Arrêt du Tribunal de première instance (quatrième chambre élargie) du 9 avril 1997. - Terres Rouges Consultant SA, Cobana Import SARL et SIPEF NV contre Commission des Communautés européennes. - Organisation commune des marchés - Bananes - Régime d'importation - Accord-cadre sur les bananes conclu dans le cadre des négociations commerciales multilatérales du cycle de l'Urugay - Réglement (CE) nº 3224/94 - Mesures transitoires communautaires pour la mise en oeuvre de l'accord-cadre - Recours en annulation - Irrecevabilité. - Affaire T-47/95.
Recueil de jurisprudence 1997 page II-00481
Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
Recours en annulation - Personnes physiques ou morales - Actes les concernant directement et individuellement - Règlement opérant répartition du contingent tarifaire d'importation de bananes non traditionnelles ACP entre les différents États producteurs - Recours d'opérateurs économiques réalisant une part importante des importations de bananes originaires d'un État ACP - Irrecevabilité
(Traité CE, art. 173, alinéa 4; règlement de la Commission n_ 3224/94)
Est irrecevable le recours en annulation dirigé par des opérateurs économiques réalisant une part importante des importations dans la Communauté de bananes originaires de Côte d'Ivoire, contre le règlement n_ 3224/94 de la Commission, modifiant le règlement n_ 404/93 afin de l'adapter aux changements introduits par l'accord-cadre sur les bananes conclu par la Commission avec la Colombie, le Costa Rica, le Nicaragua et le Venezuela dans le cadre des négociations commerciales multilatérales du cycle de l'Uruguay, et portant répartition du contingent tarifaire d'importation de bananes non traditionnelles ACP entre les différents États producteurs.
En effet, d'une part, ce règlement constitue un acte normatif d'une portée générale et ne présente aucun élément permettant de le qualifier de décision prise sous l'apparence d'un règlement. Il est rédigé en des termes généraux et abstraits et applicable dans tous les États membres sans tenir compte de la situation des importateurs individuels. Sa finalité consiste à modifier le régime d'importation de bananes établi par le règlement n_ 404/93 afin de l'adapter aux changements introduits par ledit accord-cadre. Il s'applique, par conséquent, à des situations objectivement déterminées et comporte des effets juridiques à l'égard d'une catégorie de personnes envisagées de manière générale et abstraite.
D'autre part, si un acte normatif s'appliquant à la généralité des opérateurs économiques intéressés peut, dans certaines circonstances, concerner individuellement certains d'entre eux, tel n'est pas le cas du règlement en cause. A cet égard, la possibilité de déterminer avec plus ou moins de précision le nombre ou même l'identité des sujets de droit auxquels s'applique une mesure n'implique nullement que ces sujets doivent être considérés comme étant individuellement concernés par cette mesure. Or, le règlement n_ 3224/94, limitant la quantité de bananes que la Côte d'Ivoire peut exporter dans le cadre du contingent fixé par le règlement du Conseil n_ 404/93, affecte tous les importateurs qui souhaitent importer des bananes de Côte d'Ivoire. Le fait qu'un nombre limité d'opérateurs importent une part importante des bananes ivoiriennes ne caractérise pas une situation de fait particulière les distinguant des autres importateurs.
Par ailleurs, le règlement n_ 3224/94 ne concerne pas directement de tels importateurs. En effet, l'article 17 du règlement n_ 404/93 oblige chaque importateur à obtenir un certificat d'importation pour importer des bananes en provenance de pays tiers. Selon les termes des articles 17 et 19 de ce dernier règlement, il appartient aux États membres d'établir le nombre de certificats d'importation qui seront délivrés à chaque importateur. Il s'ensuit que seules les décisions des États membres accordant ou refusant lesdits certificats sont susceptibles de concerner directement les importateurs de bananes en provenance de pays tiers. Dans ces conditions, le fait qu'une certaine quantité de bananes est allouée à la Côte d'Ivoire par le règlement attaqué n'est pas susceptible d'affecter directement la situation juridique des importateurs, puisqu'ils demeurent libres d'importer des bananes en provenance de n'importe quel pays tiers ou ACP dans le cadre du contingent tarifaire, à condition d'avoir obtenu les certificats d'importation nécessaires.
