61998J0236

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 30 mars 2000. - Jämställdhetsombudsmannen contre Örebro läns landsting. - Demande de décision préjudicielle: Arbetsdomstolen - Suède. - Politique sociale - Travailleurs masculins et travailleurs féminins - Egalité des rémunérations pour un travail de valeur égale - Article 119 du traité CE (les articles 117 à 120 du traité CE ont été remplacés par les articles 136 CE à 143 CE) - Directive 75/117/CEE - Comparaison entre la rémunération d'une sage-femme et celle d'un ingénieur de clinique - Prise en compte d'une indemnité et d'une réduction du temps de travail pour cause d'horaires incommodes. - Affaire C-236/98.

Recueil de jurisprudence 2000 page I-02189


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


1 Politique sociale - Travailleurs masculins et travailleurs féminins - Égalité de rémunération - Indemnité pour horaires décalés versée à des sages-femmes - Prise en compte en vue de la comparaison avec les rémunérations des ingénieurs de clinique - Exclusion - Charge de la preuve en cas de discrimination apparente

(Traité CE, art. 119 (les art. 117 à 120 du traité CE ont été remplacés par les art. 136 CE à 143 CE); directive du Conseil 75/117)

2 Politique sociale - Travailleurs masculins et travailleurs féminins - Égalité de rémunération - Réduction du temps de travail accordée aux sages-femmes pour cause de travail par roulement et contre-valeur d'une telle réduction - Prise en compte en vue de la comparaison avec les rémunérations des ingénieurs de clinique - Exclusion - Réduction pouvant constituer un facteur susceptible de justifier une éventuelle différence de rémunération - Charge de la preuve

(Traité CE, art. 119 (les art. 117 à 120 du traité CE ont été remplacés par les art. 136 CE à 143 CE); directive du Conseil 75/117)

Sommaire


1 Une indemnité pour horaires décalés versée à des sages-femmes, qui varie selon les mois en fonction de la période de la journée durant laquelle les tranches horaires ont été effectuées et qui rend, de ce fait, difficile une comparaison entre, d'une part, l'ensemble du salaire et du supplément d'une sage-femme et, d'autre part, le salaire de base du groupe des ingénieurs de clinique, ne doit pas être prise en considération dans le calcul du salaire servant de base aux fins de la comparaison des rémunérations, au sens de l'article 119 du traité (les articles 117 à 120 du traité ont été remplacés par les articles 136 CE à 143 CE) et de la directive 75/117, accordées aux deux groupes en cause.

Au cas où une différence de rémunération entre les deux groupes comparés est constatée et où les données statistiques disponibles indiquent l'existence d'une proportion bien plus importante de femmes que d'hommes dans le groupe défavorisé, l'article 119 du traité impose à l'employeur de justifier cette différence par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.

(voir points 45, 54, disp. 1)

2 La réduction du temps de travail accordée au travail effectué par les sages-femmes selon un système de roulement de trois équipes par rapport à la durée normale de travail de jour effectué par les ingénieurs de clinique ou la contre-valeur d'une telle réduction ne doivent pas être prises en considération dans le calcul du salaire servant de base au fins de la comparaison des rémunérations, au sens de l'article 119 du traité (les articles 117 à 120 du traité ont été remplacés par les articles 136 CE à 143 CE) et de la directive 75/117, accordées aux deux groupes en cause.

Cependant, une telle réduction peut constituer une raison objective et étrangère à toute discrimination fondée sur le sexe, de nature à justifier une différence de rémunération. Il appartient à l'employeur de démontrer que tel est effectivement le cas.

(voir point 63, disp. 2)

Parties


Dans l'affaire C-236/98,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), par l'Arbetsdomstolen (Suède) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Jämställdhetsombudsmannen

et

rebro läns landsting,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 119 du traité CE (les articles 117 à 120 du traité CE ont été remplacés par les articles 136 CE à 143 CE) et de la directive 75/117/CEE du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins (JO L 45, p. 19),

LA COUR

(sixième chambre),

composée de MM. J. C. Moitinho de Almeida, président de chambre, R. Schintgen (rapporteur), C. Gulmann, J.-P. Puissochet et Mme F. Macken, juges,

avocat général: M. F. G. Jacobs,

greffier: M. H. A. Rühl, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

- pour le Jämställdhetsombudsmannen, par Mme L. Svenaeus, assistée de Lord Lester of Herne Hill, QC, et de Mme L. Bergh, ställföreträdande jämställdhetsombudsman,

