61997J0329

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 16 mars 2000. - Sezgin Ergat contre Stadt Ulm. - Demande de décision préjudicielle: Bundesverwaltungsgericht - Allemagne. - Accord d'association CEE-Turquie - Libre circulation des travailleurs - Article 7, premier alinéa, de la décision nº 1/80 du conseil d'association - Membre de la famille d'un travailleur turc - Prorogation du permis de séjour - Notion de résidence régulière - Demande de prorogation d'un permis de séjour temporaire déposée après l'expiration de sa validité. - Affaire C-329/97.

Recueil de jurisprudence 2000 page I-01487


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


Accords internationaux - Accord d'association CEE-Turquie - Conseil d'association institué par l'accord d'association CEE-Turquie - Décision relative à la libre circulation des travailleurs - Regroupement familial - Accès des membres de la famille d'un travailleur turc appartenant au marché régulier de l'emploi d'un État membre à une activité salariée de leur choix dans cet État membre - Droit corrélatif à la prorogation du permis de séjour

(Décision n_ 1/80 du conseil d'association CEE-Turquie, art. 7, al. 1)

Sommaire


Un ressortissant turc, qui a été autorisé à entrer dans un État membre au titre du regroupement familial avec un travailleur turc appartenant au marché régulier de l'emploi de cet État, y a résidé légalement pendant plus de cinq années et y a exercé, avec certaines interruptions, différents emplois réguliers, ne perd pas le bénéfice des droits que lui confère l'article 7, premier alinéa, second tiret, de la décision n_ 1/80 du conseil d'association CEE-Turquie et, en particulier, le droit à la prorogation de son permis de séjour dans l'État membre d'accueil, alors même que son titre de séjour était périmé à la date à laquelle il a présenté une demande en vue de la prorogation de celui-ci qui a été refusée par les autorités nationales compétentes.

(voir point 67 et disp.)

Parties


Dans l'affaire C-329/97,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), par le Bundesverwaltungsgericht (Allemagne) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Sezgin Ergat

et

Stadt Ulm,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 7, premier alinéa, de la décision n_ 1/80, du 19 septembre 1980, relative au développement de l'association, adoptée par le conseil d'association institué par l'accord d'association entre la Communauté économique européenne et la Turquie,

LA COUR

(sixième chambre),

composée de MM. R. Schintgen (rapporteur), président de la deuxième chambre, faisant fonction de président de la sixième chambre, P. J. G. Kapteyn et G. Hirsch, juges,

avocat général: M. J. Mischo,

greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

considérant les observations écrites présentées:

- pour le gouvernement allemand, par M. E. Röder, Ministerialrat au ministère fédéral de l'Économie, en qualité d'agent,

- pour le gouvernement français, par Mmes K. Rispal-Bellanger, sous-directeur à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et A. de Bourgoing, chargé de mission à la même direction, en qualité d'agents,

- pour la Commission des Communautés européennes, par M. J. Sack, conseiller juridique, en qualité d'agent,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales du gouvernement allemand, représenté par M. W.-D. Plessing, Ministerialrat au ministère fédéral des Finances, en qualité d'agent, du gouvernement français, représenté par Mme A. de Bourgoing, et de la Commission, représentée par M. J. Sack, à l'audience du 22 avril 1999,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 3 juin 1999,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par ordonnance du 15 juillet 1997, parvenue à la Cour le 22 septembre suivant, le Bundesverwaltungsgericht a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), une question préjudicielle sur l'interprétation de l'article 7, premier alinéa, de la décision n_ 1/80 du conseil d'association, du 19 septembre 1980, relative au développement de l'association (ci-après la «décision n_ 1/80»). Le conseil d'association a été institué par l'accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, qui a été signé, le 12 septembre 1963, à Ankara par la république de Turquie, d'une part, ainsi que par les États membres de la CEE et la Communauté, d'autre part, et qui a été conclu, approuvé et confirmé au nom de la Communauté par la décision 64/732/CEE du Conseil, du 23 décembre 1963 (JO 1964, 217, p. 3685).

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant M. Ergat, ressortissant turc né en 1967, à la Stadt Ulm au sujet du refus de la prorogation de son permis de séjour en Allemagne.

