61997J0042

Arrêt de la Cour du 23 février 1999. - Parlement européen contre Conseil de l'Union européenne. - Décision 96/664/CE du Conseil - Promotion de la diversité linguistique de la Communauté dans la société de l'information - Base juridique. - Affaire C-42/97.

Recueil de jurisprudence 1999 page I-00869


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


Industrie - Actions nécessaires pour assurer la compétitivité de l'industrie - Décision du Conseil concernant l'adoption d'un programme pluriannuel pour promouvoir la diversité linguistique de la Communauté dans la société de l'information - Base juridique - Article 130 du traité - Effets accessoires ou secondaires sur la culture - Absence d'incidence

(Traité CE, art. 128 et 130; décision du Conseil 96/664)

Sommaire


Le Conseil a pu valablement adopter la décision 96/664, concernant l'adoption d'un programme pluriannuel pour promouvoir la diversité linguistique de la Communauté dans la société de l'information, sur le seul fondement de l'article 130 du traité, disposition qui permet à la Communauté de décider de mesures spécifiques destinées à appuyer les actions menées dans les États membres afin d'assurer la compétitivité de l'industrie de la Communauté.

A cet égard, le libellé du titre d'un acte ne saurait à lui seul en déterminer la base juridique et, en l'espèce, les mots «pour promouvoir la diversité linguistique» figurant dans le titre de la décision ne peuvent être isolés de l'acte pris dans son ensemble et interprétés de façon autonome. Or, il ne ressort pas du but et du contenu de ladite décision qu'elle concerne, d'une façon indissociable, à la fois l'industrie et la culture. S'il n'est pas contesté que le programme en cause aura des effets bénéfiques sur la diffusion des oeuvres culturelles, notamment en améliorant les outils disponibles pour les travaux de traduction, il ne s'agit toutefois que d'effets indirects et accessoires par rapport aux effets directs recherchés qui sont de nature économique, ne justifiant pas que la décision soit également fondée sur l'article 128 du traité.

Une telle interprétation est, par ailleurs, conforme au texte même de l'artice 128, paragraphe 4, du traité, selon lequel la Communauté tient compte des aspects culturels dans son action au titre des autres dispositions du traité. Il ressort en effet de cette disposition que toute description des aspects culturels d'une action communautaire n'implique pas nécessairement le recours à l'article 128 comme base juridique, lorsque la culture ne constitue pas une composante essentielle et indissociable de l'autre composante sur laquelle est fondée l'action en question, mais ne lui est qu'accessoire ou secondaire.

Parties


Dans l'affaire C-42/97,

Parlement européen, représenté par MM. Johann Schoo, chef de division au service juridique, et Norbert Lorenz, membre du même service, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg au secrétariat général du Parlement européen, Kirchberg,

partie requérante,

contre

Conseil de l'Union européenne, représenté par MM. Bjarne Hoff-Nielsen, chef de division au service juridique, et Frédéric Anton, membre du même service, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Alessandro Morbilli, directeur général de la direction des affaires juridiques de la Banque européenne d'investissement, 100, boulevard Konrad Adenauer,

partie défenderesse,

ayant pour objet l'annulation de la décision 96/664/CE du Conseil, du 21 novembre 1996, concernant l'adoption d'un programme pluriannuel pour promouvoir la diversité linguistique de la Communauté dans la société de l'information (JO L 306, p. 40),

LA COUR,

composée de MM. P. J. G. Kapteyn, président des quatrième et sixième chambres, faisant fonction de président, G. Hirsch et P. Jann, présidents de chambre, G. F. Mancini, J. C. Moitinho de Almeida, C. Gulmann, J. L. Murray, L. Sevón (rapporteur), M. Wathelet, R. Schintgen et K. M. Ioannou, juges,

avocat général: M. A. La Pergola,

greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 17 mars 1998,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 5 mai 1998,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 31 janvier 1997, le Parlement européen a, en vertu de l'article 173, troisième alinéa, du traité CE, demandé l'annulation de la décision 96/664/CE du Conseil, du 21 novembre 1996, concernant l'adoption d'un programme pluriannuel pour promouvoir la diversité linguistique de la Communauté dans la société de l'information (JO L 306, p. 40, ci-après la «décision litigieuse»), au motif que, outre l'article 130 du traité CE, cette décision aurait également dû avoir l'article 128 du même traité comme base juridique.

