CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. GIUSEPPE TESAURO
présentées le 30 avril 1996 ( *1 )
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Par le présent recours, le Parlement demande l'annulation de la directive 94/43/CE du Conseil, du 27 juillet 1994, établissant l'annexe VI de la directive 91/414/CEE concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques ( 1 ). Il soutient, à cet effet, que cette directive a été adoptée en violation de ses prérogatives, en ce que le Conseil a modifié les obligations imposées aux États membres par d'autres directives, alors que la modification de ces dernières exigeait de recourir à une procédure législative prévoyant la consultation du Parlement. Il soutient ensuite que la directive méconnaît, en tout cas, l'obligation de motivation visée à l'article 190 du traité. |
2. |
Pour bien comprendre les arguments invoqués à l'appui des positions défendues par les parties, il faut, avant tout, rappeler l'objet et le contenu de la réglementation communautaire pertinente, en particulier ceux de la directive attaquée. |
La réglementation communautaire pertinente
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La directive 91/414/CEE du Conseil, du 15 juillet 1991, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques ( 2 ) (ci-après la « directive de base »), adoptée sur le fondement de l'article 43 du traité, prescrit les règles que les États membres doivent appliquer en ce qui concerne l'autorisation, la mise sur le marché, l'utilisation et le contrôle des produits phytopharmaceutiques. En vertu de son article 4, paragraphe 1, les États membres ne peuvent autoriser un produit phytopharmaceutique que si celui-ci réunit certaines conditions, notamment si:
Le même article 4 prévoit, en outre, pour ce qui nous intéresse ici, que l'autorisation doit préciser au moins les exigences requises pour assurer le respect des dispositions du paragraphe 1, sous b) (paragraphe 2), et que les Etats membres doivent veiller à ce que le respect de ces exigences soit assuré par des essais et des analyses officiels ou officiellement reconnus, dans des conditions agricoles, phytosanitaires et environnementales appropriées (paragraphe 3). Les autorisations, qui sont accordées pour une durée déterminée ne dépassant pas dix ans, peuvent être réexaminées à tout moment s'il apparaît que les exigences visées au paragraphe 1 ne sont plus respectées (article 4, paragraphes 5 et 6). Les articles 5 et 6 définissent ensuite les conditions auxquelles est subordonnée l'inscription des substances actives à l'annexe I, laquelle concerne précisément les « substances actives dont l'incorporation est autorisée dans les produits phytopharmaceutiques ». L'article 10, paragraphe 1, consacre, en revanche, le principe de la reconnaissance réciproque des autorisations accordées par les États membres et en règle les modalités. Enfin, l'article 18 prévoit que « Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, arrête les ‘principes uniformes’ visés à l'annexe VI ». |
4. |
Ces principes uniformes, nécessaires pour assurer que, dans leurs décisions relatives aux produits phytopharmaceutiques, les États membres appliquent de manière uniforme les exigences énoncées à l'article 4, paragraphe 1, de la directive de base, ont été fixés par la directive 94/43, c'est-à-dire la directive dont le Parlement demande l'annulation. Aux fins qui nous intéressent en l'espèce, il est utile de rappeler, avant tout, la teneur des quatre derniers considérants de cette directive, qui sont libellés comme suit: « considérant que les dispositions de la présente directive concernant la protection des eaux sont sans préjudice des obligations incombant aux États membres en vertu des directives en la matière, et notamment des directives 75/440/CEE, 80/68/CEE et 80/778/CEE; considérant que le réexamen des directives susmentionnées est nécessaire et qu'il y a lieu d'y procéder dans les meilleurs délais; considérant que, dans cette attente, les dispositions de la présente directive qui concernent la protection des eaux sont des dispositions transitoires; considérant qu'il importe d'évaluer l'impact de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques sur les eaux souterraines, mais que les modèles qui sont actuellement disponibles ne permettent pas d'estimer d'une façon précise la concentration prévisible dans ces eaux; qu'il est dès lors nécessaire de réexaminer les dispositions du point C 2.5.1.2 b) de l'annexe VI de la directive 91/414/CEE dès que des modèles validés au niveau communautaire permettront d'estimer cette concentration avec précision ». Il convient de rappeler