61999C0070

Conclusions de l'avocat général Alber présentées le 6 mars 2001. - Commission des Communautés européennes contre République portugaise. - Manquement d'Etat - Transports aériens communautaires - Taux de taxes aéroportuaires différents pour les vols nationaux et pour les vols intracommunautaires - Libre prestation des services - Règlement (CEE) nº 2408/92. - Affaire C-70/99.

Recueil de jurisprudence 2001 page I-04845


Conclusions de l'avocat général


I - Introduction

1. La présente procédure en manquement a pour objet des dispositions portugaises qui imposent pour les vols intracommunautaires une redevance de service aux passagers et une redevance de sécurité plus élevées que pour les vols nationaux

II - Cadre juridique

A - Les dispositions de droit communautaire

2. La libre circulation des services en matière de transports est régie, conformément à l'article 61, paragraphe 1, du traité CE (devenu, après modification, article 51, paragraphe 1, CE), par les dispositions du titre relatif aux transports. D'après l'article 84, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 80, paragraphe 2, CE), le Conseil peut décider si, dans quelle mesure et par quelle procédure des dispositions appropriées peuvent être prises pour la navigation maritime et aérienne.

3. C'est sur ces bases que le Conseil a adopté le règlement (CEE) n° 2408/92 du Conseil, du 23 juillet 1992, concernant l'accès des transporteurs aériens communautaires aux liaisons aériennes intracommunautaires . L'article 3, paragraphe 1, de ce règlement dispose:

«Sous réserve du présent règlement, les transporteurs aériens communautaires sont autorisés par le ou les États membres concernés à exercer des droits de trafic sur des liaisons intracommunautaires.»

B - Les dispositions portugaises

1) Les dispositions relatives à la redevance de service aux passagers

a) Le décret-loi n° 102/90 du 21 mars 1990

4. Le décret-loi n° 102/90 forme la base juridique de la perception de diverses redevances dans les aéroports de la société d'exploitation étatique Empresa Pública Aeropuertos e Navegação Aérea. Aux termes de son article 18, le ministère compétent fixe le montant des redevances par voie d'arrêté. Conformément à l'article 30 du décret-loi, les divers types de redevances peuvent être déterminés par décret réglementaire.

b) Le décret réglementaire n° 38/91 du 29 juillet 1991 (modifié par le décret réglementaire n° 24/95 du 12 septembre 1995)

5. L'article 10, paragraphe 1, du décret réglementaire n° 38/91 institue une redevance de service aux passagers pour tout passager enregistré. Une distinction est faite à cet égard entre les vols internationaux et les vols intérieurs.

c) Les dispositions d'application

6. Le montant concret de la redevance de service aux passagers a été fixé par l'arrêté (portaria) n° 555/95, du 8 juin 1995, pour les aéroports du continent, d'une part, et ceux des Açores, d'autre part:

Vols intérieurs 580,00 PTE (Lisbonne, Porto, Faro)

510,00 PTE (Açores)

Vols internationaux 1 550,00 PTE (Lisbonne, Porto, Faro)

1 385,00 PTE (Açores)

Par arrêté n° 310/97, du 12 mai 1997, ces redevances ont été portées aux taux suivants:

Vols intérieurs 591,00 PTE (Lisbonne, Porto, Faro)

580,00 PTE (Açores)

Vols internationaux 1 619,00 PTE (Lisbonne, Porto, Faro)

1 601,00 PTE (Açores)

2) Les dispositions relatives à la redevance de sécurité

a) Décret-loi n° 102/91 du 8 mars 1991

7. L'article 2, paragraphe 1, du décret-loi n° 102/91 prévoit la perception d'une redevance de sécurité pour tout passager enregistré. Selon son paragraphe 2, le montant de la redevance dépend de la nature du vol.

b) Les dispositions d'application

8. Par arrêté n° 1172/92, du 22 décembre 1992, les ministères compétents ont fixé le montant de la redevance à 200 PTE pour les vols intérieurs et à 400 PTE pour les vols internationaux. L'arrêté n° 240/98, du 16 avril 1998, a introduit trois tarifs:

Vols régionaux 250 PTE

Vols intracommunautaires 550 PTE

Vols internationaux 750 PTE

Sont considérées comme vols régionaux les liaisons aériennes entre les aéroports portugais du continent et ceux des régions autonomes des Açores et de Madère ou entre les aéroports de ces régions ainsi que les liaisons entre ces derniers et d'autres aéroports, lorsqu'elles sont classées comme vols régionaux par circulaire du ministère compétent.