- pour l'Örebro läns landsting, par MM. G. Bergström, arbetsrättchef, et A. Barav, barrister,

- pour le gouvernement finlandais, par M. H. Rotkirch, ambassadeur, chef du service des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et Mme T. Pynnä, conseiller juridique au même ministère, en qualité d'agents,

- pour la Commission des Communautés européennes, par Mmes K. Oldfelt, conseiller juridique principal, et M. Wolfcarius, membre du service juridique, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales du Jämställdhetsombudsmannen, représenté par Mme L. Svenaeus, assistée de Lord Lester of Herne Hill, de l'Örebro läns landsting, représenté par MM. G. Bergström et A. Barav, du gouvernement finlandais, représenté par Mme E. Bygglin, conseiller juridique au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, et de la Commission, représentée par Mme K. Oldfelt, à l'audience du 21 octobre 1999,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 16 décembre 1999,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par décision du 2 juillet 1998, parvenue à la Cour le 6 juillet suivant, l'Arbetsdomstolen (tribunal du travail) a posé, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), cinq questions préjudicielles sur l'interprétation de l'article 119 du traité CE (les articles 117 à 120 du traité CE ont été remplacés par les articles 136 CE à 143 CE) et de la directive 75/117/CEE du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins (JO L 45, p. 19).

2 Ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige opposant le Jämställdhetsombudsmannen (médiateur pour l'égalité entre les sexes, ci-après le «JämO») à l'Örebro läns landsting (conseil général du département d'Örebro, ci-après le «landsting») au sujet de la rémunération de deux sages-femmes, qui est inférieure à celle perçue par un ingénieur de clinique, alors que, selon le JämO, elles effectueraient un travail de valeur équivalente.

Le cadre juridique

Les dispositions communautaires

3 En vertu de l'article 1er, premier alinéa, de la directive 75/117, le principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins, qui figure à l'article 119 du traité, implique, pour un même travail ou pour un travail auquel est attribuée une valeur égale, l'élimination, dans l'ensemble des éléments et conditions de rémunération, de toute discrimination fondée sur le sexe.

4 L'article 3 de la même directive précise que les États membres suppriment les discriminations entre les hommes et les femmes qui découlent de dispositions législatives, réglementaires ou administratives et qui sont contraires au principe de l'égalité des rémunérations.

5 Conformément à son article 4, les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les dispositions qui figurent dans des conventions collectives, des barèmes ou accords de salaires ou des contrats individuels de travail et qui sont contraires au principe de l'égalité des rémunérations soient nulles, puissent être déclarées nulles ou puissent être amendées.

6 Conformément à son article 1er, la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO L 39, p. 40), vise la mise en oeuvre, dans les États membres, du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne, notamment, l'accès à l'emploi et les conditions de travail.

Les dispositions nationales

7 En Suède, la jämställdhetslagen (loi sur l'égalité entre les hommes et les femmes, SFS 1991, n_ 433) vise à promouvoir l'égalité de droits entre les les hommes et les femmes en ce qui concerne le travail, le recrutement et les autres conditions de travail, ainsi que les possibilités d'épanouissement professionnel.

8 En vertu de l'article 2 de la jämställdhetslagen, l'employeur et le travailleur coopèrent en vue de réaliser l'égalité dans la vie professionnelle. Ils favorisent en particulier la diminution et l'élimination des différences de salaire et d'autres conditions de travail entre les hommes et les femmes qui exercent un travail qu'il y a lieu de considérer comme identique ou de valeur égale.

9 Aux termes de l'article 18 de la jämställdhetslagen:

«Il y a discrimination sexuelle illégale lorsqu'un employeur applique à un travailleur une rémunération ou d'autres conditions d'engagement moins favorables que celles qu'il applique à un travailleur du sexe opposé, lorsque ces travailleurs fournissent un travail qui doit être considéré comme identique ou de valeur équivalente.

Il n'y a cependant pas de discrimination lorsque l'employeur peut démontrer que les différences dans les conditions d'engagement sont fondées sur des différences dans la compétence professionnelle des travailleurs ou qu'elles n'ont, en toute hypothèse, aucun rapport direct ou indirect avec l'appartenance sexuelle des travailleurs.»

