CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. GEORGES COSMAS

présentées le 28 mars 1996 ( *1 )

Le Bundesfinanzhof soumet à la Cour une série de questions préjudicielles relatives à l'interprétation de certaines dispositions de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme ( 1 ) (ci-après la « sixième directive »). Les trois premières de ces questions concernent le champ d'application du système commun de taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la « TVA ») et, plus particulièrement, l'interprétation de la notion d'« activité économique » qui est définie à l'article 4, paragraphe 2, de la sixième directive. Par sa dernière question, la juridiction de renvoi demande à être éclairée sur le sens précis de la disposition de l'article 11, sous A, paragraphe 1, sous c), de ladite directive, qui détermine la base d'imposition pour certaines opérations qui sont assimilées à des prestations de services effectuées à titre onéreux (et relèvent donc du champ d'application du système commun de TVA) en vertu de l'article 6, paragraphe 2, sous a), de cette même directive.

I — Le contexte factuel — Les questions préjudicielles

1.

Mme Renate Enkler (ci-après « Mme Enkler ») est employée de commerce au cabinet de contentieux fiscal de son époux. Le 15 septembre 1984, elle a déclaré la location de camping-cars comme activité professionnelle auprès de l'administration de la commune où elle réside et auprès du service des contributions compétent (le Finanzamt Homburg, ci-après le « Finanzamt »). Quelques jours plus tard, le 28 septembre 1984, elle a acquis effectivement un camping-car pour un montant de 46249 DM, plus la taxe sur le chiffre d'affaires d'un montant de 6474,89 DM.

2.

Dans sa déclaration annuelle de 1984 relative au chiffre d'affaires, Mme Enkler a fait état d'un montant de 7270,77 DM au titre de la taxe déductible, en indiquant parallèlement que, pendant cette année, elle avait utilisé le camping-car à des fins exclusivement privées. Dans les déclarations correspondantes pour les deux années suivantes, elle a déclaré les chiffres d'affaires suivants au titre de la location du véhicule:

1985: recettes s'élevant à 2535 DM au total, dont 2205 DM correspondant à la rémunération perçue pour des locations à son époux;

1986: recettes s'élevant à 1728 DM au total, dont 868 DM correspondant à la rémunération perçue pour des locations à son époux.

3.

L'ordonnance de renvoi fait également ressortir les éléments suivants relatifs aux conditions dans lesquelles le véhicule a été acheté et utilisé ( 2 )

L'époux de Mme Enkler a participé aux frais d'achat et d'entretien du véhicule en versant 42321 DM en 1984, 8270 DM en 1985 et 8751 DM en 1986. Pendant les périodes durant lesquelles il louait le véhicule, il versait à titre de rémunération un forfait journalier de 90 DM.

Le camping-car, immatriculé au nom de Mme Enkler, a été utilisé pour la première fois par les deux époux pour effectuer un voyage au cours duquel ils ont constaté que le véhicule présentait des problèmes d'étanchéité. Ils ont ensuite demandé au vendeur d'éliminer ce défaut. Pendant que le vendeur procédait aux travaux nécessaires, les époux Enkler ont utilisé le véhicule à des fins privées. Après la réparation, le véhicule a été loué à deux reprises à des tiers et a été endommagé, pendant la durée de ces locations, en raison d'un accident.

La juridiction de renvoi, d'après les informations données par Mme Enkler elle-même, résume comme suit les éléments relatifs à l'utilisation du véhicule:

utilisation totale: 250 jours, distance parcourue 25781 km,

utilisation à des fins privées: 79 jours, distance parcourue 13100 km,

utilisation par le conjoint: 40 jours, distance parcourue 5239 km,

location à des tiers: 18 jours, distance parcourue 3236 km,

trajets pour réparation: 113 jours, distance parcourue 4206 km.

4.

La juridiction de renvoi ajoute par ailleurs que:

a)

Le camping-car était couvert par une assurance obligatoire conclue à titre privé. C'est seulement lorsque le véhicule était mis à la disposition de tiers que Mme Enkler contractait l'assurance obligatoire pour véhicules de location, tandis que, en vertu d'un accord avec l'assureur, le conjoint pouvait utiliser le véhicule sans qu'il soit nécessaire de contracter une assurance complémentaire en plus de l'assurance obligatoire conclue à titre privé;

b)

Mme Enkler ne faisait aucune publicité dans la presse pour la location du véhicule;

c)

lorsqu'il n'était pas loué, le camping-car était garé dans un parking couvert près de la maison où habitaient les époux Enkler.

5.

En 1986, Mme Enkler a déclaré qu'elle allait (de toute évidence à partir de la date de la déclaration) utiliser le véhicule à des fins exclusivement privées. Selon la même déclaration, il fallait prendre pour base d'imposition de la taxe sur le chiffre d'affaires due par la déclarante la somme de 19000 DM, tandis que, pour le calcul de la taxe à payer en définitive, il fallait, toujours selon la déclarante, appliquer une déduction de 80 % à laquelle Mme Enkler avait droit en sa qualité de petit exploitant, en vertu de l'article 19, paragraphe 3, de la loi allemande en matière de taxe sur le chiffre d'affaires (Umsatzsteuergesetz 1980, ci-après l'« UStG »).

6.

Le Finanzamt avait, dans un premier temps, calculé la taxe sur le chiffre d'affaires dont Mme Enkler était redevable pour les années litigieuses (1984 à 1986) conformément à ses déclarations. Mais, par la suite, il a modifié ses propres calculs, par avis de redressement du 3 avril 1989, en ne prenant plus en compte, pour le calcul de la taxe dont Mme Enkler était redevable, que les sommes correspondant à la taxe sur le chiffre d'affaires qu'elle avait facturée aux preneurs de son véhicule. Le Finanzamt a adopté ces avis de redressement en partant du principe que Mme Enkler était redevable de la taxe au titre des dispositions de l'article 14, paragraphe 3, de l'UStG, au motif qu'elle avait facturé une taxe sur le chiffre d'affaires aux preneurs précités, alors qu'elle n'avait pas la qualité d'entrepreneur.

7.