2 L'article 128 du traité dispose:

«1. La Communauté contribue à l'épanouissement des cultures des États membres dans le respect de leur diversité nationale et régionale, tout en mettant en évidence l'héritage culturel commun.

2. L'action de la Communauté vise à encourager la coopération entre États membres et, si nécessaire, à appuyer et compléter leur action dans les domaines suivants:

- l'amélioration de la connaissance et de la diffusion de la culture et de l'histoire des peuples européens,

- la conservation et la sauvegarde du patrimoine culturel d'importance européenne,

- les échanges culturels non commerciaux,

- la création artistique et littéraire, y compris dans le secteur de l'audiovisuel.

...

4. La Communauté tient compte des aspects culturels dans son action au titre d'autres dispositions du présent traité.

5. Pour contribuer à la réalisation des objectifs visés au présent article, le Conseil adopte:

- statuant conformément à la procédure visée à l'article 189 B et après consultation du Comité des régions, des actions d'encouragement, à l'exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres. Le Conseil statue à l'unanimité tout au long de la procédure visée à l'article 189 B;

- statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission, des recommandations.»

3 L'article 130, paragraphes 1 et 3, du traité prévoit:

«1. La Communauté et les États membres veillent à ce que les conditions nécessaires à la compétitivité de l'industrie de la Communauté soient assurées.

A cette fin, conformément à un système de marchés ouverts et concurrentiels, leur action vise à:

- accélérer l'adaptation de l'industrie aux changements structurels;

- encourager un environnement favorable à l'initiative et au développement des entreprises de l'ensemble de la Communauté et, notamment des petites et moyennes entreprises;

- encourager un environnement favorable à la coopération entre entreprises;

- favoriser une meilleure exploitation du potentiel industriel des politiques d'innovation, de recherche et de développement technologique.

...

3. La Communauté contribue à la réalisation des objectifs visés au paragraphe 1 au travers des politiques et actions qu'elle mène au titre d'autres dispositions du présent traité. Le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission, après consultation du Parlement européen et du Comité économique et social, peut décider de mesures spécifiques destinées à appuyer les actions menées dans les États membres afin de réaliser les objectifs visés au paragraphe 1.

Le présent titre ne constitue pas une base pour l'introduction, par la Communauté, de quelque mesure que ce soit pouvant entraîner des distorsions de concurrence.»

4 Les trois premiers considérants de la décision litigieuse sont rédigés comme suit:

«considérant que l'avènement de la société de l'information offre à l'industrie, notamment aux industries de la langue, des perspectives nouvelles pour la communication et les échanges sur les marchés européens et mondiaux caractérisés par une grande diversité linguistique et culturelle;

considérant que l'industrie et tous les autres acteurs concernés doivent élaborer des solutions spécifiques et adéquates pour surmonter les barrières linguistiques s'ils veulent bénéficier pleinement des avantages du marché intérieur et demeurer concurrentiels sur les marchés mondiaux;

considérant que le secteur privé, dans ce domaine, comporte essentiellement des petites et moyennes entreprises qui éprouvent des difficultés considérables à s'adresser à des marchés de langues différentes et qui doivent donc être aidées, compte tenu en particulier de leur rôle de créateurs d'emplois».

5 Ensuite, le quatrième considérant relève la nécessité d'encourager l'emploi de technologies, d'outils et de méthodes qui réduisent le coût du transfert de l'information entre les personnes.

6 Le sixième considérant indique que l'émergence de la société de l'information est susceptible d'élargir l'accès des citoyens de l'Europe à l'information et de leur offrir une occasion extraordinaire d'accéder à la richesse et à la diversité culturelles et linguistiques de l'Europe.

