61996J0173

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 10 décembre 1998. - Francisca Sánchez Hidalgo e.a. contre Asociación de Servicios Aser et Sociedad Cooperativa Minerva (C-173/96), et Horst Ziemann contre Ziemann Sicherheit GmbH et Horst Bohn Sicherheitsdienst (C-247/96). - Demandes de décision préjudicielle: Tribunal Superior de Justicia de Castilla-La Mancha - Espagne et Arbeitsgericht Lörrach - Allemagne. - Maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises. - Affaires jointes C-173/96 et C-247/96.

Recueil de jurisprudence 1998 page I-08237


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


Politique sociale - Rapprochement des législations - Transferts d'entreprises - Maintien des droits des travailleurs - Directive 77/187 - Champ d'application - Organisme public concédant un service ou attribuant un marché, jusqu'alors confiés à une entreprise, à une autre entreprise - Inclusion - Conditions

(Directive du Conseil 77/187, art. 1er, § 1)

Sommaire


L'article 1er, paragraphe 1, de la directive 77/187, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements, doit être interprété en ce sens que cette dernière s'applique à une situation dans laquelle un organisme public, qui avait concédé son service d'aide à domicile auprès de personnes défavorisées ou attribué le marché de surveillance de certains de ses locaux à une première entreprise, décide, à l'échéance ou après résiliation du contrat qui le liait à celle-ci, de concéder ce service ou d'attribuer ce marché à une seconde entreprise, pour autant que l'opération s'accompagne du transfert d'une entité économique entre les deux entreprises. La notion d'entité économique renvoie à un ensemble organisé de personnes et d'éléments permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre. La seule circonstance que la prestation fournie tour à tour par l'ancien et le nouveau concessionnaire ou titulaire du marché soit similaire ne permet pas de conclure au transfert d'une telle entité.

Parties


Dans les affaires jointes C-173/96 et C-247/96,

ayant pour objet des demandes adressées à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par le Tribunal Superior de Justicia de Castilla-La Mancha (Espagne) (C-173/96) et l'Arbeitsgericht Lörrach (Allemagne) (C-247/96) et tendant à obtenir, dans les litiges pendants devant ces juridictions entre

Francisca Sánchez Hidalgo e.a.

et

Asociación de Servicios Aser,

Sociedad Cooperativa Minerva (C-173/96)

et entre

Horst Ziemann

et

Ziemann Sicherheit GmbH, Horst Bohn Sicherheitsdienst (C-247/96),

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de la directive 77/187/CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements (JO L 61, p. 26),

LA COUR

(cinquième chambre),

composée de MM J.-P. Puissochet (rapporteur), président de chambre, P. Jann, J. C. Moitinho de Almeida, C. Gulmann et D. A. O. Edward, juges,

avocat général: M. G. Cosmas,

greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

considérant les observations écrites présentées:

- pour Asociación de Servicios Aser, par Me Aquilino Conde Barbero, avocat au barreau de Madrid,

- pour Ziemann Sicherheit GmbH, par Me Detlef Heyder, avocat à Fribourg-en-Brisgau,

- pour le gouvernement allemand, par M. Ernst Röder, Ministerialrat au ministère fédéral de l'Économie, et Mme Sabine Maass, Regierungsrätin zur Anstellung au même ministère, en qualité d'agents (C-247/96),

- pour le gouvernement français, par M. Jean-François Dobelle, directeur adjoint à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et Mme Anne de Bourgoing, chargé de mission à la même direction, en qualité d'agents (C-173/96),

- pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. John E. Collins, du Treasury Solicitor's Department, en qualité d'agent, et M. Clive Lewis, barrister (C-173/96),

- pour la Commission des Communautés européennes, par Mmes Maria Patakia et Isabel Martínez del Peral, membres du service juridique, en qualité d'agents (C-173/96), et par Mme Maria Patakia et M. Peter Hillenkamp, conseiller juridique, en qualité d'agent, assistés de Mes Gerrit Schohe et Mark Hoenike, avocats au barreau de Bruxelles (C-247/96),

