61995J0015

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 17 avril 1997. - EARL de Kerlast contre Union régionale de coopératives agricoles (Unicopa) et Coopérative du Trieux. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal de grande instance de Morlaix - France. - Prélèvement supplémentaire sur la lait - Quantité de référence - Conditions de transfert - Cession temporaire - Société en participation entre producteurs. - Affaire C-15/95.

Recueil de jurisprudence 1997 page I-01961


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


1 Agriculture - Organisation commune des marchés - Lait et produits laitiers - Prélèvement supplémentaire sur le lait - Règles relatives au transfert de quantités de référence suite au transfert d'une exploitation - «Location» - Notion - Constitution d'une société par des producteurs en vue de réaliser la valeur marchande des quantités de référence attribuées à l'un des associés - Exclusion - Conditions

(Règlements du Conseil n_ 804/68, art. 5 quater, tel que modifié par le règlement n_ 856/84, et n_ 857/84, art. 7)

2 Agriculture - Organisation commune des marchés - Lait et produits laitiers - Prélèvement supplémentaire sur le lait - Notion de producteur - Preneur à bail d'une exploitation - Nécessité d'une reprise personnelle effective de la production

(Règlement du Conseil n_ 857/84, art. 12, c))

3 Agriculture - Organisation commune des marchés - Discrimination entre producteurs ou consommateurs - Prélèvement supplémentaire sur le lait - Exercice d'une activité laitière par des groupements de producteurs - Autorisation, par un État membre, de certaines formes de sociétés à l'exclusion d'autres susceptibles de favoriser un exercice non conforme à la réglementation communautaire - Absence de discrimination

(Traité CE, art. 40, § 3)

Sommaire


4 Dans le cadre du régime des quantités de référence exemptes du prélèvement supplémentaire sur le lait, une quantité de référence n'est, en principe, transférée que par le transfert des terres de l'exploitation auxquelles elle est affectée, à condition que ce transfert respecte les formes et conditions prévues par la réglementation communautaire. A cet égard et s'agissant plus particulièrement d'un transfert par voie de location d'une exploitation, l'article 7 du règlement n_ 857/84 doit être interprété en ce sens que ne peut être assimilée à une location la constitution, par des producteurs, d'une société de droit national lorsque celle-ci a pour but et pour effet de réaliser la valeur marchande des quantités de référence d'un des associés au profit de certains d'entre eux, par le seul transfert des quantités de cet associé aux autres, sans transfert des terres de l'exploitation auxquelles ces quantités sont affectées et sans que les associés, en leur qualité de producteurs, aient l'intention de poursuivre l'activité de l'exploitation en cause. Ledit article ne peut pas non plus s'appliquer à la constitution d'une telle forme de société si celle-ci est considérée en tant que moyen d'adaptation structurelle nécessaire de la production laitière au sens de l'article 5 quater du règlement n_ 804/68, tel que modifié par le règlement n_ 856/84.$

5 L'article 12, sous c), du règlement n_ 857/84, qui définit la notion de producteur aux fins de l'application du régime de prélèvement sur le lait, doit être interprété en ce sens qu'il impose en principe une reprise personnelle effective de la production par le preneur à bail d'une exploitation pour que celui-ci puisse être considéré comme producteur au sens de cette disposition.$

6 L'article 40, paragraphe 3, deuxième alinéa, du traité ne s'oppose pas à ce qu'un État membre autorise, pour exercer une activité laitière, le recours à certaines formes de sociétés de droit national, telles que le GAEC (groupement agricole d'exploitation en commun) partiel laitier, alors qu'il interdit le recours à d'autres formes de sociétés, comme la société en participation, dans la mesure où ces dernières risquent de favoriser des formes de production non conformes à la réglementation communautaire relative au prélèvement supplémentaire sur le lait.$

En effet, les situations concernées par ces deux formes de sociétés ne sont pas comparables car, dans le GAEC partiel laitier, les associés participent personnellement et effectivement au travail de production laitière, tandis que, dans la société en participation, le travail de production peut être mis à la charge d'un seul associé. Par ailleurs, pour permettre un contrôle administratif efficace de l'application du régime, un État membre doit être à même d'exclure certaines formes de sociétés facilitant un exercice non conforme au régime communautaire sans encourir le risque d'enfreindre le principe de non-discrimination.

