61998J0046

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 21 septembre 2000. - European Fertilizer Manufacturers Association (EFMA) contre Conseil de l'Union européenne et Commission des Communautés européennes. - Pourvoi - Antidumping - Moyens inopérants - Droits de la défense. - Affaire C-46/98 P.

Recueil de jurisprudence 2000 page I-07079


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


1 Recours en annulation - Moyens - Moyen inopérant - Notion

2 Pourvoi - Moyens - Appréciation erronée des faits - Irrecevabilité - Contrôle par la Cour de l'appréciation des éléments de preuve - Exclusion sauf cas de dénaturation

(Traité CE, art. 168 A (devenu art. 225 CE); statut de la Cour de justice CE, art. 51, al. 1)

3 Politique commerciale commune - Défense contre les pratiques de dumping - Pouvoir d'appréciation des institutions - Contrôle juridictionnel - Limites - Erreur manifeste d'appréciation des faits connus des institutions au moment de l'adoption d'un règlement antidumping

(Traité CE, art. 173 (devenu, après modification, art. 230 CE); règlement du Conseil n_ 2423/88, art. 12, § 1)

Sommaire


1 Dans le cadre d'un recours en annulation, le caractère inopérant d'un moyen soulevé renvoie à son aptitude, dans l'hypothèse où il serait fondé, à entraîner l'annulation que poursuit le requérant et non à l'intérêt que celui-ci peut avoir à introduire un tel recours ou encore à soulever un moyen déterminé, ces questions relevant respectivement de la recevabilité du recours et de celle du moyen. (voir point 38)

2 En vertu des articles 168 A du traité (devenu article 225 CE) et 51, premier alinéa, du statut de la Cour de justice, un pourvoi ne peut s'appuyer que sur des moyens portant sur la violation de règles de droit, à l'exclusion de toute appréciation des faits. Le Tribunal est seul compétent, d'une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où l'inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d'autre part, pour apprécier ces faits. Par ailleurs, l'appréciation, par le Tribunal, des éléments de preuve qui sont produits devant lui ne constitue pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour. (voir points 42-43)

3 Dans le cadre d'un recours en annulation fondé sur l'article 173 du traité (devenu, après modification, article 230 CE), il n'appartient pas au Tribunal de procéder à un réexamen au fond du règlement litigieux, mais de vérifier l'absence d'erreur manifeste d'appréciation de son auteur. L'appréciation du Conseil à l'issue de la procédure administrative en matière antidumping porte, selon l'article 12, paragraphe 1, du règlement antidumping de base n_ 2423/88, sur la constatation définitive des faits. Il s'ensuit que le Tribunal pouvait, dans le cadre de son contrôle juridictionnel, se limiter à vérifier si le Conseil n'avait pas commis d'erreur manifeste d'appréciation des faits dont il avait connaissance au moment de l'adoption du règlement litigieux, et donc considérer qu'il n'y avait pas lieu de tenir compte d'une étude réalisée ultérieurement. (voir points 60-61)

Parties


Dans l'affaire C-46/98 P,

European Fertilizer Manufacturers Association (EFMA), établie à Zurich (Suisse), représentée par Mes D. Voillemot et O. Prost, avocats au barreau de Paris, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me M. Loesch, 11, rue Goethe,

partie requérante,

ayant pour objet un pourvoi formé contre l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes (quatrième chambre élargie) du 17 décembre 1997, EFMA/Conseil (T-121/95, Rec. p. II-2391), et tendant à l'annulation de cet arrêt, les autres parties à la procédure étant: Conseil de l'Union européenne, représenté par M. S. Marquardt, conseiller juridique, en qualité d'agent, assisté de Mes H.-J. Rabe et G. M. Berrisch, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. A. Morbilli, directeur général de la direction des affaires juridiques de la Banque européenne d'investissement, 100, boulevard Konrad Adenauer, partie défenderesse en première instance,