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de M. Horst Ziemann, représenté par M. Rudolf Buschmann, membre du service juridique fédéral du Deutscher Gewerkschaftsbund, en qualité d'agent, du gouvernement espagnol, représenté par Mme Rosario Silva de Lapuerta, abogado del Estado, en qualité d'agent, du gouvernement français, représenté par M. Jean-François Dobelle et Mme Anne de Bourgoing, et de la Commission, représentée par MM. Peter Hillenkamp et Manuel Desantes, fonctionnaire national mis à la disposition du service juridique, en qualité d'agent, à l'audience du 11 juin 1998,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 24 septembre 1998,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par ordonnances des 25 avril 1996 (C-173/96) et 28 novembre 1995 (C-247/96), parvenues à la Cour les 20 mai 1996 et 19 juillet 1996, le Tribunal Superior de Justicia de Castilla-La Mancha et l'Arbeitsgericht Lörrach ont posé, en application de l'article 177 du traité CE, des questions préjudicielles relatives à l'interprétation de la directive 77/187/CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements (JO L 61, p. 26).

2 Ces questions ont été posées dans le cadre de litiges opposant, pour l'un, Mme Sánchez Hidalgo e.a. à Asociación de Servicios Aser (ci-après «Aser») et à Sociedad Cooperativa Minerva (ci-après «Minerva») et, pour l'autre, M. Ziemann à Ziemann Sicherheit GmbH (ci-après «Ziemann GmbH») et à Horst Bohn Sicherheitsdienst (ci-après «Horst Bohn»).

3 A la suite du prononcé de l'arrêt du 11 mars 1997, Süzen (C-13/95, Rec. p. I-1259), la procédure dans les présentes affaires a été suspendue par décisions du président de la Cour du 18 mars 1997 et la Cour a invité les juridictions de renvoi à lui indiquer si elles maintenaient leurs questions à la lumière de cet arrêt et de l'arrêt du 14 avril 1994, Schmidt (C-392/92, Rec. p. I-1311). Par lettres des 20 mai 1997 (C-173/96) et 5 juin 1997 (C-247/96), ces juridictions ont fait savoir à la Cour qu'elles maintenaient leurs questions. Par décisions du président de la Cour des 2 juin 1997 (C-173/96) et 18 juin 1997 (C-247/96), la procédure a été reprise dans les présentes affaires.

4 Par ordonnance du président de la cinquième chambre du 27 mars 1998, les deux affaires ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l'arrêt.

L'affaire C-173/96

5 La commune de Guadalajara avait concédé son service d'aide à domicile auprès de personnes défavorisées à Minerva qui employait, à cette fin, depuis plusieurs années, en qualité d'auxiliaires d'aide à domicile, Mme Sánchez Hidalgo ainsi que quatre autres salariées.

6 A l'expiration de la concession, la commune de Guadalajara a concédé, à compter du 1er septembre 1994, le service en question à Aser. Celle-ci a alors embauché Mme Sánchez Hidalgo et ses quatre collègues sous le régime du travail à temps partiel mais sans leur reconnaître l'ancienneté qu'elles avaient acquise au sein de leur précédente entreprise.

7 Considérant que l'absence de prise en compte de leur ancienneté constituait une infraction à l'article 44 de l'Estatuto de los Trabajadores, qui met en oeuvre en droit espagnol les dispositions de la directive 77/187, les cinq employées ont intenté, devant le Juzgado de lo Social de Guadalajara, une action tendant à faire constater l'existence d'une subrogation d'entreprise entre Minerva et Aser.

8 Estimant que les conditions d'un transfert d'entreprise au sens de la législation nationale n'étaient pas réunies, cette juridiction a rejeté leur recours par jugement du 6 juillet 1995.

9 Mme Sánchez Hidalgo et ses quatre collègues ont fait appel de ce jugement devant le Tribunal Superior de Justicia de Castilla-La Mancha.