Enfin, il n'est pas exclu que des importateurs puissent mettre en cause la validité du règlement n_ 3224/94 devant une juridiction nationale, par exemple dans le cadre d'un recours dirigé contre le refus des autorités nationales compétentes de leur délivrer des certificats d'importation pour les bananes non traditionnelles ACP originaires de Côte d'Ivoire.
Dans l'affaire T-47/95,
Terres rouges consultant SA, société de droit français, établie à Paris,
Cobana import SARL, société de droit français, établie à Rungis (France),
SIPEF NV, société de droit belge, établie à Anvers (Belgique),
représentées par Me Michel Aurillac, avocat au barreau de Paris, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Charles Duro, 4, boulevard Royal,
parties requérantes,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée par MM. Théofanis Christoforou, Yves Renouf et Gérard Berscheid, membres du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,
partie défenderesse,
soutenue par
Conseil de l'Union européenne, représenté par MM. Arthur Brautigam et Juergen Huber, conseillers juridiques, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Bruno Eynard, directeur général de la direction des affaires juridiques de la Banque européenne d'investissement, 100, boulevard Konrad Adenauer,
Royaume d'Espagne, représenté par Mme Rosario Silva de Lapuerta, abogado del Estado, du service du contentieux communautaire, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade d'Espagne, 4-6, boulevard Emmanuel Servais,
et
République française, représentée par Mme Catherine de Salins, sous-directeur à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et M. Frédéric Pascal, attaché d'administration centrale, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade de France, 9, boulevard du Prince Henri,
parties intervenantes,
ayant pour objet une demande d'annulation du règlement (CE) n_ 3224/94 de la Commission, du 21 décembre 1994, établissant des mesures transitoires pour la mise en oeuvre de l'accord-cadre sur les bananes conclu dans le cadre des négociations commerciales multilatérales du cycle de l'Uruguay (JO L 337, p. 72),
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
(quatrième chambre élargie),
composé de M. K. Lenaerts, président, Mme P. Lindh, MM. J. Azizi, J. D. Cooke et M. Jaeger, juges,
greffier: M. A. Mair, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 4 décembre 1996,
rend le présent
Arrêt
Cadre réglementaire et faits à l'origine du litige
1 Le règlement (CEE) n_ 404/93 du Conseil, du 13 février 1993, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la banane (JO L 47, p. 1, ci-après «règlement n_ 404/93»), modifié en dernier lieu par le règlement (CE) n_ 3290/94 du Conseil, du 22 décembre 1994, relatif aux adaptations et aux mesures transitoires nécessaires dans le secteur de l'agriculture pour la mise en oeuvre des accords conclus dans le cadre des négociations commerciales multilatérales du cycle d'Uruguay (JO L 349, p. 105), a établi une organisation commune des marchés dans le secteur de la banane.
2 Son article 15 distingue notamment:
- les importations traditionnelles en provenance des États ACP dans la limite de quantités de bananes fixées en annexe au règlement (ci-après «bananes traditionnelles ACP»);
- les importations non traditionnelles en provenance des États ACP qui dépassent les quantités fixées pour les bananes traditionnelles ACP (ci-après «bananes non traditionnelles ACP»);
- les importations des pays tiers non ACP correspondant aux quantités en provenance d'autres pays tiers (ci-après «bananes pays tiers»).
3 L'article 18 du règlement n_ 404/93 prévoyait qu'un contingent tarifaire de 2 millions de tonnes était ouvert chaque année pour les importations des bananes pays tiers et des bananes non traditionnelles ACP. Dans le cadre de ce contingent, il fixait des droits de douane pour les bananes pays tiers, mais soumettait à un droit nul les bananes non traditionnelles ACP. Il fixait par ailleurs des droits de douane pour les deux catégories de bananes en dehors du contingent. Les bananes traditionnelles ACP, non imputables sur ce contingent, étaient totalement exemptées de droits de douane.
4 A la suite de l'adoption par le Conseil du règlement n_ 404/93, un certain nombre de pays latino-américains producteurs de bananes, à savoir la Colombie, le Costa Rica, le Guatemala, le Nicaragua et le Venezuela, ont demandé, conformément aux dispositions de l'article XXIII, 1 et 2 de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (ci-après «GATT»), la constitution d'un groupe spécial. La constitution d'un tel groupe représentait une étape dans les procédures de règlement des différends du GATT. Le groupe a été doté du mandat d'examiner la question portée devant les parties contractantes et de faire des constatations en vue d'aider les parties contractantes à formuler des recommandations ou à statuer sur la question posée.