ensuite les dispositions qui sont litigieuses en l'espèce et qui, au titre des effets sur l'environnement, concernent les eaux souterraines. Ces dispositions sont contenues dans l'annexe VI et figurent tant dans la partie B, relative à l'évaluation des informations communiquées à l'appui des demandes d'autorisation (point B 2.5.1.2), que dans la partie C, consacrée au processus décisionnel (point C 2.5.1.2). Le point B 2.5.1.2 dispose que: « Les États membres apprécient la possibilité que le produit phytopharmaceutique entre en contact avec les eaux souterraines destinées à la production d'eau potable dans les conditions d'utilisation proposées; si cette possibilité est réelle, ils évaluent, à l'aide d'un modèle de calcul approprié et validé au niveau communautaire, la concentration de la substance active, des metabolites et des produits de dégradation et de réaction qui devrait se produire dans les eaux souterraines de la zone d'utilisation envisagée après l'application du produit phytopharmaceutique selon les conditions proposées. En l'absence de modèle de calcul validé au niveau communautaire, les États membres appuient particulièrement leur évaluation sur les résultats des études de mobilité et de persistance dans le sol, telles que prévues dans les annexes II et III. » Le point C 2.5.1.2 est composé de quatre paragraphes respectivement consacrés: a) aux conditions requises pour accorder une autorisation, b) à la possibilité de délivrer une autorisation conditionnelle, limitée à une durée de cinq ans au maximum, c) à la possibilité d'accorder une nouvelle autorisation conditionnelle, d) à la possibilité d'introduire des conditions ou restrictions appropriées, à tout moment, en tenant compte des conditions locales. Étant donné l'importance que revêtent les dispositions de ces paragraphes aux fins de la présente affaire, il nous paraît opportun d'en reproduire intégralement le texte:
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5. |
Trois autres directives du Conseil relatives à la qualité et/ou à la protection des eaux interviennent également dans la présente affaire: a) la directive 75/440/CEE, du 16 juin 1975, concernant la qualité requise des eaux superficielles destinées à la production d'eau alimentaire dans les États membres ( 3 ), b) la directive 80/68/CEE, du 17 décembre 1979, concernant la protection des eaux souterraines contre la pollution causée par certaines substances dangereuses ( 4 ), c) la directive 80/778, déjà citée, relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine ( 5 ). Ces trois directives ont en commun leur base juridique, à savoir les articles 100 et 235 du traité.
Enfin, les États membres se voient imposer de veiller à ce que l'application des dispositions prises en vertu de la directive- « ne puisse avoir pour effet de permettre directement ou indirectement, d'une part, la dégradation de la qualité actuelle des eaux destinées à la consommation humaine et, d'autre part, la pollution des eaux destinées à la production d'eau potable » (article 11); il leur est également imposé de procéder à des contrôles périodiques sur toutes les eaux destinées à la consommation humaine, au point de mise à la disposition de l'utilisateur, afin de vérifier leur conformité aux critères fixés par la directive (article 12). |
Les moyens invoqués par le Parlement
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A l'appui de son recours en annulation, le Parlement invoque trois moyens. Plus précisément, il soutient que, par l'adoption de l'acte litigieux, le Conseil a: a) modifié, sans recourir à la procédure législative qui implique la consultation du Parlement, les obligations imposées aux États membres par la directive de base, b) modifié, dans les mêmes conditions, les obligations imposées aux États membres par la directive 80/778, c) omis, en violation de l'article 190 du traité, d'exposer les motifs propres à justifier cette modification. En substance, la thèse du Parlement consiste à soutenir qu'il est porté atteinte à ses prérogatives du seul fait qu'une directive d'exécution, la directive litigieuse, a modifié la directive de base et la directive 80/778. La première reposant sur l'article 43 du traité, et a seconde sur ses articles 100 et 235, leur modification aurait, en effet, selon le Parlement, nécessité de recourir à ces mêmes bases juridiques, lesquelles — il est à peine utile de le rappeler — requièrent la consultation du Parlement. |
Sur la recevabilité
7. |