10 Conformément à l'article 46 de la jämställdhetslagen, dans les litiges concernant l'application de l'article 18, le JämO peut introduire un recours au nom d'un travailleur ou d'un demandeur d'emploi s'il y consent et si le JämO estime qu'un jugement présente de l'intérêt pour l'application du droit ou que d'autres motifs le justifient.

11 La convention collective Allmänna Bestämmelser 95 s'applique dans l'affaire au principal.

12 L'article 8 de ladite convention est rédigé ainsi:

«Le temps de travail ordinaire pour les personnes travaillant à temps plein est, sauf si la présente convention n'en dispose autrement, de 40 heures par semaine sans jours fériés en moyenne... Le temps de travail ordinaire prévu pour les jours de semaine comme les dimanches et les jours fériés ou prévu pour les jours de semaine et les jours fériés est, pour les personnes travaillant à temps plein, de 38 heures et 15 minutes par semaine en moyenne... Le temps de travail hebdomadaire moyen dans le cadre d'organisations telles que le travail par roulement est cependant de 34 heures et 20 minutes.»

13 L'article 13 de cette même convention précise:

«Le travailleur jouit des prestations pécuniaires conformément à la convention. Les prestations sont constituées du salaire au sens des articles 14 à 18, des allocations de congés payés, de l'indemnité compensatoire de congés payés et de la rémunération durant une période de congé, ainsi que des indemnités spécifiques suivantes: la rémunération des heures supplémentaires de travail, l'indemnité de déplacement, le supplément pour heure incommode, l'indemnité de garde et de disponibilité, ainsi que le supplément pour horaire reporté.»

14 L'article 14 de la convention prévoit que tout travailleur perçoit un salaire par mois calendaire, déterminé conventionnellement.

15 En vertu de son article 32, les travailleurs dont les obligations professionnelles sont fixées par un tableau horaire ou un document comparable et qui ont exercé leur activité selon un horaire incommode, sans qu'il s'agisse d'heures supplémentaires, ont droit, à ce titre, à un supplément.

Le litige au principal

16 Le JämO a formé un recours au nom de deux sages-femmes devant la juridiction de renvoi, afin d'obtenir le paiement par le landsting, au profit de ces dernières, de dommages-intérêts pour discrimination en matière de rémunération pour la période allant du 1er janvier 1994 au 30 juin 1996 ainsi que la différence entre leurs rémunérations et celle supérieure perçue par un ingénieur de clinique, au motif qu'elles auraient effectué un travail de valeur équivalente.

17 Les sages-femmes en cause au principal, Mmes Ellmén et Wetterberg, ainsi que l'ingénieur de clinique, M. Persson, sont employés par le landsting à l'hôpital régional d'Örebro. Leur rémunération et leurs conditions de travail sont régies par des conventions collectives, en particulier par la convention collective Allmänna Bestämmelser 95.

18 Le salaire mensuel de base de Mmes Ellmén et Wetterberg s'élève respectivement à la somme de 17 400 SEK et de 16 600 SEK, alors que celui de M. Persson s'élève à la somme de 19 650 SEK.

19 L'indemnité pour horaires incommodes est régie par une convention collective et est calculée de la même manière pour l'ensemble des travailleurs concernés. Cette indemnité varie selon le moment de la journée et selon que les heures sont effectuées un samedi ou un jour férié. La rémunération du travail pour horaires incommodes n'est généralement accordée que pour le travail effectué entre 19 h 00 et 6 h 00 en semaine. Les sages-femmes ont régulièrement perçu cette indemnité, contrairement à l'ingénieur de clinique qui n'a pas travaillé selon des horaires ouvrant droit à l'indemnité.

20 Les sages-femmes travaillent selon un système de roulement de trois équipes, de 7 h 00 à 15 h 30, de 14 h 00 à 22 h 00 et de 21 h 30 à 7 h 30. L'horaire est établi pour des périodes de 15 semaines. Le JämO fait valoir que le seul groupe professionnel travaillant par roulement dans le secteur des soins de santé en Suède est celui des sages-femmes dans le service des accouchements.

21 Conformément à la convention collective Allmänna Bestämmelser 95, une semaine de travail à temps plein comporte en moyenne 40 heures, sauf lorsque les dimanches et/ou les jours fériés sont ouvrés, de sorte que la semaine comporte alors en moyenne 38 heures et 15 minutes, et lorsque des accords tels que le système d'équipes ont été convenus, la semaine comportant alors 34 heures et 20 minutes.

