61997J0391

Arrêt de la Cour du 14 septembre 1999. - Frans Gschwind contre Finanzamt Aachen-Außenstadt. - Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht Köln - Allemagne. - Article 48 du traité CE (devenu, après modification, article 39 CE) - Égalité de traitement - Non-résidents - Impôt sur le revenu - Barème d'imposition pour les couples mariés. - Affaire C-391/97.

Recueil de jurisprudence 1999 page I-05451


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


Libre circulation des personnes - Travailleurs - Égalité de traitement - Rémunération - Impôts sur le revenu - Réglementation nationale subordonnant, pour les couples mariés non-résidents, le bénéfice d'un avantage fiscal accordé aux couples résidents à une condition de seuils de revenus - Admissibilité - Conditions

(Traité CE, art. 48, § 2 (devenu, après modification, art. 39, § 2, CE))

Sommaire


$$L'article 48, paragraphe 2, du traité (devenu, après modification, article 39, paragraphe 2, CE) doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à l'application d'une réglementation d'un État membre qui à la fois reconnaît aux couples mariés résidents le bénéfice d'un avantage fiscal et subordonne l'octroi du même avantage fiscal aux couples mariés non-résidents à la condition que 90% au moins de leur revenu mondial soient soumis à l'impôt dans ledit État membre ou, si ce pourcentage n'est pas atteint, que leurs revenus de source étrangère non soumis à l'impôt dans cet État ne dépassent pas un certain plafond, en préservant ainsi la possibilité de prise en compte de leur situation personnelle et familiale dans leur État de résidence.

En effet, le fait pour un État membre de ne pas faire bénéficier un non-résident de certains avantages fiscaux qu'il accorde au résident n'est, en règle générale, pas discriminatoire, dans la mesure où, en matière d'impôts directs, la situation des résidents et celle des non-résidents dans un État ne sont, en règle générale, pas comparables. S'agissant précisément d'un couple marié non-résident dont l'un des conjoints travaille dans l'État d'imposition considéré et qui peut, en raison de l'existence d'une base imposable suffisante dans l'État de résidence, y voir prendre en compte par l'administration fiscale de ce dernier État sa situation personnelle et familiale, ce couple n'est pas dans une situation comparable à celle du couple marié résident, même si l'un des conjoints travaille dans un autre État membre.

Parties


Dans l'affaire C-391/97,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), par le Finanzgericht Köln (Allemagne) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Frans Gschwind

et

Finanzamt Aachen-Außenstadt,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 48 du traité CE (devenu, après modification, article 39 CE),

LA COUR,

composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, P. J. G. Kapteyn, G. Hirsch et P. Jann, présidents de chambre, C. Gulmann, J. L. Murray, D. A. O. Edward, H. Ragnemalm, L. Sevón, M. Wathelet (rapporteur) et R. Schintgen, juges,

avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,

greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

- pour M. Gschwind, par M. W. Kaefer, conseiller fiscal à Aix-la-Chapelle,

- pour le Finanzamt Aachen-Außenstadt, par M. J. Viehöfer, Regierungsdirektor au Finanzamt Aachen-Außenstadt,

- pour le gouvernement allemand, par MM. E. Röder, Ministerialrat au ministère fédéral de l'Économie, et C.-D. Quassowski, Regierungsdirektor au même ministère, en qualité d'agents,

- pour le gouvernement belge, par M. J. Devadder, directeur d'administration au service juridique du ministère des Affaires étrangères, du Commerce extérieur et de la Coopération au développement, en qualité d'agent,

- pour la Commission des Communautés européennes, par Mme H. Michard, membre du service juridique, assistée de M. A. Buschmann, fonctionnaire national mis à la disposition du service juridique, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de M. Gschwind, représenté par M. W. Kaefer, assisté de M. G. Saß, du Finanzamt Aachen-Außenstadt, représenté par M. E. Marx, Leitender Regierungsdirektor au Finanzamt Aachen-Außenstadt, du gouvernement allemand, représenté par M. C.-D. Quassowski, du gouvernement néerlandais, représenté par M. J. S. van den Oosterkamp, conseiller juridique adjoint au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, et de la Commission, représentée par M. A. Buschmann, à l'audience du 26 janvier 1999,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 11 mars 1999,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par ordonnance du 27 octobre 1997, parvenue à la Cour le 17 novembre suivant, le Finanzgericht Köln a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 48 du traité CE (devenu, après modification, article 39 CE).

