ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
7 décembre 1995 (1)


«Manquement d'État – Quota des captures du stock d'anchois – Mesures de contrôle – Obligations des États membres»

Dans l'affaire C-52/95,

Commission des Communautés européennes, représentée par M. G. Rozet, conseiller juridique, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. C. Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie requérante,

contre

République française, représentée par M me E. Belliard, directeur adjoint à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, M. G. Mignot et M me I. Latournarie, secrétaires des affaires étrangères à la même direction, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade de France, 9, boulevard du Prince Henri,

partie défenderesse,

ayant pour objet de faire constater par la Cour que, en n'interdisant pas provisoirement la pêche par ses bateaux de poissons du stock d'anchois dans la zone CIEM VIII de façon à assurer le respect des quotas qui lui avaient été attribués en 1991 et 1992 et en ne poursuivant pas les responsables des activités de pêche et des activités connexes à la pêche sur ce même stock effectuées après les interdictions de pêche édictées par la Commission en 1991 et 1992, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 11, paragraphe 2, et 1 er du règlement (CEE) n° 2241/87 du Conseil, du 23 juillet 1987, établissant certaines mesures de contrôle à l'égard des activités de pêche (JO L 207, p. 1), tel que modifié par le règlement (CEE) n° 3483/88 du Conseil, du 7 novembre 1988 (JO L 306, p. 2), en liaison avec l'article 3 et les annexes du règlement (CEE) n° 3926/90 du Conseil, du 20 décembre 1990, fixant, pour certains stocks et groupes de stocks de poissons, les totaux admissibles des captures pour 1991 et certaines conditions dans lesquelles ils peuvent être pêchés (JO L 378, p. 1), et du règlement (CEE) n° 3882/91 du Conseil, du 18 décembre 1991, fixant, pour certains stocks et groupes de stocks de poissons, les totaux admissibles des captures pour 1992 et certaines conditions dans lesquelles ils peuvent être pêchés (JO L 367, p. 1),



LA COUR (cinquième chambre),,



composée de MM. D. A. O. Edward (rapporteur), président de chambre, J.-P. Puissochet, J. C. Moitinho de Almeida, C. Gulmann et M. Wathelet, juges,

avocat général: M. N. Fennelly,
greffier: M. R. Grass,

vu le rapport du juge rapporteur,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 17 octobre 1995,

rend le présent



Arrêt



1
Par requête déposée au greffe de la Cour le 28 février 1995, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CE, un recours visant à faire constater que

en n'interdisant pas provisoirement la pêche par ses bateaux de poissons du stock d'anchois dans la zone CIEM VIII (ci-après la zone) de façon à assurer le respect des quotas qui lui avaient été attribués en 1991 et 1992 et

en ne poursuivant pas les responsables des activités de pêche et des activités connexes à la pêche sur ce même stock effectuées après les interdictions de pêche édictées par la Commission en 1991 et 1992,

la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 11, paragraphe 2, et 1 er du règlement (CEE) n° 2241/87 du Conseil, du 23 juillet 1987, établissant certaines mesures de contrôle à l'égard des activités de pêche (JO L 207, p. 1), tel que modifié par le règlement (CEE) n° 3483/88 du Conseil, du 7 novembre 1988 (JO L 306, p. 2), en liaison avec l'article 3 et les annexes du règlement (CEE) n° 3926/90 du Conseil, du 20 décembre 1990, fixant, pour certains stocks et groupes de stocks de poissons, les totaux admissibles des captures pour 1991 et certaines conditions dans lesquelles ils peuvent être pêchés (JO L 378, p. 1), et du règlement (CEE) n° 3882/91 du Conseil, du 18 décembre 1991, fixant, pour certains stocks et groupes de stocks de poissons, les totaux admissibles des captures pour 1992 et certaines conditions dans lesquelles ils peuvent être pêchés (JO L 367, p. 1).

2
Les articles 2, 3 et 4 du règlement (CEE) n° 170/83 du Conseil, du 25 janvier 1983, instituant un régime communautaire de conservation et de gestion des ressources de pêche (JO L 24, p. 1), permettent au Conseil de limiter les captures par stock, si cela s'avère nécessaire. Le volume des prises disponibles est réparti, sous forme de quotas, entre les États membres. Toutefois, en vertu de l'article 5, paragraphe 1, du même règlement, ces derniers peuvent échanger tout ou partie des quotas qui leur ont été attribués.