22 Devant l'Arbetsdomstolen, le JämO a soutenu que le travail de Mmes Ellmén et Wetterberg devait être considéré comme équivalent à celui de l'ingénieur de clinique, en sorte qu'elles devaient percevoir la même rémunération que ce dernier. En ce qui concerne la comparaison entre les rémunérations des travailleurs concernés, il a considéré que ni l'indemnité pour horaires incommodes ni la contre-valeur de la réduction du temps de travail ne devaient être prises en considération. Le JämO a fait valoir que, au cours de la période pertinente, l'ingénieur de clinique avait travaillé en horaire de jour et non en horaires décalés. Les sages-femmes avaient travaillé le plus souvent selon un système de roulement continu de trois équipes, mais il était également arrivé que le roulement se borne à deux équipes (jour et soir) ou que le travail ait lieu de nuit. Les rémunérations mensuelles fixes en espèces seraient identiques, indépendamment de l'horaire de travail, alors que l'indemnité pour horaires incommodes varierait en fonction de l'horaire de travail.

23 En revanche, le landsting a soutenu que le travail de sages-femmes n'avait pas une valeur équivalente à celui d'ingénieurs de clinique. Même si une valeur équivalente était attribuée à ces deux types de travail, il n'y aurait en toute hypothèse aucune discrimination puisque les conditions d'engagement applicables aux sages-femmes et celles applicables aux ingénieurs de clinique n'auraient aucun rapport direct ou indirect avec l'appartenance sexuelle du travailleur concerné. En tout état de cause, le landsting a fait valoir que l'indemnité pour horaires incommodes et la contre-valeur des réductions du temps de travail devaient être intégrées à la base prise en considération pour la comparaison des rémunérations et que, dans ce cas, les sages-femmes ne subiraient aucune différence de rémunération.

24 Dans ces conditions, le JämO a demandé à l'Arbetsdomstolen de constater, par un jugement interlocutoire, que le landsting avait fixé pour les sages-femmes une rémunération inférieure à celle de l'ingénieur de clinique.

25 Le landsting a contesté les arguments du JämO, notamment en invoquant l'article 119 du traité et la directive 75/117.

Les questions préjudicielles

26 Sans prendre position sur la question de l'équivalence entre le travail de sage-femme et celui d'ingénieur de clinique, mais afin de lui permettre de décider si le landsting a, en l'occurrence, versé aux sages-femmes une rémunération inférieure à celle perçue par l'ingénieur de clinique, l'Arbetsdomstolen a estimé qu'il convenait de saisir la Cour de la question de savoir si l'indemnité pour horaires incommodes et la contre-valeur de la réduction du temps de travail des sages-femmes font partie des rémunérations à comparer. Selon cette juridiction, ni l'article 119 du traité ni la directive 75/117 ne donnent de réponse précise à cette question, pas plus d'ailleurs que la jurisprudence de la Cour, notamment l'arrêt du 17 mai 1990, Barber (C-262/88, Rec. p. I-1889).

27 Eu égard à ces considérations, l'Arbetsdomstolen a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) L'indemnité pour horaires décalés fait-elle partie, dans le cadre de l'article 119 du traité de Rome et de la directive 75/117/CEE du Conseil concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins, de la base pour la comparaison des rémunérations lorsqu'une discrimination salariale est invoquée? Quelle est l'importance du fait que l'indemnité pour horaires décalés varie d'un mois à l'autre selon la planification?

2) Dans le cadre de la réponse à apporter à la première question, le fait qu'il incombe régulièrement aux sages-femmes de travailler à des heures qui donnent droit à l'indemnité pour horaires décalés, alors que tel n'est pas le cas pour l'ingénieur de clinique, revêt-il de l'importance?

3) La circonstance que l'indemnité pour horaires décalés fait partie, selon le droit national, de la rémunération de base dans le cadre de la détermination de la pension, de l'indemnité de maladie, des dommages-intérêts et d'autres indemnités liées à la rémunération présente-t-elle une pertinence aux fins de la question de savoir si l'indemnité pour horaires décalés fait partie de la base pour la comparaison des rémunérations lorsqu'une discrimination salariale est invoquée?

