61995J0321

Arrêt de la Cour du 2 avril 1998. - Stichting Greenpeace Council (Greenpeace International) e.a. contre Commission des Communautés européennes. - Pourvoi - Personnes physiques ou morales - Acte les concernant directement et individuellement. - Affaire C-321/95 P.

Recueil de jurisprudence 1998 page I-01651


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


Recours en annulation - Personnes physiques ou morales - Actes les concernant directement et individuellement - Décision octroyant, au titre du Feder, un concours financier à la construction de centrales électriques adressée à un État membre - Particuliers non individuellement concernés - Associations représentant ces particuliers - Irrecevabilité - Droits résultant de la directive 85/337 - Absence d'incidence - Protection par les juridictions nationales

(Traité CE, art. 173, al. 4, et 177; directive du Conseil 85/337)

Sommaire


Les sujets autres que les destinataires d'une décision ne peuvent prétendre être concernés individuellement par celle-ci que si elle les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et de ce fait les individualise d'une manière analogue à celle du destinataire.

S'agissant, plus particulièrement, d'une décision adressée à un État membre et ayant pour objet l'octroi, au titre du Fonds européen de développement régional, d'un concours financier à la construction de deux centrales électriques, des personnes physiques dont la situation particulière n'a pas été prise en considération lors de l'adoption de la décision, laquelle les concerne de manière générale et abstraite et, en fait, comme toute autre personne se trouvant dans la même situation, ne sont pas individuellement concernées par celle-ci. Il en est de même en ce qui concerne les associations qui représentent ces personnes et qui fondent leur qualité pour agir sur l'affirmation que leurs membres seraient individuellement concernés par la décision.

A cet égard, les requérants ne sauraient se prévaloir de droits en matière d'environnement qui découleraient de la directive 85/337, concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, car c'est la décision de construction des centrales qui serait de nature à porter atteinte à ces droits et non pas la décision relative au financement communautaire, qui ne peut avoir qu'une incidence indirecte.

Dans la mesure où les requérants disposent de la faculté de contester devant les juridictions nationales les autorisations administratives relatives à la construction des centrales et les déclarations relatives aux incidences sur l'environnement des projets de construction, les droits résultant pour les particuliers de la directive 85/337 se trouvent pleinement protégés par les juridictions nationales qui, le cas échéant, peuvent saisir la Cour d'une question préjudicielle en vertu de l'article 177 du traité. L'appréciation de la qualité pour agir des requérants doit dès lors s'effectuer au regard des critères énoncés ci-dessus à titre liminaire.

Parties


Dans l'affaire C-321/95 P,

Stichting Greenpeace Council (Greenpeace International) e.a., représentés par MM. Philippe Sands et Mark Hoskins, barristers, mandatés par Leigh, Day & Co., solicitors, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Jean-Paul Noesen, 18, rue des Glacis,

parties requérantes,

ayant pour objet un pourvoi formé contre l'ordonnance du Tribunal de première instance des Communautés européennes (première chambre) du 9 août 1995, Greenpeace e.a./Commission (T-585/93, Rec. p. II-2205), et tendant à l'annulation de cette ordonnance,

l'autre partie à la procédure étant:

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Peter Oliver, membre du service juridique, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du même service, Centre Wagner, Kirchberg,

soutenue par

Royaume d'Espagne, représenté par M. Alberto José Navarro González, directeur général de la coordination juridique et institutionnelle communautaire, et Mme Gloria Calvo Díaz, abogado del Estado, du service du contentieux communautaire, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade d'Espagne, 4-6, boulevard E. Servais,

partie intervenante,

LA COUR,

composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, C. Gulmann, H. Ragnemalm et M. Wathelet, présidents de chambre, G. F. Mancini, J. C. Moitinho de Almeida (rapporteur), P. J. G. Kapteyn, J. L. Murray, D. A. O. Edward, J.-P. Puissochet, G. Hirsch, P. Jann et L. Sevón, juges,

