le transport de malades est normalement assuré par une ambulance destinée au transport de malades («Krankentransportwagen») qui n'a pas nécessairement le même équipement technique. Il suffit, du reste, que la personne qui surveille le patient durant le transport possède la qualification moins spécialisée de secouriste («Rettungssanitäter») .

9. Le RettDG 1991 ne s'applique pas au convoyage de malades n'ayant pas besoin d'assistance qualifiée ou de surveillance dans des véhicules autres que des ambulances (trajets de malades) .

2. Le service d'aide médicale d'urgence («Rettungsdienst»)

10. Aux termes de l'article 2, paragraphe 1, du RettDG 1991, le service public d'aide médicale d'urgence consiste à assurer à la population, en fonction de ses besoins («bedarfsgerecht») et sur tout le territoire («flächendeckend»), les services aussi bien d'intervention d'urgence que de transport de malades. Contrairement à ce que la juridiction de renvoi semble admettre, il ressort des pièces soumises à la Cour que le transport de malades (et non pas seulement le transport d'urgence) relevait également des règles en vigueur avant le RettDG 1991 et faisait partie intégrante du service d'aide médicale d'urgence. Le principal objectif du service d'aide médicale d'urgence est de garantir des services de secours sur une base permanente et dans des conditions qualitatives uniformes, même dans les régions excentrées, indépendamment de la rentabilité de chaque opération.

11. Aux fins de l'organisation du service d'aide médicale d'urgence, le Land est divisé en secteurs opérationnels («Rettungsdienstbereiche») . Les services d'aide médicale d'urgence existant dans chaque secteur opérationnel doivent être coordonnés par un centre de coordination («Rettungsleitstelle») . Les services proprement dits doivent être assurés par des postes de secours («Rettungswachen»), qui doivent être équipés en hommes et en matériel et entretenus selon les besoins locaux . Il doit être possible d'atteindre tout point situé sur la voie publique dans les quinze minutes suivant la réception d'un appel au centre de coordination .

12. La responsabilité du service d'aide médicale d'urgence incombe en principe au Land, aux districts territoriaux du Land («Landkreise») et aux villes qui constituent elles-mêmes un district («Kreisfreie Städte») .

13. Toutefois, en vertu de l'article 5, paragraphe 1, du RettDG 1991, l'autorité compétente «délègue» («überträgt») l'exécution du service d'aide médicale d'urgence à des «organisations sanitaires reconnues» («anerkannte Sanitätsorganisationen»), si et pour autant que ces organisations sont aptes et disposées à garantir un service d'aide médicale d'urgence permanent. Le service d'aide médicale d'urgence ne peut être délégué à d'autres opérateurs que si les organisations mentionnées à l'article 5, paragraphe 1, ne sont pas disposées ou aptes à l'assurer .

14. La délégation du service d'aide médicale d'urgence à des organisations sanitaires ne porte que sur l'exécution du service. La responsabilité ultime de l'autorité publique délégante sur le service demeure, semble-t-il, intacte, comme le montre le fait qu'elle conserve le droit d'exercer un contrôle et de donner des directives, et l'obligation de supporter les coûts .

15. La juridiction de renvoi mentionne que, dans pratiquement tous les cas, les districts et villes-districts compétents ont délégué le service d'aide médicale d'urgence aux organisations sanitaires reconnues, à savoir le Deutsches Rotes Kreuz (Croix-Rouge allemande), l'Arbeiter-Samariter Bund (union des travailleurs samaritains), la Johanniter-Unfall-Hilfe (aide des johannites aux accidentés) et le Malteser-Hilfsdienst (Croix de Malte). Seule la ville de Trèves - plus précisément le corps des sapeurs-pompiers professionnels - gère elle-même le service d'aide médicale d'urgence.

16. La juridiction de renvoi précise également que la délégation du service est opérée au moyen d'un acte unilatéral de l'autorité compétente («Beleihung»). L'article 5, paragraphe 2, du RettDG 1991 stipule toutefois que la délégation s'effectue par un contrat de droit public («öffentlich-rechtlicher Vertrag») entre l'autorité compétente et l'organisation sanitaire concernée. Deux de ces contrats ont été produits devant la Cour.

17. Les postes de secours sont équipés en hommes et en matériel et entretenus par l'organisation sanitaire à laquelle le service public d'aide médicale d'urgence a été délégué dans ce secteur géographique . Lorsque les postes de secours ont été délégués, à l'intérieur d'un secteur opérationnel donné, à plusieurs organisations sanitaires, c'est à la plus grande de ces organisations qu'il appartient d'équiper en hommes et en matériel et d'entretenir le centre de coordination .

3. Le financement du service d'aide médicale d'urgence

18. Le service d'aide médicale d'urgence est financé en partie par l'État, et en partie par des contributions des utilisateurs.

19. Les frais d'infrastructure des centres de coordination et des postes de secours (construction, maintenance, équipement, loyers) sont en grande partie directement financés par le Land ou les districts et villes-districts .

20. En vertu de l'article 12, paragraphe 1, du RettDG 1991, les frais restants - en majorité des frais d'exploitation («Betriebskosten») - doivent être financés par des contributions des utilisateurs («Benutzungsentgelte»). En vertu du principe de la couverture intégrale des coûts («Selbstkostendeckungsprinzip»), les contributions des utilisateurs doivent être calculées de manière à couvrir tous les coûts du service d'aide médicale d'urgence qui ne sont pas financés par d'autres sources.

21. Aux termes de l'article 12, paragraphe 2, du RettDG 1991, les organisations sanitaires chargées du service d'aide médicale d'urgence concluent avec les associations représentant le secteur de l'assurance maladie des conventions sur les sommes dues au titre des contributions des utilisateurs. Ces conventions doivent être agréées par le ministre compétent. La raison pour laquelle les associations représentant le secteur de l'assurance maladie jouent un rôle aussi déterminant dans la fixation des contributions des utilisateurs réside dans le fait que ces charges doivent en dernier ressort être supportées par les caisses d'assurance maladie publiques et privées.

22. Les contributions des utilisateurs doivent être établies de manière uniforme pour le Land. Elles sont donc identiques pour des services de transport en ambulance, qu'ils soient fournis en ville ou dans les zones excentrées.

4. Les autorisations de fournir des services indépendants de transport en ambulance

23. Parallèlement aux règles gouvernant le service d'aide médicale d'urgence, il existe des règles générales régissant les autorisations de fournir des services de transport en ambulance.

24. Ces règles figuraient à l'origine dans le Personenbeförderungsgesetz (loi sur le transport de personnes), loi fédérale applicable dans toute l'Allemagne. Cette loi considérait la fourniture de services de transport en ambulance comme un mode de convoyage de personnes en véhicule de location. Les fournisseurs de services de transport en ambulance devaient détenir une autorisation pour se livrer à cette activité. La délivrance de l'autorisation était subordonnée à des conditions de sécurité et d'efficacité de l'opération, et à des assurances en ce qui concerne la fiabilité et les qualifications professionnelles de l'opérateur. Mais l'autorisation d'exploiter un service de transport en ambulance n'était pas subordonnée - au contraire, par exemple, du cas d'un service de taxis - à une évaluation des besoins. À l'intérieur de ce cadre légal, le service d'aide médicale d'urgence, tenu à l'obligation d'être disponible 24 heures sur 24 sur tout le territoire, coexistait avec des opérateurs privés indépendants, qui se consacraient la plupart du temps au transport non urgent de malades au cours de la journée.

25. En 1989 - apparemment à la demande des Länder -, la loi fédérale en question a été amendée de manière à soustraire le secteur des services de transport en ambulance de son champ d'application. La voie était donc libre pour que les Länder légifèrent en la matière, ce que le Rheinland-Pfalz a fait par le RettDG 1991.

26. Par voie de conséquence, le RettDG 1991 comporte, à l'encontre des lois antérieures, non seulement des dispositions relatives au service d'aide médicale d'urgence, mais aussi des dispositions générales sur les services de transport en ambulance, et en particulier sur l'autorisation nécessaire pour fournir de tels services.

27. De même que sous le régime fédéral antérieur, la délivrance de l'autorisation est subordonnée à des conditions relatives à la sécurité et à l'efficacité de l'opération, et à des garanties de fiabilité et de qualification professionnelle de l'opérateur.

28. L'article 18, paragraphe 3, du RettDG 1991, disposition qui est au centre de la présente affaire, impose cependant une nouvelle condition. Il est libellé dans les termes suivants:

«L'autorisation est refusée lorsqu'il est prévisible que son usage sera préjudiciable à l'intérêt de la collectivité à disposer d'un service d'aide médicale d'urgence efficace au sens de l'article 2, paragraphe 1. À cet égard, il est en particulier tenu compte, dans le cadre de la préparation du plan d'aide médicale d'urgence du Land [...], de la couverture de l'ensemble du territoire et de l'utilisation optimale des capacités dans le secteur opérationnel; le plan s'appuie également sur le nombre d'interventions, le délai nécessaire pour parvenir sur les lieux et la durée des interventions, ainsi que l'évolution des comptes de résultat. [...]»

29. Selon la juridiction nationale, cette disposition doit être interprétée en ce sens qu'elle accorde aux organisations sanitaires un monopole de fait sur les marchés des services de transport d'urgence et de transport de malades. À son sens, la disposition en cause ne permettrait la délivrance d'autorisations à des opérateurs indépendants de services de transport en ambulance que si le service d'aide médicale d'urgence n'était pas en mesure de couvrir les besoins. Or tel ne peut jamais être le cas, puisque le service d'aide médicale d'urgence est tenu d'assurer un service d'urgence sur tout le territoire 24 heures sur 24. Les capacités nécessaires au service d'aide médicale d'urgence sont déterminées, non par des considérations économiques, mais par les cas d'urgence, et même les catastrophes, possibles. Dans le système de l'aide médicale d'urgence, les périodes de garde sont donc nécessairement plus longues que les périodes d'opération. Il ne sera donc jamais ni utile ni nécessaire d'autoriser des opérateurs privés. Cela réduirait au contraire le recours au service d'aide médicale d'urgence et affecterait donc son compte de résultat.

III - La procédure au principal

30. La demanderesse, Ambulanz Glöckner, est une entreprise privée établie à Pirmasens, qui fournit des services de transport en ambulance hors du service d'aide médicale d'urgence. Il ressort du dossier qu'elle possède et utilise deux ambulances de transport de malades et une ambulance d'intervention d'urgence. En vertu d'un accord-cadre qu'elle a conclu avec deux importantes compagnies d'assurance maladie, elle est habilitée à facturer ses services selon un tarif conventionné considérablement inférieur aux tarifs pratiqués par le service public d'aide médicale d'urgence.

31. En ce qui concerne son ambulance d'intervention d'urgence, elle s'est vu délivrer en 1990 - donc avant l'entrée en vigueur du RettDG 1991 et sous l'empire de la législation fédérale antérieure - une autorisation de fournir des services de transport de malades, expirant en octobre 1994.

32. En juillet 1994, elle a sollicité auprès des autorités du Landkreis Südwestpfalz, défendeur (ci-après le «Landkreis»), le renouvellement de l'autorisation de fournir des «services de transport d'urgence et de transport de malades».