Sont considérées comme vols intracommunautaires les liaisons aériennes assurées entre le territoire portugais et celui de tout autre État membre de l'Union européenne ainsi que les liaisons entre aéroports situés sur le territoire national, lorsqu'elles ne sont pas classées dans les vols régionaux.

Les liaisons assurées entre le territoire national et celui d'un État non-membre de l'Union européenne sont considérées comme vols internationaux.

III - La procédure

9. Par lettre du 11 décembre 1996, la Commission a observé que la redevance de service aux passagers et la redevance de sécurité perçues à l'occasion de vols au départ du Portugal et à destination d'États membres de la Communauté étaient plus élevées que celles perçues pour des vols nationaux. Elle a jugé cela incompatible avec le principe de libre prestation des services consacré par l'article 59 du traité CE (devenu, après modification, article 49 CE) et par l'article 62 du traité CE (abrogé par le traité d'Amsterdam), avec le règlement n° 2408/92 ainsi qu'avec la liberté de circulation reconnue à tout citoyen de l'Union en vertu de l'article 8 A du traité CE (devenu, après modification, article 18 CE).

10. Dans sa réponse du 17 mars 1997, la République portugaise a justifié la différence de taxation par le coût plus élevé des opérations requises lors des vols internationaux ainsi que par les particularités résultant de la situation insulaire des régions autonomes des Açores et de Madère.

11. Le 30 juin 1998, la Commission a pris un avis motivé. Elle y observe une nouvelle fois que les dispositions portugaises sont incompatibles avec l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 2408/92, qui a introduit les principes de la libre prestation des services dans le domaine des transports aériens.

12. Les autorités portugaises n'ont pas répondu à l'avis motivé. Les dispositions contestées n'ont au demeurant pas été adaptées, comme la Commission le demandait.

IV - Les conclusions des parties

13. Le 26 février 1999, la Commission a introduit le présent recours, dans lequel elle conclut à ce qu'il plaise à la Cour

1) constater qu'en maintenant en vigueur

la disposition de l'article 10 du décret réglementaire n° 38/91, du 29 juillet 1991, prévoyant que les vols au départ du Portugal et à destination d'autres États membres sont soumis à des redevances plus élevées que celles appliquées à tous les vols nationaux

ainsi que la disposition du décret-loi n° 102/91, du 8 mars 1991, tel qu'exécuté par les arrêtés d'application ultérieurs, prévoyant que les vols au départ du Portugal et à destination des États membres sont soumis à des redevances plus élevées que celles appliquées à certains vols nationaux,

la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées de l'article 59 du traité CE et de l'article 3, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 2408/92;

2) condamner la République portugaise aux dépens.

14. Le gouvernement portugais conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

1) rejeter le recours introduit par la Commission, comme non fondé, et

2) condamner la requérante aux dépens.

V - Les arguments des parties

15. La Commission estime que les dispositions portugaises sont contraires à l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 2408/92, car l'article 10 du décret réglementaire portugais n° 38/91 et les dispositions du décret-loi n° 102/91, pris en combinaison avec les dispositions d'application, prévoient des redevances plus élevées pour les vols intracommunautaires que pour les vols nationaux. L'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 2408/92 doit, selon elle, être interprété en accord avec le principe de libre prestation des services consacré à l'article 59 du traité.

16. En 1992, le champ d'application des dispositions relatives à la libre prestation des services aurait été étendu au transport aérien par ce qu'il est convenu d'appeler le «troisième paquet» de dispositions relatives au transport aérien, dont fait partie le règlement n° 2408/92. Le principe de libre prestation des services ainsi mis en oeuvre irait plus loin qu'une simple interdiction de discrimination en raison de la nationalité. Il interdirait en fait toute restriction qui n'est pas justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général et qui ne répond pas au principe de proportionnalité.

17. La Commission fonde son interprétation du droit communautaire sur la jurisprudence de la Cour relative à l'application de la libre prestation des services aux transports maritimes. C'est en particulier dans son arrêt C-381/93 que la Cour de justice aurait souligné que, dans l'optique d'un marché unique, et pour permettre de réaliser les objectifs de celui-ci, la libre prestation des services s'oppose à l'application de toute réglementation nationale ayant pour effet de rendre la prestation de services entre États membres plus difficile que la prestation de services purement interne à un État membre .