La décision n_ 1/80

3 Les articles 6, 7 et 14 de la décision n_ 1/80 figurent au chapitre II de celle-ci, intitulé «Dispositions sociales», section 1, concernant les «Questions relatives à l'emploi et à la libre circulation des travailleurs».

4 L'article 6, paragraphe 1, est ainsi libellé:

«Sous réserve des dispositions de l'article 7 relatif au libre accès à l'emploi des membres de sa famille, le travailleur turc, appartenant au marché régulier de l'emploi d'un État membre:

- a droit, dans cet État membre, après un an d'emploi régulier, au renouvellement de son permis de travail auprès du même employeur, s'il dispose d'un emploi;

- a le droit, dans cet État membre, après trois ans d'emploi régulier et sous réserve de la priorité à accorder aux travailleurs des États membres de la Communauté, de répondre dans la même profession auprès d'un employeur de son choix à une autre offre, faite à des conditions normales, enregistrée auprès des services de l'emploi de cet État membre;

- bénéficie, dans cet État membre, après quatre ans d'emploi régulier, du libre accès à toute activité salariée de son choix.»

5 L'article 7 de la décision n_ 1/80 dispose:

«Les membres de la famille d'un travailleur turc appartenant au marché régulier de l'emploi d'un État membre, qui ont été autorisés à le rejoindre:

- ont le droit de répondre - sous réserve de la priorité à assurer aux travailleurs des États membres de la Communauté - à toute offre d'emploi lorsqu'ils y résident régulièrement depuis trois ans au moins;

- y bénéficient du libre accès à toute activité salariée de leur choix lorsqu'ils y résident régulièrement depuis cinq ans au moins.

Les enfants des travailleurs turcs ayant accompli une formation professionnelle dans le pays d'accueil pourront, indépendamment de leur durée de résidence dans cet État membre, à condition qu'un des parents ait légalement exercé un emploi dans l'État membre intéressé depuis trois ans au moins, répondre dans ledit État membre à toute offre d'emploi.»

6 L'article 14, paragraphe 1, prévoit:

«Les dispositions de la présente section sont appliquées sous réserve des limitations justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité et de santé publiques.»

L'affaire au principal

7 Il ressort du dossier de l'affaire au principal que, en octobre 1975, M. Ergat a été autorisé à entrer en Allemagne en vue de rejoindre ses parents qui y exerçaient chacun une activité salariée.

8 Depuis 1983, M. Ergat était titulaire dans cet État membre de permis de travail à durée déterminée et il y était employé, avec certaines interruptions, auprès de différents employeurs. Le 19 décembre 1989, il a obtenu un permis de travail pour une durée illimitée.

9 Conformément au droit national applicable lors de son entrée en Allemagne, M. Ergat n'était pas tenu de posséder un titre de séjour.

10 Sur sa demande, il lui a été délivré, en 1983, un permis de séjour valable pendant un an. Ce permis a été prorogé à quatre reprises, d'abord pour une période d'un an et ensuite, à chaque fois, pour deux années.

11 Il est constant que les autorités compétentes ont accordé les trois dernières prorogations nonobstant le fait que M. Ergat avait introduit sa demande après l'expiration de la durée de validité de son permis de séjour et que le retard a augmenté au cours des années, puisqu'il s'est élevé respectivement à neuf, quinze et vingt jours.

12 La validité du dernier permis de séjour de l'intéressé a expiré le 28 juin 1991.

13 M. Ergat a demandé une nouvelle prorogation de son permis de séjour par un formulaire signé le 10 juin 1991, mais parvenu au service des étrangers compétent seulement le 24 juillet suivant, soit vingt-six jours après l'expiration de la validité de son dernier titre de séjour.

14 Par décision du 22 janvier 1992, ledit service a rejeté cette demande comme tardive et, estimant que le séjour de M. Ergat n'était plus régulier après l'expiration de son permis, il a exigé son départ et a menacé de l'expulser.

15 Le recours administratif que l'intéressé a introduit à l'encontre de cette décision a été rejeté le 4 mai 1992.

16 M. Ergat, qui était retourné en Turquie au mois d'août 1992 pour ne rentrer qu'à l'automne 1993 en Allemagne, État membre où il est de nouveau employé depuis le mois de juin 1994, a alors introduit un recours juridictionnel contre les décisions de rejet des 22 janvier et 4 mai 1992.

