Conclusions de l'avocat général Alber présentées le 29 septembre 1999. - Procédure pénale contre André Mazzoleni et Inter Surveillance Assistance SARL, civilement responsable, en présence de Eric Guillaume et autres. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal correctionnel d'Arlon - Belgique. - Libre prestation des services - Affectation temporaire de travailleurs pour l'exécution d'un contrat - Directive 96/71/CE - Salaire minimal garanti. - Affaire C-165/98.
Recueil de jurisprudence 2001 page I-02189
A - Introduction
1. La présente procédure préjudicielle introduite par le Tribunal correctionnel d'Arlon (Belgique) concerne l'interprétation des dispositions du traité sur la libre prestation de services [articles 59 du traité CE (devenu, après modification, article 49 CE) et 60 du traité CE (devenu article 50 CE)] et de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services , en vue de déterminer si un entrepreneur français aurait dû verser le salaire minimal belge à des travailleurs détachés en Belgique. Une procédure pénale est pendante devant cette juridiction à charge d'un employeur établi en France au motif qu'il a méconnu les dispositions belges sur le salaire minimal dans le secteur du gardiennage. Pendant la période du 1er janvier 1996 au 14 juillet 1997, cet employeur a affecté du personnel de surveillance provenant de France dans une galerie commerciale située en Belgique.
2. L'employeur prévenu est gérant de la société de surveillance «Inter Surveillance Assistance SARL» dont le siège est situé en France. Durant la période considérée, treize travailleurs affectés par son entreprise à des travaux de surveillance dans la galerie commerciale «Cora» à Messancy n'ont pas perçu le salaire minimal fixé par les articles 2 et 3 de la convention collective de travail du 14 juin 1993 conclue au sein de la commission paritaire n° 317 et rendue obligatoire par arrêté royal du 1er mars 1995.
3. Le salaire de base que ces personnes ont perçu pour leur travail en Belgique s'élevait à 6 692 FRF par mois (pour 169 heures), c'est-à-dire environ 40 152 BEF, alors que le barème belge se serait élevé à 356, 68 BEF l'heure, soit 60 278 BEF par mois.
4. Il ressort de la demande de décision préjudicielle que le ministère public estime que la loi belge, qui impose le respect de salaires minimaux, s'applique à titre de loi de police et de sûreté , même pour des personnes détachées temporairement sur le territoire belge.
5. L'employeur considère en revanche qu'il ne doit respecter que les salaires minimaux français. Il a par ailleurs fait valoir durant la procédure devant la juridiction de renvoi que la spécificité de la mission de surveillance implique un déplacement du personnel pour éviter qu'il ne soit trop facilement reconnu par la clientèle. On serait donc en présence de services reposant sur des prestations à temps partiel. La directive 96/71 ne s'appliquerait pas en cas de travail dans des zones frontalières, dans lesquelles un salarié peut être amené à effectuer dans la journée, dans la semaine ou dans le mois, une partie de son service sur un territoire limitrophe.
6. En ce qui concerne les faits, il y a lieu de considérer en l'espèce que certains des treize travailleurs concernés étaient occupés à temps plein en Belgique, alors que d'autres n'y étaient occupés qu'une partie du temps et ont par ailleurs aussi effectué des prestations de travail en France.
7. Pour sa défense, l'entrepreneur poursuivi fait par ailleurs valoir que les travailleurs concernés bénéficieraient en vertu du système français de la même protection ou d'une protection essentiellement comparable à celle prévue par le système belge. Si les salaires minimaux français sont certes inférieurs, le système fiscal français est plus favorable. Il y a lieu de tenir compte de la situation d'ensemble.
8. La juridiction de renvoi conclut que l'on ne peut exclure que le régime français, s'il peut ou doit être appréhendé dans sa complexité et sa totalité, est de nature à écarter les risques notables d'exploitation des travailleurs et d'altération de la concurrence. La juridiction de renvoi défère par conséquent les questions suivantes à titre préjudiciel à la Cour :
«1) La directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil de l'Union européenne du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services englobe-t-elle, sous la notion de période de détachement, celle du temps partiel, aléatoire ou non, d'un travailleur frontalier, provenant d'une entreprise d'un État membre, passant au fil des jours, des semaines, ou du mois une partie de son service de prestations sur le ou les territoires limitrophes d'un ou de plusieurs autres États membres ?
2) Les articles 59 et 60 du Traité de l'Union européenne doivent-ils être interprétés dans le sens que constitue une violation de ces articles le fait pour un État membre d'imposer, pour des raisons impérieuses d'intérêt général, le respect de sa législation ou de conventions collectives de travail nationales relatives aux salaires minimaux, à toute entreprise d'un autre État membre faisant prester, même temporairement, à des personnes un travail salarié sur le territoire du premier État, alors que cet intérêt est déjà assuré par les règles de l'État où le prestataire est établi et que les travailleurs y sont dans une situation comparable ou similaire, sur base, non de la seule réglementation relative aux salaires minimaux, mais de la situation d'ensemble (incidence fiscale, protection sociale relative à la maladie, y compris au titre de l'assurance complémentaire obligatoire en France, aux accidents de travail, au veuvage, au chômage, à la retraite, au décès);
3) dans le même cadre, en d'autres termes: les sujétions nationales transitoires imposées à un salarié doivent-elles s'entendre du seul taux de paiement du salaire minimal horaire sans appréciation de la situation de protection sociale d'ensemble dont bénéficie le salarié amené à travailler d'un État à un autre?»
9. L'auditorat du travail d'Arlon, les gouvernements belge, français, allemand, néerlandais, autrichien et la Commission ont participé à la procédure. Nous reviendrons aux arguments des parties dans le cadre de notre appréciation juridique.
