61999C0403

Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 8 mai 2001. - République italienne contre Commission des Communautés européennes. - Politique agricole commune - Régime agrimonétaire de l'euro - Mesures transitoires pour l'introduction de l'euro. - Affaire C-403/99.

Recueil de jurisprudence 2001 page I-06883


Conclusions de l'avocat général


Introduction

1 Afin de compenser le préjudice qui devrait résulter, pour les agriculteurs européens, de l'introduction de l'euro dans la politique agricole commune, la Commission européenne a mis en place un régime transitoire de subventions visant à contrebalancer la perte de valeur que les aides directes subiraient du fait des parités entre les devises nationales et la nouvelle unité monétaire. Par «aides directes», il y a lieu d'entendre les sommes versées aux agriculteurs et calculées de manière forfaitaire sur la base du nombre d'hectares ou de têtes de bétail bovin, ovin ou caprin ainsi que certaines interventions à caractère structurel ou environnemental.

La République italienne conteste la validité de certaines dispositions du régime institué par la Commission qui ont pour objet de fixer le montant maximum de la partie de ces aides compensatoires à laquelle les agriculteurs italiens ont droit à titre d'aide directe dont le fait générateur s'est produit le 1er juillet 1999.

Le cadre réglementaire

2 Le régime agrimonétaire a pour objet de réduire l'incidence, sur le niveau de revenus des agriculteurs communautaires, des fluctuations de taux de change entre la monnaie ou unité de compte dans laquelle les interventions de politique agricole commune sont libellées et les devises dans lesquelles elles sont liquidées.

3 Pour un exposé détaillé de l'évolution historique de ce régime complexe, je renvoie aux conclusions que l'avocat général M. Francis Jacobs a présentées le 15 mars dernier dans l'affaire Italie/Conseil et Commission (1).

4 L'introduction de l'euro avec effet au 1er janvier 1999 impliquait une réforme profonde du régime agrimonétaire qui était en vigueur jusqu'à cette date. En tant que monnaie unique de onze des États membres, l'euro s'est logiquement imposé comme nouvelle unité de compte de la politique agricole commune, se substituant ainsi à l'écu.

5 Le règlement n_ 2799/98 du Conseil (2) a dès lors institué la règle que les prix et montants fixés dans les actes relatifs à la politique agricole commune, et notamment ceux qui ont trait aux aides, seront désormais exprimés en euros (article 2, paragraphe 1). Les aides et autres montants octroyés aux agriculteurs des États participants sont libellés en euros et dans les États membres non participants, ils sont convertis dans leur monnaie nationale au moyen du taux de change applicable (article 2, paragraphe 2). La partie requérante est un des États membres participants.

6 Pour garantir aux agriculteurs la stabilité de leurs revenus, la nouvelle réglementation continue à prévoir que des aides compensatoires peuvent être accordées aux bénéficiaires d'aides directes touchés défavorablement par une variation entre le cours de l'euro et le cours de la monnaie dans laquelle ils perçoivent les aides (hypothèse de réévaluation de la monnaie de perception).

7 À cet effet, l'article 5, paragraphe 1, du règlement n_ 2799/98 prévoit que «dans le cas où le taux de change applicable le jour du fait générateur pour [une aide directe] est inférieur à celui qui était applicable précédemment, l'État membre concerné peut octroyer une aide compensatoire aux agriculteurs, en trois tranches successives de douze mois chacune, commençant le jour du fait générateur». Cette compensation est alors accordée sous la forme d'un complément des aides directes dont les montants en monnaie nationale ont diminué.

8 Il est évident que, depuis l'introduction de l'euro, de telles variations de taux de change ne peuvent pas se produire dans les États membres qui ont adopté la monnaie unique, car, désormais, les sommes versées au titre de la politique agricole commune sont libellées en euros.

9 Néanmoins, comme les taux de conversion de l'euro en monnaie nationale - qui allaient être fixés de manière irrévocable par le règlement n_ 2866/98 - (3) pouvaient ne pas coïncider avec ceux qui étaient appliqués jusqu'à cette date à l'écu, (4) utilisé jusqu'alors comme unité de compte de la politique agricole commune, et que cette divergence de taux pouvait causer un préjudice aux agriculteurs dont la devise de perception aurait été réévaluée, le Conseil a adopté un ensemble de dispositions transitoires au moyen du règlement n_ 2800/98 (5).