4) Y a-t-il lieu de prendre en considération, dans la base pour la comparaison des rémunérations lorsqu'une discrimination salariale est invoquée, une réduction du temps de travail accordée au travail effectué selon un système de roulement de trois équipes par rapport à la durée normale de travail de jour, au sens de l'article 119 du traité de Rome et de la directive 75/117/CEE du Conseil concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins? En cas de réponse affirmative: le fait que le travail à temps réduit effectué selon le système décrit ci-dessus constitue, selon la convention collective, du travail à temps plein revêt-il de l'importance? Au cas où la réduction du temps de travail se mesure en une valeur déterminée, cette contre-valeur fait-elle partie de la rémunération mensuelle fixe en espèces ou constitue-t-elle une indemnité spécifique qui doit être prise en considération lors de la comparaison des rémunérations?

5) Dans le cadre de la réponse à apporter à la quatrième question, la circonstance que les sages-femmes fournissent un travail par roulements qui donne droit conventionnellement à une réduction du temps de travail, alors que tel n'est pas le cas pour l'ingénieur de clinique, présente-t-elle une pertinence?»

Sur la pertinence des questions posées

28 Le landsting soutient que la Cour ne peut pas répondre aux questions posées sans, au préalable, déterminer si les fonctions en cause au principal sont équivalentes. Comme, selon lui, les fonctions de sage-femme et d'ingénieur de clinique ne sont pas comparables, il ne peut pas y avoir de violation de l'article 119 du traité.

29 Lors de l'audience, le JämO a fait valoir que l'Arbetsdomstolen avait décidé de renvoyer l'affaire à la Cour sans trancher la question de la valeur égale du travail, au motif qu'elle requerrait des investigations complexes et coûteuses.

30 Il y a lieu de rappeler à cet égard que l'article 177 du traité établit le cadre d'une coopération étroite entre les juridictions nationales et la Cour, fondée sur une répartition de fonctions entre elles. Il ressort clairement du deuxième alinéa de cette disposition qu'il appartient à la juridiction nationale de décider à quel stade de la procédure il y a lieu, pour cette juridiction, de poser une question préjudicielle à la Cour (voir arrêt du 10 mars 1981, Irish Creamery Milk Suppliers Association e.a., 36/80 et 71/80, Rec. p. 735, point 5).

31 Certes, la nécessité de parvenir à une interprétation du droit communautaire qui soit utile pour le juge national exige que soit défini le cadre juridique dans lequel l'interprétation demandée doit se placer. Dans cette perspective, il peut être avantageux, selon les circonstances, que les faits de l'affaire soient établis et que les problèmes de pur droit national soient tranchés de manière à permettre à la Cour de connaître tous les éléments de fait et de droit qui peuvent être importants pour l'interprétation qu'elle est appelée à donner du droit communautaire (voir arrêt Irish Creamery Milk Suppliers Association e.a., précité, point 6).

32 Ces considérations ne limitent en rien, cependant, le pouvoir d'appréciation du juge national, qui est seul à avoir une connaissance directe des faits de l'affaire et des arguments des parties, qui doit assumer la responsabilité de la décision judiciaire à intervenir et qui est ainsi le mieux placé pour décider à quel stade de la procédure il a besoin d'une décision préjudicielle et pour apprécier la pertinence des questions qu'il pose à la Cour (voir, en ce sens, arrêt du 27 octobre 1993, Enderby, C-127/92, Rec. p. I-5535, point 10).

33 En l'occurrence, il y a lieu de constater que, considérée dans son ensemble, la demande d'interprétation du droit communautaire formulée par la juridiction de renvoi s'inscrit dans le cadre d'un litige réel et que la Cour dispose des données nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées.

34 Si, en l'espèce, la description du contexte factuel et juridique présente certaines lacunes, empêchant ainsi la Cour de répondre avec la précision souhaitée à différents aspects des questions qui lui sont soumises, il n'en demeure pas moins que les éléments figurant au dossier permettent à la Cour de se prononcer utilement. En fonction des circonstances, la Cour peut, toutefois, être amenée à laisser ouverts certains aspects des réponses aux questions posées (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 1998, Corsica Ferries France, C-266/96, Rec. p. I-3949, point 25).

Sur les trois premières questions

35 Par ses trois premières questions, qu'il convient d'examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'indemnité pour horaires décalés doit être prise en considération dans le calcul du salaire servant de base aux fins de la comparaison des rémunérations au sens de l'article 119 du traité et de la directive 75/117.

