61996C0053

Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 13 novembre 1997. - Hermès International (société en commandite par actions) contre FHT Marketing Choice BV. - Demande de décision préjudicielle: Arrondissementsrechtbank Amsterdam - Pays-Bas. - Accord instituant l'Organisation mondiale du commerce - Accord TRIPs - Article 177 du traité - Compétence de la Cour - Article 50 de l'accord TRIPs - Mesures provisoires. - Affaire C-53/96.

Recueil de jurisprudence 1998 page I-03603


Conclusions de l'avocat général


1 La demande préjudicielle qui fait l'objet de la présente procédure, soumise à la Cour par l'Arrondissementsrechtbank te Amsterdam, porte sur l'interprétation de l'article 50, paragraphe 6, de l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ci-après l'«accord TRIPs»), accord qui figure en annexe 1 C à l'accord instituant l'organisation mondiale du commerce (ci-après l'«accord OMC»).

Plus précisément, le juge national demande si une mesure urgente adoptée conformément aux dispositions nationales pertinentes relève de la notion de mesure provisoire au sens de l'article 50 de l'accord TRIPs.

Le cadre normatif

2 L'accord OMC et avec lui les autres accords conclus dans ce domaine, parmi lesquels l'accord TRIPs, ont été approuvés, en ce qui concerne la Communauté, par décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l'Uruguay (1986-1994) (1). Lesdits accords sont publiés en annexe à la décision (2).

3 La partie III de l'accord TRIPs contient des dispositions destinées à faire «respecter les droits de propriété intellectuelle». A cette fin, «les membres feront en sorte que leur législation comporte des procédures destinées à faire respecter les droits de propriété intellectuelle telles que celles qui sont énoncées dans la présente partie, de manière à permettre une action efficace contre tout acte qui porterait atteinte aux droits de propriété intellectuelle couverts par le présent accord, y compris des mesures correctives rapides destinées à prévenir toute atteinte et des mesures correctives qui constituent un moyen de dissuasion contre toute atteinte ultérieure. Ces procédures seront appliquées de manière à éviter la création d'obstacles au commerce légitime et à offrir des sauvegardes contre leur usage abusif» (article 41, paragraphe 1). Il est en outre prévu que «les autorités judiciaires seront habilitées à ordonner à une partie de cesser de porter atteinte à un droit, entre autre choses afin d'empêcher l'introduction dans les circuits commerciaux relevant de leur compétence de marchandises importées qui impliquent une atteinte au droit de propriété intellectuelle, immédiatement après le dédouanement de ces marchandises. Les membres n'ont pas l'obligation de les habiliter à agir ainsi en ce qui concerne un objet protégé acquis ou commandé par une personne avant de savoir ou d'avoir des motifs raisonnables de savoir que le négoce dudit objet entraînerait une atteinte à un droit de propriété intellectuelle» (article 44, paragraphe 1).

Il y a enfin lieu de rappeler que l'article 50 de l'accord TRIPs, disposition dont le juge national demande l'interprétation, stipule, pour ce qui nous intéresse ici, que:

«1. Les autorités judiciaires seront habilitées à ordonner l'adoption de mesures provisoires rapides et efficaces:

a) pour empêcher qu'un acte portant atteinte à un droit de propriété intellectuelle ne soit commis et, en particulier, pour empêcher l'introduction, dans les circuits commerciaux relevant de leur compétence, de marchandises, y compris des marchandises importées immédiatement après leur dédouanement;

b) pour sauvegarder les éléments de preuve pertinents relatifs à cette atteinte alléguée.

2. Les autorités judiciaires seront habilitées à adopter des mesures provisoires sans que l'autre partie soit entendue dans les cas où cela sera approprié, en particulier lorsque tout retard est de nature à causer un préjudice irréparable au détenteur du droit ou lorsqu'il existe un risque démontrable de destruction des éléments de preuve.

...

4. Dans les cas où des mesures provisoires auront été adoptées sans que l'autre partie soit entendue, les parties affectées en seront avisées, sans délai après l'exécution des mesures au plus tard. Une révision, y compris le droit d'être entendu, aura lieu à la demande du défendeur afin qu'il soit décidé, dans un délai raisonnable après la notification des mesures, si celles-ci seront modifiées, abrogées ou confirmées.

...

6. Sans préjudice des dispositions du paragraphe 4, les mesures provisoires prises sur la base des paragraphes 1 et 2 seront abrogées ou cesseront de produire leurs effets d'une autre manière, à la demande du défendeur, si une procédure conduisant à une décision au fond n'est pas engagée dans un délai raisonnable qui sera déterminé par l'autorité judiciaire ordonnant les mesures lorsque la législation d'un membre le permet ou, en l'absence d'une telle détermination, dans un délai ne devant pas dépasser 20 jours ouvrables ou 31 jours civils si ce délai est plus long.

7. Dans les cas où les mesures provisoires seront abrogées ou cesseront d'être applicables en raison de toute action ou omission du requérant, ou dans les cas où il sera constaté ultérieurement qu'il n'y a pas eu atteinte ou menace d'atteinte à un droit de propriété intellectuelle, les autorités judiciaires seront habilitées à ordonner au requérant, à la demande du défendeur, d'accorder à ce dernier un dédommagement approprié en réparation de tout dommage causé par ces mesures.

8. Dans la mesure où une mesure provisoire peut être ordonnée à la suite de procédures administratives, ces procédures seront conformes à des principes équivalant en substance à ceux qui sont énoncés dans la présente section.»

4 Quant aux dispositions nationales pertinentes, il convient d'abord de rappeler que, conformément à l'article 289 du code de procédure civile néerlandais, «dans toutes les affaires où, compte tenu des intérêts des parties, une mesure immédiate provisoire s'impose en raison de l'urgence, la demande peut être introduite à une audience que le président tiendra à cette fin aux jours ouvrables qu'il fixera à cet effet» (paragraphe 1). Dans cette hypothèse, comme le précise l'article 290, paragraphe 2, les parties peuvent également comparaître volontairement devant le président siégeant en référé, le demandeur devant alors être représenté à l'audience par un avocat, alors que le défendeur peut comparaître en personne ou être représenté par un avocat. On garantit donc aux parties la possibilité d'être entendues de façon contradictoire.

La mesure d'urgence adoptée par le président, qui est motivée et prise par écrit, peut être attaquée devant le Gerechtshof dans les deux semaines à compter de son prononcé, et ce même lorsqu'elle ne constitue pas un titre exécutoire (article 295, paragraphes 1, 2 et 3). L'éventuel pourvoi en cassation contre la décision du Gerechtshof doit être formé dans les six semaines à compter de la date à laquelle l'arrêt est prononcé (article 295, paragraphe 4). Rappelons enfin que l'article 292 du même code énonce le principe selon lequel les décisions provisoires ne préjugent pas de l'examen au fond. L'efficacité de la mesure d'urgence n'est toutefois pas subordonnée à une procédure au fond, et aucun délai n'est prévu pour l'introduction d'une éventuelle instance au fond. Sur ce point, il n'est pas superflu d'ajouter, comme l'a souligné le juge a quo dans l'ordonnance de renvoi, que, bien qu'elles aient la possibilité d'introduire parallèlement un recours au fond, «en pratique, les parties acceptent d'ordinaire de s'en tenir à la décision de référé dans les matières qui relèvent de l'accord TRIPs».

Les faits et la question préjudicielle

5 Venons-en aux faits. La société de droit français Hermès International, société en commandite par actions (ci-après «Hermès»), est titulaire de la marque nominative «Hermès» et de la marque nominative et figurative «Hermès», en vertu des enregistrements internationaux R 196 756 et R 199 735 désignant le Benelux. Hermès est une entreprise qui a pour objet la conception, la fabrication et la commercialisation de divers produits, dont des cravates, sur lesquelles figure la marque tant nominative que figurative, précitée. Ces cravates sont mises en vente par un système de distribution sélective; aux Pays-Bas, elles sont vendues par la société Galerie & Faïence BV de Scheveningen et par la boutique le Duc de Zeist.

Le 21 décembre 1995, Hermès a fait procéder, sur autorisation du président du tribunal, à deux saisies de cravates commercialisées par la société FHT Marketing Choice BV (ci-après «FHT») et munies de la marque «Hermès», l'une entre les mains de FHT et l'autre auprès de tiers, portant respectivement sur 10 et 453 cravates. Hermès a ensuite introduit, le 2 janvier 1996, une demande en référé devant le président du tribunal, lui demandant d'enjoindre à FHT de mettre fin à la violation des droits d'auteur et de marque dont Hermès est titulaire, en particulier d'indiquer le nombre total de cravates achetées et vendues, ainsi que de retirer de la vente les cravates en dépôt. Hermès a aussi demandé que FHT soit condamnée à la dédommager du préjudice subi. Dans cette demande en référé, Hermès a également demandé, conformément à l'article 50, paragraphe 6, de l'accord TRIPs, la fixation d'un délai de quatorze jours pour l'ouverture d'une procédure au fond, délai qui aurait dû courir à compter de l'introduction par FHT d'une (éventuelle) demande d'abrogation des mesures adoptées à l'issue de la procédure de référé, ou à l'expiration d'un délai de trois mois à compter du prononcé de la décision du président du tribunal, délai au-delà duquel toute demande en ce sens de FHT serait forclose.

6 Estimant, d'une part, que l'hypothèse de contrefaçon des cravates était à première vue plausible et, d'autre part, que FHT ne pouvait pas raisonnablement soutenir avoir agi de bonne foi, le juge saisi a accueilli la demande d'Hermès, à l'exception de la demande d'avance sur les dommages-intérêts.

En ce qui concerne la question des délais, le juge a estimé que la demande ne pouvait pas être accueillie, dans la mesure où l'article 50, paragraphe 6, de l'accord TRIPs ne prévoit pas la fixation d'un délai aux fins de la présentation d'une demande d'abrogation des mesures provisoires adoptées, avec pour conséquence que le délai pour ouvrir la procédure au fond ne pourrait en aucun cas être conditionné par l'imposition d'un délai de forclusion de trois mois, en l'espèce à FHT, pour l'introduction d'une telle demande. Le juge de renvoi s'est toutefois demandé s'il n'était pas en toute hypothèse nécessaire d'imposer un délai pour l'ouverture d'une procédure au fond, en ajoutant que la réponse ne pourrait être qu'affirmative si l'on parvenait à la conclusion qu'une mesure adoptée conformément à l'article 289 du code de procédure civile néerlandais constitue une mesure provisoire au sens de l'article 50 de l'accord TRIPs.

7 C'est donc afin de décider de fixer ou non à Hermès un délai pour l'introduction de l'instance au fond que le juge national a effectué un renvoi préjudiciel à la Cour. La question qu'il a posée est ainsi formulée:

«Une décision provisoire, telle que celle qui est par exemple visée aux articles 289 et suivants du code de procédure civile, qui permet de solliciter du président du tribunal une décision immédiate par provision, relève-t-elle de la notion de mesure provisoire au sens de l'article 50 de l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (TRIPs)?»

Observations préliminaires

8 Les termes dans lesquels cette question est posée mettent en évidence le fait que le juge a quo ne nourrit aucun doute ni en ce qui concerne la compétence de la Cour pour interpréter l'article 50 de l'accord TRIPs ni quant à la possibilité pour les particuliers d'invoquer cette disposition devant les juridictions nationales. Dans l'ordonnance de renvoi, par ailleurs, il a affirmé explicitement (et de manière lapidaire), d'une part, que l'accord TRIPs, ayant aussi été ratifié par la Communauté en tant que telle, «fait partie du droit communautaire», ce qui implique également que «cette question peut être posée à la Cour au titre de l'article 177 du traité CE» et, d'autre part, que l'article 50 de cet accord «a un effet direct».

A cet égard, il y a toutefois lieu de souligner que, contrairement à ce que semble estimer le juge de renvoi, la compétence de la Cour pour interpréter l'article 50 de l'accord TRIPs et l'effet direct d'une telle disposition ne peuvent aucunement être considérés comme acquis, encore moins présupposés. En réalité, le fait que la compétence pour conclure l'accord TRIPs, selon ce qu'a affirmé la Cour dans l'avis 1/94 (3), est répartie entre la Communauté et les États membres exige que l'on vérifie si la disposition en cause relève de la compétence de la Communauté ou de celle des États membres et, dans cette seconde hypothèse, si la Cour est quand même compétente pour en fournir l'interprétation au juge national. Quant au prétendu effet direct de la disposition en question, il ne faut pas oublier que la jurisprudence de la Cour a jusqu'à présent nié que les dispositions du GATT (1947) en soient pourvues (4), de sorte qu'il convient au moins de vérifier jusqu'à quel point et dans quelle mesure la situation a changé par rapport aux dispositions de l'OMC, y compris celles de l'accord TRIPs.

9 Telles sont donc les deux questions auxquelles il y a lieu de répondre avant de passer, le cas échéant, à l'examen au fond de la question posée. Tels sont d'ailleurs les points sur lesquels s'est, certainement pas par hasard, focalisée l'attention des États et des institutions qui ont présenté des observations dans la présente procédure.

Sur la compétence de la Cour

10 Le point de départ d'une telle vérification ne peut être constitué que par l'avis 1/94, précité. Appelée à établir, entre autres, si la Communauté européenne était compétente pour conclure toutes les parties de l'accord OMC concernant les aspects commerciaux des droits de propriété intellectuelle, y compris le commerce des marchandises contrefaites, en vertu de l'article 113 du traité ou des dispositions combinées de cet article et des articles 100 A et/ou 235 de ce même traité, la Cour a en effet conclu que «la Communauté et ses États membres ont une compétence partagée pour conclure le TRIPs» (5).