avocat général: M. G. Cosmas,

greffier: M. R. Grass,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 17 juin 1997, au cours de laquelle Stichting Greenpeace Council (Greenpeace International) e.a. ont été représentés par MM. Philippe Sands et Mark Hoskins, la Commission par M. Peter Oliver et le royaume d'Espagne par M. Luis Pérez de Ayala Becerril, abogado del Estado, en qualité d'agent,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 23 septembre 1997,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 16 octobre 1995, Stichting Greenpeace Council (Greenpeace International) e.a. ont, en vertu de l'article 49 du statut CE de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'ordonnance du Tribunal de première instance du 9 août 1995, Greenpeace e.a./Commission (T-585/93, Rec. p. II-2205, ci-après l'«ordonnance attaquée»), en tant qu'il a déclaré irrecevable leur recours tendant à l'annulation de la décision de la Commission, qui aurait été arrêtée entre le 7 mars 1991 et le 29 octobre 1993, de verser au royaume d'Espagne 12 millions d'écus ou d'autres montants de cet ordre en application de la décision C (91) 440 relative au concours financier apporté par le Fonds européen de développement régional à la construction de deux centrales électriques aux îles Canaries (Grande-Canarie et Ténériffe).

2 Aux termes de l'ordonnance attaquée, les faits à l'origine du litige sont les suivants:

«1 Le 7 mars 1991, sur la base du règlement (CEE) n_ 1787/84 du Conseil, du 19 juin 1984, relatif au Fonds européen de développement régional (JO L 169, p. 1, ci-après `règlement de base'), modifié par le règlement (CEE) n_ 3641/85 du Conseil, du 20 décembre 1985 (JO L 350, p. 40), la Commission a adopté la décision C (91) 440, accordant au royaume d'Espagne une assistance financière du Fonds européen de développement régional (ci-après `Feder') d'un montant maximal de 108 578 419 écus pour des investissements d'infrastructure. Il s'agissait du projet de construction par l'Unión Eléctrica de Canarias SA (ci-après `Unelco') de deux centrales électriques dans les îles Canaries, à la Grande-Canarie et à Ténériffe.

2 Le financement communautaire de la construction des deux centrales électriques était échelonné sur quatre ans, à partir de 1991 jusqu'en 1994, et devait se faire par tranches annuelles (articles 1er et 3 et annexes II et III de la décision). L'engagement budgétaire pour la première année (1991), s'élevant à 28 953 000 écus (article 1er de la décision), était exigible lors de l'adoption de la décision par la partie défenderesse (annexe III, point A.4, de la décision). Les versements financiers ultérieurs, dépendant du plan financier de l'opération ainsi que de l'état d'avancement de sa réalisation, devaient couvrir les dépenses afférentes aux opérations visées, légalement approuvées par l'État membre concerné (articles 1er et 3 de la décision). Selon l'article 5 de la décision, la Commission pourrait réduire ou suspendre l'aide apportée à l'opération en cause, si l'examen de cette dernière révélait l'existence d'irrégularités et, en particulier, une modification importante affectant les conditions de son exécution sans que l'approbation de la Commission ait été au préalable sollicitée (voir aussi points A.20, A.21 et C.2 de l'annexe III de la décision).

3 Par lettre en date du 23 décembre 1991, Mme Aurora González González et M. Pedro Melián Castro, cinquième et sixième parties requérantes, ont informé la Commission de l'illégalité des travaux entrepris à la Grande-Canarie, du fait que l'Unelco avait omis d'effectuer, conformément à la directive 85/337/CEE du Conseil, du 27 juin 1985, concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement (JO L 175, p. 40, ci-après `directive 85/337'), une étude d'évaluation des incidences sur l'environnement et lui ont demandé d'intervenir afin que les travaux soient arrêtés. Leur lettre a été enregistrée sous le n_ 4084/92.

4 Par lettre en date du 23 novembre 1992, M. Domingo Viera González, deuxième partie requérante, a sollicité l'appui de la Commission eu égard au fait que l'Unelco avait déjà entrepris des travaux à la Grande-Canarie et à Ténériffe, sans que la Comisión de urbanismo y medio ambiente de Canarias (Commission des Canaries pour la planification et l'environnement, ci-après `CUMAC') ait émis sa déclaration relative aux incidences sur l'environnement conformément à la législation nationale applicable en la matière. Cette lettre fut enregistrée sous le n_ 5151/92.

