CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIUSEPPE TESAURO

présentées le 25 janvier 1996 ( *1 )

1. 

Par la question préjudicielle faisant l'objet de la présente procédure, le Bundesgerichtshof demande à la Cour de se prononcer sur l'interprétation des articles 31, paragraphe 1, sous c), point aa), et 59 de la quatrième directive 78/660/CEE du Conseil, du 25 juillet 1978, fondée sur l'article 54, paragraphe 3, sous g), du traité et concernant les comptes annuels de certaines formes de société ( 1 ), (ci-après la « quatrième directive »).

La juridiction allemande s'interroge, notamment, sur la compatibilité avec lesdites dispositions d'une interprétation de la législation nationale de mise en œuvre de la quatrième directive qui impose aux rédacteurs du bilan d'une société de capitaux de procéder à une certaine opération comptable (ci-après également dénommée l'« inscription concomitante des bénéfices »). Cette opération consiste à porter à l'actif du bilan relatif à un exercice donné (par exemple 1989) d'une société qui contrôle, en qualité de seul associé, une autre société, les bénéfices réalisés par la société contrôlée au cours du même exercice (également 1989), dans l'hypothèse où les exercices des deux sociétés coïncident et où la société contrôlée a approuvé le bilan et décidé de l'affectation de ses bénéfices sous forme de dividendes avant (par exemple en mai 1990) que ne soit certifié et approuvé le bilan de la société qui détient le contrôle (juillet/octobre 1990).

Le cadre juridique

2.

En vertu de l'article 31, paragraphe 1, de la quatrième directive, les États membres sont tenus d'assurer que l'évaluation des postes figurant dans le bilan se fasse suivant certains principes généraux, à savoir notamment le principe de prudence et celui de compétence.

Aux termes de l'article 31, paragraphe 1, sous c), « le principe de prudence doit en tout cas être observé et notamment:

aa)

seuls les bénéfices réalisés à la date de clôture du bilan peuvent y être inscrits;

bb)

il doit être tenu compte de tous les risques prévisibles et pertes éventuelles qui ont pris naissance au cours de l'exercice ou d'un exercice antérieur, même si ces risques ou pertes ne sont connus qu'entre la date de clôture du bilan et la date à laquelle il est établi ».

Reconnu de manière plus ou moins explicite dans la tradition comptable de la plupart des États membres, le principe de prudence oblige donc les rédacteurs du bilan à évaluer les éléments actifs et passifs de façon à en assurer la crédibilité économique. En particulier, il impose de ne pas comptabiliser des bénéfices non réalisés et d'inscrire au contraire au bilan même les pertes seulement potentielles (ce qu'il est convenu d'appeler l'asymétrie négative des évaluations).

3.

Le même article 31, paragraphe 1, sous d), dispose qu'« il doit être tenu compte des charges et produits afférents à l'exercice auquel les comptes se rapportent, sans considération de la date de paiement ou d'encaissement de ces charges ou produits ».

Il s'agit là du principe de compétence, lui aussi admis dans la pratique comptable de la plupart des États membres, qui impose la prise en compte, aux fins de l'inscription au bilan d'un certain exercice financier, des résultats économiques que l'entreprise a obtenus au cours de l'exercice en question, indépendamment de la date des encaissements effectifs ou des dépenses; en d'autres termes, il consacre la primauté de la compétence économique sur celle temporelle, ou de « caisse », dans la comptabilisation des éléments actifs et passifs du revenu.

4.

Les deux principes susmentionnés constituent à leur tour une traduction cohérente du principe plus général d'« image fidèle » (« true and fair view » ( 2 )), énoncé à l'article 2 de la quatrième directive, dont s'inspire en fait l'ensemble de la réglementation communautaire en la matière.

Ce principe exige que le bilan soit établi de façon à représenter de manière non seulement véridique (« true », quoique dans l'acception relative qui est traditionnellement et nécessairement reconnue à cet adjectif en matière de bilan), mais également correcte (« fair », eu égard en substance à la bonne foi qui doit inspirer le rédacteur) le patrimoine, la situation financière ainsi que les résultats de la société.

