61996C0252

Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 2 avril 1998. - Parlement européen contre Enrique Gutiérrez de Quijano y Lloréns. - Pourvoi - Procédure devant le Tribunal - Interdiction de moyens nouveaux - Applicabilité au Tribunal - Fonctionnaires - Transfert interinstitutionnel. - Affaire C-252/96 P.

Recueil de jurisprudence 1998 page I-07421


Conclusions de l'avocat général


1 Par le présent pourvoi, le Parlement européen (ci-après le «Parlement») vous demande d'annuler l'arrêt par lequel le Tribunal a accueilli le recours de M. Gutiérrez de Quijano y Lloréns en ce qu'il visait à l'annulation de la décision du Parlement, du 10 janvier 1994, de rejeter la réclamation de M. Gutiérrez de Quijano y Lloréns contre le rejet de sa candidature à un poste vacant d'interprète (ci-après l'«arrêt» ou l'«arrêt entrepris») (1).

2 Le Parlement fonde essentiellement son pourvoi sur un moyen tiré de la violation de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, qui interdit la production de moyens nouveaux en cours d'instance, en ce que le Tribunal aurait annulé la décision du Parlement sur le fondement d'un moyen qui n'avait été invoqué par le requérant ni au stade de la réclamation ni à celui de la procédure écrite devant lui.

Les faits

3 Il ressort de l'arrêt entrepris que M. Gutiérrez de Quijano y Lloréns, entré au service du Parlement le 6 janvier 1986 comme interprète de langue espagnole, a été transféré à la Cour de justice le 1er janvier 1990.

4 Il a manifesté, dès le 4 juillet 1991, son désir d'être réintégré dans le poste qu'il occupait au Parlement avant son transfert, en adressant divers courriers en ce sens aux services compétents du Parlement. En dépit de son insistance, M. Gutiérrez de Quijano y Lloréns n'a reçu de réponse écrite à cette demande que le 30 juillet 1992, par lettre de la direction générale de l'administration du Parlement l'informant que les postes d'interprètes dans cette institution étaient pourvus suivant les «combinaisons linguistiques» et qu'il n'était pas envisagé de recruter de personnel possédant un «panel linguistique» tel que le sien.

5 Le 26 novembre 1992, le Parlement a publié l'avis de concours n_ PE/161/LA (2), en vue du recrutement d'interprètes de langue espagnole (ci-après l'«avis de concours»). Estimant que le poste visé par cet avis était identique à celui qu'il occupait depuis sept ans, et qu'il possédait même des qualifications linguistiques supérieures à celles qui y étaient exigées, M. Gutiérrez de Quijano y Lloréns, par lettre du 11 janvier 1993, a rappelé au chef de la division du personnel du Parlement que, conformément à l'article 29 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut»), la procédure de transfert précède celle du concours et a réitéré formellement sa demande de réintégration au sein de cette institution.

6 Le 15 mars 1993, le Parlement a publié l'avis de vacance d'emploi n_ 7281 relatif au poste n_ VI/LA/2759, à pourvoir par voie de mutation, conformément à l'article 29, paragraphe 1, sous a), du statut, pour un interprète de langue espagnole (ci-après l'«avis de vacance»). Le même jour, le Parlement a publié également l'avis de vacance d'emploi n_ PE/LA/91 relatif au même poste n_ VI/LA/2759, à pourvoir par transfert d'autres institutions communautaires, conformément à l'article 29, paragraphe 1, sous c), du statut (ci-après l'«avis de transfert»).

7 Ces deux avis étaient identiques quant à la nature des fonctions et quant aux qualifications et connaissances requises des candidats.

8 Au nombre de celles-ci, figuraient la «capacité d'assumer la responsabilité de certaines tâches de coordination» et la «connaissance particulière des problèmes relevant de la compétence des Communautés européennes», conditions non prévues par l'avis de concours, pourtant destiné à recruter des fonctionnaires en vue d'exercer les mêmes fonctions que celles visées aux deux avis précités.