Parties


Dans l'affaire C-15/95,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par le tribunal de grande instance de Morlaix (France) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

EARL de Kerlast

et

Union régionale de coopératives agricoles (Unicopa),

Coopérative du Trieux,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 40, paragraphe 3, du traité CE, de l'article 1er du règlement (CEE) n_ 856/84 du Conseil, du 31 mars 1984, modifiant le règlement (CEE) n_ 804/68 portant organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers (JO L 90, p. 10), et des articles 3 bis, 7 et 12, sous c), du règlement (CEE) n_ 857/84 du Conseil, du 31 mars 1984, portant règles générales pour l'application du prélèvement visé à l'article 5 quater du règlement (CEE) n_ 804/68 dans le secteur du lait et des produits laitiers (JO L 90, p. 13),

LA COUR

(sixième chambre),

composée de MM. J. L. Murray, président de la quatrième chambre, faisant fonction de président de la sixième chambre, C. N. Kakouris, P. J. G. Kapteyn, G. Hirsch (rapporteur) et H. Ragnemalm, juges,

avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,

greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

considérant les observations écrites présentées:

- pour l'EARL de Kerlast, par Me Evelyne Brulé, avocat au barreau de Morlaix,

- pour le gouvernement français, par Mme Edwige Belliard, directeur adjoint à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et M. Jean-Louis Falconi, secrétaire des affaires étrangères à la même direction, en qualité d'agents,

- pour le Conseil de l'Union européenne, par M. Arthur Brautigam, conseiller juridique, en qualité d'agent,

- pour la Commission des Communautés européennes, par M. Gérard Rozet, conseiller juridique, en qualité d'agent,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de l'EARL de Kerlast, représentée par Me Jean-Noël Moal, avocat au barreau de Morlaix, du gouvernement français, représenté par M. Frédéric Pascal, attaché d'administration centrale à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, et de la Commission, représentée par M. Gérard Rozet, conseiller juridique, en qualité d'agent, à l'audience du 20 juin 1996,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 11 juillet 1996,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par jugement du 14 décembre 1994, parvenu à la Cour le 18 janvier 1995, le tribunal de grande instance de Morlaix a posé, en application de l'article 177 du traité CE, trois questions relatives à l'interprétation de l'article 40, paragraphe 3, du même traité, de l'article 1er du règlement (CEE) n_ 856/84 du Conseil, du 31 mars 1984, modifiant le règlement (CEE) n_ 804/68 portant organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers (JO L 90, p. 10), et des articles 3 bis, 7 et 12, sous c), du règlement (CEE) n_ 857/84 du Conseil, du 31 mars 1984, portant règles générales pour l'application du prélèvement visé à l'article 5 quater du règlement (CEE) n_ 804/68 dans le secteur du lait et des produits laitiers (JO L 90, p. 13).

2 Les questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant l'EARL de Kerlast, une entreprise agricole à responsabilité limitée, à la Coopérative du Trieux, une laiterie, et à l'Union régionale de coopératives agricoles (ci-après l'«Unicopa»), à laquelle la Coopérative du Trieux est affiliée, au sujet de l'imputation, sur la quantité de référence de l'EARL de Kerlast, des quantités de lait qu'elle a produites dans le cadre d'une société en participation constituée avec M. Kergus, un autre producteur, lui-même détenteur d'une quantité de référence.

3 L'EARL de Kerlast exerce une activité de production laitière et dispose, à ce titre, d'une quantité de référence individuelle de 363 045 litres de lait. M. Kergus possède le double statut d'exploitant agricole et de chauffeur routier. En sa qualité d'exploitant agricole, il disposait d'une quantité individuelle de 144 245 litres.

4 Le 11 septembre 1992, l'EARL de Kerlast et M. Kergus ont, par acte sous seing privé, créé une société en participation (ci-après la «SEP») pour «permettre l'exploitation de la référence laitière de M. Kergus...». Il ressort du jugement de renvoi que, en droit français, cette forme de société est dépourvue de personnalité morale, qu'elle n'est pas opposable aux tiers et qu'elle a un caractère occulte. La SEP a ensuite ouvert un compte bancaire alimenté par le produit de ses ventes de lait à la Coopérative du Trieux au cours de la campagne 1992/1993. Environ 20 % du montant ainsi porté au crédit de ce compte ont été prélevés au profit de M. Kergus.