17 Ce recours a été accueilli en première instance, mais il a été rejeté en appel.

18 Estimant qu'il avait droit à la prorogation de son permis de séjour sur le fondement de l'article 7, premier alinéa, de la décision n_ 1/80, M. Ergat a alors formé un recours en «Revision» devant le Bundesverwaltungsgericht.

19 Cette juridiction a constaté que M. Ergat n'avait aucun droit à la prorogation de son permis de séjour en vertu du droit allemand. Le Bundesverwaltungsgericht s'est toutefois demandé si l'intéressé ne pourrait pas tirer un droit de séjour de l'article 7, premier alinéa, de la décision n_ 1/80.

20 À cet égard, il ne serait cependant pas clair que la notion de résidence régulière à laquelle se réfère cette disposition signifie que le membre de la famille d'un travailleur turc doit encore être titulaire d'un permis de séjour valide dans l'État membre d'accueil à la date déterminante pour l'appréciation de la demande de prorogation de ce permis, lorsque l'intéressé possédait encore quelques semaines auparavant un titre de séjour valable et que, déjà avant l'expiration de ce dernier, il pouvait se prévaloir des droits conférés par l'article 7, premier alinéa, de la décision n_ 1/80.

La question préjudicielle

21 Estimant que, dans ces conditions, la solution du litige nécessitait une interprétation de cette disposition de la décision n_ 1/80, le Bundesverwaltungsgericht a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Un ressortissant turc qui, en tant que membre de la famille d'un travailleur turc appartenant au marché régulier de l'emploi, est entré en Allemagne sans devoir disposer d'un permis de séjour, selon le droit national des étrangers en vigueur lors de son entrée, et qui a été ensuite en possession de permis de séjour, avec des interruptions, qui a demandé la prorogation de son dernier permis de séjour 26 jours cependant après l'expiration de sa validité, remplit-il les conditions de l'article 7, premier alinéa, de la décision n_ 1/80 du conseil d'association CEE-Turquie relative au développement de l'association qui prévoit que ce ressortissant doit y résider `régulièrement depuis trois ans au moins' (premier tiret) ou y résider `régulièrement depuis cinq ans au moins' (deuxième tiret) lorsque les autorités nationales ont refusé la prorogation?»

22 À titre liminaire, il y a lieu de relever que cette question concerne la situation d'un ressortissant turc qui, en tant qu'enfant d'un couple de travailleurs migrants turcs appartenant au marché régulier de l'emploi d'un État membre, a été autorisé à les rejoindre sur le territoire de celui-ci au titre du regroupement familial et y sollicite la prorogation de son permis de séjour en invoquant l'article 7, premier alinéa, de la décision n_ 1/80.

23 La juridiction de renvoi a constaté que l'intéressé, bien qu'ayant été régulièrement occupé pendant certaines périodes dans l'État membre en question, ne peut pas se prévaloir de l'article 6 de la décision n_ 1/80, qui confère au travailleur migrant turc des droits progressivement plus étendus en matière d'emploi, en fonction de la durée et des modalités d'exercice d'une activité salariée dans l'État membre d'accueil. En effet, M. Ergat ne remplirait pas les conditions énoncées par cette disposition, en raison du fait que, à la date de la demande de prorogation de son permis de séjour dont la validité avait expiré en juin 1991, il n'aurait pas exercé un emploi régulier auprès du même employeur depuis au moins un an sans interruption.

24 En outre, il est constant que l'intéressé a commis en Allemagne plusieurs actes délictueux pour lesquels il a été condamné à des amendes pénales.

25 À cet égard, le Bundesverwaltungsgericht a toutefois considéré que le refus de prorogation du permis de séjour de M. Ergat ne saurait être justifié au regard de l'article 14, paragraphe 1, de la décision n_ 1/80. En effet, de même que pour les ressortissants des États membres, la notion d'ordre public au sens de cette disposition ne pourrait être invoquée que dans l'hypothèse où la présence de l'intéressé sur le territoire de l'État membre d'accueil constituerait une menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société. Or, dans l'affaire au principal, les infractions commises par M. Ergat ne seraient pas d'une gravité particulière et, au demeurant, elles auraient été réprimées par des amendes d'un montant réduit dans la grande majorité des cas.