9 Le 22 mars 1993, M. Gutiérrez de Quijano y Lloréns a présenté sa candidature au poste visé par l'avis de transfert. Cette demande a été rejetée, par lettre du Parlement datée du 16 août 1993, en raison du fait que les anciens supérieurs hiérarchiques de M. Gutiérrez de Quijano y Lloréns n'avaient pu se prononcer en faveur de son transfert, dès lors que, d'une part, durant la période où il était en fonction au Parlement, ses relations avec ses supérieurs hiérarchiques ainsi qu'avec plusieurs de ses collègues étaient difficiles, et que, d'autre part, il avait, pendant la même période, fait l'objet de fréquents rappels à l'ordre.

10 Dans sa réclamation introduite au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut contre cette décision de rejet de sa demande de transfert, M. Gutiérrez de Quijano y Lloréns, tout en réfutant cette motivation comme non fondée, insuffisamment consistante et dénuée de validité statutaire, a soutenu que l'avis de transfert constituait le cadre légal que le Parlement s'était imposé, sur le fondement duquel le rejet de sa demande de transfert n'aurait pu être motivé que par le défaut de qualification exigée.

11 Cette réclamation a été également rejetée, le 10 janvier 1994, au double motif que, en matière de nomination, l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l'«AIPN») dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui ne peut être sanctionné qu'en cas d'erreur manifeste ou de détournement de pouvoir et que, conformément à l'arrêt de la Cour du 24 juin 1969, Fux/Commission (3), l'AIPN n'a pas l'obligation de pourvoir un poste vacant, d'autant moins lorsque la présence d'un seul candidat, comme en l'espèce, prive l'AIPN de toute possibilité de comparaison et de choix.

12 C'est contre cette dernière décision de rejet que M. Gutiérrez de Quijano y Lloréns a formé un recours en annulation devant le Tribunal.

L'arrêt du Tribunal

13 Nous ne retiendrons de l'arrêt entrepris que les éléments pertinents pour le présent pourvoi.

14 Au soutien de son recours devant le Tribunal, M. Gutiérrez de Quijano y Lloréns invoquait une violation de l'article 29, paragraphe 1, du statut, qui dispose:

«1. En vue de pourvoir aux vacances d'emploi dans une institution, l'autorité investie du pouvoir de nomination, après avoir examiné:

a) les possibilités de promotion et de mutation au sein de l'institution;

b) les possibilités d'organisation de concours internes à l'institution;

c) les demandes de transfert de fonctionnaires d'autres institutions des trois Communautés européennes,

ouvre la procédure de concours sur titres, sur épreuves ou sur titres et épreuves. La procédure de concours est déterminée à l'annexe III.

Cette procédure peut être ouverte également en vue de constituer une réserve de recrutement.»

15 M. Gutiérrez de Quijano y Lloréns soutenait que le Parlement, en publiant l'avis de concours avant l'avis de transfert, avait violé l'ordre de priorité fixé par cette disposition qui impose à l'AIPN d'examiner d'abord les demandes de transfert des fonctionnaires d'autres institutions avant d'ouvrir une procédure de concours externe. Le Parlement faisait à l'inverse valoir que l'antériorité de la publication de l'avis de concours sur celle de l'avis de transfert n'était, en l'espèce, pas constitutive d'une violation de l'article 29 du statut.

16 Le Tribunal a considéré tout d'abord, au point 42 de l'arrêt, que l'antériorité de la publication de l'avis de concours par rapport à celle de l'avis de transfert «... n'est pas susceptible de constituer automatiquement une violation de l'article 29, paragraphe 1, du statut, dès lors que, comme l'affirme le Parlement, les candidatures présentées dans le cadre du concours ... n'ont été prises en considération qu'après la clôture de l'examen des candidatures posées dans le cadre de l'avis de transfert...».