5 En octobre 1993, la Coopérative du Trieux a mis fin à cet arrangement. En effet, elle s'est vue grevée, en sa qualité d'acheteur, d'un prélèvement supplémentaire pour dépassement de sa quantité de référence en raison, du moins partiellement, de la quantité de lait achetée à la SEP. La Coopérative du Trieux a alors imputé la totalité de cette quantité sur le compte de l'EARL de Kerlast et lui a fait supporter la charge du prélèvement supplémentaire pour ces livraisons. Celle-ci a alors dû payer des amendes pour dépassement de sa quantité de référence individuelle.

6 Le 1er avril 1994, l'EARL de Kerlast a dès lors assigné la Coopérative du Trieux et Unicopa devant le tribunal de grande instance de Morlaix afin d'obtenir l'annulation rétroactive de l'imputation, sur son compte, des quantités de lait produites par la SEP, le paiement de l'intégralité de sa production laitière ainsi que des dommages et intérêts.

7 Estimant que la solution du litige pendant devant lui nécessitait l'interprétation du droit communautaire, le tribunal de grande instance de Morlaix a sursis à statuer et a saisi la Cour, en application de l'article 177 du traité, des trois questions suivantes:

«1) L'article 7 du règlement communautaire n_ 857/84 peut-il être interprété comme interdisant la constitution de sociétés en participation (par nature dépourvues de personnalité morale, non opposables aux tiers et de caractère occulte) par les producteurs comme constituant des locations déguisées de quotas ou autorisées comme adaptations structurelles nécessaires au sens de l'article 1er du règlement n_ 856/84?

2) L'article 12, sous c), du règlement n_ 857/84 et l'article 3 bis du règlement n_ 764/89 doivent-ils être interprétés comme imposant une reprise personnelle effective de la production?

3) L'article 40, paragraphe 3, du traité de la Communauté économique européenne s'oppose-t-il à ce que l'État membre, en application du règlement n_ 857/84 du 31 mars 1984 (modifié par le règlement n_ 764/89 du 20 mars 1989), prenne une décision d'interdiction des sociétés en participation et d'autorisation de GAEC partiels laitiers? (circulaire n_ 4019 du 20 novembre 1989 DPE/SPM/C 89; circulaire n_ 7051 du 14 novembre 1991 DEPSE/SDSA C91)»

Sur le contexte réglementaire

8 En vertu de l'article 5 quater, paragraphe 1, premier alinéa, deuxième phrase, du règlement (CEE) n_ 804/68 du Conseil, du 27 juin 1968 (JO L 148, p. 13), tel que modifié par le règlement n_ 856/84, le prélèvement supplémentaire institué par ce dernier règlement a «pour objectif de maîtriser la croissance de la production laitière tout en permettant les évolutions et les adaptations structurelles nécessaires».

9 Aux termes du second alinéa de la même disposition, le régime du prélèvement est mis en oeuvre dans chaque région du territoire des États membres selon la formule A (formule producteurs) ou la formule B (formule acheteurs). Selon la dernière formule, un prélèvement est dû par tout acheteur de lait ou d'autres produits laitiers sur les quantités de lait ou d'équivalent lait qui lui ont été livrées par des producteurs et qui, pendant la période de douze mois en cause, dépassent une quantité de référence à déterminer. La République française a retenu cette dernière formule et a choisi l'année 1983 comme année de référence.

10 S'agissant du transfert d'une telle quantité de référence, l'article 7, paragraphe 1, du règlement n_ 857/84, tel que modifié par le règlement (CEE) n_ 590/85 du Conseil, du 26 février 1985 (JO L 68, p. 1), dispose que, «En cas de vente, location ou transmission par héritage d'une exploitation, la quantité de référence correspondante est transférée totalement ou partiellement à l'acquéreur, au locataire ou à l'héritier selon des modalités à déterminer».

11 L'article 7 du règlement (CEE) n_ 1546/88 de la Commission, du 3 juin 1988, fixant les modalités d'application du prélèvement supplémentaire visé à l'article 5 quater du règlement (CEE) n_ 804/68 (JO L 139, p. 12), prévoit à cet égard:

«Pour l'application de l'article 7 du règlement (CEE) n_ 857/84, et sans préjudice du paragraphe 3 dudit article, les quantités de référence des producteurs et des acheteurs, dans le cadre des formules A et B, et des producteurs vendant directement à la consommation sont transférées dans les conditions suivantes:

1) en cas de vente, location ou transmission par héritage de la totalité d'une exploitation, la quantité de référence correspondante est transférée au producteur qui reprend l'exploitation;

2) ...