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant M. Gschwind au Finanzamt Aachen-Außenstadt (ci-après le «Finanzamt»), à propos des conditions d'établissement de l'impôt sur les revenus salariaux perçus en Allemagne.

Le cadre juridique national

3 La législation allemande relative à l'impôt sur le revenu prévoit un régime d'imposition différent selon le lieu de résidence de l'assujetti. En vertu de l'article 1er, paragraphe 1, de l'Einkommensteuergesetz (loi relative à l'impôt sur le revenu, ci-après l'«EStG»), les personnes physiques qui ont leur domicile ou leur résidence habituelle en Allemagne y sont assujettis à l'impôt sur l'intégralité de leur revenu mondial («assujettissement intégral»). En revanche, selon le paragraphe 4 du même article, les personnes physiques qui n'ont ni domicile ni résidence habituelle en Allemagne ne sont assujetties à l'impôt que sur la partie de leurs revenus perçue en Allemagne («assujettissement partiel»). Conformément à l'article 49, paragraphe 1, point 4, de l'EStG, ces revenus de source allemande comprennent ceux tirés d'une activité salariée exercée en Allemagne.

4 Le législateur allemand a institué, en faveur des contribuables intégralement assujettis, mariés et non durablement séparés,un régime d'imposition conjointe, impliquant l'établissement d'une assiette commune combiné avec l'application de la procédure dite de «splitting» pour atténuer la progressivité du barème de l'impôt sur le revenu. A cet effet, selon l'article 26b de l'EStG, «les revenus perçus par les conjoints sont additionnés et leur sont imputés conjointement et, sauf disposition contraire, les conjoints sont alors traités comme un seul contribuable». En application de l'article 32a, paragraphe 5, de l'EStG, l'impôt sur le revenu pour des conjoints imposés ensemble «s'élève au double de l'impôt qui frappe la moitié de leur revenu imposable commun... (procédure de splitting)». Le revenu est donc imposé comme s'il était perçu pour moitié par chacun des époux. Cela implique, en cas de différence notable entre les revenus des époux, un allègement de l'imposition du couple. Par l'effet combiné de la procédure de «splitting» et de la progressivité de l'impôt allemand, cet allègement fiscal est, en principe, d'autant plus important que la disparité entre les revenus respectifs des époux est grande.

5 Cet avantage fiscal a été réservé, dans un premier temps, aux conjoints qui résidaient en Allemagne, même si l'un d'eux perçevait des revenus de source étrangère, ces derniers étant pris en compte pour le calcul du taux de l'impôt au titre de la progressivité.

6 Depuis la modification législative intervenue en 1995 en vue d'adapter le régime de l'impôt sur le revenu des non-résidents à la jurisprudence développée par la Cour dans ses arrêts du 14 février 1995, Schumacker (C-279/93, Rec. p. I-225), et du 11 août 1995, Wielockx (C-80/94, Rec. p. I-2493), l'assujetti marié qui ne possède ni domicile ni résidence habituelle en Allemagne et qui est ressortissant de l'un des États membres des Communautés européennes ou de l'une des parties contractantes à l'accord sur l'Espace économique européen peut demander, en vertu de l'article 1a, paragraphe 1, point 2, de l'EStG, à bénéficier de l'assiette d'imposition commune aux époux ainsi que du taux d'imposition, résultant de la procédure de «splitting» lorsque son conjoint réside dans l'un de ces États et

- que le revenu global des époux est soumis à l'impôt allemand sur le revenu à concurrence de 90 % au moins

- ou que leurs revenus non soumis à l'impôt allemand sur le revenu n'excèdent pas 24 000 DM pour l'année civile.