17 Il a rappelé cependant, au point 43 de l'arrêt, que, en tout état de cause, il résulte de la jurisprudence de la Cour et du Tribunal que, lorsque l'AIPN décide, comme en l'espèce, de passer d'une phase de la procédure de recrutement à une autre, qui lui est postérieure, selon l'ordre prévu par l'article 29, paragraphe 1, du statut, elle doit le faire dans le cadre de la légalité qu'elle s'est imposée à elle-même par l'avis de vacance, «... en assurant la correspondance entre les conditions énoncées audit avis et celles qui apparaissent dans les avis relatifs aux phases ultérieures et, notamment, comme en l'espèce, dans l'avis de concours...» (4).

18 Or, en l'espèce, le Tribunal a relevé, aux points 44 et 45 de l'arrêt, qu'il ressort de la comparaison des avis en cause que leur stricte correspondance, exigée par la jurisprudence, fait défaut (5). Il a rejeté à cet égard les arguments qu'il avait invité le Parlement à produire par une question écrite, mentionnée au point 39 de l'arrêt, pour expliquer qu'il ait fait figurer dans l'avis de transfert deux conditions qui n'apparaissaient pas dans l'avis de concours.

19 De l'analyse des conditions supplémentaires litigieuses, il a déduit, au point 46 de l'arrêt, que l'avis de transfert posait des conditions plus sévères de participation à la procédure de recrutement au poste concerné que celles prévues par l'avis de concours.

20 Le Tribunal a estimé, au point 46 de l'arrêt, qu'il en découlait que «... l'AIPN ne pouvait plus s'en tenir ni au respect du cadre qu'elle s'était imposé initialement en publiant, malgré l'ordre prévu par les dispositions de l'article 29, paragraphe 1, du statut, l'avis de concours ... avant de publier l'avis de vacance ... et l'avis de transfert ... ni le cadre qu'elle s'était ultérieurement imposé en publiant ces deux derniers avis. Dans la mesure où ces avis concernaient le même poste, l'AIPN a rendu impossible le rôle essentiel qu'ils doivent remplir dans le cadre de la procédure de recrutement, conformément à l'article 29, paragraphe 1, du statut, à savoir informer les intéressés, d'une façon aussi exacte que possible, de la nature des conditions requises pour être recruté au poste concerné...».

21 Dans ces conditions, le Tribunal a rejeté, au point 48 de l'arrêt, l'argumentation du Parlement consistant à soutenir que, en dépit de l'antériorité de la publication de l'avis de concours par rapport à celle de l'avis de transfert, il avait en réalité respecté l'ordre de priorité prévu par l'article 29, paragraphe 1, du statut, en ne procédant à l'examen des candidatures introduites sur la base de l'avis de concours qu'après la clôture de l'examen des candidatures posées dans le cadre de l'avis de transfert, «... dès lors que les conditions de l'avis de concours étaient assouplies par rapport à celles de l'avis de transfert et que, par conséquent, la candidature du requérant a été examinée sur la base d'un avis de transfert prévoyant des conditions plus sévères que l'avis de concours».

22 Le Tribunal en a conclu, au point 49 de l'arrêt, «... que le rejet de la candidature du requérant ... est intervenu dans des conditions irrégulières, en violation des dispositions de l'article 29, paragraphe 1, du statut qui impliquent ... le maintien des conditions prévues par les avis correspondant aux diverses phases de la procédure de recrutement».

23 Il a, en conséquence, accueilli le recours de M. Gutiérrez de Quijano y Lloréns, en disant pour droit, au point 51 de l'arrêt, que: «Dans ces circonstances, la décision du Parlement du 10 janvier 1994, rejetant la réclamation du requérant contre le rejet de sa candidature au poste vacant visé par l'avis [de transfert], doit être annulée, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens invoqués par le requérant ni de procéder aux mesures d'instruction demandées par lui».

Sur le pourvoi

Sur la faculté pour le Tribunal de soulever un «moyen»

24 Au soutien de son pourvoi, le Parlement prétend que le Tribunal a statué en violation de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal (ci-après l'«article 48, paragraphe 2»), qui dispose:

«La production de moyens nouveaux en cours d'instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure» (6).