5.

L'article 59 de la quatrième directive ( 3 ) concerne par contre la valeur des participations des sociétés dans les entreprises liées. En vertu du premier alinéa, les États membres ont la faculté de prévoir ou d'imposer que, jusqu'à coordination ultérieure en la matière et sous certaines conditions, « les droits détenus dans le capital d'entreprises liées soient évalués selon la méthode de la mise en équivalence » ( 4 ).

6.

La législation allemande applicable en l'espèce constitue, selon la juridiction de renvoi, la transposition fidèle des principes posés à l'article 31 ( 5 ). En tout cas, la compatibilité de cette législation avec la directive n'est pas contestée.

Pour ce qui concerne d'autre part la faculté laissée au législateur national de prescrire la méthode de la mise en équivalence visée à l'article 59, il résulte du dossier que le législateur allemand n'a pas fait usage de cette possibilité, du moins à l'époque des faits de la cause.

Les faits à l'origine du litige au principal

7.

Mme Tomberger (ci-après la « demanderesse ») détient une participation dans la société à responsabilité limitée Gebrüder von der Wettern (ci-après la « défenderesse », ou également la « société mère »); cette société détient, à son tour, 100 % du capital de deux sociétés à responsabilité limitée, la Technische Sicherheitssystem et la Gesellschaft für Bauwerksabdichtungen (ci-après la « TSS » et la « GfB », ou également les « filiales »).

Les comptes annuels de la défenderesse relatifs à l'exercice 1989, tel qu'il a été arrêté au 31 décembre 1989, ont été certifiés le 18 juillet 1990 et approuvés par l'assemblée générale le 19 octobre de la même année. Les comptes annuels de la TSS et de la GfB afférents à l'exercice 1989, eux aussi clôturés au 31 décembre 1989, ont été approuvés par les assemblées générales (respectives) le 29 juin 1990, donc avant l'approbation des comptes annuels de la société mère. Ces mêmes assemblées ont en outre décidé, à la même date, de l'affectation et de la distribution des bénéfices, en fait à la société mère.

8.

Parmi les postes à l'actif des comptes annuels de la société mère pour 1989, les administrateurs ont inscrit les bénéfices réalisés et distribués par la TSS et la GfB au titre de l'exercice 1988, mais n'ont pas intégré ceux relatifs à l'exercice 1989.

Estimant que la société mère aurait dû au contraire, en vertu de la règle de l'inscription concomitante, faire figurer à l'actif de ses comptes annuels pour 1989 également les bénéfices des filiales relatifs au même exercice 1989, Mme Tomberger a introduit une action en justice visant à l'annulation de la décision de l'assemblée générale portant approbation de ces comptes annuels. En effet, selon la demanderesse, la règle de l'inscription concomitante serait conforme à la quatrième directive dans un cas tel que celui visé en l'espèce.

La question préjudicielle

9.

Le recours, rejeté en première instance et en appel, a fait l'objet d'une demande en « Revision » devant le Bundesgerichtshof. Cette juridiction a estimé nécessaire de surseoir à statuer et de demander à la Cour de se prononcer sur l'interprétation de l'article 31, paragraphe 1, sous c), point aa), et de l'article 59 de la quatrième directive.

A cet égard, relevons d'emblée que, ainsi qu'il résulte de l'ordonnance de renvoi, le Bundesgerichtshof s'était déjà prononcé, dans le passé, en faveur de l'admissibilité de l'inscription concomitante des bénéfices dans un cas analogue à celui de l'espèce. Dans un arrêt rendu en 1975, c'est-à-dire antérieurement à l'entrée en vigueur de la quatrième directive, la juridiction de renvoi avait, en effet, constaté que les bénéfices réalisés par une société de capitaux dans le cadre d'un exercice donné peuvent être inscrits (sous la rubrique « créances sur des entreprises liées ») à l'actif du bilan pour le même exercice d'une société qui détient dans la première une participation majoritaire, lorsque le bilan de la filiale a été approuvé avant celui de la société mère et qu'il existe au moins un projet correspondant de répartition des bénéfices ( 6 ).