10 Dans son ordonnance de renvoi, ce dernier relève que, en vertu de la jurisprudence du Tribunal Supremo, la protection conférée aux salariés par l'article 44 de l'Estatuto de los Trabajadores n'est applicable qu'en cas de transfert d'actifs matériels entre les deux entreprises successives ou si la convention collective du secteur ou le cahier des charges régissant la concession le prévoient. Or, la présente affaire ne rentre dans aucune de ces hypothèses. La juridiction de renvoi observe toutefois que la disposition nationale en cause doit être interprétée conformément à la directive 77/187 qu'elle vise à transposer. Or, la Cour semble admettre l'application de cette directive en cas de simple succession dans l'exercice d'une activité, indépendamment de tout transfert d'éléments d'actif (voir, en particulier, arrêts du 19 mai 1992, Redmond Stichting, C-29/91, Rec. p. I-3189, et Schmidt, précité).

11 Estimant, dans ces conditions, que la solution du litige dépendait de l'interprétation de la directive 77/187, le Tribunal Superior de Justicia de Castilla-La Mancha a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Le cas d'une entreprise qui cesse la prestation, pour le compte d'une commune qui la lui avait concédée, du service d'aide à domicile auprès de certaines personnes défavorisées, ce service ayant fait l'objet d'une nouvelle concession à une autre entreprise, alors qu'il n'y a pas transfert d'éléments matériels et que ni la convention collective ni le cahier des charges ne contiennent d'indications quant à l'obligation, pour la nouvelle entreprise concessionnaire du service, de se subroger à la précédente dans la relation de travail avec les travailleurs de celle-ci, doit-il être considéré comme relevant du champ d'application de l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 77/187 du 14 février 1977?»

L'affaire C-247/96

12 De 1979 à 1995, M. Ziemann a travaillé sans interruption, en qualité de gardien, dans un dépôt sanitaire de la Bundeswehr (armée fédérale), situé à Efringen-Kirchen. Pendant cette période, il a été employé tour à tour par les cinq sociétés qui ont successivement obtenu le marché de surveillance de ce dépôt et, en dernier lieu, de 1990 à 1995, par Ziemann GmbH.

13 Le 30 septembre 1995, la Bundeswehr a résilié le contrat de surveillance conclu avec cette dernière société et attribué, par la voie d'un nouvel appel d'offres, le marché en cause à Horst Bohn. Celle-ci a repris les agents de surveillance de Ziemann GmbH en poste dans le dépôt, à l'exception de trois d'entre eux dont M. Ziemann. Ziemann GmbH, qui emploie environ 160 salariés dans de nombreux autres sites dont certains sont toutefois éloignés d'Efringen-Kirchen, a alors résilié, avec effet au 30 septembre 1995, le contrat de travail de M. Ziemann.

14 Le 9 octobre 1995, M. Ziemann a introduit un recours devant l'Arbeitsgericht Lörrach tendant à faire constater l'illégalité de son licenciement. Il a fait valoir que la perte du marché de surveillance du dépôt d'Efringen-Kirchen par Ziemann GmbH et l'attribution de ce marché à Horst Bohn correspondaient à un transfert d'une partie d'établissement au sens de la directive 77/187 et de l'article 613 a du Bürgerliches Gesetzbuch (code civil allemand) qui transpose cette directive en droit allemand. Ziemann GmbH aurait donc procédé à son licenciement pour des raisons liées à ce transfert en violation de la législation allemande.

15 Ziemann GmbH et Horst Bohn ont soutenu, pour leur part, qu'il ne saurait y avoir transfert d'établissement en l'espèce, faute de rapports juridiques entre elles.

16 Selon la juridiction de renvoi, il ressort de la jurisprudence de la Cour, en particulier de l'arrêt Schmidt, précité, que la directive 77/187 est applicable chaque fois qu'une entreprise poursuit ou reprend, comme en l'espèce, l'activité jusque-là exercée par une autre entreprise. Cette juridiction souligne, à cet égard, la parfaite identité de l'activité exercée par les différentes sociétés qui se sont succédé pour la garde du dépôt sanitaire d'Efringen-Kirchen. En effet, l'organisation et l'exécution de l'activité de surveillance sont largement déterminées par la Bundeswehr qui intervient dans le choix des gardiens et prescrit en détail leurs obligations, la nature de leurs missions, l'étendue de leurs interventions, leur nombre, leur qualification, leur formation au maniement des armes ou encore leur équipement.

