61995C0178

Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 19 septembre 1996. - Wiljo NV contre Belgische Staat. - Demande de décision préjudicielle: Rechtbank van Koophandel Antwerpen - Belgique. - Assainissement structurel de la navigation intérieure - Contribution spéciale - Exclusion des 'bateaux spécialisés' - Décision de la Commission rejetant une demande d'exemption - Décision n'ayant pas été attaquée sur le fondement de l'article 173 du traité - Contestation de la validité de la décision devant le juge national. - Affaire C-178/95.

Recueil de jurisprudence 1997 page I-00585


Conclusions de l'avocat général


1 Dans la présente affaire, le Rechtbank van koophandel te Antwerpen a invité la Cour à se prononcer à titre préjudiciel sur l'interprétation du règlement (CEE) n_ 1101/89 du Conseil, du 27 avril 1989, relatif à l'assainissement structurel dans la navigation intérieure (1) (ci-après le «règlement»).

Les dispositions communautaires pertinentes

2 Le règlement a été adopté dans le but de faire face au problème des surcapacités structurelles de cale dans les flottes opérant sur le réseau des voies navigables reliées entre elles de Belgique, d'Allemagne, de France, du Luxembourg et des Pays-Bas. Il a instauré un régime de déchirage de bateaux coordonné sur le plan communautaire mais financé par les entreprises de transport elles-mêmes.

3 L'article 1er du règlement dispose:

«1. Les bateaux de navigation intérieure affectés au transport de marchandises entre deux ou plusieurs points sur les voies navigables des États membres sont soumis à des mesures d'assainissement structurel du secteur de la navigation intérieure dans les conditions fixées par le présent règlement.

2. Les mesures visées au paragraphe 1 comprennent:

- la réduction des surcapacités structurelles par des actions de déchirage coordonnées sur le plan communautaire,

- des mesures d'accompagnement visant à éviter l'aggravation des surcapacités existantes ou l'apparition de surcapacités nouvelles.»

4 L'article 2, paragraphe 2, dispose que les bateaux suivants ne sont pas soumis au règlement:

«a) les bateaux qui naviguent exclusivement sur des voies nationales non reliées aux autres voies navigables de la Communauté;

b) les bateaux qui, par leurs dimensions, ne peuvent pas sortir des voies d'eau nationales sur lesquelles ils naviguent et ne peuvent pas accéder aux autres voies navigables de la Communauté (bateaux captifs), à condition que ces bateaux ne soient pas susceptibles d'entrer en concurrence avec les bateaux auxquels le présent règlement s'applique;

c) - les pousseurs dont la puissance de propulsion ne dépasse par les 300 kilowatts,

- les bateaux fluvio-maritimes et les barges de navire, pour autant qu'ils effectuent exclusivement des transports internationaux ou nationaux au cours de voyages comportant un parcours maritime,

- les bacs, - les bateaux affectés à un service public non commercial.»

5 L'article 3 du règlement oblige les États membres concernés à créer un fonds de déchirage dont la gestion doit être assurée par les autorités nationales compétentes. Le fonds doit comporter deux comptes distincts, l'un pour les bateaux à cargaison sèche et les pousseurs, et l'autre pour les bateaux-citernes.

6 L'article 4 impose au propriétaire de tout bateau soumis au règlement de payer une cotisation annuelle au fonds dont le bateau relève. En vertu de l'article 6, le taux des cotisations doit être fixé par la Commission à un niveau permettant aux fonds d'avoir des moyens financiers suffisants pour contribuer efficacement à la réduction des déséquilibres structurels entre l'offre et la demande dans le secteur de la navigation intérieure. L'article 5 dispose que le propriétaire de tout bateau reçoit, s'il déchire ce bateau, du fonds dont celui-ci relève, dans les limites des moyens financiers disponibles, une prime de déchirage.

7 L'article 8, paragraphe 1, du règlement instaure la règle dite «vieux pour neuf», qui vise à assurer que l'arrivée de nouveaux bateaux ne compromette pas l'efficacité du régime. Cette disposition est libellée comme suit:

«a) Pendant une période de cinq ans à compter de l'entrée en vigueur du présent règlement, la mise en service, sur les voies navigables visées à l'article 3, de bateaux soumis au présent règlement qui sont nouvellement construits, qui sont importés d'un pays tiers ou qui sortent des voies nationales visées à l'article 2, paragraphe 2, points a) et b), est subordonnée à la condition:

- que le propriétaire du bateau à mettre en service déchire sans prime de déchirage un tonnage de cale équivalent à celui de ce bateau,

- ou que, s'il ne déchire aucun bateau, il verse au fonds dont son nouveau bateau relève ou qu'il a choisi conformément à l'article 4 une contribution spéciale d'un montant égal à celui de la prime de déchirage fixée pour un tonnage égal à celui du nouveau bateau,

- ou que, s'il déchire un tonnage inférieur à celui du nouveau bateau à mettre en service, il verse au fonds considéré une contribution spéciale d'un montant équivalent à celui de la prime de déchirage qui correspond, au moment donné, à la différence entre le tonnage du nouveau bateau et le tonnage de la cale déchirée.