7 En effet, dans ces conditions, le droit allemand considère les époux, bien qu'ils n'aient ni domicile ni résidence habituelle en Allemagne, comme des contribuables intégralement assujettis. En tant que tels, ils bénéficient également des autres avantages fiscaux reconnus aux résidents au titre de la prise en compte de leur situation personnelle et familiale (charges de famille, dépenses de prévoyance et autres éléments ouvrant droit à des déductions et abattements fiscaux).

8 Aux termes des articles 26 et 26a de l'EStG, ces contribuables peuvent, en demandant à être imposés séparément, éviter la charge supplémentaire qui résulterait de l'application du «splitting» du fait de la progressivité (par exemple, lorsque le conjoint perçoit des revenus de source étrangère élevés).

Le litige au principal

9 M. Gschwind, de nationalité néerlandaise, réside avec sa famille aux Pays-Bas, près de la frontière allemande. Au cours des années 1991 et 1992, il exerçait une activité salariée à Aix-la-Chapelle (Allemagne), tandis que son épouse exerçait une activité salariée aux Pays-Bas.

10 Au cours de chacune de ces années, M. Gschwind a perçu des revenus salariaux imposables de l'ordre de 74 000 DM, représentant près de 58 % des revenus cumulés du ménage. Conformément à l'article 10, paragraphe 1, de la convention entre la République fédérale d'Allemagne et le royaume des Pays-Bas tendant à éviter la double imposition en ce qui concerne les impôts sur le revenu, les impôts sur la fortune et divers autres impôts, et à réglementer d'autres questions d'ordre fiscal, signée à La Haye le 16 juin 1959 (ci-après la «convention»), les revenus de M. Gschwind étaient imposables en Allemagne tandis que ceux de son épouse l'étaient aux Pays-Bas. Toutefois, en vertu de l'article 20, paragraphe 3, de la convention, les autorités fiscales néerlandaises étaient en droit d'inclure dans l'assiette de l'impôt les revenus imposables en Allemagne tout en défalquant de l'impôt ainsi calculé la partie de celui-ci correspondant aux revenus imposables en Allemagne.

11 A la suite de la modification du régime fiscal en 1995, applicable aux impôts non encore liquidés à la date à laquelle elle est intervenue, l'administration fiscale allemande a imposé, en 1997, les revenus de 1991 et de 1992 de M. Gschwind en tant que contribuable intégralement assujetti, mais l'a considéré comme s'il était célibataire, au motif que, conformément aux articles 1er, paragraphe 3, et 1a, paragraphe 1, point 2, de l'EStG, les revenus perçus par son épouse aux Pays-Bas excédaient à la fois le seuil absolu de non-incidence de 24 000 DM par an et le seuil relatif de 10 % des revenus cumulés du ménage. Cette liquidation a entraîné pour M. Gschwind une charge fiscale supplémentaire de 1 012 DM pour 1991 et de 724 DM pour 1992 par rapport à l'impôt qu'il aurait payé selon le barème applicable aux couples mariés, tel que prévu aux articles 26 et 26b de l'EStG, compte tenu du «splitting».

12 Sa réclamation contre les décisions de liquidation de l'impôt pour les années 1991 et 1992 ayant été rejetée, M. Gschwind a formé un recours devant le Finanzgericht Köln en faisant valoir que le refus d'appliquer le barème résultant de l'application du «splitting» à des ressortissants communautaires mariés, travaillant en Allemagne et résidant dans un autre État membre est contraire à l'article 48 du traité, ainsi qu'à la jurisprudence de la Cour résultant des arrêts Schumacker, précité, et du 27 juin 1996, Asscher, C-107/94, Rec. p. I-3089.

13 En vue de résoudre ce litige, le Finanzgericht Köln a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L'article 48 du traité CE s'oppose-t-il à ce que, en application des dispositions combinées de l'article 1er, paragraphe 3, deuxième phrase, et de l'article 1a, paragraphe 1, point 2, de l'Einkommensteuergesetz (loi allemande relative à l'impôt sur le revenu), un ressortissant néerlandais qui perçoit sur le territoire allemand des revenus salariaux imposables sans y posséder ni domicile ni résidence habituelle ainsi que son épouse non durablement séparée de lui, qui ne possède pas davantage de domicile ni de résidence habituelle sur le territoire fédéral et perçoit des revenus à l'étranger, ne soient pas traités, pour l'application de l'article 26, paragraphe 1, première phrase, de l'Einkommensteuergesetz (c'est-à-dire l'établissement de l'assiette commune de l'impôt) comme des contribuables intégralement assujettis au motif que le revenu global des époux pour l'année civile n'a pas été soumis à l'impôt allemand sur le revenu à concurrence de 90 % au moins et que leurs revenus non soumis à l'impôt allemand sur le revenu ont excédé 24 000 DM?»