La Cour est parvenue à cette conclusion après avoir affirmé que, en dépit du lien avec le commerce de produits, la propriété intellectuelle ne rentre pas dans la politique commerciale. Plus précisément, la Cour a surtout isolé l'hypothèse de mesures destinées à éviter l'introduction dans la Communauté de contrefaçons, faisant déjà l'objet d'une réglementation communautaire fondée sur l'article 113 et relevant donc de la compétence externe exclusive de la Communauté. Pour le reste, tout en reconnaissant le lien avec le commerce de marchandises et les effets qu'ils peuvent produire sur ces échanges, la Cour n'a pas considéré que cela suffisait à faire entrer les droits de propriété intellectuelle dans le champ d'application spécifique de l'article 113 et, partant, dans la sphère de compétence externe exclusive de la Communauté (6). La Cour n'a pas davantage retenu qu'une telle compétence pouvait être fondée sur d'autres bases juridiques, telles que les articles 100 A et/ou 235 du traité, ou sur le parallélisme entre compétences internes et externes. A cet égard, la Cour a, d'une part, affirmé que ces articles ne sont pas en soi propres à créer une compétence communautaire exclusive; d'autre part, elle a rappelé le principe selon lequel la compétence externe exclusive ne résulte que de compétences internes effectivement exercées, pour l'ensemble du secteur visé et lorsque ce parallélisme est nécessaire pour que la compétence interne soit exercée utilement (7).

11 Pour ce qui nous intéresse ici, il y a en outre lieu de rappeler que, dans les observations présentées dans le cadre de l'avis 1/94, certains États membres avaient soutenu que «les dispositions du TRIPs relatives aux mesures à prendre pour garantir une protection efficace des droits de propriété intellectuelle, telles que la garantie d'une procédure loyale et équitable, les règles quant à la présentation des moyens de preuve, le droit à être entendu, la motivation des décisions, le droit de recours, les mesures provisoires et les dommages-intérêts relèvent de la compétence des États membres». En réponse à cet argument, la Cour a affirmé que la «Communauté a certainement une compétence pour harmoniser les règles nationales sur ces sujets, pour autant qu'elles aient, pour reprendre la formule de l'article 100 du traité, `une incidence directe sur l'établissement ou le fonctionnement du marché commun'. Il reste que les institutions communautaires n'ont pas exercé jusqu'ici leurs compétences dans le domaine des `moyens de faire respecter les droits de propriété intellectuelle', sauf pour ce qui est du règlement n_ 3842/86 ... sur l'interdiction de la mise en libre pratique des marchandises de contrefaçon» (8).

Autrement dit, la Cour a nié que le domaine relatif aux instruments de protection des droits de propriété intellectuelle puisse constituer un secteur réservé aux États membres, puisqu'il est certain que la Communauté est compétente pour harmoniser aussi ce secteur en cas d'incidence sur le fonctionnement du marché commun; mais elle a aussi reconnu que jusqu'alors cette compétence n'avait pas encore été exercée sur le plan interne, si ce n'est de manière marginale, et que, donc, la condition pour pouvoir établir une compétence externe exclusive de la Communauté n'était pas encore remplie. En définitive, par rapport au noyau essentiel des dispositions sur la protection des droits de propriété intellectuelle, à la date de l'avis, une compétence communautaire externe exclusive n'était que potentielle. A ce jour, comme cela a été confirmé en cours d'instance, la situation n'a pas changé. Les termes du problème restent donc inchangés, en ce sens que la compétence pour conclure un accord comme le TRIPs reste répartie entre les États membres et la Communauté (9) et, plus particulièrement, la compétence pour conclure des accords par rapport auxquels la compétence de la Communauté est (encore et seulement) potentielle continue à incomber aux États membres.

12 Or, il est presque inutile de relever que, dans l'affaire qui nous occupe, la disposition de l'accord TRIPs que la Cour est appelée à interpréter concerne les mesures provisoires, donc une matière dans laquelle la Communauté n'a pas encore (effectivement) exercé sur le plan interne sa compétence (potentielle), donc une matière qui reste en principe de la compétence des États membres.

Compte tenu de ce qui précède, le résultat qui semble s'imposer est qu'en ce qui concerne ce type de normes la Communauté ne devrait pas être considérée comme une partie contractante. Dans ce sens plaident, d'ailleurs, les articles 1er et 2 de la décision 94/800, précitée, qui approuvent les accords au nom de la Communauté «pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences», incise qui est même reproduite dans l'intitulé de la décision. On ne pourrait parvenir à une solution différente que si l'expression «compétence répartie» était interprétée en ce sens que la compétence appartient également et en même temps à la Communauté et aux États membres, avec pour conséquence que toute décision qui relève d'un domaine de compétence mixte devrait être adoptée d'un commun accord par l'une et par les autres (10).

13 Outre le fait qu'elle paraît déjà contraire à l'expression «pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences», une telle interprétation nous semble trompeuse et en tout cas inapte à résoudre le problème. Étant donné l'absence d'instruments permettant d'intervenir dans l'hypothèse où l'on ne parvient pas à une décision commune, l'interprétation proposée impliquerait en effet, dans les matières où les compétences sont partagées, un véritable pouvoir de veto, tant de la part de la Communauté que de chaque État membre; cela aurait comme conséquence inévitable de bloquer entièrement le processus décisionnel, en ce sens que l'on pourrait bien arriver à une situation de «pat» de nature à conduire au «non-vote» de la Communauté et de ses États membres (11). Nous estimons donc qu'il faut reconnaître, en particulier compte tenu de la clarté de l'avis 1/94 sur ce point, que la compétence pour conclure un accord est communautaire par rapport aux matières dans lesquelles une réglementation communautaire a déjà été mise en oeuvre - et certainement pas de manière seulement partielle et marginale -, tandis qu'elle continue à relever des États membres en l'absence d'une telle réglementation.

La confirmation du bien-fondé de cette thèse se trouve dans la partie finale de l'avis 1/94. En effet, la Cour, précisément pour répondre aux doléances de la Commission sur les difficultés pratiques d'une attribution de compétences partagées avec les États membres, a souligné la nécessité d'une coopération étroite tant dans le processus de négociation et de conclusion des accords en la matière que dans l'exécution de ceux-ci (12). Cela n'aurait évidemment aucun sens si la compétence répartie entre la Communauté et les États membres devait être entendue comme se référant à la conclusion d'une même disposition et par contre pas à des parties différentes d'un même accord. En définitive, l'expression «compétence partagée» ne peut que signifier qu'États membres et Communauté conservent le dernier mot, au moins dans les limites où la coopération ne se traduit pas par une entente commune, dans leurs domaines de compétence respectifs.

14 Si tel est le cadre du côté communautaire, il ne faut toutefois pas oublier que la Communauté et les États membres ont signé l'ensemble des accords OMC et que, donc, à l'égard des États tiers contractants, ils sont l'une autant que les autres parties contractantes. S'il est vrai, en outre, que l'approbation de ces mêmes accords au nom de la Communauté est limitée «aux matières relevant de ses compétences», il est également vrai que l'acte final et l'accord OMC ne contiennent aucune clause sur la compétence (13) et que la Communauté et ses États membres sont cités comme membres originels au même titre (14).

Dans ces conditions, on devrait admettre que les États membres et la Communauté constituent, à l'égard des pays tiers contractants, une seule partie contractante ou au moins des parties contractantes également responsables par rapport à une éventuelle inapplication de l'accord. La conséquence manifeste est que, dans une hypothèse de ce type, la répartition des compétences a une portée seulement interne (15). Cette même circonstance, comme on le verra mieux, pourrait ne pas être dépourvue de pertinence aux fins de la solution du problème qui nous occupe.

15 Cela étant, il convient de se demander maintenant quel est le statut de l'accord TRIPs dans l'ordre juridique communautaire, en particulier en ce qui concerne les aspects fondamentaux du caractère contraignant et de la compétence pour interpréter et appliquer les dispositions en cause. A première vue, nous dirions que la Communauté est liée au respect des dispositions de l'accord TRIPs seulement «pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences», c'est-à-dire seulement et exclusivement pour les parties qui relèvent de sa compétence pour conclure un accord, avec pour conséquence qu'elle ne devrait en être responsable que dans ces limites.

Une telle conclusion inciterait aussi à penser, contrairement à ce qu'a relevé le juge de renvoi dans l'affaire qui nous occupe, que ne font «partie du droit communautaire» que les parties d'accord ou groupes de dispositions dont la conclusion relève de la compétence de la Communauté et que, donc, la Cour n'est compétente que pour interpréter ces dispositions, étant donc entendu que les juges nationaux devraient conserver leur autonomie d'interprétation par rapport aux secteurs et aux dispositions pour lesquels les États membres conservent (au moins pour le moment) leur compétence.

16 Et telle est précisément la thèse soutenue par tous les États ayant présenté des observations au cours de la présente procédure, ainsi que par le Conseil, qui ont en effet invité la Cour à se déclarer incompétente pour interpréter l'article 50 de l'accord TRIPs. Seule la Commission a exprimé un avis différent: en partant de l'idée qu'il n'existe pas un parallélisme parfait entre compétence pour conclure un acte et compétence d'interprétation de la Cour, elle a en particulier mis l'accent sur la nécessité d'une interprétation et d'une application uniformes à l'intérieur de la Communauté.

Il est vrai que la Commission - reconnaissant que par rapport à l'avis, ainsi qu'à la limite posée par le Conseil à l'approbation des accords OMC pour ce qui concerne «les matières relevant de ses compétences», une réponse négative de la Cour sur sa compétence ne constituerait nullement une surprise - a plaidé en faveur de la compétence de la Cour sur la base de motifs d'opportunité aussi. Plus précisément, elle a soutenu que: a) il n'y a pas de parallélisme parfait et nécessaire entre compétence de la Communauté pour conclure des accords et compétence d'interprétation de la Cour, la première devant se fonder sur des pouvoirs effectifs et actuels de la Communauté, la seconde pouvant se fonder sur des pouvoirs «potentiels» de la Communauté; b) l'accord mixte est un accord unique entre la Communauté et les États membres, d'une part, et les pays tiers, de l'autre, de sorte que l'interprétation et l'application doivent être uniformes; c) l'interprétation des dispositions communautaires, qui, quoique de manière limitée, ont harmonisé le secteur, doit être cohérente avec celle des mesures de protection; d) les accords OMC forment un ensemble qui exige une interprétation inspirée des mêmes critères, permettant d'éviter le risque d'interprétations divergentes entre la Cour et les juges nationaux sur des questions de grande importance, comme celle de l'effet direct.

17 Or, les points soulevés par la Commission ont été abordés et résolus, en ce qui concerne le phénomène plus général des accords mixtes, de manière très divergente par la doctrine (16). La Cour, pour sa part, n'a jusqu'à maintenant pas donné une réponse claire et de principe. En effet, à plusieurs occasions, la Cour a interprété des dispositions contenues dans des accords mixtes, mais sans spécifier si sa compétence était due au fait que les dispositions en question relevaient certainement du domaine de compétence communautaire ou au fait que sa compétence s'étend à toutes les dispositions d'un accord mixte (17). Le point de départ a souvent été que ce type d'accord doit être qualifié, bien entendu «en ce qui concerne la Communauté», d'acte pris par une des institutions au sens de l'article 177, avec pour conséquence que ses dispositions « font partie intégrante du droit communautaire» et que la Cour est donc compétente pour se prononcer à titre préjudiciel sur leur interprétation (18).

L'existence d'une compétence de la Cour pour interpréter des accords mixtes - indépendamment d'une vérification destinée à établir si, par rapport à la disposition visée, la compétence pour stipuler appartient à la Communauté ou aux États membres - a été expressément mise en doute, pour la première fois, dans l'affaire Demirel (19). A cette occasion, en effet, certains gouvernements ont invoqué l'incompétence du juge communautaire pour interpréter les dispositions sur la libre circulation des travailleurs, en affirmant qu'elles relevaient, à leur avis, de la compétence spécifique des États membres.

18 La réponse de la Cour est fondée sur deux arguments distincts. En premier lieu, elle a relevé, en rappelant la nature et le type particuliers de l'accord applicable en l'espèce, que la compétence pour conclure des accords d'association en application de l'article 228 concerne tous les secteurs régis par le traité, parmi lesquels assurément la libre circulation des travailleurs, de sorte qu'en l'espèce il n'y avait aucun problème quant à la compétence pour interpréter les dispositions d'un accord mixte relevant de la compétence exclusive des États membres (20). En second lieu, la Cour a en outre observé que, «en assurant le respect des engagements découlant d'un accord conclu par les institutions communautaires, les États membres remplissent, dans l'ordre communautaire, une obligation envers la Communauté qui a assumé la responsabilité pour la bonne exécution de l'accord» (21), mettant ainsi en évidence la portée communautaire de l'obligation des États membres de respecter, dans son intégralité, un accord mixte.

Il semble donc résulter de ces affirmations, certes non décisives aux fins de la solution du problème qui nous occupe, d'une part, que, selon la Cour, il faudrait décliner toute compétence d'interprétation au titre de l'article 177 seulement pour les matières relevant de la compétence exclusive des États membres (22) et, d'autre part, que la Communauté serait responsable, lorsqu'il s'agit d'un accord (même mixte) conclu par les institutions communautaires, relativement à l'accord dans son ensemble (23). Nous ajoutons que nous ne pensons pas que ces considérations puissent être limitées aux seuls accords d'association, en tant qu'accords pour lesquels la compétence exclusive de la Communauté pour les conclure est fondée sur le traité lui-même, en l'espèce sur l'article 238. En effet, tout en reconnaissant que le phénomène et le type d'accords mixtes varient sensiblement en fonction de l'intensité de la participation des États (24), il reste que le problème examiné ne peut que se poser dans les mêmes termes tant à l'égard d'un accord d'association, lorsqu'il est conclu sous forme d'accord mixte, qu'à l'égard d'accords (également mixtes) qui n'ont pas une base juridique ad hoc dans le traité.