...»

8 L'article 8, paragraphe 3, assortit la règle «vieux pour neuf» de certaines exceptions. En particulier, l'article 8, paragraphe 3, sous c), dispose:

«La Commission peut, après consultation des États membres et des organisations représentatives de la navigation intérieure au niveau communautaire, exclure des bateaux spécialisés du champ d'application du paragraphe 1.»

9 Il ressort d'une note du 7 décembre 1990 (2), émanant de la direction générale des transports, que, pour décider si un bateau est un «bateau spécialisé» au sens de l'article 8, paragraphe 3, sous c), la Commission applique notamment un critère consistant à se demander si le bateau est spécialement conçu pour le transport d'une catégorie déterminée de marchandises et s'il est techniquement apte, sans modification de sa construction, au transport d'autres marchandises sur les voies navigables.

Les faits et les questions de la juridiction nationale

10 L'ordonnance de renvoi ne donnant que peu d'informations sur le contexte factuel de l'affaire, l'exposé des faits qui suit repose dans une large mesure sur les observations écrites et orales présentées devant la Cour par Wiljo et par la Commission. Il semble que l'activité de Wiljo consiste à ravitailler les navires de mer. Par lettre du 19 janvier 1993, elle a demandé à la Commission d'exempter de la règle «vieux pour neuf» un nouveau bateau qu'elle se proposait de mettre en service, le «Smaragd», au motif qu'il s'agissait d'un «bateau spécialisé» au sens de l'article 8, paragraphe 3, sous c), du règlement. Dans sa demande adressée à la Commission, elle décrivait le bateau en question comme un bateau de ravitaillement à moteur de 2 500 tonnes, long de 100 mètres, large de 11,40 mètres et haut de 4 mètres, et déclarait qu'il serait exclusivement affecté au ravitaillement des navires de mer. Par une lettre du 6 mai 1993 adressée à Wiljo, la Commission a fait savoir à celle-ci qu'elle avait «décidé, sur la base de l'article 8, paragraphe 3, sous c), du [règlement], de rejeter la demande d'exemption» et qu'une copie de cette lettre serait adressée aux autorités chargées de la gestion du fonds de déchirage belge. Dans sa lettre, la Commission indiquait que le bateau était techniquement apte au transport de toutes sortes de chargements liquides sur les voies navigables et ne se distinguait pas fortement des bateaux-citernes conventionnels. Par conséquent, il contribuait à l'accroissement de la capacité de la flotte soumise au règlement. Wiljo n'a pas attaqué cette lettre au moyen de la procédure visée à l'article 173 du traité.

11 Wiljo affirme que le Smaragd est un bateau de ravitaillement typique, spécialement équipé pour le ravitaillement des navires de mer. Il est, en particulier, équipé d'un mât hydraulique de 20 mètres muni d'un escalier de sécurité afin de pouvoir monter à bord des navires de mer. Même lorsqu'on abaisse ce mât, il reste impossible au bateau de naviguer sur les canaux intérieurs et sur de nombreuses rivières, parce qu'il ne peut passer sous les ponts. En outre, afin de satisfaire aux exigences imposées pour la navigation en mer, il est équipé d'un revêtement spécial destiné à le protéger de la houle de mer, ce qui a pour conséquence qu'à charge complète, son tirant d'eau est trop important pour lui permettre de naviguer sur le Rhin ou sur la Moselle. Si le Smaragd dispose des certificats nécessaires pour naviguer sur les voies navigables, et en particulier du certificat émis par la commission centrale de la navigation rhénane, cela ne signifie pas qu'il soit réellement capable de le faire sans restriction. Il doit avoir un tel certificat pour pouvoir entrer sur les canaux maritimes dans le cadre de ses activités de ravitaillement. Le bateau dispose également d'un certificat de navigation estuarienne, qui lui permet de naviguer sur les eaux côtières.

