ARRËT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

11 juillet 1996 ( *1 )

«Fonctionnaires — Agents temporaires — Contrat d'engagement — Mutation — Lieu d'affectation»

Dans l'affaire T-102/95,

Jean-Pierre Aubineau, agent temporaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Bruxelles, représenté par Mes Georges Vandersanden et Laure Levi, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la fiduciaire Myson SARL, 1, rue Glesener,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Gianluigi Valsesia, conseiller juridique, en qualité d'agent, assisté de Me Fabrizio Minneci, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d'une part, l'annulation de la décision du directeur général du Centre commun de recherche, contenue dans sa note du 27 février 1995, affectant d'office le requérant à Ispra comme conseiller du directeur de l'Institut d'ingénierie des systèmes et de l'informatique et, d'autre part, l'indemnisation du préjudice moral allégué par le requérant,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de M. K. Lenaerts, président, M(tm) P. Lindh et M. J. D. Cooke, juges,

greffier: M. J. Palacio Gonzalez, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 28 mars 1996,

rend le présent

Arrêt

Les faits

1

Le requérant a été engagé le 23 mars 1987 par le Centre commun de recherche (ci-après «CCR») comme agent temporaire en cadre scientifique et technique, classé au grade A 3, pour exercer les fonctions de chef de la division de l'informatique du CCR à Ispra, en Italie.

2

Par décision du directeur général du CCR du 1er mars 1991, le requérant a été muté d'office de son ancien poste au poste de conseiller auprès du directeur de l'Institut d'ingénierie des systèmes et de l'informatique (ci-après «l'ISEI»). Après avoir suivi les différentes étapes de la procédure précontentieuse, le requérant a saisi le Tribunal d'un recours contre cette décision le 23 décembre 1991. Avant l'aboutissement de cette instance (affaire T-91/91), un arrangement transactionnel a été conclu entre les parties pour mettre fin au litige. Selon les termes de cet arrangement, la Commission a accepté de nommer le requérant à un emploi type de chef de division en cadre administratif à Bruxelles pour une durée indéterminée. Elle a également accepté de faire présenter, par le directeur de l'ISEI, ses regrets quant à la situation conflictuelle ayant donné lieu au recours. Enfin, elle a accepté de verser au requérant un écu symbolique pour le préjudice moral lié à l'établissement tardif de ses rapports de notation. De son côté, le requérant a accepté de se désister de son recours et de signer son rapport de notation relatif à l'exercice 1989/1991.

3

A la suite de cet arrangement transactionnel, le contrat d'engagement du requérant a été modifié par un avenant du 15 février 1993. L'avenant se lit comme suit:

«Article premier

L'article 2 du contrat d'engagement conclu le 18.12.1986 et modifié en dernier lieu par avenant en date du 5.12.1989 est modifié comme suit:

‘L'agent est engagé sur un emploi type de chef de division en cadre administratif. Son lieu d'affectation est Bruxelles.’

Article 2

Conformément à l'article 8 du régime applicable aux autres agents des Communautés, le présent contrat est conclu pour une durée indéterminée.

Article 3

Le contrat peut être résilié pour les causes et dans les conditions prévues aux articles 47 et 50 du régime applicable aux autres agents.

Article 4

Ces modifications prennent effet le 1.3.1993.

Les autres clauses du contrat d'engagement demeurent inchangées dans la mesure où elles ne sont pas contraires au présent avenant.»

4

Dans la perspective de l'arrangement amiable, le requérant avait été affecté à la direction générale du CCR à Bruxelles, le 1er novembre 1992, et mis à la disposition de la direction générale des relations extérieures (DG I), comme conseiller à la direction des programmes.A partir du 1er octobre 1993, le requérant était mis à la disposition de l'Office humanitaire des Communautés européennes (ci-après «ECHO»), En janvier 1995, à la suite d'une réorganisation de l'ECHO, il a été mis fin à la mise à disposition du requérant. A partir du 1er février 1995, celui-ci a été réintégré dans la direction générale du CCR.