14 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 48, paragraphe 2, du traité s'oppose à l'application d'une réglementation d'un État membre qui à la fois reconnaît aux couples mariés résidents le bénéfice d'un avantage fiscal, tel que celui résultant de l'application du régime du «splitting» et subordonne l'octroi du même avantage fiscal aux couples mariés non-résidents à la condition que 90 % au moins de leur revenu mondial soient soumis à l'impôt dans ledit État membre ou, si ce pourcentage n'est pas atteint, que leurs revenus de source étrangère non soumis à l'impôt dans cet État ne dépassent pas un certain plafond.

15 Selon le Finanzamt et les gouvernements allemand et néerlandais, la différence de traitement entre les résidents et les non-résidents en ce qui concerne l'application du «splitting» n'est pas contraire au droit communautaire. En effet, en subordonnant l'octroi de cet avantage aux non-résidents à la condition que le revenu global des époux soit soumis à l'impôt allemand sur le revenu à concurrence de 90 % au moins ou que leurs revenus non soumis à cet impôt n'excèdent pas 24 000 DM, le législateur allemand aurait tiré les conséquences de l'arrêt Schumacker, précité. Cet arrêt n'imposerait de reconnaître le bénéfice du «splitting» aux non-résidents que lorsque leur situation personnelle et familiale ne pourrait pas être prise en compte dans l'État de résidence, en raison du fait qu'ils perçoivent en Allemagne l'essentiel de leurs revenus et la quasi-totalité de leurs revenus familiaux.

16 Or, dans un cas tel que celui de l'espèce, où une part significative des revenus familiaux est perçue dans l'État de résidence du contribuable, ce dernier État serait en mesure de lui accorder les avantages, prévus par sa législation, résultant de la prise en compte de sa situation personnelle et familiale.

17 Le gouvernement belge estime, au contraire, qu'il n'existe aucune raison objective pouvant justifier qu'un couple de non-résidents se voie refuser le bénéfice du «splitting» au motif que les revenus de source étrangère du couple dépassent un plafond déterminé ou un pourcentage donné du revenu mondial du couple. En effet, le régime allemand du «splitting» n'aurait ni pour objectif ni pour effet de conférer un avantage fiscal, lié à la situation personnelle ou familiale d'un contribuable, qui risquerait d'être octroyé une seconde fois dans l'État de résidence. Il s'agirait davantage d'un mode de détermination du taux d'imposition, fondé sur la capacité contributive globale de la communauté économique que forme le couple.

18 Enfin, la Commission considère que, dès lors que l'État de résidence, en l'occurrence le royaume des Pays-Bas, a renoncé, en vertu d'une convention préventive de double imposition, à imposer les revenus salariaux du demandeur au principal, seul l'État d'emploi est en mesure de prendre en considération la situation personnelle et familiale du demandeur. En outre, un contribuable n'opterait pour le régime du «splitting» que dans l'État où est imposé le conjoint qui perçoit les revenus les plus élevés, car ce ne serait qu'ainsi que ce régime permettrait de diminuer le montant de l'impôt en atténuant la progressivité du barème. L'application du «splitting» ne pourrait donc conduire à un double allégement fiscal dû à la situation familiale du contribuable, à la fois dans l'État de résidence et dans l'État d'emploi. La Commission ajoute que la situation en cause au principal est objectivement comparable à celle d'un couple résidant en Allemagne dont l'un des conjoints perçoit, dans un autre État membre, des revenus salariaux exonérés de l'impôt allemand en vertu d'une convention préventive de double imposition, auquel le législateur allemand octroie pourtant le bénéfice du «splitting».