26 S'agissant de l'article 7, premier alinéa, de la décision n_ 1/80, qui fait l'objet de la question préjudicielle, le gouvernement allemand a, lors de l'audience, contesté au préalable la qualité de membre de la famille d'un travailleur turc, au sens de cette disposition, d'un ressortissant turc se trouvant dans la situation de M. Ergat, au motif que, à la date à laquelle ce dernier a formulé sa demande de prorogation du permis de séjour, il aurait été majeur et aurait mené une existence indépendante en Allemagne.

27 À cet égard, il suffit de relever que, dans l'affaire au principal, il est constant que M. Ergat a obtenu, à l'âge de huit ans, l'autorisation de rejoindre ses parents en Allemagne qui y exerçaient à l'époque une activité salariée régulière, de sorte qu'il doit être considéré comme un membre de la famille d'un travailleur turc au sens de ladite disposition. Dans ces conditions, c'est à juste titre que la juridiction de renvoi est partie de la prémisse selon laquelle M. Ergat avait la qualité de membre de la famille d'un travailleur turc appartenant au marché régulier de l'emploi de l'État membre d'accueil.

28 Il y a lieu de constater en outre que, lorsque la validité de son dernier permis de séjour a expiré, en juin 1991, M. Ergat, qui avait bénéficié d'un droit de séjour en Allemagne aux fins du regroupement familial en application de l'article 7, premier alinéa, de la décision n_ 1/80, avait légalement séjourné sur le territoire de cet État membre pendant plus de quinze années et s'y trouvait dans une situation juridique stable et non précaire.

29 La circonstance que M. Ergat avait, à trois reprises entre 1985 et 1989, demandé la prorogation de son titre de séjour temporaire après l'expiration de celui-ci, de sorte qu'il n'était pas en possession d'un permis de séjour valide pendant de brèves périodes est, en tout état de cause, dénuée de pertinence à cet égard, dans la mesure où les autorités compétentes de l'État membre d'accueil n'ont pas mis en cause pour ce motif la régularité du séjour de l'intéressé sur le territoire national, mais lui ont au contraire à chaque fois délivré un nouveau permis de séjour (voir, en ce sens, arrêts du 17 avril 1997, Kadiman, C-351/95, Rec. p. I-2133, point 54, et du 30 septembre 1997, Ertanir, C-98/96, Rec. p. I-5179, point 69).

30 M. Ergat ayant ainsi résidé régulièrement en Allemagne pendant plus de cinq années consécutives, il relève du champ d'application de l'article 7, premier alinéa, second tiret, de la décision n_ 1/80, en vertu duquel il bénéficie dans l'État membre d'accueil du libre accès à toute activité salariée de son choix.

31 L'intéressé a au demeurant fait usage de cette faculté, puisque depuis 1983 il a exercé, avec certaines interruptions, diverses activités salariées couvertes par un permis de travail. Depuis 1989, M. Ergat est titulaire d'un permis de travail qui n'est assorti d'aucune limitation de durée ni d'aucune condition de quelque nature que ce soit.

32 Les autorités allemandes compétentes considèrent néanmoins qu'elles étaient en droit de refuser la prorogation du dernier permis de séjour temporaire de M. Ergat, au motif que celui-ci ne résidait plus régulièrement dans l'État membre d'accueil, au sens de l'article 7, premier alinéa, second tiret, de la décision n_ 1/80, en raison du fait qu'il avait demandé la prorogation de ce permis vingt-six jours après la date d'expiration de sa validité.

33 Dans ces conditions, il y a lieu de comprendre la question préjudicielle comme demandant en substance si un ressortissant turc, qui a été autorisé à entrer dans un État membre au titre du regroupement familial avec un travailleur turc appartenant au marché régulier de l'emploi de cet État, y a résidé légalement pendant plus de cinq années et y a exercé, avec certaines interruptions, différents emplois réguliers, perd le bénéfice des droits que lui confère l'article 7, premier alinéa, second tiret, de la décision n_ 1/80 et, en particulier, le droit à la prorogation de son permis de séjour dans l'État membre d'accueil, lorsque son titre de séjour était périmé à la date à laquelle il a présenté une demande en vue de la prorogation de celui-ci qui a été refusée par les autorités nationales compétentes.