19 Revenant au cas d'espèce, nous commencerons par souligner que s'il était constant qu'il existe des secteurs relevant de la seule compétence des États membres (ou réservés à ces derniers), on pourrait certainement reconnaître qu'il n'est pas nécessaire qu'il existe une harmonie parfaite dans l'application, et donc l'interprétation, des différentes dispositions d'un accord mixte. Une interprétation centralisée à la Cour de justice pour tous les secteurs de la matière visée ne serait en effet pas indispensable: et ce d'autant plus si l'on pense aux perturbations qui résulteraient de l'attribution à la Cour du dernier mot sur l'interprétation des accords mixtes dans leur ensemble. Par exemple, il faudrait se demander pourquoi le juge ou les administrations nationales devraient être liés - dans l'application d'accords dont en substance seul l'État (et non la Communauté) est partie - par l'interprétation de la Cour et non, imaginons, par la leur ou par celle de l'OMC, exprimée dans le cadre du mécanisme de règlement des différends, compte tenu par ailleurs des conséquences inévitables sous l'angle de la responsabilité (25).

Toutefois, la situation examinée est bien différente ou du moins pas aussi évidente. En effet, il est vrai que la réponse de la Cour aux conséquences négatives, mises en évidence par la Commission en cas de compétence partagée, sur le plan de la formation du consensus et donc de l'application des dispositions de l'OMC, a été des plus claires: «...le problème de répartition de compétence ne peut être réglé en fonction des difficultés éventuelles qui pourraient se faire jour lors de la gestion des accords» (26). Cependant, il est tout aussi vrai que dans le même avis la Cour n'a pas manqué de souligner que les secteurs dans lesquels la compétence est partagée ne constituent pas un «domaine réservé» des États membres ne sont donc pas étrangers au droit communautaire.

20 Dans ces conditions, on ne peut pas ne pas reconnaître que l'application de la thèse rappelée plus haut, selon laquelle la Cour ne serait compétente que pour interpréter les dispositions relevant de la compétence de la Communauté pour conclure un accord et non celles qui restent de la compétence des États, n'est simple et claire qu'à première vue. En vérité, elle se révèle problématique ne serait-ce qu'en raison des liens qui peuvent exister entre dispositions d'un même accord, en ce sens qu'il peut ne pas être facile d'établir avec précision si une disposition déterminée relève (aussi) du domaine communautaire ou seulement du domaine national (27); il n'est pas non plus à exclure qu'une interprétation nationale déterminée puisse avoir une incidence sur l'application de dispositions communautaires et/ou sur le fonctionnement du système considéré dans son ensemble (28). L'exigence d'uniformité d'interprétation et d'application de toutes les dispositions des accords en question pourrait donc, à juste raison, être considérée comme une exigence fondamentale (29).

A cela s'ajoute que d'autres difficultés pourraient surgir en raison des conséquences qui, indépendamment de savoir qui a commis une violation des dispositions de l'accord en question, pourraient découler pour la Communauté sur le plan de la responsabilité internationale (30). La circonstance que la Communauté est partie face aux pays tiers contractants et qu'un accord international conclu (aussi) par la Communauté lie, en application de l'article 228 du traité, tant les États membres que les institutions communautaires ne peut que conduire à la conclusion que la Communauté est responsable vis-à-vis de chaque partie de l'accord en question. D'où la compétence préjudicielle de la Cour de justice afin de garantir l'uniformité d'interprétation et donc d'application des dispositions conventionnelles en question à l'intérieur de la Communauté, ainsi que pour protéger l'intérêt de la Communauté à ne pas voir engager sa responsabilité à cause de violations commises par un ou plusieurs États membres (31).

21 Mais il y a plus. Pour respecter l'obligation de coopération et l'exigence d'une unité de représentation à l'extérieur, telles que la Cour les a mises en lumière dans l'avis 1/94 (32), les États membres et les institutions communautaires sont tenus à une coopération étroite tant lors de la négociation et de la conclusion des accords en la matière que, ce qui compte encore plus, dans l'application de ceux-ci: ils doivent donc, en définitive, rechercher une position commune (33).

Si cela est vrai, il faut aussi reconnaître que l'absence d'interprétation centralisée risquerait de réduire entièrement à néant les résultats produits par l'obligation de coordination lors de la négociation et de la conclusion des dispositions en question. En effet, il n'est certainement pas à exclure que l'on arrive, précisément par rapport à des points sur lesquels on est parvenu à un consensus, à un éclatement en quinze interprétations différentes de la part des juges nationaux, ce qui transformerait en simple chimère la réalisation de la coopération dans la phase d'application des dispositions en question. Dans cette optique, on pourrait soutenir que l'interprétation que la Cour est appelée à fournir constitue sa contribution à la réalisation du devoir de coopération entre institutions et États membres, telle qu'elle l'a souligné dans l'avis 1/94.

Enfin, une remarque à caractère plus général. Le système juridique communautaire est caractérisé par l'application simultanée de dispositions d'origines diverses, internationales, communautaires et nationales; mais il s'agit quand même d'un système qui tend à fonctionner et à se présenter à l'extérieur de façon unitaire. Telle est, s'il l'on veut, la logique du système, qui, tout en garantissant le maintien des réalités étatiques, de même que des individualités de tout genre, tend à réaliser une manière d'être unitaire. Et la fidélité à cet objectif, qualifié par la Cour même d'obligation de solidarité, trouve certainement une garantie de poids dans le mécanisme de contrôle juridictionnel qui a été défini par le traité et qui passe par la contribution simultanée du juge communautaire et des juges nationaux.

Sur l'effet direct de l'article 50 de l'accord TRIPs

22 Une fois établi le fait que la Cour est compétente pour se prononcer à titre préjudiciel sur toutes les dispositions de l'accord TRIPs, il convient de se demander, encore avant de passer à l'examen du fond de la question posée, si l'article 50, paragraphe 6, de cet accord, disposition dont l'interprétation est demandée, a ou non un effet direct. Le juge a quo, nous le rappelons, n'a posé à la Cour aucune question à cet égard, estimant, ainsi qu'il résulte de l'ordonnance de renvoi, que la disposition en question est certainement d'application directe. Une telle conclusion - du reste vivement contestée tant par les États qui ont présenté des observations au cours de la procédure, à l'exception du royaume des Pays-Bas, que par le Conseil et la Commission - ne peut faire oublier que, si jamais l'article 50, paragraphe 6, de l'accord TRIPs était dépourvu d'effet direct, il s'ensuivrait qu'Hermès ne pourrait pas l'invoquer devant le juge national afin de faire valoir l'incompatibilité de la réglementation nationale pertinente et donc, le cas échéant, son inapplicabilité au cas d'espèce.

A l'évidence, la question de l'effet direct de la disposition en objet est incontestablement pertinente pour la solution du litige au principal et elle est préliminaire par rapport au fond de la question posée à la Cour. Nous ajoutons que la jurisprudence constante de la Cour, selon laquelle il relève du pouvoir discrétionnaire du juge national d'apprécier si le règlement du litige est subordonné à la solution d'une question déterminée et, donc, si une demande préjudicielle à la Cour est ou non nécessaire (34), ne peut pas être considérée comme étant de nature à s'opposer à ce que le juge communautaire se prononce sur la question visée. A cet égard, nous rappelons en effet que, précisément en fonction de l'esprit de coopération qui inspire la procédure de l'article 177, la Cour s'est à plusieurs reprises exprimée en ce sens qu'il lui incombe de «fournir à [la] juridiction [nationale] tous éléments d'interprétation utiles» (35). Nous estimons donc que la Cour peut se prononcer sur l'effet direct de la disposition visée de l'accord TRIPs; et ce même en l'absence de question spécifique à cet égard et précisément afin de fournir une réponse utile au juge national, qui, nous le répétons, a donné pour acquis l'effet direct de la disposition dont il demande l'interprétation.

23 Nous observons d'abord que les doutes quant à l'effet direct des dispositions de l'accord TRIPs, et de manière plus générale les dispositions de l'OMC, sont légitimes à plusieurs égards. Nous nous référons en particulier à la jurisprudence de la Cour qui a nié tout effet direct aux dispositions du GATT 1947 et au fait que le dernier considérant de la décision 94/800, précitée, par laquelle la Communauté a approuvé les accords conclus à la suite des négociations multilatérales de l'Uruguay Round, affirme textuellement que «l'accord instituant l'Organisation mondiale du commerce, y compris ses annexes, n'est pas susceptible d'être invoqué directement devant les juridictions communautaires et des États membres».

Pour résoudre le problème qui nous occupe, nous estimons donc indispensable de préciser d'abord si une telle «déclaration» , qui exclut expressément la possibilité pour les particuliers de faire valoir les dispositions de l'OMC devant les instances juridictionnelles compétentes, peut, ou même doit, être considérée comme ne permettant pas à la Cour de parvenir à une autre solution. La réponse, disons-le tout de suite, ne peut être que négative.

24 En premier lieu, il s'agit d'une affirmation contenue seulement dans la motivation de la décision du Conseil par laquelle les accords OMC ont été approuvés, mais qui n'est pas reprise dans le dispositif de cette décision, ce qui en réduit considérablement la portée, bien entendu en termes juridiques. En second lieu, et surtout, il y a lieu de rappeler ici que la Cour a déjà eu l'occasion de préciser qu'en application du droit international les institutions communautaires peuvent convenir avec les pays tiers des effets que les dispositions d'un accord conclu avec eux doivent produire à l'intérieur de leur ordre juridique respectif, non sans ajouter, toutefois, que, «si cette question n'a pas été réglée par l'accord, il incombe aux juridictions compétentes et en particulier à la Cour, dans le cadre de sa compétence en vertu du traité, de la trancher au même titre que toute autre question d'interprétation relative à l'application de l'accord dans la Communauté» (36).

Cela suffit, à notre avis, pour pouvoir affirmer que le considérant en question ne peut en tout état de cause, étant donné l'absence de disposition en ce sens prévue par toutes les parties contractantes, être considéré comme étant de nature à empêcher la Cour de parvenir à une autre solution (37). Par ailleurs, même les partisans de l'absence d'effet direct n'ont pas attribué une importance décisive au considérant en question. La Commission, par exemple, s'est bornée à faire valoir que par ce considérant le législateur communautaire a entendu indiquer que les raisons qui avaient conduit la Cour à nier tout effet direct aux dispositions du GATT 1947 restent valables dans le contexte changé de l'OMC et que, en tout cas, le considérant en question répond aux préoccupations inévitablement liées à la circonstance, déjà connue lors de l'adoption de la décision 94/800, que d'autres parties contractantes (États-Unis et Canada, par exemple) ont aussi déclaré ne pas reconnaître d'effet direct aux dispositions des accords OMC.

25 Il n'est guère utile de rappeler, nous semble-t-il, que les arguments avancés par la Commission ne sont pas en soi de nature à changer les termes du problème. Il reste en effet qu'il incombe à la Cour elle seule, aussi à la lumière de sa jurisprudence antérieure en la matière et compte tenu de l'éventuelle absence de réciprocité sur ce point, d'établir si les dispositions de l'OMC sont ou non pourvues d'effet direct; de même, il appartient aussi à la Cour d'apprécier si les changements qui ont accompagné le passage du GATT 1947 à l'OMC sont de nature à conduire, sur la question de l'effet direct, à la même solution ou à une solution différente (38).

Dans cette optique, nous estimons donc opportun de rappeler la jurisprudence qui a nié tout effet direct aux dispositions du GATT 1947. Nous examinerons ensuite si les motifs qui sont à la base de cette jurisprudence restent valables également par rapport aux dispositions de l'OMC.

26 Or, déjà dans l'arrêt International Fruit e.a., partant de l'idée qu'aux fins d'établir si une disposition GATT a un effet direct «il convient d'envisager à la fois l'esprit, l'économie et les termes de l'Accord général» (39), la Cour relève que cet accord, «fondé, aux termes de son préambule, sur le principe de négociations entreprises sur `une base de réciprocité et d'avantage mutuels', est caractérisé par la grande souplesse de ses dispositions, notamment de celles qui concernent les possibilités de dérogation, les mesures pouvant être prises en présence de difficultés exceptionnelles et le règlement des différends entre les parties contractantes» (40). Tels sont donc les éléments que la Cour a jugés suffisants pour démontrer que, placé dans un tel contexte, l'article XI du GATT, disposition invoquée en l'espèce, ne pouvait pas être considéré comme étant de nature à engendrer pour les justiciables de la Communauté le droit de s'en prévaloir en justice (41). Tels sont, plus généralement, les éléments qui ont conduit la Cour à affirmer que les dispositions du GATT 1947 «sont dépourvues de caractère inconditionnel et que l'obligation de leur reconnaître valeur de règles de droit international immédiatement applicables dans les ordres juridiques internes des parties contractantes ne peut pas être fondée sur l'esprit, l'économie ou les termes de l'Accord» (42).

Cette argumentation, qui a également provoqué d'âpres critiques dans la doctrine (43), est une constante qui se retrouve dans toute la jurisprudence en la matière (44).

27 A l'évidence, il ressort avec clarté de cette jurisprudence que la Cour a subordonné la reconnaissance de l'effet direct à la vérification de deux éléments, individualisés dans les caractéristiques du système du GATT (objectifs, structure, caractère des normes, recours en cas de violation) et dans la teneur de la norme. Il est vrai que, ainsi qu'il résulte de cette même jurisprudence, il n'y a jamais eu de vérification de la teneur de la norme, en ce sens que la Cour n'a procédé à aucune vérification destinée à établir si la disposition invoquée était claire, précise et inconditionnelle, selon les critères traditionnels qui ont amené la Cour à attribuer ou non l'effet direct aux dispositions communautaires ou aussi à des dispositions contenues dans d'autres accords conclus par la Communauté. Cela est dû au fait que la Cour s'est toujours arrêtée, avec un résultat à chaque fois négatif, à la première vérification, à savoir celle portant sur les caractéristiques principales du système du GATT (45).