5

Le 27 février 1995, le directeur général du CCR a informé le requérant que, au sein du CCR, il n'y avait pas d'emploi correspondant à ses qualifications à Bruxelles. En conséquence, il a décidé d'affecter le requérant à Ispra, comme conseiller du directeur de l'ISEI, avec effet au 1er avril 1995. Le 31 mars 1995, à la suite de démarches menées par le conseil du requérant, la date de son entrée en fonction à Ispra a été reportée au 1er mai 1995 pour lui permettre de chercher un poste à Bruxelles.

6

Le 7 avril 1995, le requérant a introduit une réclamation au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «statut») contre la décision de la Commission du 27 février 1995.

La procédure et les conclusions des parties

7

C'est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 11 avril 1995, le requérant a introduit le présent recours au titre de l'article 91, paragraphe 4, du statut. Cette disposition, applicable aux agents temporaires en vertu de l'article 46 du régime applicable aux autres agents des Communautés européennes (ci-après «RAA»), prévoit que, «par dérogation au paragraphe 2, l'intéressé peut, après avoir introduit auprès de l'autorité investie du pouvoir de nomination une réclamation au sens de l'article 90, paragraphe 2, saisir immédiatement la Cour de justice d'un recours, à la condition que, à ce recours, soit jointe une requête tendant à obtenir le sursis à l'exécution de l'acte attaqué ou des mesures provisoires».

8

Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, le requérant a également introduit une demande visant au sursis à l'exécution de la décision attaquée. Cette demande a été rejetée par ordonnance du président du Tribunal du 17 mai 1995 (T-102/95 R, RecFP p. II-365).

9

Par décision du 25 juillet 1995, communiquée au requérant le 3 août 1995, la Commission a rejeté la réclamation susvisée. La procédure au fond, qui avait été suspendue dans l'attente d'une décision en réponse à la réclamation, a été alors reprise.

10

Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables.

11

A l'audience du 28 mars 1996, les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal.

12

Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

annuler la décision du directeur général du CCR, contenue dans sa note du 27 février 1995, de muter d'office le requérant à Ispra au poste de conseiller du directeur de l'ISEI;

octroyer au requérant un écu symbolique à titre de réparation du préjudice moral subi;

rembourser au requérant l'ensemble des frais personnels éventuellement exposés pour son déplacement et son installation à Ispra;

condamner la Commission à l'ensemble des dépens.

13

La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

rejeter le recours comme non fondé;

statuer sur les dépens comme de droit.

14

Dans sa réplique, le requérant demande, en outre, à ce qu'il plaise au Tribunal:

écarter la note du 29 mars 1995 de M. Gomez-Reino des débats;

écarter la note du 20 avril 1995 de M. Volta, de l'ISEI, des débats.

Sur les conclusions en annulation

15

Le requérant invoque quatre moyens à l'appui de ses conclusions en annulation, tirés respectivement d'une violation de son contrat d'engagement, tel que modifié le 15 février 1993, d'une violation de l'article 7 du statut, d'une violation du principe de bonne administration et d'une violation du principe de la protection de la confiance légitime. Le Tribunal examinera ensemble les premier et deuxième moyens.

Sur les premier et deuxième moyens, tirés d'une violation du contrat d'engagement du requérant et d'une violation de l'article 7du statut

Arguments des parties

16

Le requérant fait valoir que, en sa qualité d'agent temporaire, il est lié par un contrat de droit public avec la Commission. Il rappelle que, par décision du 1er mars 1991, la Commission l'avait affecté au poste de conseiller du directeur de l'ISEI et qu'il avait introduit un recours contre cette décision au motif qu'il était privé de tout travail et de toute responsabilité dans sa nouvelle affectation et, à titre subsidiaire, qu'il entretenait des relations conflictuelles avec son directeur. L'arrangement transactionnel et l'avenant qui ont été conclus et à la suite desquels le requérant s'est désisté de son recours ont été décrits ci-dessus, points 2 et 3.