L'opposition formée par Mme Enkler contre les avis de redressement a été rejetée. Le même sort a été subi par le recours qu'elle a exercé devant le Finanzgericht compétent qui a jugé que Mme Enkler n'agissait pas en qualité d'entrepreneur lorsqu'elle louait son camping-car. Selon l'ordonnance de renvoi, le Finanzgericht a considéré que l'activité permanente exigée pour la qualité d'entrepreneur suppose l'intention de réaliser des recettes, intention dont l'existence doit être constatée au moyen de critères pouvant être vérifiés de manière objective. Selon le Finanzgericht, lorsqu'on examine si ces conditions sont réunies ou non en l'espèce, il apparaît que la demanderesse n'exerçait pas l'activité de location de camping-cars en qualité d'entrepreneur, étant donné que:

a)

elle n'a acquis qu'un seul véhicule, destiné par nature aux loisirs, qu'elle a, de manière prépondérante, utilisé à des fins privées;

b)

elle exerce, à titre principal, une activité autre que la location;

c)

elle ne dispose pas de bureau ni d'installations destinées à mettre le véhicule à l'abri et à l'entretenir;

d)

le véhicule a été essentiellement financé et entretenu par son conjoint;

e)

le camping-car ne faisait l'objet d'une assurance civile pour véhicules de location que pendant les périodes où il était à la disposition de preneurs, et

f)

il a été gardé par Mme Enkler, alors que son exploitation s'est révélée fortement déficitaire.

8.

Mme Enkler a formé un pourvoi en Revision contre le jugement du Finanzgericht devant le Bundesfinanzhof lequel, considérant qu'il convient d'interpréter les dispositions de droit national pertinentes (les articles 1er, paragraphe 1, point 1, et 2, paragraphe 1, de l'UStG) en tenant compte des dispositions correspondantes de la sixième directive (les articles 2, point 1, et 4, paragraphes 1 et 2), a décidé de soumettre à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

« 1)

Convient-il de qualifier la location de biens corporels

a)

d'activité de prestataire de services au sens de l'article 4, paragraphe 2, première phrase, de la sixième directive 77/388/CEE ou

b)

exclusivement d'opération comportant l'exploitation d'un bien corporel en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence au sens de l'article 4, paragraphe 2, deuxième phrase, de la sixième directive 77/388/CEE?

2)

Faut-il considérer que toute mise à disposition à titre onéreux d'un bien corporel en vue de son utilisation est une activité économique au sens de l'article 4, paragraphe 2, deuxième phrase, de la sixième directive 77/388/CEE ou faut-il, pour qu'elle soit une activité économique, qu'elle puisse être différenciée d'une activité d'ordre privé?

Le cas échéant, faut-il la différencier d'une activité d'ordre privé:

en tenant compte de certains éléments (comme, par exemple, l'importance économique, la durée de la mise à disposition du bien en vue de son utilisation, le montant de la rémunération) ou

en effectuant une comparaison avec les formes habituelles que revêt l'activité économique en question (en l'espèce: la location, à titre professionnel, de camp ing-cars)?

3)

Faut-il considérer que la location d'un camping-car constitue une activité économique visant à retirer des recettes ayant un caractère de permanence, lorsque ce véhicule n'a, au cours d'une période de plus de deux ans, été loué que pour une durée de quelques jours à deux preneurs étrangers à la loueuse ainsi que, pour une période totale d'environ six semaines, à l'époux de cette dernière, la rémunération perçue au total s'élevant à environ 4300 DM?

4)

En cas de réponse affirmative à la troisième question: convient-il également d'intégrer dans la base d'imposition [article 11, sous A, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive (77/388/CEE)] applicable aux prestations de services au sens de l'article 6, paragraphe 2, de la sixième directive (77/388/CEE), le montant des dépenses nées au cours de la période où le bien à louer est à la disposition du loueur pour son usage privé (c'est-à-dire pendant les périodes dites de non-occupation)? »

II — Les dispositions pertinentes de la sixième directive

9.

Le champ d'application du système commun de TVA instauré par la sixième directive est défini à l'article 2 de la directive, aux termes duquel:

« Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée:

1.

les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l'intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel;

2.

les importations de biens. »

10.

L'article 4 de la même directive, qui relève du titre IV, intitulé « Assujettis », dispose que:

« 1.

Est considéré comme assujetti quiconque accomplit, d'une façon indépendante et quel qu'en soit le lieu, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité ( 3 ).

2.

Les activités économiques visées au paragraphe 1 sont toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est notamment considérée comme activité économique une opération comportant l'exploitation d'un bien corporel ou incorporel en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence.

3.

Les États membres ont la faculté de considérer également comme assujetti quiconque effectue, à titre occasionnel, une opération relevant des activités visées au paragraphe 2...

4.

...

5.

... »

11.

Enfin, selon l'article 6, paragraphe 2, de la sixième directive:

« Sont assimilées à des prestations de services effectuées à titre onéreux:

a)

L'utilisation d'un bien affecté à l'entreprise pour les besoins privés de l'assujetti ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien a ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la taxe sur la valeur ajoutée;

b)

... »,

tandis que l'article 11, sous A, paragraphe 1, sous c), prévoit que la base d'imposition est constituée

« pour les opérations visées à l'article 6, paragraphe 2, par le montant des dépenses engagées par l'assujetti pour l'exécution de la prestation de services ».

III — Réponse aux questions préjudicielles

A — Sur la première question préjudicielle

12.

Par la première question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande en substance à la Cour si, afin d'établir dans quelle mesure la location de biens corporels doit être qualifiée d'« activité économique », dont l'accomplissement à titre indépendant confère à celui qui l'exerce la qualité d'assujetti à la TVA, il convient de se fonder sur la première phrase du paragraphe 2 de l'article 4 de la sixième directive (selon laquelle constitue une « activité économique » au sens précité, notamment, l'activité de prestataire de services) ou sur la deuxième phrase du même paragraphe (selon laquelle constitue une « activité économique » l'opération comportant l'« exploitation d'un bien corporel ... en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence »).

13.

