61998J0060

Arrêt de la Cour du 29 juin 1999. - Butterfly Music Srl contre Carosello Edizioni Musicali e Discografiche Srl (CEMED). - Demande de décision préjudicielle: Tribunale civile e penale di Milano - Italie. - Droits d'auteur et droits voisins - Directive 93/98/CEE - Harmonisation de la durée de protection. - Affaire C-60/98.

Recueil de jurisprudence 1999 page I-03939


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


1. Actes des institutions - Acte modifiant une disposition antérieure - Application de la règle modificative aux effets futurs de situations nées sous l'empire de la disposition antérieure - Principe de protection de la confiance légitime - Absence d'incidence

2. Rapprochement des législations - Droit d'auteur et droits voisins - Directive 93/98 - Harmonisation des durées de protection - Renaissance des droits éteints avant la mise en oeuvre de la directive - Protection des droits acquis des tiers - Réglementation nationale limitant cette protection - Admissibilité

(Directive du Conseil 93/98, art. 10, § 2 et 3)

Sommaire


1. Il est de principe que les lois modificatives d'une disposition législative s'appliquent, sauf dérogation, aux effets futurs des situations nées sous l'empire de la loi ancienne. A cet égard, si le principe de la confiance légitime s'inscrit parmi les principes fondamentaux de la Communauté, il ne saurait être étendu au point d'empêcher, de façon générale, une réglementation nouvelle de s'appliquer aux effets futurs de situations nées sous l'empire de la réglementation antérieure.

2. Il résulte du rapprochement des dispositions de l'article 10, paragraphes 2 et 3, de la directive 93/98, relative à l'harmonisation de la durée de protection du droit d'auteur et de certains droits voisins, que la directive a consacré la possibilité de la renaissance des droits éteints en vertu de législations applicables avant la date de sa mise en oeuvre, sans préjudice des actes d'exploitation accomplis avant cette date et tout en laissant aux États membres le soin d'adopter des mesures destinées à protéger les droits acquis des tiers. Ces dernières doivent être regardées comme des mesures que les États membres ont l'obligation de prendre, mais dont les modalités sont laissées à leur appréciation, sous réserve, toutefois, qu'elles n'aient pas pour conséquence d'empêcher, d'une manière générale, l'application des nouvelles durées de protection à la date prévue par la directive.

Dès lors, l'article 10, paragraphe 3, de ladite directive ne s'oppose pas à une législation nationale qui prévoit une période limitée pour permettre la distribution de supports de sons par des personnes qui, en raison de l'extinction des droits concernant ces supports sous l'empire de la législation antérieure, avaient pu les reproduire et les commercialiser avant l'entrée en vigueur de la législation nationale postérieure. En effet, une telle législation, d'une part, satisfait à l'obligation imposée aux États membres de prendre des mesures de protection des droits acquis des tiers et, d'autre part, en limitant ainsi ladite protection en ce qui concerne la distribution des supports de sons, répond à la nécessité de circonscrire une telle mesure, laquelle doit nécessairement être transitoire afin de ne pas empêcher l'application des nouvelles durées de protection des droits d'auteur et droits voisins à la date prévue par la directive, dont cela constitue l'objectif principal.

Parties


Dans l'affaire C-60/98,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), par le Tribunale civile e penale di Milano (Italie) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Butterfly Music Srl

et

Carosello Edizioni Musicali e Discografiche Srl (CEMED),

en présence de:

Federazione Industria Musicale Italiana (FIMI),

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 10 de la directive 93/98/CEE du Conseil, du 29 octobre 1993, relative à l'harmonisation de la durée de protection du droit d'auteur et de certains droits voisins (JO L 290, p. 9),

LA COUR,

composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, P. J. G. Kapteyn, J.-P. Puissochet (rapporteur), G. Hirsch et P. Jann, présidents de chambre, G. F. Mancini, J. C. Moitinho de Almeida, C. Gulmann, J. L. Murray, D. A. O. Edward et L. Sevón, juges,

avocat général: M. G. Cosmas,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,

considérant les observations écrites présentées:

- pour Butterfly Music Srl, par Mes Umberto Buttafava et Pierluigi Maini, avocats au barreau de Milan, et Alfio Rapisardi, avocat au barreau de Plaisance,

- pour Carosello Edizioni Musicali e Discografiche Srl (CEMED), par Mes Gianpietro Quiriconi et Luigi Carlo Ubertazzi, avocats au barreau de Milan,

- pour la Federazione Industria Musicale Italiana (FIMI), par Me Giorgio Mondini, avocat au barreau de Milan,

- pour le gouvernement italien, par M. le professeur Umberto Leanza, chef du service du contentieux diplomatique du ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, assisté de M. Oscar Fiumara, avvocato dello Stato,

- pour la Commission des Communautés européennes, par Mmes Karen Banks et Laura Pignataro, membres du service juridique, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de Carosello Edizioni Musicali e Discografiche Srl (CEMED), de la Federazione Industria Musicale Italiana (FIMI), du gouvernement italien et de la Commission à l'audience du 9 février 1999,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 23 mars 1999,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par ordonnance du 12 février 1998, parvenue à la Cour le 2 mars suivant, le Tribunale civile e penale di Milano a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), une question préjudicielle sur l'interprétation de l'article 10 de la directive 93/98/CEE du Conseil, du 29 octobre 1993, relative à l'harmonisation de la durée de protection du droit d'auteur et de certains droits voisins (JO L 290, p. 9, ci-après la «directive»).

2 Cette question a été posée dans le cadre d'un litige opposant Butterfly Music Srl (ci-après «Butterfly») à Carosello Edizioni Musicali e Discografiche Srl (ci-après «CEMED»), soutenue par la Federazione Industria Musicale Italiana (ci-après la «FIMI»), au sujet du droit de reproduction et d'exploitation d'enregistrements tombés dans le domaine public sous l'empire de l'ancienne législation en vigueur puis à nouveau protégés par l'effet des dispositions transposant la directive en droit national.

3 La directive vise à mettre fin aux disparités qui existent entre les législations nationales régissant les durées de protection du droit d'auteur et des droits voisins et à harmoniser ces législations en prévoyant des durées de protection identiques dans l'ensemble de la Communauté. Ainsi, en vertu de son article 3, la durée de protection des droits des artistes interprètes ou exécutants et des producteurs de phonogrammes a été fixée à 50 ans.

4 Conformément à l'article 10, paragraphe 2, de la directive, cette durée s'applique à toutes les oeuvres et à tous les objets qui, à la date prévue pour la mise en oeuvre de la directive, soit au plus tard le 1er juillet 1995, sont protégés dans au moins un État membre. Cependant, l'article 10, paragraphe 3, précise que la «directive s'entend sans préjudice des actes d'exploitation accomplis» avant cette date et que «Les États membres prennent les dispositions nécessaires pour protéger notamment les droits acquis des tiers».

5 En Italie, la durée de protection des droits des producteurs de disques phonographiques et de supports analogues, ainsi que des artistes interprètes et des artistes exécutants, était fixée à 30 ans par la loi n° 633, du 22 avril 1941, sur le droit d'auteur (GURI n° 166, du 16 juillet 1941). Les dispositions de cette loi ont été modifiées par une série de décrets-lois promulgués en 1994 et 1995, qui n'ont pas été convertis en lois, et par la loi n° 52, du 6 février 1996 (GURI n° 34, du 10 février 1996, supplément ordinaire n° 24, ci-après la «loi n° 52/96»), elle-même modifiée par la loi n° 650, du 23 décembre 1996 (GURI n° 300, du 23 décembre 1996), qui a sauvegardé les effets desdits décrets-lois.

