61996J0160

Arrêt de la Cour du 5 mars 1998. - Manfred Molenaar et Barbara Fath-Molenaar contre Allgemeine Ortskrankenkasse Baden-Württemberg. - Demande de décision préjudicielle: Sozialgericht Karlsruhe - Allemagne. - Libre circulation des travailleurs - Prestations destinées à couvrir le risque de dépendance. - Affaire C-160/96.

Recueil de jurisprudence 1998 page I-00843


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


1 Sécurité sociale des travailleurs migrants - Réglementation communautaire - Champ d'application matériel - Prestations visées et prestations exclues - Critères de distinction - Prestations en vertu d'un régime national de sécurité sociale couvrant le risque de dépendance - Inclusion en tant que prestation de maladie

(Règlement du Conseil n_ 1408/71, art. 4, § 1, a))

2 Sécurité sociale des travailleurs migrants - Assurance maladie - Prestations en espèces - Notion - Régime national de sécurité sociale couvrant le risque de dépendance - Allocation dépendance se présentant comme une aide financière permettant d'améliorer globalement le niveau de vie des personnes dépendantes - Inclusion

(Règlement du Conseil n_ 1408/71, art. 19, § 1, 25, § 1, et 28, § 1)

3 Sécurité sociale des travailleurs migrants - Assurance maladie - Travailleur résidant dans un État membre autre que l'État compétent - Régime national de sécurité sociale couvrant le risque de dépendance - Prestation de maladie en espèces - Condition de résidence de l'assuré sur le territoire de l'État d'affiliation - Inadmissibilité

(Traité CE, art. 6 et 48, § 2; règlement du Conseil n_ 1408/71, art. 19, § 1, 25, § 1, et 28, § 1)

Sommaire


1 Une prestation peut être considérée comme une prestation de sécurité sociale dans la mesure où elle est octroyée, en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels, aux bénéficiaires sur la base d'une situation légalement définie et où elle se rapporte à l'un des risques expressément énumérés à l'article 4, paragraphe 1, du règlement n_ 1408/71. S'agissant de la première de ces conditions, il est constant que les dispositions relatives à l'octroi des prestations de l'assurance dépendance confèrent aux bénéficiaires un droit légalement défini. Quant à la seconde condition, les prestations de l'assurance dépendance visent à développer l'autonomie des personnes dépendantes, notamment sur le plan financier. En particulier, le système mis en place cherche à encourager la prévention et la réadaptation de préférence aux soins et à favoriser le recours aux soins à domicile de préférence aux soins en établissement. Des prestations de ce type ont donc essentiellement pour objet de compléter les prestations de l'assurance maladie, à laquelle elles sont d'ailleurs liées sur le plan de l'organisation, afin d'améliorer l'état de santé et la vie des personnes dépendantes. Dans ces conditions, et même si elles présentent des caractéristiques qui leur sont propres, de telles prestations doivent être regardées comme des «prestations de maladie» au sens de l'article 4, paragraphe 1, sous a), du règlement n_ 1408/71.

2 Une prestation telle que l'allocation dépendance est au nombre des «prestations en espèces» de l'assurance maladie visées par les articles 19, paragraphe 1, sous b), 25, paragraphe 1, sous b), et 28, paragraphe 1, sous b), du règlement n_ 1408/71. En effet, en premier lieu, le versement de l'allocation est périodique et n'est subordonné ni à l'engagement préalable de certaines dépenses, telles que des dépenses de soins, ni a fortiori à la production de justificatifs des dépenses engagées. En deuxième lieu, le montant de l'allocation est fixe et indépendant des frais réellement engagés par le bénéficiaire pour subvenir aux besoins de sa vie courante. En troisième lieu, le bénéficiaire dispose d'une grande liberté d'utilisation des sommes qui lui sont ainsi allouées. En particulier, l'allocation dépendance peut être utilisée par le bénéficiaire pour gratifier une personne de sa famille ou de son entourage qui l'assiste à titre bénévole. L'allocation dépendance se présente ainsi comme une aide financière qui permet d'améliorer globalement le niveau de vie des personnes dépendantes, de manière à compenser les surcoûts entraînés par l'état dans lequel elles se trouvent.