33. Le Landkreis a invité les deux organisations sanitaires chargées de la gestion du service public d'aide médicale d'urgence dans le secteur considéré, à savoir le Deutsches Rotes Kreuz Landesverband Rheinland-Pfalz (ci-après le «DRK») et l'Arbeiter Samariter-Bund Landesverband Rheinland-Pfalz (ci-après l'«ASB»), à faire connaître leur point de vue sur les effets qu'aurait l'autorisation sollicitée.

34. Les deux organisations ont fait savoir que la fourniture du service d'aide médicale d'urgence couvrant tout le territoire n'était d'ores et déjà pas gérée de manière à couvrir les frais, de sorte que l'arrivée d'un nouvel opérateur soit entraînerait l'augmentation des contributions des utilisateurs, soit conduirait à réduire les performances du service public d'aide médicale d'urgence.

35. Le Landkreis a par conséquent refusé de renouveler l'autorisation, sur la base de l'article 18, paragraphe 3, du RettDG 1991. Il a fait valoir que, dans le secteur concerné, le service d'aide médicale d'urgence n'avait opéré en 1993 qu'à 26 % de sa capacité.

36. Ambulanz Glöckner a tout d'abord introduit une réclamation contre cette décision et, après son rejet, a saisi les tribunaux.

37. Par jugement du 28 janvier 1998, le Verwaltungsgericht Neustadt an der Weinstrasse a ordonné aux autorités défenderesses de délivrer à la demanderesse l'autorisation sollicitée. Il a estimé, pour l'essentiel, qu'il était erroné d'interpréter l'article 18, paragraphe 3, du RettDG 1991 en ce sens qu'il ferait dans tous les cas obstacle à la possibilité de délivrer aux opérateurs indépendants des autorisations de fournir des services de transport en ambulance. Il ressort au contraire du régime établi par la loi en cause qu'elle visait à permettre aux opérateurs privés de fournir des services de transport en ambulance en parallèle avec le service d'aide médicale d'urgence. Le législateur a donc implicitement admis qu'il pourrait par là même se produire dans une certaine mesure des augmentations des coûts. Puisque la demanderesse avait effectué des transports de malades pendant plus de sept ans, il était évident que son activité n'avait menacé ni la capacité opérationnelle ni l'existence du service d'aide médicale d'urgence.

38. Le Landkreis a interjeté appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi, qui a appelé en cause les organisations sanitaires concernées, à savoir l'ASB et le DRK. En vertu des règles de procédure applicables, le Vertreter des öffentlichen Interesses (représentant les intérêts de l'administration publique) participe également à cette procédure.

39. Selon la juridiction de renvoi, l'affaire dépend de l'applicabilité de l'article 18, paragraphe 3, du RettDG 1991. À ses yeux, si cette disposition s'applique, les autorités étaient tenues de refuser de renouveler l'autorisation, puisque les organisations chargées du service d'aide médicale d'urgence disposent de capacités de réserve, et l'appel serait donc accueilli. Mais, si l'article 18, paragraphe 3, se révélait être incompatible avec le droit communautaire, et donc inapplicable, l'appel serait rejeté.

40. À cet égard, la juridiction de renvoi estime que les organisations sanitaires sont des entreprises ayant des «droits spéciaux ou exclusifs» au sens de l'article 86, paragraphe 1, CE. En outre, l'adoption de l'article 18, paragraphe 3, du RettDG 1991 par le législateur du Land peut être considérée comme une «mesure» condamnée par l'article 86, paragraphe 1, CE. En effet, la disposition contestée crée des monopoles sur le marché des services de transport en ambulance en violation des objectifs généraux du traité et de l'interdiction de répartir les marchés établie à l'article 81, paragraphe 1, sous c), CE. À son avis, la disposition contestée ne peut être justifiée au titre de l'article 86, paragraphe 2, CE. Puisque la situation préexistante était tout à fait satisfaisante, il n'était pas nécessaire de créer un monopole de services.

41. Mais la juridiction nationale, se référant à un certain nombre d'arrêts de la Cour, éprouve cependant des doutes sur deux questions, à savoir si l'octroi d'un droit exclusif peut, en tant que tel, être considéré comme incompatible avec le traité, et si la mesure contestée est «susceptible d'affecter le commerce entre États membres» au sens des articles 81 CE et 82 CE.

42. En vertu de ces considérations, elle a soumis à la Cour, pour une décision à titre préjudiciel, la question suivante:

«La concession d'un monopole en matière de prestations de transport de malades pour une zone géographique limitée est-elle compatible avec l'article 86, paragraphe 1, CE et les articles 81 et 82 CE?»

43. Entre temps, la juridiction de renvoi a ordonné aux autorités de délivrer à la demanderesse à titre provisoire, jusqu'à ce qu'elle ait statué définitivement sur l'affaire, une autorisation d'assurer des interventions d'urgence et le transport de malades avec l'ambulance en question.

44. Des observations écrites ont été déposées par Ambulanz Glöckner, le Landkreis Südwestpfalz, l'ASB, le Vertreter des öffentlichen Interesses, le gouvernement autrichien et la Commission. Ils ont également remis des réponses écrites aux questions posées par la Cour. À l'audience, Ambulanz Glöckner, le Landkreis Südwestpfalz, le Vertreter des öffentlichen Interesses et la Commission étaient représentés.

IV - La portée de la présente procédure préjudicielle

45. L'une des difficultés posées par la présente affaire est que les observations qui ont été déposées traduisent un désaccord avec la juridiction de renvoi, et cela non seulement sur l'interprétation des dispositions pertinentes du traité, mais aussi sur l'interprétation des dispositions nationales en cause, sur le contexte factuel, et sur la portée de la question soumise à la Cour. Il nous faut donc, avant de débuter l'analyse, clarifier un certain nombre de points préliminaires.

46. En premier lieu, la juridiction de renvoi estime que les dispositions en vigueur avant 1991 concédaient seulement le transport d'urgence aux organisations sanitaires concernées, et que le RettDG 1991 a élargi la portée de cette délégation pour l'étendre aussi au transport de malades . Sur la base de cette thèse, les observations de la Commission, par exemple, examinent en détail la question de savoir si les règles de concurrence interdisent à un État membre d'étendre le champ d'application d'un monopole préexistant du transport d'urgence au domaine nouveau du transport de malades.

47. Or, il ressort à l'évidence des observations des parties à la procédure au principal, et en particulier du texte de la loi en vigueur avant 1991 , que le service d'aide médicale d'urgence comprenait déjà avant 1991 à la fois le transport d'urgence et le transport de malades. La loi antérieure n'excluait de son champ d'application (comme le fait le RettDG 1991) que le convoyage de malades n'ayant pas besoin d'assistance qualifiée ou de surveillance, dans des véhicules autres que les ambulances (trajets de malades) .

48. Puisque le malentendu est manifeste et porte sur l'état antérieur de la loi, qui n'est pas directement en cause dans la présente affaire, la Cour devrait, selon nous, statuer en admettant que le service public d'aide médicale d'urgence a toujours inclus à la fois le transport d'urgence et le transport de malades. Dès lors qu'une question ne se pose à l'évidence pas, il ne serait pas sage que la Cour tente de la résoudre.

49. En deuxième lieu, plusieurs des observations soumises à la Cour reposent manifestement sur l'idée que la présente affaire pose également la question de savoir si une disposition telle que l'article 5 du RettDG 1991 , en vertu de laquelle le service public d'aide médicale d'urgence doit être confié en priorité aux «organisations sanitaires reconnues», est compatible avec les règles de concurrence.

50. Or, il ressort des faits qui sont à l'origine de la procédure au principal et de l'ordonnance de renvoi que les dispositions relatives à la concession du service d'aide médicale d'urgence ne sont pas elles-mêmes en cause. Ambulanz Glöckner n'a pas demandé à être chargée du service d'aide médicale d'urgence dans un secteur donné. Elle a seulement sollicité une autorisation d'assurer des services indépendants de transport en ambulance en parallèle avec le service d'aide médicale d'urgence, et en dehors de celui-ci. La juridiction de renvoi ne semble pas davantage se préoccuper du fait que le service d'aide médicale d'urgence est en principe réservé à un cercle fermé d'organisations. Elle estime simplement que les dispositions régissant les autorisations d'assurer des services indépendants de transport en ambulance, et en particulier l'article 18, paragraphe 3, du RettDG 1991, pourraient être incompatibles avec le droit communautaire.

51. En troisième lieu - et c'est peut-être le point le plus ardu -, la juridiction de renvoi estime que l'article 18, paragraphe 3, du RettDG 1991 doit être interprété en ce sens qu'il exclut dans tous les cas la délivrance d'autorisations à des fournisseurs indépendants de services de transport en ambulance . C'est, semble-t-il, la raison pour laquelle elle évoque dans sa question la création d'un «monopole». Le Vertreter des öffentlichen Interesses adopte une position similaire en affirmant que la disposition contestée doit être appliquée de manière stricte, afin d'éviter tout effet négatif sur le service d'aide médicale d'urgence.

52. Le Landkreis défendeur et l'ASB soutiennent en revanche que l'article 18, paragraphe 3, doit être interprété en ce sens qu'il ne fait obstacle à l'octroi d'autorisations aux fournisseurs indépendants que lorsqu'il est susceptible d'avoir des effets négatifs considérables sur le service d'aide médicale d'urgence. Ils se fondent sur le jugement prononcé en première instance par le Verwaltungsgericht Neustadt an der Weinstrasse , et sur un passage des travaux préparatoires de la loi. L'ASB suggère donc que la question soumise à la Cour soit reformulée en ce sens.

53. Il est vrai que l'interprétation de l'article 18, paragraphe 3, du RettDG 1991 avancée par la juridiction de renvoi est difficilement conciliable avec le fait que le RettDG 1991 a introduit dans ses articles 14 à 27 un large ensemble de dispositions régissant, non seulement les conditions de délivrance des autorisations d'assurer des services de transport en ambulance, mais aussi les obligations des opérateurs autorisés et la rémunération des services indépendants de transport en ambulance. Nombre de ces dispositions apparaîtraient comme dépourvues d'intérêt pratique si l'interprétation de l'article 18, paragraphe 3, retenue par la juridiction de renvoi devait prévaloir.

54. Néanmoins, puisque l'interprétation correcte de la loi nationale ne relève pas de la Cour, nous n'entendons pas reformuler la question déférée de la manière qui a été suggérée. En tout état de cause, le désaccord relatif à cette interprétation peut être réglé à la lumière de la réponse que la Cour aura apportée.

V - Les arguments des parties en présence

55. Ambulanz Glöckner soutient que la disposition en cause est incompatible avec les dispositions combinées des articles 86, paragraphe 1, CE, et 81 CE, 82 CE et 249 CE (pour violation de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures des procédures de passation des marchés publics de services ).

56. À ses yeux, les autorités publiques responsables des services d'aide médicale d'urgence, tout comme les organisations sanitaires chargées de gérer ces services, doivent être considérées comme des entreprises investies de droits spéciaux ou exclusifs au sens de l'article 86, paragraphe 1, CE.