6 En vertu de l'article 17, paragraphe 1, de la loi n° 52/96, la durée de protection des droits des personnes susmentionnées a été portée de 30 à 50 ans. L'article 17, paragraphe 2, de la loi n° 52/96, modifiée, précise que cette durée de protection s'applique également aux oeuvres et aux droits qui ne sont plus protégés par les délais de protection précédemment en vigueur, dès lors que, en application des nouveaux délais, ils sont à nouveau protégés à la date du 29 juin 1995. Cependant, selon l'article 17, paragraphe 4, de la loi n° 52/96, modifiée, ces dispositions s'appliquent sans préjudice des actes et contrats antérieurs au 29 juin 1995 ni des droits légalement acquis et exercés par les tiers en vertu de ceux-ci. En particulier, ne sont pas affectées:

«a) la distribution et la reproduction des éditions des oeuvres tombées dans le domaine public en vertu de la réglementation antérieure, dans les limites de la composition graphique et de la présentation éditoriale dans lesquelles la publication a eu lieu, par les personnes ayant entrepris de distribuer et de reproduire les oeuvres avant la date d'entrée en vigueur de la présente loi. Les futures mises à jour exigées par la nature des oeuvres peuvent également être distribuées et reproduites sans rémunération;

b) la distribution, dans les limites de la période de trois mois suivant la date d'entrée en vigueur de la présente loi, des disques phonographiques et des supports analogues dont les droits d'utilisation ont expiré en vertu de la réglementation antérieure, par les personnes qui ont reproduit et commercialisé les supports susmentionnés avant la date d'entrée en vigueur de la présente loi».

7 Butterfly, qui exerce une activité de production et de distribution de supports musicaux, a produit, en novembre 1992, avec l'accord de CEMED, producteur de phonogrammes qui détenait les droits sur les enregistrements originaux, et avec l'autorisation de la Società Italiana Autori ed Editori (société italienne des auteurs et éditeurs, ci-après la «SIAE»), un disque compact intitulé «Briciole di baci» (ci-après le «CD»), contenant seize chansons interprétées par la chanteuse Mina, qui avaient été enregistrées au cours des années 1958-1962.

8 Ces enregistrements sont tombés dans le domaine public à la fin de l'année 1992, mais, ultérieurement, les décrets-lois mentionnés au point 5 du présent arrêt et la loi n° 52/96 ont, en application de la directive, porté de 30 à 50 ans la durée de protection des droits des producteurs de phonogrammes et des artistes interprètes.

9 A la fin de l'année 1995 et au début de l'année 1996, CEMED, se fondant sur la «renaissance» de ses droits qui découlait de la durée de protection prévue par la directive, a mis Butterfly en demeure de cesser la reproduction et la distribution du CD. Celle-ci a alors introduit, le 10 mai 1996, devant le Tribunale civile e penale di Milano, un recours tendant à faire constater son droit de reproduire les enregistrements figurant sur le CD.

10 Devant la juridiction nationale, Butterfly a notamment fait valoir que la directive interdisait implicitement la remise en vigueur de droits épuisés et que, même si l'on admettait la «renaissance» de ces droits, la loi n° 52/96, modifiée, ne respectait pas l'obligation de protéger les droits acquis par des tiers, qui est expressément prévue par l'article 10, paragraphe 3, de la directive. De son côté, CEMED, soutenue par la FIMI, association professionnelle représentative de producteurs de disques italiens, a demandé, par voie reconventionnelle, que soit interdite à Butterfly toute utilisation ultérieure des oeuvres bénéficiant du nouveau délai de protection.

11 Le Tribunale civile e penale di Milano a considéré qu'il ressortait clairement de l'article 10, paragraphe 2, de la directive que la protection des droits pouvait renaître à la suite de la prorogation des délais nécessitée, dans certains États membres, par l'harmonisation des durées de protection. Cependant, il s'est interrogé sur la licéité, au regard de l'obligation de protection des droits acquis par les tiers, de l'article 17, paragraphe 4, de la loi n° 52/96, modifiée, qui ne prévoit qu'une possibilité limitée de distribution des supports de sons dont les droits d'exploitation étaient tombés dans le domaine public avant la date d'entrée en vigueur de la loi par des tiers qui avaient acquis, avant cette même date, le droit de les reproduire et de les commercialiser. Il a, en conséquence, décidé de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L'interprétation de l'article 10 de la directive 93/98/CEE, du 29 octobre 1993, notamment là où cet article prévoit que les États membres prennent les dispositions nécessaires pour protéger notamment les droits acquis des tiers, est-elle compatible avec la disposition figurant à l'article 17, paragraphe 4, de la loi n° 52, du 6 février 1996, telle que modifiée ultérieurement par la loi n° 650, du 23 décembre 1996?»