A cet égard, nous ne pouvons pas nous empêcher d'observer qu'il ne nous semble pas que les caractéristiques du GATT étaient tellement différentes de celles d'autres accords par rapport auxquels la Cour a reconnu, sans trop d'explications et même en présence de la souplesse de certaines dispositions et de l'élément de négociation inscrit dans le mécanisme de règlement des différends, la possibilité pour les particuliers d'en invoquer directement devant les juridictions nationales les dispositions suffisamment claires, précises et inconditionnelles (46). Il ne nous semble pas davantage que les dispositions du GATT soumises à l'attention de la Cour étaient moins claires, précises et inconditionnelles que d'autres dispositions d'accords auxquelles la Cour a au contraire attribué, d'ailleurs avec une générosité voulue, l'effet direct. Il n'est pas vraiment utile de souligner, donc, que sous cet aspect il ne devrait pas y avoir de différences entre les dispositions du GATT 1947 et les dispositions des accords OMC, en ce sens que ces dernières ne se présentent pas non plus de manière différente de toutes les autres dispositions conventionnelles auxquelles la Cour a attribué un effet direct.

28 Cela étant, il convient d'établir si les changements qui ont accompagné le passage du GATT à l'OMC - en particulier ceux intervenus quant à la taille et à la portée du système, ainsi qu'à la nature et à l'efficacité du mécanisme de règlements des différends, c'est-à-dire les éléments sur lesquels la Cour s'est fondée pour nier tout effet direct aux dispositions du GATT - sont de nature à faire raisonnablement envisager une orientation différente de la jurisprudence en ce qui concerne les dispositions de l'OMC. Autrement dit, il s'agit d'apprécier si les caractéristiques attribuées au système du GATT dans son ensemble et dont on a déduit l'absence d'effet direct, à savoir souplesse des dispositions et mécanisme de règlement des différends à mailles trop larges et de type négocié, peuvent être considérées comme dépassées dans le cadre de l'OMC.

Or il est incontestable que le système de l'OMC se présente de façon très différente du GATT 1947 et que les éléments qui ont orienté la jurisprudence ont été profondément modifiés. L'OMC a en effet la structure d'une organisation internationale, un rapport entre règles et exceptions qui semble fonctionnel et pas très loin de celui d'expériences plus réputées, un mécanisme de règlement des différends qui a subi une amélioration notable sous l'angle du caractère impératif de ses résultats (47).

29 Plus précisément, quant à la grande souplesse qui aurait caractérisé l'ensemble des dispositions du GATT, souplesse due surtout aux «trous dans les mailles» du système: dérogations, mesures exceptionnelles et autres, on ne peut pas ne pas reconnaître qu'une des principales innovations intervenues consiste dans l'inversion du rapport entre règles et exceptions. Le régime des dérogations et des mesures exceptionnelles, autorisées avec beaucoup de générosité dans le précédent système, a en effet nettement changé de cap (48). En outre, les conditions matérielles et de procédure qui régissent l'octroi des dérogations sont aujourd'hui suffisamment rigoureuses (49).

Un tournant tout aussi important a eu lieu dans le domaine du règlement des différends, depuis toujours considéré comme un des points les plus faibles du système du GATT, sous l'angle tant de la forme que du fond. La caractéristique fondamentale du vieux système reposait dans le fait que la «résistance» de la partie succombante pouvait bloquer le mécanisme, dès lors que le groupe spécial (panel) ne pouvait que suggérer la solution au Conseil, c'est-à-dire à l'ensemble des parties contractantes; le Conseil pouvait ensuite l'approuver s'il n'y avait pas d'oppositions. L'actuel mémorandum d'accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends a sensiblement modifié la situation (50). En particulier, pour ce qui nous intéresse ici, on ne peut pas ne pas souligner que le rapport du groupe spécial (panel), qui auparavant était approuvé par le Conseil uniquement en cas de consensus général, n'est aujourd'hui rejeté que si le consensus est en ce sens, ce qui constitue une innovation copernicienne: avant, la partie qui succombait pouvait bloquer l'adoption, aujourd'hui elle ne le peut plus (51). Il ne sert à rien de préciser avec zèle, comme cela a pourtant été fait au cours de la procédure, que l'issue de la procédure peut être remplacée par un système de compensations et que, donc, le mécanisme en question ne peut pas être considéré comme de nature à faire disparaître les motifs qui ont conduit la Cour à nier tout effet direct aux dispositions du GATT. En effet, la compensation est une mesure seulement provisoire, qui ne constitue donc pas une méthode de règlement des différends, mais seulement un instrument temporaire pour éviter que l'absence de mise en oeuvre dans le délai raisonnable fixé en l'espèce annule ou réduise les avantages découlant pour les autres parties contractantes et, en même temps, pour faire en sorte que la partie défaillante ne soit pas incitée à persister indéfiniment dans son inexécution (52).

30 C'est donc sur la base des caractéristiques du système OMC, telles que nous venons de les rappeler, qu'il convient maintenant de se demander si les changements intervenus, par rapport au système GATT, peuvent être de nature à conduire la Cour à changer d'orientation sur la question de l'effet direct. Notre réponse est que logiquement ils pourraient l'être, ou plutôt le devraient (53), compte tenu par ailleurs de la jurisprudence relative aux autres accords conclus par la Communauté, qui, il est difficile de ne pas l'admettre, ne présentent pas des caractéristiques tellement profondément différentes de celles de l'OMC quant à la souplesse et à l'esprit de négociation dans la solution des différends (54).

En définitive, nous estimons que la situation a changé par rapport au GATT 1947 et que les objections opposées jusque-là par la Cour ne peuvent pas ne pas être considérées comme dépassées dans le contexte de l'OMC 12 (55). Sous cet angle, donc, le respect des accords OMC, y compris l'accord TRIPs, devrait être désormais susceptible, bien entendu relativement aux dispositions qui le permettent, d'être invoqué en justice par les particuliers.

31 Il reste toutefois à vérifier si l'on peut surmonter, mais d'abord si les termes du problème peuvent être changés par, le fait que certaines des autres parties contractantes (en particulier les États-Unis, le Canada et le Japon) ne reconnaissent pas d'effet direct aux dispositions en question. Cette circonstance - qui constituerait d'ailleurs, selon ce qu'a affirmé la Commission, la raison d'être de l'inclusion dans la décision 94/800 du considérant qui exclut l'effet direct des dispositions de l'OMC - est en effet invoquée pour soutenir que la Cour ne pourrait pas attribuer d'effet direct à ces dispositions en l'absence de réciprocité de la part des autres contractants.

Or, il est incontestable qu'une telle circonstance n'est pas dénuée de conséquences importantes, puisqu'il faut reconnaître que l'efficacité directe des dispositions en question impliquerait, en l'absence de réciprocité, que les opérateurs communautaires seraient pénalisés par rapport à leurs concurrents étrangers. En effet, alors que ces derniers pourraient faire valoir directement devant les juges des États membres les dispositions qui leur sont favorables, les opérateurs communautaires ne pourraient en faire autant dans les États qui ont déclaré exclure l'effet direct des dispositions OMC (56).

32 Ces considérations, il est à peine utile de l'ajouter, ne devraient logiquement avoir aucune incidence sur la réponse que la Cour est appelée à fournir. Il n'en irait autrement que si, comme l'a soutenu aussi la doctrine, la reconnaissance de l'effet direct était subordonnée à la condition de la réciprocité (57).

Sur ce point, nous rappelons d'abord que la Cour a évoqué le principe de la réciprocité et les conséquences qu'il peut avoir sur la reconnaissance de l'effet direct déjà dans l'arrêt Bresciani. En l'espèce, en partant de l'idée que la convention de Yaoundé «n'a pas été conclue pour assurer une galité dans les obligations que la Communauté assume vis-à-vis des États associés, mais plutôt ... pour favoriser le développement de ceux-ci», la Cour a affirmé que ce «déséquilibre dans les obligations assumées par la Communauté vis-à-vis des États associés, qui est dans la logique même du caractère spécifique de la convention, n'est pas un obstacle à la reconnaissance par la Communauté de l'effet direct de certaines de ses dispositions» (58). Nous rappelons en outre que la Cour est parvenue à une conclusion analogue dans l'arrêt plus récent Chiquita Italia: et ce après s'être expressément demandée si l'effet direct des dispositions de la quatrième convention ACP-CEE devait être exclu en raison du fait que cette convention est caractérisée «par un déséquilibre très sensible au niveau des engagements souscrits par les parties contractantes» (59).

33 Il semble donc ressortir de ces arrêts, a contrario, que la reconnaissance de l'effet direct de dispositions contenues dans un accord international conclu par la Communauté pourrait bien être subordonnée à la réciprocité dans l'hypothèse où l'accord en question prévoit des obligations paritaires pour les parties contractantes et requiert donc, en définitive, une réciprocité dans la phase d'application. Dans l'arrêt Kupferberg, toutefois, la Cour a précisé - en se prononçant sur l'interprétation d'un accord de libre échange, donc d'un accord fondé sur le principe de réciprocité (60) - qu'une telle conclusion ne s'impose pas de façon automatique. Dans cette hypothèse, en effet, en partant de la prémisse que chaque partie contractante est tenue d'exécuter de bonne foi les engagements qu'elle a souscrits et donc de déterminer les moyens de droit propres à atteindre cette fin dans son ordre juridique, la Cour a affirmé que «... la circonstance que les juridictions de l'une des parties estimeraient que certaines des stipulations de l'accord sont d'applicabilité directe, alors que les juridictions de l'autre partie n'admettraient pas cette applicabilité directe, n'est pas, en elle-même et à elle seule, de nature à constituer une absence de réciprocité dans la mise en oeuvre de l'accord» (61).

De l'avis de la Cour, donc, le seul fait que la question de l'effet direct soit résolue différemment par les juges des différentes parties contractantes n'est pas en soi de nature à conduire à la conclusion qu'il n'y a pas de réciprocité dans l'application de l'accord. Cela signifie, d'une part, que l'absence de réciprocité dans la reconnaissance de l'effet direct pourrait bien constituer un élément déterminant s'il se traduisait par une absence de réciprocité dans l'application de l'accord considéré dans son ensemble et, d'autre part, que ce qui compte est que les engagements pris soient respectés, peu importe avec quels moyens juridiques, pourvu qu'ils permettent d'atteindre l'objectif.

34 La jurisprudence rappelée plus haut amènerait donc à exclure, lorsqu'elle est appliquée aux accords OMC, que l'attribution ou non de l'effet direct puisse dépendre, en l'absence d'une disposition expresse en ce sens (62), de l'attitude des autres parties à cet égard. Compte tenu du fait que précisément en ce qui concerne le GATT 1947 la jurisprudence a constamment mis l'accent, depuis l'arrêt International Fruit e.a., sur le fait qu'il s'agit d'un accord fondé sur le principe des négociations à conduire sur une «base de réciprocité et d'avantages mutuels» (63), nous estimons qu'il reste en tout cas à vérifier si l'absence de réciprocité quant à la reconnaissance de l'effet direct peut être considérée, par rapport aux accords OMC, comme étant de nature à se traduire par une absence de réciprocité dans l'application de ceux-ci.

A cet égard, nous relevons d'abord qu'il ne nous semble pas que l'on puisse avoir des doutes, compte tenu de l'objet et de la finalité de l'OMC, quant au fait que la réciprocité est requise aussi dans la phase d'exécution de l'accord et non pas seulement dans celle de négociation (64). Nous ajoutons que l'absence de reconnaissance de l'effet direct de la part de certains autres contractants ne peut que se traduire, tout au moins, dans un déséquilibre dans l'application des engagements respectifs et réciproques souscrits. Il reste, à l'évidence, qu'il n'est assurément pas facile d'établir a priori jusqu'à quel point et dans quelle mesure un tel équilibre se traduit par une absence de réciprocité dans l'application de l'accord pris dans son ensemble.

35 Dans ces conditions, il va de soi que la Cour ne peut que procéder à une évaluation abstraite, qui tienne compte, en particulier, de l'impact de l'éventuelle absence de réciprocité dans la garantie de l'effet direct sur l'application (réciproque) des obligations prises. A la lumière de la nature et (surtout) des effets des accords en question, il nous semble que l'on ne peut pas ne pas reconnaître qu'un tel impact serait d'une importance extrême.

Cela dit, nous sommes conscient des difficultés que pose l'adaptation du concept de réciprocité aux exigences particulières d'un accord multilatéral. Nous estimons néanmoins qu'il serait certainement plus correct de rattacher la reconnaissance de l'effet direct au principe de la réciprocité dans l'application de l'accord plutôt que de reprendre des formules qui, quoique bien établies dans le cadre du GATT 1947, n'ont plus de raison d'être dans le contexte de l'OMC et qui, donc, ne feraient que renforcer l'opinion déjà répandue selon laquelle une telle solution serait plus politique que juridique. Nous suggérons donc à la Cour - si elle entend laisser aux institutions «politiques», c'est-à-dire à la Commission et au Conseil, l'interprétation, et de manière plus générale, la «gestion» des dispositions qui nous occupent (65)- de suivre la voie de la réciprocité. Le résultat pratique ne changerait probablement pas, mais la consistance et la «juridicité» de l'argumentation y gagneraient.

36 Enfin, pour le cas où la Cour abandonnerait, comme nous l'avons suggéré, la jurisprudence relative au GATT 1947 et n'estimerait pas non plus que l'effet direct peut être conditionné par une reconnaissance analogue de la part des juges des autres parties contractantes, il ne reste qu'à vérifier si la disposition spécifique invoquée en l'espèce, c'est-à-dire l'article 50, paragraphe 6, de l'accord TRIPs, est pourvue d'effet direct. Nous dirons d'emblée que l'on ne peut raisonnablement nourrir aucun doute à cet égard, s'agissant d'une disposition qui à première vue déjà s'avère suffisamment claire, précise et non conditionnée par l'adoption d'un acte ultérieur.