34 En vue de répondre à cette question, il convient de rappeler d'emblée qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour que l'article 7, premier alinéa, de la décision n_ 1/80 a un effet direct dans les États membres, de sorte que les ressortissants turcs qui en remplissent les conditions peuvent se prévaloir directement des droits que leur confère cette disposition; en particulier, ils ont le droit, en vertu du premier tiret de ladite disposition, de répondre, sous réserve de la priorité à accorder aux travailleurs des États membres, à toute offre d'emploi après avoir résidé régulièrement dans l'État membre d'accueil depuis trois ans au moins et, selon le second tiret, d'accéder librement à toute activité salariée de leur choix après y avoir résidé régulièrement depuis cinq ans au moins (arrêt Kadiman, précité, points 27 et 28).

35 En outre, la Cour a également jugé que ledit article 7, premier alinéa, prévoit le droit pour les membres de la famille d'un travailleur turc appartenant au marché régulier de l'emploi d'un État membre d'y exercer une activité salariée après y avoir résidé régulièrement pendant un certain temps, sans pour autant affecter la compétence de l'État membre concerné d'autoriser les intéressés à rejoindre le travailleur turc qui y est régulièrement occupé et de réglementer leur séjour jusqu'au moment où ils ont le droit de répondre à toute offre d'emploi (arrêt Kadiman, précité, points 32 et 51).

36 La Cour en a inféré que l'article 7, premier alinéa, de la décision n_ 1/80 exige que le regroupement familial, qui a justifié l'entrée du membre de la famille sur le territoire de l'État membre d'accueil, se manifeste pendant un certain temps par une cohabitation effective en communauté domestique avec le travailleur, et que tel doit être le cas tant que l'intéressé ne remplit pas lui-même les conditions pour accéder au marché du travail dans cet État (arrêt Kadiman, précité, points 33, 37 et 40).

37 En conséquence, la Cour a interprété la décision n_ 1/80 en ce sens qu'elle ne s'oppose pas en principe à ce que les autorités d'un État membre subordonnent la prorogation du permis de séjour d'un membre de la famille d'un travailleur turc à la condition que l'intéressé mène effectivement avec ce travailleur une vie commune pendant la période de trois ans prévue par son article 7, premier alinéa, premier tiret (arrêt Kadiman, précité, points 41 et 44).

38 Il découle toutefois logiquement de l'arrêt Kadiman, précité, que les États membres ne sont plus en droit d'assortir ainsi de conditions le séjour d'un membre de la famille d'un travailleur turc au-delà de ladite période de trois ans.

39 À plus forte raison, doit-il en être ainsi pour un migrant turc qui, tel M. Ergat, remplit les conditions de l'article 7, premier alinéa, second tiret, de la décision n_ 1/80.

40 Aussi, tout au moins à partir du moment où le ressortissant turc visé à l'article 7, premier alinéa, bénéficie, après cinq années de résidence régulière au titre du regroupement familial avec le travailleur, du droit de libre accès à l'emploi dans l'État membre d'accueil conformément au second tiret de cette disposition, non seulement l'effet direct attaché à celle-ci a pour conséquence que l'intéressé tire un droit individuel en matière d'emploi directement de la décision n_ 1/80, mais, en outre, l'effet utile de ce droit implique nécessairement l'existence d'un droit corrélatif de séjour également fondé sur le droit communautaire et indépendant du maintien des conditions d'accès à ces droits (voir, par analogie, pour l'article 6, paragraphe 1, troisième tiret, de la décision n_ 1/80, arrêts du 20 septembre 1990, Sevince, C-192/89, Rec. p. I-3461, points 29 et 31, et du 23 janvier 1997, Tetik, C-171/95, Rec. p. I-329, points 26, 30 et 31; pour l'article 7, second alinéa, de la même décision, arrêts du 5 octobre 1994, Eroglu, C-355/93, Rec. p. I-5113, point 20, et du 19 novembre 1998, Akman, C-210/97, Rec. p. I-7519, point 24).