Commission des Communautés européennes, représentée par M. N. Khan, membre du service juridique, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. C. Gómez de la Cruz, membre du même service, Centre Wagner, Kirchberg,

partie intervenante en première instance,

LA COUR

(sixième chambre),

composée de MM. R. Schintgen, président de la deuxième chambre, faisant fonction de président de la sixième chambre, P. J. G. Kapteyn, et H. Ragnemalm (rapporteur), juges,

avocat général: M. A. La Pergola,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 23 septembre 1999,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 11 novembre 1999,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 23 février 1998, European Fertilizer Manufacturers Association (EFMA), qui résulte de l'union de plusieurs associations, dont CMC-Engrais (Comité «marché commun» de l'industrie des engrais azotés et phosphatés), a, en vertu de l'article 49 du statut CE de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'arrêt du Tribunal de première instance du 17 décembre 1997, EFMA/Conseil (T-121/95, Rec. p. II-2391, ci-après l'«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l'annulation de l'article 1er du règlement (CE) n_ 477/95 du Conseil, du 16 janvier 1995, modifiant les mesures antidumping définitives applicables aux importations dans la Communauté d'urée originaire de l'ancienne Union soviétique et abrogeant les mesures antidumping applicables aux importations dans la Communauté d'urée originaire de l'ancienne Tchécoslovaquie (JO L 49, p. 1, ci-après le «règlement litigieux»).

Cadre juridique, faits et procédure

2 Le cadre juridique et les faits qui sont à l'origine du litige tels qu'ils ressortent de l'arrêt attaqué peuvent être résumés ainsi.

3 À la suite d'une plainte déposée par l'association CMC-Engrais en juillet 1986, la Commission a annoncé, dans un avis publié au Journal officiel des Communautés européennes, l'ouverture d'une procédure antidumping concernant les importations, dans la Communauté, d'urée originaire de Tchécoslovaquie, de la République démocratique allemande, du Koweït, de Libye, d'Arabie saoudite, d'Union soviétique, de Trinité-et-Tobago et de Yougoslavie et a ouvert une enquête (JO 1986, C 254, p. 3), en application du règlement (CEE) n_ 2176/84 du Conseil, du 23 juillet 1984, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping ou de subventions de la part de pays non membres de la Communauté économique européenne (JO L 201, p. 1).

4 Cette procédure a conduit à l'adoption du règlement (CEE) n_ 3339/87 du Conseil, du 4 novembre 1987, instituant un droit antidumping définitif sur les importations d'urée originaires de Libye et d'Arabie saoudite et portant acceptation d'engagements souscrits dans le cadre des importations d'urée originaires de Tchécoslovaquie, de République démocratique allemande, du Koweït, d'Union soviétique, de Trinité-et-Tobago et de Yougoslavie et portant clôture de ces enquêtes (JO L 317, p. 1). Les engagements acceptés par ledit règlement ont été confirmés par la décision 89/143/CEE de la Commission, du 21 février 1989 (JO L 52, p. 37).

5 Par lettre du 29 octobre 1992, la requérante a demandé un réexamen partiel des engagements susvisés concernant l'ancienne Tchécoslovaquie et l'ancienne Union soviétique.

6 Estimant qu'il y avait des éléments de preuve suffisants d'un changement des circonstances pour justifier l'ouverture d'une procédure de réexamen des engagements susvisés, la Commission a entamé une enquête conformément à l'article 14 du règlement (CEE) n_ 2423/88 du Conseil, du 11 juillet 1988, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping ou de subventions de la part de pays non membres de la Communauté économique européenne (JO L 209, p. 1, ci-après le «règlement de base»), concernant la République tchèque, la République slovaque, les républiques du Bélarus, de Géorgie, du Tadjikistan et de l'Ouzbékistan, la Fédération russe et l'Ukraine (JO 1993, C 87, p. 7).

7 La procédure de réexamen n'étant pas encore terminée lorsque les mesures arrivèrent à échéance, la Commission a décidé que, conformément aux dispositions de l'article 15, paragraphe 4, du règlement de base, les mesures concernant l'urée originaire de l'ancienne Tchécoslovaquie et de l'ancienne Union soviétique resteraient en vigueur dans l'attente du résultat de ce réexamen (JO 1994, C 47, p. 3).