10.

Le juge a quo précise d'ailleurs, dans l'ordonnance de renvoi, qu'il estime à présent que l'inscription concomitante est même obligatoire dans une situation en substance identique: c'est-à-dire lorsque, comme en l'espèce, la société mère est actionnaire unique ou majoritaire de la filiale ( 7 ), et que cette dernière a décidé de l'affectation de ses bénéfices avant que les comptes annuels de la société mère n'aient été approuvés.

En pareille circonstance, il y aurait lieu, selon le Bundesgerichtshof, de déroger à la règle générale selon laquelle les bénéfices réalisés par la filiale au cours d'un exercice donné ne peuvent être imputés au patrimoine de la société mère qu'à partir du moment où l'assemblée générale de la première société a décidé de l'affectation desdits bénéfices sous forme de dividendes. En effet, en cas de contrôle à 100 % ou de participation majoritaire, l'inscription concomitante des bénéfices réalisés par les filiales au cours d'un exercice donné contribuerait à donner une image plus « fidèle » du patrimoine, de la situation financière ainsi que des résultats de la société mère au cours du même exercice.

11.

Une telle interprétation impliquerait qu'il soit fait droit à la demande formulée par la demanderesse. Toutefois, la juridiction de renvoi s'interroge sur le bien-fondé de cette interprétation au regard des dispositions pertinentes de la quatrième directive et de la législation nationale portant transposition de celle-ci; elle demande par conséquent à la Cour de préciser la portée des dispositions prévues aux articles 31, paragraphe 1, sous c), point aa), et 59 de ladite directive, afin d'apprécier si celles-ci s'opposent à l'inscription concomitante des bénéfices dans un cas tel que celui de l'espèce.

12.

Pour ce qui concerne, notamment, l'article 59 de la quatrième directive, il convient de relever que cette disposition, bien qu'elle fasse expressément l'objet de la question posée par la juridiction de renvoi, ne saurait constituer un critère pertinent pour apprécier si l'inscription concomitante des bénéfices peut être admise dans le contexte dont il s'agit ici.

En effet, ainsi qu'il a été exposé, le législateur allemand n'a pas fait usage de la faculté qui lui était donnée de prescrire ou d'imposer la méthode de mise en équivalence pour l'évaluation de la participation des sociétés dans les entreprises liées; il s'ensuit — et d'ailleurs toutes les parties en cause sont unanimes sur ce point — que l'on ne saurait envisager une violation de l'article 59 de la quatrième directive ( 8 ).

13.

Il convient en revanche de prendre en considération, en l'espèce, une disposition qui, bien qu'elle n'ait pas été évoquée par la juridiction de renvoi, est assurément apte à trouver application en l'espèce; il s'agit de l'article 31, paragraphe 1, sous d), précité, qui, comme nous l'avons vu, pose clairement le principe de la compétence.

La question déférée par la juridiction nationale doit par conséquent être résolue à la lumière des seules dispositions prévues à l'article 31, paragraphe 1, sous c), point aa), et sous d), de la quatrième directive.

14.

Une dernière précision s'impose en ce qui concerne les faits de la cause. Il ne résulte pas de l'ordonnance de renvoi que la société mère soit tenue d'établir un bilan consolidé de groupe. Au contraire, la question se réfère expressément au seul régime prévu par la quatrième directive concernant les bilans individuels des sociétés de capitaux.

Il s'agit donc d'une hypothèse où les bilans de la partie défenderesse et ceux de ses filiales sont des bilans « normaux », établis par des personnes morales distinctes, de sorte que la réglementation communautaire en matière de bilan consolidé n'a aucune pertinence en l'espèce.

15.

Abordons à présent le problème central soulevé par la présente procédure, qui se résume à la question suivante: les bénéfices réalisés par les filiales au cours de l'exercice clôturé le 31 décembre 1989 peuvent-ils être considérés également comme des bénéfices réalisés par la société mère au cours du même exercice au sens de l'article 31, paragraphe 1, sous c), point aa), et sous d)?

