Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 3 décembre 1998. - Andrea Krüger contre Kreiskrankenhaus Ebersberg. - Demande de décision préjudicielle: Arbeitsgericht München - Allemagne. - Égalité de traitement entre hommes et femmes - Gratification de fin d'année - Conditions d'octroi. - Affaire C-281/97.
Recueil de jurisprudence 1999 page I-05127
1 A l'origine de la question soumise par l'Arbeitsgericht München, se trouvent une nouvelle fois l'institution du travail dit «mineur», connue en République fédérale d'Allemagne, et le problème de la compatibilité du traitement réservé, au titre des normes nationales applicables à ce type d'emploi, exercé un faible nombre d'heures par semaine, pour un salaire ne pouvant dépasser un certain seuil, avec les dispositions communautaires relatives au principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes.
2 Les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 14 décembre 1995, Nolte (1), et Megner et Scheffel (2) vous conduisaient à apprécier l'exclusion des emplois mineurs des régimes d'assurance sociale, au regard du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne la sécurité sociale; le présent renvoi préjudiciel vous invite à vous prononcer à l'égard de ce même principe, appliqué cette fois à la rémunération et aux conditions de travail.
Cadre factuel et procédural
3 Avant la naissance de son enfant, au printemps 1995, Mme Krüger, demanderesse au principal, était employée depuis près de cinq ans à plein temps comme infirmière auprès d'une clinique dépendant du Kreiskrankenhaus Ebersberg, défenderesse au principal. Elle relevait à ce titre du régime prévu par le Bundesangestelltentarifvertrag de 1961 (convention collective des agents contractuels du secteur public, ci-après le «BAT»).
4 Elle a ensuite bénéficié, en application du Bundeserziehungsgeldgesetz (loi relative à l'octroi de l'allocation et du congé d'éducation, ci-après le «BErzGG»), d'un congé d'éducation pour une durée de près de trois ans, ainsi que d'une allocation d'éducation, réservée, conformément à l'article 1 du BErzGG, aux personnes n'exerçant pas une activité salariée à temps complet, au sens de la même loi (soit pas plus de dix-neuf heures par semaine).
5 Elle a cependant repris une activité dans la clinique, peu après son accouchement, le 20 septembre 1995, sous la forme d'un emploi mineur. Un tel emploi n'entraîne pas d'obligation d'affiliation à la sécurité sociale et se caractérise, aux termes de l'article 8 du Sozialgesetzbuch IV (code social, ci-après le «SGB IV»), par un nombre total d'heures de travail hebdomadaire inférieur à quinze et par une rémunération normale ne dépassant pas une fraction de la base mensuelle de référence (3).
6 Après quelques mois sous ce régime, la demanderesse au principal a introduit, le 14 juin 1996, un recours auprès de l'Arbeitsgericht München, aux fins de percevoir la prime spéciale annuelle. Il s'agit d'une gratification, versée à Noël, représentant un mois de salaire, à laquelle ont droit, conformément au Tarifvertrag über eine Zuwendung für Angestellte du 12 octobre 1973, convention collective applicable (ci-après le «ZTV»), les personnes dont le rapport d'emploi tombe dans le champ d'application du BAT.
7 La défenderesse au principal a motivé sa décision de refus d'octroi de la prime litigieuse par le fait que, en application de l'article 3 n du BAT, les personnes occupant un emploi mineur au sens de l'article 8 du SGB IV sont exclues du champ d'application de ladite convention collective. Elle en conclut que, la demanderesse au principal, en exerçant un emploi mineur, était hors du champ d'application du BAT et ne pouvait en conséquence prétendre au versement de la prime spéciale annuelle.
