CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. F. G. JACOBS

présentées le 23 novembre 1995 ( *1 )

1. 

Dans la présente affaire, le Bundesfinanzhof invite la Cour à statuer à titre préjudiciel sur l'interprétation de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme ( 1 ) (ci-après la « sixième directive »). Le Bundesfinanzhof soulève l'importante question du régime, aux fins de la taxe sur la valeur ajoutée, de l'indemnité reçue par les exploitants agricoles qui s'engagent à arrêter la production d'une culture ou d'un produit donnés.

2. 

M. Jürgen Mohr, le demandeur au principal, était propriétaire d'une exploitation agricole sur laquelle il pratiquait l'élevage de vaches laitières. En mars 1987, il a déposé auprès du Bundesamt für Ernährung und Forstwirtschaft (Office fédéral de l'alimentation et de la sylviculture) une demande de subvention au titre de l'abandon de la production laitière. A l'appui de sa demande, il avait invoqué l'EG-Milchaufgabevergütungsverordnung ( 2 ) (règlement allemand du 6 août 1986 fixant une indemnité à l'abandon définitif de la production laitière). Dans sa demande, il s'était engagé à abandonner la production laitière et à s'abstenir de toute revendication d'une quantité de référence laitière dans le cadre de l'article 5 quater du règlement (CEE) n° 804/68 du Conseil, du 27 juin 1968, portant organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers ( 3 ), modifié par le règlement (CEE) n° 1335/86, du 6 mai 1986 ( 4 ). Le Bundesamt lui a accordé la somme de 385980 DM, versée en une seule fois le 23 septembre 1987. Il a vendu le bétail et reconverti son exploitation en centre d'équitation, arrêtant ainsi toute production laitière en 1987.

3. 

Dans la déclaration de son chiffre d'affaires pour 1987 qu'il a adressée au Finanzamt (centre des impôts), le demandeur n'a pas intégré le montant de l'indemnité perçue.

4. 

Le Finanzamt, partie défenderesse au principal, a assimilé l'indemnité à la rémunération d'une prestation imposable, à savoir l'abandon de la production laitière, et, en conséquence, l'a soumise à la taxe sur le chiffre d'affaires.

5. 

C'est en vain que le demandeur a contesté devant le Finanzgericht la décision du Finanzamt de soumettre l'indemnité à l'impôt. Il a ensuite porté le litige devant le Bundesfinanzhof, lequel a fait remarquer que la Cour n'a pas encore jugé si les subventions accordées aux producteurs pour des raisons tenant aux organisations communes des marchés sont imposables en application des articles 2, point 1, 6, paragraphe 1, et 11, partie A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive. Il a observé également que le régime, aux fins de la TVA, des indemnités à l'abandon de la production agricole variait d'un État membre à l'autre. C'est la raison pour laquelle il a déféré à la Cour les deux questions suivantes:

« 1)

Un exploitant agricole assujetti qui abandonne définitivement la production laitière fournit-il une prestation de services au sens de l'article 6, paragraphe 1, de la directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires (ci-après la ‘sixième directive’), et

2)

l'indemnité perçue à cet effet sur la base du règlement (CEE) n° 1336/86 du Conseil, du 6 mai 1986 (JO L 119, p. 21), constitue-t-elle une prestation en argent imposable en vertu de l'article 11, partie A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive? »

La législation communautaire

6.

L'article 2 de la sixième directive énonce:

« Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée:

les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l'intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel;

les importations de biens. »

7.

L'article 6, paragraphe 1, de la sixième directive énonce:

«1.

Est considérée comme ‘prestation de services’ toute opération qui ne constitue pas une livraison d'un bien au sens de l'article 5.

Cette opération peut consister entre autres:

en une cession d'un bien incorporel représenté ou non par un titre,

en une obligation de ne pas faire ou de tolérer un acte ou une situation,

en l'exécution d'un service en vertu d'une réquisition faite par l'autorité publique ou en son nom ou aux termes de la loi. »

8.

L'article 11, partie A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive énonce:

« La base d'imposition est constituée:

a)

pour les livraisons de biens et les prestations de services autres que celles visées sous b), c) et d), par tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l'acheteur, du preneur ou d'un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations. »

9.