5 Le 3 décembre 1992, la CUMAC a établi deux déclarations relatives aux incidences sur l'environnement de la construction des centrales électriques à la Grande-Canarie et à Ténériffe, qui furent publiées au Boletín oficial de Canarias respectivement les 26 février et 3 mars 1993.

6 Le 26 mars 1993, Tagoror Ecologista Alternativo, association locale pour la défense de l'environnement ayant son siège à Ténériffe (ci-après `TEA'), dix-huitième partie requérante, a formé un recours administratif contre la déclaration de la CUMAC relative aux incidences sur l'environnement du projet de construction d'une centrale électrique à Ténériffe. Le 2 avril 1993, la Comisión Canaria contra la contaminación (Commission des îles Canaries contre la pollution, ci-après `CIC'), association locale pour la défense de l'environnement, dix-neuvième partie requérante, a également introduit un recours administratif contre la déclaration de la CUMAC relative aux incidences sur l'environnement des deux projets de construction à la Grande-Canarie et à Ténériffe.

7 Le 18 décembre 1993, Greenpeace Spain, association pour la défense de l'environnement, responsable au niveau national pour la réalisation des objectifs, au niveau local, de Stichting Greenpeace Council, fondation pour la conservation de la nature ayant son siège aux Pays-Bas (ci-après `Greenpeace'), première partie requérante, a engagé une procédure judiciaire tendant à contester la validité des autorisations administratives délivrées à l'Unelco par le ministère régional de l'Industrie, du Commerce et de la Consommation pour les îles Canaries.

8 Par lettre du 17 mars 1993, adressée au directeur général de la direction générale Politiques régionales de la Commission (ci-après `DG XVI'), Greenpeace a demandé à la Commission de lui confirmer si des fonds structurels communautaires avaient été versés au gouvernement régional des îles Canaries à propos de la construction de deux centrales électriques et de lui faire connaître quel serait le calendrier pour le versement de ces fonds.

9 Par lettre du 13 avril 1993, le directeur général de la DG XVI a invité Greenpeace à `lire la décision C (91) 440', laquelle contenait, selon lui, `des précisions au sujet des conditions particulières à respecter par l'Unelco en vue de l'obtention de l'aide communautaire et le plan de financement'.

10 Par lettre du 17 mai 1993, Greenpeace a demandé à la Commission de lui communiquer toutes les informations relatives aux mesures qu'elle avait prises concernant la construction de deux centrales électriques aux îles Canaries, conformément à l'article 7 du règlement (CEE) n_ 2052/88 du Conseil, du 24 juin 1988, concernant les missions des Fonds à finalité structurelle, leur efficacité ainsi que la coordination de leurs interventions entre elles et celles de la Banque européenne d'investissement et des autres instruments financiers existants (JO L 185 p. 9, ci-après `règlement n_ 2052/88'), qui prévoit que `les actions faisant l'objet d'un financement par les fonds structurels ou d'un financement de la BEI ou d'un autre instrument financier existant doivent être conformes aux dispositions des traités et des actes arrêtés en vertu de ceux-ci, ainsi que des politiques communautaires, y compris celles concernant la protection de l'environnement'.

11 Par lettre en date du 23 juin 1993, le directeur général de la DG XVI à répondu à Greenpeace comme suit: `I regret to say that I am unable to supply this information since it concerns the internal decision making procedures of the Commission ..., but I can assure you that the Commission's decision was taken only after full consultation between the various services of the concerned.' (`Je ne suis pas en mesure de vous fournir cette information puisqu'elle concerne des procédures internes de prise de position par la Commission ..., mais je peux vous assurer que la Commission n'a pris sa décision qu'après une concertation approfondie entre ses divers services.')

12 Le 29 octobre 1993, s'est tenue, dans les locaux de la Commission à Bruxelles, une réunion entre Greenpeace et la DG XVI, concernant le financement par le Feder de la construction des centrales électriques à la Grande-Canarie et à Ténériffe.»