3 Les articles 6 et 48, paragraphe 2, du traité ne s'opposent pas à ce qu'un État membre impose à des personnes travaillant sur son territoire mais résidant dans un autre État membre de cotiser à un régime de sécurité sociale couvrant le risque de dépendance. Les articles 19, paragraphe 1, 25, paragraphe 1, et 28, paragraphe 1, du règlement n_ 1408/71 font en revanche obstacle à ce que le bénéfice d'une allocation telle que l'allocation de dépendance, qui constitue une prestation de maladie en espèces, soit subordonné à la résidence de l'assuré sur le territoire de l'État d'affiliation.

En effet, d'une part, un travailleur salarié résidant dans un État membre autre que celui où il est employé bénéficie du versement, dans l'État membre de sa résidence, de prestations telles que les prestations en nature de l'assurance dépendance dans la mesure où la législation de ce dernier État, quelle que soit la dénomination plus spécifique du système de protection sociale dans lequel elle s'insère, prévoit le versement de prestations en nature destinées à couvrir les mêmes risques que ceux couverts par l'assurance dépendance dans l'État membre d'emploi. D'autre part, le travailleur bénéficie du versement de prestations en espèces telles que l'allocation dépendance dans l'État membre où il réside, même si la législation de ce dernier État ne prévoit pas de prestations de ce type. Il en va de même, s'agissant respectivement des chômeurs et des titulaires de pensions ou de rentes relevant de la législation d'un autre État membre que celui dans lequel ils résident.

Parties


Dans l'affaire C-160/96,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par le Sozialgericht Karlsruhe (Allemagne) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Manfred Molenaar,

Barbara Fath-Molenaar

et

Allgemeine Ortskrankenkasse Baden-Württemberg,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 6 et 48, paragraphe 2, du traité CE,

LA COUR,

composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, C. Gulmann, H. Ragnemalm, M. Wathelet et R. Schintgen, présidents de chambre, G. F. Mancini, J. C. Moitinho de Almeida, P. J. G. Kapteyn, J. L. Murray, D. A. O. Edward, J.-P. Puissochet (rapporteur), G. Hirsch, P. Jann, L. Sevón et K. M. Ioannou,juges,

avocat général: M. G. Cosmas,

greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

considérant les observations écrites présentées:

- pour M. et Mme Molenaar, par Me S. de Witt, avocat à Freiburg,

- pour l'Allgemeine Ortskrankenkasse Baden-Württemberg, par M. K. Hirzel, Rechtsassessor, Justiziar,

- pour le gouvernement allemand, par M. E. Röder, Ministerialrat au ministère fédéral de l'Économie, en qualité d'agent,

- pour le gouvernement autrichien, par M. M. Potacs, Univ. Doz. DDr., Bundeskanzleramt, en qualité d'agent,

- pour le gouvernement suédois, par Mme L. Nordling, directeur général des affaires juridiques au secrétariat juridique (UE), au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,

- pour la Commission des Communautés européennes, par M. P. Hillenkamp, conseiller juridique, et Mme M. Patakia, membre du service juridique, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de M. et Mme Molenaar, représentés par Me W. Schirp, avocat à Freiburg, de l'Allgemeine Ortskrankenkasse Baden-Württemberg, représentée par M. K. Hirzel, du gouvernement allemand, représenté par M. E. Röder, du gouvernement autrichien, représenté par M. G. Hesse, Magister au Bundeskanzleramt, et de la Commission, représentée par M. P. Hillenkamp, à l'audience du 8 octobre 1997,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 9 décembre 1997,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par ordonnance du 28 mars 1996, parvenue à la Cour le 13 mai suivant, le Sozialgericht Karlsruhe a posé à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, une question préjudicielle relative à l'interprétation des articles 6 et 48, paragraphe 2, du même traité.

2 Cette question a été posée dans le cadre d'un litige opposant M. et Mme Molenaar, respectivement de nationalité néerlandaise et allemande, à l'Allgemeine Ortskrankenkasse Baden-Württemberg (ci-après l'«AOK») au sujet du droit de ces derniers de bénéficier des prestations de l'assurance sociale allemande contre le risque de dépendance (ci-après l'«assurance dépendance»).