18. Selon la Commission, le gouvernement portugais n'a établi aucune raison impérative d'intérêt général, répondant aux exigences de la jurisprudence, pour justifier l'application de taux différents pour les vols intérieurs, d'une part, et pour les vols intracommunautaires, d'autre part. Il justifierait la différence par le plus grand éventail de services fournis dans le cadre des vols internationaux. Cependant, pour ce qui est de la redevance de sécurité, rien n'expliquerait en quoi les vols intérieurs exigent des contrôles plus poussés. D'autre part, le gouvernement portugais n'aurait pas dit comment un écart de 100 % pour la redevance de sécurité et de presque 300 % pour celle de service aux passagers peut être qualifié de proportionné.

19. D'après la Commission, l'allégation de la République portugaise selon laquelle sa réglementation aurait pour but la promotion des régions insulaires des Açores et de Madère ne saurait justifier la façon dont les redevances sont aménagées. Cet objectif pourrait également être atteint par des versements compensatoires effectués, au titre de l'article 4, paragraphe 1, sous f) et h), du règlement n° 2408/92, aux entreprises de transport aérien qui assurent la desserte de ces lignes. La République portugaise ferait déjà usage de cette possibilité. Les dispositions critiquées iraient au demeurant au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif, puisqu'elles favorisent tous les vols nationaux et non pas seulement les liaisons entre le continent et les îles.

20. Le gouvernement portugais réplique tout d'abord que la Commission s'est attaquée aux redevances d'atterrissage sur les aéroports portugais par le biais de la procédure de l'article 90, paragraphe 3, du traité CE (devenu article 86, paragraphe 3, CE) en adressant une décision à la République portugaise. Il serait dès lors incompréhensible que, dans la présente affaire, en tous points semblable à la précédente, la Commission ait choisi une autre voie en saisissant directement la Cour, alors que les procès ne devraient pourtant être qu'un dernier recours. En outre, la Commission n'aurait pas indiqué quelles mesures elle a prises contre d'autres États membres appliquant une politique de redevances aéroportuaires comparable.

21. Selon le gouvernement portugais, l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 2408/92 ne traite que du principe de la liberté d'accès au marché intracommunautaire des transports aériens. Or, le régime portugais litigieux ne restreindrait nullement cet accès. Il énoncerait au contraire des conditions de l'exercice de cette liberté. Le règlement n° 2408/92 ne s'appliquerait pas à des réglementations de ce genre.

22. La Communauté ne pourrait prendre des dispositions sur l'aménagement des conditions d'exercice que par une directive d'harmonisation. La proposition de directive sur les redevances aéroportuaires, du 23 avril 1997 , n'aurait pour l'heure pas dépassé le stade du projet. Le fait de s'en prendre ponctuellement aux seules dispositions portugaises entraînerait des distorsions de concurrence.

23. Tant les redevances de sécurité que celles de service aux passagers seraient fixées pour chaque passager sur la seule base de sa destination. Aucune distinction ne serait faite sur la base de la nationalité ou de l'identité du transporteur aérien. Il n'y aurait donc pas de discrimination en raison de la nationalité des opérateurs.

24. Même si l'aménagement des redevances restreignait la liberté de prestation des services, cette restriction serait justifiée, car le transport international exigerait des installations spécifiques pour le passage de la frontière et le transit.

25. Les taux moins élevés seraient encore justifiés par les distances en règle générale plus courtes et le prix d'autant moins élevé des vols correspondants.

VI - Prise de position

1) Le choix de la procédure en manquement

26. Tout d'abord, il faut rejeter les arguments du gouvernement portugais selon lequel la Commission aurait dû prendre une décision fondée sur l'article 90, paragraphe 3, du traité, au lieu d'introduire une procédure en manquement. Il incombe à la Commission d'apprécier si et quand elle doit initier une procédure en manquement contre un État membre . Les considérations qui déterminent ce choix ne sont pas soumises au contrôle judiciaire . Dès lors, la Commission était libre d'introduire une procédure en manquement contre la législation portugaise concernant les redevances de sécurité et de service aux passagers, tout en prenant, pour les redevances d'atterrissage, une décision au titre de l'article 90, paragraphe 3, du traité. Elle n'est pas tenue de développer de façon détaillée les considérations qui l'ont menée à ce choix. La Cour vérifie simplement si la procédure adoptée peut, dans son principe, être employée contre l'infraction alléguée. À cet égard, force est de constater que la procédure en manquement choisie par la Commission constitue en tout cas un moyen licite de contrôler la compatibilité avec le droit communautaire de la réglementation portugaise en matière de redevance de sécurité et de redevance de service aux passagers.