5 Ce groupe spécial a conclu à l'incompatibilité avec le GATT de quelques aspects du régime établi par le règlement n_ 404/93, notamment les droits spécifiques perçus à l'importation de bananes, les droits préférentiels accordés par la Communauté pour les bananes originaires des pays ACP ainsi que l'attribution de certificats d'importation permettant d'effectuer des importations dans le cadre du contingent tarifaire. Il a recommandé aux parties contractantes de demander à la Communauté de rendre ces aspects conformes aux obligations qui découlaient pour elle du GATT. Le rapport du groupe spécial n'a pas été adopté par les parties contractantes.
6 Afin de trouver une solution satisfaisante qui permette de clore définitivement le litige entre les pays latino-américains et la Communauté, celle-ci a notifié, au mois d'octobre 1993, son intention de «déconsolider», sur la base de l'article XXVIII du GATT, le droit de douane sur les bananes visé par sa liste de concessions déposée au GATT et d'entrer en négociations avec les parties principalement intéressées au sens de cet article.
7 Dans le cadre de cette déconsolidation, la Commission a entamé des négociations qui ont abouti, au cours du mois de mars 1994, à un accord-cadre sur les bananes (ci-après «accord-cadre») avec les pays latino-américains concernés, à l'exception du Guatemala.
8 Cet accord-cadre prévoyait notamment la réduction de 100 écus à 75 écus par tonne du droit payable pour les bananes pays tiers dans le cadre du contingent tarifaire.
9 Il a aussi divisé celui-ci en quotas spécifiques alloués comme suit:
Pays
Part du contingent tarifaire
Costa Rica
23,4 %
Colombie
21,0 %
Nicaragua
Venezuela
2,0 %
République dominicaine et autres
pays ACP en ce qui concerne les
quantités non traditionnelles
90 000 tonne
Autres pays
46,32 % (1994)
46,51 % (1995)
10 Eu égard à cet accord-cadre, les parties à celui-ci se sont engagées à ne pas demander l'adoption du rapport du groupe spécial sur cette question.
11 Le règlement (CE) n_ 3224/94 de la Commission, du 21 décembre 1994, établissant des mesures transitoires pour la mise en oeuvre de l'accord-cadre sur les bananes conclu dans le cadre des négociations commerciales multilatérales du cycle de l'Uruguay (JO L 337, p. 72, ci-après «règlement n_ 3224/94» ou «règlement attaqué») a établi des mesures transitoires pour l'application du régime d'importation de bananes dans la Communauté jusqu'à l'adoption de mesures définitives.
12 Il a par ailleurs ventilé comme suit le volume attribué de 90 000 tonnes de bananes non traditionnelles ACP:
Pays
Quantité en tonnes
République dominicaine
55 000
Bélize
15 000
Côte d'Ivoire
7 50
Cameroun
7 500
Autres
5 000
13 Il a été adopté sur la base, notamment, de l'article 20 du règlement n_ 404/93, qui autorise la Commission à arrêter les modalités d'application du titre IV (régime des échanges avec les pays tiers).
14 Les parties requérantes sont trois sociétés assurant l'importation et la commercialisation de 70 % de la production de bananes de Côte d'Ivoire.
Procédure
15 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 février 1995, les parties requérantes ont introduit un recours en annulation contre le règlement n_ 3224/94.
16 Le 22 mars 1995, le Conseil a déposé une demande en intervention à l'appui des conclusions de la Commission.
17 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 28 avril 1995, la partie défenderesse a soulevé une exception d'irrecevabilité.
18 Les requérantes ont déposé leurs observations sur cette exception le 9 juin 1995.
19 Le 20 juillet 1995, le royaume d'Espagne a déposé une demande en intervention à l'appui des conclusions de la Commission.
20 Le 27 juillet 1995, la République française a déposé une demande en intervention à l'appui des conclusions de la Commission.
21 Par ordonnance du Tribunal (quatrième chambre) du 26 octobre 1995, l'exception d'irrecevabilité a été jointe au fond. Par ordonnances rendues le même jour par le président de la quatrième chambre, le Conseil, le royaume d'Espagne et la République française ont été admis à intervenir à l'appui des conclusions de la partie défenderesse.