Sur la recevabilité

12 CEMED estime que la question préjudicielle est irrecevable en raison de son manque de pertinence au regard des circonstances du litige au principal. Elle invoque, d'abord, le contrat par lequel Butterfly s'était engagée à ne pas reproduire les enregistrements en cause après le 31 juillet 1993, ensuite, la formulation des motifs de l'ordonnance de renvoi, qui visent la «distribution des marchandises en stock», alors que tous les exemplaires du CD pressés par Butterfly ont été vendus avant la fin de l'année 1995, et, enfin, le manque d'intérêt à agir de Butterfly, faute d'avoir obtenu une licence de la SIAE sur les droits d'auteur ainsi que l'autorisation de la chanteuse Mina.

13 A cet égard, il suffit de rappeler que, selon une jurisprudence constante (voir, notamment, arrêt du 15 décembre 1995, Bosman, C-415/93, Rec. p. I-4921, points 59 à 61), il n'appartient qu'à la juridiction nationale saisie du litige, qui doit assumer la responsabilité de la décision judiciaire à intervenir, d'apprécier notamment la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement. La Cour ne peut rejeter une demande formée par une telle juridiction que lorsqu'il apparaît de manière manifeste que l'interprétation du droit communautaire demandée n'a aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal, ou encore lorsqu'elle ne dispose pas des éléments de fait ou de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions posées (voir, notamment, arrêt Bosman, précité, point 61). Tel n'étant pas le cas dans la présente affaire, la question préjudicielle ne peut donc être déclarée irrecevable pour une raison tirée de son manque de pertinence au regard des circonstances du litige.

14 Il y a lieu, dès lors, d'examiner la question préjudicielle.

Sur la question préjudicielle

15 Par sa question, la juridiction de renvoi demande à la Cour si l'article 10, paragraphe 3, de la directive s'oppose à une disposition nationale telle que celle qui, dans la loi n° 52/96, modifiée, prévoit une période limitée pour permettre la distribution de supports de sons par des personnes qui, en raison de l'extinction des droits concernant ces supports sous l'empire de la législation antérieure, avaient pu les reproduire et les commercialiser avant l'entrée en vigueur de ladite loi.

16 Butterfly propose à la Cour de répondre à la question posée que la loi n° 52/96, modifiée, n'est pas conforme à l'article 10 de la directive en ce qu'elle ne confère pas une protection adaptée aux producteurs de disques ayant entrepris, de bonne foi, l'exploitation d'oeuvres dont la protection renaît à la suite de l'allongement de la durée de protection du droit d'auteur et des droits voisins. La requérante au principal fait notamment valoir que la limitation à un délai de trois mois du droit de distribution des disques par les personnes qui les ont reproduits et commercialisés avant l'entrée en vigueur de la loi n° 52/96, prévue à son article 17, paragraphe 4, sous b), modifié, est déraisonnable et en contradiction avec l'absence de limitation pour la distribution des éditions d'oeuvres littéraires tombées dans le domaine public, résultant de l'article 17, paragraphe 4, sous a), modifié, de la même loi.

17 CEMED, la FIMI, le gouvernement italien et la Commission proposent, au contraire, de répondre que l'article 10 de la directive ne s'oppose pas à une législation nationale telle que la loi n° 52/96, modifiée. Ils soutiennent, notamment, que les règles qui limitent les droits d'auteur et les droits voisins doivent être interprétées de manière restrictive. La FIMI et le gouvernement italien font valoir, en outre, que le traitement plus favorable accordé par la loi n° 52/96, modifiée, aux éditeurs d'oeuvres littéraires tombées dans le domaine public est justifié par les investissements élevés que ceux-ci doivent supporter. Enfin, la Commission, tout en ne partageant pas ce dernier point de vue, estime que le délai prévu pour la distribution des stocks de supports phonographiques, qui a duré en fait près d'une année, compte tenu des décrets-lois intervenus en 1994 et 1995, est suffisant pour respecter l'obligation de protection des droits acquis des tiers prévue par la directive.