10 L'article 3, paragraphe 1, de ce règlement prévoyait l'octroi d'une aide compensatoire à la condition que «le taux de conversion de l'euro en unité monétaire nationale [...] applicable le jour du fait générateur en 1999 [à une aide directe] [soit] inférieur au taux appliqué précédemment». Le montant de cette aide était calculé conformément à l'article 5 du règlement n_ 2799/98.

En d'autres termes, le législateur a décidé, pour les mesures dont il est question ici, d'assimiler l'éventuelle diminution du taux de conversion due au remplacement de l'écu par l'euro à une situation de réévaluation de la monnaie de perception en lui appliquant le même régime.

11 La Commission a adopté le règlement n_ 2813/98 (6) en application de cette réglementation transitoire.

12 Pour ce qui est de la fixation des montants de l'aide compensatoire, l'article 4, paragraphe 2, de ce règlement renvoie au règlement n_ 2799/98.

13 L'article 5 du règlement n_ 2813/98 dispose qu'en ce qui concerne les États membres participants, les montants des aides sont convertis en unité monétaire nationale par application des taux de conversion irrévocablement fixés par le Conseil.

14 Les parties sont divisées sur l'interprétation correcte qu'il y a lieu de donner à l'article 6 de ce même règlement, qui dispose que le maximum du montant de l'aide compensatoire visée au paragraphe 2 de l'article 4 qui résulte d'une réduction du taux de conversion agricole gelé jusqu'au 1er janvier 1999 est augmenté par application d'un coefficient correcteur égal à l'inverse de la relation entre le taux fixé à l'article 5 et le taux de conversion agricole susmentionné.

15 En application concrète de cet ensemble réglementaire, la Commission a adopté le règlement (CE) n_ 1639/1999, du 26 juillet 1999, fixant le montant maximum de l'aide compensatoire résultant des taux de conversion de l'euro en unité monétaire nationale ou des taux de change applicables le 1er juillet 1999. (7) L'annexe du règlement énonce les montants maximums de la première tranche de l'aide accordée en compensation de la diminution enregistrée le 1er juillet 1999 du taux de conversion de l'euro par rapport au taux de conversion agricole applicable précédemment.

Le règlement n_ 1639/1999 ne contient aucune application de l'article 6 du règlement n_ 2813/98. C'est précisément sur cette omission qu'est basé le recours en annulation introduit par l'Italie.

Examen du recours

16 Le gouvernement italien fonde sa demande d'annulation sur deux moyens: le premier est déduit de l'invalidité du règlement n_ 1639/1999, qui serait incompatible avec les dispositions des règlements n_s 2799/98, 2800/98 et 2813/98 parce que son exposé des motifs serait insuffisant et qu'il aurait été adopté à la faveur d'un détournement de pouvoir; le second est pris d'une violation, par le règlement n_ 1639/1999, du principe de l'égalité de traitement entre les agriculteurs communautaires qui est consacré par l'article 34 CE.

Sur le premier moyen d'annulation

17 Selon le gouvernement italien, la règle entreprise est incompatible avec l'article 6 du règlement n_ 2813/98, qui institue un critère général applicable à toutes les catégories d'aides directes affectées par le gel des taux de conversion indépendamment du fait générateur de chacune de ces aides.

18 La Commission prétend, pour sa part, que l'article 6 du règlement n_ 2813/98 est une disposition à caractère exceptionnel applicable uniquement aux aides directes qui sont soumises à un taux de conversion gelé et dont le fait générateur tombe le 1er janvier 1999.