Le règlement n° 1336/86 du Conseil, du 6 mai 1986, fixant une indemnité à l'abandon définitif de la production laitière, a instauré un régime d'indemnisation financé par la Communauté au profit de tout producteur de lait qui s'engage à abandonner définitivement la production laitière. En particulier, il est dit au troisième considérant du préambule:

« ... pour faciliter la diminution des livraisons et des ventes directes qu'implique la réduction des quantités globales garanties, il convient d'établir un régime communautaire de financement à l'abandon de la production laitière par l'attribution, à tout producteur, à la demande de celui-ci et à condition qu'il remplisse certaines conditions d'éligibilité, d'une indemnité contre engagement de sa part de cesser définitivement la totalité de la production laitière ».

10.

L'article 1er du règlement n° 1336/86 prévoit qu'une indemnité est versée à tout producteur qui s'engage à abandonner définitivement la production laitière. L'article 2 du règlement fixe le montant de l'indemnité accordée aux producteurs, dispose que la Communauté en assure le financement et précise qu'elle est payée pendant sept ans.

11.

L'article 2, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 2321/86 de la Commission, du 24 juillet 1986, portant modalités d'application du règlement (CEE) n° 1336/86 ( 5 ), dispose:

« Pour chaque producteur ... la demande comporte au moins les indications suivantes:

...

c)

une déclaration du producteur attestant qu'il s'engage:

à abandonner la production laitière définitivement au plus tard le 31 mars suivant la date d'acceptation de sa demande;

à renoncer à tout droit à une quantité de référence dans le cadre du régime prévu par l'article 5 quater du règlement (CEE) n° 804/68. »

Le contexte du règlement n° 1336/86

12.

Avant d'aborder les questions posées par la juridiction nationale, il peut s'avérer utile d'exposer brièvement les antécédents du règlement n° 1336/86. Le règlement n° 804/68 ( 6 ) a mis en place une organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers, qui a pour but d'atteindre les objectifs énoncés à l'article 39 du traité. Le règlement a institué un mécanisme de « prix indicatif », accompagné de mesures d'intervention destinées à garantir le prix indicatif convenu. Toutefois, il est apparu rapidement qu'il existait un déséquilibre entre l'offre et la demande sur le marché communautaire: la production de lait excédait la demande. C'est pourquoi la Communauté a adopté dès 1974 un certain nombre de mesures pour stimuler la demande de lait et de produits laitiers, notamment des subventions à l'utilisation de certains types de produits laitiers et à la consommation de lait par les écoliers, ainsi que des restitutions à l'exportation en vue de favoriser les ventes sur le marché mondial.

13.

Toutefois, ces mesures ne se sont pas avérées suffisantes pour remédier au déséquilibre entre l'offre et la demande. C'est pourquoi le Conseil a adopté le règlement (CEE) n° 1079/77, du 17 mai 1977, relatif à un prélèvement de coresponsabilité et à des mesures destinées à élargir les marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers ( 7 ). Ce règlement visait à instituer un prélèvement de 1,5 % à 4 % du prix indicatif sur toute quantité de lait livrée aux laiteries, de manière à faire supporter aux producteurs une partie du coût de leur production excédentaire. En outre, le Conseil a adopté le règlement (CEE) n° 1078/77, du 17 mai 1977, instituant un régime de primes de noncommercialisation du lait et des produits laitiers et de reconversion de troupeaux bovins à orientation laitière ( 8 ). D'après le premier considérant de son préambule, le but de ce règlement était de soutenir la tendance manifestée par les producteurs à cesser la production laitière ou la commercialisation de lait ou de produits laitiers. A cette fin, les producteurs qui s'engageaient à renoncer à la commercialisation de lait ou de produits laitiers pendant cinq ans ou à reconvertir leurs troupeaux de vaches laitières vers la production de viande pendant une période de quatre ans devaient recevoir une indemnité financée au moyen de fonds publics et fournie tant par la section « orientation » que par la section « garantie » du Fonds européen d'orientation et de garantie agricole.

Le troisième considérant de ce règlement disposait:

« ... le montant des primes doit être fixé à un niveau qui permette de les considérer comme une certaine compensation pour la perte des revenus résultant de la commercialisation des produits en question... ».

14.