36 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que l'article 119 du traité pose le principe de l'égalité de rémunération entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour le même travail ou pour un travail auquel est attribuée une valeur égale. En conséquence, un même travail ou un travail auquel est attribuée une valeur égale doit être rémunéré de la même façon, qu'il soit accompli par un homme ou par une femme. Ainsi que la Cour l'a déjà jugé dans l'arrêt de 8 avril 1976, Defrenne II (43/75, Rec. p. 455, point 12), ce principe fait partie des fondements de la Communauté.

37 La Cour a également jugé que l'article 1er de la directive 75/117, destiné essentiellement à faciliter l'application concrète du principe de l'égalité des rémunérations qui figure à l'article 119 du traité, n'affecte en rien la portée et le contenu de ce principe, tel que défini par cette dernière disposition (arrêt du 31 mars 1981, Jenkins, 96/80, Rec. p. 911).

38 Afin de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi, il importe au préalable de vérifier si les indemnités pour horaires décalés octroyées au travailleur en vertu de la convention collective Allmänna Bestämmelser 95 relèvent de l'article 119 du traité et, par conséquent, de la directive 75/117.

39 À cet égard, la notion de rémunération, au sens de l'article 119, deuxième alinéa, du traité, comprend tous les avantages en espèces ou en nature, actuels ou futurs, pourvu qu'ils soient payés, serait-ce indirectement, par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier (voir arrêt Barber, précité, point 12).

40 L'indemnité en cause au principal constitue une forme de rémunération à laquelle le travailleur a droit en raison de son emploi. L'indemnité est versée au travailleur parce qu'il effectue des prestations durant des horaires incommodes et pour compenser les perturbations et les inconvénients qui en résultent.

41 Quant à la manière dont les salaires sont négociés au niveau du landsting, il est constant que l'article 119 du traité a vocation à s'appliquer non seulement aux dispositions législatives et réglementaires, mais également aux conventions collectives et aux contrats de travail, et ce en raison de son caractère impératif (arrêt du 15 décembre 1994, Helmig e.a., C-399/92, C-409/92, C-425/92, C-34/93, C-50/93, C-78/93, Rec. p. I-5727, point 18).

42 Ainsi, l'indemnité pour horaires décalés relevant de la notion de rémunération au sens de l'article 119 du traité, il y a lieu de vérifier si elle doit être prise en considération lors de la comparaison des rémunérations des sages-femmes et des ingénieurs de clinique.

43 S'agissant de la méthode à retenir pour vérifier le respect du principe de l'égalité des rémunérations à l'occasion d'une telle comparaison, la Cour a déjà constaté que, si les juridictions nationales étaient obligées de se livrer à une évaluation et à une comparaison de l'ensemble des avantages de nature variée consentis, selon le cas, aux travailleurs masculins ou féminins, le contrôle juridictionnel serait difficile à effectuer, et l'effet utile de l'article 119 s'en trouverait d'autant amoindri. Il s'ensuit qu'une véritable transparence, permettant un contrôle efficace, n'est assurée que si le principe de l'égalité des rémunérations s'applique à chacun des éléments de la rémunération respectivement accordée aux travailleurs masculins ou féminins (arrêt Barber, précité, point 34).

44 Pour assurer une plus grande transparence et pour garantir l'exigence d'efficacité qui sous-tend la directive 75/117, il y a donc lieu, en l'espèce, de comparer le salaire mensuel de base des sages-femmes avec celui des ingénieurs de clinique.

45 La circonstance que l'indemnité pour horaires décalés varie selon les mois en fonction de la période de la journée durant laquelle les tranches horaires en cause ont été effectuées a pour conséquence qu'il est difficile de faire une comparaison qui ait du sens entre, d'une part, l'ensemble du salaire et du supplément d'une sage-femme et, d'autre part, le salaire de base du groupe servant à établir la comparaison.

46 Le gouvernement finlandais a constaté que la comparaison des salaires est aisée lorsque les personnes du sexe opposé effectuent le même travail ou un travail très proche dans les mêmes conditions et selon des horaires similaires. Toutefois, il soutient que, plus les fonctions sont différentes, plus il est difficile non seulement de comparer les divers éléments des rémunérations, mais également d'apprécier l'équivalence de niveau. En pareil cas, il serait peut-être possible d'apprécier les exigences liées aux fonctions, notamment en recourant à une méthode non discriminatoire d'appréciation de ces exigences.

