ORDONNANCE DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

24 mars 1998

Affaire T-181/97

Huguette Meyer e.a.

contre

Cour de justice des Communautés européennes

«Fonctionnaires — Recours en annulation — Bulletin de rémunération — Recevabilité — Délais — Fait nouveau et substantiel — Forclusion»

Texte complet en langue française   II-481

Objet:

Recours ayant pour objet l'annulation des décisions explicites de rejet des demandes des requérantes tendant au remboursement de sommes déduites du montant de leur allocation de foyer, en application de l'article 67, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes, au titre de la prime de ménage perçue par leur conjoint en vertu de la convention collective des employés de banque luxembourgeois, et, pour autant que de besoin, des décisions du 17 mars 1997 portant rejet explicite de leurs réclamations.

Résultat:

Rejet.

Résumé de l'ordonnance

L'article 62, troisième alinéa, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (statut) prévoit que la rémunération des fonctionnaires comprend, entre autres, des allocations familiales. En vertu de l'article 67, paragraphe 1, du statut, les allocations familiales comprennent, notamment, l'allocation de foyer. D'après le paragraphe 2 de cet article, «les fonctionnaires bénéficiaires des allocations familiales [...] sont tenus de déclarer les allocations de même nature versées par ailleurs». Il est précisé que ces dernières allocations viennent en déduction de celles payées en vertu du statut.

Se fondant sur la règle anticumul de l'article 67, paragraphe 2, du statut, précitée, l'institution défenderesse déduit, jusqu'en juin 1996, de l'allocation de foyer à laquelle chacune des requérantes a droit en vertu du statut la prime de ménage allouée à leur conjoint, employé dans le secteur bancaire luxembourgeois, au titre de la convention collective en vigueur dans ce secteur.

Par arrêt du 11 juin 1996, Pavan/Parlement [T-147/95, RecFP p. II-861 (arrêt Pavan)], le Tribunal considère que la prime de ménage allouée aux employés des brasseries luxembourgeoises, en vertu de leur convention collective de travail, n'est pas une «allocation de même nature» que l'allocation de foyer, au sens de l'article 67, paragraphe 2, du statut. Agissant de concert avec les autres institutions communautaires établies à Luxembourg, la partie défenderesse fait savoir aux requérantes, par lettres du 19 juillet 1996, que, en application de l'arrêt Pavan, et à la lecture des conditions d'octroi de la prime de ménage prévue par la convention collective luxembourgeoise pour les employés de banque, elle constate «que cette prime ne peut plus être considérée comme étant de même nature que l'allocation de foyer», et qu'elle décide dès lors de ne plus procéder à sa déduction du montant de leur allocation de foyer, à compter du 1er juillet 1996.

Les requérantes introduisent, entre le 5 août et le 22 novembre 1996, des demandes identiquement libellées, au titre de l'article 90, paragraphe 1, du statut, tendant au remboursement de toutes les sommes déduites du montant de leur allocation de foyer au titre de la prime de ménage allouée à leur conjoint, majorées des intérêts moratoires. Ces demandes font l'objet de décisions explicites de rejet de la partie défenderesse, tout comme les réclamations au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut qui les suivent, au motif essentiel que les requérantes n'avaient pas attaqué dans les délais statutaires les actes leur faisant grief, à savoir les bulletins de rémunération dans lesquels les déductions contestées avaient été opérées, et que l'introduction par elles d'une demande de remboursement rétroactif au titre de l'article 90, paragraphe 1, du statut ne suffisait pas à ouvrir un nouveau délai de réclamation.

Sur la recevabilité

Dans le système des voies de recours instauré par les articles 90 et 91 du statut, un recours en indemnité, qui constitue une voie de droit autonome par rapport au recours en annulation, n'est recevable que s'il a été précédé d'une procédure précontentieuse conforme aux dispositions statutaires. Cette procédure diffère selon que le dommage dont la réparation est demandée résulte d'un acte faisant grief au sens de l'article 90, paragraphe 2, du statut ou d'un comportement de l'administration dépourvu de caractère décisionnel. Dans le premier cas, il appartient à l'intéressé de saisir, dans les délais impartis, l'autorité investie du pouvoir de nomination (AIPN) d'une réclamation dirigée contre l'acte en cause. Dans le second cas, en revanche, la procédure administrative doit débuter par l'introduction d'une demande au sens de l'article 90, paragraphe 1, du statut, visant à obtenir un dédommagement, et se poursuivre, le cas échéant, par une réclamation dirigée contre la décision de rejet de la demande (points 21 et 22).