8 L'enquête relative aux pratiques de dumping couvrait la période comprise entre le 1er janvier et le 31 décembre 1992.

9 Le 10 mai 1994, la Commission a communiqué à la requérante ainsi qu'à l'ensemble des parties concernées la lettre d'information exposant ses conclusions de l'enquête ainsi que les faits et considérations essentiels sur la base desquels elle envisageait de recommander l'institution de mesures définitives. Dans cette lettre, la Commission a donné des explications concernant le choix de la Slovaquie comme pays de référence, le calcul de la valeur normale (en Slovaquie), la comparaison entre la valeur normale (départ usine pour la Slovaquie) ainsi que les prix à l'exportation (niveau frontières nationales pour la Russie et l'Ukraine) et, enfin, l'estimation du préjudice. Elle a, notamment, expliqué en quoi il lui semblait approprié de fixer une marge bénéficiaire des producteurs communautaires de 5 % et d'opérer un ajustement de 10 % du prix de l'urée originaire de Russie pour le calcul du niveau du droit envisagé. S'agissant de l'ajustement de 10 %, elle a exposé en particulier que les circonstances que l'urée russe avait tendance à se détériorer au cours de son transport, d'une part, et que les importateurs d'urée russe n'étaient pas toujours en mesure d'offrir une sécurité d'approvisionnement équivalente à celle offerte par les producteurs communautaires, d'autre part, impliquaient une différence de prix entre l'urée d'origine russe et l'urée d'origine communautaire.

10 Par lettre du 17 mai 1994, la requérante a demandé à la Commission la communication des éléments obtenus au cours de l'enquête concernant l'ajustement de 10 % au titre de la différence de qualité entre l'urée originaire de l'ancienne Union soviétique et celle fabriquée dans la Communauté.

11 Par télécopie du 18 mai 1994, la Commission a répondu que cet ajustement était une estimation moyenne établie à partir des informations obtenues des divers importateurs, commerçants et distributeurs actifs dans le commerce d'urée originaire de Russie et de la Communauté.

12 Par lettre du 30 mai 1994, la requérante a présenté ses observations à la Commission sur la lettre d'information. Elle a également demandé des éléments supplémentaires en soutenant que la lettre d'information était incomplète quant au dumping.

13 La Commission a fourni certaines informations supplémentaires à la requérante par lettre du 10 juin 1994.

14 Les représentants de la requérante ainsi que les services de la Commission s'étant rencontrés le 18 juillet 1994 pour discuter des diverses conclusions et observations, la requérante a présenté des observations additionnelles à la Commission par lettres des 28 juillet, 9 août, 21 et 26 septembre, et 3 octobre 1994.

15 À l'issue d'une nouvelle réunion, en octobre 1994, la requérante a, par lettre du 26 octobre 1994, présenté ses observations finales concernant, entre autres, la comparaison entre la valeur normale et les prix à l'exportation, l'ajustement de 10 % et la marge bénéficiaire de 5 %.

16 Le 16 janvier 1995, le Conseil a adopté le règlement litigieux.

17 Le seuil d'élimination du préjudice étant inférieur à la marge de dumping établie pour la Russie, le droit antidumping définitif a été institué, conformément à l'article 13, paragraphe 3, du règlement de base, au niveau du seuil d'élimination du préjudice.

18 L'article 1er du règlement litigieux dispose:

«1. Il est institué un droit antidumping définitif sur les importations d'urée relevant des codes NC 3102 10 10 et 3102 10 90 et originaire de Russie.

2. Le montant du droit est égal à la différence entre la somme de 115 écus par tonne et le prix franco frontière communautaire, avant dédouanement, si ce dernier est inférieur.