7 Le septième considérant, quant à lui, précise «que la politique linguistique relève de la compétence des États membres, dans le respect du droit communautaire; que, cependant, la promotion du développement des outils modernes de traitement de la langue et de leur utilisation est un domaine d'activité où une action communautaire est nécessaire pour permettre la réalisation d'économies d'échelles substantielles et la cohésion entre les différentes zones linguistiques; que les actions à mener au niveau communautaire doivent être proportionnées aux objectifs à atteindre et ne porter que sur les domaines où une valeur ajoutée pour la Communauté est susceptible d'être créée».

8 Les autres considérants se réfèrent notamment:

- à la nécessité, pour la Communauté, de prendre en compte les aspects culturels et linguistiques de la société de l'information (neuvième considérant);

- au fait qu'il est essentiel de fournir aux citoyens, dans leur langue, un accès équitable à l'information (onzième considérant);

- au fait que les langues qui restent exclues de la société de l'information courent le risque d'une marginalisation plus ou moins rapide (douzième considérant).

9 L'article 1er, premier alinéa, de la décision litigieuse dispose:

«Il est arrêté un programme communautaire visant à:

- accroître, dans la Communauté, la sensibilisation aux prestations de services multilingues et à stimuler ces prestations qui utilisent les technologies, les ressources et les normes linguistiques,

- créer des conditions favorables au développement des industries de la langue,

- réduire le coût du transfert de l'information entre les langues, notamment pour les petites et moyennes entreprises,

- contribuer à la promotion de la diversité linguistique de la Communauté.»

10 Aux termes de l'article 1er, deuxième alinéa, sous b), de la décision litigieuse, on entend par «`industries de la langue': les entreprises, les institutions et les professionnels qui fournissent des services monolingues ou multilingues, ou en permettent la fourniture, dans des domaines tels que la recherche documentaire, la traduction, l'ingénierie linguistique et les dictionnaires électroniques.»

11 L'article 2, premier alinéa, de la décision litigieuse prévoit:

«En vue de la réalisation des objectifs visés à l'article 1er, les actions ci-après sont entreprises conformément aux lignes d'action figurant à l'annexe I et selon les modalités de mise en oeuvre du programme indiquées à l'annexe III:

- le soutien à la création d'un cadre de services pour les ressources linguistiques et l'encouragement des associations participant à cette construction,

- la stimulation de l'utilisation des technologies, des ressources et des normes linguistiques et leur intégration dans les applications informatiques,

- la promotion de l'utilisation d'outils linguistiques avancés dans le secteur public de la Communauté et des États membres,

- les actions d'accompagnement.»

12 L'annexe I de la décision litigieuse décrit quatre lignes d'action qui correspondent aux quatre tirets du premier alinéa de l'article 2 de celle-ci.

13 La première ligne d'action est intitulée «soutien à la création d'un cadre de services pour les ressources linguistiques et encouragement des associations participant à cette construction» et a pour objectif de «soutenir, pour toutes les langues européennes, la mise en place d'une infrastructure européenne de ressources multilingues et d'encourager la création de ressources linguistiques électroniques». Il est en outre précisé que «la plupart des entreprises opérant dans ce secteur sont des petites et moyennes entreprises, qui sont souvent innovatrices et efficaces, mais dont les moyens financiers sont insuffisants compte tenu du niveau d'investissement requis».

14 La deuxième ligne d'action est intitulée «encouragement de l'utilisation de technologies, de ressources et de normes linguistiques et de leur intégration dans des applications informatiques» et a pour objectif «de susciter une mobilisation des industries de la langue en stimulant le transfert des technologies et la demande au moyen d'un nombre limité de projets de démonstration à coûts partagés, susceptibles d'exercer un effet d'entraînement dans certains secteurs clés».

15 La troisième ligne d'action est intitulée «promotion de l'utilisation d'outils linguistiques avancés dans le secteur public de la Communauté et des États membres» et a pour objectif «de promouvoir la coopération entre les administrations des États membres et les institutions de la Communauté pour réduire le coût de la communication multilingue dans le secteur public européen, notamment en centralisant les outils linguistiques avancés».