57. En outre, les dispositions du RettDG 1991 enfreignent l'article 86, paragraphe 1, CE conjugué avec d'autres dispositions du droit communautaire pour les raisons suivantes:

- elles entraînent des infractions à l'article 81, paragraphe 1, sous c), CE, puisqu'elles permettent aux organisations sanitaires de répartir le marché national des services de transport en ambulance par des accords entre elles et avec les autorités publiques;

- elles entraînent des infractions à l'article 82 CE dans la mesure où, en premier lieu, les organisations sanitaires ne sont pas en mesure de satisfaire la demande que présente ce marché en services de transport de malades qualifié à des prix acceptables et, en deuxième lieu, les autorités publiques et les organisations sanitaires sont susceptibles de limiter conjointement l'accès des opérateurs concurrents au marché;

- l'infraction à l'article 249 CE découle du non-respect par les autorités publiques de la directive relative à la passation des marchés publics, lors de la concession du service d'aide médicale d'urgence aux organisations sanitaires.

58. La Commission suit en substance la même ligne de raisonnement. Mais, selon elle, la Cour ne dispose pas d'informations suffisantes pour décider si la position des organisations sanitaires sur le marché des services de transport en ambulance concerne «une partie substantielle du marché commun» et si la mesure contestée peut conduire à un comportement susceptible d'affecter le commerce entre États membres au sens de l'article 82 CE. Sur ces points, la Commission suggère de laisser à la juridiction de renvoi le soin de procéder aux constatations nécessaires, et de donner de simples lignes directrices générales.

59. Le Landkreis défendeur, l'ASB, le Vertreter des öffentlichen Interesses et le gouvernement autrichien estiment tous que la mesure contestée est compatible avec le droit communautaire.

60. En premier lieu, l'article 86, paragraphe 1, CE est, à leur avis, inapplicable car les organisations sanitaires concernées ne peuvent pas être considérées comme des entreprises investies de «droits spéciaux ou exclusifs». L'article 81, paragraphe 1, sous c), CE et la directive relative aux procédures de passation des marchés publics de service ne sont pas davantage applicables.

61. En outre, l'infraction aux dispositions combinées des articles 86, paragraphe 1, CE et 82 CE n'est pas constituée car:

- le secteur opérationnel de chaque organisation sanitaire ne correspond pas à une partie substantielle du marché commun,

- le commerce entre États membres n'est pas affecté dans une proportion sensible,

- la simple création d'une position dominante ne relève pas de ces dispositions,

- les organisations sanitaires ont toujours fourni des services satisfaisants, et les contributions demandées aux utilisateurs étaient justifiées.

62. Enfin, et en tout état de cause, la mesure en cause est justifiée aux termes de l'article 86, paragraphe 2, CE. Les organisations sanitaires assurant le service d'aide médicale d'urgence sont «chargées de la gestion de services d'intérêt économique général». Rapporter l'article 18, paragraphe 3, du RettDG ferait «échec à l'accomplissement en droit et en fait de la mission particulière qui leur a été impartie». Il est en effet notamment nécessaire d'accorder au service d'aide médicale d'urgence une certaine protection contre l'opportunisme des opérateurs indépendants, qui souhaitent n'assurer leurs services qu'à des heures de pointe rentables, dans des zones à forte densité de population, donc aisément accessibles.

63. À la lumière de ces arguments, nous évoquerons successivement:

- l'applicabilité de l'article 86, paragraphe 1, CE,

- la prétendue violation de l'article 86, paragraphe 1, CE conjugué avec d'autres dispositions du traité, et

- l'éventuelle justification au titre de l'article 86, paragraphe 2, CE.

VI - L'applicabilité de l'article 86, paragraphe 1, CE: entreprises investies de droits spéciaux ou exclusifs

64. L'article 86, paragraphe 1, CE s'applique aux «entreprises» auxquelles les États membres octroient «des droits spéciaux ou exclusifs».

1. La notion d'entreprise

65. Ambulanz Glöckner soutient que les organisations sanitaires, de même que les autorités publiques, responsables à titre primaire du service d'aide médicale d'urgence, doivent être considérées comme des entreprises.

a) Les organisations sanitaires considérées comme des entreprises

66. En ce qui concerne, en premier lieu, les organisations sanitaires en question, aucune des parties n'a soutenu qu'elles ne devraient pas être considérées comme des entreprises au sens du droit de la concurrence. Il est constant que:

- dans le Land concerné, il existe quatre organisations sanitaires reconnues , parmi lesquelles le DRK (Croix-Rouge allemande) est apparemment la plus importante,

- elles sont constituées en associations à but non lucratif,

- elles assurent notamment des services, à la fois de transport d'urgence et de transport de malades,

- dans le Land concerné, elles ont été chargées de la gestion du service public d'aide médicale d'urgence dans presque tous les secteurs opérationnels,

- à l'intérieur de ces secteurs opérationnels, elles équipent, pourvoient en personnel et entretiennent les centres de coordination et les postes de secours,

- les coûts d'infrastructure du service public d'aide médicale d'urgence sont financés principalement par des fonds publics, et les coûts des opérations principalement par les contributions des utilisateurs,

- en vertu du principe de la couverture exhaustive des coûts, les contributions des utilisateurs doivent être calculées de manière à garantir qu'elles couvrent tous les coûts des services d'aide médicale d'urgence qui ne sont pas financés au moyen d'autres ressources.

67. Il convient de rappeler que, aux fins du droit de la concurrence, la notion d'entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement . Le critère décisif est celui de savoir si l'organisation en question se livre à une activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné qui serait susceptible, au moins en principe, d'être celle d'une entité poursuivant un but lucratif .

68. Dans le cas présent, il ressort clairement des faits de la procédure au principal que le transport non urgent de malades a aussi été assuré dans le passé en Allemagne par des entreprises privées, dans un but lucratif. Il ressort en outre du dossier que Ambulanz Glöckner a aussi fourni dans le passé des services de transport d'urgence. Rien n'indique donc que le transport d'urgence ou le transport de malades sont par nature tels que ces services doivent nécessairement être assurés par des organismes publics . La question de savoir si le transport d'urgence ou le transport de malades génèrent des bénéfices dépend uniquement de la rémunération que l'opérateur obtient pour ses services. De plus, la juridiction de renvoi indique que, en vertu du droit civil allemand également, le rapport entre l'opérateur d'un service d'ambulance et le patient est considéré comme un contrat de service «ordinaire». La fourniture de services de transport en ambulance constitue donc une activité économique au sens de la jurisprudence de la Cour.

69. Cette conclusion n'est pas affectée par le statut juridique d'associations à but non lucratif des organisations sanitaires , ni par la méthode de financement de leurs activités , ni par le fait qu'elles ont été chargées de missions d'intérêt public . Sur les deux derniers points, il convient de rappeler que les obligations de service public peuvent rendre les services fournis par un opérateur donné moins compétitifs que des services comparables fournis par d'autres opérateurs, et donc justifier, sous certaines conditions, l'octroi de droits spéciaux ou exclusifs ou d'une aide d'État. Il découle toutefois des articles 86, paragraphes 1 et 2, CE et 87 CE que ni les obligations de services publics ni les droits spéciaux ou exclusifs ni le financement de l'État ne peuvent empêcher que les activités d'un opérateur soient considérées comme des activités économiques .

70. Nous en concluons que, en ce qui concerne la fourniture de services de transport en ambulance, les organisations sanitaires en question doivent être considérées comme des entreprises au sens de l'article 86, paragraphe 1, CE.

b) Les autorités publiques considérées comme des entreprises

71. Ambulanz Glöckner soutient en deuxième lieu que les autorités publiques en question, en particulier le Landkreis défendeur, doivent également être considérées comme des entreprises. Elle rappelle que le RettDG 1991 charge au premier chef les autorités de la mission de gérer le service public d'aide médicale d'urgence. Ces autorités peuvent donc être considérées comme des concurrents potentiels d'opérateurs indépendants tels que Ambulanz Glöckner.

72. Nous estimons qu'une approche nuancée s'impose. Selon une jurisprudence constante, les organismes publics se livrant à une activité économique peuvent être considérés comme des entreprises . En revanche, les activités relevant de l'exercice de l'autorité publique échappent à l'application des règles de concurrence . En outre, la notion d'«entreprise» est un concept relatif en ce sens qu'une entité donnée peut être considérée comme une entreprise pour une partie de ses activités alors que, pour le reste, elle ne relève pas des règles de concurrence .

73. Dans le cadre du régime instauré par le RettDG 1991, les autorités publiques assument trois fonctions différentes: en premier lieu, elles portent la responsabilité première du service d'aide médicale d'urgence et, sur cette base, elles assurent elles-mêmes ce service dans certains secteurs; en deuxième lieu, dans la plupart des secteurs, elles délèguent le service d'aide médicale d'urgence à des organisations sanitaires; et, enfin, elles statuent sur l'autorisation d'opérateurs indépendants.

74. Lorsque les autorités publiques gèrent elles-mêmes le service d'aide médicale d'urgence (tel est apparemment le cas dans la ville de Trèves), elles se livrent à l'activité économique de «prestation de services de transport en ambulance». Dans ces zones, les autorités en question doivent être considérées comme des entreprises au sens des règles de concurrence.

75. Lorsque les autorités déléguent le service d'aide médicale d'urgence aux organisations sanitaires, il est plus difficile de caractériser la nature de cette délégation. On peut soutenir que le transfert de la responsabilité d'une activité économique donnée d'un organisme (public) à un autre organisme (privé) doit aussi être considéré en lui-même comme une activité économique. Mais on peut aussi soutenir que, en pareille situation, l'autorité agit en sa capacité d'autorité publique, et non pas, donc, en tant qu'entreprise au sens des articles 81 CE et 82 CE . Puisque la présente affaire préjudicielle ne porte pas directement sur la délégation du service public d'aide médicale d'urgence aux organisations sanitaires , il n'est pas nécessaire que nous prenions une position définitive sur cette question ardue.

76. En ce qui concerne l'activité en cause dans l'affaire au principal, à savoir l'octroi ou le refus d'octroyer des autorisations de fournir des services indépendants de transport en ambulance, il convient de rappeler qu'un organisme agit dans le cadre de l'exercice de l'autorité publique lorsque les activités en question, «par leur nature, par leur objet et par les règles auxquelles elles sont soumises, se rattachent à l'exercice de prérogatives [...] qui sont typiquement des prérogatives de puissance publique» . Une décision portant octroi ou refus d'une autorisation de fournir des services de transport en ambulance dans le cadre du RettDG 1991 relève à nos yeux, à l'évidence, de cette définition. Avant d'accorder l'autorisation, les autorités examinent la sécurité et l'efficacité de l'opération, la fiabilité et les qualifications professionnelles de l'opérateur et - en vertu de la disposition contestée - les effets possibles d'une autorisation sur le service d'aide médicale d'urgence. L'octroi ou le refus d'une autorisation est donc une décision administrative typique, prise dans l'exercice de prérogatives conférées par la loi, qui sont normalement réservées aux autorités publiques. Nous ne voyons pas en quoi cette activité décisionnelle pourrait être assimilée à l'offre de biens ou de services sur des marchés donnés.