8 L'Arbeitsgericht München estime que, dès lors que la très grande majorité - plus de 90 %, est-il précisé dans l'ordonnance de renvoi - des personnes qui perçoivent des prestations au titre du BErzGG sont des femmes, «les dispositions de l'article 3n du BAT ... sont constitutives d'une discrimination indirecte à l'égard des femmes» (4). En dépit de cette opinion d'ores et déjà tranchée, la juridiction estime devoir être éclairée et vous invite dès lors à statuer sur la question suivante:
«Une norme du droit national - constituée en l'espèce par les dispositions combinées de l'article 3n du BAT et du Zuwendungs- TV du 12 octobre 1993 (5) - est-elle compatible avec la directive 76/207/CEE relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne les conditions de travail ainsi qu'avec l'article 119 du traité CE, dans la mesure où elle prévoit que les travailleurs salariés qui exercent une activité non soumise à l'assurance sociale obligatoire pendant leur congé d'éducation ne bénéficient pas, contrairement aux salariés soumis à l'assurance sociale obligatoire, de la prime spéciale annuelle prévue par la convention collective applicable? Cette mesure est-elle compatible avec les textes précités notamment lorsque des salariés en congé d'éducation, mais qui ne travaillent pas, perçoivent néanmoins au cours de la première année la prime spéciale prévue dans la convention collective?»
Dispositions communautaires invoquées
9 A défaut d'indications complémentaires contenues dans l'ordonnance de renvoi, il peut être déduit du libellé de la question que, aux yeux de l'Arbeitsgericht München, les femmes dans la situation de la demanderesse au principal seraient susceptibles de déplorer deux types de discrimination interdite par les dispositions communautaires: l'une en ce qui concerne leurs conditions de travail, l'autre relative à leur rémunération.
10 Rappelons que la première est prohibée au titre de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (6), qui vise, aux termes de son article 1er, paragraphe 1:
«1. ... la mise en oeuvre, dans les États membres, du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, y compris la promotion, et à la formation professionnelle ainsi que les conditions de travail...».
11 De son côté, l'article 119 du traité fait, on le sait, obligation aux États membres d'assurer et de maintenir l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins pour un même travail, principe dont vous relevez systématiquement qu'il «fait partie des fondements de la Communauté» (7).
Analyse
12 En considération des éléments fournis par la juridiction de renvoi, il ne nous paraît pas qu'une femme dans la situation de la demanderesse au principal puisse exciper de la contrariété des dispositions nationales avec le principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes, tant en ce qui concerne les conditions de travail que la rémunération.
13 Avant de détailler le raisonnement à l'issue duquel nous parvenons à cette conclusion, une mise au point nous semble devoir être préalablement effectuée.
14 Le juge allemand se réfère, au moins implicitement dans le libellé de sa question, et explicitement dans les motifs de son ordonnance (8), à deux types de dispositions nationales, dont il suppose que l'application combinée est susceptible de contrevenir aux dispositions communautaires précitées. Il s'agit, d'une part, de l'article 3 n du BAT - dont l'application combinée avec les dispositions du ZTV aboutit en substance à exclure les personnes exerçant un emploi mineur du bénéfice de la prime de Noël - et, d'autre part, du BErzGG, réglementant l'allocation et le congé d'éducation auxquels peuvent prétendre les personnes n'exerçant pas une activité à plein temps au sens du BErzGG.
15 Or, ainsi que le relèvent la défenderesse au principal et la Commission (9), il s'agit manifestement là d'une confusion.
16 Sans se livrer à une appréciation de la législation nationale, qu'il appartient au seul juge de renvoi d'opérer, il peut être constaté que l'application de la seule combinaison de l'article 3 n du BAT et du ZTV suffit en effet, à l'évidence, à exclure les personnes exerçant un emploi mineur du bénéfice de la prime annuelle litigieuse. Les dispositions relatives au congé d'éducation et à l'allocation d'éducation dont a bénéficié, par ailleurs, la demanderesse au principal sont absolument sans incidence à cet égard. Il n'existe en outre, d'après les éléments dont nous disposons, aucun lien entre la prime de Noël et l'allocation d'éducation.
17 En d'autres termes, si la demanderesse au principal s'est vu refuser le bénéfice de la prime litigieuse, c'est parce qu'elle occupe un emploi mineur non soumis à l'assurance obligatoire, et non en raison du congé d'éducation auquel elle a eu droit.
18 Pour être néanmoins exhaustif, il peut être rapidement noté que la référence opérée par la juridiction de renvoi à la législation nationale relative à l'allocation et au congé d'éducation peut, il est vrai, être comprise comme se référant à une différence de traitement susceptible de constituer une discrimination.