16 La quatrième ligne d'action vise les actions d'accompagnement et, notamment, la promotion de normes techniques qui répondent aux besoins linguistiques des utilisateurs, l'organisation d'une concertation et d'une coordination entre les principaux acteurs qui concourent au développement d'une société de l'information multilingue.

17 L'article 3 de la décision litigieuse prévoit que la durée du programme est de trois ans à partir du jour de l'adoption de celle-ci et fixe le montant du financement du programme par la Communauté à 15 millions d'écus.

18 Selon l'article 4, la Commission est responsable de la mise en oeuvre du programme et de sa coordination avec d'autres programmes communautaires.

19 L'article 6 de la décision litigieuse prévoit:

«1. La Commission veille à ce que les actions menées au titre de la présente décision fassent l'objet d'une évaluation a priori, d'un suivi et d'une évaluation a posteriori effectifs.

2. Au cours de la mise en oeuvre et au terme de la réalisation des projets, la Commission évalue la façon dont ils ont été menés et l'impact de leur réalisation afin de mesurer si les objectifs fixés à l'origine ont été atteints.

Ce faisant, la Commission examine en particulier la mesure dans laquelle le groupe cible des petites et moyennes entreprises a tiré profit des projets mis en oeuvre».

20 Il ressort du dossier que la Commission a, le 8 novembre 1995, soumis au Conseil une proposition de décision du Conseil concernant l'adoption d'un programme pluriannuel pour promouvoir la diversité linguistique de la Communauté dans la société de l'information (JO 1996, C 364, p. 5, ci-après le «programme MLIS»). Cette proposition était précédée d'une communication intitulée «La société de l'information multilingue». La base juridique proposée était l'article 130, paragraphe 3, du traité.

21 Saisi par le Conseil pour consultation, le Parlement s'est prononcé, dans sa résolution du 21 juin 1996 (JO C 198, p. 248), pour la double base juridique des articles 128, paragraphes 1 et 2, et 130, paragraphe 3. Il a, en outre, proposé de nombreux amendements soulignant l'aspect culturel du programme MLIS.

22 Le Parlement a notamment proposé d'ajouter au préambule de la décision un certain nombre de considérants. Selon la proposition du Parlement, les premiers considérants de la décision auraient été rédigés comme suit:

«considérant que le maintien et l'encouragement de la diversité linguistique européenne relèvent de la préservation et de la sauvegarde du patrimoine culturel au sens de l'article 128 du traité;

considérant que, dans la société de l'information, les aspects culturels et sociaux revêtent autant d'importance que les intérêts économiques».

23 Le Parlement a également proposé de déplacer l'objectif visant à «promouvoir la diversité linguistique de la Communauté dans la société mondiale de l'information» pour l'insérer dans la première phrase de l'article 1er, c'est-à-dire en première place.

24 Dans sa proposition modifiée du 2 octobre 1996 (JO C 364, p. 11), la Commission a néanmoins maintenu l'article 130, paragraphe 3, du traité comme seule base juridique de l'acte. Elle a motivé le rejet de la double base juridique par le fait que «le principal objectif est d'encourager des actions industrielles visant à fournir des services multilingues. Cela suffit pour choisir une base juridique (130). Il existe des aspects ou des effets culturels et sociaux mais cela ne doit pas conduire à une double base juridique». Elle a également rejeté les amendements liés à la modification de la base juridique.

25 Le Conseil ayant adopté la décision litigieuse sur le seul fondement de l'article 130 du traité, le Parlement a introduit le présent recours en annulation.

26 Le recours du Parlement est fondé sur la considération selon laquelle la richesse linguistique de la Communauté fait partie du patrimoine culturel dont la Communauté est chargée d'assurer la conservation et la sauvegarde conformément à l'article 128, paragraphe 2, deuxième tiret, du traité. Or, en visant à «promouvoir la diversité linguistique de la Communauté», le programme MLIS poursuivrait un objectif culturel et aurait dû, dès lors, être également adopté sur la base dudit article 128, outre la base juridique retenue.

