Conclusions de l'avocat général Alber présentées le 20 septembre 2001. - Commission des Communautés européennes contre République italienne. - Manquement d'Etat - Directive 93/13/CEE - Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs - Moyens destinés à faire cesser l'utilisation de ces clauses. - Affaire C-372/99.
Recueil de jurisprudence 2002 page I-00819
I - Introduction
1 La Commission reproche à la République italienne, dans le cadre du présent recours en manquement, de n'avoir pas transposé complètement la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (2). Par rapport aux quatre griefs initialement avancés, la Commission n'en invoque plus qu'un seul à la suite de son désistement partiel. Ce grief concerne la transposition de l'article 7, paragraphe 3, de la directive 93/13. La question qui se pose est de savoir dans quelle mesure le droit italien ouvre la possibilité à des associations d'introduire des recours non seulement contre l'utilisation mais aussi contre la recommandation de l'utilisation de clauses abusives.
II - Cadre juridique
1) Directive 93/13
2 L'article 7 de la directive dispose:
«1. Les états membres veillent à ce que, dans l'intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l'utilisation des clausesabusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.
2. Les moyens visés au paragraphe 1 comprennent des dispositions permettant à des personnes ou à des organisations ayant, selon la législation nationale, un intérêt légitime à protéger les consommateurs de saisir, selon le droit national, les tribunaux ou les organes administratifs compétents afin qu'ils déterminent si des clauses contractuelles, rédigées en vue d'une utilisation généralisée, ont un caractère abusif et appliquent des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l'utilisation de telles clauses.
3. Dans le respect de la législation nationale, les recours visés au paragraphe 2 peuvent être dirigés, séparément ou conjointement, contre plusieurs professionnels du même secteur économique ou leurs associations qui utilisent ou recommandent l'utilisation des mêmes clauses contractuelles générales, ou de clauses similaires.»
3 En vertu de l'article 10 de la directive, les états membres devaient s'y conformer au plus tard le 31 décembre 1994.
2) La réglementation italienne
4 La directive 93/13 a été transposée en droit italien par la loi n. 52 du 6 février 1996 (ci-après la «loi 52/96») (3). Cette loi a introduit les articles 1469 bis à 1469 sexies dans le code civil italien (ci-après: le «c.c.»). L'article 7 de la directive 93/13 a été transposé par l'article 1469 sexies c.c. D'après cette disposition, les associations représentatives des consommateurs et des professionnels ainsi que les chambres de commerce, d'industrie, d'artisanat et d'agriculture peuvent attraire en justice le professionnel ou l'association de professionnels qui utilise des conditions contractuelles générales et demander au juge compétent d'interdir l'utilisation des conditions dont le caractère abusif est avéré au sens du présent chapitre (4).
5 Dans le cadre de la présente procédure, la République italienne a aussi fait valoir que l'article 7 a aussi été transposé par l'article 3 de la loi n. 281 du 30 juillet 1998 (ci-après la «loi 281/98») (5). Cette disposition précise que les associations de consommateurs et d'usagers inscrites à la liste visée à l'article 5 de la loi 281/98 peuvent agir enjustice en vue de protéger des intérêts collectifs. Elles peuvent en particulier demander au juge d'interdire les actes et comportements qui portent atteinte aux intérêts des consommateurs (6).
6 L'article 5 de la loi 281/98 fixe les conditions que doivent remplir les associations de consommateurs pour pouvoir être inscrites à la liste visée à l'article 3. Cette liste est établie par le ministre de l'Industrie, du Commerce et de l'Artisanat.
III - Procédure et conclusions des parties
7 Dans le respect d'une procédure précontentieuse régulière, la Commission a adressé un avis motivé à la République italienne le 18 décembre 1998. Après avoir jugé insuffisante la réponse de la République italienne du 15 mars 1992, la Commission a introduit un recours à son encontre le 6 octobre 1999. Elle a retiré trois de ses griefs initiaux par mémoire déposé le 19 mai 2000. La Commission conclut aujourd'hui à ce qu'il plaise à la Cour :
- 1. Constater que la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 93/13/CEEdu Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, en n'ayant pas adopté les mesures nécessaires pour transposer intégralement l'article 7, paragraphe 3, de cette directive;
- 2. Condamner la République italienne aux dépens.
8 La République italienne conclut à ce qu'il plaise à la Cour:
- 1. Rejeter le recours ;
- 2. Condamner la Commission aux dépens.
IV - Moyens et arguments des parties
1) La Commission
9 La Commission invoque la transposition incomplète de l'article 7, paragraphe 3, de la directive 93/13. Le paragraphe 1 de cette disposition a pour but de faire cesser l'utilisation de clauses abusives. Une protection juridique préventive a été prévue dans ce but, permettant d'introduire un recours à l'encontre du simple fait de recommander l'utilisation d'une clause. Le contrôle préventif est particulièrement utile pour le consommateur car il permet d'éviter une fois pour toutes l'utilisation d'une clause abusive. La Commissioninvoque à l'appui de sa thèse le libellé «clauses contractuelles, rédigées en vue d'une utilisation généralisée» figurant au paragraphe 2 de la disposition. Cette expression indiquerait que la clause en question n'a pas encore été utilisée. La Commission renvoie par ailleurs au paragraphe 3 de la disposition, qui prévoit explicitement un recours contre le fait de recommander l'utilisation de clauses abusives. Le caractère préventif de l'article 7 ressort en outre de la relation systématique qu'il entretient avec l'article 6 de la directive. Cette disposition régit les conséquences juridiques de l'utilisation d'une clause abusive, à savoir son caractère non contraignant. On ne dispose dans cette mesure des moyens adéquats et efficaces pour mettre fin à l'utilisation de clauses abusives que si des mesures en particulier préventives dirigées contre le simple fait de recommander l'utilisation de ces clauses sont prévues. Enfin, la Commission invoque les travaux préparatoires de la directive 93/13 et cite l'exposé des motifs de sa proposition modifiée, d'après laquelle des procédures purement préventives doivent être admises. Le Conseil a accueilli cet exposé des motifs, dans la mesure où il a repris sur ce point la proposition de la Commission sans la modifier.