77. Le fait, invoqué par Ambulanz Glöckner, que les autorités publiques sont des concurrents potentiels sur le marché des services de transport en ambulance est, à notre avis, indifférent aux fins de la classification de leurs activités décisionnelles.

78. En premier lieu, nous ne pensons pas que les articles 81 CE et 82 CE s'appliquent à des entreprises potentielles. Les autorités publiques pourraient théoriquement se livrer à pratiquement toute activité économique, et relèveraient donc en permanence du champ d'application des règles de concurrence.

79. En tout état de cause, même si les autorités sont des concurrents concrets de fournisseurs indépendants (comme cela semble être le cas à Trèves), la gestion du service d'aide médicale d'urgence (activité économique) et l'octroi ou le refus d'octroyer des autorisations de fournir des services indépendants de transport en ambulance (activité décisionnelle) doivent être analysés séparément. C'est seulement en ce qui concerne la première activité que les autorités agissent en tant qu'entreprise au sens du droit de la concurrence.

80. Il est vrai que la jurisprudence de la Cour exige qu'un organisme d'État ayant des pouvoirs réglementaires sur un marché donné soit indépendant de toute entreprise opérant sur ce marché . Cette jurisprudence n'établit toutefois pas que les activités réglementaires des autorités doivent être considérées comme une activité économique, elle ne concerne que la compatibilité avec le traité du conflit d'intérêts qui en résulte.

81. Nous en concluons que les autorités ne peuvent pas être considérées comme des entreprises lorsqu'elles octroient ou refusent des autorisations de fournir des services indépendants de transport en ambulance.

2. Droits spéciaux ou exclusifs

82. Ambulanz Glöckner et la Commission estiment que les organisations sanitaires doivent être considérées comme des entreprises auxquelles des droits spéciaux ou exclusifs ont été conférés. Elles se réfèrent à cet égard, d'une part, à la délégation du service public d'aide médicale d'urgence en vertu de l'article 5 du RettDG 1991 et, d'autre part, à la protection particulière accordée par son article 18, paragraphe 3. Le Landkreis et l'ASB soutiennent que les organisations sanitaires n'ont jamais bénéficié de droits spéciaux ou exclusifs et ont au contraire toujours été soumises à la concurrence d'opérateurs indépendants.

a) La notion de droits spéciaux ou exclusifs

83. La notion de droits spéciaux ou exclusifs, et en particulier la notion de droits spéciaux, n'est pas aisée à définir.

84. Dans le domaine des télécommunications, la Cour a partiellement annulé en 1991 et en 1992 deux directives de la Commission qui exigeaient que les États membres abolissent les droits spéciaux ou exclusifs conférés aux opérateurs concernés. En ce qui concerne les droits spéciaux, la Cour a jugé que la Commission n'avait pas précisé «le type de droits qui est concrètement visé et en quoi l'existence de ces droits serait contraire aux différentes dispositions du traité» .

85. La Commission a réagi en insérant dans une directive de 1994 la définition suivante des droits spéciaux:

«droits spéciaux: les droits accordés par un État membre à un nombre limité d'entreprises [...] qui, sur un territoire donné,

- limite à deux ou plusieurs, selon des critères qui ne sont pas objectifs, proportionnels et non discriminatoires, le nombre d'entreprises autorisées à fournir un service ou à entreprendre une activité

ou

- désigne, selon des critères autres que les critères susmentionnés, plusieurs entreprises concurrentes comme les entreprises autorisées à fournir un service ou à entreprendre une activité

ou

- confère à une ou plusieurs entreprises, selon des critères autres que les critères susmentionnés, des avantages légaux ou réglementaires qui affectent substantiellement la capacité de toute autre entreprise de fournir le même service de télécommunications ou d'entreprendre la même activité sur le même territoire dans des conditions substantiellement équivalentes».

86. En 1996, la Cour a donné, dans le cadre de l'interprétation de plusieurs autres directives du secteur des télécommunications, une définition s'appliquant à la fois aux droits spéciaux et aux droits exclusifs, qui s'inspire à l'évidence de la définition de la Commission:

«[...] les droits exclusifs ou spéciaux auxquels il est fait référence doivent être compris, de manière générale, comme les droits qui sont conférés par les autorités d'un État membre à une entreprise ou à un nombre limité d'entreprises, selon des critères qui ne sont pas objectifs, proportionnels et non discriminatoires, et qui affectent substantiellement la capacité des autres entreprises d'établir ou d'exploiter des réseaux de télécommunications ou de fournir des services de télécommunications sur le même territoire, dans des conditions substantiellement équivalentes» .

87. Cette définition comporte donc quatre éléments essentiels: les droits en question doivent:

- être conférés par les autorités d'un État membre,

- être conférés à une entreprise ou à un nombre limité d'entreprises,

- affecter substantiellement la capacité des autres entreprises d'exercer l'activité économique en cause sur le même territoire, dans des conditions substantiellement équivalentes, et

- être conférés selon des critères qui ne sont pas objectifs, proportionnels et non discriminatoires.

88. Nous estimons que les trois premiers éléments de cette définition peuvent également être utilisés pour définir la notion de droits spéciaux ou exclusifs de l'article 86, paragraphe 1, CE, alors que le quatrième élément ne saurait être transposé dans ce conteste différent. Le quatrième élément - à savoir que les droits en cause doivent être conférés selon des critères qui ne sont pas objectifs et proportionnels et non discriminatoires - est destiné à s'appliquer, dans le processus de libéralisation du secteur des télécommunications, aux seuls droits dont l'octroi n'est pas justifié. Il vise donc à distinguer entre droits spéciaux ou exclusifs «légitimes» et «illégitimes». Au contraire, à l'article 86, paragraphe 1, CE, la notion de droits spéciaux et exclusifs vise seulement à déterminer le champ d'application de cette disposition. La question distincte, qui va au delà, de savoir si ces droits sont légitimes doit être tranchée selon les dispositions du traité auxquelles renvoie l'article 86, paragraphe 1, CE, et conformément à l'article 86, paragraphe 2, CE.

89. Les droits spéciaux ou exclusifs au sens de l'article 86, paragraphe 1, CE sont donc, à nos yeux, des droits accordés par les autorités d'un État membre à une entreprise ou à un nombre limité d'entreprises, qui affectent substantiellement la capacité des autres entreprises à exercer l'activité économique en cause sur le même territoire, dans des conditions substantiellement équivalentes.

b) Les organisations sanitaires, entreprises investies de droits spéciaux ou exclusifs

90. Au vu des arguments des parties, trois mesures étatiques différentes - deux à caractère réglementaire, et l'autre d'ordre décisionnel - peuvent potentiellement être considérées comme octroyant des droits spéciaux ou exclusifs, à savoir:

- l'article 5 du RettDG 1991, en vertu duquel le service d'aide médicale d'urgence doit être délégué en priorité aux organisations sanitaires «reconnues» ,

- la délégation concrète à une organisation sanitaire du service d'aide médicale d'urgence pour un secteur géographique donné, et

- la partie introductive de l'article 18, paragraphe 3, du RettDG 1991 qui, selon l'interprétation retenue par la juridiction de renvoi, fait obstacle à la délivrance d'autorisations à des opérateurs indépendants .

91. En ce qui concerne, en premier lieu, l'article 5 du RettDG 1991, il convient de rappeler que Ambulanz Glöckner n'a pas sollicité la concession du service public d'aide médicale d'urgence, et que ni les autres parties ni la juridiction n'ont critiqué cette disposition. Nous n'avons donc nul besoin de nous prononcer sur la question de savoir si le traitement particulier d'un cercle fermé d'organisations peut être considéré comme conférant des droits spéciaux ou exclusifs.

92. Nous estimons, en deuxième lieu, que la délégation effective du service d'aide médicale d'urgence à une organisation sanitaire donnée ne confère pas en tant que telle des droits spéciaux ou exclusifs à cette organisation, puisqu'elle n'affecte pas en soi la capacité des opérateurs concurrents d'offrir des services de transport en ambulance dans le secteur en question. À cet égard, il convient de relever que, avant 1991, la délégation du service d'aide médicale d'urgence à certaines organisations sanitaires reconnues n'avait aucune espèce d'influence sur la possibilité pour les opérateurs indépendants de demander une autorisation de fournir les services de transport en ambulance.

93. Cela nous amène, en troisième lieu, à l'article 18, paragraphe 3, du RettDG 1991. Avant l'entrée en vigueur de cette disposition, les opérateurs indépendants pouvaient obtenir l'autorisation nécessaire pour fournir des services de transport en ambulance de manière relativement aisée. L'octroi de ces autorisations était simplement subordonné à des garanties en matière de sécurité et d'efficacité de l'opération, et de fiabilité et de qualification professionnelle de l'opérateur. En vertu du nouvel article 18, paragraphe 3, du RettDG 1991, l'autorisation doit être refusée lorsque son utilisation est susceptible d'avoir des effets négatifs sur le fonctionnement et sur la rentabilité du service d'aide médicale d'urgence.

94. C'est donc l'article 18, paragraphe 3, du RettDG 1991 qui confère des droits spéciaux ou exclusifs aux organisations sanitaires chargées d'assurer le service d'aide médicale d'urgence. Seul l'article 18, paragraphe 3 - et son application par les autorités - affecte la capacité des autres entreprises à exercer l'activité économique en question sur le même territoire que celui des organisations sanitaires.

95. Nous en concluons donc que l'adoption de l'article 18, paragraphe 3, du RettDG 1991 a conféré aux organisations sanitaires concernées des droits spéciaux ou exclusifs au sens de l'article 86, paragraphe 1, CE. Elles doivent par conséquent être considérées comme des entreprises relevant du champ d'application de cette disposition.

VII - Violation de l'article 86, paragraphe 1, CE conjugué avec d'autres dispositions du traité

96. L'article 86, paragraphe 1, CE interdit aux États membres, en ce qui concerne les entreprises ayant des droits spéciaux ou exclusifs, d'édicter ou de maintenir toute mesure «contraire aux règles du ... traité, notamment à celles prévues aux articles ... 81 à 89 inclus». L'article 86, paragraphe 1, CE ne peut donc pas être appliqué isolément, et doit au contraire toujours être utilisé conjugué avec une autre disposition du traité.

97. Ambulanz Glöckner soutient que la disposition contestée est contraire aux dispositions combinées de l'article 86, paragraphe 1, CE et de trois dispositions différentes, à savoir les articles 249, troisième alinéa, CE, 81, paragraphe 1, sous c), CE et 82 CE.

1. Les articles 86, paragraphe 1, CE et 249, paragraphe 1, CE

98. Ambulanz Glöckner fait valoir que la règle déléguant le service d'aide médicale d'urgence en priorité aux organisations sanitaires «reconnues» est incompatible avec la directive 92/50 sur les procédures de passation des marchés publics de services .