3 Cette assurance a été instaurée, à compter du 1er janvier 1995, par le Pflegeversicherungsgesetz (loi relative à l'assurance sociale contre le risque de dépendance, ci-après la «loi»), qui constitue le livre XI du Sozialgesetzbuch (code allemand de la sécurité sociale, ci-après le «SGB»). Elle est destinée à couvrir les frais entraînés par l'état de dépendance des personnes assurées, c'est-à-dire par le besoin permanent qu'elles ont de recourir, dans une large mesure, à l'aide d'autres personnes pour exécuter les actes de la vie courante (hygiène corporelle, nutrition, mobilité, entretien de l'habitation...).

4 En vertu de la loi, toute personne assurée, à titre volontaire ou obligatoire, à l'assurance maladie doit cotiser au régime de l'assurance dépendance.

5 L'assurance dépendance ouvre droit, tout d'abord, à des prestations destinées à couvrir les frais occasionnés par les soins prodigués à domicile par des tierces personnes. Ces prestations dites de «soins à domicile», dont le montant dépend du degré de dépendance de la personne concernée, peuvent être servies, au choix du bénéficiaire, soit sous la forme de soins dispensés par des organismes agréés, soit sous la forme d'une allocation mensuelle, dénommée «allocation dépendance», permettant au bénéficiaire de choisir la forme d'aide qu'il considère comme la plus appropriée à son état.

6 L'assurance dépendance ouvre droit, ensuite, à la prise en charge des soins donnés à l'assuré dans des centres d'hébergement ou dans des établissements de soins, à des allocations destinées à suppléer l'absence, pendant les périodes de congé, de la tierce personne qui s'occupe habituellement de l'assuré, à des allocations et indemnités couvrant divers frais entraînés par l'état de dépendance de l'assuré, tels que l'achat et l'installation d'équipements spécialisés, la réalisation de travaux de transformation de l'habitation.

7 Enfin, l'assurance dépendance prend en charge, dans certaines conditions, les cotisations à l'assurance vieillesse et invalidité ainsi qu'à l'assurance accident de la tierce personne qui assiste la personne assurée.

8 En vertu de l'article 34, paragraphe 1, point 1, du livre XI du SGB, le bénéfice des prestations de l'assurance dépendance est subordonné au séjour de l'assuré sur le territoire allemand.

9 M. et Mme Molenaar exercent une activité salariée en Allemagne tout en résidant en France. Ils sont, tous deux, affiliés à titre volontaire à l'assurance maladie en Allemagne et ont été assujettis à l'assurance dépendance à compter du 1er janvier 1995.

10 Toutefois, en décembre 1994 et en janvier 1995, la caisse de sécurité sociale compétente, l'AOK, les a informés qu'ils ne pourraient pas prétendre au versement des prestations de l'assurance dépendance tant qu'ils résideraient en France.

11 M. et Mme Molenaar ont alors saisi le Sozialgericht Karlsruhe de demandes tendant notamment à faire constater qu'ils n'étaient pas tenus de cotiser au régime d'assurance dépendance tant qu'ils ne pouvaient pas bénéficier de ses prestations. Ils ont fait valoir à cet égard que la condition de résidence, à laquelle l'article 34, paragraphe 1, point 1, du livre XI du SGB subordonne le bénéfice de ces prestations, était contraire aux articles 6 et 48 du traité.

12 Estimant que la solution du litige nécessitait une interprétation de ces dispositions, le Sozialgericht Karlsruhe a posé à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Les articles 6 et 48, paragraphe 2, du traité CE doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils limitent le droit d'un État membre d'instituer un régime de sécurité sociale visant à couvrir le risque de dépendance dans le cadre d'une obligation légale d'assurance et d'obliger des personnes qui résident dans un autre État membre à cotiser au titre de cette assurance, bien que le lieu de leur résidence ait simultanément pour effet d'exclure ou de suspendre tout droit aux prestations de ce chef?»

13 Par sa question, le juge national demande en substance si les articles 6 et 48, paragraphe 2, du traité s'opposent à ce qu'un État membre impose aux personnes travaillant sur son territoire mais résidant dans un autre État membre de cotiser à un régime de sécurité sociale du type de celui de l'assurance dépendance tout en excluant le versement des prestations au titre d'un tel régime dans l'État membre où résident ces travailleurs.