10 La Commission estime que ce contrôle préventif n'est pas assuré en droit italien. L'article 1469 sexies c.c. permet uniquement d'agir contre l'utilisation de clauses abusives mais non contre leur recommandation. La même remarque s'applique à l'article 3 de la loi281/98, que n'ouvre lui aussi de droit de recours qu'à l'encontre de l'utilisation de clauses abusives.
11 La République italienne fait valoir qu'une recommandation, du fait de son caractère non contraignant, ne saurait léser les droits de personne et donc fonder la mise en place d'un droit de recours. La Commission rétorque que les recommandations seraient en pratique suivies et que le législateur communautaire a donc sciemment prévu ce recours préventif. Du reste, d'après une jurisprudence constante, un état membre ne saurait invoquer les exigences de son ordre juridique national pour se soustraire à son obligation de transposer des directives.
12 La Commission considère que l'article 3 de la loi 281/98 n'est absolument pas applicable pour des raisons liées à la systématique juridique. Il s'agit d'une règle générale qui, en vertu du principe selon lequel la règle spéciale déroge à la règle générale, est écartée par l'article 1469 sexies c.c.
13 Dans l'hypothèse où l'on pourrait déduire l'existence d'une protection juridique préventive de l'article 3, la Commission fait valoir une violation du principe de sécurité juridique et des exigences de clarté de précision. Un droit de recours contre les recommandations fondé sur l'article 3 est tout à fait contraire à la disposition de l'article 1469 sexies c.c. qui ne le prévoit pas et à l'article 100 du code de procédure civile (ci-après le «c.p.c.»), qui lie la recevabilité d'un recours à l'existence dela qualité pour agir, celle-ci faisant précisément défaut d'après le gouvernement italien dans le cas de recours dirigés contre des recommandations parce qu'elles n'ont pas de caractère contraignant.
14 En outre, l'article 3 de la loi 281/98 entraîne une limitation inadmissible du nombre des personnes ayant qualité pour agit. L'italie a fait usage de la compétence de déterminer les personnes ayant qualité pour agir qu'elle tire de l'article 7, paragraphe 3, en adoptant l'article 1469 sexies c.c. Le groupe des personnes ayant qualité pour agir défini par cette disposition est plus large que celui fixé par l'article 3 de la loi 281/98. La détermination d'un groupe différent de personnes ayant qualité pour agir selon que le recours est dirigé contre l'utilisation d'une clause - dans ce cas, le groupe plus large visé à l'article 1469 sexies c.c. - ou contre la recommandation de l'utilisation d'une clause - dans ce cas, le groupe plus restreint visé par l'article 3 de la loi 281/98 - est contraire à la portée de l'article 7 de la directive 93/13.
2) La République italienne
15 La République italienne conteste le manquement qui lui est reproché. D'après elle, les droits créés par l'article 7, paragraphe 3, de la directive 93/13 ont été entièrement transposés en droit italien.
16 Il y a tout d'abord lieu de constater que l'article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 exige que des moyens adéquats et efficaces soientprévus pour faire cesser l'utilisation de clauses abusives dans les contrats. Cela implique, d'après la République italienne, que les clauses soient effectivement utilisées dans des contrats. L'utilisation effective et non pas simplement potentielle des clauses est une condition importante dans la perspective de l'octroi de la possibilité d'introduire un recours juridictionnel.
17 Il ne saurait en principe exister de voie de recours à l'encontre d'une recommandation. Une recommandation n'est pas contraignante et ne peut donc léser les droits de personne. Nul n'a dans cette mesure qualité pour agir à l'encontre d'une recommandation, qualité qui, en vertu de l'article 100 c.p.c., est en principe nécessaire à la recevabilité d'un recours.
18 Toutefois, lorsqu'il est démontré que des actes, situés «en amont» de l'utilisation d'une clause, violent les intérêts des consommateurs, le juge peut interdire de tels actes en vertu de l'article 3 de la loi 281/98. Les recommandations notamment peuvent relever de ces actes. La voie de recours ouverte par l'article 3 de la loi 281/98 est dirigée contre les personnes responsables des comportements qui lèsent les intérêts des consommateurs. Il peut notamment s'agir des personnes qui recommandent l'utilisation d'une clause abusive.
19 S'agissant de la détermination des personnes ayant qualité pour agir, la République italienne renvoie à l'article 7, paragraphe 2, de ladirective 93/13. Cette disposition habilite les états membres à définir les personnes ayant qualité pour agir. En définissant ces personnes à l'article 1469 sexies c.c. et à l'article 3 de la loi 281/98, l'Italie n'a fait qu'exercer la compétence visée à l'article 7 de la directive, ce qui ne saurait méconnaître la portée de cette disposition.
20 Une application parallèle des dispositions n'est pas exclue en vertu de la règle de la lex specialis. Il s'agit de règles procédurales et non de normes juridiques matérielles.
V - Appréciation juridique
1) Détermination de la portée de l'obligation de transposition visée à l'article 7, paragraphe 3, de la directive 93/13
21 Il y a tout d'abord lieu de déterminer la portée de l'obligation de transposition que doit respecter la République italienne en vertu de l'article 7, paragraphe 3, de la directive 93/13. Les parties s'opposent en effet sur la portée de la finalité liée à la protection préventive de l'article 7, paragraphe 3. Invoquant la formulation de l'article 7, paragraphe 1, de la directive, d'après laquelle il faut faire cesser «l'utilisation» de clauses abusives, la République italienne exige que la clause abusive, à l'encontre de laquelle le recours juridictionnel est dirigé, soit aussi effectivement utilisée et non pas seulement que son utilisation soit potentiellement possible. Ce n'est dans ce cas seulementque les intérêts des consommateurs sont lésés et qu'un droit de recours est ouvert. Cela est conforme à l'article 100 c.p.c. qui subordonne la recevabilité d'un recours à l'existence de la qualité pour agir, cette condition ne pouvant en principe être remplie qu'en présence d'une atteinte portée aux intérêts des consommateurs par l'utilisation effective d'une clause abusive.