41 En effet, le droit inconditionnel d'accéder à n'importe quelle activité librement choisie par l'intéressé, de surcroît sans qu'une priorité des travailleurs des États membres puisse lui être opposée, prévu par l'article 7, premier alinéa, second tiret, de la décision n_ 1/80 serait vidé de toute substance si les autorités nationales compétentes avaient la possibilité de conditionner ou de restreindre de quelque manière que ce soit l'application des droits précis que le migrant turc s'est vu conférer directement par ladite décision (voir notamment, par analogie, arrêt du 30 septembre 1997, Günaydin, C-36/96, Rec. p. I-5143, points 37 à 39 et 50).

42 Si, en l'état actuel du droit communautaire, les États membres ont certes conservé la compétence de réglementer tant l'entrée sur leur territoire d'un membre de la famille d'un travailleur turc que les conditions de son séjour durant la période initiale de trois ans qui précède celle où il a le droit de répondre à toute offre d'emploi, ils ne disposent plus, en revanche, de la faculté d'adopter des mesures relatives au séjour de nature à entraver l'exercice des droits expressément conférés par la décision n_ 1/80 à l'intéressé qui en remplit les conditions et, de ce fait, est donc déjà régulièrement intégré à l'État membre d'accueil, étant donné que le droit de séjour est indispensable à l'accès et à l'exercice de toute activité salariée (voir, en ce sens, notamment arrêt Eroglu, précité, point 20).

43 Ainsi, l'objectif de la décision n_ 1/80, consistant à améliorer dans le domaine social le régime dont bénéficient les travailleurs et les membres de leur famille en vue de réaliser progressivement la libre circulation des travailleurs (voir, en dernier lieu, arrêt du 26 novembre 1998, Birden, C-1/97, Rec. p. I-7747, point 52), ne serait pas atteint si des restrictions imposées par un État membre, notamment en matière de séjour, pouvaient avoir pour effet de priver l'intéressé du bénéfice des droits que l'article 7, premier alinéa, second tiret, de ladite décision lui confère de manière inconditionnelle, précisément au moment où, par le libre accès à un emploi de son choix, il a la possibilité de s'insérer durablement dans l'État membre d'accueil.

44 Cette interprétation est, par ailleurs, confirmée par l'arrêt Akman, précité. Dans cet arrêt, relatif à l'article 7, second alinéa, de la décision n_ 1/80, réglementant le droit de libre accès à l'emploi des enfants des travailleurs turcs dans l'État membre où ils ont accompli une formation professionnelle, la Cour a en effet dit pour droit que, au moment où l'enfant a terminé ses études et acquiert le droit, conféré directement par ladite décision, d'accéder au marché de l'emploi de l'État membre d'accueil et, partant, d'y obtenir un titre de séjour à cette fin, il n'est pas nécessaire que le parent de cet enfant possède toujours la qualité de travailleur, ni même qu'il réside encore sur le territoire dudit État, dès lors que, dans le passé, il y a été régulièrement employé pendant au moins trois années.

45 Certes, ce droit de séjour en tant que corollaire du droit d'accéder au marché du travail et d'exercer effectivement un emploi n'est pas sans limites.

46 En premier lieu, l'article 14, paragraphe 1, de la décision n_ 1/80 ouvre lui-même aux États membres la possibilité d'apporter, dans des cas individuels et en présence d'une justification appropriée, des restrictions à la présence du migrant turc sur le territoire de l'État membre d'accueil lorsque, par son comportement personnel, il constitue un danger réel et grave pour l'ordre public, la sécurité ou la santé publiques.

47 La juridiction de renvoi a toutefois constaté que, dans l'affaire au principal, cette disposition ne fait pas obstacle à la prorogation du titre de séjour de M. Ergat.

48 En second lieu, le membre de la famille dûment autorisé à rejoindre un travailleur turc dans un État membre, mais qui quitte le territoire de l'État d'accueil pendant une période significative et sans motifs légitimes (voir, à cet égard, arrêt Kadiman, précité, point 48), perd en principe le statut juridique qu'il avait acquis au titre de l'article 7, premier alinéa.