Le Conseil, sans soulever une exception formelle d'irrecevabilité, souligne que le recours n'est recevable que dans la mesure où il tend à sauvegarder les prérogatives du Parlement et ne se fonde que sur des moyens tirés de la violation de celles-ci. A cet égard, nous rappellerons, à titre liminaire, que, comme la Cour l'a précisé elle-même, les conditions auxquelles est subordonnée la recevabilité du Parlement à agir en annulation devant la Cour ne sont satisfaites que « lorsque le Parlement indique de façon pertinente l'objet de sa prérogative à sauvegarder et la violation prétendue de cette prérogative » ( 6 ). |
8. |
Il ne fait donc nul doute que le droit d'être consulté en vertu d'une disposition du traité constitue une prérogative du Parlement, ce dont il résulte que le premier et le deuxième moyens satisfont incontestablement aux conditions mentionnées. Par ces moyens, le Parlement entend, en effet, démontrer que la directive attaquée contredit certaines dispositions de directives de base dont la modification aurait exigé de recourir, à titre de base juridique, à certaines dispositions du traité prévoyant sa consultation. |
9. |
En revanche, le moyen tiré de la violation de l'obligation de motivation suscite plus qu'une incertitude de ce point de vue. Le Parlement soutient, en substance, qu'une motivation insuffisante ou erronée d'un acte dont l'adoption est susceptible d'empiéter sur ses prérogatives constitue — par elle-même — une violation autonome de celles-ci. Il relève, en particulier, qu'il ressort des quatre derniers considérants de la directive litigieuse que ses prérogatives ont été pleinement respectées, alors qu'il n'en est pas ainsi. A partir de là, l'institution requérante conclut qu'une telle motivation ne lui permet même pas d'exercer les droit de contrôle que lui confie le traité. Le Conseil réplique à cette argumentation qu'une violation éventuelle de l'obligation de motivation visée à l'article 190 du traité ne saurait, de toute façon, être considérée comme de nature à constituer une violation autonome des prérogatives du Parlement. Celui-ci ne peut pas se prévaloir d'une telle violation lorsque la base juridique d'un acte n'exige pas sa participation au processus législatif. Le Conseil ajoute que, en tout cas, la directive litigieuse compone huit considérants faisant clairement ressortir le raisonnement qui a conduit à son adoption. |
10. |
Sur ce point, nous rappellerons avant tout que la Cour a déclaré irrecevable un recours du Parlement, dans la mesure où il était fondé sur l'article 190, et qu'elle a relevé à cet égard que « en alléguant que les dispositions litigieuses sont insuffisamment motivées au regard des prévisions de cet article, le Parlement n'indique pas de façon pertinente en quoi une telle violation, à la supposer exacte, serait de nature à porter atteinte à ses propres prérogatives » ( 7 ). Cela étant, peut-on considérer que la thèse selon laquelle le caractère insuffisant ou erroné de la motivation d'un acte, dont l'adoption est supposée pouvoir porter atteinte aux prérogatives du Parlement, constitue une violation autonome desdites prérogatives fournit une indication pertinente de la manière dont une telle violation de l'obligation de motivation, à supposer qu'elle existe, est de nature à porter atteinte aux prérogatives du Parlement? De même, peut-on voir une indication de cette nature dans le prétendu droit du Parlement de vérifier, en tant qu'organe ayant participé à l'adoption des directives de base, que la directive litigieuse respecte les dispositions du traité? |
11. |
La réponse à ces questions ne peut être que négative. Les arguments mêmes du Parlement démontrent, en réalité, que la violation éventuelle de l'obligation de motivation ne représente nullement une violation autonome de ses prérogatives. En particulier, il y a lieu d'exclure que le prétendu droit de vérifier que la directive litigieuse respecte les dispositions du traité, même lorsque le Parlement ne participe pas à son adoption, puisse constituer une prérogative de ce dernier. En effet, si les prérogatives du Parlement comprenaient le droit de vérifier la bonne exécution du droit communautaire en raison du contrôle politique que lui confie le traité, ou encore du fait qu'il est intervenu dans la procédure législative d'adoption d'autres actes appartenant au même domaine, la recevabilité à agir en annulation devant la Cour en viendrait à lui être reconnue de manière quasi générale, ce qui est exclu tant par la lettre de l'article 173, troisième alinéa, tel que modifié par le traité de Maastricht, que par la jurisprudence en la matière ( 8 ). Les observations qui précèdent nous incitent donc à conclure à l'irrecevabilité du moyen tiré de la violation de l'obligation de motivation prescrite par l'article 190 du traité. |
Sur le fond