22 Invoquant le libellé de l'article 7, sa relation systématique avec l'article 6 et les travaux préparatoires de la directive 93/13, la Commission est par contre d'avis que la directive a un caractère préventif. Celui-ci n'est pas pris en compte à suffisance lorsqu'il n'existe aucune voie de recours à l'encontre de la simple recommandation de l'utilisation de clauses abusives, même s'il n'y a pas d'utilisation effective. Le recours dirigé contre une recommandation est une mesure très efficace dans le cadre de la protection du consommateur, étant donné qu'à ce stade précoce déjà, le caractère abusif d'une clause donnée est déterminé une fois pour toutes et que son utilisation dans une multitude de cas est ainsi exclue dès l'abord.
23 La détermination du champ d'application et de la protection offerte par l'article 7, paragraphe 3, de la directive 93/13 doit se fonder sur son libellé. Celui-ci établit une distinction entre l'utilisation, d'une part, et la recommandation de l'utilisation d'une clause abusive, de l'autre. Cette distinction montre que cette disposition vise à régir deux situations différentes. La thèse défendue par la République italienne netient pas compte suffisamment de cet aspect. Si le critère utilisé devait systématiquement être celui d'une utilisation effective, parce que les intérêts des consommateurs ne seraient lésés que dans cette hypothèse, la distinction entre les deux catégories serait gommée. Si le législateur communautaire avait envisagé une telle solution, il aurait pu préciser qu'une voie de recours doit être ouverte lorsqu'une clause abusive est utilisée ou qu'elle risque de l'être. Cela ne correspond cependant pas au libellé de la directive 93/13 (7).
24 Le renvoi aux exigences des règles de procédure civile italienne montre clairement que l'article 7, paragraphe 3, de la directive exige l'introduction d'une protection juridique atypique dans le droit des états membres. Il s'agit de prévoir un recours préventif en faveur d'associations. Tant la protection juridique préventive que celle prenant la forme d'un recours introduit par une association sont caractérisés par le fait qu'elles ne sont pas subordonnées à une violation des droitspropres du requérant. Elles ne correspondent pas aux voies de recours classiques, dont la recevabilité suppose en règle générale que les intérêts juridiques propres du requérant soient affectés. Il s'agit dans cette mesure de formes de protection juridique atypiques et leur réception dans les ordres juridiques des états membres - qui exigent tous en principe, à l'instar de l'ordre juridique italien, que le requérant fasse valoir un intérêt pour agir - est très difficile. Cet aspect doit être pris en compte lors de la détermination des exigences qui doit respecter l'acte national de transposition, sans de ce fait affecter la portée des droits accordés par l'article 7, paragraphe 3, de la directive 93/13.
25 L'objection du gouvernement italien tirée de l'article 100 c.p.c. ne saurait être accueillie. Selon une jurisprudence constante, un état membre ne saurait exciper de son ordre juridique interne pour justifier l'inobservation d'obligations de droit communautaire (8). Même si l'article 100 c.p.c. subordonne en principe la recevabilité d'un recours à l'existence d'un intérêt pour agir, cela n'exonère pas le législateur italien de son obligation d'ouvrir une possibilité de recours à l'encontre des recommandations d'utilisation de clauses contractuelles abusives dans le cadre de la transposition de la directive 93/13, même si, dans ces cas, les conditions de l'article 100 c.p.c. ne devaient pas être remplies.
26 Le renvoi fait par la République italienne au paragraphe 1 de l'article 7 semble aussi peu concluant que celui de la Commission au paragraphe 2 de cette disposition. En effet, le paragraphe 1 parle de «l'utilisation», alors que le paragraphe 2 parle de clauses contractuelles «rédigées en vue d'une utilisation généralisée». La systématique interne de l'article 7 de la directive semble donc de peu d'utilité pour la question qui nous occupe.
27 La comparaison avec l'article 6 de la directive faite par la Commission n'est pas d'une grande aide non plus. Cette disposition régit les conséquences juridiques de l'utilisation d'une clause abusive, à savoir sa non-opposabilité. Cette règle matérielle ne permet pas de tirer de conclusion à propos de la question procédurale qui consiste à savoir si des recours dirigés contre des recommandations sont recevables ou non.
28 Il y a cependant lieu de se reporter à l'avant-dernier considérant de la directive. Il est libellé comme suit : «considérant que les personnes ou les organisations ayant, selon la législation d'un état membre, un intérêt légitime à protéger le consommateur, doivent avoir la possibilité d'introduire un recours contre des clauses contractuelles rédigées en vue d'une utilisation généralisée dans des contrats conclus avec des consommateurs, et en particulier, contre des clauses abusives, soit devant une autorité judiciaire soit devant un organe administratif compétents pour statuer sur les plaintes ou pour engager les procéduresjudiciaires appropriées; que cette faculté n'implique, toutefois, pas un contrôle préalable des conditions générales utilisées dans tel ou tel secteur économique». Ce considérant, qui est relatif au régime institué à l'article 7, s'oppose il est vrai tout d'abord dans sa dernière phrase à un contrôle des recommandations qui ne débouchent pas sur une utilisation, parce qu'un «contrôle préalable» est expressément exclu.