22 Conformément à l'article 51, paragraphe 2, du règlement de procédure et à la suite d'une demande du royaume d'Espagne, le Tribunal a, par décision du 5 décembre 1995, décidé de renvoyer l'affaire devant la quatrième chambre élargie composée de cinq juges.
23 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables, mais a invité la partie défenderesse à répondre par écrit à certaines questions et à produire une copie du compte rendu de la réunion du comité de gestion du 20 décembre 1994. La partie défenderesse a déposé sa réponse, ainsi que le document demandé, le 26 novembre 1996.
24 Les parties, à l'exception du Conseil, ont été entendues en leurs plaidoiries et ont répondu aux questions orales du Tribunal lors de l'audience publique du 4 décembre 1996.
Conclusions des parties
25 Les requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:
- annuler le règlement n_ 3224/94;
- condamner la Commission aux dépens.
26 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- rejeter le recours comme irrecevable et, subsidiairement, comme non fondé;
- condamner les requérantes aux dépens.
27 Le Conseil conclut à ce qu'il plaise au Tribunal rejeter le recours comme irrecevable et, subsidiairement, comme non fondé.
28 L'Espagne conclut à ce qu'il plaise au Tribunal déclarer le recours irrecevable et, subsidiairement, comme non fondé.
29 La République française conclut à ce qu'il plaise au Tribunal rejeter le recours comme irrecevable.
Moyens des parties
30 A l'appui de leurs conclusions en annulation, les requérantes avancent quatre moyens, tirés respectivement d'une violation de formes substantielles, d'une violation du règlement n_ 404/93, d'une inapplicabilité de l'accord-cadre et d'une violation de la quatrième convention ACP-CEE signée à Lomé le 15 décembre 1989.
31 La Commission fait valoir à titre principal que le recours est irrecevable et, à titre subsidiaire, que les quatre moyens d'annulation ne sont pas fondés.
Sur la recevabilité
Argumentation des parties
32 La Commission, soutenue par le royaume d'Espagne, la République française et le Conseil, excipe de l'irrecevabilité du recours en annulation au motif que les requérantes ne sont pas directement et individuellement concernées par le règlement n_ 3224/94, au sens de l'article 173, quatrième alinéa, du traité CE.
33 Les requérantes font valoir, tout d'abord, qu'elles importent 70 % de la production ivoirienne et que l'une d'elles, à savoir Terres Rouges Consultant, n'importe que des bananes ivoiriennes.
34 Elles rappellent que, en vertu de l'article l5 du règlement n_ 404/93 et de l'annexe à celui-ci, la Côte d'Ivoire peut exporter vers la Communauté 155 000 tonnes de bananes par an à titre de bananes traditionnelles ACP. Ce montant serait inférieur au potentiel actuel de production et la Côte d'Ivoire serait en mesure de mettre approximativement 50 000 tonnes supplémentaires de bananes sur le marché communautaire.
35 Les requérantes relèvent que, selon les termes du règlement n_ 404/93, la Côte d'Ivoire avait un droit d'accès au contingent tarifaire de 2 millions de tonnes et que ce droit a été confirmé dans les termes suivants par une lettre du 12 juillet 1993 du vice-président de la Commission au ministre de l'Agriculture de Côte d'Ivoire:
«Je suis par ailleurs persuadé que l'exemption de droits de douane dont bénéficient, dans le cadre du contingent annuel de 2 millions de tonnes, les importations de bananes ACP dépassant les quantités traditionnelles permettra à la Côte d'Ivoire d'écouler l'ensemble de sa production sur le marché communautaire.»
36 Toutefois, à la suite de l'adoption du règlement n_ 3224/94, ces droits d'accès au contingent tarifaire pour des bananes non traditionnelles ACP en provenance de Côte d'Ivoire auraient été réduits à 7 500 tonnes par an, et ce rétroactivement à partir du 1er octobre 1994. Le règlement n_ 3224/94 aurait donc profondément modifié les droits établis par le règlement n_ 404/93.
37 Dans ces circonstances, les requérantes seraient directement concernées par la réduction considérable de l'accès, au contingent tarifaire, des bananes non traditionnelles ACP en provenance de Côte d'Ivoire.
38 Elles seraient également individuellement concernées, puisqu'elles représentent 70 % des importations ivoiriennes. Alors que, en 1994, elles auraient pu importer sur le marché communautaire environ 35 000 tonnes de bananes non traditionnelles ACP, à savoir 70 % des 50 000 tonnes supplémentaires, elles ne pourraient désormais importer que 5 250 tonnes par an, c'est-à-dire 70 % des 7 500 tonnes allouées à la Côte d'Ivoire.