3) les dispositions des points 1 et 2 ... sont applicables selon les différentes réglementations nationales, par analogie aux autres cas de transfert qui comportent des effets juridiques comparables pour les producteurs».

12 Enfin, quant à la notion de producteur, l'article 12, sous c), du règlement n_ 857/84 contient la définition suivante:

«c) producteur: l'exploitant agricole, personne physique ou morale ou groupement de personnes physiques ou morales dont l'exploitation est située sur le territoire géographique de la Communauté:

- qui vend du lait ou d'autres produits laitiers directement au consommateur

- et/ou qui livre à l'acheteur».

13 En France, ces dispositions ont été mises en oeuvre, notamment, par le décret n_ 84-661 du 17 juillet 1984 (JORF du 21 juillet 1984, p. 2373), abrogé par le décret n_ 91-157 du 11 février 1991 (JORF du 13 février 1991, p. 2199), et le décret n_ 87-608 du 31 juillet 1987 relatif aux transferts de quantités de référence laitières (JORF du 8 août 1987, p. 8727).

14 Cette réglementation soumet la transmission des quotas à une autorisation administrative et impose la déduction d'un certain pourcentage au profit de la réserve nationale pour certaines catégories de transfert dont celle en cause dans le litige au principal.

Sur la première question

15 Par sa première question qui se divise en deux parties, la juridiction nationale demande, en substance, si l'article 7 du règlement n_ 857/84 doit être interprété en ce sens que la constitution de sociétés en participation par des producteurs de lait peut être assimilée à la location et, dans la négative, si cette disposition s'applique à la constitution d'une telle forme de société considérée en tant que moyen d'adaptation structurelle nécessaire au sens de l'article 5 quater du règlement n_ 804/68, tel que modifié par le règlement n_ 856/84.

16 Dans la mesure où la question nécessite l'examen du statut juridique, au regard du droit national, de la société concernée, il convient de rappeler, à titre liminaire, que, si la Cour n'a pas compétence, aux termes de l'article 177 du traité, pour appliquer la règle communautaire à un litige déterminé et, partant, pour qualifier une disposition de droit national au regard de cette règle, elle peut cependant, dans le cadre de la coopération judiciaire instaurée par cet article, à partir des éléments du dossier, fournir à la juridiction nationale les éléments d'interprétation du droit communautaire qui pourraient lui être utiles dans l'appréciation des effets de cette disposition (arrêt du 8 décembre 1987, Gauchard, 20/87, Rec. p. 4879, point 5).

Sur la première partie de la première question

17 Il est de jurisprudence constante que l'ensemble du régime des quantités de référence se fonde sur le principe général posé par les articles 7 des règlements nos 857/84 et 1546/88, selon lequel la quantité de référence est attribuée en relation avec la terre et doit, de ce fait, être transférée avec celle qui a donné lieu à son attribution (voir, en ce sens, arrêt du 23 janvier 1997, St. Martinus Elten, C-463/93, non encore publié au Recueil, point 24, et arrêts du 27 janvier 1994, Herbrink, C-98/91, Rec. p. I-223, point 13, et Le Nan, C-189/92, Rec. p. I-261, point 12).

18 Le règlement (CEE) n_ 3950/92 du Conseil, du 28 décembre 1992, établissant un prélèvement supplémentaire dans le secteur du lait et des produits laitiers (JO L 405, p. 1), applicable à partir du 1er avril 1993, a mis en oeuvre ce principe lors du renouvellement du régime des quantités de référence. Son article 7, paragraphe 1, premier alinéa, prévoit en effet que «La quantité de référence ... est transférée avec l'exploitation en cas de vente, location ou transmission par héritage aux producteurs qui la reprennent...».

19 Dès lors, en principe, une quantité de référence n'est transférée que par le transfert des terres de l'exploitation auxquelles elle est affectée, à condition que ce transfert respecte les formes et conditions prévues à cet égard aux articles 7 des règlements nos 857/84 et 1546/88. En d'autres termes, le régime des quantités de référence exclut le transfert isolé des seules quantités de référence, sauf dans les cas de dérogation prévus par le droit communautaire.