B- Analyse
I - Question préliminaire relative à la recevabilité de la première question de la demande de décision préjudicielle
10. Les gouvernements français, allemand, néerlandais ont des doutes sur la recevabilité de la première question de la demande de décision préjudicielle. Cette question concerne l'interprétation de la directive 96/71 alors que le délai de transposition de la directive n'expire, conformément à son article 7, que le 16 décembre 1999. Les faits litigieux se sont tous produits avant cette date. Avant l'expiration du délai de transposition, un particulier ne peut invoquer aucun droit tiré de la directive. Étant donné que, dans le cadre d'une procédure préjudicielle, la Cour n'est compétente que pour répondre à des questions qui présentent un intérêt pour l'issue du litige au principal, les gouvernements français et allemand estiment que la première question est irrecevable. Le gouvernement néerlandais suggère de demander des renseignements complémentaires sur l'utilité de la question.
11. Le gouvernement belge considère, en revanche, qu'il convient d'apprécier l'application des articles 59 et 60 du traité CE aux situations de détachement de travailleurs en libre prestation de services à la lumière de la directive. Selon lui, la directive s'inscrit dans le prolongement de la jurisprudence en cette matière. Elle concrétise les règles impératives de protection minimale que doivent respecter les employeurs et identifie le corps de règles touchant à la protection des intérêts des travailleurs. Les faits litigieux se sont en outre déroulés en partie avant et en partie après l'adoption de la directive. La juridiction de renvoi a explicitement sollicité à ce propos une interprétation de la notion de «détachement».
12. Force est de reconnaître que le délai de transposition de la directive n'a pas encore expiré à ce jour. Il ressort aussi de la jurisprudence de la Cour qu'un particulier ne peut invoquer directement une directive avant l'expiration du délai de transposition . Tel ne semble cependant pas être le cas dans la procédure pénale au principal qui a donné lieu au présent renvoi. L'employeur prévenu a évoqué le champ d'application de la directive 96/71. La juridiction de renvoi s'est penchée sur cet élément et demande en l'occurrence de l'aide à la Cour pour préciser la notion de «détachement» afin d'apprécier les dispositions nationales applicables au regard du droit communautaire. D'une part, les dispositions du traité sont à cet égard applicables à titre de droit primaire. D'autre part, la directive est toutefois pertinente elle aussi. Même si le délai de transposition n'a pas encore expiré, elle constitue du droit communautaire contraignant pour les États membres.
La jurisprudence de la Cour reconnaît que, durant cette phase déjà, le droit national doit être interprété et appliqué dans toute la mesure du possible en conformité avec la directive. Cette position semble aussi correcte si les États membres se sont de toute façon déjà conformés au droit communautaire uniforme. Il doit a fortiori en aller ainsi en l'espèce, dès lors que ce sont en premier lieu les dispositions du traité relatives à la libre prestation de services qui s'appliquent. Le juge de renvoi souhaite dans ce contexte bénéficier de l'aide de la Cour en ce qui concerne l'interprétation et celle-ci ne doit pas la lui refuser. La demande de décision préjudicielle doit donc être jugée recevable sans aucune restriction.
II - Le fond de la demande de décision préjudicielle
13. La première question de la juridiction de renvoi doit, dans ces circonstances, être examinée dans son contexte. Il n'y a de sens de faire intervenir les dispositions de la directive que dans le cadre de l'examen des articles 59 et 60 du traité.
14. Les parties à la procédure arrêtent aussi leur position à l'égard des questions de la juridiction de renvoi en les plaçant dans leur contexte de fait et de droit, de sorte qu'il est opportun de revenir sur la position qu'elles adoptent à l'égard de chacune d'entre elles, à l'endroit de notre analyse où elle s'avère pertinente pour des raisons systématiques.
15. En généralisant, on peut dire que l'objet de l'analyse est une appréciation, au regard du droit communautaire, d'une réglementation nationale qui impose aux prestataires de services d'un autre État membre de verser le salaire minimal applicable au lieu de la prestation. Il faut par ailleurs souligner une particularité du cas d'espèce, à savoir que l'obligation de respecter le salaire minimal et les sanctions prévues pour assurer son application ont certes été prévues par la loi , tandis que les salaires minimaux eux-mêmes et leur niveau ont été fixés dans le cadre d'une convention collective de travail déclarée obligatoire .
16. L'article 60, troisième alinéa, du traité est libellé comme suit:
«Sans préjudice des dispositions du chapitre relatif au droit d'établissement, le prestataire peut, pour l'exécution de sa prestation, exercer, à titre temporaire, son activité dans le pays où la prestation est fournie, dans les mêmes conditions que celles que ce pays impose à ses propres ressortissants» .
17. Le principe de l'égalité de traitement avec les nationaux ainsi formulé plaide en principe pour l'application aux prestataires étrangers de conventions nationales relatives aux salaires minimaux. Il n'est cependant pas contesté en droit communautaire et il est reconnu par la Cour que des dispositions nationales indistinctement applicables sont susceptibles de constituer, selon le cas d'espèce, une restriction à la libre prestation de services. D'après une jurisprudence constante, l'article 59 du traité «exige non seulement l'élimination de toute discrimination à l'encontre du prestataire de services établi dans un autre État membre en raison de sa nationalité, mais également la suppression de toute restriction, même si elle s'applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres États membres, lorsqu'elle est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les activités du prestataire établi dans un autre État membre, où il fournit légalement des services analogues...» . Ainsi, une charge économique supplémentaire est susceptible d'avoir un effet restrictif .
18. Une situation de ce type est envisageable dans les circonstances du présent cas d'espèce. Un employeur qui exploite une entreprise en zone frontalière et envoie ses travailleurs de façon irrégulière, à partir de l'État membre dans lequel il est établi, dans un autre État membre, voire dans un troisième État membre, ne serait pas seulement contraint de tenir compte de plusieurs barèmes différents pour rémunérer ses travailleurs, ce qui peut en soi seul déjà entraîner des surcoûts administratifs considérables, par exemple en ce qui concerne les décomptes destinés aux travailleurs, la comptabilité et le respect des obligations fiscales et sociales à l'égard des autorités compétentes de chacun des pays. Il devrait de plus, le cas échéant, supporter une charge économique beaucoup plus importante qui ne se limiterait pas à la seule différence entre les taux de salaire minimal. En effet, sur les salaires versés, il faut aussi habituellement encore acquitter des impôts et cotisations sociales (même si - du moins en partie - cette opération est faite au nom du travailleur). Même si, comme le préconisent explicitement certaines parties à la procédure, on se référait au critère du salaire brut, les cotisations patronales devant être versées en plus augmenteraient. Une obligation absolue de respecter les barèmes de salaire minimal qui sont applicables dans l'État membre où est réalisée la prestation de services est donc tout à fait susceptible de constituer une restriction à la libre prestation de services.