19 La Commission explique en détail la genèse du règlement n_ 2813/98, dont les principales étapes peuvent être résumées de la manière suivante:

- en vertu de l'article 3 du règlement n_ 1527/95 (8) et d'autres dispositions analogues ultérieures, le législateur communautaire a gelé le taux de conversion applicable aux aides directes jusqu'au 1er janvier 1999 inclus;

- conformément à l'article 123, paragraphe 4, CE, la Commission a décrété, à l'article 5 du règlement n_ 2813/98, que les aides directes destinées aux États membres participants seraient converties, à partir du 1er janvier 1999, au moyen du taux de conversion applicable irrévocablement fixé par le Conseil;

- l'aide compensatoire mise en place utilisait le nouveau taux de conversion et a dès lors provoqué une légère perte de revenus pour les bénéficiaires italiens notamment; (9)

- en application du principe de la confiance légitime, il y avait donc lieu de compenser cette légère perte en créant un instrument approprié (que j'appellerai «majoration correctrice»);

- cette mesure n'était destinée qu'aux agriculteurs dont les subventions avaient été modifiées par l'introduction de l'euro, c'est-à-dire partir du 1er janvier 1999 et qui, en même temps, pouvaient prétendre à une aide directe gelée, c'est-à-dire jusqu'au 1er janvier 1999 inclus;

- c'est pour ces raisons que le règlement n_ 1639/1999, qui fixe les règles de calcul du montant des aides dont le fait générateur est intervenu après le 1er janvier, c'est-à-dire le 1er juillet 1999, n'applique pas la majoration correctrice.

20 Cette interprétation historique et téléologique (que la Commission préfère qualifier de «systématique») est corroborée, selon la partie défenderesse, par l'exégèse de l'article 6 qui prévoit une augmentation des aides destinées à compenser «une réduction du taux de conversion agricole gelé jusqu'au 1er janvier 1999». Les éventuelles diminutions des aides dont le fait générateur est postérieur au 1er janvier sont donc exclues puisqu'au-delà de cette date, il ne saurait plus être question de «taux gelés».

21 Le gouvernement italien rétorque que l'article 6 du règlement n_ 2813/98 s'applique, incontestablement et sans référence aucune à un fait générateur quelconque, à toutes les aides affectées par le gel des taux de conversion décrété jusqu'au 1er janvier 1999. S'agissant d'une règle claire et dépourvue de toute équivoque, il n'y a pas lieu de lui substituer une soi-disant volonté du législateur qu'il faudrait déduire des travaux préparatoires.

De surcroît, poursuit le gouvernement italien, le même problème de confiance légitime se pose, en termes similaires, à propos des agriculteurs dont le droit à une aide est né à des dates ultérieures au 1er janvier.

22 Cette dernière affirmation du gouvernement italien doit être rejetée d'emblée. Comme la Commission l'observe à bon escient, les opérateurs intéressés par des aides dont le fait générateur est intervenu après le 1er janvier 1999 ne pouvaient se prévaloir d'aucune confiance légitime puisqu'au-delà de cette date, les garanties que le législateur communautaire avait données à propos du gel des taux de conversion avaient expiré.

23 En second lieu, on observera que la requérante souscrit à l'exposé au moyen duquel la Commission cherche à expliquer la raison d'être de l'article 6 du règlement n_ 2813/98 ou qu'en tout cas, elle ne le conteste pas.

24 À l'audience, le gouvernement italien s'est départi de la position qu'il avait adoptée jusque là au cours de la procédure et il a mis en doute la pertinence et la vraisemblance de l'explication de la Commission, formulant sa propre thèse sur la ratio legis de l'introduction de la majoration correctrice. En tout état de cause, il y a lieu de considérer que cet argument, qui, contrairement à la proposition de la Commission, ne repose sur aucune pièce probante, est tardif parce qu'il est présenté en dehors du délai prévu pour l'administration de la preuve.

25 Reste à savoir si, comme le prétend le gouvernement italien, l'interprétation littérale de l'article 6 du règlement n_ 2813/98 implique irrémédiablement qu'en limitant l'octroi de la majoration correctrice aux aides directes dont le fait générateur est intervenu le 1er janvier 1999, la Commission a agi de manière illégale.

26 Pour l'Italie, l'invalidité du règlement n_ 1639/1999 résulte des termes généraux et univoques de l'article 6 du règlement n_ 2813/98. Selon l'interprétation qu'elle lui prête, cette disposition conférerait à tous les bénéficiaires d'aides directes dont le fait générateur se situe en 1999 le droit de bénéficier de la majoration correctrice prévue par l'article 6.