27 Plus particulièrement, le Parlement relève que la mention de la «promotion» dans le titre de la décision litigieuse montre qu'il s'agit d'une action d'encouragement au sens de l'article 128, paragraphe 5, du traité, allant bien au-delà de l'obligation découlant du paragraphe 4 de ce même article, qui se limite à exiger que la Communauté tienne compte des aspects culturels dans les actions au titre d'autres dispositions du traité.

28 Dans le cadre de l'analyse du but de la décision litigieuse, le Parlement met en évidence certains des considérants de celle-ci, notamment le deuxième, qui indique que le programme a pour but de «surmonter les barrières linguistiques», le neuvième, selon lequel «la Communauté devrait prendre en compte les aspects culturels et linguistiques de la société de l'information», et le douzième, qui précise que «les langues qui restent exclues de la société de l'information courraient le risque d'une marginalisation plus ou moins rapide». Selon le Parlement, la technologie, telle qu'elle est conçue dans le cadre du programme MLIS, n'est que l'instrument de la culture, un moyen qui ouvre l'accès à la culture.

29 S'agissant du contenu de la décision litigieuse, le Parlement constate que l'article 2, troisième tiret, de celle-ci concerne le secteur public de la Communauté et des États membres et en déduit que cette participation du secteur public dépasse le champ d'application de l'article 130 du traité qui vise exclusivement la promotion de la compétitivité des entreprises.

30 Le Conseil fait valoir, en revanche, par une analyse de la communication de la Commission précédant le programme MLIS, que la logique de celui-ci est avant tout économique et industrielle. L'objectif serait de réduire les coûts des entreprises liés aux traductions tout en maintenant la diversité linguistique nécessaire à la vitalité de l'industrie communautaire. Cette diversité linguistique bénéficierait à l'ensemble des citoyens européens, mais cet aspect culturel ne serait qu'une «externalité» du programme dont le but serait industriel.

31 Le Conseil analyse également les quatre finalités du programme dont il souligne l'ordre de présentation à l'article 1er et le caractère purement économique et industriel. S'agissant plus précisément de la quatrième et dernière finalité («contribuer à la promotion de la diversité linguistique de la Communauté»), rien ne montrerait qu'elle serait culturelle, détachable et non accessoire. En effet, dans le cadre du soutien à l'industrie linguistique, la promotion de la diversité linguistique ne pourrait avoir qu'un objet économique, industriel ou commercial. Même s'il était admis que cette finalité fût culturelle, le fait qu'elle n'ait pas fait l'objet d'un article distinct et que l'amendement proposé par le Parlement et visant à une telle qualification ait été rejeté montre qu'elle n'est pas détachable. Enfin, même s'il était admis que ladite finalité fût détachable, elle ne serait qu'accessoire et n'affecterait pas l'objet principal du programme, ce que démontrerait le fait que le Conseil n'ait pas non plus retenu l'amendement proposé par le Parlement et qui visait à faire reconnaître aux aspects culturels et sociaux autant d'importance qu'aux intérêts économiques.

32 Enfin, quant au contenu de la décision litigieuse, le Conseil estime que chacune des dispositions est directement et exclusivement rattachable à une ou plusieurs actions visées à l'article 130, paragraphe 1, du traité. S'agissant notamment de la troisième ligne d'action, relative à la promotion d'outils linguistiques avancés dans le secteur public de la Communauté et des États membres, il fait valoir que celle-ci vise, en conformité avec cette disposition, à favoriser une meilleure exploitation du potentiel industriel de l'innovation, de la recherche et du développement technologique, d'une part, ainsi qu'à encourager un environnement favorable au développement des entreprises de la Communauté, d'autre part. Dès lors, rien ne justifierait le recours à l'article 128 comme base juridique complémentaire.