Le Conseil a introduit un autre système en vue de contrôler la production de lait, à savoir celui des quotas, institué initialement en 1984 par le règlement (CEE) n° 856/84 du Conseil, du 31 mars 1984 ( 9 ), modifiant le règlement (CEE) n° 804/68. Depuis lors, le système des quotas constitue la mesure essentielle de restriction de la demande.

15.

La Communauté s'est engagée dans la politique susmentionnée de réduction des excédents de production au lieu de décider de diminuer les prix. On estimait à l'époque qu'il n'était pas possible de procéder à une réduction des prix suffisante pour rétablir l'équilibre du marché sans provoquer une baisse massive des revenus des exploitants agricoles ( 10 ). Une telle réduction des revenus aurait eu de graves conséquences sociales et régionales.

16.

Ainsi, le règlement n° 1336/86 doit être envisagé dans le contexte d'une série de mesures adoptées par la Communauté en vue de limiter la production de lait sans réduire brutalement le revenu des agriculteurs concernés. De fait, le règlement précité est à de nombreux égards la poursuite de la politique menée dans le cadre du règlement n° 1078/77, si ce n'est que le premier règlement exige du producteur qu'il s'engage à cesser définitivement la production laitière alors que le second n'impose qu'un arrêt temporaire, pour une période déterminée.

17.

En outre, on notera que le règlement n° 1336/86 n'est pas le seul à prévoir l'octroi d'une indemnité financée par la Communauté aux producteurs qui s'engagent à arrêter ou à réduire la production. De fait, il y a pléthore de tels règlements. Le règlement (CEE) n° 1765/92 du Conseil, du 30 juin 1992, instituant un régime de soutien aux producteurs de certaines cultures arables ( 11 ), prévoit le versement d'une indemnité aux producteurs qui « gèlent » une partie des terres, de sorte qu'aucune production de cultures arables n'y soit effectuée. Le règlement (CEE) n° 1200/90 du Conseil, du 7 mai 1990, concernant l'assainissement de la production communautaire de pommes ( 12 ), prévoit le versement d'une prime aux producteurs de pommes qui s'engagent à procéder à l'arrachage de leurs vergers et à renoncer à planter des pommiers (article 2). Le règlement (CEE) n° 1442/88 du Conseil, du 24 mai 1988, relatif à l'octroi, pour les campagnes viticoles 1988/1989 à 1995/1996, de primes d'abandon définitif de superficies viticoles ( 13 ), comporte des dispositions similaires en ce qui concerne les vins. S'agissant plus généralement du secteur agricole, l'article 5 du règlement (CEE) n° 4256/88 du Conseil, du 19 décembre 1988, portant dispositions d'application du règlement (CEE) n° 2052/88 en ce qui concerne le Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA), section « orientation » ( 14 ), énumere les actions entreprises par les États membres pour promouvoir l'ajustement des structures agricoles susceptibles de bénéficier du concours des fonds structurels de la Communauté. L'article 21, paragraphe 6, du règlement (CEE) n° 4253/88 du Conseil, du 19 décembre 1988, portant dispositions d'application du règlement (CEE) n° 2052/88 en ce qui concerne la coordination entre les interventions des différents Fonds structurels, d'une part, et entre celles-ci et celles de la Banque européenne d'investissement et des autres instruments financiers existants, d'autre part ( 15 ), envisage que les mesures susmentionnées prises par les États membres puissent avoir pour but de soutenir les revenus agricoles.

18.

En dehors du domaine de l'agriculture, le règlement (CEE) n° 1101/89 du Conseil, du 27 avril 1989, relatif à l'assainissement structurel dans la navigation intérieure ( 16 ), prévoit le versement d'une prime aux propriétaires de péniches qui s'engagent à les mettre au rebut pour réduire la surcapacité de la flotte rhénane. Toutefois, la prime en question n'était pas financée par le budget communautaire, mais par des cotisations versées à un fonds par le secteur lui-même.

19.

L'ensemble de la législation communautaire susmentionnée a un point commun: le financement est assuré sous forme d'aides, de primes, ou de soutien au revenu, afin d'inciter les producteurs ou les prestataires de services à ajuster leur offre dans l'intérêt de la gestion du marché en cause. Il est évident que le règlement n° 1336/86 n'est que l'un des nombreux règlements qui encouragent les producteurs ou les prestataires à geler l'offre de biens ou de services.

Les observations présentées par les États membres et par la Commission

20.