18 Ainsi que l'a relevé la juridiction de renvoi, il ressort clairement de l'article 10, paragraphe 2, de la directive que l'application des durées de protection prévues par celle-ci peut avoir pour conséquence, dans les États membres dont la législation prévoyait une durée de protection moins longue, de protéger à nouveau des oeuvres ou objets tombés dans le domaine public.

19 Il importe d'observer que cette conséquence résulte de la volonté expresse du législateur communautaire. En effet, alors que la proposition initiale de directive présentée par la Commission prévoyait que ses dispositions s'appliqueraient «aux droits qui ne sont pas échus au 31 décembre 1994», le Parlement européen a modifié cette proposition en introduisant une nouvelle rédaction qui a été reprise, pour l'essentiel, dans la version finale de la directive.

20 Cette solution a été retenue en vue d'atteindre le plus rapidement possible l'objectif d'harmonisation des législations nationales régissant les durées de protection du droit d'auteur et des droits voisins, énoncé, notamment, au deuxième considérant de la directive, et d'éviter que certains droits soient éteints dans certains États membres alors qu'ils sont protégés dans d'autres.

21 Il ressort, cependant, de l'article 10, paragraphe 3, de la directive que celle-ci s'entend sans préjudice des actes d'exploitation accomplis avant la date prévue pour la mise en oeuvre de la directive, soit au plus tard le 1er juillet 1995, et que les États membres doivent prévoir les dispositions nécessaires pour protéger notamment les droits acquis des tiers.

22 Cette disposition est éclairée par le libellé des deux derniers considérants de la directive. Aux termes du vingt-sixième considérant, «les États membres doivent rester libres d'arrêter des dispositions sur l'interprétation, l'adaptation et la poursuite de l'exécution de contrats qui portent sur l'exploitation d'oeuvres et d'autres objets protégés et qui ont été conclus avant l'extension de la durée de protection résultant de la présente directive». Selon le vingt-septième considérant, «le respect des droits acquis et de la confiance légitime des tiers est garanti par l'ordre juridique communautaire ... les États membres doivent pouvoir prévoir notamment que, dans certaines circonstances, les droits d'auteur et les droits voisins qui renaîtront en application de la présente directive ne pourront pas donner lieu à des paiements de la part de personnes qui avaient entrepris de bonne foi l'exploitation des oeuvres au moment où celles-ci faisaient partie du domaine public».

23 Il résulte du rapprochement de ces différentes dispositions que la directive a consacré la possibilité de la renaissance des droits d'auteur et des droits voisins éteints en vertu de législations applicables avant la date de sa mise en oeuvre, sans préjudice des actes d'exploitation accomplis avant cette date et tout en laissant aux États membres le soin d'adopter des mesures destinées à protéger les droits acquis des tiers. Ces dernières, eu égard à la teneur des dispositions susmentionnées, doivent être regardées comme des mesures que les États membres ont l'obligation de prendre, mais dont les modalités sont laissées à leur appréciation, sous réserve, toutefois, qu'elles n'aient pas pour conséquence d'empêcher, d'une manière générale, l'application des nouvelles durées de protection à la date prévue par la directive.

24 Ainsi que M. l'avocat général l'a relevé au point 25 de ses conclusions, cette solution est d'ailleurs conforme au principe selon lequel les lois modificatives d'une disposition législative s'appliquent, sauf dérogation, aux effets futurs des situations nées sous l'empire de la loi ancienne (voir, notamment, arrêts du 14 avril 1970, Brock, 68/69, Rec. p. 171, point 6, et du 10 juillet 1986, Licata/Comité économique et social, 270/84, Rec. p. 2305, point 31). En effet, dès lors que la renaissance des droits d'auteur et des droits voisins n'a pas d'incidence sur les actes d'exploitation définitivement accomplis par un tiers avant la date à laquelle elle est intervenue, elle ne peut être regardée comme ayant une portée rétroactive. Son application aux effets futurs de situations non définitivement fixées signifie, en revanche, qu'elle a une incidence sur les droits d'un tiers à poursuivre l'exploitation d'un support de sons dont les exemplaires déjà fabriqués n'ont pas encore été commercialisés et écoulés sur le marché à ladite date.