17 En outre, les missions de surveillance doivent être effectuées conformément aux dispositions du Gesetz über die Anwendung unmittelbaren Zwanges und die Ausübung besonderer Befugnisse durch Soldaten und zivile Wachpersonen (loi sur l'exercice de pouvoirs particuliers par des soldats et des agents de gardiennage civils). Enfin, les contrats de travail conclus par les différentes sociétés de surveillance avec leurs employés sont pratiquement identiques dans la mesure où ils sont essentiellement régis par la convention collective du secteur.

18 Estimant que la solution du litige dépendait de l'interprétation de la directive 77/187, l'Arbeitsgericht Lörrach a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) L'article 1er, paragraphe 1 (et donc également l'article 4, paragraphe 1), de la directive 77/187/CEE (JO L 61, p. 26) est-il également applicable au transfert de parties d'établissement, telles que la surveillance d'installations militaires, lorsqu'il n'y a pas de transfert contractuel direct entre les entreprises successives titulaires du marché (entreprises de gardiennage)?

2) Les conditions d'une telle application sont-elles en tous cas réunies lorsque la partie d'établissement retourne au pouvoir adjudicateur à l'issue du marché et qu'un marché de fourniture de services, essentiellement soumis à des prescriptions identiques, est ensuite immédiatement attribué à un adjudicataire qui succède au précédent?

3) Un transfert d'établissement au sens de l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 77/187/CEE du Conseil est-il en tous cas constitué lorsque ce sont toujours les mêmes travailleurs qui accomplissent les mêmes missions de surveillance et que celles-ci sont subordonnées à des conditions essentiellement identiques, dont la teneur est définie avec précision par le pouvoir adjudicateur?»

Les questions préjudicielles

19 Par leurs questions qu'il convient d'examiner ensemble, les juridictions de renvoi cherchent à savoir si, et dans quelles conditions, la directive 77/187 s'applique à une situation dans laquelle un organisme public, qui avait concédé son service d'aide à domicile auprès de personnes défavorisées ou attribué le marché de surveillance de certains de ses locaux à une première entreprise, décide, à l'échéance ou après résiliation du contrat qui le liait à celle-ci, de concéder ce service ou d'attribuer ce marché à une seconde entreprise.

20 Aux termes de son article 1er, paragraphe 1, la directive 77/187 est applicable aux transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements à un autre chef d'entreprise, résultant d'une cession conventionnelle ou d'une fusion.

21 La directive 77/187 vise à assurer la continuité des relations de travail existant dans le cadre d'une entité économique, indépendamment du changement du propriétaire. Le critère décisif pour établir l'existence d'un transfert au sens de cette directive est donc de savoir si l'entité en question garde son identité, ce qui résulte notamment de la poursuite effective de l'exploitation ou de sa reprise (arrêts du 18 mars 1986, Spijkers, 24/85, Rec. p. 1119, points 11 et 12, et, en dernier lieu, Süzen, précité, point 10).

22 L'absence de lien conventionnel entre le cédant et le cessionnaire ou, comme dans les espèces au principal, entre les deux entreprises auxquelles ont été successivement concédé le service d'aide à domicile ou confiée la tâche de surveillance du dépôt sanitaire, si elle peut constituer un indice qu'aucun transfert au sens de la directive 77/187 n'est intervenu, ne saurait revêtir une importance déterminante à cet égard (arrêt Süzen, précité, point 11).

23 En effet, la directive 77/187 est applicable dans toutes les hypothèses de changement, dans le cadre de relations contractuelles, de la personne physique ou morale responsable de l'exploitation de l'entreprise, qui contracte les obligations d'employeur vis-à-vis des employés de l'entreprise. Ainsi, pour que la directive 77/187 s'applique, il n'est pas nécessaire qu'il existe des relations contractuelles directes entre le cédant et le cessionnaire, la cession pouvant aussi s'effectuer en deux étapes par l'intermédiaire d'un tiers, comme le propriétaire ou le bailleur (voir, notamment, arrêts du 7 mars 1996, Merckx et Neuhuys, C-171/94 et C-172/94, Rec. p. I-1253, points 28 à 30, et Süzen, précité, point 12).