3 C'est dans ces conditions que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 décembre 1993, les requérants ont introduit un recours visant à l'annulation de la décision que la Commission aurait prise de verser au gouvernement espagnol, en sus de la première tranche de 28 953 000 écus, 12 000 000 écus supplémentaires en remboursement des frais engagés pour la construction de deux centrales électriques aux îles Canaries (Grande-Canarie et Ténériffe). Cette décision aurait été adoptée entre le 7 mars 1991, date de l'adoption de la décision C (91) 440, et le 29 octobre 1993, date à laquelle, lors de sa réunion susmentionnée avec Greenpeace, la Commission, tout en refusant de communiquer à cette dernière des précisions au sujet du financement de la construction de deux centrales électriques aux îles Canaries, aurait confirmé qu'un montant total de 40 millions d'écus avait déjà été versé au gouvernement espagnol dans le cadre de l'application de la décision C (91) 440.

4 La Commission a, par acte séparé déposé le 22 février 1994 au greffe du Tribunal, soulevé une exception d'irrecevabilité à l'appui de laquelle elle faisait valoir deux moyens, l'un tiré de la nature de l'acte attaqué et l'autre du défaut de qualité pour agir des requérants.

5 Par l'ordonnance attaquée, le Tribunal a accueilli l'exception, en sorte qu'il a déclaré le recours irrecevable.

6 Quant aux moyens invoqués par la Commission à l'appui de son exception d'irrecevabilité, le Tribunal a estimé, au point 46, qu'il y avait lieu d'examiner d'abord si les requérants ont la qualité pour agir avant d'examiner si l'acte attaqué par ces derniers constitue une décision au sens de l'article 173 du traité CE.

7 S'agissant, en premier lieu, de la qualité pour agir des particuliers requérants, le Tribunal a d'abord rappelé, au point 48, la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle les sujets autres que les destinataires d'une décision ne peuvent prétendre être concernés individuellement que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et de ce fait les individualise d'une manière analogue à celle du destinataire (arrêts de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197; du 14 juillet 1983, Spijker/Commission, 231/82, Rec. p. 2559; du 21 mai 1987, Deutsche Lebensmittelwerke e.a./Commission, 97/85, Rec. p. 2265; du 19 mai 1993, Cook/Commission, C-198/91, Rec. p. I-2487, et du 15 juin 1993, Matra/Commission, C-225/91, Rec. p. I-3203; arrêts du Tribunal du 19 mai 1994, Air France/Commission, T-2/93, Rec. p. II-323, et Consorzio gruppo di azione locale «Murgia Messapica»/Commission, T-465/93, Rec. p. II-361).

8 Le Tribunal a ensuite décidé d'examiner, au point 49, la thèse des requérants selon laquelle il devrait se dégager des restrictions résultant de cette jurisprudence et se concentrer sur le seul fait que les tiers requérants ont subi ou pourraient subir une perte ou un préjudice du fait des conséquences néfastes pour l'environnement résultant d'un comportement illégal des institutions communautaires.

9 A cet égard, le Tribunal a relevé, au point 50, que, si la jurisprudence constante de la Cour concerne en principe des affaires ayant trait à des intérêts de nature économique, le critère essentiel qu'elle a mis en oeuvre (à savoir le concours de circonstances suffisantes pour que le tiers requérant puisse prétendre qu'il est affecté par la décision attaquée d'une manière qui le caractérise par rapport à toute autre personne) reste applicable, quelle que puisse être la nature des intérêts affectés, économiques ou autres, des requérants.

10 Le Tribunal a donc considéré, au point 51, que le critère proposé par les requérants pour apprécier leur qualité pour agir, à savoir l'existence d'un préjudice subi ou à subir, ne saurait à lui seul suffire pour conférer à un requérant la qualité pour agir, dès lors qu'un tel préjudice peut affecter, de manière générale et abstraite, un grand nombre de justiciables qui ne sauraient être déterminés a priori, de façon à être individualisés d'une manière analogue au destinataire d'une décision, conformément à la jurisprudence susmentionnée. Le Tribunal a également affirmé que cette conclusion ne saurait être affectée par les pratiques jurisprudentielles nationales selon lesquelles la qualité pour agir peut dépendre de la seule existence d'un intérêt suffisant dans le chef des requérants, étant donné les conditions établies par l'article 173, quatrième alinéa, du traité.