19. La Commission estime certes, en se référant aux arrêts Rush Portuguesa et Vander Elst de la Cour, que les dispositions relatives au salaire minimal ne doivent pas, en elles-mêmes, être considérées comme des restrictions. On ne peut cependant oublier à cet égard que, dans ces deux affaires, la question du respect des salaires minimaux n'était pas décisive pour la décision et que ce n'est qu'à titre d'obiter dictum que la Cour a évoqué les dispositions relatives au salaire minimal. Eu égard à la jurisprudence de la Cour selon laquelle des charges économiques supplémentaires ou des dispositions susceptibles de «rendre moins attrayantes» les activités d'un prestataire de services qui est établi dans un autre État membre ont un effet restrictif, il importe de partir de l'idée que les dispositions nationales litigieuses restreignent potentiellement la libre prestation de services.
20. Les restrictions qui découlent de dispositions applicables indistinctement doivent respecter quatre conditions pour être compatibles avec le droit communautaire et, donc, être justifiées: la disposition doit être appliquée de façon non discriminatoire. Elle doit être justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général. Elle doit être propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elle poursuit et elle ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre .
21. S'agissant de la condition relative à l'existence de raisons impérieuses d'intérêt général, la Cour a apporté la précision suivante: la libre prestation de services ne peut être limitée que par des réglementations justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général, dans la mesure où cet intérêt n'est pas sauvegardé par les règles auxquelles le prestataire est soumis dans l'État membre où il est établi .
22. L'appréciation des questions posées par la juridiction de renvoi se situe systématiquement dans le cadre d'un processus de mise en balance délimité par ces quatre conditions. Il faut à cet égard s'inspirer de quelques orientations législatives de la directive 96/71, qui peuvent en partie être considérées comme le résultat de ce processus de mise en balance. Elles peuvent en tout cas s'intégrer dans l'appréciation que doit apporter la Cour. De son côté, la directive doit respecter les objectifs du traité. Dans la mesure où la directive prescrit de prendre des orientations sous la forme d'un acte juridique, elle sert - comme l'ont indiqué les parties à la procédure - la sécurité juridique.
23. Indépendamment des effets de la directive dans le temps, il y a lieu de déterminer au préalable, si, en fait, elle doit s'appliquer à un cas d'espèce tel que celui du litige au principal. Certes, cette question préalable n'est pas encore directement pertinente pour l'issue du litige au principal, étant donné que le délai de transposition n'a pas encore expiré. Elle est cependant importante pour l'authenticité des appréciations apportées sur des circonstances de fait comme celles du litige au principal.
III - Champ d'application de la directive
24. L'article 1er de la directive en définit le champ d'application. L'article 1er, paragraphe 1, dispose que:
«La présente directive s'applique aux entreprises établies dans un État membre qui, dans le cadre d'une prestation de services transnationale, détachent des travailleurs, conformément au paragraphe 3, sur le territoire d'un État membre.»
L'article 1er, paragraphe 3, sous a), est libellé comme suit:
«La présente directive s'applique dans la mesure où les entreprises visées au paragraphe 1 prennent l'une des mesures transnationales suivantes:
a) détacher un travailleur, pour leur compte et sous leur direction, sur le territoire d'un État membre, dans le cadre d'un contrat conclu entre l'entreprise d'envoi et le destinataire de la prestation de services opérant dans cet État membre, pour autant qu'il existe une relation de travail entre l'entreprise d'envoi et le travailleur pendant la période de détachement...».
25. Les éléments de fait du litige au principal relèvent sans difficulté de cette définition. L'entreprise de surveillance établie en France détache des travailleurs pour son compte et sous sa direction sur le territoire de la Belgique tandis qu'un contrat a été conclu entre l'entreprise d'envoi et la galerie commerciale destinataire de la prestation de services et qu'il existe une relation de travail entre l'entreprise de surveillance et les travailleurs détachés. On peut donc considérer que les travailleurs en cause relèvent du champ d'application personnel de la directive.
26. Les conditions de travail et d'emploi visées par la directive, c'est-à-dire son champ d'application matériel, sont précisées en son article 3. L'article 3, paragraphe 1, premier alinéa, dispose que:
«Les États membres veillent à ce que, quelle que soit la loi applicable à la relation de travail, les entreprises visées à l'article 1er, paragraphe 1, garantissent aux travailleurs détachés sur leur territoire les conditions de travail et d'emploi concernant les matières visées ci-après qui, dans l'État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté, sont fixées:
- par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives
et/ou
- par des conventions collectives ou sentences arbitrales déclarées d'application générale au sens du paragraphe 8, dans la mesure où elles concernent les activités visées en annexe:
a) les périodes maximales de travail et les périodes minimales de repos;
b) la durée minimale des congés annuels payés;
c) les taux de salaire minimal y compris ceux majorés pour les heures supplémentaires; le présent point ne s'applique pas aux régimes complémentaires de retraite professionnels;
d à g)...» .
27. Toutefois, les activités évoquées au deuxième tiret de l'article précité et énumérées en annexe concernent seulement celles du secteur de la construction; treize types déterminés de travaux de construction sont explicitement énumérés.
L'annexe de la directive précise explicitement:
«Les activités visées à l'article 3 paragraphe 1 deuxième tiret englobent toutes les activités dans le domaine de la construction qui visent la réalisation, la remise en état, l'entretien, la modification ou l'élimination de constructions, et notamment les travaux suivants:
1) excavation
...
13) assainissement.»
28. Les activités de surveillance litigieuses qui sont à l'origine du litige au principal ne relèvent naturellement pas de cette énumération. Étant donné que les taux de salaire minimal belge dans le secteur de la surveillance ont été fixés par convention collective, cette matière ne relève pas non plus en soi du champ d'application matériel de la directive. L'article 3, paragraphe 10, précise cependant:
«La présente directive ne fait pas obstacle à ce que les États membres, dans le respect du traité, imposent aux entreprises nationales et aux entreprises d'autres États, d'une façon égale:
- ...