2) L'application de la libre prestation de services au transport aérien

27. Il se pose maintenant la question du bien-fondé du recours. La Commission fait valoir la violation de l'article 3 du règlement n° 2408/92 pris en combinaison avec le principe de libre prestation des services. Conformément à l'article 61, paragraphe 1, du traité, la libre prestation des services dans le domaine des transports est régie par les dispositions du titre relatif aux transports. Du fait de cette restriction, l'objectif fixé par l'article 59 du traité, qui est d'éliminer au cours de la période de transition les restrictions à la libre prestation des services doit être atteint dans le cadre de la politique commune des transports définie à l'article 74 du traité CE (devenu article 70 CE) et à l'article 75 du traité CE (devenu, après modification, article 71 CE) . D'après la jurisprudence, les articles 59 et 60 du traité CE (devenu article 50 CE) ne sont pas devenus directement applicables dans le secteur des transports du seul fait de l'expiration de la période transitoire.

28. Pour les transports aériens, il faut également tenir compte de l'article 84, paragraphe 2, du traité. D'après cette disposition, le Conseil décide si, dans quelle mesure et par quelle procédure les dispositions appropriées peuvent être prises pour la navigation aérienne. Les dispositions en matière de politique des transports ne s'appliquent donc à la navigation aérienne que dans le cadre fixé par le Conseil.

29. C'est sur la base de ces dispositions que le Conseil a adopté le 23 juillet 1992 le règlement n° 2408/92 concernant l'accès des transporteurs aériens communautaires aux liaisons aériennes intracommunautaires . Son article 3, précité au point 3 ci-dessus, accorde aux entreprises de transport aérien de la Communauté l'autorisation d'exercer des droits de trafic sur des liaisons intracommunautaires.

30. La Commission estime que la libre prestation des services est ainsi pleinement réalisée dans le secteur des transports aériens. Elle s'appuie à cet égard avant tout sur l'arrêt prononcé par le Tribunal de première instance dans l'affaire Air Inter/Commission . Le gouvernement portugais oppose à cela que le règlement n° 2408/92 se bornerait à réglementer l'accès aux droits de trafic, mais non leur exercice. Le régime des redevances de sécurité et de service aux passagers se rapporterait à l'exercice des droits de trafic et ne serait dès lors pas affecté par le règlement n° 2408/92. La question est donc de savoir dans quelle mesure le règlement n° 2408/92 subordonne le transport aérien aux règles de la libre prestation des services.

31. La Cour de justice a pris position à ce sujet pour la première fois dans son arrêt du 18 janvier 2001. Se référant aux premier, deuxième et dix-neuvième considérants du règlement n° 2408/92, elle a constaté que cet instrument juridique a pour objet avant tout de définir dans le secteur du transport aérien les conditions d'application du principe de la libre prestation des services consacré notamment aux articles 59 et 61 du traité, afin que l'ensemble des questions relatives à l'accès au marché soient couvertes par un seul et même texte . Elle a suivi en cela les conclusions déposées par l'avocat général Cosmas dans cette affaire .

32. Nous nous rallions à ce point de vue. Certes, le libellé du règlement n° 2408/92 ne contient, à tout le moins dans son dispositif, aucune référence expresse aux articles 59 et suivants du traité. Dans cette mesure, la réglementation relative aux transports aériens est moins claire que celle des transports maritimes, que la Commission mentionne à titre de comparaison. En effet, l'article 1er, paragraphe 1, du règlement n° 4055/86 du Conseil, du 22 décembre 1986, portant application du principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entre États membres et entre États membres et pays tiers , dispose:

«La libre prestation des services de transport maritime entre États membres et entre États membres et pays tiers est applicable aux ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire des services.»

33. Nous y voyons une déclaration sans équivoque d'applicabilité des dispositions relatives à la libre prestation des services aux transports maritimes intracommunautaires. D'ailleurs, l'article 8 du règlement n° 4055/86 transpose les dispositions de l'article 60, troisième alinéa, du traité au domaine des transports maritimes. Enfin, son article 1er, paragraphe 3, prévoit que les articles 55 à 58 du traité CE (devenus, après modifications, articles 45 CE à 48 CE) et l'article 62 du traité (abrogé par le traité d'Amsterdam) sont applicables aux transports maritimes. Se fondant sur l'ensemble de ces dispositions du règlement n° 4055/86, la Cour de justice a conclu que ce règlement a rendu la libre prestation des services applicable au domaine des transports maritimes .