19 A titre subsidiaire, la Commission conteste que, au regard de la jurisprudence Schumacker, précitée, le législateur allemand ait pu valablement prévoir la prise en compte des revenus des deux conjoints aux fins de la vérification du respect des seuils de revenus. L'impôt allemand ne frappant que le seul revenu du demandeur au principal, auquel les revenus de l'épouse ne sont ajoutés que pour tenir compte de la progressivité et non pour imposer également ces revenus, la Commission doute qu'il soit cohérent de se fonder sur les revenus des deux conjoints, aux fins d'apprécier le seuil de 90 % des revenus.

20 Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que, si la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, il n'en reste pas moins que ces derniers doivent exercer celle-ci dans le respect du droit communautaire et, par conséquent, s'abstenir de toute discrimination ostensible ou déguisée fondée sur la nationalité (arrêts précités Schumacker, points 21 et 26, et Wielockx, point 16).

21 En vertu d'une jurisprudence constante, une discrimination consiste dans l'application de règles différentes à des situations comparables ou bien dans l'application de la même règle à des situations différentes.

22 En matière d'impôts directs, la situation des résidents et celle des non-résidents dans un État ne sont, en règle générale, pas comparables dans la mesure où le revenu perçu sur le territoire d'un État par un non-résident ne constitue le plus souvent qu'une partie de son revenu global, centralisé au lieu de sa résidence, et que la capacité contributive personnelle du non-résident, résultant de la prise en compte de l'ensemble de ses revenus et de sa situation personnelle et familiale, peut s'apprécier le plus aisément à l'endroit où il a le centre de ses intérêts personnels et patrimoniaux, ce qui correspond en général à sa résidence habituelle (arrêt Schumacker, précité, points 31 et 32).

23 Au point 34 de l'arrêt Schumacker, précité, la Cour a jugé que le fait pour un État membre de ne pas faire bénéficier un non-résident de certains avantages fiscaux qu'il accorde au résident n'est, en règle générale, pas discriminatoire, compte tenu des différences objectives entre la situation des résidents et celle des non-résidents, tant du point de vue de la source des revenus que de la capacité contributive personnelle ou de la situation personnelle et familiale.

24 La résidence constitue d'ailleurs le facteur de rattachement à l'impôt sur lequel se fonde, en règle générale, le droit fiscal international actuel, et notamment le modèle de convention de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en matière de double imposition, en vue de répartir entre les États la compétence fiscale, en présence de situations comportant des éléments d'extranéité.

25 C'est ainsi que, s'agissant d'un couple marié résidant aux Pays-Bas et dont l'un des conjoints travaille en Allemagne, si ce dernier État est, conformément à l'article 10, paragraphe 1, de la convention, seul compétent pour imposer les revenus salariaux perçus sur son territoire, le royaume des Pays-Bas, en tant qu'État de résidence, peut, en vertu de l'article 20, paragraphe 3, de la convention, inclure dans l'assiette de l'impôt les revenus imposables en Allemagne, tout en défalquant de l'impôt ainsi calculé la partie de celui-ci correspondant aux revenus imposables en Allemagne. A l'inverse, en vertu de l'article 20, paragraphe 2, de la convention, si l'État de résidence est la République fédérale d'Allemagne, celle-ci, tout en excluant de l'assiette de l'impôt les revenus imposables aux Pays-Bas, calcule le montant de l'impôt frappant les revenus imposables en Allemagne au taux applicable au revenu global du contribuable.

26 Dans ces conditions, il ne pourrait y avoir discrimination au sens du traité entre résidents et non-résidents que si, nonobstant leur résidence dans des États membres différents, il était établi que, au regard de l'objet et du contenu des dispositions nationales en cause, les deux catégories de contribuables se trouvent dans une situation comparable.

27 Selon la jurisprudence de la Cour, tel est le cas lorsque le non-résident ne perçoit pas de revenu significatif dans l'État de sa résidence et tire l'essentiel de ses ressources imposables d'une activité exercée dans l'État d'emploi. En effet, dans ces conditions, l'État de résidence n'est pas en mesure de lui accorder les avantages résultant de la prise en compte de sa situation personnelle et familiale, de telle sorte qu'il n'existe entre un tel non-résident et un résident exerçant une activité salariée comparable aucune différence de situation objective de nature à fonder une différence de traitement en ce qui concerne la prise en considération, aux fins de l'imposition, de la situation personnelle et familiale du contribuable (arrêt Schumacker, précité, points 36 et 37).