3
Conformément à l'article 5, paragraphe 2, du règlement n° 170/83, les États membres doivent déterminer, en conformité avec les dispositions communautaires applicables, les modalités d'utilisation de leurs quotas.

4
Le contrôle de ce régime de conservation est régi par le règlement n° 2241/87. Selon le paragraphe 1 de l'article 1 er de ce règlement, chaque État membre doit contrôler, sur son territoire et dans ses eaux maritimes, les bateaux de pêche et toutes les activités dont l'inspection devrait permettre de vérifier le respect de toute réglementation ayant trait aux mesures de conservation et de contrôle.

5
Lorsqu'une infraction est constatée, les autorités compétentes doivent, selon le paragraphe 2 du même article, intenter une action pénale ou administrative contre le capitaine du bateau ou toute autre personne responsable.

6
En vertu de l'article 9, paragraphe 2, du même règlement, les États membres sont tenus de notifier à la Commission, avant le 15 de chaque mois, les quantités de chaque stock qui, soumises à des quotas, ont été mises à terre au cours du mois précédent.

7
L'article 11, paragraphe 1, du même règlement dispose que toutes les captures d'un stock soumises à quotas et effectuées par les bateaux battant pavillon d'un État membre ou enregistrés dans un État membre sont imputées, pour ce stock, sur le quota applicable à cet État.

8
Conformément au paragraphe 2 de la même disposition, les États membres doivent fixer la date à laquelle les captures d'un stock soumises à quotas, effectuées par leurs bateaux, sont réputées avoir épuisé le quota considéré. A compter de cette date, les États membres doivent interdire provisoirement la pêche de poissons de ce stock par leurs bateaux, ainsi que la conservation à bord, le transbordement et le débarquement du même stock, pour autant que les captures ont été effectuées après cette date. Cette mesure doit être notifiée sans délai à la Commission.

9
A la suite d'une telle notification ou de sa propre initiative, la Commission, en vertu du paragraphe 3 de la même disposition, fixe la date à laquelle les captures d'un stock sont censées avoir épuisé le quota de l'État membre concerné. Selon le troisième alinéa du même paragraphe, dès cette date, les bateaux de l'État membre doivent cesser de pêcher l'espèce du stock en question. Ces bateaux doivent également cesser de retenir à bord, de transborder, de débarquer ou de faire transborder ou débarquer des captures de poissons de ce stock pour autant qu'elles ont été effectuées après cette date.

10
Dans les cas où les autorités compétentes d'un État membre constatent qu'un bateau de cet État a manqué aux règles de conservation ou aux mesures de contrôle, l'État membre peut, selon l'article 11 ter dudit règlement modifié, soumettre le bateau en question à des mesures de contrôle supplémentaires.

11
Sur la base du règlement n° 170/83, le Conseil a arrêté les règlements n° s 3926/90 et 3882/91. Ces règlements, dans leur article 3 et dans leur annexe, ont attribué à la République française des quotas pour le stock d'anchois dans la zone, qui s'élevaient, tant pour l'année 1991 que pour l'année 1992, à 3 000 tonnes.

12
L'article 5, paragraphe 1, de ces règlements interdisait la conservation à bord ou le débarquement des captures provenant de stocks pour lesquels des quotas avaient été fixés, sauf si les captures étaient effectuées par les navires d'un État membre disposant d'un quota et pour autant que celui-ci n'était pas épuisé.

13
Selon les statistiques fournies à la Commission par les autorités françaises, les captures du stock d'anchois dans la zone effectuées par les bateaux battant pavillon français ou les bateaux enregistrés en France (ci-après les bateaux français) pendant les deux premiers mois de l'année 1991 s'élevaient à 3 397,2 tonnes, sans que la République française ait pris des mesures de contrôle.

14
De sa propre initiative, la Commission a, dans l'article 1 er , second alinéa, du règlement (CEE) n° 1326/91, du 21 mai 1991, concernant l'arrêt de la pêche de l'anchois par les navires battant pavillon de la France (JO L 127, p. 11), interdit la pêche en question à partir du 24 mai 1991.

15
Selon les données rassemblées en fin d'exercice 1991 par les autorités françaises, le total des captures en question effectuées par les bateaux français avant l'interdiction décrétée par la Commission avait atteint un chiffre de 6 020,6 tonnes, alors que les captures pour le reste de cette année s'élevaient à 89 tonnes en juin, à 116 tonnes en juillet, à 62 tonnes en août, à 36 tonnes en septembre, à 63 tonnes en octobre et à des quantités inférieures en novembre et décembre, de sorte que le total pour l'année 1991 s'élevait à 6 402 tonnes.