19 Selon cette législation, le sort réservé aux personnes en congé d'éducation (majoritairement des femmes, d'après les indications fournies), selon qu'elles exercent ou pas un emploi mineur, varie. Ainsi, celles qui, alors qu'elles travaillaient à plein temps auparavant, choisissent de rester sans activité pendant ce congé bénéficient, en application des dispositions combinées du ZTV et du BAT, du maintien de la prime spéciale litigieuse pendant la première année de leur congé. A l'inverse, l'exercice d'un emploi mineur durant ce congé fait perdre à son titulaire, en vertu des dispositions combinées de l'article 3 n du BAT et du ZTV, le bénéfice de cette prime.
20 Cependant, il n'apparaît pas qu'il puisse être distingué selon le sexe, à l'intérieur de ce groupe de personnes en congé d'éducation majoritairement féminin, entre celles exerçant une activité mineure et les autres. A priori, les hypothèses ainsi décrites sont donc relatives à des différences de traitement entre femmes, et non pas entre hommes et femmes, seules à entrer dans le champ d'application des dispositions communautaires. Ainsi, si l'on peut admettre, comme le note le juge national, que «les femmes se trouvent discriminées en ce qui concerne l'accès à l'emploi et les conditions de travail, dès lors qu'elles veulent combiner travail et éducation des enfants» (10), il n'en demeure pas moins qu'une telle «discrimination» n'est pas prohibée en droit communautaire. Cet aspect du dossier devra donc être tranché par le juge de renvoi, le cas échéant, sur le fondement de son seul droit national.
21 Il s'ensuit que la question formulée par le juge de renvoi doit être lue comme tendant à déterminer si les dispositions de l'article 119 du traité et de la directive 76/207 doivent être interprétées en ce sens qu'une réglementation nationale qui exclut les personnes exerçant des activités salariées - qualifiées d'emplois mineurs - se caractérisant par un nombre limité d'heures de travail et une faible rémunération, ainsi qu'une exonération de l'assurance sociale obligatoire, contrairement à celles exerçant une activité salariée donnant lieu à cotisation à l'assurance obligatoire, du bénéfice de la prime spéciale annuelle prévue par la convention collective applicable constitue une discrimination fondée sur le sexe, dès lors que ces dispositions touchent nettement plus de femmes que d'hommes.
22 C'est donc abstraction faite de la distinction suggérée par le juge de renvoi entre les personnes exerçant un emploi mineur en congé d'éducation et celles n'exerçant aucune activité bénéficiant d'un congé d'éducation que nous vous suggérons de vous prononcer.
23 Cette précision établie, et afin de donner une réponse utile au juge de renvoi, il convient de s'assurer que l'on se trouve bien dans le champ d'application matériel des dispositions communautaires visées, l'inclusion des personnes exerçant un emploi mineur dans leur champ d'application personnel ne pouvant plus guère donner lieu à discussion depuis vos arrêts Nolte, et Megner et Scheffel, précités (11).
24 Or, à cet égard, de même qu'à la Commission (12), la référence à la directive 76/207 nous semble dénuée de pertinence.
25 Rappelons tout d'abord que cette dernière a vocation à régir, selon son article 1er, «la mise en oeuvre, dans les États membres, du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, y compris la promotion, et à la formation professionnelle ainsi que les conditions de travail...». Or, on conçoit mal, tout d'abord, en quoi la disposition litigieuse se rapporterait à l'un de ces éléments (13).
26 Notons en outre que, en tout état de cause, dès lors qu'une situation présumée discriminatoire relève des dispositions relatives à la rémunération, elle ne peut plus être examinée simultanément sous l'angle de la directive 76/207, puisque «En effet, il résulte notamment du deuxième considérant de celle-ci qu'elle ne vise pas la rémunération au sens des dispositions précitées» (14).
27 Or, il ne fait guère de doute que la prime de Noël litigieuse, dont la demanderesse au principal se prévaut, est constitutive d'une «rémunération» au sens de l'article 119 du traité et de la directive 75/117/CEE du Conseil (15), laquelle «précise» le principe ainsi énoncé dans le traité (16).
28 Cette notion s'entend, dans le contexte de ces dispositions, et aux termes même du deuxième alinéa de l'article 119, du «salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier».