25 Le requérant au pourvoi prétend que, en annulant la décision du Parlement en raison du défaut d'identité entre le texte de l'avis de transfert et celui de l'avis de concours, alors que ce moyen n'avait jamais été soulevé par M. Gutiérrez de Quijano y Lloréns, le Tribunal aurait, de sa propre initiative, en posant un certain nombre de questions au Parlement, soulevé un moyen nouveau en cours d'instance.

26 Cette violation invoquée de l'article 48, paragraphe 2, par le Tribunal ne saurait être accueillie.

27 Cette disposition, partie du titre II, chapitre I, du règlement de procédure du Tribunal, s'insère dans les règles de procédure écrite applicables devant cette juridiction. L'interdiction de production de moyens nouveaux qu'elle édicte ne saurait être lue que comme s'adressant aux parties, sans que cette injonction puisse concerner le Tribunal.

28 Il suffit en effet de relever que les moyens ne peuvent, par définition, être invoqués que par les parties au litige. Ils constituent la mise en forme juridique de leurs prétentions aux fins de les soumettre à une juridiction. C'est ainsi que les textes relatifs à la procédure devant la Cour ou le Tribunal se réfèrent nécessairement, lorsqu'ils ont trait aux moyens, à leur invocation par les parties. La requête introductive d'instance doit contenir en particulier un «exposé sommaire des moyens invoqués» (7).

29 De même, les moyens nouveaux, dont la production est interdite en cours d'instance sauf exception, ne sont susceptibles d'être avancés que par les parties, ainsi que le confirment non seulement la lettre, mais également la ratio legis de cette prohibition.

30 L'article 48 dans son ensemble se réfère aux parties. Le paragraphe 1 de cette disposition prescrit que seules «Les parties peuvent encore faire des offres de preuve à l'appui de leur argumentation dans la réplique et la duplique. Elles motivent le retard apporté à la présentation de leurs offres de preuve» (8). Le deuxième alinéa du paragraphe 2 est plus éclairant encore, qui dispose que: «Si, au cours de la procédure, une partie soulève un moyen nouveau visé à l'alinéa précédent, le président peut, après l'expiration des délais normaux de la procédure ... impartir à l'autre partie un délai pour répondre à ce moyen» (9).

31 Pour ce qui est de la raison d'être de cette interdiction, il s'agit, classiquement, de prescrire aux parties de s'en tenir au cadre circonscrit dans la requête introductive. Celle-ci fixe l'objet du litige, qui ne saurait, sauf notamment à mettre en échec les droits de la défense, être modifié en cours d'instance par l'introduction de moyens nouveaux. D'ailleurs, lorsqu'il autorise, à titre exceptionnel, la production de moyens nouveaux en cours d'instance, l'article 48, paragraphe 2, vise des moyens nouveaux, en fait ou en droit, qui concourent à soutenir la demande formulée dans l'acte introductif. C'est ainsi que vous avez considéré, à propos de l'article 42, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, rédigé dans les mêmes termes que le texte litigieux, que «Cette disposition permet ... un requérant, à titre exceptionnel, d'invoquer des moyens nouveaux à l'appui des conclusions formulées dans l'acte introductif d'instance. Elle n'envisage nullement la possibilité pour un requérant d'introduire des conclusions nouvelles...» (10).

32 Or, la fonction de juger qui lui est impartie place nécessairement le juge en position de tiers par rapport au litige qui lui est soumis.

La qualification de moyen nouveau, au sens de l'article 48, paragraphe 2, ne peut, à l'évidence, s'appliquer aux motifs d'un jugement.

33 Nous en concluons que le requérant au pourvoi ne saurait invoquer une violation par le Tribunal de l'article 48, paragraphe 2, de son règlement de procédure en prétendant que ce dernier aurait soulevé lui-même un moyen nouveau en cours d'instance.