16
S'agissant de l'année 1992, les autorités françaises ont, par une note du 2 avril 1992, informé la Commission que les captures de l'anchois dans la même zone pour la période allant du 1 er janvier au 29 mars s'étaient élevées à 3 473 tonnes.

17
La République française n'ayant pris aucune mesure de contrôle, la Commission a, dans l'article 1 er , second alinéa, du règlement (CEE) n° 942/92, du 13 avril 1992, concernant l'arrêt de la pêche de l'anchois par les navires battant pavillon de la France (JO L 101, p. 42), interdit la pêche en question à partir du 16 avril 1992.

18
Les chiffres définitifs fournis par les autorités françaises ont révélé que les captures litigieuses avaient atteint 5 213,9 tonnes à la fin du mois de mai 1992 et 5 559,4 tonnes à la fin du mois de juillet 1992.

19
Le 3 juillet 1992, la République française a pu obtenir du royaume d'Espagne un transfert de 6 000 tonnes du quota concerné, portant ainsi son quota annuel à 9 000 tonnes. Ce transfert a permis à la Commission, par le règlement (CEE) n° 2265/92, du 31 juillet 1992 (JO L 220, p. 5), d'abroger le règlement n° 942/92 et, donc, de rouvrir la pêche en cause.

20
A la fin du mois de septembre 1992, les captures s'élevaient à 8 995,4 tonnes, tandis qu'elles ont atteint 12 781 tonnes à la fin du mois de novembre 1992 et 14 013 tonnes à la fin de cette année. Les autorités françaises n'ont cependant pris aucune mesure de fermeture de la pêche en cause pendant cette année.

21
La Commission considère dès lors que, en ne prenant pas les mesures nécessaires pour interdire la pêche du stock d'anchois dans la zone en 1991 et en 1992 et en ne poursuivant pas les responsables des activités de pêche sur ce même stock effectuées après les interdictions édictées par la Commission, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 11, paragraphe 2, et 1 er du règlement n° 2241/87.

Sur le premier grief

22
A l'appui de son premier grief, la Commission fait valoir que l'article 11, paragraphe 2, du règlement n° 2241/87 exige que les États membres préviennent l'épuisement de leurs quotas et qu'ils prennent les mesures nécessaires pour interdire provisoirement toute activité de pêche avant même qu'un quota ne soit épuisé.

23
En ce qui concerne l'année 1991, elle considère que la République française aurait dû, au plus tard dans le courant du mois de février 1991, procéder à l'interdiction provisoire de la pêche pour le stock concerné par les bateaux français.

24
S'agissant de l'année 1992, la République française aurait dû adopter, avant la fin du mois de février, des mesures de contrôle afin d'assurer que son quota initial ne serait pas dépassé. De même, dès le moment où l'épuisement du quota augmenté était imminent, elle aurait dû interdire la pêche concernée par ses bateaux.

25
Le gouvernement français ne conteste pas que les captures en question ont dépassé les quotas alloués à la République française ni qu'aucune mesure de contrôle, telle que celle exigée par l'article 11, paragraphe 2, du règlement n° 2241/87, n'a été prise par les autorités françaises concernées tant pour l'année 1991 que pour l'année 1992.

26
Quant à l'année 1991, il fait toutefois valoir que la fermeture tardive de la pêche était due aux faiblesses du système statistique alors en vigueur.

27
Cet argument ne saurait être retenu.

28
D'abord, en ce qui concerne le système statistique en vigueur en 1991, il est de jurisprudence constante (voir arrêt du 20 mars 1990, Commission/France, C-62/89, Rec. p. I-925, point 23) qu'un État membre ne saurait invoquer des difficultés pratiques pour justifier le défaut de mise en oeuvre de mesures de contrôle appropriées. Au contraire, il appartient aux États membres, chargés de l'exécution des réglementations communautaires dans le secteur des produits de pêche, de surmonter ces difficultés en prenant les mesures appropriées.