27 Une première lecture de la disposition litigieuse ne permet pas d'en apprécier clairement le champ d'application ratione temporis. L'instrument mis en place par l'article 6 est conçu comme un complément de l'aide compensatoire exceptionnelle prévue par l'article 4, paragraphe 2, du même règlement, auquel l'article 6 renvoie. Le texte de cet article 4 ne contient cependant pas non plus d'élément utile dès lors qu'il se limite à définir le mode de calcul de l'aide compensatoire transitoire en se référant au régime ordinaire institué par l'article 5, paragraphe 2, du règlement n_ 2799/1998.

Seul le paragraphe 1 de l'article 4 du règlement n_ 2813/98 indique la bonne direction: l'article 6, lu en combinaison avec les autres dispositions du titre II, est une des «modalités applicables afin d'octroyer une aide compensatoire visée à l'article 3 du règlement (CE) n_ 2800/98». Or, le paragraphe 1 de cet article 3 lie l'octroi d'une aide compensatoire à l'hypothèse que «le taux de conversion de l'euro en unité monétaire nationale ou le taux de change applicable le jour du fait générateur en 1999 [...] est inférieur au taux appliqué précédemment». (10) Bien que les quelques mots sur lesquels nous mettons l'accent semblent n'avoir pour seule vocation que de déterminer dans le temps le taux de change applicable puisque les taux de conversion sont fixes et irrévocables, il résulte néanmoins de l'économie du régime transitoire que les aides qu'il vise sont celles, et uniquement celles, dont le fait générateur est advenu en 1999.

28 Les choses étant ainsi, le titre II du règlement n_ 2813/98, dans lequel se situe la règle dont la compréhension est en cause, semble contenir les modalités d'application de toutes les aides directes dont le fait générateur se situe en 1999.

29 Les doutes ne tardent cependant pas à se faire jour.

30 En premier lieu, il résulte de l'exposé des motifs du règlement n_ 2813/98 que le titre II de celui-ci a pour objet de mettre en oeuvre l'article 3 du règlement n_ 2800/98 du Conseil, qu'il semble ainsi désigner comme étant sa base juridique. Néanmoins, rien dans ce règlement n'autorisait la Commission à instaurer la majoration correctrice prévue par l'article 6. Il faudrait s'interroger sur la validité de ce dernier, qui ne repose sur aucun fondement dans la réglementation de base, ne fut-ce que parce qu'aucune des parties ne l'a demandé et, surtout, parce que le règlement n_ 2799/98, qui est en principe consacré au régime agrimonétaire ordinaire, contient, en son article 10, paragraphe 1, une clause d'habilitation insolite qui, en des termes plus larges que ceux qui sont généralement utilisés, autorise la Commission à adopter les mesures transitoires qui «s'avéreraient nécessaires pour faciliter la première application du présent règlement», mesures qui demeureront «applicables pendant la période strictement nécessaire pour faciliter la mise en place du nouveau régime». S'il est vrai que le règlement n_ 2813/98 n'a pas pour objet de mettre en oeuvre le règlement n_ 2800/98, il l'est tout autant que ce dernier se réfère au règlement n_ 2799/98 pour le calcul du montant des aides. Ce jeu complexe de renvois pouvait servir à la Commission pour créer le régime des majorations correctrices en se fondant sur l'article 10 du règlement n_ 2799/98. C'est plus que probablement ainsi qu'il y a lieu de lire le deuxième visa de l'exposé des motifs du règlement n_ 2813/98, qui mentionne le règlement n_ 2799/98 «et notamment son article 10».

31 Je déduis de cet ensemble de considérations qu'en dépit des apparences, la base juridique de l'article 6 du règlement n_ 2813/98 n'est pas l'article 3 du règlement n_ 2800/98, mais bien l'article 10 du règlement n_ 2799/98. Cela m'amène à donner la préférence aux indications relatives à l'applicabilité «pendant la période strictement nécessaire pour faciliter la mise en place du nouveau régime» qui figurent à l'article 10 du règlement n_ 2799/98 et qui doivent l'emporter sur la référence au «jour du fait générateur en 1999» qui est énoncée à l'article 3 du règlement n_ 2800/98. Cette faculté d'intervention limitée est difficilement compatible avec l'interprétation que préconise le gouvernement italien et qui, parce qu'elle étend le bénéfice de la majoration correctrice à toute aide dont le fait générateur s'est produit en 1999, équivaut à redéfinir la méthode de calcul du montant de l'aide compensatoire d'une manière différente de celle que le Conseil avait prévue à l'article 5 du règlement n_ 2799/98.