34. Le règlement n° 2408/92, en revanche, ne mentionne la notion de prestation de services que dans son deuxième considérant. Celui-ci reproduit le texte de l'article 7 A du traité CE (devenu, après modification, article 14 CE), qui définit la notion de marché intérieur. Ce deuxième considérant doit cependant être lu en combinaison avec le premier, selon lequel il importe «de mettre en place une politique des transports aériens en vue d'établir [...] le marché intérieur au cours de la période expirant le 31 décembre 1992». Partant, le règlement n° 2408/92 se propose de contribuer à la création du marché intérieur dans le domaine des transports aériens. Le marché intérieur inclut également la garantie de la libre prestation des services, comme l'indique l'article 7 A du traité. Les deux premiers considérants du règlement n° 2408/92 confirment donc qu'en adoptant ce règlement le législateur entendait instaurer la libre prestation des services dans le domaine des transports aériens.

35. Il faut également mentionner le dix-neuvième considérant du règlement, selon lequel «il est souhaitable que toutes les questions relatives à l'accès au marché soient couvertes par un seul et même règlement».

36. Ce considérant est rattaché à l'article 3 du règlement, précité au point 3, qui se lit comme suit: «Sous réserve du présent règlement, les transporteurs aériens communautaires sont autorisés par le ou les États membres concernés à exercer des droits de trafic sur des liaisons intracommunautaires».

37. Si l'on compare le libellé de cette disposition à l'article 1er, paragraphe 1, du règlement n° 4055/86, cité au point 32, force est de constater que la réglementation sur les transports aériens est moins claire que celle du transport maritime. Le dix-neuvième considérant et l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 2408/92 permettent malgré tout de conclure que le législateur a introduit la libre prestation des services dans les transports aériens au moins dans la mesure où les opérateurs ont désormais accès au marché des prestations de transport aérien.

38. Cette interprétation peut encore s'appuyer sur le troisième considérant du règlement n° 2408/92. La décision 87/602/CEE du Conseil, du 14 décembre 1987 , ainsi que le règlement (CEE) n° 2343/90 du Conseil, du 24 juillet 1990 , y sont qualifiés de «premières étapes en vue de réaliser le marché intérieur en ce qui concerne l'accès des transporteurs aériens aux liaisons des services aériens réguliers intracommunautaires». Partant, le règlement n° 2408/92 constitue une étape de plus sur le chemin de la libéralisation de l'accès au marché, et donc de la création du marché intérieur.

39. Jusque-là, le gouvernement portugais partage notre interprétation du règlement n° 2408/92. Il estime cependant que ce règlement ne concerne que l'accès à la libre prestation des services dans les transports aériens, mais non son exercice, c'est-à-dire les conditions d'application et d'utilisation des droits de trafic. C'est pourquoi le règlement n° 2408/92 n'aurait introduit la libre prestation des services que partiellement et non intégralement dans le domaine des transports aériens. Des dispositions nationales en matière de redevances aéroportuaires qui s'appliquent sans discrimination à la fois aux entreprises nationales et aux entreprises communautaires ne restreindraient nullement l'accès aux droits de trafic et leur utilisation. Le droit communautaire ne serait donc pas violé.

40. La distinction faite par le gouvernement portugais entre réglementation de l'accès aux droits de trafic et réglementation de l'exercice de ces droits semble cependant difficilement compatible avec la teneur du règlement. Certes, le titre du règlement, ses troisième, dix-huitième et dix-neuvième considérants ainsi que l'article 1er, paragraphe 1, l'article 3, paragraphe 4, et l'article 4, paragraphe 1, sous d), parlent de «l'accès» aux liaisons. Cependant, l'exercice des droits de trafic est réglementé à l'article 3, paragraphe 1, à l'article 4, paragraphe 1, sous a), à l'article 8, paragraphe 2, et à l'article 9, paragraphe 1. Ce règlement concerne dès lors à la fois le droit d'accès et son exercice.

41. Cependant, puisque le règlement énonce des dispositions relatives tant à l'accès aux droits de trafic qu'à leur exercice, force est de considérer qu'il contient une réglementation exhaustive de la libre prestation des services dans les transports aériens. Cette interprétation répond à l'objectif, déclaré dans les deux premiers considérants, d'établir le marché intérieur dans le domaine du transport aérien. Partant, le règlement n° 2408/92 a bien institué la libre prestation des services dans l'ensemble du transport aérien.