- des conditions de travail et d'emploi fixées dans des conventions collectives ou sentences arbitrales au sens du paragraphe 8 et concernant des activités autres que celles visées à l'annexe.»
29. Telle que se présente la situation juridique belge à l'origine du litige au principal , elle relève de ce cadre. La directive serait ainsi matériellement applicable également en raison de l'intervention du législateur national.
30. Le litige au principal porte sur l'interprétation et l'application des dispositions nationales ainsi décrites; la juridiction nationale doit les confronter aux paramètres juridiques communautaires que la Cour est appelée à préciser. Les quatre conditions énumérées par la Cour et que doit remplir une disposition nationale pour ne pas être qualifiée de restriction prohibée à la libre prestation de services sont déterminantes.
IV - Examen des conditions fixées par la Cour à l'égard des réglementations nationales
31. Tout d'abord, la disposition nationale en cause doit être appliquée de façon non discriminatoire. Il faut partir du principe que cette condition est remplie en l'espèce. En toute hypothèse, cette question n'est pas contestée et ne fait pas non plus l'objet d'un autre type de controverse.
32. Il faut ensuite examiner si la réglementation est justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général. L'obligation de respecter le salaire minimal sert, d'une part, à assurer la protection des travailleurs et doit, d'autre part, faire obstacle aux distorsions de concurrence dans le secteur considéré. Il est fondamentalement reconnu que ces intérêts constituent des raisons impérieuses d'intérêt général . La Cour a ainsi déjà constaté dans l'arrêt qu'elle a rendu le 3 février 1982 dans l'affaire Seco et Desquenne & Giral à propos de salaires minimaux fixés par conventions collectives de travail :
«Il est constant que le droit communautaire ne s'oppose pas à ce que les États membres étendent leur législation ou les conventions collectives du travail conclues par les partenaires sociaux, relatives aux salaires minimaux, à toute personne effectuant un travail salarié, même de caractère temporaire, sur leur territoire, quel que soit le pays d'établissement de l'employeur, de même que le droit communautaire n'interdit pas aux États membres d'imposer le respect de ces règles par les moyens appropriés» .
33. Cette jurisprudence a été confirmée et renforcée à plusieurs reprises . Ainsi, la Cour a par exemple considéré dans l'arrêt Guiot que le droit communautaire ne s'oppose pas à ce que les États membres «étendent leur législation, ou les conventions collectives de travail conclues par les partenaires sociaux, relatives aux salaires minimaux à toute personne effectuant un travail salarié, même à caractère temporaire, sur leur territoire, quel que soit le pays d'établissement de l'employeur, et que le droit communautaire n'interdit pas davantage aux États membres d'imposer le respect de ces règles par les moyens appropriés» .
34. Une appréciation comparable doit être tirée de la directive 96/71 à propos des salaires minimaux. Dans la mesure où l'article 3, paragraphe 1, sous c), inclut les taux de salaire minimal parmi les conditions de travail et d'emploi garanties, les normes juridiques qui sont à la base de ces conditions sont fondamentalement reconnues comme étant des normes d'intérêt général pour la protection des travailleurs.
35. Comme nous l'avons déjà indiqué, la Cour a cependant précisé une condition dans le cadre de l'examen de dispositions justifiées par des raisons d'intérêt général, à savoir qu'une justification ne peut être retenue que dans la mesure où l'intérêt général n'est pas déjà sauvegardé par les dispositions auxquelles le prestataire est soumis dans l'État membre où il est établi .
36. Ce contexte explique la défense du prévenu dans le litige au principal et la deuxième question de la juridiction de renvoi. Son contenu se laisse brièvement synthétiser comme suit: une rémunération inférieure au salaire minimal applicable dans l'État membre et la branche concernée est-elle aussi incompatible avec le droit communautaire lorsque les travailleurs détachés bénéficient dans leur ordre juridique national d'un système de protection sociale et d'une législation fiscale comparable, voire plus favorable? Cette question laisse entendre que la contrepartie de la prestation de travail fournie n'est pas constituée du seul salaire. La question amène ainsi à se demander si, dans l'intérêt de l'équité matérielle, il ne serait pas opportun de porter une appréciation globale de la situation.
37. Les parties à la procédure défendent les positions suivantes.
L'auditorat du travail estime que seuls les salaires doivent être comparés, indépendamment de la façon - en espèces ou en nature - dont ils sont calculés.
38. Le gouvernement belge est d'avis que l'application des barèmes conventionnels en vigueur au lieu où la prestation est rendue est conforme au droit communautaire. Les règles de l'État d'envoi ne peuvent s'appliquer que si elles sont plus favorables. Tel n'est pas le cas en l'espèce. Il n'y a pas davantage de double charge pour l'employeur. Un salaire inférieur à celui applicable au lieu de la prestation ne serait déjà pas défendable pour des raisons tirées de l'égalité des conditions de concurrence.
L'attitude de la juridiction de renvoi laisse toutefois transparaître que le respect de dispositions relatives au salaire minimal peut, le cas échéant, provoquer une restriction à la libre prestation de services. Ce n'est que dans cette hypothèse qu'il importe de vérifier si les dispositions nationales pourraient être justifiées. C'est la raison pour laquelle le gouvernement belge soutient à titre subsidiaire que la comparaison doit uniquement porter sur chacun des domaines concernés par les dispositions protectrices. Les différents domaines ne sont pas mutuellement interchangeables, de sorte qu'il n'est pas approprié de porter une appréciation globale. De plus, un aperçu d'ensemble se heurterait à des difficultés pratiques insurmontables. À elle seule, la comparaison des salaires est déjà difficile.