Tel sera le premier élément de mon interprétation.

32 J'observe, en second lieu, que si l'on souscrit à l'interprétation du gouvernement requérant, l'article 6 du règlement n_ 2813/98 est rédigé de manière singulière. En effet, il dispose que «le maximum du montant de l'aide compensatoire visé au paragraphe 2 de l'article 4 qui résulte d'une réduction du taux de conversion agricole gelé jusqu'au 1er janvier 1999» (11) sera majoré. Si, comme le prétend l'Italie, cette majoration s'appliquait à toute aide directe dont le fait générateur est advenu en 1999, cette précision serait superflue dès lors qu'en vertu du règlement n_ 1527/95 et d'autres dispositions concordantes, toutes les aides directes octroyées dans le cadre de la politique agricole commune ont été gelées jusqu'à cette date.

33 Il est nécessaire d'aller au-delà de cette première lecture superficielle pour comprendre que l'élément significatif qui délimite cette disposition n'est pas tellement l'«aide compensatoire» que la «réduction» qui lui donne naissance: peuvent bénéficier de la majoration correctrice les aides compensatoires auxquelles donne lieu une réduction du taux de conversion gelé. Or, les termes reducción, réduction, reduction, riduzione et Verringerung - pour ne citer que les principales versions linguistiques - sont tous équivoques: une «réduction» désigne autant l'action de réduire que son effet. L'article 6 ne fait donc pas de distinction entre l'activité destinée à diminuer une variable déterminée - activité qui consiste, par exemple, en l'adoption, par le législateur, d'un taux de conversion inférieur - et le résultat de cette même activité. C'est ce dernier sens du terme qui permet, à première vue, au gouvernement italien de lire la disposition litigieuse dans le sens qu'il préconise.

Si l'on approfondit l'exégèse comme il convient, on découvre néanmoins que non seulement le verbe réduire est transitif mais encore que la dimension dont il entraîne une diminution fonctionne obligatoirement comme objet direct de l'énonciation. (12) En d'autres termes, réduire présuppose l'existence d'un sujet auquel est attribuée la minoration de la donnée variable dont il s'agit: pour qu'une réduction soit opérée, il faut que quelqu'un réduise. Il n'en va pas de même d'autres verbes ayant un contenu sémantique analogue, comme, par exemple, le verbe «diminuer».

34 Or, parmi les hypothèses possibles de l'article 6 du règlement n_ 2800/98, seule l'intervention du législateur modifiant à la baisse les taux de conversion agricoles qu'il avait lui-même gelés est une réduction au sens propre que nous venons de signaler. Comparer le taux de conversion agraire gelé au taux de change applicable à une date postérieure à la fin de ce gel - hypothèse qui est celle de l'article 5, paragraphe 2, du règlement n_ 2799/98, auquel renvoie le règlement n_ 2813/98 -, supposera éventuellement une «diminution» si la comparaison révèle une tendance décroissante, mais elle ne produira jamais une «réduction» parce qu'il n'y a pas de sujet qui puisse en être l'auteur.

35 On pourrait prétendre qu'étant donné que la diminution s'explique par la fixation irrévocable des taux de conversion de l'euro en monnaie nationale, fixation adoptée par le Conseil dans le règlement n_ 2668/98, la parenté, en quelque sorte, de cette minoration des taux de conversion agricoles devrait être imputée à ce règlement. Ce serait oublier que le règlement n_ 2866/98 ne vise absolument pas les taux de conversion agricoles, que le régime agrimonétaire de l'euro ne prévoit pas encore de tels instruments et que, par conséquent, le législateur a assimilé le régime des «compensations relatives à des baisses des taux appliqués aux aides directes» (libellé du titre II du règlement n_ 2813/98) à l'hypothèse d'une diminution du taux de change applicable, réglée par l'article 5 du règlement n_ 2799/98.

Cela veut dire qu'en ce qui concerne le régime des aides directes, la variation des taux applicables à la politique agricole commune résultant de l'adoption de l'euro s'assimile à une évolution, conforme au marché, des taux de change. Qui plus est, les évolutions dictées par le marché sont caractérisées par le fait qu'elles sont sujettes à des hausses et à des baisses par rapport à la situation précédente, et non pas à des augmentations et à des réductions.