A notre avis, la réponse ne peut être que négative. L'élément constitutif du droit de la société mère au versement de tels bénéfices réside, en effet, dans la décision qui affecte les bénéfices à titre de dividendes et les distribue aux actionnaires. Cette décision ne peut à l'évidence intervenir qu'à une date postérieure à celle de clôture (le 31 décembre 1989) du bilan des filiales. En réalité, avant cette date, aucune certitude juridique n'existe quant à l'existence et au montant de ces bénéfices qui, par hypothèse, pourraient ne pas se réaliser du tout ou recevoir (ne fût-ce qu'en partie) une affectation autre que la distribution sous forme de dividendes.

16.

Certes, le fait que, en l'espèce, la société mère contrôle entièrement les filiales peut donner à penser que l'affectation des bénéfices à la distribution de dividendes est certaine, puisqu'elle dépend en tout cas de la volonté de la société mère elle-même. Mais cela ne permet cependant pas de considérer comme juridiquement établi le droit, et encore moins l'obligation, de la société mère d'inscrire ces bénéfices au bilan relatif à l'exercice (par exemple 1989) au cours duquel ils ont été réalisés en tant que bénéfices des filiales; un tel droit ne pourra entrer en ligne de compte que pour l'exercice suivant (à savoir 1990, dans l'exemple que nous avons pris) en ce qui concerne la société mère. A ce propos, il convient de rappeler que, en dépit de leur « parenté », la société mère et les filiales sont et restent des personnes morales formellement distinctes, de même que le sont les documents comptables que ces sociétés sont appelées à établir.

Affirmer que le bénéfice réalisé par les filiales au cours d'un exercice donné peut ou doit être considéré comme un bénéfice de la société mère pour cet exercice avant même d'avoir été dûment affecté à la distribution de dividendes équivaudrait, en somme, à reconnaître que tout bénéfice dégagé par les filiales devient automatiquement et simultanément un bénéfice de la société mère; or, cela n'est pas admissible, dans la mesure où il s'agit de sujets juridiquement distincts et de bilans qui ne sont pas des bilans consolidés.

17.

Le gouvernement allemand et celui du Royaume-Uni, qui attribuent un poids significatif à la circonstance que la société mère exerce un contrôle total, ont soutenu qu'une interprétation des dispositions en question qui ne permettrait pas, dans l'affaire qui nous occupe, l'inscription concomitante des bénéfices serait excessivement restrictive et formaliste, principalement en raison de l'absence d'un risque réel d'évaluations imprudentes, et que, partant, le droit au bénéfice de la société mère devrait être considéré comme né, au moins sur le plan économique, même s'il n'est pas acquis du point de vue juridique, au cours du même exercice durant lequel les filiales ont réalisé le bénéfice en question.

Le Bundesgerichtshof, pour sa part, estime que le droit de la société mère à l'attribution du bénéfice constitue une créance vis-à-vis de ses filiales, créance qui, au moment de la clôture du bilan, peut être considérée, sur le plan économique, comme étant tellement concrétisée qu'elle doit figurer au bilan de la société mère en tant qu'augmentation du patrimoine au cours du même exercice que celui des filiales.

18.

Il ne nous semble pas que l'on puisse souscrire à l'argumentation avancée par le gouvernement allemand et celui du Royaume-Uni. L'accent placé sur l'aspect économique plutôt que sur l'aspect juridique n'est, en effet, pas de nature à modifier les termes du problème ni la réponse à apporter à la juridiction nationale.

Il convient de relever, tout d'abord, que le bénéfice même des filiales, dans un contexte de sujets distincts et de bilans non pas du groupe mais des sujets particuliers faisant partie du groupe, ne peut être reconnu comme tel qu'à la clôture de l'exercice et pas avant. En effet, jusqu'au 31 décembre, minuit sonné, le bénéfice en question pourrait encore se réduire de moitié, voire à néant.

19.

Par conséquent, pour que le bénéfice des filiales puisse être transformé en poste de l'actif de L société mère il faut:

a)

du point de vue juridique:

que l'exercice des filiales soit clôturé;

que le bilan des filiales soit approuvé et que les bénéfices soient affectés à titre de dividendes et distribués;

b)

du point de vue économique:

{au moins) que l'exercice des filiales soit clôturé.