99. Nous avons toutefois déjà établi que la question de la délégation du service d'aide médicale d'urgence se situe hors du champ de la présente affaire préjudicielle . Dans la procédure au principal, Ambulanz Glöckner ne conteste pas le fait que les organisations sanitaires aient été chargées du service public d'aide médicale d'urgence, mais seulement le fait qu'elle n'ait pas obtenu l'autorisation de fournir des services indépendants de transport en ambulance en dehors du service d'aide médicale d'urgence. La procédure d'obtention d'une telle autorisation administrative est très différente de la passation d'un marché public de services, et elle ne relève donc pas des règles applicables aux marchés publics.

2. Les articles 86, paragraphe 1, CE et 81, paragraphe 1, sous c), CE

100. La juridiction de renvoi et Ambulanz Glöckner soutiennent que l'attitude des autorités ainsi que du DRK et de l'ASB, lorsqu'elles ont refusé l'autorisation , constitue une répartition des marchés interdite. Elles soutiennent également que le régime instauré par le RettDG 1991 entraîne inévitablement des accords entre les autorités et les organisations sanitaires, qui sont interdits par l'article 81, paragraphe 1, sous c), CE.

101. À notre avis, l'article 81 CE ne s'applique pas, puisque le RettDG 1991 n'entraîne pas d'accords entre entreprises au sens de cette disposition.

102. La raison en est, en premier lieu, que les autorités agissent dans l'exercice de la puissance publique lorsqu'elles accordent ou refusent des autorisations . Elles ne se livrent donc pas, ce faisant, à une activité économique et ne peuvent pas être considérées comme des entreprises aux fins de l'article 81 CE.

103. En tout état de cause, il n'apparaît pas qu'il existe des «accords» ou des «pratiques concertées» entre les autorités et les organisations sanitaires. Les organisations suggèrent simplement une décision, qui est alors prise unilatéralement par les autorités. Les autorités détiennent seules le pouvoir et la responsabilité de prendre cette décision et n'apparaissent pas liées par les observations des organisations sanitaires.

3. Les articles 86, paragraphe 1, CE et 82 CE

104. L'article 86, paragraphe 1, CE interdit aux États membres d'adopter des mesures qui soient contraires à l'article 82 CE. Mais celui-ci vise seulement les entreprises, et non pas les États membres. Les deux dispositions lues conjointement doivent donc être entendues en ce sens qu'elles interdisent les mesures étatiques qui priveraient l'interdiction figurant à l'article 82 CE de son effet utile.

105. La question qui doit être examinée n'est donc pas celle de savoir si des abus concrets d'une position dominante ont été commis (abus dont l'entreprise concernée pourrait être responsable au titre de l'article 82 CE seul), mais celle de savoir si l'État membre en cause a adopté ou maintenu des mesures qui sont susceptibles de créer une situation par laquelle les entreprises concernées sont amenées à commettre de tels abus.

106. À la lumière du libellé, et de l'article 86, paragraphe 1, et de l'article 82 CE, nous examinerons donc en premier lieu si les organisations sanitaires en cause occupent une position dominante sur une partie substantielle du marché commun; en deuxième lieu, si une disposition telle que l'article 18, paragraphe 3, du RettDG 1991 est une mesure étatique susceptible de créer une situation dans laquelle les entreprises concernées sont conduites à commettre un abus de cette position dominante; et, enfin, si la mesure ou le comportement abusif est susceptible d'affecter le commerce entre États membres.

a) Position dominante d'une ou plusieurs entreprises sur une partie substantielle du marché commun

- Le marché de produits en cause

107. La Commission soutient qu'il existe deux marchés de produits distincts, à savoir le marché du transport d'urgence et le marché du transport de malades.

108. Le Landkreis et le Vertreter des öffentlichen Interesses estiment en revanche qu'il n'existe qu'un seul marché global des services de transport en ambulance. Ils soutiennent qu'une ambulance destinée au transport d'urgence peut souvent, en pratique, être utilisée pour le transport non urgent de malades. L'ambulance de la société Ambulanz Glöckner destinée au transport d'urgence, sur laquelle porte le litige au principal, a par exemple également été utilisée pour le transport non urgent de malades. Inversement, il existe des situations (par exemple des accidents majeurs ou des catastrophes) dans lesquelles les ambulances destinées au transport de malades peuvent être utilisées pour assurer des services de transport d'urgence. En outre, un certain pourcentage (le Landkreis avance un ordre de grandeur de 8 à 10 %) des transports non urgents changent de nature au cours du transport et deviennent des transports d'urgence.

109. Nous ne sommes pas entièrement convaincu par ces arguments. Le «marché de produits en cause» peut être défini de la manière suivante:

«Un marché de produits en cause comprend tous les produits et/ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l'usage auquel ils sont destinés» .

110. À la lumière de cette définition, nous estimons que la Commission est justifiée à considérer le marché du transport d'urgence et le marché du transport non urgent comme deux marchés distincts. En premier lieu, les malades ne considèrent normalement pas les services de transport non urgent comme une solution de substitution valable au transport d'urgence (sauf peut être, en dernier ressort, en cas de catastrophes ou d'accidents majeurs). Inversement, le transport d'urgence ne peut pas être considéré comme une solution de substitution valable au transport non urgent, parce que le transport d'urgence est considérablement plus coûteux. En outre, les malades attendent que le transport d'urgence soit fourni le plus rapidement possible, 24 heures sur 24, et par du personnel hautement qualifié. Le transport non urgent, par exemple d'hôpital à hôpital, peut être assuré à des heures plus commodes, au cours de la semaine, lorsque le véhicule en question est libre. Les prescriptions légales en matière d'équipement médical des véhicules respectifs et de qualification du personnel d'assistance sont également différentes. En raison de sa nature particulière, il est considérablement plus difficile de planifier le transport d'urgence de manière efficace que de planifier le transport non urgent. Conséquence de ces différences fondamentales, le coût des services de transport d'urgence est beaucoup plus élevé.

111. Il existe donc, à nos yeux, deux marchés de produits en cause distincts, à savoir le marché du transport d'urgence, et le marché du transport non urgent de malades.

- Le marché géographique en cause

112. La Commission soutient que le marché géographique en cause est le Land de Rheinland-Pfalz.

113. Le «marché géographique en cause» peut être défini de la manière suivante:

«Le marché géographique en cause comprend le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans l'offre des biens et des services en cause, sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes et qui peut être distingué de zones géographiques voisines parce que, en particulier, les conditions de concurrence y diffèrent de manière sensible» .

114. On pourrait soutenir que le marché géographique en cause pour la fourniture de services de transport en ambulance est limité à un secteur opérationnel («Rettungsdiensbereichst») et donc, dans le litige au principal, au secteur opérationnel de Pirmasens. C'est à ce niveau que les décisions d'octroi des autorisations sont prises, que les organisations sanitaires sont entendues et que les effets sur le service d'aide médicale d'urgence se font sentir.

115. Mais nous inclinons à penser, avec la Commission, que le Land de Rheinland-Pfalz doit être considéré comme le marché en cause. Le cadre législatif de la fourniture de services indépendants de transport en ambulance et les structures organisationnelles du service d'aide médicale d'urgence sont identiques dans l'ensemble du Land. Les tarifs du service d'aide médicale d'urgence sont fixés de manière uniforme au niveau du Land . Ambulanz Glöckner pouvait donc exercer ses activités et solliciter des autorisations pour ses ambulances dans d'autres secteurs géographiques du Land, exactement aux mêmes conditions.

116. Ambulanz Glöckner expose que les lois régissant la prestation de services de transport en ambulance dans les différents Länder sont très semblables et que l'Allemagne doit par conséquent être considérée comme une zone homogène avec des conditions de marché pratiquement identiques. Le Vertreter des öffentlichen Interesses conteste cette conclusion et soutient qu'il existe des différences considérables dans le droit des différents Länder.

117. Il appartiendra à la juridiction nationale de juger si les conditions de concurrence sur les deux marchés, le marché du transport d'urgence et celui du transport non urgent de malades, sont suffisamment homogènes dans toute l'Allemagne pour considérer l'ensemble du territoire de cet État membre comme le marché géographique en cause.

118. Dans la perspective des présentes conclusions, nous retiendrons que le Rheinland-Pfalz est le marché géographique en cause.

- Position dominante sur le marché en cause

119. Il découle de l'interprétation de l'article 18, paragraphe 3, du RettDG 1991 retenue par la juridiction de renvoi qu'une organisation sanitaire chargée du service d'aide médicale d'urgence pour un poste de secours donné détient un monopole juridiquement protégé dans la zone géographique couverte par ce poste.

120. Dans le secteur opérationnel de Pirmasens, six postes de secours et la gestion du centre de coordination ont été attribués au DRK, alors que l'ASB ne gère qu'un poste de secours. Ambulanz Glöckner est le seul fournisseur indépendant de services de transport en ambulance. Le DRK paraît donc occuper une position dominante dans ce secteur opérationnel.

121. En ce qui concerne le marché géographique en cause, à savoir le Land de Rheinland-Pfalz, il ressort du dossier que le DRK est l'organisation sanitaire qui est chargée du service d'aide médicale d'urgence dans la partie, de loin, la plus importante du Land. Les trois autres organisations sanitaires semblent opérer sur une beaucoup plus petite échelle, et il n'existe apparemment que deux opérateurs indépendants. Le DRK semble donc détenir dans le Land de Rheinland-Pfalz une position dominante, aussi bien sur le marché du transport d'urgence que sur le marché du transport non urgent.

122. En dernière analyse, la question de l'existence d'une position dominante devra également être tranchée par la juridiction de renvoi. Si cette juridiction devait conclure que le DRK n'occupe pas seul une position dominante, elle devrait examiner l'hypothèse d'une position dominante collective détenue par les organisations sanitaires reconnues.

123. Dans la perspective de nos conclusions, nous retiendrons que le DRK détient une position dominante en Rheinland-Pfalz.

- Le marché en cause, partie substantielle du marché commun

124. Ambulanz Glöckner fait valoir que le marché géographique en cause, à savoir le Rheinland-Pfalz, représente une partie substantielle du marché commun au sens de l'article 82 CE. Elle invoque, en premier lieu, l'arrêt Merci convenzionali porto di Genova, dans lequel la Cour a jugé que le port de Gênes constitue une partie substantielle du marché commun , et, en deuxième lieu, l'arrêt Centre d'insémination de la Crespelle, dans lequel la Cour a jugé que, en établissant une juxtaposition de monopoles territorialement limités, mais couvrant, dans leur ensemble, tout le territoire d'une État membre, les dispositions nationales ont créé une position dominante sur une partie substantielle du marché commun .

125. Le Landkreis et l'ASB estiment qu'il n'existe pas de position dominante sur une «partie substantielle du marché commun». Ce critère visait, selon eux, à exclure du champ d'application du droit communautaire de la concurrence les entreprises occupant une position dominante sur des marchés locaux ou sur de petits marchés régionaux, puisque leur position dominante ne menace pas la concurrence effective dans le marché commun. Ils estiment donc que les organisations sanitaires en cause ne relèvent pas de l'article 82 CE.