33 Selon le Conseil, le programme MLIS n'entrerait pas dans les domaines visés à l'article 128, paragraphe 2, du traité. Les personnes directement bénéficiaires du programme ne seraient pas des acteurs culturels tels que les romanciers, auteurs de théatre, traducteurs littéraires cités par le Conseil, mais des opérateurs économiques ou institutionnels. Enfin, la langue ne serait pas un élément de la culture dans le contexte de la décision. L'argumentation du Parlement reposerait sur une base erronée et des termes isolés de leur contexte.

34 Pour le cas où la Cour annulerait la décision litigieuse, le Conseil demande le maintien des effets de celle-ci jusqu'à l'adoption d'une nouvelle décision. Le Parlement, en revanche, demande de limiter le maintien des effets aux mesures adoptées sur le fondement de la décision litigieuse avant la date de l'arrêt dans la présente affaire. En effet, le maintien des effet futurs priverait l'arrêt de la Cour de son effet utile et dissuaderait la Commission de présenter sans délai une nouvelle proposition.

Sur le bien-fondé du recours

35 A titre liminaire, il convient d'observer qu'il n'y a pas de contestation au sujet de l'article 130 du traité en tant que base juridique de la décision litigieuse. Il n'y a donc lieu d'examiner, dans le cadre du présent recours, que le point de savoir si celle-ci aurait dû être fondée également sur l'article 128 du traité, en sus de la base juridique retenue.

36 Il est de jurisprudence constante que, dans le cadre du système de compétences de la Communauté, le choix de la base juridique d'un acte doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de contrôle juridictionnel. Parmi de tels éléments figurent, notamment, le but et le contenu de l'acte (voir, notamment, arrêts du 26 mars 1996, Parlement/Conseil, C-271/94, Rec. p. I-1689, point 14, et du 28 mai 1998, Parlement/Conseil, C-22/96, Rec. p. I-3231, point 23).

37 Il convient de relever que le libellé du titre d'un acte ne saurait à lui seul en déterminer la base juridique et, en l'espèce, que les mots «pour promouvoir la diversité linguistique» figurant dans le titre de la décision litigieuse ne peuvent être isolés de l'acte pris dans son ensemble et interprétés de façon autonome.

38 Afin de déterminer si la double base juridique indiquée par le Parlement était requise, il convient d'examiner s'il découle du but et du contenu de la décision litigieuse, tels qu'ils ressortent de ses termes mêmes, qu'elle concerne, d'une façon indissociable, à la fois l'industrie et la culture (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 1991, Commission/Conseil, C-300/89, Rec. p. I-2867, point 13).

39 A cet égard, il ne suffit pas que la décision litigieuse poursuive une double finalité ou que l'analyse de son contenu démontre l'existence d'une double composante.

40 En effet, s'il résulte de l'examen de la décision que sa composante «industrielle» est identifiable comme principale ou prépondérante, tandis que la composante «culturelle» n'est qu'accessoire, il s'ensuivrait que la base juridique appropriée était uniquement l'article 130 du traité.

41 Une telle interprétation est conforme au texte même de l'article 128, paragraphe 4, du traité, selon lequel la Communauté tient compte des aspects culturels dans son action au titre des autres dispositions du traité.

42 Il ressort en effet de cette disposition que toute description des aspects culturels d'une action communautaire n'implique pas nécessairement le recours à l'article 128 comme base juridique, lorsque la culture ne constitue pas une composante essentielle et indissociable de l'autre composante sur laquelle est fondée l'action en question, mais ne lui est qu'accessoire ou secondaire.

43 Il importe donc, en l'espèce, de vérifier si la culture est une composante essentielle de la décision litigieuse au même titre que l'industrie, indissociable de cette dernière, ou si le «centre de gravité» de la décision se trouve dans la dimension industrielle de l'action communautaire.

44 A cet égard, il convient de constater d'abord qu'il ressort des termes de la décision litigieuse ainsi que d'un certain nombre de considérants de son préambule que les bénéficiaires directement visés par le programme MLIS sont les entreprises. Le premier considérant mentionne les industries de la langue, auxquelles l'avènement de la société de l'information ouvre des perspectives nouvelles, le deuxième considérant vise la situation de l'industrie et de tous les autres acteurs concernés dans le marché intérieur et sur les marchés mondiaux, tandis que le troisième considérant vise le secteur privé, c'est-à-dire essentiellement des petites et moyennes entreprises, qui éprouvent des difficultés à surmonter les barrières linguistiques et à rester concurrentielles lorsqu'elles s'adressent à des marchés de langues différentes.