3. Sauf indication contraire, les dispositions en vigueur en matière de droits de douane sont applicables.»

19 Le 12 mai 1995, la requérante a formé un recours tendant à l'annulation de l'article 1er du règlement litigieux.

20 À l'appui de son recours devant le Tribunal, la requérante a invoqué trois moyens. Le premier moyen était tiré, en substance, d'une violation du règlement de base en ce que la Slovaquie avait été choisie comme pays de référence. À l'appui de son deuxième moyen, la requérante a invoqué, d'une part, une violation du règlement de base, en ce que la comparaison de la valeur normale et des prix à l'exportation avait été effectuée à des stades différents, en l'occurrence au départ usine et au niveau frontière, et, d'autre part, une violation de l'obligation de motivation, en ce que le règlement litigieux n'expliquait pas la raison pour laquelle la comparaison avait été effectuée à des stades différents. À titre subsidiaire, la requérante affirmait encore que la comparaison était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation. Le troisième moyen concernait la détermination du préjudice. Premièrement, la requérante a soutenu que, en procédant à un ajustement du prix de l'urée fabriquée en Russie pour compenser certaines prétendues différences de qualité, le Conseil avait, d'une part, commis une erreur manifeste d'appréciation et, d'autre part, violé ses droits de la défense. Deuxièmement, en déterminant une marge bénéficiaire trop faible des producteurs communautaires, le Conseil aurait commis une erreur manifeste d'appréciation et également violé les droits de la défense de la requérante.

21 Le Conseil et la Commission ont demandé au Tribunal de rejeter le recours.

L'arrêt attaqué

22 Par l'arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours et condamné la requérante à supporter ses propres dépens ainsi que ceux du Conseil.

23 S'agissant de la première branche du troisième moyen, le Tribunal a considéré, aux points 64 à 82, que, en fixant à 10 % l'ajustement de prix visant à tenir compte de la différence de qualité entre l'urée originaire de Russie et celle fabriquée dans la Communauté, les institutions n'avaient pas dépassé la marge d'appréciation dont elles disposent à cet égard. En outre, le Tribunal a considéré, aux points 87 à 89 de l'arrêt attaqué, que les droits de la défense de la requérante n'avaient pas été violés puisqu'elle avait été informée, au cours de la procédure antidumping, des principaux faits et considérations sur la base desquels les institutions avaient fondé leurs conclusions.

24 Quant à la seconde branche du troisième moyen, le Tribunal a constaté, au point 105 de l'arrêt attaqué, que, pour établir la marge bénéficiaire de 5 %, la Commission avait tenu compte de la baisse de la demande d'urée, de la nécessité de financer de nouveaux investissements dans les équipements de production et du bénéfice qui avait été jugé raisonnable dans le cadre de l'enquête antidumping initiale portant sur ce produit. Le Tribunal a estimé, au point 106 de l'arrêt attaqué, que la requérante n'avait pas fourni d'éléments de preuve susceptibles de démontrer que la Commission avait commis une erreur manifeste d'appréciation. Il ressort des points 108 et 109 de l'arrêt attaqué, que le Tribunal a, à cet égard, refusé de prendre en compte une étude produite par la société Z/Yen Ltd en novembre 1995, intitulée «Profitability Requirement Review - European Urea Fertilizer Industry», ainsi qu'une analyse du 3 mai 1995 produite par la société la Grande Paroisse, l'un des membres de la requérante, au motif que celles-ci avaient été présentées après l'adoption du règlement litigieux, en sorte que les institutions n'avaient pu les prendre en considération à l'époque où elles avaient adopté le règlement litigieux.

25 En outre, le Tribunal a, aux points 111 à 113 de l'arrêt attaqué, rejeté l'allégation de la requérante selon laquelle les droits de la défense auraient, en l'espèce, été violés, en relevant que, s'étant vu offrir la possibilité de faire connaître son point de vue, la requérante s'était contentée d'affirmer, en des termes généraux, qu'un bénéfice de l'ordre de 10 % serait plus raisonnable sans demander de précisions concernant une quelconque méthodologie pour le calcul de la marge bénéficiaire.