a) Moyen tiré de L modification de la directive de base
12. |
Comme nous l'avons déjà signalé, le Parlement soutient que, loin d'être une simple directive d'exécution de la directive de base, la directive litigieuse en a, en réalité, modifié la portée. Il affirme que, par conséquent, cette directive n'aurait pas dû être adoptée sur la base de l'article 18, paragraphe 1, de la directive de base ( 9 ), mais selon la même procédure d'adoption que la directive qu'il prétend modifiée, c'est-à-dire sur la base de l'article 43 du traité. A ce propos, nous rappelons préalablement que, selon une jurisprudence constante de la Cour, « on ne saurait exiger que tous les détails des règlements concernant la politique agricole commune soient établis par le Conseil selon la procédure de l'article 43 du traité, qu'il est satisfait à cette disposition dès lors que les éléments essentiels de la matière à régler ont été arrêtés conformément à la procédure qu'il prévoit, et que les dispositions d'exécution des règlements de base peuvent être arrêtées par le Conseil suivant une procédure différente de celle de l'article 43 du traité ... néanmoins ... un règlement d'exécution ... adopté sans consultation du Parlement européen, doit respecter les éléments essentiels de la matière qui ont été fixés dans le règlement de base après consultation du Parlement européen ... » ( 10 ). Cela signifie, au regard de l'affaire qui nous occupe, qu'il faut vérifier si les dispositions controversées de l'annexe VI constituent de simples modalités de mise en œuvre de la directive de base, ou si elles sont de nature à en modifier les principes de fond. |
13. |
Il est incontestable que l'article 4, paragraphe 1, sous b), de la directive de base impose, notamment, aux États membres de veiller à ce qu'un produit phytopharmaceutique ne soit autorisé que s'« il n'a pas d'effet nocif direct ou indirect... sur les eaux souterraines » et s'il n'a « pas d'influence inacceptable sur l'environnement ... notamment en ce qui concerne la contamination des eaux, y compris les eaux potables et les eaux souterraines », alors que la directive litigieuse ne vise — aux points B 2.5.1.2 et C 2.5.1.2 de l'annexe — que les seules « eaux souterraines destinées à la production d'eau potable ». Ces dispositions de l'annexe limitent donc la catégorie des eaux souterraines prises en considération en ce qui concerne les effets des produits phytopharmaceutiques pour lesquels l'autorisation est requise. Selon le Parlement, qui est d'avis que ces dispositions sont de nature à diminuer le degré de protection des eaux souterraines, telles que définies par l'article 1er de la directive 80/68, le Conseil était au contraire tenu d'établir des principes uniformes pour chacune des exigences visées à l'article 4, paragraphe 1, sous b), de la directive de base, et qu'il devait donc aussi le faire pour les eaux souterraines non destinées à la production d'eau potable. A défaut, le Conseil ne pouvait pas procéder à une telle modification de la directive de base sans respecter la procédure de l'article 43 du traité. |
14. |
Le Conseil expose, pour sa part, que, contrairement à ce qui est prévu pour les eaux superficielles et pour les eaux souterraines destinées à la production d'eau potable, il n'a pas estimé indispensable d'harmoniser les critères à appliquer pour les effets sur les eaux non destinées à ladite production d'eau potable. Il conteste néanmoins que la directive litigieuse comporte une diminution du degré de protection des eaux souterraines, telles que définies par l'article 1er de la directive 80/68, et fait valoir que la protection de ces eaux continue d'être garantie par cette directive, dont les prescriptions ne sont nullement touchées par la directive litigieuse. Cette dernière n'aurait donc nullement amoindri le niveau de protection des eaux souterraines, lequel serait, au contraire, renforcé, même si ce n'est que pour les eaux destinées à la production d'eau potable. Le Conseil reconnaît donc que la directive litigieuse n'est pas exhaustive pour ce qui concerne l'article 4, paragraphe 1, sous b), de la directive de base, mais estime que ce seul fait ne peut être considéré comme étant de nature à la rendre illégale. Il fait valoir, en particulier, que la légalité d'un acte d'exécution ne peut être mise en cause que dans le cas où cet acte outrepasse le cadre de la mise en œuvre des principes établis par l'acte de base, mais non dans le cas inverse, qui est précisément celui de la directive litigieuse. Selon le Conseil, cela serait confirmé par la jurisprudence même de la Cour, en particulier par un arrêt du 23 février 1995 ( 11 ). |