Appréciation du Tribunal
39 Selon une jurisprudence constante de la Cour et du Tribunal, l'article 173, quatrième alinéa, du traité confère aux particuliers le droit d'attaquer toute décision qui, bien que prise sous l'apparence d'un règlement, les concerne directement et individuellement. L'objectif de cette disposition est notamment d'éviter que, par le simple choix de la forme d'un règlement, les institutions communautaires puissent exclure le recours d'un particulier contre une décision qui le concerne directement et individuellement et de préciser ainsi que le choix de la forme ne peut changer la nature d'un acte (voir arrêt de la Cour du 17 juin 1980, Calpak et Società Emiliana Lavorazione Frutta/Commission, 789/79 et 790/79, Rec. p. 1949, point 7, et arrêt du Tribunal du 7 novembre 1996, Roquette Frères/Conseil, T-298/94, Rec. p. II-0000, point 35).
40 Le critère de distinction entre un règlement et une décision doit être recherché dans la portée générale ou non de l'acte en question. Il y a donc lieu d'apprécier la nature de l'acte attaqué et, en particulier, les effets juridiques qu'il vise à produire ou produit effectivement (voir arrêt de la Cour du 24 février 1987, Deutz und Geldermann/Conseil, 26/86, Rec. p. 941, point 7, et arrêt Roquette Frères/Conseil, précité, point 36).
41 En l'espèce, le règlement attaqué ne présente aucun élément permettant de le qualifier de décision prise sous l'apparence d'un règlement. Il est rédigé en des termes généraux et abstraits et applicable dans tous les États membres sans tenir compte de la situation d'importateurs individuels. Sa finalité consiste à modifier le régime d'importation de bananes établi par le règlement n_ 404/93 afin de l'adapter aux changements introduits par l'accord-cadre conclu avec les pays latino-américains concernés.
42 Il s'ensuit que le règlement attaqué s'applique à des situations objectivement déterminées et comporte des effets juridiques à l'égard d'une catégorie de personnes envisagée de manière générale et abstraite.
43 S'agissant de la question de savoir si les requérantes sont individuellement concernées par le règlement attaqué, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, il n'est pas exclu que, dans certaines circonstances, même un acte normatif s'appliquant à la généralité des opérateurs économiques intéressés peut concerner individuellement certains d'entre eux (arrêts de la Cour du 16 mai 1991, Extramet Industrie/Conseil, C-358/89, Rec. p. I-2501, point 13, et du 18 mai 1994, Codorniu/Conseil, C-309/89, Rec. p. I-1853, point 19; ordonnance du Tribunal du 11 janvier 1995, Cassa nazionale di previdenza ed assistenza a favore degli avvocati e procuratori/Conseil, T-116/94, Rec. p. II-1, point 26). Dans une telle hypothèse, un acte communautaire pourrait à la fois revêtir un caractère normatif et, à l'égard de certains opérateurs économiques intéressés, un caractère décisionnel (arrêt du Tribunal du 13 décembre 1995, Exporteurs in Levende Varkens e.a./Commission, T-481/93 et T-484/93, Rec. p. II-2941, point 50).
44 Toutefois, la possibilité de déterminer avec plus ou moins de précision le nombre ou même l'identité des sujets de droit auxquels s'applique une mesure n'implique nullement que ces sujets doivent être considérés comme étant individuellement concernés par cette mesure (voir arrêt de la Cour du 16 mars 1978, Unicme, e.a./Conseil, 123/77, Rec. p. 845, point 16).
45 A cet égard, il convient de rappeler les dispositions qui constituent le cadre réglementaire du présent litige. L'article 19 du règlement n_ 404/93 prévoit que le contingent tarifaire est ouvert à concurrence de 66,5 % à la catégorie des opérateurs qui ont commercialisé des bananes pays tiers et/ou des bananes non traditionnelles ACP (catégorie A), de 30 % à la catégorie des opérateurs qui ont commercialisé des bananes communautaires et/ou des bananes traditionnelles ACP (catégorie B) et de 3,5 % à la catégorie des opérateurs établis dans la Communauté qui ont commencé à commercialiser des bananes autres que les bananes communautaires et/ou traditionnelles ACP à partir de 1992 (catégorie C). Les critères complémentaires auxquels les opérateurs doivent satisfaire sont déterminés selon la procédure prévue à l'article 27 du règlement. Les opérateurs qui remplissent ces conditions et auxquels les autorités compétentes de l'État membre en question accordent des certificats d'importation sont libres d'importer des bananes pays tiers ou des bananes non traditionnelles ACP dans le cadre du contingent tarifaire, quelle que soit la catégorie d'importateurs à laquelle ils appartiennent.