29 Cette définition originelle a été complétée tout au long de votre jurisprudence, qui en retient une conception large. L'origine de ces «avantages» est ainsi sans incidence: ils sont constitutifs d'une rémunération, qu'ils soient octroyés «... en vertu d'un contrat de travail, de dispositions législatives, ou à titre volontaire» (17). De même, la nature de ces avantages n'importe pas pour l'application de l'article 119, «dès lors que ces avantages sont octroyés en relation avec l'emploi» (18).
30 Fondée sur la relation de travail, la prime spéciale annuelle, versée par l'employeur, en application de la convention collective applicable aux travailleurs dont le rapport d'emploi tombe dans le champ d'application du BAT, constitue, par conséquent, une rémunération au sens de l'article 119 du traité et de la directive 75/117.
31 Nous en concluons que c'est sous le seul aspect de la rémunération que le respect de l'application du principe de l'égalité de traitement doit être examiné en l'espèce.
32 A ce stade de la réflexion, il peut tout d'abord être relevé que l'application combinée des dispositions litigieuses que sont l'article 3 n du BAT et le ZTV n'est pas constitutive d'une discrimination directe prohibée: le sexe n'est pas le critère en considération duquel est refusée l'application de la convention collective ouvrant droit à l'allocation de la prime de Noël.
33 Il convient dès lors de rechercher, ensuite, si l'on ne se trouve pas, néanmoins, en présence d'une discrimination indirecte, caractéristique, selon votre jurisprudence constante, d'une «mesure nationale qui, bien que formulée de façon neutre, désavantage en fait un pourcentage beaucoup plus élevé de femmes que d'hommes, à moins que cette mesure ne soit justifiée par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe» (19).
34 Une telle discrimination peut, on le sait, indifféremment trouver sa source dans une disposition législative ou, comme en l'espèce, le cas échéant, dans une convention collective (20).
35 La juridiction nationale tient pour acquis le fait que, conformément aux exigences de votre jurisprudence, les dispositions litigieuses concernent une proportion sensiblement plus importante de personnes d'un sexe que de l'autre, et plus précisément «un nombre beaucoup plus élevé de femmes que d'hommes» (21), puisque 90 % des personnes concernées par les dispositions combinées de l'article 3 n du BAT et du ZTV seraient des femmes.
36 Il ne nous appartient pas, non plus qu'à votre Cour, de vérifier cet élément factuel, que nous tiendrons en conséquence pour établi (22).
37 Ces travailleurs mineurs, majoritairement de sexe féminin, en se voyant exclus du champ d'application de la convention collective ouvrant droit au bénéfice de la prime de Noël, subissent-ils une situation désavantageuse?
38 Cet élément ne semble a priori guère faire de doutes, si l'on s'en tient aux éléments dont nous disposons. Selon qu'ils travaillent ou non au-delà d'un certain nombre d'heures, les travailleurs exerçant la même activité, et soumis à la même réglementation, bénéficieront, ou non, d'une gratification spéciale à Noël, représentant un mois de salaire. Sauf à ce qu'un autre système équivalent dans ses effets existe en faveur des travailleurs mineurs - ce qui n'apparaît pas à l'étude du dossier -, les dispositions nationales, en ce qu'elles ne prévoient l'octroi de cette prime que pour certains travailleurs, sont désavantageuses pour les autres.
39 Dans ces conditions, la réglementation nationale litigieuse, en ce qu'elle désavantage une proportion sensiblement plus importante de travailleurs féminins que de travailleurs masculins, produit des effets discriminatoires fondés sur le sexe prohibés par l'article 119 du traité et la directive 75/117.
40 Il n'en irait autrement que si cette discrimination présumée pouvait être justifiée objectivement.
41 A cet égard, la défenderesse au principal tire argument de votre arrêt Megner et Scheffel, précité, aux termes duquel: «... une réglementation nationale qui exclut les activités salariées comportant un horaire normal inférieur à quinze heures par semaine et une rémunération normale ne dépassant pas un septième de la base mensuelle de référence de l'obligation d'assurance dans le cadre des régimes légaux d'assurance ... ne constituent pas une discrimination fondée sur le sexe, même si ces dispositions touchent nettement plus de femmes que d'hommes, dès lors que le législateur national a pu raisonnablement estimer que la législation en cause était nécessaire pour atteindre un objectif de politique sociale étranger à toute discrimination fondée sur le sexe» (23).