17

Selon le requérant, l'effet de l'avenant est que son lieu d'affectation reste Bruxelles aussi longtemps que cette clause n'a pas été modifiée par accord des deux parties. La décision de la Commission de muter le requérant à Ispra méconnaît donc les termes de l'avenant. Par ailleurs, la Commission a repris à l'encontre du requérant une décision identique en tous points à celle qui avait contraint le requérant à introduire le recours T-91/91.

18

Le requérant rejette l'argument de la Commission selon lequel les dispositions du RAA autorisent l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après «AIPN») à modifier les dispositions des contrats d'engagement conclus avec un agent temporaire. Il rappelle que le pouvoir de l'institution à l'égard de ses agents, notamment quant à la modification des conditions d'emploi, dépend de la nature -contractuelle, statutaire ou mi-statutaire/mi-contractuelle - du droit mis en cause.

19

Il admet que les éléments statutaires, c'est-à-dire ceux qui touchent d'une façon générale à l'organisation de la fonction publique et à la nécessité de son bon fonctionnement, peuvent être modifiés unilatéralement par l'administration. Cependant, il déclare que les éléments contractuels des conditions d'emploi ne peuvent être modifiés sans l'accord des parties. Il ajoute que la jurisprudence relative à la fonction publique communautaire de nature mi-contractuelle et mi-statutaire se distingue de la jurisprudence applicable à la fonction publique communautaire stricto sensu. En l'espèce, le requérant estime que son affectation à Bruxelles touche à sa situation particulière et ne relève pas de l'organisation de la fonction publique. En outre, elle constitue dans son chef une condition essentielle de l'exercice de ses fonctions.

20

Le requérant fait valoir aussi que la Commission commet une erreur d'appréciation de l'intérêt du service, et partant viole l'article 7 du statut, en estimant qu'il y avait un intérêt à le réaffecter au poste de conseiller à Ispra. Il fait valoir qu'il ressort de l'organigramme de la Commission que deux postes correspondant à son grade et à ses qualifications étaient vacants au CCR à Bruxelles lors de la prise de la décision litigieuse. En ce qui concerne le poste à Ispra, il avance qu'il ne répond à aucun besoin réel de la Commission et que cela est démontré par le fait qu'il est resté inoccupé pendant sa réaffectation à Bruxelles. Il ajoute que ce n'est que suite à l'introduction de sa demande en référé dans le cadre de la présente affaire qu'il a reçu une description de ce poste et il demande au Tribunal de l'écarter des débats au motif qu'elle a été créée pour les besoins de l'affaire.

21

Le requérant signale enfin que la Commission n'a pas pris en compte sa préférence à rester à Bruxelles pour des raisons d'ordre personnel, en dépit du fait qu'il peut être de l'intérêt du service de tenir compte des préférences exprimées par les fonctionnaires et les agents.

22

La Commission rejette la thèse du requérant selon laquelle ses relations avec elle sont exclusivement régies par son contrat d'engagement tel que modifié. Elle fait valoir, en substance, que le contrat du requérant est un contrat d'agent temporaire au sens de l'article 1er du RAA et, en tant que tel, est soumis au respect des dispositions applicables du statut et du RAA. En particulier, il est soumis au respect de l'article 7 du statut, applicable en vertu de l'article 10 du RAA, qui prévoit que l'AIPN «affecte, par voie de nomination ou de mutation, dans le seul intérêt du service et sans considération de nationalité, chaque fonctionnaire à un emploi de sa catégorie ou de son cadre correspondant à son grade». Elle estime qu'il s'ensuit que l'institution a, en vertu de l'application combinée du statut et du RAA, le droit de modifier l'affectation tant de ses fonctionnaires que de ses autres agents. Elle invoque, à l'appui de cet argument, d'une part, l'arrêt du 24 février 1981, Carbognani et Zabetta/Commission (161/80 et 162/80, Rec. p. 543, point 23), dans lequel la Cour a précisé que «le fonctionnement de l'administration communautaire comporte, pour tout fonctionnaire européen, l'obligation d'accepter toute affectation répondant à la catégorie et au grade de son emploi, conformément aux exigences du service, dans l'ensemble de la Communauté, en tout lieu de travail de l'institution auprès de laquelle il a pris ses fonctions», et, d'autre part, l'arrêt du 14 juillet 1988, Aldinger et Virgili/Parlement (23/87 et 24/87, Rec. p. 4395, point 17), dans lequel la Cour, ayant rappelé que «la mutation d'un fonctionnaire de la Communauté, si elle peut lui causer des inconvénients familiaux et des gênes économiques, ne constitue pas un événement anormal et imprévisible dans sa carrière», a ajouté qu'«une telle conclusion s'impose à plus forte raison dans le cas d'agents temporaires dont le contrat d'emploi est résiliable, moyennant un préavis de trois mois».