Les gouvernements allemand et italien font valoir tous deux qu'un producteur de lait qui s'engage à abandonner la production fournit un service au sens de l'article 6, paragraphe 1, de la sixième directive et que l'indemnité qu'il reçoit en contrepartie constitue une prestation en argent imposable en vertu de l'article 11, partie A, paragraphe 1, sous a), de ladite directive.

21.

Le point de départ de la thèse du gouvernement allemand est que l'opération en cause dans le règlement n° 1336/86 constitue une prestation de services effectuée à titre onéreux au sens de l'article 2, point 1, de la sixième directive, et qu'elle est donc imposable. Le versement de la prime et l'engagement d'abandonner la production laitière dépendent l'un de l'autre. Il en résulte que le lien direct entre le service rendu par le producteur de lait et le versement de l'indemnité qui, selon l'arrêt de la Cour dans l'affaire Coöperatieve Aardappelenbewaarplaats ( 17 ), est nécessaire pour qu'une opération puisse être considérée comme étant imposable en vertu de la sixième directive existe bel et bien. En outre, le gouvernement allemand soutient que l'engagement d'arrêter la production laitière constitue une prestation de services au sens de l'article6, paragraphe!, deuxième tiret, de la sixième directive, c'est-à-dire une prestation qui consiste en l'obligation de s'abstenir de poursuivre la production de lait. L'indemnité versée au producteur revêt le caractère d'une rémunération pour son engagement d'abandonner la production laitière et constitue par conséquent la base d'imposition au sens de l'article 11 de la sixième directive.

22.

Le gouvernement italien soutient lui aussi que la prime versée au titre du règlement n° 1336/86 n'a pas pour objet de compenser la perte du bétail, mais correspond à la contrepartie de l'engagement de cesser la production laitière. Même si des considérations d'intérêt général sont à l'origine de l'instauration du système, cette justification n'est pas pertinente pour autant que la qualification de l'opération à des fins fiscales est en cause. Pour le gouvernement italien, l'activité du producteur qui cesse la production laitière est de nature économique parce qu'il reçoit une contrepartie financière en échange du comportement qu'il s'engage à adopter.

23.

Le gouvernement français et la Commission estiment quant à eux que le producteur de lait qui abandonne la production n'effectue pas une prestation de services imposable au sens de la sixième directive. Le gouvernement français fait valoir que l'engagement d'abandonner la production n'est pas une prestation de services imposable au sens de l'article 2 et ne constitue pas une prestation de services telle qu'elle est définie à l'article 6, paragraphe 1, de la directive précitée. Il observe que le producteur de lait ne fournit pas une prestation de services individualisée à l'organisme qui verse l'indemnité: le service rendu est de nature générale et s'inscrit dans la poursuite d'un but d'intérêt général. De plus, le gouvernement français estime que le montant de l'indemnité est déterminé en fonction de considérations d'intérêt général, qu'il peut varier selon les États membres et qu'il peut même, comme c'est le cas en France, faire l'objet d'un ajustement en fonction du niveau de la production. Ainsi, toujours selon le gouvernement français, il n'existe aucun lien direct entre le montant de l'indemnité versée à un producteur donné et tout « avantage » reçu par l'organisme payeur. Il s'ensuit que la prime n'est pas la base d'imposition au sens de l'article 11 de la sixième directive. Enfin, le gouvernement français fait valoir que la prime ne constitue pas une subvention « directement liée au prix » de l'opération, au sens de l'article 11, partie A, paragraphe 1, sous a), de ladite directive, parce que le producteur de lait ne livre aucun bien et ne fournit aucun service à des clients contre paiement.

24.

La Commission, tout comme le gouvernement français, estime que l'opération envisagée dans le règlement n° 1336/86 ne constitue pas une prestation de services imposable au sens de l'article 2, point 1, de la sixième directive. D'après elle, une opération ne devient imposable que s'il existe un prestataire qui fournit un service directement et individuellement avantageux pour le preneur. Bien que le producteur de lait et l'organisme national d'intervention qui verse l'indemnité soient liés par des obligations mutuelles, ce dernier ne devient pas pour autant le preneur d'une prestation de services effectuée par le producteur. De la même manière, poursuit la Commission, le producteur ne fournit aucun service à l'organisme d'intervention. La Commission estime que cette situation est analogue à celle d'un voyageur qui renonce à la voiture pour prendre le train en raison des tarifs plus bas, subventionnés par l'État, offerts par la compagnie des chemins de fer afin de décongestionner la circulation routière. L'usager du rail touche une prime sous forme d'un billet à prix réduit, mais ne fournit aucune prestation de services au sens juridique du terme, si ce n'est qu'il contribue à la réalisation d'un objectif d'intérêt général. La Commission conclut que, à la lumière de son interprétation des articles 2, point 1, et 6, paragraphe 1, de la sixième directive, il n'est pas nécessaire d'examiner si la prime constitue la base d'imposition au sens de l'article 11.