45 Le quatrième considérant vise cependant le transfert de l'information entre personnes et le sixième, l'accès des citoyens de l'Europe à l'information. De même, les dixième et onzième considérants font allusion aux citoyens européens pour exprimer, d'une part, la nécessité de faire en sorte qu'ils aient des chances égales de participer à la société de l'information et, d'autre part, l'importance de leur fournir l'information dans leur langue.

46 La formulation générale de ces considérants ne permet toutefois pas d'identifier les citoyens comme des bénéficiaires directement visés par le programme, ainsi que le sont les opérateurs économiques décrits aux premiers considérants.

47 En effet, les citoyens sont envisagés en tant que bénéficiaires de la diversité linguistique en général, dans le contexte de la société de l'information. En revanche, les opérateurs économiques et, plus particulièrement, les petites et moyennes entreprises sont envisagés en tant que bénéficiaires des actions concrètes qui seront entreprises conformément aux lignes d'action du programme prévu par la décision.

48 La conclusion inférée de la lecture de ces considérants, selon laquelle les petites et moyennes entreprises sont visées comme principales bénéficiaires de la décision litigieuse, est confortée par le texte de l'article 6, paragraphe 2, second alinéa, de celle-ci, qui les identifie comme le «groupe cible» du programme et prescrit à la Commission d'examiner en particulier la mesure dans laquelle elles ont tiré profit des projets mis en oeuvre, aucune vérification de cet ordre n'étant par ailleurs demandée en ce qui concerne les citoyens européens.

49 Ensuite, il importe de relever que, si certains des considérants font allusion aux aspects culturels de la société de l'information, tels les sixième et neuvième considérants, il résulte cependant de leur rédaction qu'ils expriment des constatations ou des souhaits généraux qui ne permettent pas de les retenir comme finalités du programme en tant que telles. Le sixième considérant, en effet, n'exprime pas un objectif mais constate que l'émergence de la société de l'information est susceptible d'offrir aux citoyens une occasion d'accéder à la richesse et à la diversité culturelles et linguistiques de l'Europe, tandis que le neuvième considérant rappelle que «la Communauté devrait prendre en compte les aspects culturels et linguistiques de la société de l'information», ce qui n'est qu'une reproduction du contenu de l'article 128, paragraphe 4, du traité.

50 Quant au risque de marginalisation des langues qui resteraient exclues de la société de l'information, mentionné au douzième considérant, il y a lieu de constater qu'il n'exprime pas un risque d'ordre spécifiquement culturel. En effet, la marginalisation des langues peut être comprise comme la perte d'un élément du patrimoine culturel, mais également comme la création d'une disparité de traitement entre opérateurs économiques de la Communauté, plus ou moins avantagés selon que la langue qu'ils utilisent bénéficie d'une diffusion importante ou non.

51 L'article 1er de la décision litigieuse présente également le but du programme comme étant de nature conomique. En effet, les deuxième et troisième tirets du premier alinéa mentionnent, au titre des objectifs visés, la création de conditions favorables au développement des industries de la langue et la réduction du coût du transfert de l'information pour les petites et moyennes entreprises.

52 S'agissant de l'objectif de «contribuer à la promotion de la diversité linguistique dans la Communauté», exprimé au dernier tiret de l'article 1er, premier alinéa, il ne peut être envisagé de façon isolée, mais doit être examiné ensemble avec les autres objectifs énoncés dans cet alinéa.

53 A cet égard, il convient de constater qu'il n'exprime pas une finalité culturelle poursuivie en tant que telle, mais uniquement l'un des aspects du programme dont le caractère principal et prépondérant est d'ordre industriel. En effet, la langue est envisagée dans ce contexte, non comme élément du patrimoine culturel, mais bien en tant qu'objet ou instrument de l'activité économique.