14 Afin de répondre à cette question, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour (voir, notamment, arrêts du 18 mai 1989, Troiani, 368/87, Rec. p. 1333, point 20, et du 22 novembre 1995, Vougioukas, C-443/93, Rec. p. I-4033, point 30), le Conseil était tenu, en vertu de l'article 51 du traité CE, d'instaurer un régime permettant aux travailleurs de surmonter les obstacles qui peuvent résulter pour eux des règles nationales relatives à la sécurité sociale, afin de garantir à ces travailleurs l'exercice effectif du droit à la libre circulation consacré par l'article 48 du traité, et qu'il s'est acquitté, en principe, de cette obligation en adoptant le règlement (CEE) n_ 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté (JO L 149, p. 2).

15 Dans ces conditions, il convient d'examiner la question posée au regard des dispositions de ce règlement, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CEE) n_ 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983 (JO L 230, p. 6, ci-après le «règlement n_ 1408/71»), et donc de déterminer si un régime tel que celui de l'assurance dépendance entre dans son champ d'application.

16 Tous les intervenants à la procédure s'accordent pour admettre qu'un régime tel que celui en cause dans le litige au principal relève du règlement n_ 1408/71.

17 Les requérants au principal ainsi que les gouvernements allemand, autrichien et suédois sont plus précisément d'avis que les prestations servies par ce régime peuvent être rattachées aux «prestations de maladie» visées par l'article 4, paragraphe 1, sous a), de ce règlement. Les requérants au principal font valoir que ces prestations pourraient aussi être rattachées aux «prestations de vieillesse» visées à la lettre c) de la même disposition.

18 En revanche, la Commission estime que, si les prestations de ce régime relèvent bien du règlement n_ 1408/71, elles ne peuvent pas être rattachées exclusivement à l'une ou à l'autre des branches de sécurité sociale mentionnées à l'article 4, paragraphe 1, de ce règlement. Selon elle, ces prestations présentent des caractéristiques communes avec les branches maladie, invalidité et vieillesse visées aux lettres a), b) et c) sans pouvoir être rigoureusement identifiées à l'une ou à l'autre d'entre elles.

19 Sur ce point, il convient de rappeler que la distinction entre les prestations relevant du champ d'application du règlement n_ 1408/71 et celles qui en sont exclues repose essentiellement sur les éléments constitutifs de chaque prestation, notamment ses finalités et ses conditions d'octroi, et non pas sur le fait qu'une prestation est qualifiée ou non par une législation nationale de prestation de sécurité sociale (arrêt du 16 juillet 1992, Hughes, C-78/91, Rec. p. I-4839, point 14).

20 Selon une jurisprudence constante, une prestation peut être considérée comme une prestation de sécurité sociale dans la mesure où elle est octroyée, en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels, aux bénéficiaires sur la base d'une situation légalement définie et où elle se rapporte à l'un des risques expressément énumérés à l'article 4, paragraphe 1, du règlement n_ 1408/71 (voir, notamment, arrêts du 27 mars 1985, Hoeckx, 249/83, Rec. p. 973, points 12 à 14; Scrivner, 122/84, Rec. p. 1027, points 19 à 21; du 20 juin 1991, Newton, C-356/89, Rec. p. I-3017, et Hughes, précité, point 15). Ce catalogue a, en effet, un caractère exhaustif, de sorte qu'une branche de sécurité sociale qui n'y est pas mentionnée échappe à cette qualification, même si elle confère aux bénéficiaires une position légalement définie donnant droit à une prestation (voir, notamment, arrêt du 11 juillet 1996, Otte, C-25/95, Rec. p. I-3745, point 22).

21 S'agissant de la première de ces deux conditions, il est constant que les dispositions relatives à l'octroi des prestations de l'assurance dépendance confèrent aux bénéficiaires un droit légalement défini.

22 Quant à la seconde condition, il ressort du dossier que les prestations de l'assurance dépendance visent à développer l'autonomie des personnes dépendantes, notamment sur le plan financier. En particulier, le système mis en place cherche à encourager la prévention et la réadaptation de préférence aux soins et à favoriser le recours aux soins à domicile de préférence aux soins en établissement.