24 De même, la circonstance que le service ou le marché en cause ait été concédé ou attribué par un organisme de droit public ne saurait exclure l'application de la directive 77/187 dans la mesure où ni l'activité d'aide à domicile de personnes défavorisées ni l'activité de gardiennage ne relèvent de l'exercice de la puissance publique (voir, en ce sens, arrêt du 15 octobre 1996, Henke, C-298/94, Rec. p. I-4989). En outre, la directive 77/187 vise toute personne qui est protégée en tant que travailleur au titre de la législation nationale en matière de droit du travail (voir arrêts du 11 juillet 1985, Danmols Inventar, 105/84, Rec. p. 2639, point 27, et Redmond Stichting, précité, point 18) et il n'est pas contesté que tel est le cas des travailleurs concernés dans les présentes affaires.

25 Pour que la directive 77/187 soit applicable, le transfert doit cependant porter sur une entité économique organisée de manière stable, dont l'activité ne se borne pas à l'exécution d'un ouvrage déterminé (arrêt du 19 septembre 1995, Rygaard, C-48/94, Rec. p. I-2745, point 20). La notion d'entité renvoie ainsi à un ensemble organisé de personnes et d'éléments permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre (arrêt Süzen, précité, point 13).

26 Une telle entité, si elle doit être suffisamment structurée et autonome, ne comporte pas nécessairement d'éléments d'actifs, matériels ou immatériels, significatifs. En effet, dans certains secteurs économiques comme le nettoyage et le gardiennage, ces éléments sont souvent réduits à leur plus simple expression et l'activité repose essentiellement sur la main-d'oeuvre. Ainsi, un ensemble organisé de salariés qui sont spécialement et durablement affectés à une tâche commune peut, en l'absence d'autres facteurs de production, correspondre à une entité économique.

27 La présence d'une entité suffisamment structurée et autonome au sein de l'entreprise titulaire du marché n'est, en principe, pas affectée par la circonstance, d'ailleurs fréquente, que cette entreprise est soumise au respect d'obligations précises qui lui sont imposées par l'organisme adjudicateur. En effet, s'il peut arriver que l'influence exercée par ce dernier sur le service fourni par le prestataire soit étendue, celui-ci n'en conserve pas moins normalement une certaine liberté, même réduite, pour organiser et exécuter le service en question, sans que sa tâche puisse s'interpréter comme une simple mise à disposition de son personnel à l'organisme adjudicateur.

28 Il appartient aux juridictions de renvoi d'établir, à la lumière des éléments d'interprétation qui précèdent, si le service d'aide à domicile de personnes défavorisées de la commune de Guadalajara et la surveillance du dépôt sanitaire de la Bundeswehr d'Efringen-Kirchen étaient organisés sous la forme d'une entité économique au sein de la première entreprise concessionnaire ou titulaire du marché.

29 Pour déterminer ensuite si les conditions d'un transfert d'une telle entité sont remplies, il y a lieu de prendre en considération l'ensemble des circonstances de fait qui caractérisent l'opération en cause, au nombre desquels figurent notamment le type d'entreprise ou d'établissement dont il s'agit, le transfert ou non d'éléments corporels, tels que les bâtiments et les biens mobiliers, la valeur des éléments incorporels au moment du transfert, la reprise ou non de l'essentiel des effectifs par le nouveau chef d'entreprise, le transfert ou non de la clientèle, ainsi que le degré de similarité des activités exercées avant et après le transfert et la durée d'une éventuelle suspension de ces activités. Ces éléments ne constituent toutefois que des aspects partiels de l'évaluation d'ensemble qui s'impose et ne sauraient, de ce fait, être appréciés isolément (voir notamment arrêts Spijkers et Süzen, précités, respectivement points 13 et 14).