54 Il convient enfin de souligner que le Conseil a refusé la proposition du Parlement de placer cet objectif au début de l'article 1er de la décision, manifestant ainsi son souhait de ne pas déplacer le «centre de gravité» de la décision mais de maintenir son caractère essentiellement économique et industriel.

55 S'agissant du contenu de la décision litigieuse, il y a lieu de relever que les actions visées à l'article 2 et les lignes d'action visées à l'annexe I portent sur des développements d'infrastructure, l'utilisation de technologies et de ressources, la réduction des coûts par la centralisation des outils disponibles ou la promotion de normes techniques en matière linguistique.

56 De telles actions ne peuvent être considérées comme ayant pour effet direct d'améliorer la diffusion de la culture, de conserver ou sauvegarder un patrimoine culturel d'importance européenne ou d'encourager la création artistique et littéraire au sens de l'article 128, paragraphe 2, du traité.

57 Au contraire, ces actions ont pour effet principal d'éviter que des entreprises disparaissent du marché ou soient atteintes dans leur compétitivité en raison des coûts de la communication liés à la diversité linguistique.

58 En ce qui concerne plus particulièrement la ligne d'action visée à l'article 2, premier alinéa, troisième tiret, de la décision litigieuse, à savoir la promotion de l'utilisation d'outils linguistiques avancés dans le secteur public de la Communauté et des États membres, il convient d'observer que, conformément au dix-septième considérant, elle vise notamment à réduire le coût du développement et de l'exploitation d'outils linguistiques. Elle est également justifiée par «le rôle moteur du secteur public pour l'adoption générale et plus rapide de normes communes» et le souci d'encourager la convergence pour ce qui concerne l'évolution future des outils linguistiques, indiqués au point 3 de l'annexe I de la décision.

59 Il ne peut être conclu de l'examen de ces éléments que cette ligne d'action aurait un caractère spécifiquement culturel. Au contraire, envisagée ensemble avec les autres lignes d'action, elle doit être considérée comme l'un des éléments d'un programme global visant avant tout à la rationalisation du développement d'outils linguistiques et à la mise en place rapide d'infrastructures multilingues.

60 Même si une telle ligne d'action concerne le secteur public, il ne peut être contesté qu'elle relève de façon prépondérante des objectifs visés à l'article 130, paragraphe 1, du traité, qu'il s'agisse de l'accélération de l'adaptation de l'industrie aux changements structurels, de l'encouragement d'un environnement favorable à l'initiative et au développement des entreprises de la Communauté ou de l'objectif de «favoriser une meilleure exploitation du potentiel industriel des politiques d'innovation, de recherche et de développement technologique».

61 Il résulte de cet examen que l'objet du programme, à savoir la promotion de la diversité linguistique, est envisagé comme un élément de nature essentiellement économique et accessoirement comme véhicule de la culture ou élément de culture en tant que tel.

62 Il n'est en effet pas contesté que le programme aura des effets bénéfiques sur la diffusion des oeuvres culturelles, notamment en améliorant les outils disponibles pour les travaux de traduction. C'est donc à juste titre que le Conseil en a tenu compte, conformément à l'article 128, paragraphe 4, du traité, et a mentionné ces effets sur la culture dans certains des considérants de la décision litigieuse.

63 Il ne s'agit toutefois que d'effets indirects et accessoires par rapport aux effets directs recherchés qui sont de nature économique, ne justifiant pas que la décision soit également fondée sur l'article 128 du traité.

64 En conclusion, il résulte de l'ensemble de la décision litigieuse, et notamment des objectifs énoncés dans les considérants et à l'article 1er, ainsi que des actions envisagées à l'article 2 et à l'annexe I, qu'elle a été fondée, à bon droit, sur le seul article 130 du traité.

65 Il convient dès lors de rejeter le recours.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

66 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Le Conseil a conclu à la condamnation du Parlement aux dépens. Celui-ci ayant succombé dans ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR

déclare et arrête:

1) Le recours est rejeté.

2) Le Parlement européen est condamné aux dépens.