39. Le gouvernement français soutient qu'une comparaison globale des systèmes nationaux en cause peut le cas échéant entraîner plus de difficultés qu'elle n'est susceptible d'en résoudre eu égard à la multiplicité des éléments devant être pris en compte. Il n'est pas non plus sûr du tout que le résultat d'une telle confrontation débouche sur le résultat souhaité par le prévenu au litige au principal ni qu'elle ne devrait pas conduire quand même au paiement du salaire minimal applicable en Belgique. En tout état de cause, une telle discussion n'a aucun sens étant donné que tant le droit français applicable que le droit belge ou bien même encore la directive 96/71 prévoient l'application d'un bloc entier de législation sociale, ce qui va à l'encontre d'un tri ou d'un choix entre divers éléments.
40. Le gouvernement allemand estime aussi qu'il ne saurait être question d'une comparaison globale des systèmes en cause et que seuls les salaires en tant que tels peuvent être comparés. Le salaire minimal en vigueur dans l'État membre où la prestation de services est rendue ne doit cependant s'appliquer que si, en vertu du barème applicable dans son État d'origine, le travailleur ne bénéficie pas déjà d'une rémunération de même niveau ou plus élevée. Il faut ainsi réaliser un bilan coûts/bénéfices, mais seuls les éléments comparables peuvent être comparés. Il est tout à fait exclu de comparer des salaires minimaux sur la base de critères qui ne relèvent même pas de la notion de conditions d'emploi et de travail. Les conditions d'emploi, d'une part, et la sécurité sociale, de l'autre, doivent par principe être séparées. Cette affirmation découle du vingt et unième considérant de la directive .
Enfin, le salaire minimal est un salaire brut. Ainsi, lors du contrôle du respect du salaire minimal, des questions de droit fiscal et de sécurité sociale pourraient acquérir - indirectement - de l'importance, parce que les montants à déduire du salaire brut sont régis par l'ordre juridique auquel est soumis le détachement en cause.
41. Le gouvernement autrichien se prononce en fin de compte aussi contre une comparaison globale. D'après la jurisprudence arrêtée à ce jour, aucune comparaison globale ne doit être entreprise. Les systèmes de sécurité sociale différents qui ont été évoqués ne sont pas une raison pour priver le travailleur détaché du salaire minimal. Seuls des éléments identiques doivent être comparés dans le cadre du bilan coûts/bénéfices qui doit être dressé. Du reste, c'est le salaire brut qui est déterminant. Enfin, les dispositions sociales et fiscales sont exclues de la directive.
42. Le gouvernement néerlandais souligne que, d'après la jurisprudence de la Cour, le respect des dispositions adoptées dans l'intérêt général ne s'impose que lorsque ces intérêts ne sont pas déjà garantis par les dispositions de l'ordre juridique de l'État d'envoi. L'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire Guiot revêt une importance particulière en l'espèce. Les critères de droits social et fiscal évoqués par la juridiction de renvoi sont susceptibles d'influencer le niveau du salaire minimal. Il est donc élémentaire de constater s'il existe une protection comparable. Chaque domaine doit cependant être considéré en lui-même. En ce sens, il s'agit en l'espèce du salaire minimal. Par salaire minimal, il faut entendre salaire brut. Enfin, l'obligation de respecter les dispositions adoptées dans l'intérêt général dans l'État membre où la prestation est exécutée n'est proportionnée que lorsque les intérêts protégés ne sont pas déjà suffisamment garantis dans l'ordre juridique du pays d'envoi du prestataire.
43. Enfin, la Commission estime que c'est le salaire effectivement payé qui doit être comparé. La directive 96/71 ne concerne ni le droit de la sécurité sociale ni le droit fiscal. Le salaire qui doit être pris en compte est le salaire brut.
44. Conformément à ce qu'ont avancé les parties à la procédure, nous considérons qu'il importe de dresser un bilan coûts/bénéfices, sans pour autant choisir d'orientation précise . En fin de compte, chacun s'accorde à dire que ce sont les taux de salaire minimal qui doivent être comparés, cette position étant largement étayée par des considérations d'ordre pratique. Dans ce cadre, c'est finalement le salaire brut qui doit être déterminant, dans la mesure où le salaire net dépend essentiellement de la situation personnelle du travailleur.
45. Il semble cependant exister une certaine incertitude qui se traduit par exemple par le fait que la Commission parle du salaire effectivement payé et que le gouvernement allemand reconnaît que les législations fiscales et sociales peuvent aussi - indirectement - revêtir de l'importance. Ces opinions sont l'expression d'une problématique générale qui se reflète aussi partiellement dans la directive 96/71. L'article 3, paragraphe 1, deuxième alinéa, précise :
«Aux fins de la présente directive, la notion de taux de salaire minimal, visée au second tiret point c) est définie par la législation et/ou la pratique nationale(s) dans l'État membre sur le territoire duquel le travailleur est détaché.»
46. L'article 3, paragraphe 7, est libellé comme suit:
«Les paragraphes 1 à 6 ne font pas obstacle à l'application de conditions d'emploi et de travail plus favorables pour les travailleurs.
Les allocations propres au détachement sont considérées comme faisant partie du salaire minimal, dans la mesure où elles ne sont pas versées à titre de remboursement des dépenses effectivement encourues à cause du détachement, telles que les dépenses de voyage, de logement ou de nourriture» .
47. L'article 3, paragraphe 1, sous c), précise de façon déterminante:
«les taux de salaire minimal, y compris ceux majorés pour les heures supplémentaires; le présent point ne s'applique pas aux régimes complémentaires de retraite professionnels».
48. Comme le révèle l'exposé des motifs du Conseil dans sa position commune (CE) n° 32/96 , cette disposition a été débattue. La proposition de la Commission avait un autre contenu. Il est précisé dans l'exposé des motifs:
«point c) (taux de salaire minimal):
- la référence aux compléments de salaire n'a pas été retenue,
- par contre, la non-application du point c) aux régimes complémentaires de retraite professionnels a été prévue».