30 Ainsi, la seule circonstance que le service fourni par l'ancien et le nouveau concessionnaire ou l'ancien et le nouveau titulaire du marché soit similaire ne permet pas de conclure au transfert d'une entité économique entre les entreprises successives. En effet, une telle entité ne saurait être réduite à l'activité dont elle est chargée. Son identité ressort également d'autres éléments tels que le personnel qui la compose, son encadrement, l'organisation de son travail, ses méthodes d'exploitation ou encore, le cas échéant, les moyens d'exploitation à sa disposition (arrêt Süzen, précité, point 15).

31 Comme il a été rappelé au point 29 du présent arrêt, le juge national, dans son appréciation des circonstances de fait qui caractérisent l'opération en cause, doit notamment tenir compte du type d'entreprise ou d'établissement dont il s'agit. Il en résulte que l'importance respective à accorder aux différents critères de l'existence d'un transfert au sens de la directive 77/187 varie nécessairement en fonction de l'activité exercée, voire des méthodes de production ou d'exploitation utilisées dans l'entreprise, dans l'établissement ou dans la partie d'établissement en cause. Dès lors, en particulier, qu'une entité économique peut, dans certains secteurs, fonctionner sans éléments d'actifs, corporels ou incorporels, significatifs, le maintien de l'identité d'une telle entité par-delà l'opération dont elle est l'objet ne saurait, par hypothèse, dépendre de la cession de tels éléments (arrêt Süzen, précité, point 18).

32 Ainsi, dans la mesure où, dans certains secteurs dans lesquels l'activité repose essentiellement sur la main-d'oeuvre, une collectivité de travailleurs que réunit durablement une activité commune peut correspondre à une entité économique, une telle entité est susceptible de maintenir son identité par-delà son transfert quand le nouveau chef d'entreprise ne se contente pas de poursuivre l'activité en cause, mais reprend également une partie essentielle, en termes de nombre et de compétence, des effectifs que son prédécesseur affectait spécialement à cette tâche. Dans cette hypothèse, le nouveau chef d'entreprise acquiert en effet l'ensemble organisé d'éléments qui lui permettra la poursuite des activités ou de certaines activités de l'entreprise cédante de manière stable (arrêt Süzen, point 21).

33 Il appartient aux juridictions de renvoi d'établir, à la lumière de l'ensemble des éléments d'interprétation qui précèdent, si un transfert a eu lieu dans les affaires au principal.

34 Il y a donc lieu de répondre aux questions posées que l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 77/187 doit être interprété en ce sens que cette dernière s'applique à une situation dans laquelle un organisme public, qui avait concédé son service d'aide à domicile auprès de personnes défavorisées ou attribué le marché de surveillance de certains de ses locaux à une première entreprise, décide, à l'échéance ou après résiliation du contrat qui le liait à celle-ci, de concéder ce service ou d'attribuer ce marché à une seconde entreprise, pour autant que l'opération s'accompagne du transfert d'une entité économique entre les deux entreprises. La notion d'entité économique renvoie à un ensemble organisé de personnes et d'éléments permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre. La seule circonstance que la prestation fournie tour à tour par l'ancien et le nouveau concessionnaire ou titulaire du marché soit similaire ne permet pas de conclure au transfert d'une telle entité.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

35 Les frais exposés par les gouvernements allemand, espagnol, français et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR

(cinquième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunal Superior de Justicia de Castilla-La Mancha et l'Arbeitsgericht Lörrach, par ordonnances des 25 avril 1996 et 28 novembre 1995, dit pour droit:

L'article 1er, paragraphe 1, de la directive 77/187/CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements, doit être interprété en ce sens que cette dernière s'applique à une situation dans laquelle un organisme public, qui avait concédé son service d'aide à domicile auprès de personnes défavorisées ou attribué le marché de surveillance de certains de ses locaux à une première entreprise, décide, à l'échéance ou après résiliation du contrat qui le liait à celle-ci, de concéder ce service ou d'attribuer ce marché à une seconde entreprise, pour autant que l'opération s'accompagne du transfert d'une entité économique entre les deux entreprises. La notion d'entité économique renvoie à un ensemble organisé de personnes et d'éléments permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre. La seule circonstance que la prestation fournie tour à tour par l'ancien et le nouveau concessionnaire ou titulaire du marché soit similaire ne permet pas de conclure au transfert d'une telle entité.