3) Sur l'existence d'une restriction à la libre prestation des services

42. Comme nous savons désormais que le principe de libre prestation des services s'applique au transport aérien, il nous reste à déterminer dans quelle mesure la législation portugaise critiquée par la Commission conduit à une restriction de la libre prestation des services.

43. Ainsi que la Cour l'a souligné dans l'arrêt Mediawet , l'article 59 du traité s'oppose à l'application de toute réglementation nationale ayant pour effet de rendre plus difficile, sans justification objective, pour un prestataire de services de faire usage de cette liberté. La Cour de justice a ainsi mis en évidence que la portée de la garantie de l'article 59 du traité va au-delà d'une simple interdiction de discrimination en raison de la nationalité. L'argument du gouvernement portugais selon lequel les dispositions attaquées ne feraient pas intervenir la nationalité du prestataire, mais la destination du vol, doit donc être rejeté comme inopérant.

44. Selon la jurisprudence, il y a restriction à la libre prestation des services lorsque la mesure litigieuse rend les prestations transfrontalières plus onéreuses que les prestations nationales comparables . En l'occurrence, il s'agit de prestations de transport aérien et de redevances à payer lors de l'enregistrement des passagers. Les dispositions portugaises contestées prévoient pour les vols intracommunautaires des redevances de sécurité et de service aux passagers plus élevées que pour les vols nationaux. Les dispositions attaquées rendent ainsi la prestation transfrontalière - par exemple, le vol de Lisbonne à Madrid - plus onéreuse que la prestation nationale comparable - par exemple, le vol de Lisbonne à Porto - et elles constituent donc une violation de la libre prestation de services.

45. Pour l'heure, nous pouvons retenir que la réglementation nationale contestée, relative aux redevances de sécurité et de service aux passagers, constitue une restriction à la libre prestation des services.

4) La justification de la restriction à la libre prestation des services

46. Il nous reste à examiner les arguments invoqués par le gouvernement portugais pour justifier la différence faite entre vols intracommunautaires et vols nationaux.

a) L'imputation des coûts en fonction de leur cause

47. Le gouvernement portugais fait valoir comme première justification que les redevances litigieuses seraient la contrepartie de l'utilisation d'installations et de personnel. Leur montant aurait été fixé en proportion des dépenses nécessaires. Pour la redevance de service aux passagers, il observe que le trafic intérieur est moins exigeant en termes d'espace que le trafic international, puisqu'il ne comporte ni opérations à la frontière (douane et contrôle des passeports, espace nécessaire pour le service d'ordre et le personnel douanier, locaux séparés pour le service des passagers) ni accueil de passagers en transit. En ce qui concerne la redevance de sécurité, il affirme qu'elle est la contrepartie des prestations du personnel de sécurité et de l'utilisation de certains équipements connexes (appareils à rayons X, détecteurs de métaux, etc.).

48. Dans son arrêt «Mediawet», la Cour a énuméré une série de raisons d'intérêt général susceptibles de justifier une restriction à la libre prestation des services . Dans sa jurisprudence ultérieure , elle a résumé les conditions requises à cette fin dans les termes suivants:

- la restriction doit s'appliquer de manière non discriminatoire,

- elle doit se justifier par des raisons impérieuses d'intérêt général,

- elle doit être propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elle poursuit et

- elle ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

49. Rien ne permet de dire que les dispositions portugaises entraîneraient une discrimination des prestataires de services en raison de leur nationalité. La première des conditions précitées est donc remplie.

50. Il faut cependant se demander dans quelle mesure la discrimination constatée est justifiée par des raisons d'intérêt général. Le gouvernement allégué observe tout d'abord que les redevances litigieuses sont aménagées de telle sorte que les coûts soient répartis équitablement, en tenant compte des facteurs qui en sont la cause. Un échelonnement des coûts en fonction de leur origine n'appelle guère d'objection de principe, puisque la répartition se fait suivant un critère objectif. Il conviendra cependant de tenir compte de la jurisprudence précitée, selon laquelle la libre prestation des services exige que le régime des redevances ne grève pas les prestations transfrontalières plus lourdement que les prestations nationales comparables .

51. Il faut souligner que le gouvernement portugais n'a pas établi que les vols intracommunautaires exigeraient effectivement la fourniture de prestations plus onéreuses que les vols nationaux. Il n'a pas non plus fourni de chiffres concrets indiquant les coûts pris en compte lors de la fixation des redevances pour les différents types de vols et la mesure dans laquelle ces redevances sont de nature à couvrir les dépenses. Cela suffit en soi à justifier de sérieux doutes quant au bien-fondé de son argumentation.