Un avis différent a par contre été défendu par la Commission et le gouvernement français, qui - tout en ne contestant pas, au moins explicitement, le fait que l'article 50, paragraphe 6, présente les caractéristiques auxquelles la Cour a subordonné la reconnaissance de l'effet direct - ont mis l'accent sur le fait que certaines dispositions de la partie III de l'accord TRIPs, dont fait partie la disposition en question, seraient formulées de façon trop générale et ne s'adresseraient clairement qu'aux seules parties contractantes. En particulier, ils font valoir que le fait que certaines dispositions prévoient que «les membres feront en sorte que leur législation comporte ...» (article 41, paragraphe 1) ou encore que «la présente partie ne crée aucune obligation de mettre en place, pour faire respecter les droits de propriété intellectuelle, un système judiciaire distinct de celui qui vise à faire respecter la loi en général» (article 41, paragraphe 5) (66) imposerait d'exclure que la partie II de l'accord et, de façon plus générale, l'accord TRIPs dans son intégralité puissent être invoqués directement devant les juridictions nationales (67).

37 Compte tenu des observations qui précèdent sur la possibilité d'attribuer un effet direct aux dispositions de l'OMC, observations qui valent aussi à l'égard des dispositions de l'accord TRIPs, nous estimons ici suffisant de faire remarquer qu'il serait pour le moins hasardeux de déduire d'expressions qui constituent une constante dans les accords internationaux des conséquences quant à la qualité des dispositions qu'ils contiennent. Ce qui compte, il est presque inutile de le relever, est de savoir si la disposition en question est en soi propre à être appliquée, ce qui se vérifie à chaque fois qu'elle ne nécessite aucun acte ultérieur pour pouvoir produire ses effets. Et il est indéniable que l'article 50, paragraphe 6, disposition qui n'est que trop claire et détaillée, ne nécessite l'adoption d'aucun autre acte.

Sur le fond de la question préjudicielle

38 Nous relevons d'abord que, même si la Cour parvenait à la conclusion que l'article 50, paragraphe 6, de l'accord TRIPs n'a pas d'effet direct, la réponse à la question du juge national n'en perdrait pas pour autant tout intérêt. Sur ce point, il suffit de rappeler que depuis longtemps déjà la Cour s'est prononcée en faveur de la recevabilité de demandes relatives à des dispositions de droit dérivé dépourvues d'effet direct (68). Pour ce qui concerne, plus particulièrement, l'interprétation d'accords conclus par la Communauté, nous rappelons que, précisément en relation avec le GATT 1947, la Cour a affirmé qu'il importe que «les dispositions de l'accord général, comme les dispositions de tous autres accords liant la Communauté, reçoivent la même application dans l'ensemble de celle-ci» et que ces dispositions font partie «de celles dont l'interprétation relève de la compétence préjudicielle attribuée à la Cour de justice par l'article 177 du traité, quelles que soient les fins auxquelles intervient cette interprétation» (69). En outre, dans un arrêt récent, la Cour a eu l'occasion de préciser que «la primauté des accords internationaux conclus par la Communauté sur les textes de droit communautaire dérivé commande d'interpréter ces derniers, dans la mesure du possible, en conformité avec ces accords» (70). Cette affirmation ne peut pas ne pas valoir, il est inutile de l'ajouter, à l'égard des dispositions nationales.

Dans ces conditions, il n'est que trop évident que l'interprétation fournie par la Cour, le cas échéant en précisant que la disposition en question n'a pas d'effet direct, peut néanmoins constituer pour le juge national une aide très utile pour établir si la disposition nationale pertinente peut être interprétée de façon conforme à la disposition de l'accord visée. L'accord en question, il n'est pas superflu de le rappeler, lie en toute hypothèse la Communauté et les États membres (71).

39 Cela étant, nous rappelons que le juge a quo demande à la Cour si dans la notion de mesures provisoires de l'article 50, paragraphe 6, de l'accord TRIPs sont aussi comprises des mesures telles que celle prévues par l'article 289 du code de procédure civile néerlandais, c'est-à-dire des mesures urgentes adoptées après avoir entendu les parties, prises sous forme écrite, dûment motivées et susceptibles de recours. Une autre caractéristique de ces mesures, à laquelle les parties ont donné une grande importance, consiste dans le fait que, bien que la possibilité d'engager une action au fond soit prévue, dans la majeure partie des cas ces mesures sont acceptées par les parties comme étant définitives et constituent, en fait, la base d'une transaction.

C'est précisément en se fondant sur ces caractéristiques que, quoique avec des arguments en partie différents, Hermès, le gouvernement néerlandais et la Commission suggèrent à la Cour de répondre par la négative à la question posée par le juge a quo. Plus précisément, Hermès met l'accent sur les avantages pratiques offerts par la procédure néerlandaise et ne fait relever de l'article 50 de l'accord TRIPs que les mesures adoptées par le ministère public ou par les autorités douanières. A son tour, le gouvernement néerlandais, tout en soulignant les avantages de la procédure néerlandaise, soutient que ne relèvent de l'article 50 que les mesures visées à l'article 700 du code de procédure civile, c'est-à-dire les mesures conservatoires accordées sur autorisation du président du tribunal sans avoir entendu l'autre partie. Enfin, la Commission fait observer, d'une part, que la procédure néerlandaise, dans la mesure où elle se traduit par l'adoption d'une mesure presque toujours définitive, pourrait être considérée comme une procédure de fond accélérée, et, d'autre part, que, même en admettant que les mesures en question sont comprises dans la notion de mesure provisoire visée à l'article 50 de l'accord TRIPs, il n'en resterait pas moins que cette disposition n'impose pas aux parties, tout au moins pas toujours et en tout état de cause, de prévoir dans leur législation que la procédure au fond doit être entamée, sous peine de forclusion de la mesure adoptée, dans un délai déterminé.

40 Or, nous relevons d'abord que l'article 50 de l'accord TRIPs prévoit expressément toutes les mesures adoptées «pour empêcher qu'un acte portant atteinte à un droit de propriété intellectuelle ne soit commis» (paragraphe 1), y compris celles adoptées, le cas échéant, «sans que l'autre partie soit entendue» (paragraphe 2). Nous ajoutons tout de suite que la mesure demandée par Hermès répond précisément à cet objectif et que le fait qu'elle ait été adoptée après avoir entendu les parties n'est assurément pas de nature à la soustraire au champ d'application de la disposition en question. C'est en ce sens que plaide la lettre de l'article 50, paragraphe 6, qui, nous le rappelons, se réfère expressément aux mesures adoptées sur la base des paragraphes 1 et 2 du même article, donc aussi, mais pas uniquement, aux mesures adoptées sans que l'autre partie soit entendue (72).

Il ne nous semble pas non plus fondé d'objecter qu'une mesure urgente comme la mesure néerlandaise est déjà prévue par l'article 44, paragraphe 1, de l'accord TRIPs (73) et que, donc, l'article 50 devrait nécessairement faire référence à un autre type de mesures ... provisoires. Sur ce point, nous nous bornons à observer que, alors que l'article 44 prévoit les recours possibles, donc la réglementation de fond pour la protection de la marque, l'article 50 est une disposition véritablement procédurale, qui, en tant que telle, ne peut ne pas avoir vocation à s'appliquer à chaque fois qu'une mesure provisoire est adoptée, indépendamment du fait que la mesure visée soit prise sans que l'autre partie soit entendue, par écrit ou qu'elle soit ou non attaquable. De même, nous ne pensons pas que les termes du problème puissent être changés par la circonstance, aussi soulignée par la Commission, que l'accord ne requiert pas de prévoir, aux fins de la protection de droits inhérents à la propriété intellectuelle, des procédures distinctes de celles prévues par la loi en général: la condition reste, à l'évidence, que la procédure nationale soit conforme à celle prévue par les dispositions pertinentes de l'accord TRIPs.

41 Il est vrai que les arguments invoqués par Hermès, le gouvernement néerlandais et la Commission sont, à y bien regarder, essentiellement fondés sur le fait que dans la plupart des cas, 95 % selon ce qu'a affirmé le gouvernement néerlandais, les parties attribuent valeur de décision définitive à la mesure provisoire en question. Nous n'estimons pas, toutefois, qu'une telle pratique puisse avoir une importance, encore moins décisive, aux fins de la solution de l'affaire qui nous occupe. A cet égard, nous observons en effet, d'une part, que la mesure ainsi adoptée reste toujours en droit une mesure provisoire (74) et, d'autre part, que les avantages pratiques incontestables découlant du fait que dans la majeure partie des cas aucun délai n'est fixé pour l'introduction de la procédure au fond ne sont certainement pas de nature à faire disparaître le caractère provisoire de la mesure en question (75).

Il n'en serait, à notre avis, différemment que si le régime national pertinent en l'espèce pouvait être considéré comme plus protecteur que celui imposé par l'accord TRIPs, sans, bien entendu, y porter atteinte. Une telle hypothèse, expressément prévue par l'article 1er, paragraphe 1, de l'accord TRIPs, ne nous semble toutefois pas se vérifier en l'espèce. En effet, s'il est vrai que la procédure en question, laissant aux parties la possibilité d'attribuer en fait valeur de décision définitive à la mesure provisoire en question, pourrait s'avérer propre à parvenir à un résultat efficace et définitif en dépensant moins d'énergie et de temps, il n'en reste pas moins que la mesure adoptée ne peut pas pour autant être considérée comme étant plus protectrice des droits de propriété intellectuelle que celle qui aurait résulté d'une action au fond. En effet, il est presque superflu de rappeler que le fait que les parties parviennent, à la suite et sur la base de la mesure en question, à une transaction ou en tout cas à un accord n'offre aucune garantie en ce sens, qui plus est n'a rien à voir avec l'étendue de la protection. A cela s'ajoute qu'il serait réducteur de ne soumettre à l'article 50 de l'accord TRIPs, en l'absence de disposition explicite en ce sens, que les mesures conservatoires adoptées sans avoir entendu l'autre partie.

42 En définitive, nous estimons que l'article 50, paragraphe 6, de l'accord TRIPs doit être interprété en ce sens qu'il comprend aussi les mesures provisoires adoptées après avoir entendu les parties, prises sous forme écrite, dûment motivées et susceptibles de recours; et ce malgré le fait que ces mesures soient de fait acceptées par les parties comme étant définitives. Nous ajoutons, pour le cas où la Cour devait préciser au juge a quo que la disposition en question est dépourvue d'effet direct, qu'aucun obstacle ne semble s'opposer à une interprétation de la réglementation néerlandaise qui soit conforme à la disposition pertinente de l'accord TRIPs. En effet, déjà sur la base de la réglementation nationale, le juge des référés, comme nous l'avons déjà relevé plus haut (76), fixe dans certains cas un délai aux parties pour l'introduction de la procédure au fond; la disposition en question, nous le rappelons, laisse aux autorités judiciaires la faculté de fixer un délai raisonnable, lorsque la législation en la matière les y autorise, ou bien, dans le cas contraire, prévoit elle-même un tel délai.

Conclusion

43 A la lumière des considérations qui précèdent, nous proposons donc à la Cour de répondre comme suit à l'Arrondissementsrechbank te Amsterdam:

«L'article 50, paragraphe 6, de l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (TRIPs) doit être interprété en ce sens que les mesures provisoires qu'il prévoit englobent une mesure urgente adoptée de façon contradictoire, sous la forme écrite, dûment motivée et susceptible de recours.»

(1) - JO L 336, p. 1.

(2) - L'accord TRIPs est publié au JO L 336, p. 213.

(3) - Avis du 15 novembre 1994 (Rec. p. I-5267) sur la «compétence de la Communauté pour conclure des accords internationaux en matière de services et de protection de la propriété intellectuelle».

(4) - Voir ci-après arrêts cités dans les notes 39, 42 et 44.

(5) - Avis 1/94, cité dans la note 3, point 105.

(6) - Une des raisons qui l'ont conduite à cette conclusion est qu'autrement, par le biais d'accords avec des pays tiers destinés à harmoniser la protection de la propriété intellectuelle à l'échelle mondiale et en même temps communautaire, on aurait pu modifier les procédures et les modalités de vote prévues par le traité pour l'harmonisation du secteur en vertu des articles 100, 100 A et 235, qui sont différentes de celles prévues par l'article 113. La Cour a aussi souligné l'absence de valeur de la pratique antérieure consistant dans des mesures adoptées de manière autonome par la Communauté ou insérées dans des accords externes adoptés en vertu de l'article 113; et ce essentiellement parce que, dans ces hypothèses, il s'agissait de mesures simplement accessoires (points 60 à 70).

(7) - Sur ce point, l'avis précise que le parallélisme se réalise lorsque sur le plan interne il y a définition de normes communes que peuvent affecter les obligations internationales (point 102). La compétence relative au TRIPs ne peut donc être exclusive, dans la mesure où, s'il est vrai que dans le domaine de la propriété intellectuelle des actes de droit dérivé ont été adoptés dans l'exercice de cette compétence interne, il est également vrai qu'il s'est agi d'une harmonisation seulement partielle et que dans de nombreux secteurs aucune harmonisation n'a été prévue ni réalisée (point 103). Selon la Cour, en outre, une compétence externe exclusive ne peut pas non plus être déduite d'une certaine lecture de l'avis 1/76, du 26 avril 1977 (Rec. p. 741), selon lequel à la simple attribution d'une compétence interne pour la réalisation d'un certain objectif (cohésion du marché interne, par exemple) devrait nécessairement et implicitement correspondre une compétence externe. En effet, dans l'avis 1/94, la Cour a fait une nouvelle lecture de l'avis 1/76, en réduisant sa portée à la spécificité du cas d'espèce, sans toutefois donner trop d'explications (points 85 et 100).

(8) - Avis 1/94, cité dans la note 3, point 104; mis en italique par nos soins.

(9) - Un tel état de choses ne pourrait changer que si l'on faisait application, après son entrée en vigueur, de l'article 113, paragraphe 5, du traité, tel qu'inséré par le traité d'Amsterdam. Cette disposition prévoit en effet que le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, peut étendre l'application des paragraphes 1 à 4 de l'article 113 aux négociations et aux accords internationaux concernant les services et les droits de propriété intellectuelle dans la mesure où ils ne sont pas visés par ces paragraphes. En d'autres termes, l'article 113, paragraphe 5, permet de faire rentrer dans la politique commerciale commune, donc dans la compétence exclusive de la Communauté, aussi des dispositions sur la propriété intellectuelle qui pour le moment en sont exclues.

