61996J0039

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 24 avril 1997. - Koninklijke Vereeniging ter Bevordering van de Belangen des Boekhandels contre Free Record Shop BV et Free Record Shop Holding NV. - Demande de décision préjudicielle: Arrondissementsrechtbank Amsterdam - Pays-Bas. - Article 85 du traité CE - Article 5 du règlement nº 17 du Conseil - Validité provisoire des accords antérieurs au règlement nº 17 notifiés à la Commission - Validité provisoire des accords modifiés après la notification. - Affaire C-39/96.

Recueil de jurisprudence 1997 page I-02303


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


1 Concurrence - Ententes - Notification - Accords anciens - Validité provisoire - Cessation - Conditions - Prise de position de la Commission

(Traité CE, art. 85; règlement du Conseil n_ 17, art. 5, § 1)

2 Concurrence - Ententes - Notification - Accords anciens - Validité provisoire - Portée - Modifications renforçant ou élargissant les effets restrictifs de l'accord - Exclusion

(Traité CE, art. 85; règlement du Conseil n_ 17, art. 5, § 1)

Sommaire


3 La validité provisoire d'une entente conclue avant l'entrée en vigueur du règlement n_ 17, notifiée à la Commission avant le 1er novembre 1962, ne cesse que lorsque la Commission s'est prononcée, dans un sens positif ou négatif, sur cette entente.$

En effet, cette validité provisoire est justifiée par la protection, d'une part, de la sécurité juridique en matière contractuelle et, d'autre part, des intérêts des participants à l'ancienne entente dûment notifiée. La circonstance qu'un temps plus ou moins long s'est écoulé depuis la notification d'une ancienne entente sans que la Commission ait pris position ne peut pas avoir pour effet de mettre un terme à la validité provisoire de cette entente.$

4 Une entente dûment notifiée, conclue avant l'entrée en vigueur du règlement n_ 17, ne bénéficie de la validité provisoire que si les termes de l'accord restent toujours inchangés ou, en cas de modifications, si ces dernières n'ont pas pour effet de renforcer ou d'élargir les effets restrictifs de l'accord.$

En effet, à la différence des modifications assouplissant l'effet restrictif des ententes, tout renforcement ou élargissement, si minime soit-il, des restrictions et a fortiori toute introduction de nouvelles restrictions doivent, en principe, être considérés comme ayant mis fin à l'ancienne entente, à laquelle a été reconnue la validité provisoire, et ayant instauré un nouvel accord qui ne bénéficie pas de la validité provisoire.$

Toutefois, dans l'hypothèse où la modification de l'ancienne entente aurait pour effet d'introduire une nouvelle restriction, séparable de l'accord, et qui ne touche pas à son économie, la validité provisoire de l'ancienne entente, telle qu'elle se présentait avant la modification, ne serait pas remise en cause; seule la nouvelle restriction ne serait pas couverte par la validité provisoire.

Parties


Dans l'affaire C-39/96,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par l'Arrondissementsrechtbank te Amsterdam et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Koninklijke Vereeniging ter Bevordering van de Belangen des Boekhandels

et

Free Record Shop BV, Free Record Shop Holding NV,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 85 du traité CE et du règlement n_ 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204), tel que modifié par le règlement n_ 59 du Conseil, du 3 juillet 1962 (JO 1962, 58, p. 1655),

LA COUR

(cinquième chambre),

composée de MM. J. C. Moitinho de Almeida, président de chambre, L. Sevón, C. Gulmann, D. A. O. Edward (rapporteur) et M. Wathelet, juges,

avocat général: M. C. O. Lenz,

greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

considérant les observations écrites présentées:

- pour Koninklijke Vereeniging ter Bevordering van de Belangen des Boekhandels, par Mes Th. R. Bremer et M. van Empel, avocats au barreau d'Amsterdam,

- pour Free Record Shop BV et Free Record Shop Holding NV, par Me Th. J. Bousie, avocat au barreau d'Amsterdam,

- pour le gouvernement néerlandais, par M. A. Bos, conseiller juridique au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,

- pour le gouvernement français, par Mmes C. de Salins, sous-directeur à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et R. Loosli-Surrans, chargé de mission à la même direction, en qualité d'agents,

- pour la Commission des Communautés européennes, par M. W. Wils, membre du service juridique, en qualité d'agent,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de Koninklijke Vereeniging ter Bevordering van de Belangen des Boekhandels, représentée par Mes Th. R. Bremer et M. van Empel, de Free Record Shop BV et Free Record Shop Holding NV, représentées par Me Th. J. Bousie, du gouvernement néerlandais, représenté par M. M. A. Fierstra, conseiller juridique adjoint au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, et de la Commission, représentée par M. W. Wils, à l'audience du 12 décembre 1996,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 6 février 1997,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par jugement du 1er février 1996, parvenu à la Cour le 13 février suivant, le président de l'Arrondissementsrechtbank te Amsterdam a posé, en application de l'article 177 du traité CE, trois questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 85 du même traité et du règlement n_ 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204), tel que modifié par le règlement n_ 59 du Conseil, du 3 juillet 1962 (JO 1962, 58, p. 1655, ci-après le «règlement n_ 17»).