12 La Commission souligne que l'aptitude d'un bateau au transport de marchandises sur les voies navigables est le seul critère réellement utilisable dans la pratique aux fins de l'application de l'article 8, paragraphe 3, sous c), du règlement. Elle n'est pas en mesure de contrôler l'utilisation réelle d'un bateau. La Commission conteste les affirmations de Wiljo relatives à l'aptitude du Smaragd à la navigation sur les voies navigables. Relevant que le bateau est autorisé à naviguer sur le Rhin jusqu'à Bâle, elle affirme que le fleuve est suffisamment profond et ses ponts suffisamment hauts, pour autant que le mât hydraulique soit abaissé. La Commission indique que le bateau aurait été vu sur des voies navigables. Enfin, elle conteste l'affirmation de Wiljo, selon laquelle le traitement réservé au Smaragd se démarquerait de la pratique suivie pour d'autres navires de ravitaillement.

13 Dans la procédure devant la juridiction nationale, Wiljo attaque une lettre du 1er octobre 1993 de l'État belge, par laquelle celui-ci réclame la contribution unique au fonds de déchirage conformément à l'article 8, paragraphe 1, sous a), du règlement et à la décision du 6 mai 1993 de la Commission. La juridiction nationale demande à la Cour de statuer sur les questions suivantes:

«1) Eu égard au préambule, à la finalité générale et à l'économie particulière du règlement (CEE) n_ 1101/89 du Conseil, du 27 avril 1989, relatif à l'assainissement structurel dans la navigation intérieure, la notion de `bateaux spécialisés' figurant à l'article 8, paragraphe 3, sous c), dudit règlement vise-t-elle les bateaux qui, en raison de leur construction et équipement spécifiques ou en raison de l'usage spécifique qui en est fait, n'augmentent pas la cale ou le tonnage de la navigation intérieure et qui, de ce fait, ne sont pas de nature à influencer la surcapacité structurelle du transport des marchandises sur le réseau des voies navigables reliées entre elles des États membres?

2) Eu égard au principe de proportionnalité, le critère de la `convenance technique pour la navigation intérieure' appliqué par la Commission des Communautés européennes dans sa décision du 6 mai 1993, qui a pour conséquence que les bateaux, qui ne sont en réalité pas utilisés pour le transport sur le réseau des voies navigables reliées entre elles des États membres, sont aussi soumis à l'obligation de contribution dans le cadre du `régime ancien pour nouveau', n'est-il pas incompatible avec la finalité et l'économie du règlement (CEE) n_ 1101/89 du Conseil, du 27 avril 1989, relatif à l'assainissement structurel dans la navigation intérieure?

3) Eu égard au préambule, à la finalité générale et à l'économie spécifique du règlement (CEE) n_ 1101/89 du Conseil, du 27 avril 1989, relatif à l'assainissement structurel dans la navigation intérieure, le fait qu'un bateau convienne uniquement théoriquement à la navigation intérieure en ce sens que ce n'est qu'après des transformations compliquées et coûteuses et donc économiquement non réalistes que le bateau pourrait être rendu convenable à la navigation intérieure, ou en ce sens que cette utilisation du bateau pour le transport sur les eaux intérieures ne serait absolument pas rentable économiquement parce que le bateau n'a pas été conçu ni équipé pour la navigation intérieure, suffit-il pour que le propriétaire soit soumis à l'obligation de contribution dans le cadre du `régime ancien pour nouveau'?

4) Eu égard au préambule, à la finalité générale et à l'économie particulière du règlement (CEE) n_ 1101/89 du Conseil, du 27 avril 1989, relatif à l'assainissement structurel dans la navigation intérieure, la décision prise par la Commission des Communautés européennes le 6 mai 1993 concernant le mts. `Smaragd' peut-elle être considérée comme valide étant donné qu'elle soumet à l'obligation de contribution unique dans le cadre du `régime ancien pour nouveau' un bateau qui a été spécialement conçu, construit et équipé en tant que bateau de ravitaillement destiné exclusivement au ravitaillement de navires de mer en carburant et qui n'est pas particulièrement approprié ni destiné au transport de carburants pour les tiers, ou même pour son propre compte, sur les eaux intérieures et qui, de ce fait, n'augmente pas la cale ni le tonnage de la navigation intérieure?

5) L'application par la Commission du critère de la convenance technique plutôt que celui de l'utilisation effective du bateau ne constitue-t-elle pas une violation de l'interdiction de discrimination étant donné que, selon le critère utilisé par la Commission pour les bateaux mis en service en Belgique, aux Pays-Bas, au Luxembourg, en Allemagne et en France, la contribution unique est due dans certains cas sans que le bateau soit effectivement utilisé pour la navigation intérieure et sans qu'il contribue de ce fait à l'augmentation du tonnage de la navigation intérieure, alors que la contribution unique n'est due sur la mise en service d'un bateau dans les autres États membres que si l'utilisation véritable (sur le réseau des voies navigables reliées entre elles de la Communauté) y donne lieu?»