49 Il en découle, d'une part, que les autorités de l'État membre concerné sont en droit d'exiger que, dans l'hypothèse où l'intéressé souhaite ultérieurement se réinstaller dans ledit État, il présente une nouvelle demande aux fins d'être autorisé soit à rejoindre le travailleur turc s'il dépend toujours de lui, soit à être admis en vue de travailler sur le fondement de l'article 6 de la décision n_ 1/80.

50 D'autre part, en cas de contestation, il incombe en règle générale au membre de la famille, qui entend se prévaloir des droits en matière d'emploi qui lui sont conférés par l'article 7, premier alinéa, sans qu'il dispose d'un titre de séjour valide, d'établir par tous les moyens qu'il est resté sur le territoire de l'État membre d'accueil ou qu'il ne l'a quitté que pour des motifs légitimes.

51 S'agissant du retour de M. Ergat en Turquie pendant environ une année à partir du mois d'août 1992, il convient toutefois de constater que, hormis le fait que cette circonstance postérieure à la date de la demande de prorogation du titre de séjour n'est, en tout état de cause, pas susceptible de justifier le rejet de celle-ci et qu'il n'est dès lors pas nécessaire de se demander si l'intéressé est parti de son propre gré ou à la suite de la menace d'expulsion dont il faisait l'objet, il est constant que les autorités allemandes compétentes n'ont pas subordonné sa réadmission en Allemagne à la délivrance d'une nouvelle autorisation d'entrée, si bien que M. Ergat a pu occuper un nouvel emploi sur le fondement du permis de travail d'une durée illimitée qu'il avait obtenu en 1989.

52 En ce qui concerne plus particulièrement une situation telle que celle au principal, dans laquelle l'État membre d'accueil a refusé de proroger le titre de séjour temporaire d'un ressortissant turc au motif qu'il avait cessé, pendant quelque temps, d'être titulaire d'un permis de séjour en cours de validité, il est vrai que les États membres ont la faculté d'exiger que les étrangers présents sur leur territoire, d'une part, possèdent un titre de séjour valide et, d'autre part, dans l'hypothèse où ce titre ne serait accordé que pour une durée déterminée, introduisent en temps utile une demande en vue de sa prorogation.

53 Ces obligations qui pèsent ainsi sur les étrangers répondent, pour l'essentiel, à des exigences inhérentes à la gestion administrative.

54 Le droit communautaire n'a pas écarté, en effet, la compétence des États membres en ce qui concerne les mesures destinées à assurer la connaissance exacte, par les autorités nationales, des mouvements de population affectant leur territoire (voir, par analogie, arrêt du 7 juillet 1976, Watson et Belmann, 118/75, Rec. p. 1185, point 17).

55 En outre, les États membres restent en principe compétents pour sanctionner la violation de telles obligations.

56 À cet égard, il résulte d'une jurisprudence constante, relative à l'inobservation des formalités requises pour la constatation du droit de séjour d'un individu protégé par le droit communautaire, que les États membres peuvent certes soumettre le non-respect des obligations de cette nature à des sanctions comparables à celles qui s'appliquent à des infractions nationales de moindre importance, mais ils ne sauraient cependant prévoir une sanction disproportionnée qui créerait une entrave à ce droit de séjour (voir, par analogie, arrêts du 3 juillet 1980, Pieck, 157/79, Rec. p. 2171, point 19, et du 12 décembre 1989, Messner, C-265/88, Rec. p. 4209, point 14).

57 Tel est notamment le cas d'une peine d'emprisonnement et, à plus forte raison, de l'expulsion qui constitue la négation même du droit de séjour conféré et garanti par la décision n_ 1/80 (voir, par analogie, arrêts précités Watson et Belmann, point 20, Pieck, point 19, et Messner, point 14).

58 Ainsi qu'il résulte déjà des points 40 à 43 du présent arrêt, les États membres n'ont pas, en revanche, le pouvoir de limiter le droit directement conféré au ressortissant turc par le droit communautaire d'accéder librement à toute activité professionnelle et, corrélativement, de séjourner à cet effet sur le territoire de l'État membre d'accueil, en refusant de proroger le permis de séjour de l'intéressé au motif que ce dernier avait introduit avec retard sa demande.

59 S'agissant de l'affaire au principal, il y a lieu de rappeler d'abord qu'il n'est pas contesté que M. Ergat remplit toutes les conditions pour bénéficier des droits conférés par l'article 7, premier alinéa, second tiret, de la décision n_ 1/80.