36 L'interprétation que je propose est en outre corroborée par le fait que le législateur a choisi une terminologie généralement cohérente. Pour définir l'hypothèse ordinaire permettant d'accorder une aide compensatoire, l'article 5, paragraphe 1, du règlement n_ 2799/98 ne parle pas de réduction du taux de conversion mais bien d'un taux «inférieur à celui applicable précédemment». Aux termes de son article premier dans la version française, le règlement n_ 1527/95 lui-même, au moyen duquel les taux ont été gelés, ne s'appliquait qu'en cas de «baisse» des taux de conversion agricoles.

37 Je reconnais néanmoins, qu'il n'est pas rare que le terme «réduction» soit improprement utilisé dans un sens intransitif et que, dans leurs différentes versions linguistiques, les textes réglementaires communautaires eux-mêmes présentent pas mal de contradictions.

38 Quoi qu'il en soit, les autres éléments d'interprétation littérale me permettent d'aboutir à la même conclusion que celle à laquelle l'analyse sémantique antérieure m'a amené. Je songe aux signes de ponctuation - ou, plus précisément, à leur omission - dans le texte de la phrase unique de l'article 6 du règlement n_ 2813/98. Pour que l'argument de la partie requérante puisse prospérer, il faudrait que l'expression «gelé jusqu'au 1er janvier 1999» ait sans équivoque la fonction d'épithète, ce qui impliquerait qu'elle soit précédée et suivie de virgules. Indépendamment de la signification que l'on donne au mot «réduction», on pourrait alors comprendre que l'hypothèse envisagée vise toute modification du taux de conversion agricole, lequel aurait été, à titre purement incident, gelé jusqu'à la date indiquée. L'absence de délimitation au moyen de virgules a pour conséquence de déterminer précisément le taux de conversion dont la diminution ou, si l'on préfère, la réduction est pertinente: il s'agit uniquement de la diminution, ou réduction, qui frappe les taux de conversion gelés jusqu'au 1er janvier 1999. (13) Comme la Commission le signale à bon escient, toute baisse postérieure serait étrangère à l'hypothèse visée par la disposition puisque les taux de conversion agricoles auraient été dégelés entre-temps.

39 Il résulte donc du raisonnement que je viens de tenir à propos de cette partie du recours qu'une interprétation selon les termes de l'article 6 du règlement n_ 2813/98 compatible avec l'explication historique et téléologique proposée par la Commission, interprétation que l'Italie n'a pas validement contestée, est, à tout le moins, possible et doit dès lors être préférée en vertu de la présomption de légalité dont bénéficient les actes juridiques adoptés par l'autorité compétente. Une interprétation de ces caractéristiques est en outre conforme à l'habilitation en vertu de laquelle la disposition litigieuse a été adoptée, à savoir l'article 10, paragraphe 1, du règlement n_ 2799/98, aux termes duquel les mesures transitoires nécessaires seront «applicables pendant la période strictement nécessaire pour faciliter la mise en place du nouveau régime».

40 Le gouvernement italien fait valoir à propos de ce premier moyen d'annulation que le règlement n_ 1639/1999, contre lequel le recours est dirigé, est vicié par un défaut de motif incompatible avec l'article 253 CE et qu'il a été adopté à la faveur d'un détournement de pouvoir. De telles allégations, auxquelles il n'a guère consacré de développements, semblent être fondées sur le caractère «imprévu» que le requérant prête à la modification législative qu'il impute au règlement attaqué. Ayant abouti à la conclusion contraire à propos de la prémisse principale, je me vois dans l'obligation de proposer à la Cour de rejeter ces arguments accessoires et, en même temps qu'eux, le moyen dans son ensemble.

Sur le second moyen d'annulation

41 Il convient de déduire des différentes étapes de la procédure écrite que le gouvernement italien attaque le règlement n_ 1639/1999 sur la base d'une violation du principe de l'égalité de traitement entre les agriculteurs, principe énoncé à l'article 34 CE. Selon lui, le traitement réservé aux agriculteurs bénéficiaires d'aides directes dont le fait générateur se situe au 1er janvier 1999, agriculteurs auxquels a été appliquée la majoration prévue par l'article 6 du règlement n_ 2813/98 - conformément aux dispositions du règlement n_ 755/1999 - (14) serait intolérablement discriminatoire par rapport au traitement dont ont fait l'objet ceux qui ne peuvent pas se prévaloir de la majoration correctrice parce qu'ils sont bénéficiaires de subventions dont le fait générateur s'est produit à une date ultérieure.