29 Cette exclusion ne concerne cependant que les «conditions générales» utilisées dans tel ou tel secteur économique. Cette notion n'est pas précisée davantage dans le texte de la directive, ni dans ses considérants ou dans d'autres dispositions. On ne peut dans cette mesure pas en préciser la signification en levant tout doute. Certains éléments plaident cependant en faveur de la thèse d'après laquelle cette notion ne vise pas les clauses contractuelles détaillées. Il aurait en effet été concevable d'utiliser aussi cette dernière expression, qui apparaît également dans d'autres passages des considérants - voir, par exemple, les deuxième, huitième et douzième considérants - et dans la partie normative de la directive - voir l'article premier, paragraphe 2, et l'article 2, sous a - dans l'avant-dernier considérant. De plus, un «contrôle préalable» ne doit pas absolument être assimilé à la recevabilité d'un moyen de recours préventif dirigé contre le fait de recommander l'utilisation de certaines clauses. Un contrôle préalable pourrait notamment prendre la forme d'un système d'autorisation préalable. Il faut donc partir de l'idée que l'avant-dernier considérant de la directive n'interdit pas d'interpréter l'article 7, paragraphe 3, de ladirective comme exigeant l'institution d'un moyen de recours préventif. Ce résultat correspond à ce qu'a déclaré la Cour de justice dans son arrêt du 27 juin 2000 dans les affaires jointes C- 240/98 à C-244/98 (9). Peu importe que la clause abusive soit effectivement utilisée.
2) Relation entre l'article 1469 sexies c.c. et l'article 3 de la loi 281/98
30 étant donné qu'il est ainsi établi que, en vertu de l'article 7, paragraphe 3, de la directive 93/13, la République italienne est tenue de prévoir un moyen de recours contre le fait de recommander l'utilisation de clauses abusives, il reste à déterminer dans quelle mesure cette obligation a été respectée. D'après son libellé, l'article 1469 sexies c.c. n'ouvre de voie de recours qu'à l'encontre de l'utilisation de clauses contractuelles. La jurisprudence italienne (10) ainsi que la majorité de la doctrine italienne (11) interprètent cependant la notion d'«utilisation» de façon tellement large qu'elle recouvre aussi la recommandation de clauses abusives. Il faut encore déterminer si cette interprétation de la disposition par la jurisprudence et la doctrine respecte le principe de sécurité juridique et les exigences de clarté de précision.
31 La République italienne ne partage toutefois pas cette interprétation. D'après ce qu'elle a fait valoir, un recours préventif peut principalement être fondé sur l'article 3 de la loi 281/98. Pour déterminer dans quelle mesure l'article 3 de la loi 281/98 ouvre une voie de recours contre la recommandation de l'utilisation d'une clause contractuelle abusive, il faut d'abord préciser si cette disposition peut être appliquée parallèlement à l'article 1469 sexies c.c.. La Commission le conteste en invoquant le caractère général de la loi 281/98. D'aprèsla règle de la lex specialis, c'est l'article 1469 sexies c.c. qui prévaut en tant que règle plus spéciale.
32 Comme nous l'avons déjà constaté, l'article 1469 sexies c.c. n'ouvre, d'après son libellé, aucun recours contre la recommandation de l'utilisation de clauses abusives. En revanche, le libellé de l'article 3 de la loi 281/98, prévoit aussi une voie de recours contre la recommandation de l'utilisation d'une clause abusive. Cette disposition va donc au moins au-delà du champ d'application de l'article 1469 sexies c.c.
33 La question de savoir si une disposition est écartée par une autre en vertu du principe selon lequel la règle spéciale déroge à la règle générale ne doit pas seulement être appréciée en fonction des caractéristiques des deux dispositions mais aussi au regard de leurs conséquences juridiques. Le rapport logique de spécialité n'entraîne l'exclusion de la disposition générale que lorsque les conséquences juridiques des deux dispositions s'excluent mutuellement (12). Les dispositions des articles 1469 sexies c.c. et de l'article 3 de la loi 281/98 régissent les conditions dans lesquelles une voie de recours est autorisée. Leur libellé révèle que le champ d'application de l'article 3 est plus large que celui de l'article 1469 sexies c.c. Ce dernier ne concerne expressément que l'utilisation de clauses abusives, alors que l'article 3s'étend à tous les actes et à tous les comportements qui lèsent les intérêts des consommateurs et des usagers. Les titulaires des voies de recours visés par les deux dispositions sont aussi différents. Le groupe des personnes bénéficiant d'une action en vertu de l'article 3 est plus réduit et ne vise que la liste des associations agréées établie en vertu de l'article 5 de la loi 281/98. L'article 1469 sexies c.c. comporte en revanche une définition abstraite qui doit être appliquée au cas par cas par le juge. Si l'on se place du seul point de vue des caractéristiques des deux dispositions, il existe déjà des doutes qu'elles puissent entretenir des rapports de spécialité, étant donnés qu'elles ne se recouvrent que partiellement. Certains cas sont visés par l'article 1469 sexies c.c. (recours d'associations, qui ne sont pas inscrites à la liste visée l'article 5 de la loi 281/98), certains par l'article 3 de la loi 281/98 (recours dirigés contre des recommandations) et certains par les deux dispositions (recours d'associations inscrites à la liste dirigés contre l'utilisation de clauses abusives). Par ailleurs, elles ne s'excluent pas non plus du point de vue des conséquences juridiques qui leur sont attachées, à savoir la possibilité de faire valoir les voies de recours qu'elles prévoient respectivement. Ni le gouvernement italien ni la Commission n'ont avancé d'argument d'après lequel un recours irrecevable en vertu par exemple de l'article 1469 sexies c.c. ne pourrait pas être accueilli en vertu de l'article 3 de la loi 281/98 lorsque les conditions qu'il prévoit sont remplies, et inversement. Il est dans cette mesure plus que douteux que le principe selon lequel la règle spéciale déroge la règle générale puisse être appliqué.