20 Comme l'a précisé la Commission, le législateur communautaire a en effet dérogé à ce principe dans diverses hypothèses. Toutefois, il est constant qu'aucune d'elles n'est applicable en l'espèce. En particulier, le régime de la cession temporaire des quantités de référence, que le règlement (CEE) n_ 2998/87 du Conseil, du 5 octobre 1987, modifiant le règlement (CEE) n_ 804/68 (JO L 285, p. 1), permet aux États de mettre en oeuvre, ne saurait être appliqué aux producteurs français, la République française n'ayant pas fait usage de ce pouvoir.

21 S'agissant des formes et des conditions auxquelles sont soumis les transferts des quantités de référence, il convient de relever que les articles 7 des règlements nos 857/84 et 1546/88 ne mentionnent que la vente, la location ou la transmission par héritage de l'exploitation, ainsi que les opérations à effets juridiques comparables. C'est au juge national qu'il incombe d'établir, en vertu des règles de droit national, si l'opération qui lui est soumise peut être qualifiée de vente, de location ou si elle a des effets comparables au sens de cette réglementation (voir, en ce sens, arrêt St. Martinus Elten, précité, point 32).

22 Toutefois, la Cour a précisé à cet égard que le terme «location» implique un changement de la possession des unités de production en cause dans le cadre des relations contractuelles créées par le bail en question et vise tout transfert, à titre onéreux, du droit d'usage de l'exploitation, quelle que soit sa forme juridique (voir arrêts du 13 juillet 1989, Wachauf, 5/88, Rec. p. 2609, point 15, et du 22 octobre 1991, Von Deetzen II, C-44/89, Rec. p. I-5119, point 37).

23 Conformément à l'article 7, premier alinéa, point 3, du règlement n_ 1546/88, peut également être considérée comme relevant de la notion de location toute opération indépendamment de la forme juridique sous laquelle elle est effectuée, qui comporte des effets comparables à ceux d'une location. Celle-ci peut dès lors notamment inclure les transactions conclues dans le cadre de la constitution d'une association ou d'un groupe de personnes et portant sur l'exploitation concernée, pourvu que la transaction en cause soit aménagée de telle sorte que, d'après son but et son objet, elle vise principalement à la poursuite de l'activité de l'exploitation par l'association ou le groupe de personnes et que celle-ci ou celui-ci n'ait pas été constitué dans l'unique but de réaliser la valeur marchande de cette exploitation (voir, pour les opérations analogues à l'héritage, arrêt Von Deetzen II, précité, point 38). Cette exclusion des transactions dont l'objectif est de réaliser simplement la valeur marchande, qui ne visait jusqu'à présent, selon la jurisprudence de la Cour, que le preneur à bail, doit également s'appliquer, pour les mêmes motifs et dans le même but, à un propriétaire et bailleur.

24 Dans l'hypothèse d'une location au sens des articles 7 des règlements nos 857/84 et 3950/92, le preneur à bail ne peut bénéficier de la quantité de référence affectée aux terres appartenant à l'exploitation que pour autant qu'il ait, en tant qu'exploitant agricole, la qualité de producteur au sens de l'article 12, sous c), du règlement no 857/84. En effet, pour le cas de l'octroi d'une quantité de référence, l'arrêt du 15 janvier 1991, Ballmann (C-341/89, Rec. p. I-25), a indiqué qu'il découle de l'économie générale de la réglementation sur le prélèvement supplémentaire sur le lait qu'une quantité de référence ne peut être attribuée à un exploitant agricole que dans la mesure où celui-ci a la qualité de producteur. Aussi, en cas de transfert d'une quantité de référence déjà attribuée, un cessionnaire qui reprend les terres doit avoir cette qualité de producteur pour qu'il puisse bénéficier d'un transfert de la quantité de référence y attachée. Dès lors, un transfert, par voie de location, d'une quantité de référence avec la terre à laquelle elle est attachée ne peut s'effectuer conformément à l'article 7, premier alinéa, point 1, du règlement n_ 1546/88 et à l'article 7, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement n_ 3950/92 que si le preneur a la qualité de producteur.

25 Selon la jurisprudence de la Cour, la notion de producteur, telle qu'elle ressort des définitions combinées de l'article 12, sous c) et d), du règlement n_ 857/84 vise un exploitant agricole qui, aux fins de la production laitière, gère un ensemble d'unités de production sous sa propre responsabilité (arrêt Herbrink, précité, point 20). Si le bail est réalisé sous la forme d'une constitution d'association ou de groupe de personnes physiques et morales dans les conditions énoncées ci-dessus, c'est à l'ensemble des personnes composant l'association ou le groupe de satisfaire aux conditions nécessaires que doit remplir un producteur (arrêt Herbrink, précité, point 21).