47 À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Cour n'est pas appelée, dans le contexte de la présente procédure, à se prononcer sur des questions tenant à la notion de travail de valeur égale.

48 Il appartient à la juridiction nationale, seule compétente pour apprécier les faits, de déterminer si, compte tenu d'éléments factuels relatifs à la nature des travaux effectués et aux conditions dans lesquelles ils sont effectués, une valeur égale peut leur être attribuée (arrêt du 31 mai 1995, Royal Copenhagen, C-400/93, Rec. p. I-1275, point 42).

49 Au cas où tel serait le cas, il y a lieu de constater qu'une comparaison du salaire mensuel de base des sages-femmes avec celui des ingénieurs de clinique révèle que les sages-femmes reçoivent une rémunération inférieure.

50 Il s'ensuit que, pour établir si le versement d'une rémunération inférieure aux sages-femmes est contraire à l'article 119 du traité et à la directive 75/117, le juge national doit vérifier si les données statistiques disponibles indiquent qu'un pourcentage considérablement plus important de travailleurs féminins que de travailleurs masculins travaillent en tant que sages-femmes. Si tel est le cas, il y a discrimination indirecte fondée sur le sexe, à moins que ladite mesure ne soit justifiée par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe (voir, en ce sens, arrêt du 9 février 1999, Seymour-Smith et Perez, C-167/97, Rec. p. I-623, point 65).

51 Il incombe au juge national de déterminer si une disposition nationale, une convention visant à régler de façon collective le travail salarié ou même l'action unilatérale d'un employeur à l'égard du personnel qu'il emploie, qui s'applique indépendamment du sexe du travailleur, mais qui frappe en fait un pourcentage considérablement plus élevé de travailleurs féminins que de travailleurs masculins, est justifiée par des raisons objectives et étrangères à toute discrimination fondée sur le sexe (voir, en ce sens, arrêts Seymour-Smith et Perez, précité, point 67, et du 21 octobre 1999, Lewen, C-333/97, non encore publié au Recueil, point 26).

52 Compte tenu d'éléments factuels relatifs à la nature des travaux effectués et aux conditions dans lesquelles ils sont effectués, il appartient également à la juridiction nationale de déterminer si ces éléments peuvent être considérés comme constituant des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe susceptibles de justifier d'éventuelles différences de rémunération.

53 Il convient enfin de préciser, ainsi que M. l'avocat général l'a relevé au point 36 de ses conclusions, que, dans une situation de discrimination apparente, il appartient à l'employeur de démontrer qu'il existe des raisons objectives justifiant la différence de rémunération constatée. En effet, les travailleurs seraient privés du moyen de faire respecter le principe de l'égalité des rémunérations devant la juridiction nationale si la présentation d'éléments permettant de révéler une discrimination apparente n'avait pas pour effet d'imposer à l'employeur la charge de prouver que la différence de rémunération n'est pas, en réalité, discriminatoire (voir arrêt Enderby, précité, point 18).

54 Dès lors, il y a lieu de répondre aux trois premières questions que l'indemnité pour horaires décalés ne doit pas être prise en considération dans le calcul du salaire servant de base aux fins de la comparaison des rémunérations au sens de l'article 119 du traité et de la directive 75/117. Au cas où une différence de rémunération entre les deux groupes comparés est constatée et où les données statistiques disponibles indiquent l'existence d'une proportion bien plus importante de femmes que d'hommes dans le groupe défavorisé, l'article 119 du traité impose à l'employeur de justifier cette différence par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.

Sur les quatrième et cinquième questions

55 Par ses quatrième et cinquième questions, qu'il convient d'examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la réduction du temps de travail accordée au travail effectué selon un système de roulement de trois équipes par rapport à la durée normale de travail de jour ou la contre-valeur d'une telle réduction doivent être prises en considération dans le calcul du salaire servant de base aux fins de la comparaison des rémunérations au sens de l'article 119 du traité et de la directive 75/117.

56 À cet égard, le landsting soutient que la comparaison des rémunérations doit être effectuée sur la base du salaire versé pour chaque heure effectivement accomplie. La valeur de la réduction du temps de travail, que le lansting évalue à 11,4 % du salaire de base, devrait en conséquence être incluse dans l'ensemble de la rémunération mensuelle aux fins de la comparaison.