34 Il serait néanmoins possible de comprendre dans un sens différent, en dépit de sa formulation, l'objet du pourvoi. En reprochant au Tribunal de s'être fondé sur la considération que les avis de transfert et de concours litigieux ne correspondaient pas, alors que cette considération n'avait pas été invoquée par la partie demanderesse, le Parlement pourrait vouloir signifier que le Tribunal doit s'en tenir au très strict cadre délimité par les parties (11).

35 Il est évident que le juge ne doit statuer que sur la demande des parties. Nous l'avons rappelé, il appartient à celles-ci de délimiter le cadre de leur litige, et le juge ne saurait en principe statuer au-delà des prétentions invoquées ni bien entendu juger en faisant abstraction totale du litige tel que circonscrit dans le cadre de la requête introductive d'instance.

36 Le rôle du juge n'est pas pour autant passif et il ne saurait lui être enjoint de n'être que «la bouche des parties». Sa mission de juris dictio suppose qu'il soit en mesure d'appliquer les règles de droit pertinentes pour la solution du litige aux faits qui lui sont présentés par les parties. Il ne saurait être tenu par les seuls arguments avancés par les parties au soutien de leurs prétentions, sauf à se voir contraint, le cas échéant, de fonder sa décision sur des considérations juridiques erronées.

37 C'est pourquoi les règles de procédure offrent au juge la possibilité, tout en restant dans le cadre du litige qui lui est soumis, de rechercher la meilleure solution possible de diverses façons.

38 Ainsi le juge peut-il, dans certaines circonstances, soulever d'office un moyen qui n'aurait pas été invoqué par une partie.

Il ne fait pas de doute, par exemple, que votre Cour (ou le Tribunal), même en l'absence de contestation, devrait soulever d'office son incompétence si le recours dont elle (ou il) était saisie relevait de la compétence du Tribunal (ou de votre Cour) (12). Vous estimez également qu'il vous appartient de contrôler d'office si les conditions de recevabilité d'un recours sont remplies, même si la partie défenderesse n'a fait valoir aucun moyen d'irrecevabilité (13).

39 Il ne nous semble pas cependant que ce soit au regard de cette possibilité de soulever d'office un moyen qu'il faille comprendre la façon dont a procédé le Tribunal en l'espèce, contrairement à ce que semble prétendre le Parlement (14). La constatation du défaut de coïncidence des conditions des avis litigieux ne saurait être assimilée à un moyen. Il s'agit plutôt, ainsi qu'il ressort de l'arrêt attaqué, du développement d'un argument au soutien d'un moyen invoqué par la partie requérante: celui de la violation de l'article 29, paragraphe 1, du statut (15).

C'est en effet uniquement dans le cadre de l'examen du moyen tiré de la violation de cette disposition que le Tribunal s'est penché sur la coïncidence des conditions posées par les avis en l'espèce.

Il n'a donc nullement soulevé d'office un «moyen» tiré du défaut de coïncidence des avis litigieux.

40 De même le juge peut-il ordonner certaines mesures d'instructions (16). Cette faculté n'est cependant pas en cause ici.

41 Enfin ne saurait-il être reproché au Tribunal d'avoir posé des questions aux parties, dès lors qu'il s'agit là d'une des mesures d'organisation de la procédure à sa disposition, prévue au titre de l'article 64 de son règlement de procédure. De telles mesures visent, selon le paragraphe 1 de cet article, «... à assurer, dans les meilleures conditions, la mise en état des affaires, le déroulement des procédures et le règlement des litiges». De même, conformément à l'article 29 du statut CE de la Cour de justice, applicable au Tribunal en vertu de l'article 46, paragraphe 1, de ce statut (17): «Au cours des débats, la Cour peut interroger ... les parties elles-mêmes...».

42 Au contraire, il n'est pas exclu qu'il aurait pu être reproché au Tribunal, le cas échéant, d'avoir, dans le cadre du moyen tiré de la violation de l'article 29 du statut, examiné la question du défaut de coïncidence des avis litigieux sans que les parties se soient prononcées sur ce point. En ayant suscité, par ses questions, une prise de position du Parlement, le Tribunal s'est assuré du respect du principe du contradictoire dont la violation aurait pu lui être reprochée.