11 Le Tribunal a donc conclu, au point 52, que la thèse des requérants selon laquelle leur qualité pour agir devait s'apprécier à la lumière de critères autres que ceux établis par la jurisprudence ne pouvait être accueillie et a donc indiqué, au point 53, qu'il convenait d'apprécier leur qualité pour agir à l'aune des critères déjà établis par cette jurisprudence.

12 A cet égard, le Tribunal a tout d'abord constaté, aux points 54 et 55, que la qualité objective de «résident local», de «pêcheur», d'«agriculteur», ou la qualité de personne préoccupée par les conséquences que la construction de deux centrales électriques pourrait avoir sur le tourisme local, sur la santé des habitants des îles Canaries et sur l'environnement, invoquées par les requérants, n'est pas différente de celle de l'ensemble des personnes résidant ou exerçant une activité dans les régions concernées, et que les requérants ne sauraient ainsi être affectés par la décision attaquée qu'au même titre que tout autre résident local, pêcheur, agriculteur ou touriste se trouvant actuellement ou potentiellement dans une situation identique à la leur.

13 Le Tribunal a enfin constaté, au point 56, que le fait que certains requérants aient déposé une plainte auprès de la Commission ne saurait non plus leur conférer la qualité pour agir au titre de l'article 173, des procédures spécifiques associant les particuliers à l'adoption, à l'exécution et au suivi des décisions prises dans le domaine des concours financiers accordés par le Feder n'étant pas prévues. Selon la jurisprudence de la Cour, une personne qui demande à une institution, non pas de prendre une décision à son égard, mais d'ouvrir une procédure d'investigation à l'égard de tiers, bien qu'elle puisse être considérée comme étant intéressée indirectement, ne se trouve pas, pour autant, dans la position précise du destinataire actuel ou potentiel d'un acte susceptible d'annulation au sens de l'article 173 du traité (arrêt du 10 juin 1982, Lord Bethell/Commission, 246/81, Rec. p. 2277).

14 S'agissant, en second lieu, de la qualité pour agir des associations requérantes, le Tribunal a rappelé, au point 59, la jurisprudence constante selon laquelle une association constituée pour promouvoir les intérêts collectifs d'une catégorie de justiciables ne saurait être considérée comme étant individuellement concernée, au sens de l'article 173, quatrième alinéa, du traité, par un acte affectant les intérêts généraux de cette catégorie et, par conséquent, n'est pas recevable à introduire un recours en annulation lorsque ses membres ne sauraient le faire à titre individuel (arrêts du 14 décembre 1962, Fédération nationale de la boucherie en gros et du commerce en gros des viandes e.a./Conseil, 19/62 à 22/62, Rec. p. 943, et du 18 mars 1975, Union syndicale - Service public européen e.a./Conseil, 72/74, Rec. p. 401; ordonnance du 11 juillet 1979, Fédération nationale des producteurs de vins de table et vins de pays/Commission, 60/79, Rec. p. 2429; arrêt du 10 juillet 1986, DEFI/Commission, 282/85, Rec. p. 2469; ordonnance du 5 novembre 1986, UFADE/Conseil et Commission, 117/86, Rec. p. 3255, point 12; arrêt du Tribunal du 6 juillet 1995, AITEC e.a./Commission, T-447/93 à T-449/93, Rec. p. II-1971, points 58 et 59). Le Tribunal ayant jugé que les particuliers requérants ne peuvent être considérés comme étant individuellement concernés par la décision attaquée, il a donc considéré, au point 60, que les membres des associations requérantes, en tant que résidents locaux de la Grande-Canarie et de Ténériffe, ne peuvent pas l'être non plus.

15 Le Tribunal a également rappelé, au point 59, que l'existence de circonstances particulières, telles que le rôle joué par une association dans le cadre d'une procédure ayant conduit à l'adoption d'un acte au sens de l'article 173 du traité, peut justifier la recevabilité d'un recours introduit par une association dont les membres ne sont pas directement et individuellement concernés par l'acte litigieux (arrêts du 2 février 1988, Van der Kooy e.a./Commission, 67/85, 68/85 et 70/85, Rec. p. 219, et du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission, C-313/90, Rec. p. I-1125).