26 Enfin, le Tribunal a jugé, aux points 119 à 121 de l'arrêt attaqué, que les premier et deuxième moyens étaient inopérants puisque, à supposer même que la requérante ait été fondée à faire grief aux institutions d'avoir fixé une marge de dumping trop faible, il ne lui aurait pas été possible, en tout état de cause, d'obtenir l'annulation de l'article 1er du règlement litigieux, les institutions ayant, à juste titre, établi le droit antidumping au niveau nécessaire à l'élimination du préjudice causé par les pratiques de dumping émanant de la Russie.

Le pourvoi

27 La requérante demande l'annulation de l'arrêt attaqué sur les points de droit exposés dans le pourvoi et, si nécessaire, le renvoi de l'affaire devant le Tribunal. Elle demande également la condamnation du Conseil aux dépens des deux instances.

28 À l'appui de son pourvoi, la requérante invoque six moyens tirés, notamment, de la violation de l'obligation de motivation, de la violation des droits de la défense et de la dénaturation des éléments de preuve.

29 Le Conseil demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner la requérante aux dépens.

30 La Commission demande à la Cour de rejeter le pourvoi.

Sur le premier moyen

31 La requérante fait grief au Tribunal de ne pas avoir indiqué les motifs pour lesquels il n'a pas examiné les premier et deuxième moyens de droit développés par elle dans sa requête, violant ainsi un principe général de droit qui impose à toute juridiction l'obligation de motiver ses décisions en indiquant, notamment, les raisons qui l'ont amenée à ne pas retenir un grief formellement invoqué devant elle.

32 À cet égard, il convient tout d'abord de relever que le Tribunal a constaté, au point 116 de l'arrêt attaqué, que, selon le point 106 du règlement litigieux, le seuil d'élimination du préjudice était inférieur à la marge de dumping établie pour la Russie, en sorte que, conformément à l'article 13, paragraphe 3, du règlement de base, le droit antidumping définitif avait été institué au niveau du seuil d'élimination du préjudice.

33 Après avoir souligné, aux points 117 et 118 de l'arrêt attaqué, que cette conclusion n'avait pas été contestée par la requérante, pas plus que ne l'avait été la méthode suivie pour la fixation du droit, le Tribunal a constaté, au point 119 de cet arrêt, que les institutions avaient à juste titre établi le droit au niveau nécessaire à l'élimination du préjudice causé par les pratiques de dumping émanant de la Russie. Par conséquent, il a conclu, aux points 120 et 121, que les premier et deuxième moyens étaient inopérants puisque, à supposer même que la requérante ait été fondée à faire grief aux institutions d'avoir fixé une marge de dumping trop faible, il ne lui aurait pas été possible, en tout état de cause, d'obtenir l'annulation de l'article 1er du règlement litigieux.

34 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que l'obligation de motiver les arrêts, qui résulte des articles 33 et 46 du statut CE de la Cour de justice, n'a pas été violée, le Tribunal ayant clairement indiqué les raisons pour lesquelles il n'y avait plus lieu d'examiner les premier et deuxième moyens de la requérante.

35 Par conséquent, le premier moyen n'est pas fondé.

Sur le deuxième moyen

36 Par son deuxième moyen, la requérante fait grief au Tribunal d'avoir implicitement considéré qu'elle ne justifiait pas d'un intérêt relativement aux premier et deuxième moyens contenus dans sa requête.

37 À cet égard, il y a lieu de relever que, contrairement aux affirmations de la requérante, le Tribunal n'a pas considéré qu'elle ne justifiait pas d'un intérêt relativement aux premier et deuxième moyens contenus dans sa requête, mais que ces derniers étaient inopérants, ainsi qu'il ressort de manière explicite des points 120 et 121 de l'arrêt attaqué.