23

Enfin, la Commission ajoute qu'il ressort des termes mêmes de l'avenant qu'il ne conférait aucun droit à une affectation définitive à Bruxelles.

24

Abordant la question de l'intérêt du service, la Commission fait valoir que la décision d'affecter le requérant à Ispra était pleinement justifiée en termes d'intérêt du service au regard tant de l'absence de poste adéquat au sein de la direction générale du CCR à Bruxelles que de la nécessité de pourvoir le poste vacant à Ispra.

25

En ce qui concerne la première question, à savoir l'absence de poste adéquat au sein de la direction générale du CCR à Bruxelles, la Commission rappelle qu'il n'était pas possible de trouver un tel poste pour le requérant et que les deux postes prétendument disponibles ne l'étaient pas en fait, étant donné qu'un de ces postes était celui du requérant lui-même et que l'autre poste ne correspondait pas à ses qualifications. Elle ajoute que ce dernier poste avait été publié à deux reprises sans que le requérant posât sa candidature.

26

En ce qui concerne la seconde question, à savoir la nécessité de pourvoir le poste vacant à Ispra, la Commission observe, tout d'abord, que le poste occupé à Ispra par le requérant a continué d'exister malgré son départ. Après être resté vacant dans un premier temps, le poste a été occupé par M. Nullens jusqu'à sa mise à la retraite. Selon la Commission, le travail en question ne pouvait être mené à bien que sur le site du CCR à Ispra. Elle ajoute que les tâches décrites dans la note concernant le poste du requérant à Ispra présentaient réellement un caractère d'urgence et qu'elles avaient été partiellement exercées par M. Volta pendant que le requérant était absent en congé de maladie. En outre, la Commission note que les qualifications du requérant le destinaient à l'ISEI puisqu'il s'agit du seul institut informatique du CCR. Vu les circonstances de l'espèce, la Commission conclut qu'il est indéniable que la décision d'affecter le requérant à Ispra est intervenue dans l'intérêt du service.

Appréciation du Tribunal

27

Le Tribunal estime qu'il ressort de l'avenant au contrat litigieux (voir, ci-dessus point 3) que celui-ci n'a pas modifié le caractère fondamental du contrat d'engagement du requérant qui demeure un contrat d'agent temporaire relevant du titre II du RAA. En tant que tel, ce contrat est soumis, en application de l'article 10, premier alinéa, du RAA, au respect de l'article 7, paragraphe 1, du statut, dont il résulte que les décisions d'affectation du personnel des institutions doivent être prises dans le seul intérêt du service.

28

A cet égard, il ressort d'une jurisprudence établie que l'obligation incombant aux institutions communautaires d'affecter leur personnel dans le seul intérêt du service s'applique même lorsqu'elle est susceptible d'entraîner une modification du lieu d'affectation non voulue par l'intéressé (arrêts de la Cour du 14 juillet 1977 Geist/Commission, 61/76, Rec. p. 1419, point 34, Carbognani et Zabetta/Commission, précité, point 28, et Aldinger et Virgili/Parlement, précité, point 17).