15. |
Nous dirons immédiatement que nous ne partageons pas la thèse du Conseil. Nous pensons, en effet, que l'on ne saurait nullement exclure qu'un acte d'exécution puisse être illégal du seul fait que, sans outrepasser le cadre de l'exécution des principes établis par l'acte de base, il se Umite à en mettre en œuvre certains principes, mais non certains autres. En toute hypothèse, l'acte d'exécution doit effectivement respecter les éléments essentiels fixés par l'acte de base et cette exigence pourrait aussi être méconnue par la présence d'une lacune dans les mesures d'exécution. Pareille conclusion n'est absolument pas contredite par l'arrêt cité par le Conseil, qui s'inscrivait dans un contexte entièrement différent et totalement dénué de pertinence aux fins de l'espèce ( 12 ). Nous ajouterons ensuite que nous ne comprenons pas davantage l'affirmation du Conseil selon laquelle la protection des eaux souterraines continue d'être garantie par la directive 80/68, et n'est donc pas affaiblie par la directive litigieuse, étant donné que cette dernière en laisse les prescriptions inchangées. Sur ce point, nous nous contenterons d'observer que ce n'est pas la compatibilité de la directive litigieuse avec la directive 80/68 qui est en cause en l'espèce, mais le fait que la directive litigieuse ne prend pas en considération la protection des eaux souterraines autres que celles destinées à la production d'eau potable au regard des effets des produits phytopharmaceutiques sur ces eaux. |
16. |
Or, considérant que la directive de base subordonne expressément la délivrance des autorisations à une vérification des effets que ces produits peuvent avoir, entre autres, sur les eaux souterraines, notre conclusion est que le moyen du Parlement est fondé. Nous pensons, en effet, que, en ce qu'elle a omis de prendre en considération l'ensemble des eaux souterraines, la directive litigieuse n'a pas respecté les éléments essentiels de la matière considérée. En d'autres termes, dans la mesure où le respect de l'environnement — eaux souterraines comprises — constitue l'une des conditions essentielles auxquelles la directive subordonne la délivrance des autorisations, l'omission en question entraîne une modification fondamentale de l'approche et des principes de la directive de base. Cette conclusion trouve confirmation dans la motivation de ladite directive de base, dans laquelle il est précisé que « les dispositions régissant l'autorisation doivent assurer un niveau élevé de protection, qui doit notamment éviter l'autorisation de produits phytopharmaceutiques dont les risques pour la santé, les eaux souterraines et l'environnement n'ont pas fait l'objet de recherches appropriées (et) que l'objectif d'améliorer la production végétale ne doit pas porter préjudice à la protection de la santé humaine et animale et de l'environnement » ( 13 ). |
b) Le moyen tiré de L modification de L directive 80/778
17. |
Par son second moyen, le Parlement fait valoir que, dans la mesure où il permet aux États membres de délivrer une autorisation conditionnelle pour un produit phytopharmaceutique dont la concentration prévisible dans les eaux souterraines destinées à la production d'eau potable ne respecte pas la concentration maximale fixée par la directive 80/778, le point C 2.5.1.2, sous a) et b), porte atteinte à ses prérogatives à un double titre. En effet, il estime, d'une part, que les dispositions précitées modifient l'article 4, paragraphe 1, sous b), de la directive de base, dont les expressions « effet nocif » et « influence inacceptable » ne peuvent être interprétées qu'à la lumière des dispositions applicables en la matière, en particulier celles ayant fixé la concentration maximale admissible de pesticides dans l'eau destinée à la consommation humaine. D'autre part, il estime que ces mêmes dispositions permettent aux États membres d'autoriser des produits phytopharmaceutiques dans des conditions contraires aux prescriptions de la directive 80/778, en particulier en ce qu'elles n'imposent pas le respect de la concentration maximale admissible fixée par cette directive. |
18. |