126. Dans son arrêt Suiker Unie e.a./Commission, la Cour a dégagé le critère de base suivant:

«en vue d'établir si un territoire déterminé revêt une importance suffisante pour constituer une partie substantielle du marché commun au sens de l'article [82 CE], il faut prendre en considération, notamment, la structure et le volume de la production et de la consommation dudit produit, ainsi que les habitudes et les possibilités économiques des vendeurs et des acheteurs» .

127. Ce critère souligne l'importance économique d'un territoire donné. Dans certains cas, la Cour a estimé que même des zones géographiques restreintes étaient une partie substantielle du marché commun. L'élément décisif en pareil cas a été l'importance économique particulière de la zone en question. Dans son arrêt Merci convenzionali porto di Genova, par exemple, la Cour a notamment tenu compte du volume du trafic dans le port de Gênes et de l'importance de ce port au regard de l'ensemble des activités d'importation et d'exportation maritimes dans l'État membre concerné . Mais ce raisonnement ne peut pas, selon nous, être transposé au cas d'espèce. Les services de transport en ambulance en Rheinland-Pfalz ne sont ni particulièrement importants ni particulièrement dénués d'importance pour l'économie allemande.

128. Nous estimons néanmoins que le Land de Rheinland-Pfalz doit être considéré comme une partie substantielle du marché commun. En l'absence de caractéristiques économiques particulières d'une zone donnée, les facteurs géographiques revêtent une importance accrue.

129. Le Land de Rheinland-Pfalz couvre une superficie de près de 20 000 km2 et compte quelque quatre millions d'habitants . Il est donc plus étendu et compte plus d'habitants que certains États membres.

130. La Cour a déjà jugé que «la partie méridionale de l'Allemagne», donc une fraction du territoire d'un État membre, pouvait constituer «une partie substantielle du marché commun» . Elle a tiré une conclusion similaire dans l'arrêt Bodson, où le groupe d'entreprises contrôlé par les Pompes funèbres générales détenait une concession exclusive dans moins de 10 % des communes françaises, dont la population représentait néanmoins plus d'un tiers de la population totale du pays. La Cour a jugé, dans cette affaire qui présente de nombreuses similitudes avec la présente affaire:

«l'article [82 CE] s'applique dans l'hypothèse d'un ensemble de monopoles communaux concédés à un même groupe d'entreprises dont la ligne d'action sur le marché est déterminée par la maison mère, dans une situation où ces monopoles couvrent une certaine partie du territoire national [...]» (c'est nous qui soulignons) .

131. L'avocat général Warner a indiqué dans une autre affaire qu'une personne détenant un monopole ou quasi-monopole du marché luxembourgeois pour un produit donné devrait également être soumise à l'article 82 CE .

132. De surcroît, nous estimons que le raisonnement suivi dans l'arrêt Centre d'insémination de la Crespelle fournit des indications utiles.

133. Il est vrai que, dans cette affaire, les monopoles régionaux couvraient la totalité du territoire d'un État membre alors que, dans le cas présent, le régime légal en cause ne couvre que le territoire du Land de Rheinland-Pfalz (encore que Ambulanz Glöckner fasse valoir que la situation est en substance la même dans toute l'Allemagne). Il est vrai aussi que, dans l'affaire Centre d'insémination de la Crespelle, les monopoles étaient à l'évidence conférés par la législation nationale. Dans le cas présent, l'article 18, paragraphe 3, du RettDG 1991 ne protège les entreprises chargées d'assurer le service public d'aide médicale d'urgence que de manière indirecte.

134. Mais il existe entre les deux affaires une autre différence qui plaide en faveur de l'application de l'article 82 CE dans le cas présent. Il ressort de l'arrêt Centre d'insémination de la Crespelle que les monopoles régionaux en question étaient détenus par plusieurs acteurs économiques. À l'échelle nationale, chacun de ces acteurs était par conséquent de taille relativement réduite. Dans le cas d'espèce, le DRK est visiblement chargé du service public d'aide médicale d'urgence dans la plupart des secteurs de Rheinland-Pfalz. À en croire l'interprétation de l'article 18, paragraphe 3, du RettDG 1991 retenue par la juridiction de renvoi, il existe donc une juxtaposition de monopoles qui sont détenus pour la plupart par une organisation sanitaire. Contrairement à ce qu'ont fait valoir le Landkreis et l'ASB, l'organisation sanitaire en cause n'apparaît donc pas comme un acteur mineur qui n'opérerait qu'à une échelle locale ou à l'échelle d'une petite région.

135. La jurisprudence évoquée ci-dessus montre qu'il n'existe pas de formule unique pour établir si une position dominante existe «sur une partie substantielle du marché commun». Elle montre aussi pourquoi il n'existe pas de formule unique: l'éventail des cas possibles est trop large, et chaque cas doit donc être analysé sur la base des faits de l'espèce. Quoi qu'il en soit, l'examen de cette jurisprudence mène également à la conclusion que, si la position dominante s'étend dans le cas présent à l'ensemble de Rheinland-Pfalz (et à plus forte raison, évidemment, s'il s'avérait que la situation se reproduit dans tout le reste de l'Allemagne), alors il existe une position dominante sur une partie substantielle du marché commun.

136. Nous retiendrons donc les éléments suivants: les marchés en cause sont le marché du transport d'urgence et le marché du transport de malades en Rheinland-Pfalz. Le DRK occupe une position dominante sur les deux marchés de produits. Cette position dominante existe sur une partie substantielle du marché commun.

b) L'article 18, paragraphe 3, du RettDG 1991 et les abus potentiels de position dominante

137. Ambulanz Glöckner fait principalement valoir que la disposition en cause est contraire à l'article 86, paragraphe 1, CE, dans la mesure où elle entraîne deux types d'infraction à l'article 82 CE. À ses yeux, la disposition contestée favorise une situation dans laquelle les organisations sanitaires ne sont pas en mesure de satisfaire la demande que présente ce marché pour des services de transport de malades qualifié à des prix acceptables , et permet aux autorités publiques et aux organisations sanitaires de limiter conjointement l'accès des opérateurs concurrents au marché.

138. La partie adverse soutient principalement que la seule création d'une position dominante ne relève pas des articles 86, paragraphe 1, CE et 82 CE, et que les organisations sanitaires ont toujours fourni des services satisfaisants à des prix acceptables.

139. La Cour a jugé que le simple fait de créer une position dominante par l'octroi de droits exclusifs au sens de l'article 86, paragraphe 1, CE n'est pas en tant que tel contraire au traité . Mais elle a également jugé que, même si l'article 86, paragraphe 1, CE présuppose l'existence d'entreprises titulaires de certains droits spéciaux ou exclusifs, il ne s'ensuit pas pour autant que les droits spéciaux ou exclusifs sont nécessairement compatibles avec le traité; cela dépend de différentes règles auxquelles l'article 86, paragraphe 1, CE renvoie .

140. Plus récemment, la Cour a réaffirmé sa position à ce sujet dans les termes suivants:

«le simple fait de créer une position dominante par l'octroi de droits exclusifs au sens de l'article [86, paragraphe 1, CE] n'est pas, en tant que tel, incompatible avec l'article [82 CE]. Un État membre n'enfreint les interdictions édictées par ces deux dispositions que lorsque l'entreprise en cause est amenée, par le simple exercice des droits exclusifs qui lui ont été conférés, à exploiter sa position dominante de façon abusive ou lorsque ces droits sont susceptibles de créer une situation dans laquelle cette entreprise est amenée à commettre de tels abus» .

141. Nous examinerons tout d'abord si l'article 18, paragraphe 3, du RettDG 1991 crée une situation dans laquelle les organisations sanitaires ne sont pas en mesure de satisfaire la demande et, en deuxième lieu, s'il crée un conflit d'intérêts dans lequel les organisations sanitaires sont conduites à abuser de leur position dominante en limitant l'accès des opérateurs indépendants au marché.

- Situation dans laquelle les entreprises dominantes ne sont manifestement pas en mesure de satisfaire la demande

142. Il ressort de l'arrêt Höfner et Elser que la décision d'un État membre d'accorder des droits spéciaux ou exclusifs est contraire au traité lorsque l'entreprise concernée n'est manifestement pas en mesure de satisfaire la demande et ne peut par conséquent éviter d'abuser de sa position dominante et ainsi constamment «limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs» [article 82, deuxième alinéa, sous b), CE].

143. Les parties sont en total désaccord sur la question de savoir s'il en est ainsi dans la présente affaire.

144. Ambulanz Glöckner soutient en substance que:

- en ce qui concerne le transport d'urgence, les organisations sanitaires n'ont pas toujours été en mesure de respecter les délais d'arrivée sur les lieux prescrits par le RettDG 1991 ;

- en ce qui concerne le transport non urgent de malades, il se produit des retards d'une heure à deux heures et demie, ce qui signifie, par exemple, que les installations techniques des hôpitaux sont sous-utilisées dans l'attente des patients;

- les organisations sanitaires facturent pour leurs services des tarifs excessivement élevés, qui sont la conséquence d'une mauvaise gestion, de l'absence de pression de la concurrence et de la garantie que toutes les pertes seront en dernier ressort couvertes par l'État ; le fait que les services des opérateurs indépendants, opérant donc dans un but lucratif, soient beaucoup moins coûteux le confirme;

- depuis l'adoption de dispositions telles que l'article 18, paragraphe 3, du RettDG 1991, le coût du service d'aide médicale d'urgence en Allemagne a connu une croissance démesurée; les frais de transport des malades en Allemagne sont passés de 1,76 milliard de DEM en 1991 à 3,14 milliards de DEM en 1997 (soit une croissance de 78,41 %), et les coûts sont passés en Rheinland-Pfalz de 86 millions de DEM en 1992 à 128 millions de DEM en 1999 (soit une augmentation de 49,75 %) .

145. Le Landkreis, le Vertreter des öffentlichen Interesses et l'ASB soutiennent au contraire que:

- en ce qui concerne le transport d'urgence, les organisations sanitaires ont respecté les délais d'arrivée sur les lieux dans plus de 90 % des cas; les cas isolés de retard sont inévitables et ne prouvent pas en eux-mêmes un «échec du système»;

- en ce qui concerne les délais dans le domaine du transport non urgent, Ambulanz Glöckner n'a présenté aucune preuve de ce qu'elle avance;

- les tarifs plus élevés des services publics d'aide médicale d'urgence peuvent s'expliquer par le prix de revient de services fournis 24 heures sur 24, et sur l'ensemble du territoire du Land; si, pour des raisons d'ordre social, les tarifs sont uniformes dans l'ensemble du Land, ils doivent nécessairement être plus élevés que la rémunération demandée par les entreprises privées, qui fournissent leurs services lucratifs uniquement dans les zones à forte densité de population, aux heures de pointe;

- l'augmentation des frais de transport de malades en Allemagne et en Rheinland-Pfalz est principalement due aux améliorations structurelles que le service d'aide médicale d'urgence a connues durant ces dix dernières années: en Rheinland-Pfalz, neuf postes de secours supplémentaires ont été créés, les conditions requises quant aux qualifications du personnel ambulancier ont été renforcées et un système de médecins urgentistes a été mis sur pied. De plus, les statistiques fournies par Ambulanz Glöckner comprennent les frais de transport de malades n'ayant pas besoin d'assistance, dans des véhicules autres que les ambulances, ce qui a pesé de manière démesurée sur l'augmentation en question.