42 L'on se souviendra qu'avait notamment été avancée à l'occasion de cette affaire la nécessité de maintenir une équivalence entre, d'une part, les cotisations versées par les assurés et les employeurs et, d'autre part, le versement des prestations en cas de survenance d'un des risques couverts, dans le cadre du régime contributif existant, dont la structure n'aurait, à défaut, pu être maintenue (24). Un objectif de politique de l'emploi pouvait également justifier la disposition litigieuse (25). Nous y reviendrons.
43 L'exclusion du système d'assurance sociale national des personnes exerçant un emploi mineur, jugée ainsi non discriminatoire, fonde, selon la défenderesse au principal, l'exclusion, au titre de l'article 3 n du BAT, de ces mêmes personnes de la prime litigieuse: le défaut d'obligation de cotisation à l'assurance sociale constituerait un critère légitime pour exclure les travailleurs mineurs du champ de la convention collective.
44 Toujours selon la défenderesse au principal, à l'inverse, inclure les personnes exerçant une activité mineure dans le champ d'application du BAT, et les faire bénéficier en conséquence, au même titre que les personnes tenues de déduire du montant brut de leur salaire les cotisations inhérentes au système contributif, reviendrait à les faire bénéficier, sans raison justifiée, d'une rémunération horaire nette bien supérieure à celle des personnes tenues au versement de cotisations.
45 Le raisonnement ainsi proposé nous paraît cependant quelque peu biaisé.
46 En premier lieu, nous craignons de ne pas très bien saisir en quoi l'absence d'obligation de cotisation à l'assurance sociale justifierait - ou même présenterait un lien quelconque avec - l'exclusion du bénéfice d'un avantage constitutif d'une rémunération, prévue au titre d'une convention collective particulière. Sont en cause deux domaines - celui de l'assurance sociale et celui de la rémunération - dont l'interpénétration n'est pas systématique, ou, en tous cas, évidente.
47 A l'inverse, dans l'arrêt Megner et Scheffel, précité, par exemple, est soulignée l'interdépendance qui peut exister dans un régime contributif entre, d'une part, le paiement de cotisations d'assurance sociale et, d'autre part, le versement de prestations sociales. La viabilité du système, par le maintien d'une stricte équivalence entre cotisations et prestations, justifiait, aux yeux de certains gouvernements, sans que votre Cour ne les démente sur ce point, l'exclusion des personnes exerçant des emplois mineurs des régimes légaux de sécurité sociale (26).
48 En outre, la crainte, exprimée par la défenderesse au principal, de voir les personnes exerçant des emplois mineurs bénéficier d'une rémunération supérieure, en termes réels, à celle versée aux autres travailleurs relevant de la même convention collective ne nous paraît pas justifiée.
49 Certes, si les travailleurs exerçant une activité mineure bénéficiaient, comme les autres, de la gratification de fin d'année, ils s'en trouveraient favorisés d'une certaine façon, puisqu'ils percevraient effectivement une rémunération supérieure, en valeur absolue, à celle des travailleurs relevant du BAT, du fait de leur exonération par ailleurs à l'obligation de cotisation au titre du régime légal d'assurance sociale.
50 Il convient de garder cependant à l'esprit, avec la Commission (27), que cet avantage en termes de rémunération ne serait pas de nature à gommer les désavantages, dans le domaine de l'assurance sociale notamment, inhérents à ce type d'emploi. Ainsi, le fait d'être exonéré de l'assurance sociale obligatoire ne constitue pas, dans la majorité des cas, un privilège particulier (28). C'est d'ailleurs ce que l'on peut déduire de vos arrêts Nolte, et Megner et Scheffel, précités, dès lors que, en procédant directement à l'examen des justifications avancées, votre Cour a, implicitement, mais nécessairement, estimé qu'une telle exonération était constitutive d'un désavantage.
51 Si cet argument ne saurait ainsi constituer une justification objective, il nous semble en revanche, et contrairement à ce qu'avance la Commission (29), que l'effet potentiellement dissuasif sur l'embauche des personnes exerçant un emploi mineur qui pourrait être obtenu par l'imposition du versement de la prime annuelle mérite que l'on s'y attache tout particulièrement.