Appréciation juridique

25.

Afin de répondre à la question posée par la juridiction nationale, il est nécessaire d'examiner les buts de la législation comraunautaire en matière de TVA et les caractéristiques de la taxe qu'elle a instaurée. L'article 2 de la première directive 67/22 7/CEE du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires ( 18 ), énonce:

« Le principe du système commun de taxe sur la valeur ajoutée est d'appliquer aux biens et aux services un impôt général sur la consommation exactement proportionnel au prix des biens et des services, quel que soit le nombre des transactions intervenues dans le processus de production et de distribution antérieur au stade d'imposition.

A chaque transaction, la taxe sur la valeur ajoutée, calculée sur le prix du bien ou du service au taux applicable à ce bien ou à ce service, est exigible déduction faite du montant de la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix. »

26.

Ainsi, la TVA est un impôt général sur la consommation de biens et de services. En accord avec le but de neutralité fiscale qui sous-tend la législation en la matière, la définition de la notion de « livraisons de biens » figurant à l'article 5 et celle — résiduelle — de la notion de « prestations de services » de l'article 6, paragraphe 1, de la sixième directive assurent une application large de la taxe à toutes les formes de consommation ( 19 ). Ainsi, par exemple, une prestation de services peut consister simplement en un engagement de ne pas faire ( 20 ). De même, il est sans importance que la livraison de biens ou la prestation de services soient effectuées en vertu d'une réquisition de l'autorité publique ou aux termes de la loi ( 21 ). Par conséquent, le fait que la loi institue une redevance pour certains services tels que l'énergie, les télécommunications ou les transports n'a pas non plus d'importance ( 22 ).

27.

Il n'en demeure pas moins que le champ d'application de la TVA est limité en raison de sa nature d'impôt sur la consommation. Un commerçant doit fournir des biens ou des services en vue de leur consommation par des clients identifiables en échange d'un prix payé par ces derniers ou par des tiers. Comme le fait apparaître l'examen de la législation pertinente aux points 9 à 17 ci-dessus, la Communauté, en indemnisant les exploitants agricoles par l'intermédiaire des autorités nationales compétentes de la perte de revenu résultant de l'abandon de la production laitière, n'acquiert ni biens ni services pour son propre usage, mais agit dans l'intérêt général consistant à favoriser le fonctionnement régulier du marché communautaire du lait. C'est pourquoi la présente affaire se distingue radicalement d'affaires qui, a-t-on soutenu, sont similaires; c'est le cas du vendeur d'un fonds commerce qui s'engage envers l'acheteur à ne pas créer d'entreprise qui lui fasse concurrence; dans ce cas de figure, l'acheteur reçoit un service qui lui apporte un avantage personnel qui revêt la forme d'un engagement de s'abstenir de certains actes. Elle se distingue également de cas dans lesquels une autorité publique est le bénéficiaire direct d'une livraison de biens ou d'une fourniture de services qu'elle utilise pour ses activités publiques, par exemple lorsqu'elle achète du matériel et des équipements pour les besoins du service ou acquiert des terres dans le cadre d'une procédure d'expropriation pour mener à bien un projet de construction de routes. Dans de tels cas, l'autorité publique est un consommateur, au même titre que dans une opération privée. Dans la présente affaire, en revanche, les autorités publiques, qu'elles soient communautaires ou nationales, ne peuvent être considérées comme étant les consommateurs d'un service.

28.