46 Il convient également de rappeler que la Cour a jugé que les articles 18 et 19 du règlement n_ 404/93 ont pour objet d'établir un régime des échanges de bananes avec les pays tiers et un mécanisme de répartition du contingent tarifaire entre des catégories d'opérateurs économiques définis par des critères objectifs. Dès lors, ces dispositions s'appliquent à des situations déterminées objectivement et comportent des effets juridiques à l'égard de catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite. Il en résulte que l'acte attaqué ne concerne les requérants qu'en leur qualité objective d'opérateurs économiques dans le secteur de la commercialisation des bananes en provenance des pays tiers, au même titre que tout autre opérateur économique se trouvant dans une situation identique (ordonnance de la Cour du 21 juin 1993, Chiquita Banana e.a./Conseil, C-276/93, Rec. p. I-3345, points 10 à 12).
47 Il est vrai que le règlement n_ 3224/94 a limité la quantité de bananes non traditionnelles ACP que la Côte d'Ivoire pouvait exporter dans le cadre du contingent tarifaire. Cependant, selon les termes du règlement n_ 404/93 (voir point 45 ci-dessus), les importateurs des catégories A, B, et C ont tous le droit d'importer des bananes en provenance de Côte d'Ivoire. Le règlement n_ 3224/94 affecte donc tous les importateurs qui souhaitent importer des bananes de Côte d'Ivoire et le fait que les requérantes importent actuellement une grande proportion des bananes ivoiriennes ne caractérise pas une situation de fait particulière les distinguant des autres importateurs.
48 Quant à l'argument des requérantes selon lequel le règlement n_ 3224/94 aurait profondément modifié les droits établis par le règlement n_ 404/93, il doit lui-même être rejeté.
49 Il est fondé sur la prémisse qu'avant l'adoption du règlement n_ 3224/94, la Côte d'Ivoire aurait pu mettre approximativement 50 000 tonnes de bananes non traditionnelles ACP sur le marché communautaire en plus de la quantité de 155 000 tonnes de bananes traditionnelles ACP qui lui avait été attribuée par le règlement n_ 404/93 (voir points 34 à 38 ci-dessus).
50 A cet égard, en premier lieu, il doit être souligné que le règlement n_ 3224/94 n'empêche nullement les requérantes d'importer sur le marché communautaire des bananes traditionnelles ACP en provenance de Côte d'Ivoire. En effet, les requérantes peuvent toujours importer 70 %, voire davantage, des 155 000 tonnes de bananes traditionnelles ACP attribuées à ce pays.
51 En deuxième lieu, comme la Commission l'a souligné lors de l'audience sans être contredite par les requérantes, le montant total des bananes traditionnelles ACP et non traditionnelles ACP exportées de Côte d'Ivoire en 1993 et 1994 après l'instauration du nouveau régime par le règlement n_ 404/93 n'a pas dépassé 160 000 tonnes par an. Ces exportations n'ont donc pas excédé la quantité de 162 500 tonnes constituée par la réserve de 155 000 tonnes de bananes traditionnelles ACP et la quote-part de 7 500 tonnes de bananes non traditionnelles ACP réservée à la Côte d'Ivoire par le règlement n_ 3224/94. En réalité, le chiffre de 50 000 tonnes cité par les requérantes ne représente qu'une estimation de la production potentielle des plantations ivoiriennes et non des exportations actuelles. Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, leur position n'a donc pas été affectée en réalité par l'adoption du règlement n_ 3224/94.
52 D'ailleurs, le vice-président de la Commission, dans sa lettre du 12 juillet 1993 citée par les requérantes (voir point 35 ci-dessus) n'a pas considéré que le chiffre de 200 000 tonnes représentait le montant de la production actuelle de la Côte d'Ivoire. Au contraire, il a indiqué:
«[...] j'ai été parfaitement informé des investissements réalisés dans votre pays devant porter la production bananière au-delà des 200 000 tonnes par an et je peux vous assurer que ces informations ont également été portées à la connaissance du Conseil. Ce sont, par ailleurs, ces informations qui ont permis au Conseil de fixer une quantité traditionnelle pour la Côte d'Ivoire qui dépasse de loin la quantité résultant d'une interprétation des dispositions de la convention de Lomé.»