42 Si la Cour accepte l'interprétation que je lui propose, la différence de traitement dénoncée par le gouvernement requérant ne résulterait pas du règlement entrepris, mais bien du règlement n_ 2813/98, contre lequel le présent recours n'est pas dirigé. Le moyen devrait dès lors être rejeté. En tout état de cause, j'estime que les raisons au moyen desquelles la Commission a expliqué la genèse législative de la majoration correctrice, et notamment le souci de ne pas tromper la confiance légitime des bénéficiaires, sont pertinentes et suffisantes pour justifier la différence de traitement.

43 Il convient dès lors de rejeter le second moyen d'annulation également.

Les dépens

44 Il résulte du rejet intégral du recours que je propose que la République italienne devra être condamnée aux dépens conformément à l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure.

Conclusion

45 Pour toutes les considérations que je viens d'exposer, je propose à la Cour de rejeter le recours introduit par la République italienne et de la condamner aux dépens.

(1) - Affaire C-100/99, Rec. p. I-0000.

(2) - Règlement (CE) n_ 2799/98 du Conseil, du 15 décembre 1998, établissant le régime agrimonétaire de l'euro (JO L 349, p. 1).

(3) - Règlement (CE) n_ 2866/98 du Conseil, du 31 décembre 1998, concernant les taux de conversion entre l'euro et les monnaies des États membres adoptant l'euro (JO L 359, p. 1).

(4) - En réalité, le mécanisme de conversion de l'écu était plus complexe dès lors que les fluctuations monétaires n'étaient pas immédiatement répercutées sur les taux agricoles (régime des «taux verts»).

(5) - Règlement (CE) n_ 2800/98 du Conseil, du 15 décembre 1988, relatif aux mesures transitoires pour l'introduction de l'euro dans la politique agricole commune (JO L 349, p. 8).

(6) - Règlement (CE) n_ 2813/98 de la Commission, du 22 décembre 1998, portant modalités d'application relatives aux mesures transitoires pour l'introduction de l'euro dans la politique agricole commune (JO L 349, p. 48).

(7) - JO L 194, p. 33.

(8) - Règlement (CE) n_ 1527/95 du Conseil, du 29 juin 1995, déterminant les compensations relatives à des baisses des taux de conversion agricoles pour certaines monnaies (JO L 148, p. 1).

(9) - Un exemple permet de comprendre aisément le problème. A supposer que le taux de conversion gelé de la lire italienne ait été de 1 écu = 1000 lires et que, du fait de l'adoption de l'euro, la lire ait été réévaluée de 10 %, un euro aurait été converti en 900 lires. L'aide compensatoire qui aurait alors été accordée aurait été de 0,10 euro, montant égal à la réévaluation. Néanmoins, la conversion de ces 10 centimes d'euro en lire italienne conformément au nouveau taux réévalué ne donnerait que 90 lires. Ajouté à l'aide compensatoire, le montant converti selon le nouveau taux n'aurait pas permis de contrebalancer complètement la perte de revenus résultant de la réévaluation (900 + 90 = 990, ce qui est inférieur au montant initial de 1000).

(10) - Sans italique dans l'original.

(11) - Sans italique dans l'original.

(12) - On parle ainsi de «réduire l'inflation», «réduire la masse monétaire» ou encore «réduire le chômage».

(13) - En effet, «le taux qui a été gelé» n'est pas le même que «le taux, qui a été gelé». De la même manière, l'expression «les monnaies européennes qui ont été dévaluées» ne doit pas être confondue avec l'expression «les monnaies européennes, qui ont été dévaluées». La première formulation singularise le sujet alors que la seconde ne fait que qualifier sans pouvoir déterminer.

(14) - Règlement (CE) n_ 755/1999 de la Commission, du 12 avril 1999, fixant le montant maximal de l'aide compensatoire résultant des taux de conversion de l'euro en unité monétaire nationale ou des taux de change applicables le 1er et le 3 janvier 1999 (JO L 98, p. 8).