16 Le Tribunal n'a toutefois pas considéré, au point 62, que l'échange de correspondance et l'entretien que Greenpeace a eu avec la Commission à propos du financement du projet de construction de deux centrales électriques aux îles Canaries constituent de telles circonstances étant donné qu'il n'y avait eu aucune procédure ouverte par la Commission avant l'adoption de la décision attaquée à laquelle Greenpeace aurait participé et que cette dernière n'a pas été, non plus, de quelque façon que ce soit, l'interlocuteur de la Commission au sujet de l'adoption de la décision de base C (91) 440 et/ou de celle de la décision litigieuse.

17 Dans le cadre du pourvoi, les requérants soutiennent que, lors de l'examen de la question de savoir s'ils étaient individuellement concernés par l'acte attaqué de la Commission au sens de l'article 173 du traité, le Tribunal a interprété et appliqué de façon erronée cette disposition et que, en appliquant la jurisprudence développée par la Cour dans le cadre des questions et des droits économiques, selon laquelle un particulier doit appartenir à un «cercle fermé» pour être individuellement concerné par un acte communautaire, le Tribunal n'a pas tenu compte de la nature et du caractère spécifique des intérêts environnementaux qui fondent leur recours.

18 En particulier, les requérants font valoir, en premier lieu, que l'approche suivie par le Tribunal conduit à un vide juridique en matière de contrôle du respect de la législation communautaire de l'environnement, dans la mesure où, dans ce domaine, les intérêts sont par nature communs et partagés et où les droits respectifs sont susceptibles d'être détenus par un nombre potentiellement élevé de particuliers, en sorte qu'il ne peut jamais y avoir un cercle fermé de requérants qui puisse satisfaire aux critères retenus par le Tribunal.

19 Par ailleurs, ils estiment que ce vide juridique ne saurait être comblé par la possibilité d'engager une procédure devant les juridictions nationales. Une telle procédure, qui a été effectivement engagée en l'espèce, laquelle vise le non-respect par les autorités espagnoles des obligations qui leur incombent en vertu de la directive 85/337, ne concerne toutefois pas la légalité de l'acte de la Commission, à savoir la légalité en droit communautaire du versement par celle-ci de fonds structurels au motif que ce versement viole une obligation en matière d'environnement.

20 Les requérants prétendent, en deuxième lieu, que c'est à tort que le Tribunal a considéré, au point 51 de l'ordonnance attaquée, que la référence aux droits nationaux en matière de qualité pour agir était dénuée de pertinence dans le contexte de l'article 173. La solution adoptée par le Tribunal s'avère en contradiction avec celle qu'imposent les développements jurisprudentiels et législatifs nationaux et de droit international. Selon les requérants, il résulte du «rapport final sur l'accès à la justice (1992)» établi par l'OKO Institut à l'intention de la Commission, qui décrit la situation en matière de qualité pour agir dans les affaires d'environnement, que, s'ils avaient dû saisir une juridiction d'un État membre, tous ou certains d'entre eux auraient été déclarés recevables. Les requérants ajoutent que les développements susmentionnés ont été influencés par le droit américain, la Supreme Court ayant affirmé, en 1972, dans l'affaire Sierra Club/Morton, 405 U. S. 727, 31 Led 2d 636 (1972), 643, que «Le bien-être dans le domaine de l'esthétique et de l'environnement est, tout comme le bien-être économique, un facteur important de la qualité de la vie dans notre société et, pour être partagés par un grand nombre de personnes plutôt que par un petit nombre, les intérêts en matière d'environnement n'en méritent pas moins d'être juridiquement protégés au moyen de l'accès à la procédure juridictionnelle.»