Ainsi qu'il ressort de l'ensemble de l'ordonnance de renvoi, le Bundesfinanzhof, en posant la première question préjudicielle, part du principe que, si la disposition de la première phrase précitée range dans la notion d'« activité économique » la prestation de services, sans exiger la réunion d'autres critères, la disposition de la deuxième phrase exige, pour qu'il y ait « activité économique », outre la constatation qu'il s'agit d'une opération comportant l'exploitation d'un bien corporel, la constatation que cette exploitation est effectuée dans un but précis, celui d'en « retirer des recettes ayant un caractère de permanence ». Cette conception du Bundesfinanzhof paraît s'appuyer sur deux éléments:

a)

Selon le paragraphe 1 de l'article 4 de la sixième directive, est assujetti à la TVA quiconque accomplit une « activité économique », quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

b)

La version allemande de la deuxième phrase du paragraphe 2 de l'article 4, selon laquelle est également (auch) considérée comme « activité économique » l'exploitation d'un bien corporel en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence, pourrait suggérer que cette disposition introduit une dérogation à la règle (résultant non seulement du paragraphe 1, mais aussi de la première phrase du paragraphe 2 du même article) selon laquelle le but d'une activité déterminée est sans incidence sur sa qualification ou non d'« activité économique ».

14.

Cette conception n'est toutefois pas exacte. Il convient de relever que, selon le paragraphe 3 de l'article 4 de la sixième directive, les États membres ont la faculté de considérer comme assujetti quiconque effectue, a titre occasionnel, une opération relevant de celles visées au paragraphe 2. Cette disposition amène inévitablement à la conclusion suivante: même si une activité déterminée présente les caractéristiques d'une des activités mentionnées au paragraphe 2 de l'article 4, elle ne saurait être considérée comme une « activité économique », soumise obligatoirement au système commun de TVA, si elle est accomplie à titre occasionnel, c'est-à-dire sans un certain degré de permanence et de continuité; une telle activité ne peut être qualifiée d'« économique » que si l'État membre compétent, faisant usage de la faculté que lui confère la sixième directive, adopte une disposition spéciale en la matière. Ainsi toutefois, la deuxième phrase du paragraphe 2 de l'article 4, au lieu d'apparaître comme une exception à la règle introduite par la première phrase du même paragraphe apparaît plutôt comme une illustration de celle-ci ( 4 ). Il est significatif à cet égard que, si, selon la version allemande (et les versions anglaise, grecque, finnoise, portugaise et suédoise) de la deuxième phrase en question, l'exploitation d'un bien corporel en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence est considérée également (auch, also, επίσης, myös, igualmente, likaså) comme activité économique, selon les autres versions linguistiques de cette même deuxième phrase, l'exploitation d'un bien corporel présentant les caractéristiques susvisées est considérée notamment ou entre autres comme activité économique ( 5 ).

15.

Compte tenu de ce qui précède, pour établir si une activité qui consiste dans la location de biens corporels constitue une « activité économique », il conviendra, dans chaque cas, de vérifier si cette activité présente un certain degré de permanence et de continuité. Puisque la location d'un bien corporel constitue de toute évidence une forme0 (sans doute la plus habituelle) d'exploitation du bien loué ( 6 ), l'examen en question devra tendre à déterminer l'existence de ce critère plus particulier qui confère, selon la deuxième phrase du paragraphe 2 de l'article 4, un caractère de permanence et de continuité à l'exercice de l'activité susvisée. Il conviendra donc de vérifier si cette activité est accomplie « en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence ».

16.

Nous proposons dès lors de répondre comme suit à la première question préjudicielle posée par le Bundesfinanzhof:

« La location d'un bien corporel constitue une forme d'exploitation de ce bien. En conséquence, pour que cette forme d'exploitation puisse être qualifiée d''activité économique conférant à celui qui l'accomplit la qualité d'assujetti au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, il convient de vérifier, selon la deuxième phrase du paragraphe 2 de l'article 4 de la sixième directive, si cette activité est exercée en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence ».

B — Sur les deuxième et troisième questions préjudicielles

17.

La réponse proposée à la première question préjudicielle détermine également la réponse qu'il convient de donner à la deuxième. Comme cela ressort de ce qui a déjà été exposé, ne constitue pas une « activité économique » au sens de la sixième directive, toute activité accomplie de façon indépendante et comportant l'exploitation d'un bien corporel (ou, selon la formulation utilisée par la juridiction de renvoi, la « mise à disposition à titre onéreux d'un bien corporel »), mais uniquement celle qui est accomplie en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence. C'est donc ce dernier critère qui constitue le critère nécessaire (mais aussi süffisant) pour qu'une activité présentant les caractéristiques indiquées relève du champ d'application du système commun de TVA, et pas le critère cité dans la deuxième question préjudicielle, à savoir la possibilité de différencier l'activité litigieuse d'une activité correspondante d'« ordre privé ».

18.

Certes, la question purement factuelle de savoir si une activité déterminée est accomplie dans le but indiqué (ou si un bien déterminé a été acquis en vue d'être utilisé pour l'accomplissement d'une activité dans ce but ( 7 )) ne peut pas être tranchée uniquement sur la base de l'intention qu'aurait manifestée l'intéressé. L'autorité administrative ou juridictionnelle appelée à statuer doit apprécier l'ensemble des données de l'espèce, de telle sorte que la constatation qu'une activité déterminée est accomplie en vue de réaliser des recettes ayant un caractère de permanence soit fondée, dans la mesure du possible, sur des critères pouvant être objectivement contrôlés ou vérifiés ( 8 ). Parmi les critères de nature objective, sur la base desquels sera effectué l'examen en question, la nature du bien ( 9 ) exercera une influence particulière, mais également l'ensemble des conditions de son exploitation. Il est en effet évident que si le bien convient à une exploitation économique exclusivement, ce critère objectif suffira, en règle générale, à faire admettre que son propriétaire l'exploite en vue de réaliser des recettes ayant un caractère de permanence. En revanche, lorsque le bien est, de par sa nature, susceptible d'être utilisé par son propriétaire pour ses besoins privés, il conviendra, pour établir que le propriétaire, malgré la nature du bien, l'utilise en vue d'en retirer des recettes ayant effectivement un caractère de permanence, de vérifier scrupuleusement l'ensemble des conditions de son exploitation ( 10 ). Dans le cadre de ce contrôle, la comparaison citée dans la deuxième question préjudicielle entre, d'une part, les conditions sous lesquelles l'intéressé exploite le bien et, d'autre part, les conditions sous lesquelles s'exerce habituellement l'activité économique correspondante peut probablement constituer une des méthodes permettant de s'assurer de l'existence ou non du critère pertinent en l'espèce, qui est, comme nous l'avons dit au point précédent, l'accomplissement de l'activité concernée en vue de réaliser des recettes ayant un caractère de permanence.