43 Il nous faut donc conclure qu'il ne saurait être reproché au Tribunal ni d'avoir statué en violation de l'article 48, paragraphe 2, ni d'avoir contrevenu aux règles de procédure applicables en fondant son raisonnement sur les réponses fournies à des questions qu'il avait posées aux parties dans le cadre de l'examen du moyen d'annulation invoqué.

Sur l'absence d'acte faisant grief et le défaut d'intérêt à agir

44 Dans son pourvoi (18), le Parlement prétend, en outre, que, pour le cas où le moyen tiré de la violation de l'article 48, paragraphe 2, doit être déclaré irrecevable, l'argument tiré de l'absence d'identité entre les avis, avancé par le Tribunal, devrait être déclaré irrecevable pour absence d'acte faisant grief et d'intérêt à agir. Il estime en effet que, dès lors que M. Gutiérrez de Quijano y Lloréns ne s'est pas présenté au concours n_ PE/161/LA, le texte de l'avis de ce concours ne saurait être considéré comme lui ayant fait grief. Par ailleurs, le fait de ne pas s'être présenté au concours démontrerait également son manque d'intérêt à agir.

45 Relevons tout d'abord, en ce qui concerne le défaut d'acte faisant grief, que l'acte attaqué devant le Tribunal par M. Gutiérrez de Quijano y Lloréns n'était pas l'avis de concours, mais la décision de rejet de sa candidature à l'avis de transfert. C'est donc seulement au regard de ce dernier avis que devait être appréciée l'exigence d'acte faisant grief.

46 Rappelons, en outre, ainsi que le Tribunal l'a constaté, que: «... la candidature du requérant [ayant] été examinée sur la base d'un avis de transfert prévoyant des conditions plus sévères que l'avis de concours» (19), «... le rejet de la candidature du requérant ... est intervenu dans des conditions irrégulières, en violation des dispositions de l'article 29, paragraphe 1, du statut qui impliquent, conformément à la jurisprudence en la matière ... le maintien des conditions prévues par les avis correspondant aux diverses phases de la procédure de recrutement» (20). Ainsi ne saurait-il être soutenu utilement que le texte de l'avis de concours ne ferait pas grief à M. Gutiérrez de Quijano y Lloréns, alors que c'est précisément en raison du fait que ce texte ne correspondait pas à celui de l'avis de transfert que le rejet de la candidature a été considéré comme étant intervenu dans des conditions irrégulières.

47 Pas davantage ne saurait-on accueillir l'argument du Parlement excipant du défaut de présentation de M. Gutiérrez de Quijano y Lloréns au concours pour faire valoir son manque d'intérêt à agir. En effet, ainsi que le rappelle le Tribunal au point 41 de l'arrêt: «... l'article 29, paragraphe 1, du statut impose à l'AIPN d'examiner à titre prioritaire les possibilités de promotion et de mutation à l'intérieur de l'institution avant de passer à l'une des étapes ultérieures, à savoir, dans l'ordre, l'examen des possibilités relatives à l'organisation d'un concours interne, la prise en considération des demandes de transfert interinstitutionnel et, le cas échéant, l'organisation d'un concours général...». Il s'ensuit que le Parlement ne saurait exiger d'un candidat à un transfert qu'il passât un concours, dont les résultats ne sont supposés être pris en considération qu'après la clôture de l'examen des candidatures posées dans le cadre de l'avis de transfert, alors même que, à la date limite de présentation des candidatures à ce concours (en l'espèce, le 25 janvier 1993), antérieure à la date de publication de l'avis de transfert (en l'espèce le 15 mars 1993), l'existence de cet avis de transfert n'était pas encore connue.