53 Il a en outre expliqué comment le contingent tarifaire réservé à la Côte d'Ivoire avait été calculé:
«D'autre part, il est évident que le Conseil a également dû tenir compte de la nécessité de maintenir un équilibre entre les différentes sources d'approvisionnement du marché communautaire, en [l']absence duquel l'aboutissement de l'ensemble du dossier aurait été compromis. Dans ces conditions, j'estime que la quantité traditionnelle fixée à l'égard de votre pays représente un compromis équitable, d'autant plus que cette quantité dépasse même le niveau de la meilleure performance réalisée dans le passé sur l'ensemble du marché communautaire.»
54 En troisième lieu, l'affirmation des requérantes selon laquelle la Côte d'Ivoire devrait pouvoir mettre une quantité supplémentaire de 50 000 tonnes de bananes non traditionnelles ACP sur le marché communautaire en vertu des termes du règlement n_ 404/93 est inexacte. En effet, l'article 18 de ce règlement a prévu l'ouverture d'un contingent tarifaire annuel de 2 millions de tonnes pour les importations de bananes pays tiers et de bananes non traditionnelles ACP en général et n'a réservé à la Côte d'Ivoire aucune part spécifique dudit contingent.
55 Il découle des considérations qui précèdent que le règlement n_ 3224/94 ne vise ni n'affecte spécifiquement la situation des requérantes et ne concerne celles-ci qu'en leur qualité objective d'importateurs de bananes pays tiers. Les requérantes ne sont pas atteintes dans leur position juridique en raison d'une situation de fait qui les caractérise par rapport aux autres opérateurs économiques se trouvant dans la même situation.
56 Il s'ensuit que le règlement n_ 3224/94 ne concerne pas les requérantes individuellement.
57 Bien qu'il ne soit pas strictement nécessaire d'aborder la question de savoir si les requérantes sont directement concernées par ce règlement, il convient d'ajouter que celui-ci n'affecte la situation juridique des requérantes que de manière indirecte. L'article 17 du règlement n_ 404/93 oblige chaque importateur à obtenir un certificat d'importation pour importer des bananes pays tiers. Selon les termes des articles 17 et 19 de ce dernier règlement, il appartient aux États membres d'établir le nombre de certificats d'importation qui seront délivrés à chaque importateur et de délivrer ces certificats.
58 Dans ces conditions, seules les décisions des États membres accordant ou refusant lesdits certificats sont susceptibles de concerner directement les requérantes. Le fait qu'une certaine quantité de bananes est allouée à la Côte d'Ivoire par le règlement n_ 3224/94 n'est pas susceptible d'affecter directement la situation juridique des requérantes, puisqu'elles demeurent libres d'importer des bananes en provenance de n'importe quel pays tiers ou ACP dans le cadre du contingent tarifaire, à condition d'avoir obtenu les certificats d'importation nécessaires.
59 Par ailleurs, il convient de souligner que les requérantes n'ont pas établi que, le cas échéant, il leur serait impossible de mettre en cause la validité du règlement n_ 3224/94 devant une juridiction nationale, par exemple dans le cadre d'un recours dirigé contre le refus des autorités nationales compétentes de leur délivrer des certificats d'importation pour les bananes non traditionnelles ACP en provenance de Côte d'Ivoire, et de demander à la juridiction nationale de poser, en vertu de l'article 177 du traité, une question préjudicielle à la Cour à cet égard.
60 Il résulte de l'ensemble des éléments qui précèdent que le recours doit être rejeté comme irrecevable.
Sur les dépens
61 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Les parties requérantes ayant succombé en leurs conclusions et la Commission ayant conclu en ce sens, il y a lieu de les condamner aux dépens. Toutefois, en application de l'article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure, les États membres et le Conseil, parties intervenantes, supporteront leurs propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL
(quatrième chambre élargie)
déclare et arrête:
1) Le recours est rejeté comme irrecevable.
2) Les requérantes sont condamnées solidairement aux dépens exposés par la partie défenderesse.
3) Les parties intervenantes supporteront leurs propres dépens.