49. L'ensemble de ces éléments sont l'expression d'une difficulté que le gouvernement belge a précisée explicitement lorsqu'il a constaté que, à elle seule, la comparaison du salaire est déjà compliquée. D'un point de vue systématique, il faut partir de l'idée que les prestations de sécurité sociale peuvent d'autant moins être incluses dans une comparaison générale des salaires qu'elles sont exclues du champ d'application de la directive 96/71 . Une remarque comparable doit s'appliquer aux dispositions fiscales. Il s'agit de matières qui doivent être clairement distinguées l'une de l'autre et qui, de surcroît, relèvent de compétences différentes. Enfin, des considérations pragmatiques, telles qu'elles sont évoquées dans les positions des parties à la procédure, ne doivent pas être écartées du débat.
50. Il faut donc en principe partir de l'idée que, dans le cadre du bilan coûts/bénéfices requis par le droit communautaire, seuls les taux de salaire brut doivent être comparés. On n'ignore pas ce faisant que, selon le système fiscal et de sécurité nationale applicables, il n'est pas possible de parvenir à une égalité de traitement absolue. On peut cependant considérer que cette solution est conforme au système et qu'elle constitue le «moindre mal». Du point de vue de la protection des travailleurs, le niveau salarial est une grandeur objective et, en termes d'égalité des conditions de concurrence, c'est un critère défendable.
51. Même si les considérants de la directive parlent exclusivement de protection des travailleurs, les discussions politiques qui ont eu lieu lors de l'adoption de la directive ont aussi montré - et cela soit simplement dit en passant - que le critère de l'égalité de concurrence doit, dans ce contexte, être largement assimilé à la protection de l'économie nationale et qu'il n'est donc pas entièrement dépourvu d'un caractère protectionniste. Les coûts supplémentaires (substantiels) supportés le cas échéant pour l'entreprise d'envoi peuvent cependant, dans un cas particulier - même si cela ne se traduit pas directement lors du bilan coûts/bénéfices - jouer un rôle lors de l'examen du caractère raisonnable de la mesure.
52. En ce qui concerne la réponse à apporter à la question préjudicielle, il y a lieu de constater à titre intermédiaire que seuls les salaires peuvent être comparés.
53. Il importe d'examiner la troisième des quatre conditions énumérées par la Cour que doit remplir une disposition nationale adoptée dans l'intérêt général pour être conforme au droit communautaire, à savoir qu'elle soit propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elle poursuit. Dans le contexte du présent cas d'espèce nous pouvons dire sans restrictions que cette condition est remplie. La protection du travailleur est assurée lorsque, à l'issue du bilan coûts/bénéfices , celui-ci perçoit le salaire plus élevé, c'est-à-dire, le cas échéant, celui qui est applicable à l'endroit où la prestation est exécutée. De plus, le niveau salarial général appliqué localement est respecté, de sorte que les distorsions de concurrence découlant d'un dumping salarial sont exclues.
54. Il nous reste enfin à examiner la quatrième et dernière des conditions, à savoir le caractère nécessaire et raisonnable de la mesure. Les préoccupations évoquées lors de la discussion relative aux critères à prendre en considération dans le cadre du bilan coûts/bénéfices à propos du caractère raisonnable d'une obligation de verser le salaire minimal applicable au lieu et dans le secteur considéré alors qu'elle s'accompagne, le cas échéant, de charges économiques supplémentaires substantielles, prennent davantage de relief en cas de prestations de courte durée ou de faible ampleur. C'est dans le cadre de ces circonstances de fait que s'inscrit la première question du juge de renvoi. Celui-ci y sollicite explicitement l'interprétation de la notion de «période de détachement». La question est encore précisée en ce sens que le juge souhaite savoir si cette notion englobe aussi celle du temps partiel, aléatoire ou non. Cette notion de «temps partiel» ne doit pas être comprise dans le sens classique d'une occupation à temps partiel, comme le reste de la question permet de le déduire, le juge utilisant la locution «passant au fil des jours, des semaines ou du mois une partie de son service de prestations».
55. L'application obligatoire du taux de salaire horaire du lieu où la prestation est accomplie pourrait, en de pareilles circonstances, être particulièrement lourde, dans la mesure où, lors du décompte du salaire, les barèmes de salaire minimal de différents États membres pourraient devoir être appliqués pour une seule et même période, avec toutes les difficultés administratives qui en découlent.
56. Les positions adoptées par les parties à la procédure à l'égard de cette question de la juridiction de renvoi sont les suivantes.
Le gouvernement belge part de l'idée que la notion de «détachement» est une notion générale. Elle s'applique à des cas d'espèce tels que celui du litige au principal, même en cas de prestations à temps partiel. Ni la durée de la prestation de services ni le caractère fractionné de la prestation, pas plus que la circonstance que la fourniture de la prestation a lieu dans une zone frontalière ne font obstacle à l'application de la directive. Cette façon de voir est étayée par les dispositions de la directive, qui prévoit peu d'exceptions, aucune d'entre elles ne visant des situations comme celle du litige au principal.
57. Le gouvernement français, qui examine uniquement la première question préjudicielle à titre subsidiaire, parce qu'il la juge irrecevable, précise tout d'abord que, dans le cadre de l'examen du caractère nécessaire de dispositions nationales - en particulier de sanctions -, il faut avoir égard au fait que la libre prestation de services ne soit pas privée de son «effet utile» . Le gouvernement français constate alors que, en vertu de la jurisprudence et du contenu de la directive, il faut par principe partir de l'idée que les conventions collectives sont applicables. La directive a une composante sociale, dans la mesure où elle prescrit une harmonisation des dispositions protectrice par le haut, mais elle répond aussi à une préoccupation économique, dans la mesure où elle vise à empêcher les distorsions de concurrence. Le principe de l'égalité de traitement exige que les travailleurs détachés d'une entreprise établie dans un autre État membre puissent profiter dans les mêmes conditions du salaire minimal fixé par la législation nationale de l'État membre de la prestation. En répondant concrètement à la question posée, le gouvernement français soutient que la directive n'établit aucune distinction quant aux modalités d'exercice de l'activité du travailleur détaché, c'est-à-dire selon qu'il effectue une activité à temps plein ou à temps partiel.
58. Le gouvernement allemand, qui ne répond lui aussi à la première question qu'à titre subsidiaire, estime que les États membres pourraient à certaines conditions limiter aussi le principe de la libre prestation de services au-delà du champ d'application de la directive. Le droit national peut ainsi s'appliquer obligatoirement, même en cas d'emploi à temps partiel. De son côté, la directive ne prévoit que peu d'exceptions.