Les exploitants agricoles qui continuent à produire du lait ne peuvent pas non plus être considérés comme les consommateurs d'un service fourni par les agriculteurs qui abandonnent la production. S'il est peut-être exact qu'ils reçoivent un avantage dans la mesure où le programme d'abandon de la production mis en place par le règlement n° 1336/86 leur permet de rester sur le marché sans subir la diminution de leurs revenus qui aurait résulté d'une baisse des prix indicatifs, cet avantage est à la fois hypothétique et non quantifiable. En outre, il est de ceux qui échoient aux commerçants qui restent sur tout marché sur lequel les autorités publiques interviennent, dans un but d'intérêt général, en vue de remédier à un excès de l'offre et de soutenir les prix.

29.

L'absence de consommation, quel que soit le sens que l'on donne à ce terme, distingue la présente affaire d'affaires antérieures, telles que Apple and Pear Development Council ( 23 ). Dans cet arrêt, la Cour a jugé que la cotisation obligatoire imposée aux producteurs de pommes et de poires par le Development Council pour financer les activités qu'il entreprenait au nom du secteur ne constituait pas la contre-valeur de services rendus. Toutefois, il nous semble que les raisons profondes qui ont amené la Cour à se prononcer en ce sens résidaient moins dans l'absence d'une catégorie identifiable de clients destinataires de services que dans la combinaison particulière d'une cotisation obligatoire et de l'absence de tout lien entre cette cotisation et le niveau des avantages reçus par les différents producteurs. C'est pourquoi nous ne pensons pas que cette affaire soit directement pertinente pour notre propos.

30.

Enfin, il nous semble que si nous concluons en ce sens que l'abandon définitif de la production laitière ne constitue pas une prestation imposable, il n'en résultera aucun risque d'évasion fiscale. Si le producteur de lait vend des biens en cas d'abandon de la production, cette vente constituera une livraison de biens imposable au sens de l'article 5, paragraphe 1, de la sixième directive. En outre, l'article 5, paragraphe 7, sous c), de ladite directive, habilite les États membres à assimiler à une livraison effectuée à titre onéreux la détention par un assujetti, en cas de cessation de son activité économique taxable, de biens ayant donné lieu à déduction de la TVA.

Conclusion

31.

En conséquence, nous estimons qu'il y a lieu de répondre comme suit aux questions posées par le Bundesfinanzhof:

« Un exploitant agricole qui abandonne définitivement la production laitière en application de l'article 1er, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 1336/86 du Conseil, du 6 mai 1986, fixant une indemnité à l'abandon définitif de la production laitière, n'effectue pas de prestation de services à titre onéreux imposable au sens de l'article 2, paragraphe 1, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme. L'indemnité perçue en contrepartie d'un tel abandon n'est pas imposable en vertu de ladite directive. »


( *1 ) Langue originale: l'anglais.

( 1 ) JO L 145, p. 1.

( 2 ) Bundesgesetzblatt I 1986, 1277.

( 3 ) JO, édition spéciale en langue anglaise, 1968 (I), p. 176.

( 4 ) JO L 119, p. 19.

( 5 ) JO L 202, p. 13.

( 6 ) Précité (note 3).

( 7 ) JO L 131, p. 6.

( 8 ) JO L 131, p. 1.

( 9 ) JO L 90, p. 10.

( 10 ) Cour des comptes, rapport spécial n° 4/93 relatif à la mise en œuvre du régime des quotas visant la maîtrise de la production laitière accompagné de la réponse de la Commission (JO 1994, C 12, p. 1).

( 11 ) JO L 181, p. 12.

( 12 ) JOL 119, p. 63.

( 13 ) JO L 132, p. 3.

( 14 ) JO L 374, p 25.

( 15 ) JO L 374, p. 1.

( 16 ) JO L 116, p. 25.

( 17 ) Arrêt du 5 février 1981 (154/80, Rec. p. 445). Voir également l'arrêt du 3 mars 1994, Tolsma (C-16/93, Rec. p. I-743).

( 18 ) JO, édition spéciale anglaise 1967, p. 14.

( 19 ) Farmer et Lyal: Droit fiscal européen, Oxford 1994, p. 93.

( 20 ) Article 6, paragraphe 1, deuxième alinéa, deuxième tiret.

( 21 ) Voir les articles 5, paragraphe 4, sous a), et 6, paragraphe 1, deuxième alinéa, troisième tiret.

( 22 ) Farmer et Lyal, op. cit., p. 125.

( 23 ) Arrêt du 8 mars 1988 (102/86, Rec. p. 1443).