(10) - En ce sens, voir, par exemple, Appella: «Constitutional Aspects of Opinion 1/94 of the ECJ concerning WTO Agreement», dans International and Comparative Law Quarterly, p. 440. Selon l'auteur, «it should be noted that `shared competence' does not mean that the Community and the member States have separate competence for different parts of the Agreements, as if the Community had exclusive power for certain parts of the Agreements and the membre States retained their exclusive powers for others parts. It means, rather, that any decision in respect of the areas covered by the Agreement is to be decided jointly by the Community and the member States» (p. 460, note 79). Dans le sens, correct, que «The adoption of this procedure is therefore the expression of sharing of authority and not of concurrent authority», voir Pescatore, The Law of Integration, Leiden, 1974, p. 47.

(11) - Un tel problème ne pourrait pas non plus être réglé, nous semble-t-il, par l'adoption d'un code de conduite, en fait en gestation depuis trop d'années déjà, destiné à régir les modalités de participation à l'OMC des États membres et de la Communauté concernant l'exercice des compétences (respectives) dans les secteurs à compétence partagée. Pour ce qui nous intéresse ici, il y a en effet lieu de souligner que le projet de code confirme que l'expression «compétence partagée» ne doit aucunement être entendue en ce sens que toute décision en la matière devrait être adoptée d'un commun accord par la Communauté et les États membres. Tout en prévoyant que la Commission serait chargée de conduire les négociations et serait le porte-parole unique de la Communauté et des États membres, sur la base d'une autorisation accordée en relation avec une position commune adoptée au préalable, ce projet autorise en effet les États membres, lorsqu'on ne parvient pas à une position commune, à agir de façon autonome. Sur le projet de code, voir Van den Bossche, V.: The EC and the Uruguay Round Agreements, University of Limburg, 1995, p. 17 et suiv.

(12) - Avis 1/94 , cité dans la note 3, points 106 à 109.

(13) - La présence de clauses qui définissent les domaines de compétence respectifs de la Communauté et des États membres, dans l'hypothèse de participation conjointe à un même accord, commence à être de plus en plus fréquente. Voir, par exemple, la convention de Vienne pour la protection de la couche d'ozone du 22 mars 1985 (JO 1988 L 297, p. 10), ainsi que la troisième convention des Nations unies sur le droit de la mer (Montego Bay) du 10 décembre 1982. Une définition précise et rigoureuse du domaine des compétences respectives de la Communauté et de ses États membres constitue en outre une exigence à laquelle les autres parties contractantes attribuent une importance considérable, ce dont témoigne, par exemple, le statut de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), tel que modifié pour permettre l'admission de la Communauté, intervenue le 26 novembre 1991, comme membre de cette organisation. Ce statut exige en effet une déclaration de compétence dans laquelle sont spécifiées les questions pour lesquelles les États membres ont transféré la compétence à la Communauté et sur lesquelles, donc, cette dernière est habilitée à s'engager sur le plan international. Sur le plan interne, en outre, un arrangement a été adopté «concernant la préparation des réunions de la FAO, les interventions et les votes» en ayant comme objectif de réaliser la coopération nécessaire entre la Communauté et les États membres aux fins de l'exercice de leurs responsabilités respectives et/ou des interventions sur une question particulière. Cet arrangement ne s'est toutefois pas révélé de nature à éliminer toute opposition, comme le démontre le fait que la Cour a déjà été appelée à résoudre un litige en la matière (voir arrêt du 19 mars 1996, Commission/Conseil, C-25/94, Rec. p. I-1469).

(14) - Voir article XI de l'accord OMC. Il y a toutefois lieu de rappeler que, en vertu de l'article IX, paragraphe 1, il est précisé que, «Dans les cas où les Communautés européennes exerceront leur droit de vote, elles disposeront d'un nombre de voix égal au nombre de leurs États membres». Il est en outre spécifié, dans une note, que «le nombre des voix des Communautés européennes et de leurs États membres ne dépassera en aucun cas le nombre des États membres des Communautés européennes».

(15) - C'est dans ce sens que s'est exprimée une partie de la doctrine sur le phénomène plus général des accords mixtes, bien entendu en l'absence de clauses sur la compétence à l'extérieur (voir, entre autres, Steenbergen et Louis: «La répartition des compétences entre les Communautés», dans Les États fédéraux dans les relations internationales, Bruxelles, 1984). Dans ce sens plaident également certaines prises de position de la Cour, qui a en effet souligné que la répartition des compétences reste un problème interne, d'autant plus qu'elle est susceptible d'évoluer dans le temps (voir, en particulier, délibération 1/78, du 14 novembre 1978, arrêtée en vertu de l'article 103, troisième alinéa, du traité CECA, Rec. p. 2151, point 35).

(16) - Selon certains auteurs, en effet, la conclusion d'un accord mixte, du fait même que cette possibilité n'est pas prévue dans le traité, constituerait un amendement implicite au même traité, à travers lequel tout l'accord deviendrait partie du droit communautaire, avec pour conséquence que la Cour serait sûrement compétente pour interpréter un accord mixte dans son intégralité (voir, en ce sens, parmi d'autres, Bleckmann: «Der Gemischte Vertrag im Europarecht», dans Europarecht, 1976, p. 301 et suiv.). Selon d'autres auteurs, par contre, l'accord mixte est divisible en deux parties: une section communautaire qui devient partie intégrante de l'ordre juridique communautaire, de la même manière qu'un accord qui relève de la compétence exclusive de la Communauté, et une seconde partie qui reste de la compétence des États membres (en ce sens, voir, entre autres, Ehlermann: «Mixed agreements: a list of problems», dans O'Keefe, Schermers: Mixed agreements, Deventer, 1983, p. 3 et suiv., lequel préconise l'utilisation de l'article 228 pour résoudre tous les problèmes de coordination qui peuvent naître de la participation mixte et pour établir dans quelles conditions et limites les États peuvent participer à ces accords. Le contexte de l'avis 1/94 montre bien, toutefois, que l'avis préalable de la Cour, en application de l'article 228, peut ne pas suffire à résoudre tous les problèmes. En l'espèce, il est à peine utile de le dire, la Cour s'est en effet bornée à rappeler une obligation générale de coopération; il ne nous semble pas, étant donné l'absence de dispositions en la matière, qu'elle aurait pu faire autrement). Également opposés à ce que la Cour interprète toutes les dispositions d'un accord mixte, indépendamment d'une vérification destinée à établir la compétence de la Communauté ou des États membres, Schermers-Waelbroeck: Judicial Protection in the European Communities, Deventer, 1992, p. 430, et Hartley: The Foundations of European Community Law: an introduction to the constitutional and administrative law of the European Community, Oxford, 1994, p. 186, 273 et suiv.

(17) - Voir, par exemple, arrêts du 30 avril 1974, Haegeman (181/73, Rec. p. 449), concernant l'interprétation de l'accord d'association avec la Grèce; du 5 février 1976, Bresciani (87/75, Rec. p. 129), relatif à l'interprétation de la convention de Yaoundé de 1963, et du 24 novembre 1977, Razanatsimba (65/77, Rec. p. 2229), concernant l'interprétation de la convention de Lomé. Plus récemment, voir arrêts du 31 janvier 1991, Kziber, C-18/90 (Rec. p. I-199), et du 5 avril 1995, Krid (C-103/94, Rec. p. I-719), portant sur l'interprétation des accords de coopération conclus respectivement avec le Maroc et avec l'Algérie.

(18) - Voir dans ce sens déjà l'arrêt Haegeman, précité dans la note précédente, points 3, 5 et 6. Et c'est précisément en fonction de ces affirmations que l'avocat général M. Trabucchi, dans ses conclusions relatives à l'affaire Bresciani (citée dans la note précédente), a tenu à préciser que, «lorsqu'il incombe à un juge national de constater si tel acte ou comportement d'un État membre est conforme à certaines obligations souscrites par la Communauté dans une convention internationale, qui lie également chaque État membre en application de l'article 228, paragraphe 2, du traité CEE, il est parfaitement admissible de prendre en considération, à titre accessoire, la convention, et cela est même nécessaire, afin de préciser l'obligation communautaire de l'État qui est fondée sur le traité et qui se trouve matériellement définie dans la convention qui lie la Communauté». Dans les mêmes conclusions, l'avocat général a en outre relevé à juste titre que «la définition de la portée d'une obligation communautaire à la charge de l'État est toujours une question d'interprétation du droit communautaire» (Rec. 1976, p. 147).

(19) - Arrêt du 30 septembre 1987 (12/86, Rec. p. 3719), concernant l'interprétation de dispositions de l'accord d'association avec la Turquie.

(20) - Arrêt Demirel (cité dans la note précédente), point 9. Voir aussi sur ce point l'affirmation de l'avocat général M. Darmon, dans ses conclusions relatives à la même affaire, selon laquelle «La solution, en l'espèce, du problème de votre compétence ne nous paraît pas pour autant nécessiter l'élaboration d'une théorie générale en la matière. Certes, celle-ci aurait son utilité» (Rec. 1987, p. 3737 et suiv., point 13).

(21) - Arrêt Demirel, précité dans la note 19, point 11. Voir en outre les conclusions de l'avocat général M. Darmon, lorsqu'il souligne que la jurisprudence est claire sur le caractère communautaire de l'obligation imposée aux États membres de respecter les accords externes, mais qu'«elle ne définit pas pour autant un critère de compétence, ni n'exclut expressément l'hypothèse dans laquelle une disposition, introduite dans un accord mixte, pourrait, en raison de sa nature même ou d'une réserve expresse contenue dans l'accord, échapper à votre compétence d'interprétation» (point 12 des conclusions citées dans la note précédente).

(22) - Sur ce point voir Gaja: «Sull'interpretazione degli accordi misti da parte della Corte di giustizia» dans Rivista di diritto internazionale, 1988, p. 605 et suiv. Après avoir souligné que par cet arrêt la Cour n'a aucunement affirmé que toutes les matières régies dans les accords d'association ou autres accords mixtes relèvent de la compétence communautaire, l'auteur soutient que la compétence de la Cour ne peut s'étendre à des dispositions d'accords mixtes dont l'objet est étranger au droit communautaire. Néanmoins, il admet, quoique avec prudence, que l'on pourrait imaginer une exception en ce qui concerne une «procédure d'infraction introduite contre un État membre dont l'attitude de violation de ses obligations découlant de l'accord mixte a des conséquences négatives pour la Communauté».

(23) - En partant de l'idée que les États membres ont pris un engagement non seulement vis-à-vis des États membres, mais aussi à l'égard de la Communauté, on n'a pas manqué de relever que l'inexécution de l'accord engagerait en tout cas la responsabilité de la Communauté, en plus de la responsabilité individuelle de l'État en question, avec pour conséquence qu'il existerait un intérêt-pouvoir de la Communauté, et en particulier de la Cour, à une application, exécution et interprétation uniformes de toutes les dispositions (en ce sens, voir Nolte: «Commentaire de l'affaire 12/86», dans Common Market Law Review, 1988, p. 403 et suiv.).

(24) - Sur ce point, voir Neuwahl: «Shared Powers or Combined Incompetence? More on Mixity», dans Common Market Law Review, 1996, p. 667 et suiv. De manière plus générale, voir en outre Bourgeois, Dewost, Gaiffe: La Communauté européenne et les accords mixtes. Quelles perspectives?, Conférence de Bruges, n_ 11, 1997.

(25) - Le gouvernement du Royaume-Uni n'a pas manqué de manifester une certaine préoccupation à cet égard. Pour le cas où la Cour affirmerait sa compétence pour interpréter l'ensemble des dispositions de l'OMC, le Royaume-Uni a donc prévu dans l'avenir, d'une part, une plus grande prudence des États membres pour conclure des accords mixtes et, de l'autre, plutôt une propension à opter pour des régimes entièrement distincts.

(26) - Avis 1/94, cité dans la note 3, point 107.

(27) - A cet égard, voir, par exemple, Rideau: «Les accords internationaux dans la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes; réflexions sur les relations entre les ordres juridiques international, communautaire et nationaux», dans Revue générale de droit international public, 1990, p. 289 et suiv. L'auteur met en évidence qu'une répartition de compétences entre les juges nationaux et la Cour «peut cependant s'avérer délicate en raison des difficultés de rattachement des différentes dispositions de l'accord à l'un ou à l'autre ordre de compétences et des risques de discordance dans l'application de l'accord mixte» (p. 347). La même perspective de l'exigence d'application uniforme des dispositions qui font partie du système communautaire est présente dans les conclusions de l'avocat général M. Darmon relatives à l'affaire Demirel (citées à la note 20); la thèse avancée par Eeckhout, précisément en ce qui concerne l'interprétation des dispositions de l'OMC, n'est pas très différente; voir: «The domestic legal status of the WTO Agreement: interconnecting legal systems», dans Common Market Law Review 1997, p. 11 et suiv.

(28) - Dans cette optique, il y a lieu de souligner que la compétence de la Cour pour interpréter les dispositions de l'accord TRIPs relatives aux moyens de protection de la propriété intellectuelle est à considérer comme constante, non seulement en ce qui concerne les aspects relevant éventuellement de la réglementation communautaire relative à l'interdiction de mise en libre pratique des marchandises de contrefaçon, mais aussi en relation avec la réglementation sur la marque communautaire, telle que contenue dans le règlement (CE) n_ 40/94 (JO 1994, L 11, p. 1). Ce règlement contient d'ailleurs une disposition spécifique sur les mesures provisoires (article 99), avec la conséquence, en réalité paradoxale, que la compétence pour interpréter une même disposition d'un même accord, en l'espèce l'article 50 de l'accord TRIPs, incomberait, selon les cas, tantôt au juge communautaire, tantôt au juge national. En outre, on ne peut pas ne pas relever que le fait même de répartir la compétence d'interprétation entre juge communautaire et juges nationaux aurait des conséquences non négligeables sur le fonctionnement du système considéré dans son ensemble déjà, par exemple, en ce qui concerne la possibilité (pas éloignée du tout) que l'un et les autres parviennent à une conclusion différente sur la question de l'effet direct. Sur ce point, la position exprimée à l'audience par le gouvernement français est certainement significative, même si elle n'est pas peu singulière et contradictoire, lorsque, tout en affirmant l'incompétence de la Cour pour interpréter l'article 50 de l'accord TRIPs, il lui a conseillé de fournir une indication au juge national quant à l'absence d'effet direct des dispositions de l'OMC, y compris celles de l'accord TRIPs: et ce précisément dans le but d'éviter des divergences d'interprétation sur une question aussi importante.