34 Aucune autre conclusion ne peut par ailleurs être tirée du sens et de la portée de ces dispositions et de la volonté du législateur, pour autant que cette dernière ressorte de leur libellé. La directive 93/13 a certes été transposée dans l'ordre juridique italien par la loi 52/96 qui a introduit l'article 1469 sexies c.c., comme le font valoir de façon concordante les parties au litige. L'article 1er, paragraphe 1, de la loi 281/98, qui est ultérieur, concerne toutefois expressément le droit communautaire, et l'article 1er, paragraphe 2, sous e) vise le caractère correct, transparent et honnête des relations contractuelles. Rien n'indique que cette loi n'ait pas étendu les droits des consommateurs par rapport à ceux qu'ils tirent de l'article 1469 sexies c.c.
35 Le principe de la lex specialis devrait en tout cas être appliqué en faveur de l'article 1469 sexies c.c. si l'on suppose que, en adoptant cette disposition, le législateur italien a consciemment voulu exclure la possibilité de faire valoir une voie de recours dirigée contre le fait de recommander l'utilisation d'une clause. On pourrait en ce sens comprendre l'argumentation initiale du gouvernement italien, d'après lequel on ne peut en principe concevoir de recours dirigé contre une recommandation, étant donné qu'une recommandation n'est pas contraignante et qu'elle ne peut donc pas léser les droits d'un consommateur. Il n'existe de ce fait aucun intérêt pour agir, élément qui est toutefois en principe indispensable à la recevabilité de recours en vertu de l'article 100 c.p.c.
36 Le fait que, d'après le gouvernement italien, le droit national ouvre une voie de recours contre les recommandations, et ce à l'article 3 de la loi 281/98, s'oppose cependant à ce que l'on comprenne son argumentation de cette façon. La Commission, qui conteste la transposition de l'article 7, paragraphe 3, de la directive 93/13, n'avance de son côté aucun élément qui établisse que le législateur italien a délibérément exclu toute voie de recours dirigée contre des recommandations à l'article 1469 sexies c.c.
37 Il ne reste qu'à constater que les deux dispositions ont des champs d'application distincts. L'application de l'article 3 de la loi 281/98 n'est pas exclue par l'article 1469 sexies c.c.
3) Existence d'une possibilité de protection juridique à l'encontre des recommandations
38 Dès lors qu'il est établi que l'article 7, paragraphe 3, de la directive 93/13 exige la mise en place d'une voie de recours préventive contre le fait de recommander l'utilisation d'une clause abusive et que l'application de l'article 3 de la loi 281/98 n'est pas exclue par l'article 1469 sexies c.c., il faut maintenant vérifier si la République italienne a respecté son obligation de transposition en adoptant l'article 1469 sexies c.c. et l'article 3 de la loi 281/98.
39 Ainsi que nous l'avons déjà constaté, l'article 3 de la loi 281/98 prévoit, d'après son libellé, un recours contre les actes et comportements qui lèsent les intérêts des consommateurs et des usagers (13). On peut aussi faire relever de ces notions les recommandations visant à utiliser une clause abusive déterminée dans les conditions générales. Le contenu de l'article 3, paragraphe 1, sous a) de la loi 281/98 transpose donc l'obligation visée à l'article 7, paragraphe 3, de la directive 93/13.
40 Une analyse de la jurisprudence italienne confirme que, en Italie, les recours dirigés contre le fait de recommander l'utilisation de clauses abusives sont jugés recevables en vertu de l'article 3 de la loi 281/98 (14).
41 La Commission est d'avis que l'article 3 de la loi ne respecte pas les conditions d'une transposition régulière pour deux raisons. D'une part, l'article 3 de la loi 281/98 limite de façon inadmissible le nombre des personnes habilitées à agir. Elle estime, d'autre part, que cette disposition ne respecte pas le principe de la sécurité juridique et les exigences de clarté et de précision.
a) Limitation du nombre des personnes habilitées à agir par l'article 3 de la loi 281/98
42 La Commission soutient, à titre de premier grief, que, en adoptant l'article 1469 sexies c.c., le législateur italien a déjà fait usage de son droit de déterminer les personnes habilitées à agir. La République italienne rétorque simplement à ce propos en invoquant le libellé de l'article 7, paragraphe 3, de la directive 93/13 qui, s'agissant des personnes habilitées à agir, institue une réserve en faveur du droit national.
43 L'article 7, paragraphe 3, de la directive 93/13 subordonne explicitement la mise en oeuvre d'un droit de recours contre la recommandation de l'utilisation de clauses abusives au respect «de la législation nationale». De même, le paragraphe 2 de cette disposition, qui renvoie au paragraphe 3, permet aux états membres de déterminer dans leur ordre juridique national les personnes et organisations qui ont un intérêt légitime à protéger les consommateurs et doivent dès lors avoir le droit d'agir. La directive ne comporte aucune disposition sur l'étendue du cercle des personnes habilitées à agir. L'Italie a donc en principe toute latitude pour préciser qui sont ces personnes.
44 L'argument de la Commission consiste à dire que, en adoptant l'article 1469 sexies c.c., la République italienne a déjà fait usage en 1996 de son droit de définir les personnes habilitées à agir. Le nombrede ces personnes ne peut pas être limité a posteriori, en particulier par l'adoption de l'article 3 de la loi 281/98. Aucun élément dans le texte de la directive n'étaye cependant cette interprétation. Quand bien même la République italienne aurait-elle déjà fait usage de son pouvoir de préciser les personnes habilitées à agir en adoptant l'article 1469 sexies c.c., rien ne s'oppose en principe à ce qu'elle modifie le cercle de ces personnes en adoptant la loi 281/98.