Pour sa défense, le Conseil soutient que la thèse du Parlement est fondée sur une interprétation erronée de la relation entre la directive litigieuse et la directive 80/778. Il relève, à cet égard, que la première est une directive d'exécution fondée sur l'article 18 de la directive de base, elle-même fondée sur l'article 43 du traité, donc une directive qui poursuit les objectifs de la politique agricole commune et qui, dans cette optique, fixe certains critères que les États membres sont tenus de respecter lorsqu'ils autorisent la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques. En revanche, la seconde est une directive d'harmonisation, fondée sur les articles 100 et 235 du traité, qui détermine les conditions dans lesquelles les eaux peuvent être destinées à la consommation humaine et qui poursuit donc un objectif différent. Compte tenu de la différence d'objet de ces directives, le Conseil conclut que des effets nocifs dus à l'utilisation de produits phytopharmaceutiques autorisés n'auraient d'autre conséquence que d'obliger les États membres à empêcher que de telles eaux ne soient destinées à la consommation humaine. En bref, le Conseil reconnaît que l'application de la directive litigieuse pourrait avoir pour effet de provoquer une dégradation des eaux destinées à la consommation humaine, mais soutient que, malgré tout, cette éventualité n'entraîne pas une incompatibilité entre les deux directives en cause. |
19. |
La thèse du Conseil nous paraît exacte. En effet, la directive 80/778 définit « les exigences auxquelles doivent satisfaire les eaux destinées à la consommation humaine » (article 1er). Cela signifie que les États membres sont tenus de faire en sorte que les eaux destinées à la consommation humaine répondent aux exigences de qualité prescrites par cette directive et donc, en particulier, de veiller à ce que soit assuré le respect de la « concentration maximale admissible » fixée par la directive pour les diverses substances actives. S'il apparaît que cette « concentration maximale admissible » n'est pas, ou n'est plus, respectée — que ce soit à la suite de l'application de la directive litigieuse ou pour une autre cause —, il en résultera, comme unique conséquence, que l'eau en question ne pourra plus être considérée comme destinée à la consommation humaine. Le Parlement objecte que, de cette manière, on pourrait en venir à une situation telle que toutes les sources seraient déclarées ne plus être destinées à la consommation humaine, ne satisfaisant plus aux critères de qualité prescrits par la directive. Espérant de tout coeur qu'une prévision aussi catastrophique ne se réalisera jamais, nous rappelons que, dans la définition des eaux destinées à la consommation humaine, la directive 80/778 mentionne elle-même « toutes les eaux utilisées à cette fin, soit en l'état, soit après traitement» ( 14 ). Force est donc de reconnaître que, en permettant aux États membres de traiter les eaux afin de les destiner à la consommation humaine, la directive rend elle-même évident le fait qu'il n'y a aucune incompatibilité avec la directive litigieuse. Il n'y a pas lieu à une conclusion différente, même si l'on prend en considération l'article 11 de la directive 80/778, en vertu duquel il est interdit aux États membres de « permettre directement ou indirectement la dégradation de la qualité actuelle des eaux destinées à la consommation humaine ». En effet, cette disposition est dénuée de pertinence, dans la mesure où, comme elle le précise elle-même, elle concerne « l'application des dispositions prises en vertu de la présente directive ». |
20. |
Que ce soit la réglementation communautaire elle-même qui permette de dépasser la « concentration maximale admissible » est une circonstance qui, outre son caractère déplorable en soi, nous conduit, au reste, à considérer que le moyen est fondé pour ce qui est de l'autre aspect invoqué par le Parlement, c'est-à-dire pour ce qui concerne l'article 4, paragraphe 1, sous b), de la directive de base. En effet, nous ne voyons pas comment il serait possible de soutenir que le fait d'autoriser des produits phytopharmaceutiques dont l'utilisation aboutit à dépasser la « concentration maximale admissible » n'entraîne pas « d'effet nocif direct ou indirect sur la santé humaine ou animale (par exemple par l'intermédiaire de l'eau potable ou des aliments destinés à la consommation humaine ou animale) » ni « d'influence inacceptable sur l'environnement ... compte tenu particulièrement (de) la contamination des eaux, y compris les eaux potables et les eaux souterraines » [article 4, paragraphe 1, sous b), iv) et v), de la directive de base]. En définitive, nous sommes d'avis que, sur ce point aussi, la directive litigieuse a modifié les principes essentiels de la directive de base, et ce pour les mêmes raisons que celles exposées à propos du premier moyen, c'est-à-dire dans la mesure où la conception qui inspire la directive de base en vient ainsi à se trouver modifiée et contredite. |
21. |
A la lumière des observations qui précèdent, nous proposons donc à la Cour:
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( *1 ) Langue originale: l'italien.