25 Il convient, en outre, de rappeler que, si le principe de confiance légitime s'inscrit parmi les principes fondamentaux de la Communauté, il est de jurisprudence constante que ce principe ne saurait être étendu au point d'empêcher, de façon générale, une réglementation nouvelle de s'appliquer aux effets futurs de situations nées sous l'empire de la réglementation antérieure (voir, notamment, arrêts du 14 janvier 1987, Allemagne/Commission, 278/84, Rec. p. 1, point 36; du 20 septembre 1988, Espagne/Conseil, 203/86, Rec. p. 4563, point 19, et du 22 février 1990, Busseni, C-221/88, Rec. p. I-495, point 35).

26 Compte tenu de ces considérations, une législation nationale, telle que la loi n° 52/96, modifiée, qui autorise les personnes qui reproduisaient et commercialisaient des supports de sons dont les droits d'utilisation avaient expiré en vertu de la législation antérieure à distribuer ces supports pendant une période limitée à compter de son entrée en vigueur, répond aux prescriptions de la directive.

27 D'une part, en effet, une telle législation satisfait à l'obligation imposée aux États membres de prendre des mesures visant à la protection des droits acquis des tiers. Certes, la loi n° 52/96, modifiée, n'a accordé qu'une période limitée de trois mois pour la distribution des supports de sons. Mais un tel délai peut être considéré comme raisonnable au regard de l'objectif poursuivi, d'autant plus que, comme l'a relevé la Commission, compte tenu des conditions dans lesquelles a eu lieu la transposition de la directive, au moyen des décrets-lois mentionnés au point 5 du présent arrêt et de la loi n° 52/96, le délai réel a été, en fait, de près d'une année après la date de sa mise en oeuvre.

28 D'autre part, en limitant ainsi la protection des droits acquis des tiers en ce qui concerne la distribution des supports de sons, une telle législation répond à la nécessité de circonscrire une telle disposition, laquelle doit nécessairement être transitoire afin de ne pas empêcher l'application des nouvelles durées de protection des droits d'auteur et droits voisins à la date prévue par la directive, dont cela constitue l'objectif principal.

29 Cette interprétation n'est pas affectée par la circonstance qu'une autre disposition de la loi n° 52/96, modifiée, qui n'est pas applicable dans le litige au principal, prévoit un régime de protection différent pour les droits acquis des tiers en ce qui concerne la distribution d'oeuvres littéraires. En effet, cette dernière disposition vise une catégorie distincte de bénéficiaires, qui ne se trouvent pas dans la même situation que les personnes concernées par la première. Indépendamment de la question de savoir si le régime de protection visant cette catégorie répond aux prescriptions de la directive, celui-ci ne saurait avoir d'incidence sur l'appréciation d'une mesure qui régit une situation objectivement différente.

30 Il y a lieu, dès lors, de répondre à la question préjudicielle que l'article 10, paragraphe 3, de la directive ne s'oppose pas à une disposition nationale telle que celle qui, dans la loi n° 52/96, modifiée, prévoit une période limitée pour permettre la distribution de supports de sons par des personnes qui, en raison de l'extinction des droits concernant ces supports sous l'empire de la législation antérieure, avaient pu les reproduire et les commercialiser avant l'entrée en vigueur de ladite loi.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

31 Les frais exposés par le gouvernement italien ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur la question à elle soumise par le Tribunale civile e penale di Milano, par ordonnance du 12 février 1998, dit pour droit:

L'article 10, paragraphe 3, de la directive 93/98/CEE du Conseil, du 29 octobre 1993, relative à l'harmonisation de la durée de protection du droit d'auteur et de certains droits voisins, ne s'oppose pas à une disposition nationale telle que celle qui, dans la loi italienne n° 52, du 6 février 1996, telle que modifiée par la loi italienne n° 650, du 23 décembre 1996, prévoit une période limitée pour permettre la distribution de supports de sons par des personnes qui, en raison de l'extinction des droits concernant ces supports sous l'empire de la législation antérieure, avaient pu les reproduire et les commercialiser avant l'entrée en vigueur de ladite loi.