61997C0071

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 26 mars 1998. - Commission des Communautés européennes contre Royaume d'Espagne. - Manquement d'Etat - Non-transposition d'une directive. - Affaire C-71/97.

Recueil de jurisprudence 1998 page I-05991


Conclusions de l'avocat général


1 Dans le cadre du présent recours en manquement, introduit en vertu de l'article 169 du traité CE, la Commission reproche au royaume d'Espagne de ne pas avoir satisfait aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 91/676/CEE du Conseil, du 12 décembre 1991, concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles (1) (ci-après «la directive»).

2 Plus particulièrement, la Commission reproche au gouvernement défendeur:

- de ne pas avoir désigné les zones considérées comme vulnérables et de ne pas lui avoir communiqué ces désignations, comme le prévoit l'article 3 de la directive,

ainsi que, deuxièmement,

- de ne pas avoir établi les codes de bonne pratique agricole et de ne pas les lui avoir communiqués, comme le prévoit l'article 4 de la directive.

3 En effet, l'article 3 de la directive prévoit, en son paragraphe 2, que les États membres désignent, dans un délai de deux ans à partir de la notification de la directive, comme zones vulnérables toutes les zones connues sur leur territoire qui alimentent les eaux définies conformément au paragraphe 1, et qui contribuent à la pollution. Dans un délai de six mois, les États membres notifient cette désignation initiale à la Commission.

4 Aux termes de l'article 4 de la directive, les États membres établissent, dans un délai de deux ans à compter de la notification de la directive, un ou des codes de bonne pratique agricole et en présentent les modalités à la Commission.

5 Une note sous l'article 12, paragraphe 1, indique que la directive a été notifiée aux États membres le 19 décembre 1991. Le délai pour la désignation des zones vulnérables et l'établissement des codes de bonne pratique agricole est donc venu à expiration le 18 décembre 1993. Celui pour la notification des zones vulnérables, le 18 juin 1994.

6 Il ressort de la requête que, à la date du 17 février 1997, le royaume d'Espagne n'avait toujours pas communiqué à la Commission les désignations prévues à l'article 3 de la directive et les codes de bonne pratique agricole.

7 Le gouvernement espagnol observe que la mise en oeuvre de la directive s'est trouvée retardée en raison, d'abord, de difficultés techniques et, également, en raison du fait que, dans ce domaine, l'État et les communautés autonomes disposent de compétences concurrentes.

8 A cet égard, il suffit de relever que, selon une jurisprudence constante, d'une part, «la nature obligatoire des directives implique l'obligation pour tous les États membres de respecter les délais qu'elles fixent afin que l'exécution en soit uniformément assurée dans la Communauté tout entière» (2), et que, d'autre part, «un État membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier l'inobservation des obligations et délais prescrits par une directive» (3).

9 De même, la Cour a jugé (4) que «les gouvernements des États membres participent aux travaux préparatoires des directives et doivent, dès lors, être en mesure d'élaborer les dispositions législatives nécessaires à leur mise en oeuvre dans le délai fixé. Si, néanmoins, le délai pour la mise en oeuvre d'une directive s'avère trop court, la seule voie compatible avec le droit communautaire consiste, pour l'État membre intéressé, à prendre, dans le cadre communautaire, les initiatives appropriées en vue d'obtenir que soit arrêtée, par l'institution compétente, la prorogation éventuelle du délai».$

10 Le gouvernement défendeur observe encore que, dans le cas d'espèce, il n'y aurait pas lieu de parler d'un manquement dès lors que, selon lui, un manquement impliquerait la volonté de ne pas accomplir ce qui doit l'être.

11 Je ne saurais souscrire à cette thèse puisque, comme la Cour l'a jugé (5), «la recevabilité d'une action basée sur l'article 169 du traité dépend de la seule constatation objective du manquement et non de la preuve d'une quelconque inertie ou opposition de la part de l'État membre concerné». En effet, l'appréciation de tout élément moral, intentionnel, est étrangère à la constatation par la Cour de justice d'un manquement de la part d'un État membre à ses obligations.

12 En ce qui concerne l'obligation d'élaborer des codes de bonne pratique agricole, le gouvernement espagnol indique, dans son mémoire en défense, que six des dix-sept communautés autonomes ont élaboré un tel code et que ces six codes ont été communiqués à la Commission.

13 La Commission, dans sa réplique, reconnaît avoir effectivement reçu ces six codes relatifs aux communautés autonomes respectivement d'Andalousie, de Cantabrie, de Madrid, de Murcie, de Navarre et de Valence. Elle n'estime donc pas nécessaire que la Cour se prononce en ce qui concerne le respect de l'obligation d'établir et de communiquer à la Commission les codes de bonne pratique agricole relatifs auxdites communautés autonomes.

14 Dans son mémoire en duplique, le gouvernement espagnol conclut de nouveau au rejet de la requête, cette fois au motif que, entre-temps, quatorze communautés autonomes auraient élaboré et communiqué des codes de bonne pratique agricole. De même, sept communautés autonomes auraient désigné les zones vulnérables, cinq autres auraient déclaré que de telles zones n'existent pas sur leur territoire respectif et la communauté d'Andalousie aurait bien désigné des zones vulnérables, mais n'aurait pas encore communiqué cette désignation à la Commission.

15 Il ressort cependant de la jurisprudence de la Cour (6) que les mesures arrêtées par un État membre, pour satisfaire à ses obligations, postérieurement à l'introduction du recours en manquement, ne peuvent être prises en considération par la Cour. Ces mesures adoptées tardivement pourraient tout au plus amener la Commission à réduire le champ des griefs, voire à renoncer au recours. Or, en l'espèce, tel n'a pas été le cas en ce qui concerne les mesures dont le gouvernement espagnol fait état dans sa duplique.

16 Je vous propose donc de faire droit aux conclusions de la Commission telles qu'énoncées dans la réplique.

Conclusion

17 Au vu de tout ce qui précède, je propose à la Cour de:

- constater que, en n'ayant ni établi ni communiqué à la Commission les codes de bonne pratique agricole prévus par l'article 4 de la directive 91/676/CEE du Conseil, du 12 décembre 1991, concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles, en ce qui concerne les communautés autonomes autres que celles d'Andalousie, de Cantabrie, de Madrid, de Murcie, de Navarre et de Valence, et en n'ayant pas procédé à la désignation de zones considérées comme vulnérables ni communiqué ces désignations à la Commission comme le prévoit l'article 3 de ladite directive, le royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ladite directive;

- condamner le royaume d'Espagne aux dépens.

(1) - JO L 375, p. 1.

(2) - Arrêt du 22 septembre 1976, Commission/Italie (10/76, Rec. p. 1359, point 10).

(3) - Voir, par exemple, arrêt du 6 juillet 1995, Commission/Grèce (C-259/94, Rec. p. I-1947, point 5).

(4) - Voir, par exemple, arrêt du 1er mars 1983, Commission/Belgique (301/81, Rec. p. 467, point 11).

(5) - Ibid., point 8.

(6) - Voir, par exemple, arrêt du 17 septembre 1987, Commission/Pays-Bas (291/84, Rec. p. 3483).