57 Le JämO constate que, pour qu'un travailleur reçoive un salaire de base à temps plein en vertu de la convention collective Allmänna Bestämmelser 95, tant une sage-femme qu'un ingénieur de clinique doivent compléter une semaine de travail à temps complet, telle que définie par la convention. Il souligne que, conformément à ladite convention, une semaine de travail à temps plein pour une sage-femme comporte 34 heures 20 minutes selon un système de roulement de trois équipes, tandis que l'ingénieur de clinique doit travailler 40 heures du lundi au vendredi selon un horaire normal. Selon le JämO, les travailleurs qui fournissent leur activité selon un système de roulement en trois équipes sont soumis à des pressions nettement plus importantes et subissent davantage de fatigues résultant des horaires de travail irréguliers qu'implique le travail en équipe. Ce serait la raison pour laquelle la convention collective Allmänna Bestämmelser 95 attribue une valeur supérieure à une heure de travail effectuée dans le cadre d'un système de roulement qu'à une heure de travail effectuée à horaire normal du lundi au vendredi.

58 Ainsi qu'il ressort du point 38 du présent arrêt, il convient, afin de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi, de vérifier si la réduction du temps de travail prévue par la convention collective Allmänna Bestämmelser 95 relève de l'article 119 du traité et, par conséquent, de la directive 75/117.

59 À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Cour a déjà jugé que le fait que la détermination de certaines conditions de travail peut avoir des conséquences pécuniaires n'est pas une raison suffisante pour faire rentrer de telles conditions dans le champ d'application de l'article 119, fondé sur le lien étroit qui existe entre la nature de la prestation de travail et le montant du salaire (voir arrêt du 15 juin 1978, Defrenne III, 149/77, Rec. p. 1365, point 21).

60 Par conséquent, la réduction de la durée du travail concerne les conditions de travail, en sorte qu'elle relève de la directive 76/207 (voir, en ce sens, arrêt Seymour-Smith et Perez, précité, point 37).

61 Toutefois, des différences éventuelles dans les horaires de travail des deux groupes pris en considération pour la comparaison des rémunérations sont susceptibles de constituer des raisons objectives et étrangères à toute discrimination fondée sur le sexe, de nature à justifier une différence de rémunération.

62 Ainsi qu'il ressort du point 53 du présent arrêt, il appartient à l'employeur de démontrer que de telles raisons objectives existent effectivement.

63 Dès lors, il y a lieu de répondre aux quatrième et cinquième questions que la réduction du temps de travail accordée au travail effectué selon un système de roulement de trois équipes par rapport à la durée normale de travail de jour ou la contre-valeur d'une telle réduction ne doivent pas être prises en considération dans le calcul du salaire servant de base aux fins de la comparaison des rémunérations au sens de l'article 119 du traité et de la directive 75/117. Cependant, une telle réduction peut constituer une raison objective et étrangère à toute discrimination fondée sur le sexe, de nature à justifier une différence de rémunération. Il appartient à l'employeur de démontrer que tel est effectivement le cas.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

64 Les frais exposés par le gouvernement finlandais ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR

(sixième chambre)

statuant sur les questions à elle soumises par l'Arbetsdomstolen, par décision du 2 juillet 1998, dit pour droit:

1) Une indemnité pour horaires décalés ne doit pas être prise en considération dans le calcul du salaire servant de base aux fins de la comparaison des rémunérations au sens de l'article 119 du traité CE (les articles 117 à 120 du traité CE ont été remplacés par les articles 136 CE à 143 CE) et de la directive 75/117/CEE du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins. Au cas où une différence de rémunération entre les deux groupes comparés est constatée et où les données statistiques disponibles indiquent l'existence d'une proportion bien plus importante de femmes que d'hommes dans le groupe défavorisé, l'article 119 du traité impose à l'employeur de justifier cette différence par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.

2) La réduction du temps de travail accordée au travail effectué selon un système de roulement de trois équipes par rapport à la durée normale de travail de jour ou la contre-valeur d'une telle réduction ne doivent pas être prises en considération dans le calcul du salaire servant de base aux fins de la comparaison des rémunérations au sens de l'article 119 du traité et de la directive 75/117. Cependant, une telle réduction peut constituer une

raison objective et étrangère à toute discrimination fondée sur le sexe, de nature à justifier une différence de rémunération. Il appartient à l'employeur de démontrer que tel est effectivement le cas.