52 Dans nos conclusions sous les arrêts Nolte, et Megner et Scheffel, précités (30), nous considérions déjà que, en dépit de ses imperfections, l'institution du travail mineur présentait l'avantage d'intégrer une certaine partie de la population à la population active, qui, à défaut, pourrait s'en trouver exclue. Dans le cadre d'une politique de lutte contre le chômage et le travail au noir, il ne paraît pas incohérent de s'efforcer de rendre attractif pour les employeurs l'emploi de cette catégorie de travailleurs, par l'exonération des charges sociales, ou la dispense d'une prime spéciale par exemple. Nous rappelions également que, dans cet esprit, vous avez jugé constitutive d'une justification objective étrangère à toute discrimination fondée sur le sexe une politique d'allégement des contraintes pesant sur les petites entreprises, «lesquelles jouent un rôle essentiel dans le développement économique et la création d'emplois au sein de la Communauté» (31).
53 Il s'agit là d'un argument auquel vous avez également été particulièrement sensibles dans vos arrêts Nolte, et Megner et Scheffel. Même s'il est souvent retenu de cette jurisprudence votre admission à un argument de politique sociale (32), vous n'en avez pas moins également estimé qu'un objectif de politique de l'emploi est objectivement étranger à toute discrimination fondée sur le sexe et, comme tel, peut être de nature à justifier une différence de traitement prohibée.
54 Or, telle nous paraît devoir être l'approche à suivre en l'espèce.
55 Il nous semble en effet tout à fait concevable que, dans la perspective d'une politique d'embauche, ou, plus largement, favorable à l'emploi, il ait été convenu par les partenaires sociaux signataires de la convention collective de réserver un traitement particulier aux personnes exerçant un emploi mineur. Vous l'avez admis à l'égard de leur couverture sociale dans les arrêts précités. Rien ne s'oppose à ce que le même raisonnement soit appliqué en matière de rémunération.
56 C'est pourquoi nous estimons qu'un objectif de politique de l'emploi est de nature à justifier objectivement et abstraction faite de tout critère fondé sur le sexe l'exclusion des personnes exerçant une activité mineure du champ d'application du BAT, et, en conséquence, du bénéfice de la prime annuelle litigieuse.
57 Ajoutons, ainsi qu'il en a été convenu au cours de l'audience devant votre Cour, que l'admission des personnes exerçant un emploi mineur dans le champ d'application des dispositions de conventions collectives reconnaissant le bénéfice de la prime de Noël changerait radicalement la conception même de ce type d'emploi. En effet, une personne exerçant un emploi mineur, recevant en fin d'année l'équivalent d'un mois de salaire supplémentaire, bénéficierait d'une rémunération dépassant le seuil au-delà duquel elle serait exemptée de l'obligation de cotisation au système contributif de sécurité sociale allemand. C'est ainsi l'institution du travail mineur - dont l'un des éléments constitutifs est précisément l'exemption d'affiliation à la sécurité sociale - qui serait remise en question. Or, il appartient au seul gouvernement allemand de juger de l'opportunité d'une telle remise en cause, dans le cadre de sa politique de l'emploi.
Conclusion
58 Pour les considérations qui précèdent, nous vous proposons d'apporter la réponse suivante à la question soumise par l'Arbeitsgericht München:
«L'article 119 du traité CE ainsi que la directive 75/117/CEE du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins, doivent être interprétés dans le sens suivant: les dispositions combinées de conventions collectives excluant les personnes exerçant des activités salariées - qualifiées d'emplois mineurs -, exonérées de l'assurance sociale obligatoire, comportant un horaire normal inférieur à quinze heures par semaine et une rémunération normale ne dépassant pas une fraction de la base mensuelle de référence, du bénéfice d'une prime spéciale annuelle à laquelle ont droit les autres travailleurs relevant de ces conventions collectives ne constituent pas une discrimination fondée sur le sexe. Il en est ainsi, même si ces dispositions touchent nettement plus de femmes que d'hommes, dès lors que les partenaires sociaux ont pu raisonnablement estimer que les conventions collectives en cause étaient nécessaires pour atteindre un objectif de politique de l'emploi étranger à toute discrimination fondée sur le sexe.»