Sur les différences entre l'avis de transfert et l'avis de concours

48 Enfin le Parlement réitère-t-il (21), pour le cas où votre Cour considérerait néanmoins que «le moyen d'annulation introduit par le Tribunal est admissible» et qu'il n'existe pas de problème de recevabilité en raison d'une absence d'acte faisant grief ou d'intérêt à agir, par renvoi à une annexe du pourvoi, les arguments avancés devant le Tribunal, selon lesquels les différences de texte entre les avis, de nature purement rédactionnelle, n'auraient joué aucun rôle lors de l'examen de la candidature de M. Gutiérrez de Quijano y Lloréns.

49 Conformément à votre jurisprudence constante, une telle argumentation, qui consiste en la simple reproduction textuelle des moyens ou arguments déjà présentés devant le Tribunal, ne saurait être accueillie, dès lors qu'elle vise en réalité à obtenir un simple réexamen de la requête présentée devant cette juridiction, ce qui, aux termes de l'article 49 du statut CE de la Cour de justice, échappe à votre compétence (22).

50 Au vu de ce qui précède, nous estimons qu'il y a donc lieu de rejeter le pourvoi.

51 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l'article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Le Parlement ayant succombé en son pourvoi, il y a lieu de le condamner aux dépens.

Conclusion

52 Pour les considérations qui précèdent, nous vous suggérons de:

1) rejeter le pourvoi;

2) condamner le Parlement européen aux dépens.

(1) - Arrêt du 22 mai 1996, Gutiérrez de Quijano y Lloréns/Parlement (T-140/94, RecFP p. II-689).

(2) - JO C 308 A, p. 8.

(3) - 26/68, Rec. p. 145.

(4) - Le Tribunal s'est référé à cet égard à l'arrêt de votre Cour du 28 février 1989, Van der Stijl et Cullington/Commission (341/85, 251/86, 258/86, 259/86, 262/86, 266/86, 222/87 et 232/87, Rec. p. 511, point 52), aux termes duquel «Toute autre interprétation viderait de leur effet les dispositions de l'article 29 du statut, qui imposent aux institutions d'examiner la possibilité de recrutement interne avant d'organiser un concours général. S'il était loisible aux institutions de modifier les conditions de participation d'une étape à l'autre de la procédure, notamment en les assouplissant, celles-ci seraient, en fait, libres d'organiser des procédures de recrutement externe sans avoir à examiner des candidatures internes».

(5) - Sur les différences entre les avis en cause, voir le point 8 des présentes conclusions.

(6) - Ce texte est identique à l'article 42, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour.

(7) - Articles 19 du statut CE de la Cour de justice, et 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal.

(8) - Souligné par nous.

(9) - Souligné par nous.

(10) - Arrêt du 18 octobre 1979, Gema/Commission (125/78, Rec. p. 3173, point 26, souligné par nous).

(11) - C'est en ce sens que pourrait être comprise l'approche substantiellement différente retenue par le Parlement dans sa réplique par rapport à celle présentée dans son pourvoi.

(12) - En application de l'article 47, paragraphe 2, du statut CE de la Cour de justice.

(13) - Voir, par exemple, l'arrêt du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement (294/83, Rec. p. 1339, point 19).

(14) - En particulier, points 16 à 18 de sa réplique.

(15) - Voir, parmi les derniers arrêts en date, celui du 29 mai 1997, De Rijk/Commission (C-153/96 P, Rec. p. I-2901, point 19), dans lequel vous distinguez soigneusement la notion de moyen de celle d'argument, en considérant, par exemple, que l'invocation d'un argument pour soutenir un moyen qui a déjà été examiné par le Tribunal ne constitue pas un moyen nouveau.

(16) - Pour ce qui concerne le Tribunal, cette possibilité est prévue aux articles 65 et suiv. de son règlement de procédure.

(17) - Aux termes duquel: «La procédure devant le Tribunal est régie par le titre III du présent statut, à l'exception de l'article 20».

(18) - Points 19 et suiv. du pourvoi.

(19) - Point 48 de l'arrêt.

(20) - Point 49 de l'arrêt.

(21) - Point 28 du pourvoi.

(22) - Voir en ce sens, par exemple, l'ordonnance du 15 janvier 1998, Obst/Commission (C-403/95 P, non encore publiée au Recueil, point 18).