19.

Par sa troisième question préjudicielle, le Bundesfinanzhof demande à la Cour si l'on peut considérer que la location d'un camping-car vise à réaliser des recettes ayant un caractère de permanence lorsque:

a)

au cours d'une période de plus de deux ans, le véhicule n'a été loué à des tiers qu'à deux reprises et pour quelques jours seulement;

b)

au cours de la même période, le véhicule a été loué pendant environ six semaines à l'époux de la loueuse, et

c)

les recettes perçues au total pour la location du véhicule se sont élevées à environ 4300 DM.

20.

Il est évident que la Cour, dont la juridiction dans le cadre de la présente procédure préjudicielle est limitée à la seule interprétation des dispositions communautaires pertinentes, n'est pas habilitée à effectuer également une application des dispositions de la sixième directive qu'elle est chargée d'interpréter au litige concret en instance devant la juridiction de renvoi ( 11 ). En conséquence, il n'y a pas lieu de répondre à la troisième question préjudicielle par laquelle c'est ce qui est demandé en substance à la Cour, d'autant plus que le point de savoir si une activité déterminée est exercée ou non en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence ne peut être établi, comme nous l'avons déjà dit, qu'après une appréciation des faits de l'affaire dans leur ensemble ( 12 ). Toutefois, en vue de faciliter la tâche du juge national, la Cour devra indiquer, dans le cadre de sa réponse à la deuxième question préjudicielle, que les éléments de fait mentionnés dans la troisième question sont à ranger, en raison de leur caractère objectif, parmi ceux qu'il peut apprécier, conjointement avec d'autres (telle, par exemple, l'absence de recours à la publicité), pour vérifier si l'activité en cause constitue une « activité économique » au sens de la sixième directive. Elle devra toutefois indiquer parallèlement que la clientèle limitée ou les recettes modiques ou insignifiantes ne sauraient, par elles-mêmes, amener à la conclusion que l'objectif de la réalisation de recettes ayant un caractère de permanence fait défaut. Ces faits peuvent simplement signifier que l'objectif existait mais n'a pu être réalisé, ce qui est indifférent pour l'application des dispositions pertinentes en l'espèce; ainsi qu'il ressort sans ambiguïté de l'article 4, paragraphe 1, de la sixième directive, il n'est pas tenu compte, pour définir la notion d'« activité économique », des résultats de cette activité.

21.

Eu égard aux considérations qui précèdent, nous suggérons de ne pas répondre à la troisième question préjudicielle et de répondre à la deuxième question de la manière suivante:

« Afin d'établir si une activité indépendante, consistant dans la location d'un bien corporel, constitue une ‘activité économique’ au sens de l'article 4, paragraphe 2, de la sixième directive, il convient de rechercher uniquement si l'activité précitée est accomplie en vue de réaliser des recettes ayant un caractère de permanence. Il s'agit d'une pure question de fait qui doit être appréciée au moyen de critères essentiellement objectifs pouvant se rapporter, par exemple, à la nature du bien loué ainsi qu'à l'ensemble des conditions de son exploitation. Par ailleurs, les résultats de cette activité (nombre de clients, montant des recettes) ne constituent pas des critères aptes à fonder, par eux-mêmes, le jugement en question, mais ils peuvent être pris en compte, conjointement avec d'autres, lors de l'examen du point déterminant précité ».

C — Sur la quatrième question préjudicielle

22.

Suivant le libellé de l'ordonnance de renvoi, la quatrième question préjudicielle est posée « en cas de réponse affirmative à la troisième question ». Nous pensons néanmoins qu'il convient, en tout état de cause, de répondre à cette dernière question préjudicielle. En effet, dès lors que, suivant les considérations développées ci-dessus, la question de savoir si une activité déterminée est accomplie en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence constitue une question purement factuelle, tranchée par le juge national sur la base de l'ensemble des faits de l'affaire en instance devant lui, rien n'exclut a priori que le Bundesfinanzhof, dans le cadre du litige pendant entre Mme Enkler et le Finanzamt, se trouve devant l'hypothèse sur laquelle se fonde la quatrième question préjudicielle posée, c'est-à-dire le fait que l'activité litigieuse de Mme Enkler a été accomplie en vue de réaliser des recettes ayant un caractère de permanence ( 13 ).

23.

La quatrième question préjudicielle concerne l'interprétation de la disposition de l'article 11, sous A, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive. Pour interpréter cette disposition, il est évidemment nécessaire de la lire en liaison avec le paragraphe 2 de l'article 6 dont elle présuppose les dispositions.

24.

Le paragraphe 1 de l'article 6 de la sixième directive définit le contenu de la notion de « prestation de services », dont l'accomplissement à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel est soumis à la TVA conformément à l'article 2, point 1, de la même directive. Cette notion est définie audit paragraphe 1 de manière négative: est considérée comme « prestation de services », au sens précité, toute opération qui ne constitue pas une livraison d'un bien au sens de l'article 5 de la sixième directive.

25.

Les dispositions de l'article 6, paragraphe 2, sous a) et b), assimilent néanmoins à des prestations de services effectuées à titre onéreux et donc soumises à la TVA deux catégories particulières d'opérations qui, autrement, ne seraient pas soumises à la taxe ( 14 ). La disposition prévue sous a) (la seule qui nous intéresse en l'espèce) assimile, plus particulièrement, à une prestation de service effectuée à titre onéreux l'utilisation d'un bien affecté à l'entreprise pour les besoins privés de l'assujetti ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à l'entreprise.

26.

L'article 11, sous A, paragraphe 1, sous c), auquel se réfère explicitement la quatrième question préjudicielle, détermine par ailleurs la base d'imposition de la TVA pour les opérations que l'article 6, paragraphe 2, assimile à des prestations de services effectuées à titre onéreux. La base d'imposition est constituée, dans ce cas particulier, « par le montant des dépenses engagées par l'assujetti pour l'exécution de la prestation de services ».

27.