29

La Cour a notamment précisé que la modification du lieu d'affectation, même s'il peut présenter pour l'intéressé des inconvénients familiaux et économiques, ne constitue pas un événement anormal et imprévisible dans la carrière d'un fonctionnaire dès lors que les lieux de travail auxquels il peut être affecté sont répartis entre différents États membres et que l'Ai PN peut être appelée à faire face à des exigences de service la mettant dans l'obligation de décider de ce transfert (arrêts Aldinger et Virgili/Parlement, précité, point 17, et Geist/Parlement, précité, point 34). Elle a également souligné qu'une telle conclusion s'impose à plus forte raison dans le cas d'un agent temporaire dont le contrat d'emploi est résiliable, moyennant un préavis de trois mois (Aldinger et Virgili/Parlement, précité, point 18). Enfin, elle a aussi spécifiquement rejeté l'argument selon lequel une réaffectation ne devrait normalement pas avoir lieu sans le consentement de l'intéressé au motif qu'une telle approche aurait pour effet de limiter d'une manière intolérable la liberté de disposition des institutions dans l'organisation de leurs services et dans leur adaptation à l'évolution des besoins (Carbognani et Zabetta/Commission, précité, point 28).

30

Il s'ensuit que c'est à tort que le requérant estime que son lieu d'affectation ne pouvait pas être modifié sans son consentement. Ainsi qu'il ressort clairement de la jurisprudence précitée, l'obligation des institutions communautaires d'affecter leur personnel dans le seul intérêt du service et leur droit corollaire d'imposer d'office des modifications du lieu d'affectation non voulues par les intéressés s'applique non seulement à l'égard des fonctionnaires mais également, et à plus forte raison, à l'égard des agents temporaires dont les contrats peuvent, en tout état de cause, être résiliés moyennant un délai de préavis.

31

Il ne s'ensuit pourtant pas que l'arrangement transactionnel et l'avenant au contrat litigieux sont dénués d'effets juridiques pour autant qu'ils modifient l'affectation du requérant. En effet, le Tribunal considère que, en réaffectant le requérant au CCR à Bruxelles dans les circonstances de l'espèce, la Commission s'est engagée à prendre toute mesure raisonnable pour lui permettre de rester à Bruxelles pour autant que cela était conciliable avec l'intérêt du service.

32

A cet égard, le Tribunal estime que la Commission a, d'une part, respecté cet engagement en maintenant le requérant à Bruxelles jusqu'au 1er mai 1995 et, d'autre part, démontré qu'il n'était plus possible de lui trouver un poste convenable à Bruxelles après la fin du mois de janvier 1995. En ce qui concerne plus particulièrement le CCR, le Tribunal considère qu'il ressort de l'organigramme de la Commission qu'il n'existe pas de poste correspondant au profil professionnel et au grade du requérant à Bruxelles. Par ailleurs, en ce qui concerne les autres directions générales, le Tribunal constate, d'une part, qu'il ne ressort pas de l'argumentation du requérant qu'un poste correspondant à ses qualifications et à son grade et auquel il aurait pu être nommé, se soit libéré au cours des dernières années, et, d'autre part, que le requérant a lui-même critiqué, comme manquant de satisfaction professionnelle, la solution consistant à le mettre à la disposition d'autres directions générales (voir le rapport de notation du 7 novembre 1994).

33

Dans ces circonstances, dès lors que le requérant n'exerçait plus aucune fonction à Bruxelles depuis la fin du mois de janvier 1995, le Tribunal estime que la Commission n'a commis aucune erreur d'appréciation de l'intérêt du service en le réaffectant d'office au CCR à Ispra en tant que conseiller du directeur de l'ISEI avec effet au 1er avril 1995.

34

En ce qui concerne l'intérêt du service de faire occuper ce dernier poste, le Tribunal estime que le requérant n'a pas démontré cet intérêt dans le cadre du présent litige.

35

Il s'ensuit que les moyens tirés d'une violation du contrat d'engagement du requérant et d'une violation de l'article 7 du statut doivent être rejetés.

Sur le moyen tiré d'une violation du principe de bonne administration

Arguments des parties

36

D'une part, le requérant fait valoir qu'il n'a reçu aucune assistance du directeur général du CCR, au titre de l'article 24 du statut, afin de lui permettre de trouver un autre poste à Bruxelles et rappelle que ce directeur général a refusé de le recevoir le 20 mars 1995. D'autre part, le requérant prétend que le nouveau délai d'un mois, qui lui a été accordé au dernier moment, était évidemment insuffisant pour lui permettre de trouver un emploi adéquat à Bruxelles. Il conclut qu'un délai de deux mois au total ne peut être considéré comme un délai raisonnable pour lui permettre de trouver un poste à Bruxelles.