14 Afin de comprendre l'objet de ces questions, il est nécessaire d'examiner l'argumentation présentée par Wiljo devant la juridiction nationale. Selon l'ordonnance de renvoi, Wiljo soutient qu'elle n'est pas obligée de payer la contribution, au motif que le Smaragd est un bateau de ravitaillement utilisé exclusivement pour le ravitaillement de navires de mer et ne peut être comparé à un bateau-citerne ordinaire. Wiljo estime que la décision de la Commission est contraire à la finalité générale du règlement et ne comporte pas d'analyse technique appropriée des caractéristiques et de l'équipement du bateau. Les termes de l'ordonnance de renvoi donnent ainsi à penser que la thèse avancée par Wiljo devant la juridiction nationale est que la décision de la Commission est invalide parce qu'elle est contraire au règlement. Ce point de vue est confirmé par la lecture de la requête présentée par Wiljo devant la juridiction nationale, dans laquelle elle se réfère expressément à l'article 8, paragraphe 3, sous c), du règlement et conclut son argumentation en déclarant que «pour les raisons qui précèdent, la décision de la Commission ne peut pas être considérée comme valide».

15 Il est donc clair que les questions de la juridiction nationale, qui sont identiques à celles énoncées par Wiljo dans sa requête, sont destinées à permettre à cette juridiction de vérifier le bien-fondé de cette thèse. Bien qu'elles concernent l'interprétation du règlement, elles visent à permettre à la juridiction nationale de se prononcer sur la validité de la constatation, faite par la Commission dans sa décision, que le Smaragd ne remplissait pas les conditions nécessaires pour être considéré comme un «bateau spécialisé» au sens de l'article 8, paragraphe 3, sous c), et était dès lors soumis à la règle «vieux pour neuf».

16 A cet égard, il convient de rappeler que la Cour a déclaré que la cohérence du système exige que le pouvoir de constater l'invalidité d'un acte d'une institution communautaire, si elle est soulevée devant une juridiction nationale, lui soit réservé (3). Si la Cour souhaitait répondre aux questions de la juridiction nationale, il lui serait nécessaire de les reformuler et de les traiter comme une demande préjudicielle en appréciation de validité.

17 La Commission objecte toutefois que le principe énoncé dans l'arrêt TWD Textilwerke Deggendorf (4) empêche Wiljo d'attaquer la validité de sa décision dans le cadre de la procédure nationale. Dans cet arrêt, la Cour a déclaré que TWD ne pouvait pas invoquer l'invalidité d'une décision de la Commission adressée à la République fédérale d'Allemagne et ordonnant à celle-ci de récupérer l'aide payée à cette entreprise dans le cadre d'une procédure engagée devant les juridictions allemandes contre la décision d'exécution adoptée par les autorités nationales. TWD avait omis d'attaquer la décision de la Commission au titre de l'article 173 du traité, alors qu'il était clair qu'elle aurait pu le faire. Permettre au bénéficiaire d'une aide d'invoquer l'illégalité de la décision de la Commission dans une procédure nationale reviendrait à lui reconnaître la faculté de contourner le caractère définitif qui, en vertu du principe de sécurité juridique, doit s'attacher à une décision après l'expiration du délai de recours prévu par l'article 173.

18 A l'audience, Wiljo a fait valoir qu'il n'y avait pas lieu d'appliquer en l'espèce la jurisprudence TWD Textilwerke Deggendorf. L'arrêt a été rendu après l'expiration du délai d'introduction du recours contre la décision du 6 mai 1993 de la Commission. En outre, ce sont principalement les autorités nationales qui sont chargées de la gestion du fonds, et Wiljo pouvait raisonnablement supposer que la décision de la Commission pouvait être contestée dans le cadre d'une procédure contre ces autorités devant les juridictions nationales, d'autant plus que la Commission avait déclaré dans la décision qu'une copie de celle-ci serait envoyée à ces autorités.