28 Il convient toutefois de constater qu'une situation telle que celle en cause au principal se distingue nettement de celle sur laquelle a porté l'arrêt Schumacker. En effet, les revenus de M. Schumacker constituaient la quasi-totalité des revenus de son foyer fiscal et ni lui ni son épouse n'avaient dans leur État de résidence des revenus significatifs permettant la prise en compte de leur situation personnelle et familiale. Or, par l'établissement, l'un en pourcentage, l'autre en montant absolu, de seuils de revenus respectivement imposables en Allemagne et non soumis à l'impôt allemand, la législation allemande tient précisément compte de la possibilité de prise en considération, sur une base imposable suffisante, de la situation personnelle et familiale des contribuables dans l'État de résidence.

29 En l'occurrence, compte tenu de ce que près de 42 % du revenu mondial du couple Gschwind sont perçus dans son État de résidence, ce dernier est en mesure de prendre en compte la situation personnelle et familiale de M. Gschwind selon les modalités prévues par la législation de cet État, puisque la base imposable y est suffisante pour permettre cette prise en compte.

30 Dans ces conditions, il n'est pas établi que, pour l'application des dispositions fiscales telles que celles en cause au principal, un couple marié non-résident dont l'un des conjoints travaille dans l'État d'imposition considéré et qui peut, en raison de l'existence d'une base imposable suffisante dans l'État de résidence, y voir prise en compte par l'administration fiscale de ce dernier État sa situation personnelle et familiale est dans une situation comparable à celle du couple marié résident, même si l'un des conjoints travaille dans un autre État membre.

31 Quant à l'argument de la Commission selon lequel, aux fins de la vérification des seuils de revenus, il ne serait pas cohérent de tenir compte des revenus des deux conjoints dès lors que la méthode de «splitting» ne serait appliquée qu'aux seuls revenus du contribuable non-résident, il suffit de constater que, bien que l'assujetti à l'impôt de l'État d'emploi soit l'individu et non le couple, une méthode de calcul du taux d'imposition comme celle du «splitting» repose, par nature, sur la prise en compte des revenus de chacun des conjoints.

32 Il découle de ce qui précède que l'article 48, paragraphe 2, du traité doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à l'application d'une réglementation d'un État membre qui à la fois reconnaît aux couples mariés résidents le bénéfice d'un avantage fiscal, tel que celui résultant de l'application du régime du «splitting», et subordonne l'octroi du même avantage fiscal aux couples mariés non-résidents à la condition que 90 % au moins de leur revenu mondial soient soumis à l'impôt dans ledit État membre ou, si ce pourcentage n'est pas atteint, que leurs revenus de source étrangère non soumis à l'impôt dans cet État ne dépassent pas un certain plafond, en préservant ainsi la possibilité de prise en compte de leur situation personnelle et familiale dans leur État de résidence.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

33 Les frais exposés par les gouvernements allemand, belge et néerlandais ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur la question à elle soumise par le Finanzgericht Köln, par ordonnance du 27 octobre 1997, dit pour droit:

L'article 48, paragraphe 2, du traité CE (devenu, après modification, article 39, paragraphe 2, CE) doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à l'application d'une réglementation d'un État membre qui à la fois reconnaît aux couples mariés résidents le bénéfice d'un avantage fiscal, tel que celui résultant de l'application du régime du «splitting», et subordonne l'octroi du même avantage fiscal aux couples mariés non-résidents à la condition que 90 % au moins de leur revenu mondial soient soumis à l'impôt dans ledit État membre ou, si ce pourcentage n'est pas atteint, que leurs revenus de source étrangère non soumis à l'impôt dans cet État ne dépassent pas un certain plafond, en préservant ainsi la possibilité de prise en compte de leur situation personnelle et familiale dans leur État de résidence.