45 étant donné que, comme nous l'avons déjà indiqué ci-dessus, les deux dispositions de l'article 1469 sexies c.c. et de l'article 3 de la loi 281/98 ont des champs d'application différents, on ne saurait en principe rien objecter au fait que l'étendue des groupes respectifs de personnes habilitées à agir soit définie de façon différente. Aucun passage de la directive ne permet d'affirmer que le nombre des personnes qui peuvent s'opposer à l'utilisation d'une clause abusive ne pourrait pas être plus important que celui des personnes pouvant contester le fait de recommander son utilisation. Dans certaines circonstances, une telle différenciation pourrait même être indiquée. Comme le confirme l'argumentation de la République italienne, l'utilisation de clauses abusives affecte toujours les intérêts des consommateurs protégés. Cet ensemble d'éléments correspond donc plutôt à la situation classique dans laquelle les voies de recours sont jugées recevables. Par contre, le simple fait de recommander l'utilisation de clauses abusives n'affecte pas encore les intérêts juridiques du consommateur mais ne fait que les menacer. La mise en balance des intérêts opposés des utilisateurs detelles clauses abusives et des consommateurs pourrait amener à n'accorder cette protection juridique en amont qu'à un cercle déterminé et particulièrement qualifié de personnes et d'organisations, afin d'éviter des abus de droit. Une solution de ce type pourrait empêcher des procédures éventuellement inutiles. Le grief de la Commission doit par conséquent être rejeté.
b) Violation du principe de la sécurité juridique et des exigences de clarté et de précision
46 Dans son deuxième grief relatif à la sécurité juridique et à l'exigence de clarté et de précision, la Commission fait valoir qu'interpréter l'article 3 de la loi 281/98 en ce sens qu'il ouvre une voie de recours contre les recommandations est tout à fait contraire l'article 1469 sexies c.c. et à l'article 100 c.p.c. Les personnes et organisations habilitées à agir ne peuvent donc pas connaître avec précision les droits dont elles disposent ni savoir si elles peuvent éventuellement les invoquer.
47 En vertu de l'article 189 du traité CE (devenu article 249 CE), une directive lie l'état membre destinataire quant au résultat a atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. La jurisprudence n'exige donc pas que les dispositions d'une directive soient reproduites formellement et textuellement dans une loi nationale. Selon le contenu de la directive,la mise en place d'un contexte juridique général peut suffire. En particulier, l'existence des principes généraux de droit constitutionnel ou administratif peut rendre superflue la transposition par des mesures législatives ou réglementaires spécifiques. La situation juridique résultant de ces principes doit toutefois être suffisamment claire et précise, surtout lorsque la directive crée des droits en faveur des particuliers. Elle doit leur permettre de connaître la plénitude de leurs droits et de s'en prévaloir, le cas échéant, devant les juridictions nationales. Cette dernière condition est particulièrement importante, lorsque la directive vise à accorder des droits aux ressortissants d'autres états membres, car ces ressortissants ne sont normalement pas au courant de ces principes (15).
48 D'après cette jurisprudence, peu importe donc en principe que le libellé de l'article 3 de la loi 281/98 ne parle pas explicitement de recours dirigés contre des «recommandations». Il y a par ailleurs lieu de tenir compte du fait que le groupe des bénéficiaires visés à l'article 7, paragraphes 2 et 3, de la directive 93/13 se compose de destinataires qualifiés. Les personnes et organisations ayant le droit d'agir d'après cette disposition sont des associations représentatives dont l'objet est de protéger les intérêts des consommateurs. D'après une jurisprudenceconstante, ce qui importe en matière de sécurité juridique et d'exigence de clarté et de précision nécessaires, c'est de savoir comment se présente la situation juridique du point de vue des intéressés (16). Dans les conclusions présentées dans l'affaire C- 145/99, l'avocat général Stix-Hackl a souligné que, dans le cas d'un groupe qualifié de destinataires, il y a certainement lieu de fixer des exigences plus strictes que ce n'est habituellement le cas (17). De la même façon, pour déterminer en l'occurrence le degré de sécurité juridique et de clarté et de précision nécessaires, il faut aussi tenir compte du fait que nous sommes en présence de destinataires spécialisés et non du consommateur final protégé par ailleurs par la directive 93/13. Il n'y a donc pas lieu de fixer des exigences excessives en matière de clarté et de sécurité juridique de la législation de transposition, pour des raisons de proportionnalité.
49 Il n'est par conséquent pas indiqué de reprendre dans la présente procédure la motivation de l'arrêt rendu dans l'affaire C-144/99. Celle-ci concernait la transposition des articles 4 et 5 des directives destinées au consommateur final. Le présent cas d'espèce concerne des destinataires qualifiés. Il faut s'attendre de leur part à ce qu'ils connaissent la jurisprudence relative à la recevabilité de recours dirigés contre desrecommandations ainsi qu'à l'interprétation de l'article 1469 sexies c.c. et de l'article 3 de la loi 281/98.
50 Le rapport de la Commission du 27 avril 2000 relatif à l'application de la directive 93/13 révèle qu'elle a engagé des recours en manquement contre tous les états membres pour transposition incorrecte de la directive 93/13 (18). Il s'avère opportun de faire observer dans ce contexte qu'il existe dans une série d'états membres une situation juridique comparable à celle de l'Italie. à ce jour, la Commission ne semble toutefois pas être allée aussi loin dans ses recours en manquement que dans le cas de l'Italie (19).
51 Il est intéressant d'observer à ce propos que, dans son rapport, la Commission se penche sur un autre problème de transposition de l'article 7 de la directive 93/13 en Italie, et se demande dans quelle mesure, dans les procédures d'urgence, la notion de «bons motifs d'urgence» débouche sur une protection juridique suffisante (20) mais qu'elle n'examine pas la question de la recevabilité des recours dirigés contre des recommandations, qui nous occupe en l'espèce. Elle évoque par ailleurs le recours en manquement dirigé contre les Pays-Bas dansl'affaire C-144/99, qui concernait la transposition des articles 4 et 5 de la directive (21).