Sur la seconde partie de la première question

26 S'il est vrai que l'article 5 quater du règlement n_ 804/68, tel que modifié par le règlement n_ 856/84, vise à permettre les adaptations structurelles nécessaires, il n'en demeure pas moins que cet objectif ne peut être poursuivi que dans les formes et sous les conditions précises prévues à cet effet par le régime du prélèvement sur le lait. A défaut, l'application uniforme de ce dernier risquerait en effet d'être compromise par des réglementations nationales divergentes.

27 Or, comme M. l'avocat général l'a exposé aux points 32 et suivants de ses conclusions, aucune des dispositions du régime de prélèvement ne permet à un producteur se trouvant dans la situation du demandeur au principal de faire usage, en vue d'une adaptation structurelle nécessaire, d'une quantité de référence attribuée à un autre producteur dans une forme autre que celles prévues par l'article 7 du règlement n_ 857/84.

28 Sur la base des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l'article 7 du règlement n_ 857/84 doit être interprété en ce sens que ne peut être assimilée à une location la constitution d'une société de droit national si celle-ci a pour but et pour effet de réaliser, par le seul transfert des quantités de référence d'un des associés, sans transfert des terres de l'exploitation auxquelles elles sont affectées, la valeur marchande de ces quantités au profit de certains des associés, sans que les associés, en leur qualité de producteurs, aient l'intention de poursuivre l'activité de l'exploitation. L'article 7 du règlement n_ 857/84 ne peut pas non plus s'appliquer à la constitution d'une telle forme de société considérée en tant que moyen d'adaptation structurelle nécessaire au sens de l'article 5 quater du règlement n_ 804/68, tel que modifié par le règlement n_ 856/84.

Sur la deuxième question

29 La deuxième question qui porte sur l'interprétation de l'article 12, sous c), du règlement n_ 857/84 et de l'article 3 bis de ce règlement, tel que modifié par le règlement (CEE) n_ 764/89 du Conseil, du 20 mars 1989 (JO L 84, p. 2), dans le sens que ces dispositions imposent une reprise personnelle effective de la production, est sans pertinence en ce qu'elle concerne l'article 3 bis du règlement n_ 857/84, tel que modifié.

30 Il ressort en effet de l'arrêt du 21 mars 1991, Rauh (C-314/89, Rec. p. I-1647, point 10), que cette dernière disposition vise en substance à garantir que les producteurs qui n'ont pas, en exécution d'un engagement pris au titre du règlement (CEE) n_ 1078/77 du Conseil, du 17 mai 1977, instituant un régime de prime de non-commercialisation du lait et des produits laitiers et de reconversion de troupeaux bovins à orientation laitière (JO L 131, p. 1), livré de lait pendant l'année de référence obtiennent, dans certaines conditions, une quantité de référence spécifique.

31 Or, il est constant que M. Kergus ne fait pas partie de cette catégorie de producteurs.

32 Dans la mesure où la deuxième question vise l'obligation, pour un preneur à bail, de reprendre personnellement et effectivement la production, il suffit de se reporter au point 25 du présent arrêt.

33 Il convient donc de répondre à la deuxième question que l'article 12, sous c), du règlement no 857/84 doit être interprété en ce sens qu'il impose en principe une reprise personnelle effective de la production.

Sur la troisième question

34 Par sa troisième question, le juge national demande en substance si le principe d'égalité énoncé à l'article 40, paragraphe 3, deuxième alinéa, du traité s'oppose à ce qu'un État membre autorise, pour exercer une activité laitière, le recours à certaines formes de sociétés de droit national, telles que le groupement agricole d'exploitation en commun (ci-après le «GAEC») partiel laitier, alors qu'il interdit le recours à d'autres formes de sociétés comme la société en participation.

35 Selon une jurisprudence bien établie, l'article 40, paragraphe 3, deuxième alinéa, qui vise, dans le cadre de la politique agricole commune, l'interdiction de discrimination, n'est que l'expression spécifique du principe général d'égalité qui fait partie des principes fondamentaux du droit communautaire et qui exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale à moins qu'une différenciation ne soit objectivement justifiée (arrêt du 20 septembre 1988, Espagne/Conseil, 203/86, Rec. p. 4563, point 25).