Le problème d'interprétation qui préoccupe le Bundesfinanzhof est le suivant: si une personne est assujettie à la TVA, du fait qu'elle accomplit de façon indépendante une activité économique consistant dans la location d'un bien corporel à des tiers, la base d'imposition de la TVA qui grève, conformément à l'article 6, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive, l'utilisation de ce bien pour les besoins privés de l'assujetti ne comprend-elle que les dépenses nées au cours de la période d'utilisation effective du bien pour ces besoins ou convient-il également de considérer comme « dépenses engagées par l'assujetti pour l'accomplissement de la prestation de services », au sens de l'article 11, sous A, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive, incluses dans la base d'imposition précitée, les dépenses nées au cours de la période où le bien n'est pas utilisé par l'assujetti pour ses besoins privés mais est à tout moment à sa disposition pour un tel usage?

28.

Pour résoudre la question posée par le juge national, il est nécessaire d'analyser les deux paramètres suivants qui sont du reste étroitement liés:

a)

l'objectif poursuivi par le législateur communautaire en assimilant à une prestation de services effectuée à titre onéreux l'utilisation d'un bien aux fins citées à l'article 6, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive et

b)

le contenu précis de la notion d'« utilisation d'un bien » qui figure dans cette disposition.

29.

L'objectif de la disposition résulte clairement de sa dernière phrase, selon laquelle l'assimilation précitée a lieu si le bien utilisé à des fins étrangères à l'entreprise « a ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la taxe sur la valeur ajoutée ». Il ressort à l'évidence de ce dernier élément qu'en introduisant la fiction juridique prévue par la disposition pertinente de l'article 6, paragraphe 2, le législateur a entendu éviter que n'échappent à la perception de la TVA les opérations par lesquelles un bien est utilisé à des fins autres que celles qui ont été invoquées pour ouvrir droit, en application de l'article 17, paragraphe 2, de la sixième directive, à déduction de la TVA qui en a grevé l'acquisition ( 15 ). En effet, la Cour a jugé, dans l'arrêt Kühne ( 16 ), qu'il résulte du système de la sixième directive que la disposition de l'article 6, paragraphe 2, sous a), « entend éviter la non-imposition d'un bien d'entreprise utilisé à des fins privées », tandis que, interprétant la disposition de l'article 5, paragraphe 6, de la sixième directive, régie par la même logique (et selon laquelle est assimilé à une livraison effectuée à titre onéreux le prélèvement par un assujetti d'un bien de son entreprise qu'il affecte à des fins étrangères à l'entreprise, lorsque ce bien a ouvert droit à déduction de la taxe), elle a indiqué, dans l'arrêt De Jong ( 17 ), ce qui suit: « l'objectif de l'article 5, paragraphe 6, de la sixième directive TVA consiste à assurer une égalité de traitement entre l'assujetti qui prélève un bien de son entreprise et un consommateur ordinaire qui achète un bien du même type. En vue de la réalisation de cet objectif, cette disposition empêche qu'un assujetti qui a pu déduire la TVA sur l'achat d'un bien affecté à son entreprise échappe au paiement de la TVA lorsqu'il prélève ce bien sur le patrimoine de son entreprise à des fins privées et qu'il profite donc d'avantages indus par rapport au consommateur ordinaire qui achète le bien en acquittant la TVA ».

30.

Quel est toutefois le sens précis de la notion d'« utilisation d'un bien »? L'arrêt Kühne, précité au point 29, pourrait donner l'impression que la Cour interprète cette notion de manière particulièrement large. Dans le cadre de cette affaire, le juge national avait demandé à être éclairé, entre autres, sur le point de savoir si la base d'imposition, au sens de l'article 11, sous A, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive, d'une opération consistant dans l'utilisation privée d'un bien d'entreprise comprend toutes les dépenses engagées par l'assujetti (donc également celles qui n'ont pas ouvert un droit à déduction) ou « simplement la rémunération des livraisons et des prestations ouvrant droit à la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ». La Cour a répondu à cette question de la manière suivante ( 18 )« ... il suffit de préciser qu'il serait conforme au système commun de taxe sur la valeur ajoutée de ne pas taxer au titre de l'utilisation privée l'amortissement d'un bien d'entreprise qui n'a pas ouvert un droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, tout en imposant les dépenses d'entretien et d'exploitation du bien pour lesquelles l'assujetti serait en droit de déduire la taxe. Une telle solution permettrait, en effet, d'éviter aussi bien une double imposition du bien lui-même que la non-imposition d'une consommation finale ». Il ne serait pas absurde de supposer, à la suite de cela, que toutes les « dépenses d'entretien et d'exploitation du bien » qui ont ouvert droit à déduction de la taxe acquittée en amont sont soumises à la TVA, même si elles se rapportent à une utilisation du bien à des fins étrangères à l'entreprise, et que, par conséquent, ces dépenses doivent être prises en compte pour déterminer la base d'imposition de la TVA sur l'utilisation du bien à titre privé. Pour apprécier la signification du point des motifs cité ci-dessus, il convient toutefois de noter que la question qui se trouvait au centre de l'affaire Kühne ne concernait pas l'imposition des dépenses précitées mais l'imposition de l'amortissement d'un bien d'entreprise en raison de son utilisation à des fins étrangères à l'entreprise dans le cas où un droit à déduction n'avait pas été ouvert lors de l'acquisition du bien. Sous cet angle, le « centre de gravité » du point des motifs précité paraît plutôt être l'accent mis sur l'importance que revêt, comme condition de l'imposition de l'utilisation à titre privé, l'ouverture, lors de l'acquisition du bien, d'un droit à déduction de la TVA qui grevait cette opération ( 19 ).

31.

Ce qui est toutefois certain, c'est que dans l'arrêt Mohsche intervenu ultérieurement (et déjà cité à la note 16), la Cour s'est prononcée, on ne peut plus clairement, en faveur de l'interprétation stricte de la notion d'« utilisation d'un bien ». Cet arrêt a été rendu sur des questions préjudicielles posées, comme c'est le cas en l'espèce, par le Bundesfinanzhof. La première de ces questions visait à savoir si, dans le cadre de l'imposition de l'utilisation pour des besoins privés d'un bien affecté à l'entreprise ayant ouvert droit à déduction de la taxe qui en a grevé la livraison, il convient de prendre en considération, outre l'utilisation du bien, les dépenses d'entretien ou d'exploitation du bien exposées par l'assujetti dans l'hypothèse où ces dépenses n'ont pas ouvert, au profit de ce dernier, droit à déduction de la TVA acquittée en amont.