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant Koninklijke Vereeniging ter Bevordering van de Belangen des Boekhandels (ci-après «KVB») aux sociétés Free Record Shop et Free record Shop Holding (ci-après «Free Record Shop») au sujet du respect par Free Record Shop du règlement établi par KVB pour le commerce du livre aux Pays-Bas (Reglement voor het Handelsverkeer van Boeken in Nederland, ci-après le «règlement KVB»).

3 Selon ce règlement, les affiliés à KVB doivent maintenir, au moyen d'une stipulation qui doit figurer dans les conditions de livraison qu'ils doivent appliquer, le système de prix de vente imposés aux détaillants prévu par ce règlement, et ce même à l'égard de ceux qui, comme Free Record Shop, ne sont pas affiliés à KVB.

4 Il ressort du dossier au principal que Free Record Shop a mis en vente, avec un rabais non réglementaire de 25 %, une douzaine de livres qui auraient dû être vendus selon le prix imposé en vertu du règlement KVB.

5 Free Record Shop soutient qu'imposer un prix de vente aux livres, ainsi que le prévoit le règlement KVB, est incompatible avec l'article 85 du traité. KVB prétend que son règlement bénéficie de la validité provisoire résultant de la notification de la version antérieure de ce règlement que KVB, qui se dénommait alors VBBB, avait notifié à la Commission le 30 octobre 1962. Selon KVB, les modifications apportées à ce règlement après sa notification ne constituent que des assouplissements quant aux prix de vente imposés aux détaillants.

6 Étant donné que la notification est intervenue en 1962 et que, depuis lors, la Commission n'a pas pris de décision, le président de l'Arrondissementsrechtbank te Amsterdam s'interroge sur la validité provisoire du règlement KVB dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 1993 et se demande s'il est toujours possible de continuer à se fonder sur cette validité provisoire et, dans l'affirmative, jusqu'à quel moment. Il a donc sursis à statuer et a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) Si un accord entre des entreprises ou une décision d'une association d'entreprises visant à réglementer la concurrence a été adopté(e) avant l'entrée en vigueur du règlement n_ 17/62 et a été notifié(e) à temps à la Commission conformément aux dispositions de ce règlement, alors que la Commission n'a pas du tout réagi à cette notification, cet accord ou cette décision continue-t-il (elle) alors à bénéficier de la `validité provisoire' qui est accordée aux ententes notifiées d'après la jurisprudence de la Cour de justice?

2) En cas de réponse affirmative, cette `validité provisoire' continue-t-elle à perdurer pour une période indéterminée? En cas de réponse négative, de quelles circonstances dépend alors la fin de la `validité provisoire'?

3) La `validité provisoire' concerne-t-elle seulement l'accord ou la décision, visé(e) à la question 1, sous la forme dans laquelle il ou elle a été notifié(e) ou vaut-elle aussi pour les accords et les décisions adopté(e)s ultérieurement, qui prolongent les mêmes ententes sous une forme modifiée, dans la mesure où ceux-ci ou celles-ci ne comportent pas d'élargissement ou de renforcement des ententes compte tenu de l'effet et de la réalisation du marché communautaire?»

Sur les première et deuxième questions

7 Par ses première et deuxième questions, qu'il convient d'examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance si la validité provisoire d'une entente conclue avant l'entrée en vigueur du règlement n_ 17 (ci-après une «ancienne entente»), dûment notifiée à la Commission avant le 1er novembre 1962, ne cesse que lorsque la Commission s'est prononcée, dans un sens positif ou négatif, sur cette entente ou si, en l'absence d'une telle décision, la validité provisoire est limitée dans le temps.

8 L'article 5, paragraphe 1, première phrase, du règlement n_ 17 prévoit que les accords, décisions et pratiques concertées visés à l'article 85, paragraphe 1, du traité, existant à la date d'entrée en vigueur du règlement et en faveur desquels les intéressés désiraient se prévaloir des dispositions de l'article 85, paragraphe 3, devaient être notifiés à la Commission avant le 1er novembre 1962.

9 Il ressort de la jurisprudence de la Cour que les anciennes ententes dûment notifiées à la Commission avant le 1er novembre 1962 bénéficient d'une validité provisoire aussi longtemps que la Commission ne s'est pas prononcée à leur sujet (voir, en ce sens, arrêt du 28 février 1991, Delimitis, C-234/89, Rec. p. I-935, point 48).