(29) - Il convient de préciser qu'une telle exigence fondamentale ne poursuit aucunement l'objectif d'«éviter de futures divergences d'interprétation», tel que l'a mis en évidence la Cour pour affirmer sa compétence pour interpréter des dispositions de droit national qui renvoient au droit communautaire ou sont formulées de façon identique aux dispositions communautaires correspondantes, mais qui sont destinées à être appliquées en dehors du champ d'application du droit communautaire (arrêt du 18 octobre 1990, Dzodzi, C-297/88 et C-197/89, Rec. p. I-3763, point 37; cette jurisprudence a été confirmée, en dernier lieu, par les arrêts du 17 juillet 1997, Leur-Bloem, C-28/95, Rec. p. I-4161, point 32, et Giloy, C-130/95, Rec. p. I-4291, point 28). Certes, on pourrait être tenté de transposer, bien entendu avec quelques adaptations, le même type de raisonnement au cas qui nous occupe, en particulier en rattachant l'objectif d'éviter de futures divergences d'interprétation à la compétence communautaire potentielle. Nous observons néanmoins que la situation est résolument différente, car il y a lieu de relever, d'une part, que la disposition visée ne renvoie à aucune norme de droit communautaire et n'en copie non plus aucune; d'autre part, que, en l'espèce, l'exigence d'uniformité d'interprétation est actuelle et pas du tout potentielle. En toute hypothèse, nous ne pouvons pas ne pas ajouter qu'étendre l'approche Dzodzi à l'affaire qui nous occupe impliquerait une contradiction plus générale avec la jurisprudence de la Cour sur la recevabilité de questions préjudicielles, en particulier relativement aux questions hypothétiques et/ou purement internes (sur ce point, voir ce que nous avons déjà mis en évidence dans nos conclusions relatives à l'affaire Kleinwort Benson (arrêt du 28 mars 1995, C-346/93, Rec. p. I-615, I-617, en particulier points 25 à 27).

(30) - Voir à cet égard ce qui a été rappelé aux points 14 et 18.

(31) - Il n'est pas superflu de rappeler à cet égard que, dans l'arrêt du 26 octobre 1982, Kupferberg (104/81, Rec. p. 3641), relatif, il est vrai, à un accord non mixte, l'accent a été mis surtout sur l'exigence d'interprétation uniforme des dispositions qui font partie intégrante de l'ordre juridique communautaire, y compris les accords internationaux. Sur la base du fait que les institutions communautaires et les États membres sont ensemble tenus d'assurer le respect des accords conclus par la Communauté, la Cour a en effet affirmé que les États membres remplissent une obligation non seulement par rapport au pays tiers concerné, «mais également et surtout envers la Communauté qui a assumé la responsabilité pour la bonne exécution de l'accord» (point 13): remarque qui nous paraît particulièrement significative et qui a été rappelée également relativement à un accord mixte, tel que celui qui a fait l'objet de l'affaire Demirel (arrêt précité dans la note 19, point 11). Et si les dispositions d'un accord font partie intégrante du droit communautaire, même lorsqu'elles sont contenues dans des accords mixtes, comme l'a déjà affirmé la Cour dans l'arrêt Haegeman (cité dans la note 17), il en résulte que c'est aussi et surtout à ces accords que s'applique l'affirmation selon laquelle «on ne saurait admettre que leurs effets dans la Communauté varient selon que leur application incombe, dans la pratique, aux institutions communautaires ou aux États membres à l'égard des effets produits, dans leur ordre interne, par les accords internationaux conclus par eux» (point 14).

(32) - Dans le même sens, voir délibération 1/78, citée dans la note 15, point 36, et avis 2/91, du 19 mars 1993 (Rec. p. I-1061, point 36), ainsi que, en dernier lieu, arrêt Commission/Conseil, cité dans la note 13, point 48.

(33) - L'absence d'étroite collaboration entre institutions communautaires et États membres produirait en effet - étant donné l'inefficacité qui serait inévitablement liée à l'absence de voix unique et, surtout, de règles de conduite et de comportements communs - une gêne considérable tant dans d'éventuelles négociations futures au sein de l'OMC que, de manière plus générale, à chaque fois qu'il serait nécessaire de prendre position sur une question régie par le TRIPs (à cet égard, voir Vellano: «La Comunità europea e i suoi Stati membri dinanzi al sistema di risoluzione delle controversie dell'Organizzazione Mondiale del Commercio: alcune questioni da risolvere», dans La Comunità Internazionale, 1996, p. 499 et suiv.). En particulier, comme l'a souligné la Commission devant la Cour, dans les domaines de compétence partagée, le mécanisme dit de rétorsion croisée, tel que prévu par l'article 22 du mémorandum d'accord concernant le règlement des litiges, risquerait de perdre beaucoup de son efficacité. Il va en effet de soi que, en l'absence d'accord sur ce point, un État membre qui voudrait exercer son droit de rétorsion dans le secteur des marchandises plutôt que dans celui des services ou de la propriété intellectuelle ne serait pas autorisé à le faire. De même, en l'absence d'entente avec les États membres, la Communauté ne pourrait exercer le droit de rétorsion dans les secteurs du GATS et du TRIPs qui relèvent (encore) de la compétence des États membres.

(34) - Voir, entre autres, arrêts du 13 décembre 1994, SMW Winzersekt (C-306/93, Rec. p. I-5555, point 14), et du 5 décembre 1996, Reisdorf (C-85/95, Rec. p. I-6257, point 15).

(35) - Arrêt du 6 novembre 1979, Danis e.a. (16/79, 17/79, 18/79, 19/79 et 20/79, Rec. p. 3327, point 8). De manière plus générale, voir arrêt du 25 juin 1992, Ferrer Laderer (C-147/91, Rec. p. I-4097), dans lequel la Cour affirme que, «dans le cadre de la procédure de coopération entre le juge national et la Cour de justice qu'instaure l'article 177, il appartient à la Cour de donner au juge national une réponse utile pour la solution du litige dont il est saisi, en interprétant les dispositions de droit communautaire susceptibles de trouver application» (point 6).

(36) - Arrêt Kupferberg, précité dans la note 31, point 17.

(37) - A cet égard, voir Pescatore: «Drafting and analysing decisions on dispute settlement», dans Pescatore, Davey, Lowenfeld: Handbook of WTO/GATT Dispute Settlement, New York, 1997. L'auteur affirme, en particulier, que ces tentatives de modifier a posteriori l'effet d'un traité multilatéral, par le biais d'une norme interne adoptée unilatéralement, sont incompatibles avec la bonne foi dans les relations internationales et avec le principe de la protection légale des droits individuels dans une société démocratique (p. 11, note 3). Voir, en outre, Mengozzi: «Les droits des citoyens de l'Union européenne et l'applicabilité directe des accords de Marrakech», dans Revue du marché unique européen, 1994, p. 171; ainsi que Gaja: «Il preambolo di una decisione del Consiglio preclude al `GATT 1994' gli effetti diretti nell'ordinamento comunitario?», dans Rivista di diritto internazionale, 1995, p. 407 et suiv. Par contre, dans le sens que le considérant en question ne serait pas dénué d'une certaine pertinence, voir le point 127 des conclusions de l'avocat général M. Cosmas sous l'arrêt du 17 juillet 1997, Affish (C-183/95, Rec. p. I-4315), ainsi que les points 28 et 29 des conclusions de l'avocat général M. Elmer dans les affaires T. Port (C-364/95 et C-365/95, encore pendantes).

(38) - Autrement dit, afin d'établir si les dispositions de l'OMC sont ou non d'effet direct, il n'est certainement pas suffisant, voire pas pertinent, que la Commission, le Conseil et le Parlement soient d'accord pour estimer que les circonstances qui ont jusque-là conduit la Cour à exclure l'effet direct des dispositions du GATT 1947 restent valables pour les dispositions de l'OMC. Il nous semble, entre autres, difficilement contestable qu'il incombe à la Cour de procéder, par voie d'interprétation, à une telle appréciation.

(39) - Arrêt du 12 décembre 1972 (21/72, 22/72, 23/72 et 24/72, Rec. p. 1219, points 19 et 20).

(40) - Idem, point 21.

(41) - Idem, points 27 et 28.

(42) - Arrêt du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil (C-280/93, Rec. p. I-4973, point 110). Dans cet arrêt, d'ailleurs, la Cour a été plus généreuse, en termes de motivation, que dans les précédentes décisions en la matière. Elle a en effet mis l'accent, en particulier, sur le caractère non obligatoire des décisions dans le cadre du GATT, sur la «compréhension» requise dans l'examen des propositions, sur la possibilité de suspendre aussi unilatéralement l'application d'obligations déterminées (voir points 107 et 108).

(43) - En particulier, il a été souligné que l'indéniable souplesse de certaines dispositions de l'accord (caractéristique du reste commune à tous les accords internationaux multilatéraux) n'est pas supérieure à celle de nombreuses normes contenues dans d'autres conventions, dont par contre la Cour a reconnu l'applicabilité directe (en ce sens, voir, entre autres, Giardina: «La Corte europea ed i rapporti tra diritto comunitario e diritto internazionale», dans Rivista di diritto internazionale privato e processuale, 1973, p. 582 et suiv., en particulier p. 588 et suiv.). On n'a pas manqué non plus de mettre en évidence le fait que les hypothèses dans lesquelles l'autoprotection est admise sont formellement prescrites et, de façon plus générale, que le système de règlement des différends s'est avéré être particulièrement efficace, au point que les représentants de la Communauté se sont même plaints, dans le cadre du GATT, de son caractère excessivement judiciaire (en ce sens, voir, entre autres, Petersmann: «The EEC as a GATT-Member - Legal Conflicts between GATT Law and European Community Law», dans The European Community and the GATT-Studies in Transnation Economic Law, vol. IV, Deventer, 1986, p. 23 et suiv.; ainsi que Hahn et Schuster: «Le droit des États membres de se prévaloir en justice d'un accord liant la Communauté», dans Revue générale de droit international public, 1995, p. 367 et suiv., en particulier p. 381 et suiv.).

(44) - Voir, entre autres, arrêts du 24 octobre 1973, Schlüter (9/73, Rec. p. 1135, points 28 à 30); du 16 mars 1983, SIOT (266/81, Rec. p. 731, point 28), et, en dernier lieu, du 12 décembre 1995, Chiquita Italia (C-469/93, Rec. p. I-4533, points 26 à 29).

(45) - Les arrêts du 22 juin 1989, Fediol/Commission (70/87, Rec. p. 1781), et du 7 mai 1991, Nakajima/Conseil (C-69/89, Rec. p. I-2069), s'écartent seulement en apparence ou en tout cas seulement en partie de cette orientation. En effet, il résulte de ceux-ci que chaque fois qu'un règlement communautaire opère un renvoi aux dispositions du GATT (affaire Fediol/Commission) ou a été adopté pour les mettre en application (affaire Nakajima/Conseil), la Cour admet que le particulier peut invoquer ces dispositions comme paramètre de la légalité de l'acte communautaire visé. Il est vrai que dans ces hypothèses la possibilité d'invoquer les dispositions du GATT ne repose pas sur l'effet direct de ces dernières, mais sur l'existence d'un acte communautaire qui a mis en application ces dispositions ou en tout cas exprimé la volonté de les appliquer. Le fait que l'aptitude de la norme à servir de paramètre de validité d'un acte communautaire soit limitée à l'hypothèse où ce dernier renvoie à la norme du GATT ou en constitue l'application implique, à l'évidence, que cette aptitude subsiste seulement lorsque et si la norme internationale a été «communautarisée». Par ailleurs, cela incite aussi à réfléchir sur la cohérence moniste de la jurisprudence de la Cour, ouvertement contredite par l'approche Nakajima (voir, entre autres, Eeckhout: «The domestic legal status of the WTO Agreement: interconnecting legal systems», cité dans la note 27, p. 56 et suiv.).

(46) - Voir en ce sens, par exemple, l'arrêt Kupferberg (cité dans la note 31), dans lequel la Cour a affirmé, d'une part, que «le seul fait que les parties contractantes ont créé un cadre institutionnel particulier pour les consultations et négociations entre elles relatives à l'exécution de l'accord ne suffit pas pour exclure toute application juridictionnelle de cet accord» (point 20) et, d'autre part, que, «en ce qui concerne les clauses de sauvegarde, qui permettent aux parties de déroger à certaines dispositions de l'accord, il convient de remarquer qu'elles ne sont d'application que dans des circonstances déterminées et, en règle générale, après un examen contradictoire au sein du comité mixte» (point 21).

(47) - Voir à cet égard, entre autres, Ligustro: Le controversie tra Stati nel diritto del commercio internazionale dal GATT all'OMC, Padova, 1996; ainsi que Young: «Dispute resolution in the Uruguay Round: lawyers triumph over diplomats», dans International Lawyer, 1995, p. 389 et suiv.

(48) - Ainsi, le mémorandum d'accord sur les dispositions du GATT 1994 relatives à la balance des paiements vise à réglementer avec plus de rigueur, et surtout à rendre plus transparentes, les mesures restrictives non tarifaires, objet d'une pratique incontrôlée surtout dans les pays en voie de développement. Dans le même ordre d'idées, on relèvera également l'accord sur les sauvegardes (JO L 336, p. 184), fondé sur l'article XIX du GATT, destiné à «rétablir un contrôle multilatéral sur les sauvegardes et éliminer les mesures qui échappent à ce contrôle» (second considérant). L'accord contient aussi une disposition spécifique qui impose l'abolition progressive, dans le délai maximal de quatre ans à compter de l'entrée en vigueur de l'accord OMC, des mesures appartenant à la zone dite floue (voir article 11).