32.

Dans sa réponse à cette question, la Cour part de la constatation (point 11) que les termes « utilisation d'un bien », en l'absence d'éclaircissement sur leur portée dans la disposition pertinente, « pris en eux-mêmes, peuvent être compris soit dans un sens strict, ne visant que l'utilisation d'un bien proprement dite, soit dans un sens plus large comprenant également les prestations, services, et d'autres dépenses afférentes à cette utilisation ». La Cour rejette toutefois l'interprétation large des termes, considérant qu'elle serait incompatible avec la finalité de la disposition. Comme cela est souligné dans l'arrêt (point 13), « [à] la différence de prestations normales qui sont en principe imposables, que les biens et services utilisés pour leur exécution aient ou non ouvert droit à une déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, l'utilisation privée d'un bien n'est en effet imposable qu'à titre exceptionnel ». Par conséquent, conclut la Cour (point 14), « les termes ‘utilisation d'un bien’ doivent être interprétés dans un sens strict, comprenant uniquement l'utilisation du bien lui-même » et, ainsi, « les prestations accessoires afférentes à cette utilisation ne relèvent pas de l'article 6, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive ».

33.

Compte tenu, eu égard à l'arrêt Molische, de la nécessité d'interpréter dans un sens strict les termes « utilisation d'un bien » figurant dans la disposition qui assimile à une prestation de services à titre onéreux l'utilisation d'un bien d'entreprise à des fins étrangères à cette dernière, il est évident qu'il convient également de comprendre dans un sens strict les termes « dépenses engagées par l'assujetti pour l'exécution de la prestation de services », dépenses qui constituent, selon l'article 11, sous A, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive, la base d'imposition sur laquelle est calculée la TVA qui grève cette « prestation de services » fictive: ne peuvent, par conséquent, être incluses dans ces dépenses que celles qu'engendre l'utilisation du bien lui-même et pas celles qui sont exposées pour des services simplement liés à son utilisation, telles que, par exemple, les dépenses d'entretien ou d'exploitation du bien ( 20 ).

34.

Nous nous empressons toutefois de souligner que la question préjudicielle examinée ici ne concerne pas à proprement parler la question de la nature des dépenses qui peuvent être incluses dans la base d'imposition de la TVA grevant l'utilisation pour les besoins privés d'un bien affecté à l'entreprise, mais la question des périodes à prendre en considération pour le calcul de ces dépenses. Le Bundesfinanzhof semble effectivement considérer que les dépenses à prendre en considération pour le calcul de la base d'imposition de la TVA qui grèverait l'utilisation du véhicule à titre privé, si Mme Enkler exploitait par ailleurs ce véhicule en vue de réaliser des recettes ayant un caractère de permanence (hypothèse sur laquelle est fondée, rappelons-le, la quatrième question préjudicielle, ainsi que nous l'avons précisé au point 22 ci-dessus) sont exclusivement (voir la p. 13 de la traduction française de l'ordonnance de renvoi) les amortissements au prorata de la dépréciation du véhicule, c'est-à-dire une dépense pouvant par excellence être considérée comme découlant « uniquement [de] l'utilisation du bien lui-même » au sens de l'arrêt Mohsche. Toutefois, le fait de préciser la nature des dépenses pouvant être incluses dans la base d'imposition éclaire, à notre avis, les termes dans lesquels se pose le problème d'interprétation qui constitue le noyau de la quatrième question préjudicielle: lors du calcul des amortissements cités dans l'ordonnance de renvoi, convient-il de prendre en considération les périodes où le bien, tout en n'étant pas utilisé pour satisfaire des besoins étrangers à l'entreprise, a été mis à disposition de l'assujetti de manière telle qu'un usage privé était possible à tout moment?

35.

Nous pensons qu'il convient de répondre à cette question par l'affirmative. Nous avons déjà souligné (voir le point 29 ci-dessus) que le but de l'assimilation à une prestation de services effectuée à titre onéreux de l'utilisation d'un bien affecté à l'entreprise pour des besoins privés est de placer la personne qui a pu déduire la TVA acquittée en amont sur l'achat du bien (eu égard au fait que le bien a été acquis pour les besoins de son activité économique ou, notamment, pour les besoins de cette activité) dans la situation dans laquelle se trouverait une personne qui utilise un bien de cette nature acquis à des fins privées uniquement. Le but de l'assimilation ne serait cependant pas pleinement atteint si la constatation de l'existence d'une utilisation d'un bien d'entreprise pour des besoins privés exigeait nécessairement un usage continu et ininterrompu pour ces besoins. Certes, la satisfaction de certains besoins privés impose l'usage continu des biens acquis en vue de cette satisfaction; mais souvent, le besoin privé pour lequel un bien est acquis est pleinement satisfait par une simple utilisation occasionnelle. Dans ce dernier cas, il importe avant tout que le consommateur ait toujours la possibilité d'utiliser le bien dès qu'il le juge nécessaire ou le souhaite. Par ailleurs, lors de l'achat d'un bien à des fins uniquement privées, l'acquéreur est redevable, sans droit à déduction, de la TVA acquittée en amont, peu importe, bien entendu, que le besoin privé qu'il vise à satisfaire le soit par un usage continu ou occasionnel du bien acquis.

36.

Ainsi, afin d'assurer une égalité de traitement entre l'assujetti et le consommateur final visé ci-dessus, il conviendra de considérer comme périodes d'utilisation d'un bien d'entreprise à des fins privées non seulement les périodes d'utilisation effective du bien, mais aussi les périodes pendant lesquelles le bien se trouve à la disposition de l'assujetti de telle manière que la possibilité lui est ouverte à tout moment de l'utiliser pour ses besoins privés ( 21 ). Cette solution (parfaitement compatible, à notre avis, avec la nécessité, indiquée dans l'arrêt Mohsche, d'interpréter dans un sens strict les termes « utilisation d'un bien », dans la mesure où l'interprétation proposée ici n'attache de l'importance qu'au bien lui-même) implique nécessairement que, dans le calcul de la base d'imposition de la TVA grevant l'utilisation à des fins privées d'un bien d'entreprise, il faille intégrer également les dépenses nées au cours de la période où le bien d'entreprise est disponible, au sens précité, pour la satisfaction de besoins étrangers à l'entreprise. Sont à inclure dans ces dépenses les amortissements pour dépréciation du bien pendant la durée de la période de « disponibilité » susvisée, mais pas (eu égard à la solution adoptée dans l'arrêt Mohsche) les dépenses afférentes à des prestations de services effectuées pendant la durée de cette période et simplement liées au bien.