29
Ensuite, il y a lieu de rappeler que, dans l'arrêt du 8 juin 1993, Commission/Pays-Bas (C-52/91, Rec. p. I-3069, point 26), la Cour a jugé que l'article 10, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 2057/82 du Conseil, du 29 juin 1982, établissant certaines mesures de contrôle à l'égard des activités de pêche exercées par les bateaux des États membres (JO L 220, p. 1), qui a été abrogé, mais qui était libellé de la même manière que l'article 11, paragraphe 2, du règlement n° 2241/87, obligeait les États membres à prendre des mesures contraignantes pour interdire provisoirement toute activité de pêche avant même que les quotas ne soient épuisés.

30
Il y a lieu de considérer que l'article 11, paragraphe 2, du règlement n° 2241/87 impose aux États membres la même obligation.

31
Il convient dès lors de constater que, en n'interdisant pas provisoirement la pêche en cause, tant en 1991 qu'en 1992, avant l'épuisement du quota qui lui avait été alloué pour ces années, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 11, paragraphe 2, du règlement n° 2241/87.

Sur le second grief

32
Quant à son second grief, la Commission considère que la continuation par des bateaux français des activités de pêche et des activités connexes pour le stock en cause, après que les règlements n° s 1326/91 et 942/92 ont édicté des interdictions à cet égard, constitue une infraction par les responsables de ces bateaux tant au troisième alinéa de l'article 11, paragraphe 3, du règlement n° 2241/87 qu'aux articles 5 des règlements n° s 3926/90 et 3882/91. A cet égard, elle fait valoir que, en vertu de l'article 1 er , paragraphe 2, du règlement n° 2241/87, les autorités françaises avaient l'obligation d'intenter une action pénale ou administrative contre les responsables de ces infractions.

33
Le gouvernement français ne conteste pas que les autorités compétentes n'ont pas intenté de poursuites à l'encontre des responsables des activités concernées par le présent recours.

34
Selon l'article 1 er , paragraphe 2, du règlement n° 2241/87, dans le cas où les autorités compétentes d'un État membre constatent que la réglementation en matière de conservation et de contrôle de la pêche n'est pas respectée, elles sont tenues d'intenter une action pénale ou administrative.

35
Si les autorités compétentes d'un État membre s'abstenaient systématiquement de poursuivre les responsables de telles infractions, tant la conservation et la gestion des ressources de pêche que l'application uniforme de la politique commune de la pêche seraient compromises.

36
Il en découle que, à partir des dates fixées par la Commission pour l'interdiction de la pêche en cause, la République française était tenue d'intenter une action pénale ou administrative contre les responsables de la continuation des activités de pêche en question, ainsi que des activités connexes, telles que définies à l'article 11, paragraphe 3, troisième alinéa, du règlement n° 2241/87 et à l'article 5 des règlements n° s 3926/90 et 3882/91, précités.

37
Pour l'année 1992, le gouvernement français fait toutefois valoir que la campagne de pêche de l'anchois s'est déroulée dans un climat socio-économique tellement difficile que l'on pouvait craindre d'importants troubles de nature à engendrer de graves difficultés économiques. Les autorités compétentes ont donc été contraintes de s'abstenir de poursuivre les responsables d'infractions.

38
Cet argument ne saurait être accueilli. En effet, la simple crainte de difficultés internes ne saurait justifier l'omission d'appliquer le régime en cause.

39
Il y a dès lors lieu de constater que, en omettant de poursuivre les responsables des activités de pêche et des activités connexes à la pêche sur le stock en cause effectuées après les interdictions de pêche édictées par la Commission en 1991 et 1992, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 1 er du règlement n° 2241/87.


Sur les dépens

40
Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La République française ayant succombé et la Commission ayant conclu en ce sens, il y a lieu de condamner la première aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre)

déclare et arrête:

1)
En n'interdisant pas provisoirement la pêche par ses bateaux de poissons du stock d'anchois dans la zone CIEM VIII de façon à assurer le respect des quotas qui lui avaient été attribués en 1991 et 1992, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 11, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 2241/87 du Conseil, du 23 juillet 1987, établissant certaines mesures de contrôle à l'égard des activités de pêche.

2)
En omettant de poursuivre les responsables des activités de pêche et des activités connexes à la pêche sur le stock en cause effectuées après les interdictions de pêche édictées par la Commission en 1991 et 1992, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 1 er du règlement n° 2241/87, précité.

3)
La République française est condamnée aux dépens.

Edward

Puissochet

Moitinho de Almeida

Gulmann

Wathelet

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 7 décembre 1995.

Le greffier

Le président de la cinquième chambre

R. Grass

D. A. O. Edward


1
Langue de procédure: le français.