52. Les considérations développées par le gouvernement portugais pour justifier des redevances de service aux passagers plus élevées ne sont pas convaincantes. Compte tenu des règles applicables dans la Communauté en matière de libre circulation des marchandises et des personnes ainsi que de la réglementation relative au contrôle des personnes contenue dans l'accord de Schengen, auquel la République portugaise a adhéré , les opérations d'enregistrement des passagers pour les vols intracommunautaires ne sont pas plus coûteuses que pour les vols nationaux. Le gouvernement portugais n'a pas dit en quoi une redevance de service aux passagers trois fois plus élevée pour les vols intracommunautaires serait nécessaire à la couverture des dépenses. Si le montant de cette redevance était effectivement proportionné au coût des prestations nécessaires, les taux applicables aux vols intracommunautaires devraient en tout cas être inférieurs à ceux des vols internationaux, qui requièrent tout l'éventail des contrôles douaniers et des passeports. Or, contrairement à la situation qui se présente en matière de redevance de sécurité, il n'en est rien. Pour les services aux passagers, les vols internationaux et intracommunautaires font l'objet du même traitement.

53. Nous ne voyons pas non plus pourquoi les contrôles de sécurité devraient être plus ou moins lourds selon la destination du vol. Les risques de sécurité et les mesures à prendre pour les éviter sont aussi importants pour un vol intérieur que pour un vol intracommunautaire. En conséquence, les contrôles des bagages et des personnes sont en principe les mêmes. Cette justification doit dès lors également être rejetée.

b) L'argument du développement régional

54. Le gouvernement portugais fait encore valoir que les redevances moins élevées pour les vols régionaux auraient pour but d'assurer la promotion des régions insulaires des Açores et de Madère. À ce propos, il convient tout d'abord d'observer que la région autonome des Açores a, conformément à l'article 1er, paragraphe 4, du règlement n° 2408/92, été exemptée pendant une certaine période de l'application de ce règlement. Cette exemption s'est appliquée jusqu'au 30 juin 1998 inclus. Lorsqu'il est apparu que les modifications de la législation portugaise requises à partir du 1er juillet 1998 n'avaient pas été effectuées, la Commission a pris l'avis motivé du 30 juin 1998. Au neuvième considérant du règlement n° 2408/92, l'exemption est justifiée par le développement inadéquat du système de trafic aérien dans les Açores. Aussi cette réglementation contient-elle déjà une mesure de promotion régionale.

55. Depuis le 1er juillet 1998, le règlement n° 2408/92 est applicable à l'ensemble du territoire portugais, sans restriction. Il convient dès lors d'examiner dans quelle mesure les considérations développées par la République portugaise à propos de la promotion du développement régional peuvent, outre cette exception légale, justifier de surcroît des redevances à taux variable.

56. Le règlement n° 2408/92 contient également, dans son article 4, paragraphe 1, une disposition relative à la possibilité de promouvoir le développement de certaines régions. Aux termes du point a), un État membre peut «[...] imposer des obligations de service public sur des services aériens réguliers vers un aéroport desservant une zone périphérique ou de développement située sur son territoire ou sur une liaison à faible trafic à destination d'un aéroport régional situé sur son territoire [...]». Aux termes de l'article 4, paragraphe 1, sous f) et h), de telles obligations peuvent donner lieu au versement d'une compensation. La République portugaise a fait usage de cette disposition tant pour les liaisons aériennes vers les Açores que pour celles avec Madère .

57. Le règlement n° 2408/92 ne prévoit aucune autre forme de promotion du développement régional. Comme le texte de cet instrument prévoit lui-même des mesures de développement régional, il est exclu que la promotion des régions puisse de surcroît servir de justification à des restrictions à la libre prestation des services. Les possibilités évoquées ci-dessus de promouvoir le développement régional de façon licite au regard du droit communautaire doivent être considérées comme exhaustives et excluant toute autre exception au principe de libre prestation des services.

58. L'argument du gouvernement portugais selon lequel l'aménagement des redevances serait justifié par des raisons de promotion régionale doit également être rejeté sur la base de la considération suivante. L'avantage dont bénéficient les vols nationaux au regard des redevances de sécurité et de service aux passagers s'applique non seulement aux vols à partir de ou vers les Açores et Madère, mais à tous les vols nationaux. Or, nous ne voyons pas en quoi un avantage qui bénéficie aux liaisons entre les trois aéroports de Porto, Lisbonne et Faro pourrait servir au développement régional des Açores et de Madère.