36 Il est également de jurisprudence constante que, dans la mesure où les États membres sont liés par les principes fondamentaux du droit communautaire lorsqu'ils mettent en oeuvre des réglementations communautaires, cette règle s'applique à des dispositions nationales qui, telles celles en cause en l'espèce, déterminent, en application de la réglementation communautaire sur le lait, les formes d'exploitation en commun des quantités de lait (arrêts du 14 juillet 1994, Graff, C-351/92, Rec. p. I-3361, point 17, et du 24 mars 1994, Bostock, C-2/92, Rec. p. I-955, point 16).

37 En l'occurrence, il convient de constater que la circulaire n_ 7051 du ministère de l'Agriculture du 14 novembre 1991 relative au transfert de la référence laitière ainsi que la circulaire n_ 7008 du 25 mars 1993 du même ministère visant les GAEC partiels laitiers, adoptées dans le cadre des décrets mentionnés au point 13 du présent arrêt, réservent un traitement différent aux producteurs qui sont regroupés au sein d'une société en participation et à ceux regroupés dans un GAEC partiel laitier dans la mesure où seuls les premiers se voient interdire l'exercice d'une activité laitière.

38 Ce traitement différent ne saurait pas être constitutif d'une violation du principe de non-discrimination. En effet, les situations concernées par ces deux formes de sociétés ne sont pas comparables dans la mesure où, comme l'a relevé M. l'avocat général au point 45 de ses conclusions, dans le GAEC partiel laitier, les associés participent personnellement et effectivement au travail de production laitière, tandis que, dans la société en participation, le travail de production peut être mis à la charge d'un seul associé. Cette dernière forme de société est donc de nature à favoriser des formes de production qui ne sont pas conformes au règlement communautaire en cause.

39 A cet égard, il convient de préciser que, pour permettre un contrôle administratif efficace de l'application du régime, un État membre doit être à même d'exclure certaines formes de sociétés facilitant un exercice non conforme au régime communautaire sans encourir le risque d'enfreindre le principe de non-discrimination.

40 Il convient dès lors de répondre à la troisième question que l'article 40, paragraphe 3, deuxième alinéa, du traité ne s'oppose pas à ce qu'un État membre autorise, pour exercer une activité laitière, le recours à certaines formes de sociétés de droit national, telles que le GAEC partiel laitier, alors qu'il interdit le recours à d'autres formes de sociétés, comme la société en participation, dans la mesure où ces dernières risquent de favoriser des formes de production non conformes à la réglementation communautaire.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

41 Les frais exposés par le gouvernement français ainsi que par le Conseil de l'Union européenne et la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR

(sixième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le tribunal de grande instance de Morlaix, par jugement du 14 décembre 1994, dit pour droit:

1) L'article 7 du règlement (CEE) n_ 857/84 du Conseil, du 31 mars 1994, portant règles générales pour l'application du prélèvement visé à l'article 5 quater du règlement (CEE) n_ 804/68 dans le secteur du lait et des produits laitiers, doit être interprété en ce sens que ne peut être assimilée à une location la constitution d'une société de droit national si celle-ci a pour but et pour effet de réaliser, par le seul transfert des quantités de référence d'un des associés, sans transfert des terres de l'exploitation auxquelles elles sont affectées, la valeur marchande de ces quantités au profit de certains des associés, sans que les associés, en leur qualité de producteurs, aient l'intention de poursuivre l'activité de l'exploitation. L'article 7 du règlement n_ 857/84 ne peut pas non plus s'appliquer à la constitution d'une telle forme de société considérée en tant que moyen d'adaptation structurelle nécessaire au sens de l'article 5 quater du règlement (CEE) n_ 804/68 du Conseil, du 27 juin 1968, portant organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers, tel que modifié par le règlement (CEE) n_ 856/84 du Conseil, du 31 mars 1984.

2) L'article 12, sous c), du règlement n_ 857/84 doit être interprété en ce sens qu'il impose en principe une reprise personnelle effective de la production.

3) L'article 40, paragraphe 3, deuxième alinéa, du traité ne s'oppose pas à ce qu'un État membre autorise, pour exercer une activité laitière, le recours à certaines formes de sociétés de droit national, telles que le GAEC partiel laitier, alors qu'il interdit le recours à d'autres formes de sociétés, comme la société en participation, dans la mesure où ces dernières risquent de favoriser des formes de production non conformes à la réglementation communautaire.