( 1 ) JO L 227, p. 31.
( 2 ) JO L 230, p. 1.
( 3 ) JO L 194, p. 26.
( 4 ) JO 1980, L 20, p. 43.
( 5 ) JO L 229, p. 11.
( 6 ) Voir, en dernier lieu, arrêt du 13 juillet 1995, Parlement/Commission (C-156/93, Rec. p. I-2019, point 10).
( 7 ) Arrêt Parlement/Commission, précité note 6, point 11.
( 8 ) Voir, entre autres, arrêts du 2 mars 1994, Parlement/Conseil (C-316/91, Rec. p. I-625, point 12); du 28 juin 1994, Parlement/Conseil (C-187/93, Rec. p. I-2857, points 14 et 15), et du 13 juillet 1995, Parlement/Commission, précité, point 10.
( 9 ) Nous rappelons que cette disposition prévoit précisément que le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, arrête les principes uniformes visés à l'annexe VI. Nous sommes donc en présence d'un cas dans lequel le Conseil a fait usage de la possibilité, prévue à l'article 145 du traité, de se réserver l'exercice direct des compétences d'exécution des actes qu'il adopte. Sur ce point, nous relevons que, au cours de la procédure, le Parlement a au moins suggéré qu'une telle attribution de compétence n'était pas accompagnée de la nécessaire motivation circonstanciée, cependant requise par la jurisprudence de la Cour [arrêt du 24 octobre 1989, Commission/Conseil (16/88, Rec. p. 3457, Ēoint 10]. Cette irrégularité éventuelle, qui pourrait d'ailleurs ien difficilement être considérée comme de nature à porter atteinte aux prérogatives du Parlement, ne s'est cependant pas traduite par un grief spécifique.
( 10 ) Voir, notamment, arrêts du 16 juin 1987, Romkes (46/86, Rec. p. 2671, point 16) et du 13 juillet 1995, Parlement/Commission, précité, point 18.
( 11 ) Cacchiirelli et Sunghellini (C-54/94 et C-74/94, Rec. p. I-391, point 14).
( 12 ) II est exact que les mesures d'exécution de la directive de base dont il s'agit dans l'affaire en question — la directive 90/642/CEE du Conseil, du 27 novembre 1990, concernant la fixation de teneurs maximales pour les résidus de pesticides sur ou dans certains produits d'origine végétale, y compris les fruits et légumes (JO L 350, p. 71) — ne concernent effectivement pas tous les pesticides potentiellement susceptibles de relever du champ d'application de la directive de base. Toutefois, dans ce cas, dans lequel la légalité de la directive d'exécution n'était d'ailleurs absolument pas en cause, la directive de base précisait elle-même dans l'exposé des motifs (voir dixième considérant) que des quantités maximales ne devaient être fixées que pour « certaines substances actives », ce dont il résulte que le prétendu défaut d'exhaustivité de l'annexe arrêtée par la directive d'exécution, invoqué par le Conseil en vue d'établir un parallèle avec l'affaire qui nous occupe, correspond parfaitement à la directive de base.
( 13 ) Neuvième considérant de la directive de base. C'est nous qui soulignons.
( 14 ) C'est nous qui soulignons.