59. Le gouvernement autrichien est d'avis que l'objectif de politique sociale consistant à garantir le niveau de salaire minimal à tout travailleur occupé sur le territoire d'un État membre s'oppose à une limitation de cette obligation au seul travailleur à temps plein. Dans le cas contraire, l'objectif de la directive pourrait être contourné. C'est la raison pour laquelle tant les travailleurs à temps partiel que ceux occupés dans des régions frontalières doivent être couverts par cette règle. Le délai de transposition de la directive 96/71 n'est certes pas encore arrivé à expiration. Toutefois, d'après la directive, le respect du niveau de salaire minimal constitue même une obligation. Seuls les cas explicitement visés par la directive peuvent faire l'objet d'une dérogation et aucune exception n'est prévue pour les travailleurs à temps partiel.
60. Le gouvernement néerlandais souligne que le champ d'application de la directive est défini à son article 1er, paragraphe 3. La durée de la prestation ne joue à cet égard aucun rôle. La directive prévoit cependant des dérogations définitives et facultatives qui en permettent une application relativement souple.
61. La Commission évoque elle aussi l'article 1er, paragraphe 3, de la directive, ainsi que la position commune du Conseil et de la Commission . D'après ce document, la directive doit trouver à s'appliquer dans un cas tel que celui de l'espèce. La durée de la prestation n'en constitue pas une condition d'application. Le fait que la prestation soit réalisée dans le cadre d'une occupation à temps partiel est ainsi dénué de pertinence.
62. Comme l'ont aussi fait valoir les parties à la procédure, il y a lieu de constater que l'occupation à temps partiel n'est en toute hypothèse pas exclue explicitement du champ d'application de la directive. Une telle dérogation globale comporterait aussi le risque que des dispositions contraignantes ne soient contournées, ainsi que le souligne à juste titre le gouvernement autrichien.
63. On ne peut toutefois pas ignorer que la notion de «détachement à temps partiel» utilisée par la juridiction de renvoi ne l'a pas été dans le sens classique d'une «occupation à temps partiel». On ne saurait donc exclure que les particularités d'une répartition du temps de travail de travailleurs que l'on charge d'effectuer leurs prestations de travail sur différents sites entraînent aussi certains problèmes typiques qui nécessitent une appréciation autonome. La durée et l'ampleur de la prestation à accomplir peuvent donc sans conteste jouer un rôle déterminant.
64. L'économie générale de la directive prouve de son côté ces particularités. Le législateur communautaire a identifié la problématique et il en a tenu compte sous la forme d'une solution de compromis. Cette solution réside dans les dispositions dérogatoires de la directive relatives à un détachement de courte durée ou à une activité de faible ampleur. L'analyse de ces dispositions fournit des éclaircissements sur le point de vue du législateur à l'égard de ces situations spéciales.
65. Tout d'abord, l'article 3, paragraphe 2, de la directive comporte une exception contraignante à propos du congé annuel payé et du taux de salaire minimal (pour certains travaux), lorsque la durée du détachement n'excède pas huit jours. Ainsi, il apparaît en l'occurrence sans aucune équivoque que la durée du détachement peut être déterminante pour l'application de la directive.
66. Ensuite, l'article 3, paragraphes 3 à 5, comporte des exceptions facultatives. Les exceptions des paragraphes 3 et 4 concernent la durée du détachement, celles du paragraphe 5, l'ampleur des travaux.
En vertu de l'article 3, paragraphe 3 , les États membres peuvent exclure l'application des taux de salaire minimal - sauf en cas de travail intérimaire - lorsque la durée du détachement n'est pas supérieure à un mois. C'est donc uniquement la durée du détachement qui est déterminante pour cette exception potentielle.
En vertu de l'article 3, paragraphe 4 , les États membres peuvent abandonner l'exercice de la compétence qui leur est conférée à l'article 3, paragraphe 3, aux partenaires sociaux, ceux-ci étant alors en droit d'exclure l'application du salaire minimal en cas de détachement ne dépassant pas un mois ou de déroger à une décision de principe prise par l'État membre.
67. L'article 3, paragraphe 5, qui concerne l'ampleur du détachement, précise en son premier alinéa que, dans les cas visés à l'article 1er, paragraphe 3, points a) et b), les États membres peuvent prévoir une dérogation aux dispositions relatives aux périodes minimales de repos et au salaire minimal en cas de faible ampleur des travaux à effectuer.
L'article 3, paragraphe 5, deuxième alinéa, prévoit que les États membres qui font usage de la faculté visée au premier alinéa fixent les modalités auxquelles les travaux à effectuer doivent répondre pour être considérés comme étant de faible ampleur.
68. Ainsi, en cas de travaux de faible ampleur, les périodes minimales de congé et le salaire minimal peuvent être exclus de la directive, les États membres étant seuls compétents pour définir les travaux «de faible ampleur». Les États membres disposent donc en l'occurrence d'une marge de manoeuvre relativement grande pour déroger à la directive.
69. Les dispositions dérogatoires précitées sont motivées de la façon suivante au seizième considérant de la directive:
«considérant que, en outre, il convient d'assurer une certaine souplesse dans l'application des dispositions concernant les taux de salaire minimal et la durée minimale des congés annuels payés; que, lorsque la durée du détachement ne dépasse pas un mois, les États membres peuvent, sous certaines conditions, déroger aux dispositions concernant les taux de salaire minimal ou prévoir la possibilité de dérogation par voie de conventions collectives; que, en cas de faible ampleur des travaux effectués, les États membres peuvent déroger aux dispositions concernant les taux de salaire minimal et la durée minimale des congés annuels payés» .