21 En troisième lieu, les requérants soutiennent que l'approche adoptée par le Tribunal dans l'ordonnance attaquée est incompatible tant avec la jurisprudence de la Cour qu'avec les déclarations des institutions communautaires et des gouvernements des États membres en matière d'environnement. S'agissant de la jurisprudence, ils invoquent celle selon laquelle la protection de l'environnement est l'un des objectifs essentiels de la Communauté (arrêts du 7 février 1985, ADBHU, 240/83, Rec. p. 531, point 13, et du 20 septembre 1988, Commission/Danemark, 302/86, Rec. p. 4607, point 8) et prétendent que la législation communautaire en matière d'environnement peut faire naître des droits et des obligations pour les particuliers (arrêts du 28 février 1991, Commission/Allemagne, C-131/88, Rec. p. I-825, point 7, et du 30 mai 1991, Commission/Allemagne, C-361/88, Rec. p. I-2567, points 15 et 16). D'ailleurs, en l'espèce, les requérants soutiennent que le fondement de leur argumentation quant au fait d'être individuellement concernés repose essentiellement sur leurs droits individuels tels qu'ils résultent de la directive 85/337, dont les articles 6, paragraphe 2, et 8 prévoient la possibilité de participer à la procédure d'évaluation des incidences de certains projets sur l'environnement (arrêt du 11 août 1995, Commission/Allemagne, C-431/92, Rec. p. I-2189, points 37 à 40), et qu'ils sont singularisés par le fait de ces droits tels que reconnus et protégés par la décision de la Commission C (91) 440.

22 Les requérants se réfèrent, ensuite, au cinquième programme d'action en matière d'environnement (JO 1993, C 138, p. 1), au dixième principe de la déclaration de Rio, qui a été ratifiée par la Communauté lors de la conférence des Nations unies de 1992 sur l'environnement et le développement, à l'agenda 21, adopté lors de la même conférence, à la convention du Conseil de l'Europe sur la responsabilité civile résultant du préjudice causé par les activités dangereuses pour l'environnement ainsi qu'à la procédure de contrôle administratif mise en place par la Banque mondiale pour ceux de ses actes qui ont des effets négatifs sur l'environnement (Banque mondiale, résolution n_ 93-10, résolution n_ IDA93-6, 22 septembre 1993, paragraphe 12).

23 En quatrième lieu, les requérants proposent une interprétation différente de l'article 173, quatrième alinéa, du traité. Pour déterminer si un certain requérant est individuellement concerné par un acte de la Communauté impliquant la violation d'obligations communautaires en matière d'environnement, il devra établir qu'il remplit les trois conditions suivantes:

a) qu'il ait subi personnellement (ou est susceptible de subir personnellement) un préjudice actuel ou potentiel à cause du comportement prétendument illégal de l'institution communautaire concernée, par exemple la violation de leurs droits en matière d'environnement ou l'atteinte à ses intérêts en matière d'environnement,

b) que le préjudice puisse être imputé à l'acte attaqué,

c) que le préjudice soit susceptible d'être réparé par un arrêt favorable.

24 Les requérants considèrent qu'ils remplissent ces trois conditions. Ainsi, s'agissant de la première condition, ils affirment avoir présenté des déclarations décrivant le préjudice qu'ils ont subi à cause des actes de la Commission. Sur la deuxième condition, ils observent que, en versant au royaume d'Espagne les fonds accordés au titre de la décision C (91) 440 pour la construction des projets exécutés en violation du droit communautaire de l'environnement, la Commission a directement contribué au préjudice causé à leurs intérêts, les autorités espagnoles ne disposant d'aucun pouvoir d'appréciation quant à l'utilisation de ces fonds. En ce qui concerne la troisième condition, les requérants estiment que, si le Tribunal avait annulé l'acte attaqué, la Commission n'aurait pas continué de financer les travaux de construction des centrales électriques qui auraient donc vraisemblablement été suspendus jusqu'au terme de la procédure d'évaluation des incidences sur l'environnement.

25 S'agissant des organisations pour la protection de l'environnement, les requérants font valoir qu'elles devraient être considérées comme ayant qualité pour agir lorsque leurs objectifs concernent principalement la protection de l'environnement et qu'un ou plusieurs de leurs membres sont individuellement concernés par l'acte communautaire attaqué, mais également, de manière autonome, lorsque, ayant comme objectif principal la protection de l'environnement, elles démontrent avoir un intérêt spécifique à la question litigieuse.