37

La Commission admet qu'elle est tenue à un devoir de sollicitude à l'égard de ses fonctionnaires et agents en vertu duquel elle doit, avant d'adopter une décision, prendre en considération l'ensemble des éléments relevant du contexte. Cependant, elle observe, en l'espèce, que la recherche d'un poste vacant à Bruxelles n'implique nullement une présence effective sur place étant donné que les postes sont publiés par l'AIPN afin de permettre aux fonctionnaires et agents de la Commission de manifester leur intérêt. Elle nie que le directeur général ait refusé tout dialogue avec le requérant, soulignant notamment qu'il a reçu le requérant le 23 février 1995 et qu'une seconde entrevue, prévue pour le 20 mars 1995, a été annulée en raison de la position extrême adoptée par le conseil du requérant dans sa lettre du 15 mars 1995.

Appréciation du Tribunal

38

Le Tribunal constate que la Commission n'a pas violé le principe de bonne administration dès lors que le requérant n'exerçait plus aucune fonction à Bruxelles depuis la fin du mois de janvier 1995, et que les vacances de postes auxquels il était susceptible de postuler devaient, en tout état de cause, être portées à la connaissance de l'ensemble des membres du personnel de la Commission, quel que soit leur lieu d'affectation. Le Tribunal estime même que la Commission a procédé à une interprétation de son devoir de sollicitude particulièrement favorable au requérant, en lui permettant de rester à Bruxelles jusqu'au 1er mai 1995, sans exercer de fonction, afin de lui permettre de trouver un poste correspondant à son grade et à son profil professionnel.

39

En outre, le Tribunal estime qu'il ressort des notes du directeur général du CCR des 20 et 27 mars 1995 (annexes 9 et 11 à la requête) que celui-ci a pris en compte les arguments avancés par le conseil du requérant dans ses lettres des 15 et 22 mars 1995. Dans ces circonstances, et dès lors que le directeur général avait déjà reçu le requérant le 23 février 1995 pour examiner sa situation, le Tribunal ne considère pas que la Commission a violé son devoir de sollicitude ou le principe de bonne administration en annulant la réunion prévue pour le 20 mars 1995.

40

Il s'ensuit que le moyen tiré d'une violation du principe de bonne administration doit être rejeté.

Sur le moyen tiré d'une violation du principe de la protection de la confiance légitime

Arguments des parties

41

Le requérant fait valoir qu'il pouvait légitimement espérer que la Commission respecterait son contrat d'engagement tel que modifié par l'avenant du 15 février 1993. La Commission ayant modifié unilatéralement ce contrat par sa réaffectation à Ispra, il soutient qu'elle a violé le principe de la protection de la confiance légitime.

42

Il ajoute qu'il avait une confiance légitime dans l'exécution loyale par la Commission tant de l'arrangement transactionnel que de l'avenant. Selon lui, la conclusion de l'arrangement transactionnel et de l'avenant lui permettait de croire qu'il ne serait pas réaffecté à l'emploi au sujet duquel il avait dû introduire un recours en 1991.

43

La Commission considère que l'affectation du requérant à Bruxelles ne pouvait être considérée comme définitive eu égard aux termes de l'avenant ainsi qu'aux dispositions du RAA et du statut et que, dans ces circonstances, l'affectation du requérant à Ispra ne comporte aucune violation du principe de la protection de la confiance légitime.

Appréciation du Tribunal

44

Il convient de rappeler tout d'abord que la portée du principe de la protection de la confiance légitime est déterminée par les circonstances auxquelles il s'applique et, en particulier, par les relations entre les parties concernées.

45

En l'espèce, nonobstant les termes de l'arrangement transactionnel et de l'avenant du 15 février 1993, le requérant avait toujours le statut d'un agent temporaire. En tant que tel ses relations avec la Commission sont régies par le RAA, y compris les dispositions concernant la résiliation par simple préavis.