59. Cette justification de l'application de taux variables doit aussi être rejetée.

c) Le caractère proportionnel par rapport au coût total

60. Enfin, le gouvernement portugais fait valoir que les redevances moins élevées pour les vols nationaux seraient dues aux trajets plus courts et aux prix moins élevés de ces liaisons.

61. Cet argument doit également être écarté. Certes, la part des redevances dans le prix total du billet d'avion est plus élevée lorsque le vol est moins cher. Dans cette mesure, des considérations économiques pourraient conduire à l'adoption d'un régime de redevances échelonnées en fonction du prix du vol. Cependant, d'après la jurisprudence, des objectifs de nature économique ne peuvent constituer des raisons d'ordre public au sens de l'article 56 du traité, qui justifieraient une différence de traitement entre prestations nationales et prestations transfrontalières .

62. Il faut encore souligner que les prestations pour lesquelles ces redevances sont payées sont effectuées quels que soient la longueur du trajet et son prix. Pour cette raison aussi, la longueur du trajet et son prix ne constituent pas une raison impérative d'intérêt général justifiant une différenciation dans le montant des redevances de sécurité et de service aux passagers.

63. Au demeurant, le lien allégué par le gouvernement portugais entre la distance couverte et le prix du billet peut être mis en doute. La distance couverte par les vols nationaux au Portugal n'est d'ailleurs pas nécessairement plus courte que pour les vols intracommunautaires. Un vol de Lisbonne à Madrid est sans doute moins long qu'un vol de Lisbonne aux Açores ou à Madère. Pourtant, les redevances de service aux passagers et de sécurité seront plus élevées pour le vol plus court que celles perçues sur le vol plus long. C'est là un indice que les redevances ne sont nullement fonction de la longueur du trajet. D'autre part, il faut souligner que, même si les vols intérieurs portugais étaient en règle générale plus courts que les vols vers d'autres États membres, cela ne signifierait pas nécessairement que les vols intérieurs soient moins chers que les vols intracommunautaires. Le prix est en effet déterminé non seulement par la distance, mais également par la date du vol et par la demande.

64. Enfin, l'objectif de ne pas renchérir les prix dans une mesure disproportionnée pourrait également être atteint sans restreindre la libre prestation des services. Ainsi serait-il possible d'appliquer aux transports intracommunautaires les mêmes taux de redevances que pour les vols nationaux. De la sorte, les prestations de services transfrontalières ne seraient pas grevées plus lourdement que les prestations nationales. En outre, les redevances pour les vols nationaux resteraient au même niveau.

65. La différence entre les charges pesant sur les vols nationaux, d'une part, et les vols intracommunautaires, d'autre part, ne peut dès lors pas non plus être justifiée par le caractère proportionnel de la part prise par les redevances dans le total des coûts.

66. En résumé, force est de constater que les motifs invoqués par le gouvernement portugais ne sont pas de nature à justifier la restriction résultant pour la libre prestation des services de l'aménagement actuel des redevances de sécurité et de service aux passagers. La question de savoir si la restriction est conforme au principe de proportionnalité perd dès lors tout objet. Le régime applicable en matière de redevances de sécurité et de service aux passagers est contraire à la libre prestation de services au sens des dispositions combinées de l'article 59 du traité et de l'article 3 du règlement n° 2408/92.

VII - Les dépens

67. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Comme la République portugaise a succombé en ses conclusions, il convient de mettre les dépens à sa charge, puisque la Commission a conclu en ce sens.

VIII - Conclusion

68. Par ces motifs, nous vous proposons dès lors de statuer que:

«1) La République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées de l'article 59 du traité CE (devenu, après modification, article 49 CE) et de l'article 3, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 2408/92 du Conseil, du 23 juillet 1992, concernant l'accès des transporteurs aériens communautaires aux liaisons aériennes intracommunautaires,

- en maintenant en vigueur la disposition de l'article 10 du décret réglementaire n° 38/91, du 29 juillet 1991, prévoyant que les vols au départ du Portugal et à destination d'autres États membres sont soumis à des redevances plus élevées que celles appliquées à tous les vols nationaux, ainsi que

- la disposition du décret-loi n° 102/91, du 8 mars 1991, tel qu'exécuté par les arrêtés d'application ultérieurs, prévoyant que les vols au départ du Portugal et à destination des États membres sont soumis à des redevances plus élevées que celles appliquées à certains vols nationaux.

2) La République portugaise est condamnée aux dépens.