37.

Néanmoins, le fait que le bien affecté à l'entreprise se trouve à disposition de l'assujetti pour un usage privé n'exclut évidemment pas l'éventualité que cette période de « disponibilité » prenne fin avec l'utilisation du bien pour les besoins de l'entreprise. Compte tenu de cela, ainsi que l'ont indiqué à juste titre à cet égard le gouvernement du Royaume-Uni dans ses observations et le Finanzamt à l'audience, il ne convient pas d'intégrer dans la base d'imposition de la TVA qui grève l'utilisation privée d'un bien d'entreprise l'ensemble des dépenses engagées au cours de la période de « disponibilité » du bien, mais, suivant une répartition appropriée, une partie des dépenses en question, proportionnelle au rapport qui existe, entre d'une part, la durée totale de l'utilisation effective du bien à la fois pour les besoins privés et pour les besoins de l'entreprise et, d'autre part, la durée de l'utilisation effective du bien à des fins étrangères à l'entreprise. Ainsi, le but de la fiction juridique prévue à l'article 6, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive est atteint sans être dépassé. La satisfaction de besoins privés au moyen d'un bien d'entreprise est grevée de TVA, afin d'assurer une égalité de traitement entre le consommateur ordinaire et l'assujetti sans, par ailleurs, méconnaître le fait que, pendant la période où le bien reste à disposition de l'assujetti pour un usage privé, son utilisation pour l'exercice d'une activité économique reste également possible.

38.

Nous proposons dès lors de donner la réponse suivante à la quatrième question préjudicielle:

« Dans le calcul de la base d'imposition de la taxe sur la valeur ajoutée sur les opérations assimilées à des prestations de services en vertu de l'article 6, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive, il convient de prendre en considération, conformément à l'article 11, sous A, paragraphe 1, sous c), de la même directive, non seulement les dépenses engagées pendant la période d'utilisation effective d'un bien d'entreprise à des fins étrangères à cette dernière, mais également les dépenses engagées pendant la période où le bien se trouve à disposition de l'assujetti de telle manière qu'il peut à tout moment l'utiliser à des fins étrangères à l'entreprise. La partie de ces dernières dépenses qu'il convient finalement d'intégrer dans la base d'imposition est fixée par répartition et est proportionnelle au rapport qui existe entre la durée totale de l'utilisation effective du bien, d'une part, et la durée de l'utilisation effective du bien à des fins étrangères à l'entreprise, d'autre part. »

IV — Conclusion

39.

Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par le Bundesfinanzhof:

« 1)

La location d'un bien corporel constitue une forme d'exploitation de ce bien. En conséquence, pour que cette forme d'exploitation puisse être qualifiée ď'activité économique conférant à celui qui l'accomplit la qualité d'assujetti au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, il convient de vérifier, selon la deuxième phrase du paragraphe 2 de l'article 4 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, si cette activité est exercée en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence.

2)

Afin d'établir si une activité indépendante, consistant dans la location d'un bien corporel, constitue une ‘activité économique’ au sens de l'article 4, paragraphe 2, de la sixième directive 77/388, il convient de rechercher uniquement si l'activité précitée est accomplie en vue de réaliser des recettes ayant un caractère de permanence. Il s'agit d'une pure question de fait qui doit être appréciée au moyen de critères essentiellement objectifs pouvant se rapporter, par exemple, à la nature du bien loué ainsi qu'à l'ensemble des conditions de son exploitation. Par ailleurs, les résultats de cette activité (nombre de clients, montant des recettes) ne constituent pas des critères aptes à fonder, par eux-mêmes, le jugement en question, mais ils peuvent être pris en compte, conjointement avec d'autres, lors de l'examen du point déterminant précité.

3)

Dans le calcul de la base d'imposition de la taxe sur la valeur ajoutée sur les opérations assimilées à des prestations de services en vertu de l'article 6, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive 77/388, il convient de prendre en considération, conformément à l'article 11, sous A, paragraphe 1, sous c), de la même directive, non seulement les dépenses engagées pendant la période d'utilisation effective d'un bien d'entreprise à des fins étrangères à cette dernière, mais également les dépenses engagées pendant la période où le bien se trouve à disposition de l'assujetti de telle manière qu'il peut à tout moment l'utiliser à des fins étrangères à l'entreprise. La partie de ces dernières dépenses qu'il convient finalement d'intégrer dans la base d'imposition est fixée par répartition et est proportionnelle au rapport qui existe entre la durée totale de l'utilisation effective du bien, d'une part, et la durée de l'utilisation effective du bien à des fins étrangères à l'entreprise, d'autre part. »


( *1 ) Langue originale: le grec.

( 1 ) JO L 145, p. 1.

( 2 ) Le fait que Mme Enkler (sans, toutefois, mettre en doute la pertinenee des questions préjudicielles posées) conteste, dans es observations écrites qu'elle a déposées devant la Cour, l'exactitude de l'exposé des faits repris par le Bundesfinanzhof concernant les conditions d'achat et d'utilisation du véhicule litigieux est sans incidence dans le cadre de la présente procédure. Ainsi que la Cour l'a itérativement déclaré, l'article 177 du traité ne l'autorise pas à connaître des questions relevant de la situation de fait du litige principal et, encore moins, à trancher un différend entre les parties à ce sujet. Il appartient, en fait, au juge national de statuer sur toute question liée à une appréciation des faits de la cause. Ainsi, en formulant la réponse à une question préjudicielle, la Cour ne peut se fonder que sur les faits qui lui sont indiqués dans l'ordonnance de renvoi elle-même [voir, à titre indicatif, les arrêts du 23 janvier 1975, Van der Hulst (51/74, Rec. p. 79, point 12); du 15 novembre 1979, Denkavit (36/79, Rec. p. 3439, point 12); du 29 avril 1982, Pabst & Richarz (17/81, Rec. p. 1331, point 12); du 3 juillet 1985, Binon (243/83, Ree. p. 2015, point 24); du 31 mai 1988, Goerrig (74/87, Rec. p. 2771, point 10), et du 2 juin 1994 (AC-ATEL Electronics Vertriebs (C-30/93, Rec. p. I-2305, points 16 et 17)].