10 Cette validité provisoire est justifiée par la protection, d'une part, de la sécurité juridique en matière contractuelle et, d'autre part, des intérêts des participants à l'ancienne entente dûment notifiée. Ainsi que M. l'avocat général l'a relevé au point 16 de ses conclusions, la circonstance qu'un temps plus ou moins long s'est écoulé depuis la notification d'une ancienne entente sans que la Commission ait pris position ne peut pas avoir pour effet de mettre un terme à la validité provisoire de cette entente.

11 Il s'ensuit que la validité provisoire d'une ancienne entente dûment notifiée à la Commission ne cesse que lorsque cette dernière s'est prononcée au sujet de cette entente.

12 Il convient donc de répondre aux deux premières questions que la validité provisoire d'une ancienne entente notifiée à la Commission avant le 1er novembre 1962 ne cesse que lorsque la Commission s'est prononcée, dans un sens positif ou négatif, sur cette entente.

Sur la troisième question

13 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande en substance si la validité provisoire d'une ancienne entente dûment notifiée à la Commission perdure même lorsque son contenu a été modifié ultérieurement, dès lors que les modifications ne comportent pas d'élargissement ou de renforcement des effets de l'entente.

14 Il est de jurisprudence constante que les accords conclus après l'entrée en vigueur du règlement n_ 17, qui ne sont que la reproduction exacte d'un contrat type conclu antérieurement et régulièrement notifié, bénéficient du même régime de validité provisoire que ce dernier contrat (voir arrêt du 30 juin 1970, Rochas, 1/70, Rec. p. 515). La Cour a également reconnu que, dans le cas de modifications assouplissant l'effet restrictif des ententes, le refus de reconnaître la validité provisoire équivaudrait à pénaliser les parties à l'accord, alors que celles-ci ont volontairement limité son champ d'application, ce qui serait contraire à l'esprit du droit de la concurrence et découragerait les intéressées à apporter des assouplissements à leurs accords (voir, en ce sens, arrêt du 20 mars 1980, Eldi Records, 106/79, Rec. p. 1137, point 16).

15 Ces considérations ne sont toutefois valables que lorsque les modifications apportées aux anciennes ententes entraînent un assouplissement de leurs effets restrictifs. Tout renforcement ou élargissement, si minime soit-il, des restrictions et a fortiori toute introduction de nouvelles restrictions, doivent, en principe, être considérés comme ayant mis fin à l'ancienne entente, à laquelle a été reconnue la validité provisoire, et ayant instauré un nouvel accord qui ne bénéficie pas de la validité provisoire. En effet, aucune considération de sécurité juridique ne justifie que les parties à une ancienne entente soient libres de renforcer les effets restrictifs de celle-ci.

16 Toutefois, dans l'hypothèse où la modification de l'ancienne entente aurait pour effet d'introduire une nouvelle restriction, séparable de l'accord (voir, à cet égard, arrêt du 30 juin 1966, Société Technique Minière, 56/65, Rec. p. 337), et qui ne touche pas à son économie, la validité provisoire de l'ancienne entente, telle qu'elle se présentait avant la modification, ne serait pas remise en cause; seule la nouvelle restriction ne serait pas couverte par la validité provisoire.

17 Il appartient à la juridiction nationale, à la lumière des considérations qui précèdent, d'apprécier la nature et les conséquences des modifications apportées à l'ancienne entente.

18 Il convient donc de répondre à la troisième question qu'une ancienne entente dûment notifiée ne bénéficie de la validité provisoire que si les termes de l'accord restent toujours inchangés ou, en cas de modifications, si ces dernières n'ont pas pour effet de renforcer ou d'élargir les effets restrictifs de l'accord.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

19 Les frais exposés par les gouvernements néerlandais et français, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR

(cinquième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par l'Arrondissementsrechtbank te Amsterdam, par jugement du 1er février 1996, dit pour droit:

20 La validité provisoire d'une entente conclue avant l'entrée en vigueur du règlement n_ 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité, tel que modifié par le règlement n_ 59 du Conseil, du 3 juillet 1962, notifiée à la Commission avant le 1er novembre 1962, ne cesse que lorsque la Commission s'est prononcée, dans un sens positif ou négatif, sur cette entente.

21 Une entente dûment notifiée, conclue avant l'entrée en vigueur du règlement n_ 17, tel que modifié par le règlement n_ 59, ne bénéficie de la validité provisoire que si les termes de l'accord restent toujours inchangés ou, en cas de modifications, si ces dernières n'ont pas pour effet de renforcer ou d'élargir les effets restrictifs de l'accord.