52 La Commission a remis son avis motivé conformément l'article 169 du traité CE (devenu article 226 CE) en décembre 1998. à cette époque, les juridictions italiennes accordaient une protection juridique contre le fait de recommander l'utilisation de clauses abusives. Elles se fondaient pour ce faire soit sur l'article 1469 sexies c.c., soit sur l'article 3 de la loi 281/98. Cette solution est aussi conforme à la doctrine majoritaire. On pouvait dans cette mesure argumenter que l'objectif poursuivi par la directive, à savoir accorder une protection juridique contre le fait de recommander l'utilisation de clauses abusives, était atteint. Le choix fait par le législateur italien de mettre en oeuvre cette protection juridique par l'adoption de deux dispositions dont les champs d'application se recouvrent en partie relève de la liberté que lui offre l'article 189 du traité CE (devenu article 249 CE) quant au choix des moyens de transposition. Compte tenu de ces circonstances, on peut se demander s'il est possible d'établir l'existence d'un manquement dans le présent cas d'espèce.
53 D'un autre côté, il y a cependant lieu de considérer qu'une jurisprudence nationale qui interprète deux dispositions de droit interne conformément au droit communautaire ne suffit en principe pas pourdonner à ces dispositions la qualité de mesures de transposition d'une directive (22). Dans l'arrêt qu'elle a rendu dans l'affaire C-144/99, la Cour a jugé à propos de la directive 93/13 qu'une interprétation des dispositions de droit interne dans un sens conforme à la directive par les juridictions nationales ne suffit pas pour considérer qu'il y a transposition complète de la directive. En effet, cette jurisprudence ne saurait présenter la clarté et la précision requises pour satisfaire à l'exigence de sécurité juridique. Il convient d'ajouter que tel est particulièrement le cas dans le domaine de la protection des consommateurs (23). Nous partageons les considérations émises par l'avocat général Tizzano dans les conclusions qu'il a présentées dans cette affaire, à savoir que l'application du principe de l'interprétation conforme au droit communautaire par les juridictions d'un état membre ne saurait remplacer l'obligation du législateur de cet état membre d'assurer une transposition précise et dépourvue d'ambiguïté (24). L'obligation d'atteindre l'objectif fixé par une directive s'impose à toutes les autorités des états membres (25). Dans le cadre de leur obligation detransposition, les états membres doivent prévoir un cadre légal précis qui rende l'ordre juridique national conforme aux dispositions de la directive (26). L'exigence de sécurité juridique et de clarté doit donc s'imposer - et sans doute au premier chef - au législateur. En soi, la norme de transposition doit être assez claire et précise pour pouvoir représenter une transposition suffisante des dispositions de la directive.
54 Le litige sur ce point entre la Commission et la République italienne montre de façon étonnante que les relations entre l'article 1469 sexies c.c. et l'article 3 de la loi 281/98 sont tout sauf dépourvues d'ambiguïté. Les juridictions italiennes considèrent même en partie l'article 1469 sexies c.c. comme la lex specialis par rapport à l'article 3 de la loi 281/98 et accordent un droit de recours contre les recommandations fondé sur cette lex specialis, c'est-à-dire qu'elles interprètent cette disposition conformément droit communautaire (27). On ne peut dans cette mesure pas attendre des personnes et organisations habilitées à agir en vertu de l'article 7, paragraphe 3, de la directive qu'elles considèrent la situation juridique comme étant suffisamment claire et précise et qu'elles soient à même d'avoir connaissance de droits et de les invoquer éventuellement devant les juridictions italiennes.
55 Il faut par conséquent considérer que la transposition de l'article 7, paragraphe 3, de la directive en droit italien par l'adoption de l'article 1469 sexies c.c. et de l'article 3 de la loi 281/98 ne tient pas suffisamment compte du principe de sécurité juridique et des exigences de clarté. La République italienne n'a donc pas respecté son obligation de transposer cette disposition.
VI - Dépens
56 En vertu de l'article 69, paragraphe 2 du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. étant donné que les arguments de la République italienne n'ont pas convaincu et que la Commission a conclu à ce qu'elle soit condamnée aux dépens, il y a lieu de condamner la République italienne aux dépens.
VII - Conclusion
57 Eu égard aux éléments exposés ci-dessus, nous proposons la Cour de statuer comme suit:
1. La République italienne a enfreint la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, dans la mesure où elle n'a pas adopté entemps utile les mesures nécessaires pour transposer complètement l'article 7, paragraphe 3, de cette directive.
2. La République italienne est condamnée aux dépens.
2: - JO L 95, p. 29.
3: - «Disposizioni per l'adempimento di obblighi derivanti dall'appartenenza dell'Italia alle Comunità europee - legge comunitaria 1994», Gazzetta Ufficiale della Repubblica italiana (ci-après: «GURI») n. 34 du 10 février 1996, Supplemento ordinario n. 24.
4: - Article 1469-sexies: «Le associazioni rappresentative dei consumatori e dei professionisti e le camere di commercio, industria, artigianato e agricoltura possono convenire in giudizio il professionista o l'associazione di professionisti che utilizzano condizioni generali di contratto e richiedere al giudice competente che inibisca l'uso delle condizioni di cui sia accertata l'abusività ai sensi del presente capo.»
5: - «Réglementation des droits des consommateurs et des usagers», GURI n. 189 du 14 août 1998.
6: - Article 3: «Le associazioni dei consumatori e degli utenti inserite nell'elenco di cui all'articolo 5 sono legittimate ad agire a tutela degli interessi collettivi, richiedendo al giudice competente:
a) di inibire gli atti e i comportamenti lesivi degli interessi dei consumatori e degli utenti; ...»