(49) - Voir article IX, paragraphes 3 et 4, de l'accord OMC. Par exemple, la dérogation est accordée par la Conférence ministérielle à la majorité des trois quarts de ses membres; et la décision doit spécifier les circonstances exceptionnelles qui la justifient ainsi que la date d'expiration de cette dérogation, avec un réexamen périodique de la permanence des circonstances exceptionnelles. A cela s'ajoute le fait que le mémorandum d'accord concernant les dérogations aux obligations découlant du GATT 1994 étend les conditions pour obtenir des dérogations et prévoit la possibilité pour un État membre de mettre en oeuvre la procédure de règlement des différends quand l'application d'une dérogation de la part d'un autre État membre annule ou réduit les avantages découlant du GATT 1994.

(50) - Voir annexe 2 de l'accord OMC (JO L 336, p. 234). En premier lieu, du point de vue de la structure du mécanisme, trois niveaux de décision ont été prévus pour le règlement des différends. L'Organe de règlement des différends (ou ORD; en anglais DSB, Dispute Settlement Body) est le Conseil général, mais dans l'exercice de la fonction de règlement des différends; il peut avoir un président différent et son propre règlement intérieur (accord OMC, article IV, paragraphe 3). Les groupes spéciaux (panels), composés de 3 ou 5 membres désignés selon les besoins et à titre individuel parmi les experts de droit commercial international, représentent le premier degré de l'appréciation technique. Enfin, il y a l'Organe d'appel permanent, composé de sept membres choisis entre experts juristes non liés aux administrations nationales. La procédure prévoit une phase de consultation entre les parties au différend, pour rechercher une solution ou éliminer les points non contestés. La deuxième phase est celle de l'appréciation du groupe spécial (panel), qui peut aussi comporter deux phases.

(51) - A cela s'ajoute qu'un appel est possible, avec pour conséquence qu'il y aura un nouveau rapport, lui aussi adopté sauf consensus en faveur de son rejet. Au fond, le principe du consensus négatif fait que le rapport est toujours adopté et que la partie qui succombe est tenue de s'y conformer. Le rapport pourra en fait contenir des recommandations sur la façon dont la partie devra s'y conformer (article 19) et, dans un délai raisonnable, la partie ayant succombé est tenue de s'y conformer. Si elle ne respecte pas ce délai, elle subit des mesures de rétorsion, comme la suspension de concessions tarifaires ou d'autres obligations, mesures autorisées par l'Organe de règlement des différends, sauf consensus contraire.

(52) - Nous n'estimons pas davantage que les termes du problème peuvent être modifiés par le fait, tel que mis en évidence, par exemple, par Timmermans: «L'Uruguay Round: sa mise en oeuvre par la Communauté européenne», dans Revue du marché unique européen, 1994, p. 175 et suiv., que l'on ne saurait aucunement exclure que la compensation finisse par constituer un «provisoire qui dure» (p. 178). Entre autres, nous ne pouvons pas ne pas relever qu'en vertu de l'article 171 du traité une violation du droit communautaire de la part d'un État membre peut elle aussi se traduire par une somme à payer et permettre ainsi à cet État de persister dans la violation tout en «payant». En tout état de cause, il ne nous semble pas que l'effet direct d'une disposition puisse dépendre du temps, plus ou moins long, mis par l'État pour se conformer à une décision, qu'elle soit judiciaire ou émane d'un groupe spécial, encore moins des instruments qui sont susceptibles d'être utilisés pour atténuer les effets du manquement et/ou pour inciter au respect des dispositions.

(53) - Les avocats généraux MM. Cosmas et Elmer ont exprimé un avis contraire dans leurs conclusions dans les affaires Affish et T. Port (citées dans la note 37), respectivement points 118à 128 et points 27 à 29.

(54) - Sur ce point, voir, en particulier, ce qui a déjà été souligné plus haut, point 27 et note 46. De manière plus générale, il n'est pas superflu de souligner que le GATT est l'unique accord par rapport auquel la Cour est parvenue à la conclusion, fondée sur ses «caractéristiques», qu'aucune de ses dispositions ne pouvait avoir un effet direct. Par contre, dans tous les autres cas dans lesquels elle a été appelée à se prononcer sur des accords internationaux conclus par la Communauté, la Cour n'a jamais considéré - tout en niant, le cas échéant, que la norme soumise à son examen était pourvue d'effet direct - qu'ils avaient des caractéristiques de nature à interdire aux particuliers d'invoquer leur dispositions en justice. Voir aussi, outre les arrêts cités à la note 17, l'arrêt Chiquita Italia (cité dans la note 44), dans lequel la Cour a affirmé que le fait que la convention ACP-CEE prévoit une procédure particulière pour régler les litiges entre les parties contractantes n'est pas de nature à constituer un obstacle à la reconnaissance de l'effet direct de certaines de ses dispositions (point 36).

(55) - En réalité, déjà par rapport au GATT 1947, on avait observé que les caractéristiques que la Cour lui a attribuées, afin de nier toute efficacité directe à ses dispositions, sont de nature à le faire apparaître comme une enceinte dans laquelle on négocie et on trouve des solutions plutôt que comme un accord obligatoire, alors que «The GATT is not a caricature of an international agreement, but is obligatory on the Community and Member States. It must be taken seriously by the institutions and the Court» (Everling: «Will Europe slip on Bananas? The Bananas Judgement of the Court of Justice and National Courts», dans Common Market Law Review, 1996, p. 401 et suiv., 422). On n'a pas non plus manqué de mettre en évidence que, «quelle que soit la façon de caractériser le système de règlement des litiges du GATT, on peut sans doute dire qu'il s'agit d'un des systèmes les plus efficaces de règlement des différends existant entre États aujourd'hui» (Hahn et Schuster: «Le droit des États ...», cité dans la note 43, p. 381). Ces remarques, il est à peine utile de l'ajouter, sont a fortiori valables par rapport au (nouveau) système institué par l'OMC, qui, au-delà des conceptions différentes, a de l'avis unanime, subi un changement certain vers une plus grande «juridicité» et un caractère plus contraignant.

(56) - Dans cette optique, le fait de limiter aux hypothèses Fediol/Commission et Nakajima/Conseil (arrêts cités dans la note 45) la possibilité d'invoquer devant les instances compétentes les dispositions OMC (également) pourrait ne pas être aussi surprenant ni, en définitive, tout à fait arbitraire.

(57) - En ce sens, voir Mengozzi: «Les droits des citoyens ...», cité dans la note 37.

(58) - Arrêt Bresciani (cité dans la note 17), points 22 et 23; mis en italique par nos soins.

(59) - Arrêt Chiquita Italia (cité dans la note 44), points 32 et 34.

(60) - Il n'est pas superflu de rappeler que dans cette affaire (citée dans la note 31) l'effet direct des dispositions de l'accord de libre échange CEE-Portugal a été contesté par certains gouvernements précisément en raison du fait qu'il s'agissait d'un accord dont l'application était conditionnée par le principe de réciprocité.

(61) - Arrêt Kupferberg (cité dans la note 31), point 18.

(62) - Sur ce point, nous rappelons par ailleurs que lors des négociations des accords en question il avait été proposé de spécifier que les dispositions y relatives n'auraient pas un caractère automatique. Cette proposition n'a toutefois pas été adoptée.

(63) - Arrêt International Fruit e.a. (cité dans la note 39), point 21.

(64) - Une telle circonstance se déduit par ailleurs avec suffisamment de clarté, déjà par rapport au GATT 1947, de l'arrêt Chiquita Italia (cité dans la note 44), dans lequel la Cour a expressément relevé que la quatrième convention ACP-CEE «n'est pas de même nature que le GATT» (point 31); et cela avant d'affirmer que les dispositions de la première peuvent avoir un effet direct malgré le déséquilibre considérable entre les obligations assumées par les parties contractantes.

(65) - Telle est, en effet, l'impression qui ressort avec force de l'arrêt Allemagne/Conseil (cité dans la note 42), dans lequel la Cour a affirmé que les caractéristiques du GATT, celles qui empêchent la reconnaissance de l'effet direct, s'opposent à ce que ses dispositions puissent être prises en considération afin d'évaluer la légalité d'un acte communautaire dans le cadre d'un recours au titre de l'article 173 introduit par un État membre (point 109). Cette impression est renforcée par le fait que ces mêmes dispositions peuvent constituer, de l'avis de la Cour, un paramètre valable pour apprécier, dans le cadre d'un recours introduit par la Commission au titre de l'article 169, la compatibilité d'une pratique ou d'une réglementation nationale avec les engagements pris dans le cadre du GATT (voir arrêt du 10 septembre 1996, Commission/Allemagne, C-61/94, Rec. p. I-3989).

(66) - A notre avis, cette dernière disposition ne fait au contraire que confirmer, en prévoyant expressément qu'il n'est aucunement nécessaire de prévoir des instruments ad hoc, qu'il s'agit de dispositions qui sont bien susceptibles d'être directement invoquées devant les juges nationaux.

(67) - A cette fin, d'ailleurs, la Commission cite l'article 1er, paragraphe 1, de l'accord TRIPs, sur la base duquel les membres «pourront, sans que cela soit une obligation, mettre en oeuvre dans leur législation une protection plus large que ne le prescrit le présent accord, à condition que cette protection ne contrevienne pas aux dispositions dudit accord». Cependant, cette disposition non seulement ne confirme pas la thèse de la Commission, mais elle met en évidence que les États membres, tout en étant libres de prévoir une législation plus protectrice, sont tenus au respect des prescriptions «minimales» prévues par l'accord, lesquelles peuvent donc être invoquées par les particuliers, dans la mesure où elles sont suffisamment claires, précises et inconditionnelles.

(68) - Voir, par exemple, arrêt Schlüter (cité dans la note 44) et arrêt du 3 février 1976, Manghera e.a. (59/75, Rec. p. 91), dans lequel la Cour a interprété des résolutions du Conseil, tout en excluant qu'elles soient susceptibles de produire des effets juridiques que les particuliers pourraient invoquer devant un juge national. De même, dans l'arrêt du 13 décembre 1989, Grimaldi (C-322/88, Rec. p. 4407), la Cour a fourni au juge national l'interprétation d'une recommandation, en affirmant que, bien que n'étant pas de nature à attribuer aux particuliers des droits pouvant être invoqués devant les juridictions nationales, elle pouvait constituer une aide utile pour le juge de renvoi (points 16 à 19). Dans l'arrêt du 20 mai 1976, Mazzalai (111/75, Rec. p. 657), la Cour avait par ailleurs affirmé être compétente pour statuer, en vertu de l'article 177, «sur l'interprétation des actes pris par les institutions de la Communauté, indépendamment du fait qu'ils soient directement applicables ou non» (point 7). Il est à peine utile de rappeler, enfin, l'arrêt du 13 novembre 1990, Marleasing (C-106/89, Rec. p. I-4135), dans lequel la Cour a consacré le principe de l'interprétation conforme, sur la base duquel, en l'absence d'effet direct, «le juge national ... est tenu d'interpréter son droit national à la lumière du texte et de la finalité de cette directive» (point 13).

(69) - Arrêt du 16 mars 1983, SPI et SAMI (267/81, 268/81 et 269/81, Rec. p. 801, points 14 et 19; mis en italique par nos soins).

(70) - Arrêt Commission/Allemagne (cité dans la note 65), point 52.

(71) - Sur la possibilité d'invoquer les dispositions d'un accord dépourvu d'effet direct, voir, entre autres, Monin: «A propos de l'accord instituant l'organisation mondiale du commerce et l'accord sur les marchés publics: la question de l'invocabilité des accords internationaux conclus par la Communauté européenne», dans Revue trimestrielle de droit européen, 1997, p. 399 et suiv., en particulier p. 407 et 412 et suiv.

(72) - A cela s'ajoute que ce même article 50, paragraphe 6, en prévoyant que les mesures provisoires adoptées cessent de produire effet si une procédure au fond n'est pas engagée dans un délai déterminé, affirme expressément que cette règle est sans préjudice des dispositions du paragraphe 4, en application duquel, dans les cas où les mesures provisoires auront été adoptées sans que l'autre partie soit entendue, «une révision, y compris le droit d'être entendu, aura lieu à la demande du défendeur afin qu'il soit décidé, dans un délai raisonnable après notification des mesures, si celles-ci seront modifiées, abrogées ou confirmées». A l'évidence, une telle précision n'aurait aucune raison d'être si l'article 50 concernait les seules mesures provisoires adoptées sans que l'autre partie soit entendue.

(73) - Cette disposition, nous le rappelons, pour ce qui nous intéresse prévoit que «Les autorités judiciaires seront habilitées à ordonner à une partie de cesser de porter atteinte à un droit, entre autres choses afin d'empêcher l'introduction dans les circuits commerciaux relevant de leur compétence de marchandises importées qui impliquent une atteinte au droit de propriété intellectuelle...»

(74) - Sur ce point, il n'est pas superflu de rappeler, comme l'a relevé le gouvernement néerlandais, que la mesure adoptée est qualifiée de décision provisoire et que cette caractéristique résulte précisément du fait qu'une procédure d'urgence, dans laquelle d'ailleurs le juge n'est pas tenu au respect du régime légal en matière de preuve, peut toujours être suivie d'une procédure au fond.

(75) - Il convient en effet de souligner que dans certains cas le juge des référés subordonne l'octroi de la mesure visée à l'article 289 du code de procédure civile précisément à la condition que, dans un délai déterminé, une procédure au fond soit engagée. En tout cas, par ailleurs, il n'est que trop évident que la partie qui succombe pourra en toute hypothèse, même en l'absence de délai fixé à cet égard, engager une telle procédure (article 292 du code de procédure civile).

(76) - Voir note 75.