26 Les requérants concluent, en faisant référence à l'arrêt Plaumann/Commission, précité, que l'article 173 ne doit pas faire l'objet d'une interprétation restrictive, sa rédaction n'imposant pas l'approche fondée sur la notion de «cercle fermé», ainsi qu'il serait confirmé par la jurisprudence de la Cour et du Tribunal (arrêts de la Cour du 17 janvier 1985, Piraiki-Patraiki e.a./Commission, 11/82, Rec. p. 207; du 16 mai 1991, Extramet Industrie/Conseil, C-358/89, Rec. p. I-2501; du 18 mai 1994, Codorniu/Conseil, C-309/89, Rec. p. I-1853, et du Tribunal du 14 septembre 1995, Antillean Rice Mills e.a./Commission, T-480/93 et T-483/93, Rec. p. II-2305), mais qu'il doit être interprété afin de garantir les intérêts fondamentaux en matière d'environnement et de protéger efficacement les droits individuels en la matière (arrêts ADBHU, précité, point 13; du 15 mai 1986, Johnston, 222/84, Rec. p. 1651, points 13 à 21, et du 15 octobre 1987, Heylens e.a., 222/86, Rec. p. 4097, point 14).

Appréciation de la Cour

27 Il convient de constater d'abord que l'interprétation de l'article 173, quatrième alinéa, du traité, retenue par le Tribunal pour conclure au défaut de qualité pour agir des requérants, est conforme à la jurisprudence constante de la Cour.

28 En effet, s'agissant des personnes physiques, il résulte de la jurisprudence mentionnée au point 48 de l'ordonnance attaquée, repris au point 7 du présent arrêt, que, dans le cas où, comme en l'espèce, la situation particulière du requérant n'a pas été prise en considération lors de l'adoption de l'acte, lequel le concerne de manière générale et abstraite et, en fait, comme toute autre personne se trouvant dans la même situation, ce requérant n'est pas individuellement concerné par ledit acte.

29 Il en est de même en ce qui concerne les associations qui fondent leur qualité pour agir sur la circonstance que les personnes qu'elles représentent sont individuellement concernées par la décision attaquée. Pour les raisons indiquées au point précédent, tel n'est pas le cas.

30 Pour apprécier les arguments des requérants visant à démontrer que la jurisprudence de la Cour appliquée par le Tribunal ne tient pas compte de la nature et du caractère spécifique des intérêts environnementaux qui fondent leurs recours, il convient de souligner que c'est la décision de construction des deux centrales en cause qui serait de nature à porter atteinte aux droits en matière d'environnement dont les requérants se prévalent, droits qui découlent de la directive 85/337.

31 Dans ces circonstances, la décision attaquée, relative au financement communautaire de ces centrales, ne peut avoir qu'une incidence indirecte sur ces droits.

32 S'agissant de l'argument des requérants selon lequel l'application de la jurisprudence de la Cour aurait comme conséquence que, en l'espèce, les droits qu'ils tirent de la directive 85/337 seraient privés de toute protection juridictionnelle effective, il y a lieu de relever que, ainsi qu'il ressort du dossier, Greenpeace a contesté devant les juridictions nationales les autorisations administratives délivrées à l'Unelco, relatives à la construction de ces centrales, et TEA et CIC ont également engagé des recours à l'encontre de la déclaration de la CUMAC relative aux incidences sur l'environnement des deux projets de construction (voir points 6 et 7 de l'ordonnance attaquée, repris au point 2 du présent arrêt).

33 Bien que ces recours ainsi que celui introduit devant le Tribunal aient des objets différents, ils se fondent cependant sur les mêmes droits résultant pour les particuliers de la directive 85/337, en sorte que ces droits se trouvent, en l'espèce, pleinement protégés par les juridictions nationales qui, le cas échéant, peuvent saisir la Cour d'une question préjudicielle en vertu de l'article 177 du traité.

34 Dès lors, le Tribunal n'a pas commis d'erreur de droit en appréciant la qualité pour agir des requérants au regard des critères développés par la jurisprudence de la Cour rappelée au point 7 du présent arrêt.

35 Dans ces conditions, le pourvoi doit être rejeté.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

36 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé en leur pourvoi, il y a lieu de les condamner aux dépens. Conformément à l'article 69, paragraphe 4, du même règlement, le royaume d'Espagne, partie intervenante, supportera ses propres dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR

déclare et arrête:

1) Le pourvoi est rejeté.

2) Les requérants sont condamnés aux dépens.

3) Le royaume d'Espagne supportera ses propres dépens.