Référenceà: Tribunal25 février 1992, Marcato/Commission, T-64/91, Rec. p. II-243, points 30 à 35; Tribunal 28 juin 1996, Y/Cour de justice, T-500/93, RecFP p. II-977, points 64 à 66; Tribunal 6 novembre 1997, Liao/Conseil, T-15/96, RecFP p. II-897, points 57 et 58

Le dommage dont la réparation est demandée résulte de la déduction de la prime de ménage litigieuse du montant de l'allocation de foyer à laquelle les requérantes ont droit, opérée par l'AIPN jusqu'en juin 1996, dans les fiches mensuelles de traitement des requérantes. Les bulletins de rémunération constituent des actes faisant grief et sont susceptibles de faire l'objet d'une réclamation et éventuellement d'un recours. La communication de la fiche mensuelle de traitement a pour effet de faire courir les délais de recours contre une décision administrative lorsque cette fiche fait apparaître clairement l'existence et la portée de cette décision. Tel est le cas de la fiche de rémunération révélant au fonctionnaire concerné une retenue effectuée, conformément à l'article 67, paragraphe 2, du statut, sur la base des renseignements qu'il a lui-même fournis à l'AIPN (points 23 à 26).

Référence à: Cour 21 février 1974, Schots-Kortner e.a./Conseil, Commission et Parlement, 15/73 à 33/73, 52/73, 53/73, 57/73 à 109/73, 116/73, 117/73, 123/73, 132/73 et 135/73 à 137/73, Rec. p. 177, point 18; Cour 4 juillet 1985, Allo/Commission, 176/83, Rec. p. 2155, point 13; Cour 22 septembre 1988, Canters/Commission, 159/86, Rec. p. 4859, point 6; Cour 27 juin 1989, Giordani/Commission, 200/87, Rec. p. 1877, point 13; Tribunal 1er octobre 1992, Schavoir/Conseil, T-7/91, Rec. p. II-2307, point 34; Tribunal 22 juin 1994, Di Marzio et Lebedef/Commission, T-98/92etT-99/92, RecFPp. II-541, point 24: Tribunal 29 janvier 1997, Adriaenssens e.a./Commission, T-7/94, RecFPp. II-l, point 29

En l'espèce, les requérantes sont forcloses à attaquer les bulletins de rémunération faisant apparaître les déductions litigieuses, dès lors qu'elles ne l'ont pas fait dans les délais statutaires (point 30).

Par ailleurs, la faculté d'introduire une demande au sens de l'article 90, paragraphe 1, du statut ne permet pas au fonctionnaire d'écarter les délais prévus par les articles 90 et 91 pour l'introduction de la réclamation et du recours, en mettant indirectement en cause, par le biais d'une demande, une décision antérieure qui n'avait pas été contestée dans les délais. Les délais de recours sont d'ordre public et ne sont à la discrétion ni du juge ni des parties. Seule l'existence de faits nouveaux et substantiels peut justifier la présentation d'une demande ou d'une réclamation tendant au réexamen d'une décision qui n'a pas été contestée dans les délais, étant entendu qu'un arrêt de la Cour ou du Tribunal annulant un acte n'est susceptible de constituer un tel fait qu'à l'égard des personnes concernées directement par l'acte annulé (points 31 à 36).

Référence à: Cour 17 juin 1965, Müller/Conseils CEE, CEEA et CECA, 43/64, Rec. p. 499, 515; conclusions avocat général M. Gand sous Cour 14 juillet 1965, Loebisch e.a./Conseils CEE, CEEA et CECA, 50/64, 51/64, 53/64, 54/64 et 57/64, Rec. p. 1015, 1027; Cour 14 décembre 1965, Pfloeschner/Commission, 52/64, Rec. p. 1211, 1219; Schots-Kortner e.a./Conseil, Commission et Parlement, précité, point 38; Cour 15 mai 1985, Esly/Commission, 127/84, Rec. p. 1437, point 10; Cour 13 novembre 1986, Becker/Commission, 232/85, Rec. p. 3401, point 8; Cour 8 mars 1988, Brown/Cour de justice, 125/87, Rec. p. 1619, point 13; Cour 14 juin 1988, Muysers et Tulp/Courdes comptes, 161/87, Rec. p. 3037, point 11 ; Tribunal 15 décembre 1995, Progoulis/Commission, T-131/95, RecFPp. II-907, point 41; Adriaenssens e.a./Commission, précité, points 27 et 28; Cour 17 juin 1997, National Power et PowerGen/Commission, C-151/97 P (I) et C-157/97 P (I), Rec. p. I-3491, point 73; Tribunal 11 juillet 1997, Chauvin/Commission, T-16/97, RecFP p. II-681, points 37 et 43

En l'espèce, les requérantes n'étaient pas parties au litige dans l'affaire Pavan et ne prétendent pas avoir été concernées directement par l'acte annulé dans cette affaire. L'arrêt Pavan ne saurait, dès lors, être considéré comme un fait nouveau substantiel susceptible de rouvrir le délai de réclamation à leur profit (point 37).

Dispositif:

Le recours est rejeté comme irrecevable.


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