70. L'exposé des motifs du Conseil relatif à la position commune arrêtée le 3 juin 1996 fournit des éclaircissements sur les antécédents et la genèse des dispositions dérogatoires. Il est précisé au point III.2.1, sous g), Non application des dispositions concernant la durée minimale des congés annuels payés et les taux de salaire minimal (article 3 paragraphes 2 à 5):
«En ce qui concerne la non-application, sous certaines conditions, des dispositions concernant la durée minimale des congés annuels payés et les taux de salaire minimal, le Conseil a réalisé un compromis entre, d'une part, la position de la Commission et de certaines délégations qui demandaient la non-application obligatoire aux détachements de durée inférieure à un seuil déterminé et, d'autre part, la position des autres délégations qui souhaitaient soit l'application obligatoire dès le premier jour du détachement soit la non-application facultative aux détachements de courte durée.
Le compromis réalisé par le Conseil comporte notamment les éléments suivants:
- non-application obligatoire des dispositions concernant la durée minimale des congés annuels payés et les taux de salaire minimal dans le cas de travaux de montage initial et/ou de première installation d'un bien qui ne concernent pas le secteur de la construction, lorsque la durée du détachement n'est pas supérieure à huit jours (article 3 paragraphe 2),
- non-application facultative au détachement de travailleurs pour le compte et sous la direction de l'entreprise d'envoi ou au sein d'un groupe:
- après consultation des partenaires sociaux, ou suite à une convention collective, des dispositions concernant les taux de salaire minimal, lorsque la durée du détachement n'est pas supérieure à un mois (article 3 paragraphes 3 et 4),
- en raison de la faible ampleur des travaux à effectuer, des dispositions concernant la durée minimale des congés annuels payés et les taux de salaire minimal (article 3 paragraphe 5)».
71. Un aperçu de l'ensemble de ces raisons permet d'affirmer que, en tout cas, les taux de salaire minimal ne doivent pas être appliqués en toute hypothèse et de façon absolue. Il est certes plausible, comme l'ont fait valoir certaines parties à la procédure, que l'existence des dérogations laisse penser que l'on doit partir du principe que les dispositions en cause sont incluses dans le champ d'application de la directive. On ne saurait d'un autre côté ignorer que seul le secteur de la construction relève de façon obligatoire du champ d'application de la directive et que ce n'est qu'en vertu de l'article 3, paragraphe 10, que les États membres doivent agir de façon positive pour désigner d'autres activités relevant de la directive.
72. On ne peut donc en aucune façon partir de l'idée que les taux de salaire minimal sont régulièrement applicables en toute circonstance. Il est donc tout à fait possible de réaliser une analyse coûts/bénéfices avant d'appliquer les taux de salaire minimal de façon obligatoire, et ce d'autant plus que le délai de transposition n'est pas encore arrivé à expiration; il n'est pas encore sûr pendant cette période que le législateur national fera usage des dispositions dérogatoires alors que, d'après la volonté manifeste du législateur communautaire, une telle option est ouverte.
73. Cela signifie dans le présent cas d'espèce que le juge national est appelé à procéder à cette analyse coûts/bénéfices dans laquelle il doit mettre en balance les bénéfices pour le travailleur concerné et les coûts particuliers supportés par l'employeur au regard de la durée et de l'ampleur des travaux effectués.
74. Il n'appartient certes pas à la Cour de porter cette appréciation. Dans le présent cas d'espèce, certains éléments plaident cependant en faveur d'une application obligatoire des taux de salaire minimal belges, puisque les faits litigieux se sont déroulés durant une période plus longue de plusieurs mois successifs, durant laquelle l'entreprise prévenue a effectué des prestations régulières. Il ressort aussi du dossier que, au cours de la période litigieuse, six à sept des treize travailleurs ont été occupés à temps plein tandis que, en tout cas, les autres travailleurs ont réalisé l'essentiel de leurs prestations de travail sur le territoire belge . Ainsi, dans le cadre d'une inspection sur place, un planning portant sur une période de plusieurs mois a par exemple été consulté .
75. Lorsqu'un employeur est en mesure d'établir un planning détaillé pour de longues périodes, on peut aussi s'attendre à ce qu'il précise les heures prestées sur chaque site par les travailleurs concernés. Cela ne représente certainement pas une surcharge administrative considérable. Dès lors qu'un décompte correct des heures prestées a été effectué, il y aussi lieu de rétribuer les travailleurs aux tarifs locaux. Il incombe cependant à la juridiction de renvoi de tirer en droit les conclusions qui s'imposent au regard des circonstances de fait réelles.
C - Conclusion
76. Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons de répondre comme suit aux questions préjudicielles:
«La notion de période de détachement visée à la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services, englobe aussi, en principe, celle du temps partiel d'un travailleur frontalier, provenant d'une entreprise d'un État membre, passant au fil des jours, des semaines ou du mois une partie de son service de prestations sur le ou les territoires limitrophes d'un ou de plusieurs autres États membres. Il y a cependant lieu à cet égard - du moins pendant la période précédant l'expiration du délai de transposition de la directive - de tenir compte des possibilités et orientations juridiques ouvertes par l'article 3, paragraphe 10, ainsi que par les paragraphes 3, 4 et 5 de l'article précité, lors de l'appréciation du cas d'espèce; ainsi, le juge national doit tout d'abord vérifier si le législateur national impose explicitement l'application des dispositions nationales sur le salaire minimal dans le secteur économique concerné aux prestataires établis dans un autre État membre et si leur application est opportune au regard de la durée et de l'ampleur des prestations fournies.
Le fait pour un État membre d'imposer, pour des raisons impérieuses d'intérêt général, le respect de sa législation ou de conventions collectives de travail national relatives aux salaires minimaux, à une entreprise d'un autre État membre faisant prester à des personnes, même temporairement, un travail salarié sur son territoire, ne viole pas les articles 59 du traité CE (devenu, après modification, article 49) et 60 du traité CE (devenu article 50 CE), à moins que l'intérêt général ne soit déjà garanti par les règles de l'État membre où le prestataire est établi. Le bilan coûts/bénéfices des différentes réglementations nationales qu'il faut dresser pour ce faire doit cependant se limiter à une comparaison des salaires minimaux bruts. D'autres facteurs qui peuvent certes influencer la situation économique d'un travailleur, mais qui résultent de la législation sociale et fiscale applicable, ne doivent pas être inclus dans la comparaison des salaires.»