7: - Espagnol: «... utilicen o recomienden que se utilicen ...»;
Danois: «... anvender eller opfordrer til anvendelse ...»;
Allemand: «... verwenden oder deren Verwendung empfehlen ...»;
Anglais: «... use or recommend the use ...»;
Français: «... utilisent ou recommandent l'utilisation ...»
Grec: «... ðïõ ÷ñçóéìïðïéïýí Þ óõíéóôïýí ôç ÷ñçóéìïðïßçóç ôùí
áõôþí ...»
Italien: «... utilizzano o raccomandano l'inserzione ...»
Néerlandais: «... gebruik maken dan wel het gebruik aanbevelen ...»;
Portugais: «... utilizem ou recomendem a utilização ...»;
Finnois: «... käyttävät ... samanlaisia ehtoja tai suosittavat niiden käyttöä.»
Suédois: «... använder eller rekommenderar användandet ...»
8: - Arrêt du 7 décembre 2000, Commission/Italie (C-423/99, Rec. p. I-11167, point 10), et la jurisprudence qui y est citée.
9: - Arrêt Oceanes e.a. (Rec. p. I- 4941, point 27). Il fallait déterminer dans cette procédure si une clause abusive d'élection de for pouvait être examinée d'office.
10: - Jugements du Tribunale di Torino du 4 octobre 1996, Giurisprudenza italiana 1996, p. 788, en particulier p. 795; jugements du Tribunale di Torino du 7 juin 1999 et du 16 avril 1999, Foro Italiano 2000, p. 297 et suiv. Jugements du Tribunale di Roma du 8 mai 1998 et du 18 juin 1998, Foro Italiano 1998, I, colonne 3356; arrêt du Tribunale di Roma du 21 janvier 2000, Il Corriere Giuridico 2000, p. 496.
11: - P. Carbone, «Clausole abusive», Danno e responsabilità 8-9/1999, p. 920 et suiv.; A. Maniaci, «Tutela inibitoria e clausole abusive», I contratti 1999, p. 16 et suiv., en particulier p. 21; E. Minervini, «Tutela del consumatore e clausole vessatorie», Naples 1999, p. 211; G. Stella Richter, «Il tramonto di un mito: la legge eguale per tutti (dal diritto comune dei contratti al contratto dei consumatori)», Giustizia civile 1997, p. 206; F. Danovi, «L'azione inibitoria in materia di clausole vessatorie», Rivista di diritto processuale 1996, p. 1056.
S'agissant de la thèse a contrario, d'après laquelle cette disposition n'ouvre de voie de recours qu'à l'encontre de l'utilisation effective: voir arrêt du Tribunale di Roma du 14 octobre 1998, I Contratti 1998, p. 580; jugement du Tribunale di Palermo du 23 février 1997, Vita notarile 1997, p. 704; A. Bellelli, «La tutela inibitoria, Commentario al Capo XIV bis del Codice Civile: dei contratti del consumatore», Le Nuove Leggi civili Commentate 1997, p. 1264; G. Calvi, Commento sub art. 1469-sexies, in: Cesaro (Ed.), «Clausole vessatorie e contratto del consumatore», Padua, p. 675.
12: - K. Larenz, Methodenlehre der Rechtswissenschaft , 6è éd. (Berlin 1991), p. 268.
13: - «...gli atti e comportamenti lesivi degli interessi dei consumatori e degli utenti...».
14: - Jugements du Tribunale di Torino du 7 juin 1999 et du 16 avril 1999, Foro Italiano, p. 297. Jugement du Tribunale di Torino du 3 octobre 2000, Corriere Giuridico 2001, p. 389 et suiv.
15: - Arrêt du 23 mai 1985, Commission/Allemagne (29/84, Rec. p. 1661, point 23); arrêt du 9 avril 1987, Commission/Italie (363/85, Rec. p. 1733, point 7); arrêt du 19 septembre 1996, Commission/Grèce (C- 236/95, Rec. p. I- 4459, point 13).
16: - Arrêt du 28 février 1931, Commission/Allemagne (C- 131/88, Rec. p. I- 825, point 6); arrêt du 30 mai 1991, Commission/Allemagne (C- 59/89, Rec. p. I- 2607, point 18).
17: - Conclusions du 3 mai 2001 dans l'affaire C- 145/99, Commission/Italie (non encore publiées au Recueil, points 46 à 47).
18: - COM (2000) 248 fin., p. 7.
19: - Voir la présentation figurant aux pages 23 à 26 du rapport.
20: - Voir p. 9 du rapport.
21: - P. 8 du rapport. Voir arrêt du 10 mai 2001, Commission/Pays-Bas (C-144/99, non encore publié au Recueil).
22: - Conclusions de l'avocat général Léger du 20 juin 1996 dans l'affaire Commission/Grèce (C-236/95, Rec. p. I- 4467, point 26); conclusions de l'avocat général Tizzano dans l'affaire Commission/Pays-Bas, C-144/99, non encore publiées au Recueil, point 36.
23: - Arrêt du 10 mai 2001, Commission/Pays-Bas (C-144/99, non encore publié au Recueil, point 21).
24: - Conclusions de l'avocat général Tizzano, précitées à la note 22, point 35.
25: - Arrêt du 10 avril 1984, Colson et Kamman (14/83, Rec. p. 1891, point 26); arrêt du 13 novembre 1990, Marleasing (C-106/89, Rec. p. I- 4135, point 8).
26: - Arrêt du 15 mars 1190, Commission/Pays-Bas (C- 300 39/87, Rec. p. I- 851, point 25); arrêt du 30 mai 1992, Commission/Allemagne (C- 59/89, Rec. p. I- 2607, point 28); arrêt du 22 avril 1999 dans l'affaire Commission/Royaume-Uni (C- 300 40/96, Rec. p. I- 2023, point 27).
27: - Arrêt du Tribunale di Roma du 21 janvier 2000, Corriere Giuridico, p. 496.