146. À notre avis, la Cour n'est pas en mesure de décider qui a raison sur cette question. Il faut, pour juger si le DRK ou d'autres organisations sanitaires ne sont pas en mesure de satisfaire la demande, procéder à des appréciations économiques et factuelles complexes. Dans un recours préjudiciel, c'est à la juridiction de renvoi qu'il appartient d'y procéder.

147. Pour statuer à ce sujet, la juridiction nationale devrait à notre avis tenir compte des facteurs suivants .

148. Les juridictions nationales se doivent tout d'abord de tenir compte des responsabilités respectives du législateur national et des organisations sanitaires dans le contexte des articles 86, paragraphe 1, CE et 82 CE. Un État membre ne saurait être tenu pour responsable au titre de l'article 86, paragraphe 1, CE que pour autant que le système qu'il a mis en place présente lui-même une faille, en d'autres termes pour autant qu'un abus est la conséquence de son intervention réglementaire ou décisionnelle, alors que les entreprises bénéficiant de droits exclusifs ou spéciaux sont seules responsables de toute infraction aux règles de concurrence qui leur est exclusivement imputable. Il n'y aura donc pas d'infraction aux articles 86, paragraphe 1, CE et 82 CE lorsque la seule raison pour laquelle une organisation sanitaire n'est «manifestement pas en mesure de satisfaire la demande» réside dans une gestion médiocre.

149. En deuxième lieu, du fait que l'attribution de droits spéciaux ou exclusifs implique des appréciations économiques et des choix sociaux complexes, l'État membre doit jouir d'un certain pouvoir discrétionnaire pour décider si le détenteur d'un monopole sera ou non en mesure de satisfaire la demande. La Cour a donc restreint son contrôle, et celui de la juridiction de renvoi, aux dispositions nationales qui sont manifestement inappropriées.

150. En troisième lieu, des services d'aide médicale d'urgence rapides et de grande qualité sont - comme le représentant du Landkreis l'a justement expliqué - une question de vie ou de mort, et revêtent donc une importance cruciale pour l'ensemble de la société.

151. La juridiction nationale devrait par conséquent examiner en premier lieu si délivrer des autorisations à des opérateurs indépendants peut contribuer à abréger les délais d'arrivée sur les lieux et à améliorer de manière générale la qualité des services ou si, au contraire, même sans ces autorisations, le service d'aide médicale d'urgence est parfaitement en mesure de fournir les services nécessaires dans toutes les situations et à toute heure du jour. À notre avis, le facteur décisif devrait être la capacité du service d'aide médicale d'urgence à fournir des services rapides et de qualité élevée même aux heures de pointe. Si les capacités du service d'aide médicale d'urgence sont insuffisantes à ces heures (avec par exemple des retards fréquents dans le transport non urgent en ville), nous dirions qu'il est inacceptable de refuser systématiquement d'autoriser des opérateurs indépendants.

152. Nous estimons cependant que la juridiction de renvoi pourrait attacher moins d'importance aux prix prétendument excessifs des services d'aide médicale d'urgence. C'est toujours un exercice difficile que d'établir si les prix sont excessifs, et la Cour ou la Commission sont rarement - voire jamais - parvenues à cette conclusion dans le domaine des règles de concurrence. Les comparaisons de prix sont également difficiles parce que le service d'aide médicale d'urgence a, en raison de ses obligations particulières, une structure des coûts différente de celle des entreprises privées, qui se focalisent sur les zones géographiques particulièrement rentables.

153. Nous en concluons donc qu'il appartient à la juridiction nationale d'établir si l'article 18, paragraphe 3, du RettDG 1991 crée une situation dans laquelle les organisations sanitaires ne sont manifestement pas en mesure de satisfaire la demande. La juridiction nationale devrait attacher une importance particulière à la capacité des organisations sanitaires de fournir des services rapides de grande qualité aux heures de pointe.

- Création d'un conflit d'intérêts

154. Ambulanz Glöckner invoque l'arrêt Raso e.a. et soutient que l'article 18, paragraphe 3, du RettDG 1991 a créé un conflit d'intérêts dans la mesure où les organisations sanitaires et les autorités publiques ont la possibilité, ensemble, de limiter l'accès de leurs concurrents potentiels au marché. À ses yeux, les organisations sanitaires et les autorités ne devraient pas être habilitées à prendre part à la décision relative aux autorisations de fournir des services indépendants de transport en ambulance.

155. Selon une jurisprudence constante, une mesure étatique peut être contraire aux articles 86, paragraphe 1, CE et 82 CE lorsqu'elle crée un conflit d'intérêts entre deux activités commerciales d'une entreprise bénéficiant de droits spéciaux ou exclusifs , ou entre une mission réglementaire dont cette entreprise est chargée et ses intérêts économiques .

156. Dans le cas d'espèce, Ambulanz Glöckner semble se plaindre davantage du deuxième type de conflit d'intérêts, à savoir un conflit entre des pouvoirs réglementaires et des intérêts économiques.

157. À cet égard, il convient de rappeler que le Landkreis défendeur a consulté les organisations sanitaires chargées du service d'aide médicale d'urgence dans le secteur opérationnel de Pirmasens avant de prendre sa décision de refuser de délivrer l'autorisation. Nous savons également que les deux organisations sanitaires ont recommandé de refuser cette autorisation.

158. À notre avis, cette manière de procéder n'est pas interdite par les articles 86, paragraphe 1, CE et 82 CE.

159. En premier lieu, nous l'avons dit, les autorités nationales n'agissent pas en tant qu'entreprises lorsqu'elles délivrent ou refusent des autorisations. Elles agissent seulement dans le cadre de l'exercice de l'autorité publique, sans avoir d'intérêt économique dans l'issue de la procédure. Elles ne relèvent donc pas du champ d'application des articles 86, paragraphe 1, CE et 82 CE.

160. En ce qui concerne les organisations sanitaires, il est vrai qu'elles relèvent du champ d'application de ces articles et qu'elles ont un intérêt économique à l'issue de la procédure d'autorisation. Mais elles ont seulement le droit d'être consultées au cours de la procédure d'autorisation, et la décision finale est prise par l'autorité publique seule. Nul n'a avancé que le Landkreis serait lié par les constatations de fait ou les recommandations des organisations sanitaires. Les organisations sanitaires ne sont donc pas titulaires de pouvoirs réglementaires au sens de la jurisprudence de la Cour.

161. De plus, il ressort du RettDG 1991 que le Landkreis ne dispose d'aucun pouvoir d'appréciation en ce qui concerne sa décision, mais qu'il doit délivrer l'autorisation si l'opérateur des services d'ambulance concerné remplit les conditions requises par la loi. La procédure principale montre qu'un refus est alors soumis à un recours juridictionnel. Il s'agit là de deux garanties supplémentaires importantes contre des décisions inéquitables.

162. Nous en concluons que la simple consultation des organisations sanitaires chargées du service d'aide médicale d'urgence, au cours de la procédure d'autorisation de services indépendants de transport en ambulance, n'est pas contraire aux articles 86, paragraphe 1, CE et 82 CE.

c) Les effets sur le commerce entre États membres

163. Le Landkreis, l'ASB, le Vertreter des öffentlichen Interesses et le gouvernement autrichien soutiennent tous que la mesure en cause n'a pas d'effet notable sur le commerce entre États membres, et que les règles du droit communautaire de la concurrence ne s'appliquent donc pas. À leur sens, tous les éléments du cas d'espèce sont circonscrits, non seulement à l'intérieur d'un seul État membre, mais à l'intérieur d'un territoire qui n'est qu'une partie d'un État membre. Le transport d'urgence est par définition une activité d'une portée locale, puisque le malade doit être transporté aussi rapidement que possible à l'hôpital approprié le plus proche. Il est rare que des services d'ambulance transfrontaliers soient assurés, et ils ne sont pas affectés par la disposition en cause.

164. En vertu du traité, les articles 86, paragraphe 1, CE et 82 CE ne s'appliquent que si les effets de l'abus ou les effets de la mesure étatique sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres .

165. La Cour a jugé à cet égard:

«L'interprétation et l'application de la condition relative aux effets sur le commerce entre États membres, figurant aux articles [81 CE] et [82 CE], doivent prendre comme point de départ le but de cette condition qui est de déterminer, en matière de réglementation de la concurrence, le domaine du droit communautaire par rapport à celui des États membres. C'est ainsi que relèvent du domaine du droit communautaire toute entente et toute pratique susceptible de mettre en cause la liberté du commerce entre États membres dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation des objectifs d'un marché unique entre les États membres, notamment en cloisonnant les marchés nationaux ou en modifiant la structure de la concurrence dans le marché commun» .

166. La Cour a également précisé qu'il n'est pas nécessaire de prouver un effet actuel; un effet potentiel est suffisant . Mais l'effet en question doit être «sensible», et non pas insignifiant .

167. Il découle également de la jurisprudence qu'une entreprise peut invoquer les articles 86, paragraphe 1, CE et 82 CE à l'encontre de son État national dans des affaires qui n'impliquent pas un élément transfrontalier concret dans sa situation propre . Le meilleur exemple à cet égard est peut-être celui fourni par l'arrêt Höfner et Elser, dans lequel la Cour n'a pas appliqué les règles sur la liberté de prestation des services parce que les activités en cause dans la procédure au principal étaient circonscrites à tous égards à un État membre . Elle a néanmoins appliqué les règles de concurrence parce que les dispositions nationales en cause affectaient potentiellement le recrutement de ressortissants d'autres États membres .

168. La Commission - qui garde une position neutre sur cette question - observe, à l'appui de l'applicabilité du droit communautaire de la concurrence, que, du fait de la proximité du Land de Rheinland-Pfalz avec la Belgique, la France et le Luxembourg, les transports transfrontaliers sont plus vraisemblables. Elle relève également trois situations dans lesquelles le transport de malades pourrait être assuré sur de plus longues distances au delà de la frontière, à savoir lorsqu'un malade souhaite être transporté en vue d'une opération particulière dans un hôpital spécialisé situé dans un autre État membre, lorsqu'un travailleur migrant souhaite être traité dans son pays d'origine, ou dans le cas de rapatriement de vacanciers (accidents de ski, par exemple).

169. Nous estimons que, si les dispositions en cause devaient être interprétées en ce sens qu'elles interdisent ce type de service transfrontalier, elles devraient effectivement être considérées comme affectant la libre prestation de services entre États membres.

170. Cependant, si nous avons bien compris la disposition contestée, le transport transfrontalier occasionnel de malades ne semble pas relever de son champ d'application. L'article 18, paragraphe 3, du RettDG 1991 semble constituer principalement un obstacle pour les opérateurs qui souhaitent assurer des services de transport en ambulance en Rheinland-Pfalz sur une base plus permanente. C'est une règle qui rend plus difficile l'accès des opérateurs d'autres États au marché de Rheinland-Pfalz.