23 L'assurance dépendance ouvre droit à la prise en charge, totale ou partielle, de certaines des dépenses entraînées par l'état de dépendance de l'assuré telles que les soins prodigués à domicile, dans les centres ou établissements spécialisés, l'achat d'équipements nécessaires à l'assuré, la réalisation de travaux dans son logement, ainsi qu'au versement d'une aide financière mensuelle permettant à l'assuré de choisir le mode d'assistance de son choix et, par exemple, de rétribuer, sous une forme ou sous une autre, les tierces personnes qui l'assistent. Le régime de l'assurance dépendance assure, en outre, à certaines de ces tierces personnes une couverture pour les risques accident, vieillesse et invalidité.

24 Des prestations de ce type ont donc essentiellement pour objet de compléter les prestations de l'assurance maladie, à laquelle elles sont d'ailleurs liées sur le plan de l'organisation, afin d'améliorer l'état de santé et la vie des personnes dépendantes.

25 Dans ces conditions, et même si elles présentent des caractéristiques qui leur sont propres, de telles prestations doivent être regardées comme des «prestations de maladie» au sens de l'article 4, paragraphe 1, sous a), du règlement n_ 1408/71.

26 Il y a donc lieu d'examiner la question posée au regard des dispositions du règlement n_ 1408/71 concernant l'octroi des prestations de maladie lorsque l'intéressé a sa résidence dans un État membre autre que l'État compétent. Aux termes de l'article 19, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement n_ 1408/71:

«Le travailleur salarié ou non salarié qui réside sur le territoire d'un État membre autre que l'État compétent et qui satisfait aux conditions requises par la législation de l'État compétent pour avoir droit aux prestations ... bénéficie dans l'État de sa résidence:

a) des prestations en nature servies, pour le compte de l'institution compétente par l'institution du lieu de résidence, selon les dispositions de la législation qu'elle applique, comme s'il y était affilié;

b) des prestations en espèces servies par l'institution compétente selon les dispositions de la législation qu'elle applique...»

27 Le double mécanisme qui résulte de ces dispositions s'applique également aux chômeurs en vertu de l'article 25, paragraphe 1, sous a) et b), ainsi qu'aux titulaires de pensions ou de rentes relevant de la législation d'un autre État membre que celui dans lequel ils résident, en vertu de l'article 28, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement n_ 1408/71.

28 Les parties au principal et les gouvernements qui ont déposé des observations devant la Cour divergent sur le point de savoir si les prestations en cause au principal, et notamment l'allocation dépendance, doivent être qualifiées de prestations «en nature» ou de prestations «en espèces» de l'assurance maladie.

29 D'un côté, les gouvernements allemand et suédois soutiennent que les prestations de l'assurance dépendance, qui visent à permettre aux bénéficiaires d'assurer le paiement de certains des frais qu'entraîne leur état, notamment des frais médicaux, sont des prestations «en nature» de l'assurance maladie, même si elles sont versées sous la forme d'une allocation mensuelle telle que l'allocation dépendance. Le gouvernement allemand fait valoir à cet égard que, lors de l'adoption de la loi, le législateur allemand a spécifié que l'allocation dépendance était une prestation «en nature» de la branche maladie.

30 De l'autre côté, les requérants au principal, le gouvernement autrichien ainsi que la Commission estiment que des prestations telles que l'allocation dépendance, qui ne visent pas à couvrir certaines dépenses particulières, sont des prestations «en espèces» de l'assurance maladie.

31 Dans l'arrêt du 30 juin 1966, Vaassen-Göbbels (61/65, Rec. p. 377, spécialement p. 400), la Cour a déjà indiqué, à propos du règlement n_ 3 du Conseil, du 25 septembre 1958, concernant la sécurité sociale des travailleurs migrants (JO 1958, 30, p. 561), qui a précédé le règlement n_ 1408/71 et utilisait les mêmes termes, que la notion de «prestations en nature» n'exclut pas des prestations consistant en des paiements effectués par l'institution débitrice, notamment sous la forme de prises en charge ou de remboursements de frais, et que la notion de «prestations en espèces» couvre essentiellement les prestations destinées à compenser la perte de salaire du travailleur malade.