20.

La circonstance que, comme en l'espèce, les filiales soient entièrement contrôlées par la société mère ne modifie pas les termes du problème. L'inscription du bénéfice des filiales à l'actif de la société mère ne peut en effet avoir lieu que pour l'exercice suivant celui (à savoir 1989) auquel est imputé le bénéfice des filiales, puisqu'en toute hypothèse ce n'est qu'à partir du 1er janvier suivant la date de clôture de l'exercice en question (c'est-à-dire, dans notre cas, à partir du 1er janvier 1990) que l'on peut reconnaître l'existence d'un bénéfice et commencer à envisager l'une ou l'autre affectation de celui-ci.

A vrai dire, la seule différence résultant du contrôle total se limite à ce que la société mère pourra décider, dès le 1er janvier 1990, que les bénéfices des filiales seront affectés à la distribution de dividendes et, partant, à elle-même. Mais pas avant cette date.

21.

L'opération qui reste donc en tout cas impossible est celle qui consiste à affecter les bénéfices réalisés par les filiales en 1989 au même exercice de la société mère; l'exigence du respect des principes de prudence (« seuls les bénéfices réalisés à la date de clôture du bilan peuvent y être inscrits ») et de compétence s'y oppose de manière, selon nous, incontestable. C'est précisément l'application correcte de ces principes qui contribue, comme nous l'avons vu, à assurer que le bilan donne une image « fidèle » du patrimoine de la société pour l'exercice auquel se réfère ledit bilan.

En définitive, ce serait au contraire en procédant à l'inscription concomitante des bénéfices dans un cas tel que celui de l'espèce, et en méconnaissant de ce fait lesdites exigences de prudence et de compétence, que les administrateurs de la société mère fourniraient aux actionnaires et aux tiers une image non « fidèle » du patrimoine de la société au cours de l'exercice en question, ce qui irait à l'encontre de la finalité première de l'ensemble de la réglementation.

22.

Le gouvernement allemand a fait valoir en outre que, dans le cadre du système de coordination institué par la réglementation communautaire en matière de bilan, l'article 31, paragraphe 1, sous c), aa), dont il s'agit ici, représenterait une norme de résultat, chaque législateur national étant Ubre de lui donner le contenu qui lui paraît le plus approprié. Plus précisément, le gouvernement allemand a soutenu que la disposition laisse une large marge d'appréciation aux États membres pour définir la notion de « bénéfice réalisé ». En conséquence, il serait loisible à chaque État membre d'appliquer la règle de l'inscription concomitante du bénéfice, en incluant celui-ci, dans les circonstances de l'espèce qui nous occupe, dans la notion de « bénéfice réalisé ».

Cette argumentation ne nous paraît pas convaincante. En premier lieu, l'article 31, paragraphe 1, prévoit expressément que « les États membres assurent que l'évaluation des postes figurant dans les comptes annuels se fait suivant les principes généraux suivants » ( 9 ).

23.

En second lieu, la quatrième directive, ainsi qu'il a été exposé, ne se borne pas à poser l'obligation de prudence en termes généraux, mais s'efforce d'en préciser le contenu grâce à des dispositions particulières qui en constituent l'application, comme la possibilité d'inscrire au bilan seuls les bénéfices effectivement réalisés à la date de clôture de l'exercice. Dans ces conditions, il nous semble que non seulement la logique, mais également le contenu de la règle seraient trahis, s'il était permis de l'interpréter de la manière suggérée par le gouvernement allemand.

Mais il y a plus. Quelque différente que puisse être la notion de « bénéfice réalisé » dans la tradition et dans la pratique comptable des différents États membres, elle ne saurait en aucun cas aller jusqu'à inclure un bénéfice seulement futur, c'est-à-dire encore juridiquement et économiquement inexistant. Tel est, en effet, le cas du bénéfice réalisé par une entreprise au cours d'un exercice donné vis-à-vis de la société qui la contrôle, au moins jusqu'à la date de clôture de l'exercice en question.