171. Une telle règle affecte t-elle le commerce entre États membres? Il peut sembler à première vue improbable que les opérateurs de services de transport en ambulance d'autres États membres demandent l'autorisation de faire fonctionner leurs ambulances en Rheinland-Pfalz. Les effets sur le commerce ne seraient donc pas sensibles au sens de la jurisprudence de la Cour.

172. Ambulanz Glöckner a cependant déclaré à l'audience qu'un opérateur établi au Luxembourg et deux opérateurs établis en France avaient déjà tenté d'obtenir l'autorisation d'assurer des services de transport en ambulance en Rheinland-Pfalz, et que ces autorisations leur avaient été refusées sur la base du RettDG 1991. Elle a également déclaré que des opérateurs établis dans d'autres États membres avaient déposé des plaintes auprès de la Commission contre des systèmes restrictifs d'autorisation mis en place en Rheinland-Pfalz et dans d'autres parties de l'Allemagne.

173. Il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier si ces déclarations sont exactes. Il appartiendra alors également à la juridiction de renvoi - en tenant compte des résultats de ces vérifications - de déterminer si, eu égard aux caractéristiques économiques des deux marchés de produits des services de transport en ambulance en Rheinland-Pfalz, il existe un degré suffisant de probabilité qu'une règle telle que l'article 18, paragraphe 3, du RettDG 1991 empêche les opérateurs établis dans d'autres États membres, soit de gérer des services de transport en ambulance , soit même de s'établir eux-mêmes en Rheinland-Pfalz.

VIII - Justification au titre de l'article 86, paragraphe 2, CE

174. Le Landkreis, l'ASB, le Vertreter des öffentlichen Interesses et le gouvernement autrichien font valoir qu'une disposition telle que l'article 18, paragraphe 3, du RettDG 1991, même dans l'hypothèse d'une infraction aux articles 86, paragraphe 1, CE et 82 CE, serait en tout état de cause justifiée au titre de l'article 86, paragraphe 2, CE.

175. Selon nous, il ne peut pas faire de doute que les organisations sanitaires sont chargées de la gestion d'un service d'intérêt économique général au sens de l'article 86, paragraphe 2, CE. Les services d'intérêt économique général revêtent une importance spéciale dans la Communauté, comme le souligne désormais l'article 16 CE (ancien article 7 D introduit par le traité d'Amsterdam). Chaque citoyen a évidemment fortement intérêt à avoir accès à des services de transport d'urgence et de transport non urgent de malades efficaces et de grande qualité. La seule question est donc de savoir si une disposition telle que l'article 18, paragraphe 3, du RettDG 1991 est nécessaire pour assurer «l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière» impartie aux organisations sanitaires.

176. Le Landkreis, l'ASB et le Vertreter des öffentlichen Interesses font valoir, en premier lieu, que la présence d'opérateurs indépendants sur les marchés du transport de malades urgent et non urgent pourrait provoquer une confusion pour les victimes d'accidents et les malades, avec des conséquences éventuellement fatales. En cas d'urgence, en particulier, il ne faut pas que les personnes souhaitant alerter les ambulances d'intervention d'urgence soient confrontées à un choix embarrassant entre plusieurs fournisseurs de services de transport en ambulance.

177. Nous ne sommes pas convaincu par cet argument. Sans doute est-il nécessaire de prévenir de tels exemples dangereux de confusion. Il paraît cependant probable que les cas de conflit seront rares, parce que les opérateurs indépendants préféreront normalement fournir des services de transport non urgent. En tout état de cause, il devrait être possible de coordonner les services fournis par les ambulanciers indépendants avec ceux du service public de secours médical d'urgence, de manière à exclure toute confusion dans l'esprit du public. Le centre de coordination pourrait par exemple jouer un rôle important dans chaque secteur, puisqu'il devrait distribuer les tâches d'une manière non discriminatoire, et serait joint à un numéro de téléphone unique.

178. Le Landkreis, l'ASB, le Vertreter des öffentlichen Interesses et le gouvernement autrichien font valoir, en deuxième lieu, qu'un certain degré de protection du service d'aide médicale d'urgence contre la concurrence des opérateurs indépendants est nécessaire, pour les raisons économiques suivantes.

179. La présence d'opérateurs indépendants sur le marché réduit les recettes du service d'aide médicale d'urgence. Puisqu'il existe un nombre fini de transports devant être assurés, l'augmentation du nombre de transports assurés par des opérateurs indépendants entraînerait une réduction correspondante des transports effectués par le service d'aide médicale d'urgence.

180. On peut en outre s'attendre à ce que les opérateurs indépendants recherchant le profit préfèrent fournir leurs services en majorité sur les zones à forte densité de population, où les distances sont courtes. On peut également s'attendre à ce qu'ils préfèrent opérer principalement sur le marché du transport non urgent. Le transport d'urgence exige des investissements coûteux en équipement et en personnel qualifié, et une planification rationnelle des coûts est difficile. Les opérateurs privés concentrent donc leur activité sur le transport non urgent dans les zones à forte densité de population et ont donc un comportement opportuniste.

181. La réduction subséquente des recettes du service d'aide médicale d'urgence - qui doit se contenter du transport non urgent dans des secteurs excentrés, et du transport d'urgence - n'est pas compensée par une réduction correspondante des coûts. Le service d'aide médicale d'urgence a en effet l'obligation légale de fournir ses services 24 heures sur 24 et sur la totalité du territoire. Ses coûts sont en majeure partie des frais fixes de permanence («Vorhaltekosten») qui doivent être assumés, que des services concrets soient ou non réellement fournis.

182. Il convient également de rappeler que les pertes du service d'aide médicale d'urgence ne sont pas seulement des pertes pour les organisations sanitaires, mais entraîneront des coûts pour la société dans son ensemble. Le service public d'aide médicale d'urgence est financé en dernier ressort soit par des taxes, soit par le budget de l'assurance maladie. Selon les dires du gouvernement autrichien, il existe donc un risque sérieux que les pertes inévitables du service d'aide médicale d'urgence soient socialisées, alors que ses profits potentiels sont privatisés.

183. Nous estimons que ces arguments sont convaincants, à une réserve importante près.

184. L'article 86, paragraphe 2, CE vise à concilier l'intérêt des États membres à utiliser certaines entreprises en tant qu'instrument de politique économique sociale avec l'intérêt de la Communauté au respect des règles de concurrence et du marché intérieur .

185. Puisqu'il s'agit d'une disposition permettant de déroger aux règles du traité, elle est d'interprétation stricte . Toutefois, lorsque les États membres définissent les services d'intérêt économique général dont ils chargent certaines entreprises, ils sont en droit de tenir compte des objectifs de la politique nationale. À cet égard, il convient également de se rappeler que les États membres restent compétents pour organiser leurs régimes de santé publique.

186. La Cour a également établi qu'il n'est pas nécessaire, pour que l'exception prévue à l'article 86, paragraphe 2, CE s'applique, que la survie des entreprises chargées de la gestion d'un service d'intérêt général soit menacée. Il suffit que, en l'absence des droits spéciaux ou exclusifs litigieux, il soit fait échec à l'accomplissement des missions particulières imparties aux entreprises , ou que le maintien de ces droits soit nécessaire pour permettre aux entreprises concernées d'accomplir leurs missions dans des conditions économiquement acceptables .

187. Il découle à nos yeux de cette jurisprudence qu'un État membre est en principe habilité à réserver aussi bien le transport urgent que le transport non urgent de malades aux entreprises qui assurent le service public d'aide médicale d'urgence. Il est vrai qu'un tel système implique des subventions croisées qui, dans certaines circonstances, devront être évaluées au regard des règles de concurrence. De fait, deux types de subventions croisées sont impliqués en l'espèce: les recettes des secteurs à forte densité de population contribuent à couvrir les frais de la prestation de services de transport en ambulance des malades de zones isolées, et les recettes du transport non urgent contribuent à couvrir les frais du service de transport d'urgence. Nous reconnaissons toutefois que le système en cause peut contribuer à garantir que le service d'aide médicale d'urgence fonctionne dans des conditions économiques acceptables. En outre, ce type de subventions croisées n'est pas aussi dangereux pour la concurrence que les transferts de ressources d'un secteur lucratif réservé à un secteur soumis à la concurrence (ce danger existe par exemple dans le secteur postal) .

188. Nous émettrons cependant une réserve importante. Si des autorisations sont refusées aux opérateurs indépendants, bien que les organisations sanitaires chargées des services publics d'aide médicale d'urgence ne soient manifestement pas en mesure de satisfaire la demande (par exemple aux heures de pointe) , les raisons économiques que nous venons d'évoquer ne peuvent à notre avis être invoquées pour justifier une politique restrictive d'autorisation. Dans de telles situations, le refus d'accorder une autorisation à des opérateurs indépendants peut apporter des avantages financiers aux organisations sanitaires impliquées. Mais cet avantage économique serait acquis aux dépens du principal objectif de la législation nationale en cause, à savoir fournir à la population des services de transport en ambulance efficaces et de grande qualité. Il serait également contraire à l'objectif de l'article 86, paragraphe 2, CE, qui est de fournir de manière efficace des services d'intérêt économique général.

189. Nous en concluons qu'une disposition telle que l'article 18, paragraphe 3, du RettDG 1991 est justifiée au regard de l'article 86, paragraphe 2, CE, pour autant qu'elle ne fait pas obstacle à l'autorisation d'opérateurs indépendants lorsque les organisations sanitaires gérant le service d'aide médicale d'urgence ne sont manifestement pas en mesure de satisfaire la demande.

IX - Conclusion

190. Pour les motifs ci-dessus, nous estimons qu'il convient de répondre à la question soumise à la Cour de la manière suivante:

«À supposer que la juridiction de renvoi conclue que le Deutsches Rotes Kreuz seul ou plusieurs organisations sanitaires conjointement occupent une position dominante sur le marché des services de transport d'urgence et sur le marché des services de transport de malades en Rheinland-Pfalz, une disposition aux termes de laquelle les opérateurs privés de services de transport en ambulance se voient refuser l'autorisation de fournir des services indépendants de transport en ambulance lorsque la délivrance d'une telle autorisation est susceptible d'affecter la gestion ou la rentabilité des services d'aide médicale d'urgence enfreint les dispositions combinées des articles 86, paragraphe 1, CE et 82 CE, et n'est pas justifiée au titre de l'article 86, paragraphe 2, CE lorsque:

- cette disposition est susceptible de créer une situation dans laquelle l'organisation ou les organisations sanitaires chargées de la gestion du service public d'aide médicale d'urgence ne sont manifestement pas en mesure de satisfaire la demande, en particulier pour un transport des malades rapide et de grande qualité aux heures de pointe et

- lorsque, eu égard aux caractéristiques économiques des marchés en question, il existe un degré suffisant de probabilité que cette disposition empêche les opérateurs établis dans d'autres États membres de gérer des services de transport en ambulance en Rheinland-Pfalz ou de s'y établir eux-mêmes.»