38 Or, dans le cadre d'un recours en annulation, le caractère inopérant d'un moyen soulevé renvoie à son aptitude, dans l'hypothèse où il serait fondé, à entraîner l'annulation que poursuit le requérant et non à l'intérêt que celui-ci peut avoir à introduire un tel recours ou encore à soulever un moyen déterminé, ces questions relevant respectivement de la recevabilité du recours et de celle du moyen.

39 Le deuxième moyen est, par conséquent, non fondé et doit être rejeté.

Sur le troisième moyen

40 La requérante relève que, contrairement à ce qui est affirmé au point 77 de l'arrêt attaqué, les producteurs communautaires n'ont jamais admis au cours de la procédure administrative qu'un ajustement de l'ordre de 5 % pourrait être acceptable. En outre, un tel ajustement ne figurerait dans aucune pièce du dossier.

41 La requérante estime, par conséquent, qu'il y a eu dénaturation des éléments de preuve ou, à tout le moins, erreur matérielle des constatations de fait du Tribunal.

42 À cet égard, il importe, tout d'abord, de rappeler que, en vertu des articles 168 A du traité CE (devenu article 225 CE) et 51, premier alinéa, du statut CE de la Cour de justice, un pourvoi ne peut s'appuyer que sur des moyens portant sur la violation de règles de droit, à l'exclusion de toute appréciation des faits. Le Tribunal est seul compétent, d'une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où l'inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d'autre part, pour apprécier ces faits (ordonnance du 17 septembre 1996, San Marco/Commission, C-19/95 P, Rec. p. I-4435, point 39).

43 Il résulte, également, d'une jurisprudence constante que l'appréciation, par le Tribunal, des éléments de preuve qui sont produits devant lui ne constitue pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (arrêt du 2 mars 1994, Hilti/Commission, C-53/92 P, Rec. p. I-667, point 42).

44 Sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si le point 77 de l'arrêt attaqué contient une constatation ou une appréciation des faits par le Tribunal, il suffit de constater que ce dernier s'est contenté de relever cet élément parmi d'autres éléments communiqués par le Conseil et n'en a pas tiré de conséquences juridiques particulières dans la suite de son raisonnement.

45 Il s'ensuit que le troisième moyen est inopérant et doit être rejeté comme non fondé.

Sur le quatrième moyen

46 En se référant aux points 66 et 67 de l'arrêt attaqué, la requérante estime que le Tribunal a dénaturé les éléments de preuve qui lui étaient présentés.

47 En effet, selon la requérante, le Tribunal a rejeté les analyses qui lui avaient été présentées après avoir, à tort, considéré qu'elles comparaient l'urée «ex-factory» en Russie et l'urée communautaire tandis que, en réalité, les analyses avaient été effectuées sur le marché communautaire, ainsi qu'il avait d'ailleurs été indiqué, au cours tant de la procédure administrative que de la procédure devant le Tribunal.

48 À cet égard, il convient de relever que, contrairement aux allégations de la requérante, le Tribunal ne s'est pas prononcé, aux points 66 et 67 de l'arrêt attaqué, sur la pertinence des analyses techniques et chimiques qui lui avaient été soumises, cette question étant abordée au point 75 de cet arrêt.

49 Le Tribunal a constaté, au point 75 de l'arrêt attaqué, que l'information fournie par la requérante destinée à établir que la composition physique et chimique de l'urée russe est analogue à celle de l'urée fabriquée dans la Communauté était d'une valeur tout à fait secondaire pour la détermination d'un niveau d'ajustement spécifique, sans pour autant indiquer que les analyses qui lui avaient été présentées comparaient l'urée à la sortie de l'usine en Russie et l'urée communautaire.

50 Il résulte de ce qui précède qu'il n'a pas été démontré que le Tribunal a dénaturé les éléments de preuve qui lui ont été présentés. Dans ces conditions, le quatrième moyen doit être rejeté comme non fondé.

Sur le cinquième moyen

51 La requérante fait valoir que le Tribunal a effectué une qualification juridique erronée des faits en affirmant que ses droits de la défense n'avaient pas été violés.