19 Ces arguments ne nous convainquent pas. La Cour n'a pas estimé approprié de limiter d'une manière quelconque les effets dans le temps de sa décision dans l'affaire TWD Textilwerke Deggendorf. En outre, la présente affaire nous paraît plus claire encore que l'affaire TWD Textilwerke Deggendorf. Si les autorités nationales sont chargées de la gestion des fonds de déchirage, le règlement réserve des pouvoirs à la Commission dans plusieurs domaines. L'article 8, paragraphe 3, sous c), lui donne le pouvoir d'exempter des bateaux spécialisés du règlement. Wiljo a ainsi demandé directement à la Commission d'adopter une décision au titre de cette disposition. En réponse à cette demande, la Commission a adopté une décision individuelle adressée directement à Wiljo. Cette dernière avait donc manifestement connaissance de la décision et de ses conséquences. En outre, la décision pouvait, sans le moindre doute, faire l'objet d'un recours au titre de l'article 173 du traité dans le délai prévu par cette disposition. Il est clair que cette conclusion n'est pas infirmée par le fait qu'une copie de la décision a été adressée aux autorités nationales chargées de la mettre en oeuvre.

20 La Cour a fondé sa décision dans l'affaire TWD Textilwerke Deggendorf sur le principe de sécurité juridique. Ce principe s'applique également ici. Toutefois, la présente affaire illustre également l'importance de faire en sorte que les litiges fassent l'objet d'une procédure adaptée et soient soumis à la juridiction appropriée. La procédure préjudicielle est tout simplement inadaptée lorsque les questions de droit qui doivent être tranchées sont liées à des questions de fait complexes. En outre, dans le cas d'une décision telle que la décision litigieuse, c'est le Tribunal de première instance qui devrait procéder aux constatations de fait nécessaires et appliquer les règles de droit aux faits ainsi constatés. Il nous semble dès lors que, pour cette raison également, il se justifie que la Cour exige des particuliers, chaque fois que c'est possible, qu'ils contestent la légalité de telles mesures devant le Tribunal de première instance, ce qui permet l'examen de toutes les questions de droit et de fait devant une seule juridiction et dans le cadre d'une procédure spécifiquement conçue à cette fin (5).

21 Enfin, dans le cadre de la procédure devant la Cour, Wiljo a tenté d'échapper aux conséquences de l'arrêt TWD Textilwerke Deggendorf en soutenant que le Smaragd échappait complètement au champ d'application du règlement. Elle était dès lors en droit de contester la demande de paiement de la contribution, malgré le fait que la décision de la Commission était devenue définitive et ne pouvait plus faire l'objet d'un recours.

22 Nous ne pensons pas qu'il soit nécessaire que la Cour examine cette question. Cet argument n'est mentionné nulle part dans l'ordonnance de renvoi. Il ne figure pas non plus dans la requête présentée par Wiljo devant la juridiction nationale, qui fait partie du dossier de la procédure nationale transmis à la Cour. Dans le même ordre d'idées, les questions de la juridiction nationale sont rédigées non dans les termes des articles 1er et 2 du règlement, mais dans ceux de son article 8, paragraphe 3, sous c), et de la décision de la Commission; elles concernent, en particulier, l'utilisation par la Commission du critère de l'aptitude technique au transport de marchandises sur les voies navigables aux fins de décider si un bateau est un bateau spécialisé pouvant bénéficier d'une exemption au titre de l'article 8, paragraphe 3, sous c). Aller au-delà des termes de l'ordonnance de renvoi serait incompatible avec le rôle de la Cour saisie au titre de l'article 177 du traité, ainsi qu'avec la nécessité d'assurer le respect des droits des personnes auxquelles l'article 20 du statut CE de la Cour permet de présenter des observations écrites (6).

23 Pour les raisons qui précèdent, nous pensons qu'il n'est pas nécessaire que la Cour réponde aux questions de la juridiction nationale.

Conclusion

24 Pour l'ensemble des raisons qui précèdent, nous sommes d'avis que la juridiction nationale est liée par une décision de la Commission adressée à une entreprise lorsque celle-ci n'a pas formé de recours contre cette décision au titre du quatrième alinéa de l'article 173 du traité, mais a formé devant la juridiction nationale un recours par lequel elle conteste la décision de la Commission; en conséquence, il n'y a pas lieu de statuer sur les questions déférées par la juridiction nationale.

(1) - JO L 116, p. 25.

(2) - Note concernant la définition de critères généraux pour l'appréciation des demandes d'exclusion de bateaux spécialisés du règlement n_ 1101/89 du Conseil.

(3) - Arrêt du 22 octobre 1987, Foto-Frost (314/85, Rec. p. 4199, point 17).

(4) - Arrêt du 9 mars 1994 (C-188/92, Rec. p. I-833).

(5) - Voir, sur cette question, le point 20 de nos conclusions dans l'affaire TWD Textilwerke Deggendorf, précitée.

(6) - Voir, en dernier lieu, l'ordonnance du 19 juillet 1996, Modesti (C-191/96, non encore publiée au Recueil).