(1) - C-317/93, Rec. p. I-4625.
(2) - C-444/93, Rec. p. I-4741.
(3) - Il a été précisé au cours de l'audience devant votre Cour que cette fraction correspond à un septième de la base salariale mensuelle, soit 620 DM.
(4) - Paragraphe 1 des motifs de l'ordonnance de renvoi.
(5) - Il s'agit en réalité d'une erreur de plume, la date correcte étant 1973.
(6) - JO L 39, p. 40.
(7) - Jurisprudence constante depuis l'arrêt du 8 avril 1976, Defrenne II (43/75, Rec. p. 455, point 12). Voir, par exemple, l'arrêt du 17 juin 1998, Hill et Stapleton (C-243/95, Rec. p. I-3739, point 18).
(8) - Voir la rédaction, reproduite au point 8 des présentes conclusions, d'un passage de l'ordonnance de renvoi.
(9) - Points 2 des observations de la partie défenderesse et 22 de celles de la Commission.
(10) - Dernier paragraphe de l'ordonnance de renvoi.
(11) - Respectivement, notamment, points 19 et 21, et points 18 et 20.
(12) - Point 35 de ses observations.
(13) - En réalité, il semblerait, à la lecture de l'ordonnance de renvoi, que la référence à la directive 76/207 renvoie à l'examen du BErzGG, que nous avons préalablement écarté.
(14) - Arrêt du 13 février 1996, Gillespie e.a. (C-342/93, Rec. p. I-475, point 24).
(15) - Directive du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins (JO L 45, p. 19).
(16) - Voir, par exemple, les arrêts Gillespie e.a., point 11, et Hill et Stapleton, point 19, précités.
(17) - Arrêt du 17 mai 1990, Barber (C-262/88, Rec. p. I-1889, point 20).
(18) - Arrêt Gillespie e.a., précité, point 12.
(19) - Arrêt Hill et Stapleton, précité, point 24. Voir en ce sens, également, parmi les arrêts récents, Megner et Scheffel, précité, point 24; du 2 octobre 1997, Gerster (C-1/95, Rec. p. I-5253, point 30), et Kording (C-100/95, Rec. p. I-5289, point 16).
(20) - Voir, par exemple, les arrêts du 27 juin 1990, Kowalska (C-33/89, Rec. p. I-2591, point 16), et du 7 février 1991, Nimz (C-184/89, Rec. p. I-297, point 15).
(21) - Arrêts Gerster, point 30, et Kording, point 16, précités.
(22) - Notons néanmoins, pour être précis, que le pourcentage ainsi avancé par l'Arbeitsgericht München se rapporterait, selon la rédaction de l'ordonnance de renvoi, aux personnes qui perçoivent des prestations au titre du BErzGG (voir le point 8 des présentes conclusions). Il appartient en tout état de cause à la juridiction nationale de s'assurer de la réalité du pourcentage ainsi avancé, en ce qu'il se rapporte aux personnes qui se voient refuser le bénéfice de la prime en raison de leur occupation au titre d'un emploi mineur.
(23) - Point 32, souligné par nous.
(24) - Ibidem, point 26.
(25) - Ibidem, en particulier points 27, 28 et 30.
(26) - Ibidem, point 26.
(27) - Points 55 et suiv. de ses observations.
(28) - C'est la conclusion à laquelle nous étions parvenu dans nos conclusions sous les arrêts Nolte, et Megner et Scheffel, précités, aux points 44 à 51, en particulier 47.
(29) - Point 51 de ses observations.
(30) - Point 74 en particulier.
(31) - Arrêt du 30 novembre 1993, Kirsammer-Hack (C-189/91, Rec. p. I-6185, point 33).
(32) - Certainement en raison du fait que, à la différence des motifs des arrêts, n'est reprise dans leur dispositif que la référence à cet objectif de politique sociale pour justifier la discrimination présumée, à l'exclusion de celle, pourtant opérée notamment au point 30 de l'arrêt Megner et Scheffel, précité, et 34 de l'arrêt Nolte, précité, à un objectif de politique de l'emploi.