( 3 ) Cette note ne concerne que le texte grec des présentes conclusions.

( 4 ) Voir, précisément en ce sens, le point 12 des conclusions de l'avocat général M. Van Gcrvcn dans l'affaire C-186/89, dans laquelle a été rendu l'arrêt du 4 décembre 1990, Van Tiem (Rec. p. I-4363), ainsi que les conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn dans l'affaire 268/83, dans laquelle a été rendu l'arrêt du 14 février 1985, Rompclman (Rec. p. 655).

( 5 ) La version danoise utilise les termes « blandt andet », la version espagnole les termes « en especial », la version française le terme « notamment », la version italienne les termes « in particolare » et la version néerlandaise les termes « onder andere ».

( 6 ) Comparer à cet égard l'arrêt Rompclman, précité à la note 4 (en particulier la formulation du point 20), ainsi que les conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn dans cette affaire. Comparer également l'arrêt Van Tiem, précité à la même note 4 (point 18), ainsi que le point 10 des conclusions de l'avocat général M. Van Gcrvcn dans cette affaire.

( 7 ) Selon la jurisprudence de la Cour, il convient de considérer également comme « activité économique », au sens de l'article 4, paragraphe 1, de la sixième directive, l'acquisition d'un bien pour les besoins de l'exercice d'une activité économique [voir l'arrêt Rompclman, précité à la note 4, point 22, ainsi que les arrêts du 11 juillet 1991, Lennartz (C-97/90, Rec. p. I-3795, point 13), et du 29 février 1996, Inzo (C-110/94, Rec. p. I-857, point 15)].

( 8 ) Comparer, à cet égard, l'arrêt Rompelman, précité à la note 4, point 24, ainsi que l'arrêt Lennartz, cité à la note précédente, point 20.

( 9 ) Voir, à cet égard, l'arrêt Rompclman, précité à la note 4, point 24, et l'arrêt Lcnnartz, précité à la note 7, point 20. Selon ce dernier arrêt, parmi les critères à appliquer pour déterminer si certains biens sont acquis pour les besoins d'une activité économique, figure également la période écoulée entre l'acquisition des biens et leur utilisation pour les activités économiques de l'assujetti.

( 10 ) Comparer le point 42 des conclusions de l'avocat général M. Jacobs dans l'affaire Lcnnartz, précitée à la note 7.

( 11 ) Dans la jurisprudence relative à cette question, voir, par exemple, les arrêts du 9 juillet 1969, Völk (5/69, Rec. p. 295, point 2); du 12 juillet 1973, Getreide-Import (11/73, Rec. p. 919, points 2 et 3); du 15 décembre 1976, Simmenthal (35/76, Rec. p. 1871, point 8); du 18 décembre 1986, VAG France (10/86, Rec. p. 4071, point 7); du 8 février 1990, Shipping and Forwarding Enterprise Safe (C-320/88, Rec. p. I-285, points 10 et suiv.), et du 8 juillet 1992, Knoch (C-102/91, Rec. p. I-4341, points 18 et suiv.).

( 12 ) Comparer, en particulier, le point 11 de l'arrêt Shipping and Forwarding Enterprise Safe, cité à la note précédente.

( 13 ) Comparer l'arrêt du 27 octobre 1993, Enderby (C-127/92, Rcc. p. I-5535), selon lequel (voir, en particulier, le point 12), dès lors que la Cour se trouve saisie d'une question préjudicielle qui n'est pas manifestement sans rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal, elle doit y répondre sans avoir à s'interroger elle-même sur la validité de l'hypothèse sur laquelle se fonde la question; selon le même arrêt, il appartient à la juridiction nationale de vérifier, si cela s'avère nécessaire, la validité de l'hypothèse précitée.

( 14 ) Selon le dernier alinéa du paragraphe 2 de l'article 6 de la sixième directive, les « États membres ont la faculté de déroger aux dispositions de ce paragraphe à condition que cette dérogation ne conduise pas à des distorsions de concurrence ». La République fédérale d'Allemagne n'a manifestement pas fait usage de cette faculté.

( 15 ) Selon l'article 17, paragraphe 2, de la sixième directive, le particulier qui acquiert un bien d'investissement a droit en principe à déduire totalement la TVA qui en a grevé l'acquisition lorsqu'il acquiert le bien en vue de l'utiliser exclusivement pour les besoins de ses opérations professionnelles taxées, mais aussi lorsqu'il l'acquiert en vue de l'utiliser en partie pour ces besoins et en partie pour ses besoins privés (voir, à ce sujet, l'arrêt Lennartz, précité à la note 7, point 26, ainsi que l'arrêt du 4 octobre 1995, Armbrccht (C-291/92, Rec. p. I-2775, point 20).

( 16 ) Arrêt du 27 juin 1989 (50/88, Rec. p. 1925, point 8). Voir également l'arrêt du 25 mai 1993, Mohsche (C-193/91, Rec. p. I-2615, point 8).

( 17 ) Arrêt du 6 mai 1992 (C-20/91, Rec. p. I-2847, point 15).

( 18 ) Point 29 de l'arrêt Kühne.

( 19 ) Voir, précisément en ce sens, le point 20 des conclusions de l'avocat général M. Jacobs dans l'affaire Mohsche, précitée à la note 16.

( 20 ) Selon les faits exposés dans l'arrêt Mohsche (point 4), les dépenses d'entretien ou d'exploitation, dont la prise en compte lors de la détermination de la base d'imposition de la TVA ayant grevé l'utilisation pour des besoins privés d'un bien affecté à l'entreprise (en l'occurrence, d'une voiture) avait donné naissance au litige au principal, concernaient la location de garage, la taxe de circulation, l'assurance et les droits de stationnement.

( 21 ) N'est donc pas à considérer comme période pendant laquelle le bien affecté à l'entreprise se trouve à disposition de l'assujetti en vue d'une utilisation à des fins étrangères à l'entreprise la période où ce bien n'est pas utilisé pour l'exercice d'une activité économique mais où, pour quelque raison que ce soit, l'assujetti ne peut pas ou peut difficilement l'utiliser à son gré à des fins privées.