24.

Enfin, nous tenons également pour significative une autre disposition de la quatrième directive, qui s'inspire elle aussi des principes de prudence et de compétence. Il s'agit de l'article 31, paragraphe 1, sous c), bb), déjà cité, en vertu duquel « il doit être tenu compte de tous les risques prévisibles et pertes éventuelles qui ont pris naissance au cours de l'exercice ou d'un exercice antérieur, même si ces risques ou pertes ne sont connus qu'entre la date de clôture du bilan et la date à laquelle il est établi ».

Cette disposition, qui fait expressément référence aux seules pertes et aux risques (qui plus est à imputer à l'exercice de référence, alors qu'ils n'ont été connus qu'ultérieurement), confirme, a contrario, que l'obligation d'inscrire au bilan les seuls bénéfices effectivement réalisés au cours de l'exercice ne souffre aucune dérogation.

25.

A la lumière des considérations qui précèdent, nous suggérons donc à la Cour de répondre comme suit à la question posée par le Bundesgerichtshof:

« L'article 31, paragraphe 1, sous c), aa), et sous d), de la directive 78/660/CEE du Conseil, du 25 juillet 1978, fondée sur l'article 54, paragraphe 3, sous g), du traité et concernant les comptes annuels de certaines formes de société, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une opération comptable consistant à inscrire à l'actif du bilan relatif à un exercice donné d'une société de capitaux qui contrôle, en tant que seul associé, une autre société de capitaux, les bénéfices dégagés par la filiale au cours dudit exercice, même lorsque les exercices des deux sociétés coïncident et que la filiale a approuvé le bilan et décidé de l'affectation des bénéfices avant l'approbation du bilan de la société mère. »


( *1 ) Langue originale: l'italien.

( 1 ) JO L 222, p. 11.

( 2 ) Dans le texte allemand: « den tatsächlichen Verhältnissen entsprechendes Bild ». Dans le texte italien: « quadro fedele »; toutefois, l'expression « rappresentazione veritiera e corretta » (représentation véridique et correcte) a été préférée à l'expression « quadro fedele » dans le cadre de la modification apportée au code civil italien aux fins de la mise en œuvre de là quatrième directive (article 2423 du code civil).

( 3 ) Modifié par l'article 45 de la septième directive 83/349/CEE du Conseil, du 13 juin 1983, fondée sur l'article 54, paragraphe 3, point g), du traité, concernant les comptes consolidés CO L 193, p. 1).

( 4 ) Selon cette méthode applicable lorsque la société qui détient une participation dans une autre société est en mesure d'exercer une influence directe sur les résultats de cette dernière, la valeur de la participation correspond à la valeur des capitaux propres résultant du bilan de l'entreprise liée, ou à un pourcentage calculé sur la base de la fraction du capital détenu.

( 5 ) Il s'agit, notamment, de l'article 252, paragraphe 1, point 4, du Handelsgesetzbuch (HGB, code de commerce).

( 6 ) Arrêt du Bundesgerichtshof du 3 novembre 1975, H. e.a./ W. AG.

( 7 ) Pour laquelle il existe donc une présomption au sens de l'article 17, paragraphe 2, de l'Akuengesetz (AktG) qu'elle dépend de la société qui y détient une participation majoritaire, et une présomption au sens de l'article 18, paragraphe 1, troisième phrase, que les deux sociétés constituent un groupe.

( 8 ) En outre, comme nous l'avons vu, l'article 59 régit un cas différent de celui dont il s'agit ici, à savoir la méthode d'évaluation de l'importance des participations des sociétés dans les entreprises qui sont liées à elles. En réalité, la référence à l'article 59 dans la question préjudicielle s'explique vraisemblablement par le fait que l'interprétation de cette disposition a fait l'objet, au cours de la procédure principale, d'une analyse approfondie de la part de la partie défenderesse, qui en a tiré une série d'arguments etayant la thèse de l'illégalité de l'inscription concomitante des bénéfices.

( 9 ) C'est nous qui soulignons.