32 Ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus, notamment aux points 5, 6, 7 et 23 du présent arrêt, les prestations de l'assurance dépendance consistent, pour une part, en une prise en charge ou un remboursement de frais occasionnés par l'état de dépendance de l'intéressé, et notamment des frais de nature médicale entraînés par cet état. De telles prestations, destinées à couvrir des soins reçus par l'assuré, tant à son domicile qu'en établissement spécialisé, des acquisitions d'équipement et la réalisation de travaux, entrent incontestablement dans la notion de «prestations en nature» visées aux articles 19, paragraphe 1, sous a), 25, paragraphe 1, sous a), et 28, paragraphe 1, sous a), du règlement n_ 1408/71.

33 En revanche, si l'allocation dépendance est destinée à couvrir, elle aussi, certains des frais entraînés par l'état de dépendance, en particulier ceux afférents à l'aide fournie par une tierce personne, et non à compenser une perte de salaire de la part de son bénéficiaire, elle n'en présente pas moins des caractéristiques qui la distinguent des prestations en nature de l'assurance maladie.

34 En premier lieu, le versement de l'allocation est périodique et n'est subordonné ni à l'engagement préalable de certaines dépenses, telles que des dépenses de soins, ni a fortiori à la production de justificatifs des dépenses engagées. En deuxième lieu, le montant de l'allocation est fixe et indépendant des frais réellement engagés par le bénéficiaire pour subvenir aux besoins de sa vie courante. En troisième lieu, le bénéficiaire dispose d'une grande liberté d'utilisation des sommes qui lui sont ainsi allouées. En particulier, comme l'a indiqué le gouvernement allemand lui-même, l'allocation dépendance peut être utilisée par le bénéficiaire pour gratifier une personne de sa famille ou de son entourage qui l'assiste à titre bénévole.

35 L'allocation dépendance se présente ainsi comme une aide financière qui permet d'améliorer globalement le niveau de vie des personnes dépendantes, de manière à compenser les surcoûts entraînés par l'état dans lequel elles se trouvent.

36 Il y a donc lieu de considérer qu'une prestation telle que l'allocation dépendance est au nombre des «prestations en espèces» de l'assurance maladie visées par les articles 19, paragraphe 1, sous b), 25, paragraphe 1, sous b), et 28, paragraphe 1, sous b), du règlement n_ 1408/71.

37 Dans ces conditions, il résulte, d'une part, du libellé de l'article 19, paragraphe 1, sous a), du règlement n_ 1408/71 qu'un travailleur salarié résidant dans un État membre autre que celui où il est employé bénéficie du versement, dans l'État membre de sa résidence, de prestations telles que les prestations en nature de l'assurance dépendance dans la mesure où la législation de ce dernier État, quelle que soit la dénomination plus spécifique du système de protection sociale dans lequel elle s'insère, prévoit le versement de prestations en nature destinées à couvrir les mêmes risques que ceux couverts par l'assurance dépendance dans l'État membre d'emploi. Le versement de ces prestations est effectué par l'institution du lieu de résidence selon les dispositions prévues par la législation de l'État membre de résidence. Il en va de même, s'agissant respectivement des chômeurs et des titulaires de pensions ou de rentes relevant de la législation d'un autre État membre que celui dans lequel ils résident, en vertu des articles 25, paragraphe 1, sous a), et 28, paragraphe 1, sous a), du règlement n_ 1408/71.

38 D'autre part, il résulte de l'article 19, paragraphe 1, sous b), du règlement n_ 1408/71 que le travailleur bénéficie du versement de prestations en espèces telles que l'allocation dépendance dans l'État membre où il réside, même si la législation de ce dernier État ne prévoit pas de prestations de ce type. Les prestations en cause sont versées par l'institution compétente de l'État membre d'emploi dans les conditions prévues par la législation de ce dernier État. Il en va de même, s'agissant respectivement des chômeurs et des titulaires de pensions ou de rentes relevant de la législation d'un autre État membre que celui dans lequel ils résident, en vertu des articles 25, paragraphe 1, sous b), et 28, paragraphe 1, sous b), du règlement n_ 1408/71.