60 Il convient de relever ensuite que l'intéressé se trouvait dans une situation stable et non précaire à la date d'expiration de son dernier permis de séjour et qu'il en aurait obtenu la prorogation sans difficulté s'il avait introduit en temps utile sa demande à cet effet.

61 Il importe d'ajouter enfin que la délivrance d'un permis de séjour ne constitue pas, en tout état de cause, le fondement du droit de séjour, qui est directement conféré par la décision n_ 1/80, indépendamment de la délivrance, par les autorités de l'État membre d'accueil de ce document spécifique, lequel ne fait qu'attester l'existence d'un tel droit.

62 Il est en effet de jurisprudence constante que, aux fins de la reconnaissance du droit de séjour, le titre de séjour ne saurait avoir qu'une valeur déclaratoire et probante (voir, en ce sens, arrêt du 6 juin 1995, Bozkurt, C-434/93, Rec. p. I-1475, points 29 et 30, et arrêts précités Günaydin, point 49, Ertanir, point 55, et Birden, point 65).

63 Dans ces conditions, un document de cette nature ne saurait, pour des étrangers qui tirent des droits de la décision n_ 1/80, être assimilé à une autorisation de séjour impliquant un pouvoir d'appréciation des autorités nationales telle qu'elle est prévue pour la généralité des étrangers (voir, par analogie, arrêt du 14 juillet 1977, Sagulo e.a., 8/77, Rec. p. 1495, point 8).

64 La circonstance que les permis de séjour successifs de M. Ergat ne lui avaient été accordés que pour une durée déterminée n'est dès lors d'aucune pertinence.

65 En conséquence, le laps de temps pendant lequel le permis de séjour de M. Ergat avait cessé d'être valide ne saurait en aucun cas être considéré par les autorités de l'État membre d'accueil comme une période de résidence non régulière, susceptible de lui faire perdre le bénéfice du droit de séjour qui lui a été conféré directement par la décision n_ 1/80 pour lui permettre de continuer à exercer son droit de libre accès à toute activité salariée de son choix, conformément à l'article 7, premier alinéa, second tiret, de ladite décision.

66 Ainsi que le gouvernement français l'a soutenu à l'audience, toute autre interprétation serait au demeurant en contradiction avec le fait que M. Ergat est titulaire d'un permis de travail d'une durée illimitée depuis 1989.

67 Compte tenu de l'ensemble des développements qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question préjudicielle qu'un ressortissant turc, qui a été autorisé à entrer dans un État membre au titre du regroupement familial avec un travailleur turc appartenant au marché régulier de l'emploi de cet État, y a résidé légalement pendant plus de cinq années et y a exercé, avec certaines interruptions, différents emplois réguliers, ne perd pas le bénéfice des droits que lui confère l'article 7, premier alinéa, second tiret, de la décision n_ 1/80 et, en particulier, le droit à la prorogation de son permis de séjour dans l'État membre d'accueil, alors même que son titre de séjour était périmé à la date à laquelle il a présenté une demande en vue de la prorogation de celui-ci qui a été refusée par les autorités nationales compétentes.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

68 Les frais exposés par les gouvernements allemand et français, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR

(sixième chambre),

statuant sur la question à elle soumise par le Bundesverwaltungsgericht, par ordonnance du 15 juillet 1997, dit pour droit:

Un ressortissant turc, qui a été autorisé à entrer dans un État membre au titre du regroupement familial avec un travailleur turc appartenant au marché régulier de l'emploi de cet État, y a résidé légalement pendant plus de cinq années et y a exercé, avec certaines interruptions, différents emplois réguliers, ne perd pas le bénéfice des droits que lui confère l'article 7, premier alinéa, second tiret, de la décision n_ 1/80, du 19 septembre 1980, relative au développement de l'association, adoptée par le conseil d'association institué par l'accord d'association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, et, en particulier, le droit à la prorogation de son permis de séjour dans l'État membre d'accueil, alors même que son titre de séjour était périmé à la date à laquelle il a présenté une demande en vue de la prorogation de celui-ci qui a été refusée par les autorités nationales compétentes.