46

La portée du principe de la protection de la confiance légitime doit nécessairement s'apprécier dans le chef d'un tel agent à la lumière de ces circonstances. Le principe ne pourrait donc pas conférer au requérant des droits plus importants que ceux dont il pourrait bénéficier au titre de son contrat, tel que modifié par la suite, et au titre du RAA. Il s'ensuit que le requérant aurait pu avoir la confiance légitime qu'il resterait à Bruxelles, mais seulement pour autant qu'il y avait toujours du travail pour lui. Le Tribunal considère que le requérant ne pouvait pas espérer que son affectation à Bruxelles continuerait indéfiniment en l'absence d'un travail qui correspondait à son grade et à ses qualifications.

47

Le Tribunal constate que le requérant n'a pas démontré à quel autre poste du service il pourrait être affecté. En ne résiliant pas le contrat du requérant, mais en le réaffectant à Ispra, la Commission a choisi la seule autre option qui correspondait en même temps à sa propre obligation d'agir selon les intérêts du service. Si la solution trouvée par la Commission était inacceptable pour le requérant, il aurait pu mettre fin au contrat de plein droit en donnant trois mois de préavis.

48

Il s'ensuit que le moyen tiré de la violation du principe de la protection de la confiance légitime doit être écarté.

49

Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les conclusions en annulation doivent être rejetées.

Sur les conclusions en indemnité

50

Le requérant demande le paiement d'un écu symbolique à titre d'indemnisation du préjudice moral subi du fait de la prise de la décision de réaffectation litigieuse, ainsi que le remboursement intégral des frais liés à son déplacement à Ispra.

51

La Commission répond qu'il ne saurait y avoir réparation d'un préjudice moral en l'absence d'un comportement fautif et, en ce qui concerne les éventuels frais exposés en vue du départ du requérant à Ispra, que ce déplacement lui a ouvert le droit à toutes les indemnités statutaires prévues en cas de changement de lieu d'affectation.

52

Etant donné que l'illégalité du comportement reproché par le requérant à la Commission lors de sa réaffectation à Ispra n'est pas établie, le Tribunal rejette la demande tendant à l'octroi d'un écu symbolique en raison du préjudice moral prétendument subi.

53

En ce qui concerne les éventuels frais exposés en vue du départ à Ispra, le Tribunal constate qu'il n'a pas été établi que le requérant a dû exposer de tels frais à titre personnel. En outre, il n'a pas été contesté que le requérant a bénéficié des indemnités statutaires liées au changement de son lieu d'affectation.

54

Il s'ensuit que les conclusions en indemnité doivent être rejetées.

Sur la demande du requérant visant à écarter certains documents des débats

55

Enfin, le Tribunal estime qu'il n'est pas nécessaire de statuer sur la demande du requérant visant à écarter des débats deux documents produits par la Commission avec sa défense (voir ci-dessus point 14). D'une part, le Tribunal procède de l'hypothèse qu'il est constant entre les parties qu'il a été mis fin à la mise à disposition du requérant auprès de l'ECHO pour des raisons relevant de l'organisation du service et non pour celles évoquées dans la note de M. Gomez-Reino du 29 mars 1995. Ce document est donc dénué de pertinence au regard du raisonnement du Tribunal. D'autre part, l'appréciation du Tribunal relative à l'existence d'un besoin réel d'un poste de conseiller auprès du directeur de l'ISEI n'est pas influencée par le contenu de la note de M. Volta du 20 avril 1995.

Sur les dépens

56

Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, en vertu de l'article 88 du même règlement, les frais exposés par les institutions dans les recours des agents des Communautés restent à la charge de celles-ci.

 

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête:

 

1)

Le recours est rejeté.

 

2)

Chacune des parties supportera ses propres dépens, y compris ceux afférents à la procédure de référé.

 

Lenaerts

Lindh

Cooke

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 juillet 1996.

Le greffier

H. Jung

Le président

K. Lenaerts


( *1 ) Langue de procédure: le francais