39 Une disposition telle que l'article 34, paragraphe 1, point 1, du livre XI du SGB, qui interdit le versement de prestations «en espèces» de l'assurance dépendance dans l'État membre où réside le travailleur migrant, méconnaît dès lors les prescriptions de l'article 19, paragraphe 1, sous b), du règlement n_ 1408/71. Elle méconnaît de même, s'agissant respectivement des chômeurs et des titulaires de pensions ou de rentes relevant de la législation d'un autre État membre que celui dans lequel ils résident, les prescriptions des articles 25, paragraphe 1, sous b), et 28, paragraphe 1, sous b), du règlement n_ 1408/71.

40 Ni cette méconnaissance ni le fait que les prestations en nature de l'assurance dépendance sont servies par l'institution du lieu de résidence ne confèrent toutefois aux travailleurs migrants le droit d'être exonérés en tout ou en partie du versement des cotisations affectées au financement de l'assurance dépendance.

41 Aucune règle de droit communautaire n'impose en effet à l'institution compétente de vérifier qu'un travailleur est susceptible de pouvoir bénéficier de l'intégralité des prestations d'un régime d'assurance maladie avant de procéder à son affiliation et au prélèvement des cotisations correspondantes. Le droit aux prestations s'apprécie, en fonction des conditions requises par la législation de l'État compétent, à la date d'ouverture de ce droit de sorte que la situation à la date à laquelle la cotisation est exigée n'est à cet égard pas pertinente. Ceci vaut notamment pour la résidence du travailleur, qui n'est pas une donnée définitivement fixée au moment de son affiliation ou du paiement de ses cotisations.

42 La reconnaissance d'un droit à exonération reviendrait en outre à consacrer, en ce qui concerne l'étendue des risques couverts par l'assurance maladie, une différence de traitement entre les personnes affiliées selon qu'elles résident ou non sur le territoire de l'État d'affiliation. Offrir au travailleur migrant le choix de l'exonération équivaudrait, pour l'État compétent, à lui demander de renoncer par avance au bénéfice du mécanisme mis en place par les articles 19, paragraphe 1, 25, paragraphe 1, et 28, paragraphe 1, du règlement n_ 1408/71. Une telle conséquence ne saurait découler ni du traité, et notamment de ses articles 6 et 48, paragraphe 2, ni de ce dernier règlement.

43 En tout état de cause, la cotisation à un régime d'assurance maladie ouvre en principe au profit du travailleur assuré un droit à percevoir les prestations correspondantes quand il satisfait aux conditions fixées par la législation de l'État compétent, à l'exclusion de celles de ces conditions qui ne seraient pas conformes aux dispositions du droit communautaire applicables en matière de sécurité sociale. M. et Mme Molenaar seraient ainsi fondés, pour obtenir le bénéfice de l'allocation dépendance, à se prévaloir du règlement n_ 1408/71 nonobstant les dispositions de droit national qui y sont contraires.

44 Dans ces conditions, il convient de répondre à la question posée que les articles 6 et 48, paragraphe 2, du traité ne s'opposent pas à ce qu'un État membre impose à des personnes travaillant sur son territoire mais résidant dans un autre État membre de cotiser à un régime de sécurité sociale couvrant le risque de dépendance mais que les articles 19, paragraphe 1, 25, paragraphe 1, et 28, paragraphe 1, du règlement n_ 1408/71 font en revanche obstacle à ce que le bénéfice d'une allocation telle que l'allocation de dépendance, qui constitue une prestation de maladie en espèces, soit subordonné à la résidence de l'assuré sur le territoire de l'État d'affiliation.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

45 Les frais exposés par les gouvernements allemand, autrichien et suédois ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR

statuant sur la question à elle soumise par le Sozialgericht Karlsruhe, par ordonnance du 28 mars 1996, dit pour droit:

Les articles 6 et 48, paragraphe 2, du traité CE ne s'opposent pas à ce qu'un État membre impose à des personnes travaillant sur son territoire mais résidant dans un autre État membre de cotiser à un régime de sécurité sociale couvrant le risque de dépendance. Les articles 19, paragraphe 1, 25, paragraphe 1, et 28, paragraphe 1, du règlement (CEE) n_ 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CEE) n_ 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983, font en revanche obstacle à ce que le bénéfice d'une allocation telle que l'allocation de dépendance, qui constitue une prestation de maladie en espèces, soit subordonné à la résidence de l'assuré sur le territoire de l'État d'affiliation.