52 La requérante estime qu'elle n'a pas été en mesure de faire effectivement connaître son point de vue sur les renseignements qui avaient conduit la Commission à opérer un ajustement de 10 % au titre des différences de qualité entre l'urée russe et l'urée communautaire.

53 Selon la requérante, elle aurait dû recevoir l'intégralité des renseignements fournis à la Commission au cours de la procédure administrative afin de pouvoir démontrer qu'ils n'avaient aucune valeur probante. À cet égard, la requérante fait notamment valoir que les importateurs qui ont coopéré au cours de la procédure ne pouvaient pas être considérés comme suffisamment représentatifs, dans la mesure où ils représentaient seulement 1,5 % des importations de l'urée et que leurs déclarations orales devant la Commission étaient totalement contradictoires.

54 À cet égard, il y a lieu de constater que la requérante a été informée par la Commission que l'ajustement était une moyenne des informations obtenues des divers importateurs, commerçants et distributeurs actifs dans le commerce d'urée originaire tant de Russie que de la Communauté. La Commission a également informé la requérante qu'elle avait appris d'un importateur que, lors d'une transaction, une remise de 19 % avait été réclamée et accordée au titre des différences de qualité. Ainsi qu'il ressort des points 12 à 15 du présent arrêt, la requérante a été en mesure de présenter des observations sur ces renseignements.

55 Dans ces circonstances, c'est à bon droit que le Tribunal a constaté, au point 87 de l'arrêt attaqué, que la requérante avait été informée au cours de la procédure antidumping des principaux faits et considérations sur la base desquels les institutions avaient fondé leurs conclusions.

56 Dès lors, il y a lieu de constater que les droits de la défense de la requérante n'ont pas été violés.

57 Il s'ensuit que le cinquième moyen doit être rejeté comme non fondé.

Sur le sixième moyen

58 La requérante fait enfin grief au Tribunal de ne pas avoir retenu l'étude réalisée par la société Z/Yen Ltd, au motif que cette étude n'avait été présentée qu'après l'adoption du règlement litigieux et que les institutions n'avaient donc pas pu prendre cet élément en considération à l'époque où elles avaient adopté ledit règlement.

59 Selon la requérante, le droit d'une personne directement et individuellement concernée de présenter des arguments devant le Tribunal ne peut pas être restreint simplement parce que, alors qu'elle aurait pu soumettre ses arguments au cours de la procédure administrative, elle ne l'a pas fait.

60 À cet égard, il convient de relever que, dans le cadre d'un recours en annulation fondé sur l'article 173 du traité CE (devenu, après modification, article 230 CE), il n'appartient pas au Tribunal de procéder à un réexamen au fond du règlement litigieux, mais de vérifier l'absence d'erreur manifeste d'appréciation de son auteur.

61 L'appréciation du Conseil à l'issue de la procédure administrative en matière antidumping porte, selon l'article 12, paragraphe 1, du règlement de base, sur la constatation définitive des faits. Il s'ensuit que le Tribunal pouvait, dans le cadre de son contrôle juridictionnel, se limiter à vérifier si le Conseil n'avait pas commis d'erreur manifeste d'appréciation des faits dont il avait connaissance au moment de l'adoption du règlement litigieux. C'est donc à bon droit que le Tribunal a considéré qu'il n'y avait pas lieu de tenir compte de l'étude réalisée ultérieurement par la société Z/Yen Ltd.

62 Le sixième moyen doit, par conséquent, être rejeté.

63 Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que les moyens présentés par la requérante à l'appui de son pourvoi sont non fondés.

64 Il convient, dans ces conditions, de rejeter le pourvoi.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

65 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, rendu applicable à la procédure de pourvoi par l'article 118, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant conclu à la condamnation de la requérante et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens. La Commission supportera ses propres dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR

(sixième chambre)

déclare et arrête:

66 Le pourvoi est rejeté.

67 European Fertilizer Manufacturers Association (EFMA) est condamnée aux dépens.

68 La Commission des Communautés européennes supportera ses propres dépens.