61993B0507

Ordonnance du Président du Tribunal du 8 octobre 1993. - Paulo Branco contre Cour des comptes des Communautés européennes. - Fonctionnaires - Mesures provisoires - Sursis à l'exécution. - Affaire T-507/93 R

Recueil de jurisprudence 1993 page II-01013


Parties
Motifs de l'arrêt
Dispositif

Mots clés


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Référé - Sursis à exécution - Mesures provisoires - Conditions d' octroi - Préjudice grave et irréparable - Mise en balance de l' ensemble des intérêts en cause - Demande de suspension d' un acte négatif - Mesure sollicitée manifestement inopérante - Mesure sollicitée hors des compétences du juge des référés - Mesure sollicitée manifestement hors de proportion au regard de ses conséquences pour l' institution concernée - Préjudice susceptible d' être réparé en exécution de l' arrêt à intervenir sur le recours principal

(Traité CEE, art. 185 et 186; règlement de procédure du Tribunal, art. 104, § 2)

Parties


Dans l' affaire T-507/93 R,

Paulo Branco, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, ancien fonctionnaire de la Cour des comptes des Communautés européennes, demeurant à Bruxelles, représenté par Me Dieter Grozinger de Rosnay, avocat au barreau de Luxembourg, assisté de Me David M. Travessa Mendes, avocat au barreau de Luxembourg, ayant élu domicile à Luxembourg en leur étude, 6, avenue du X septembre,

partie requérante,

contre

Cour des comptes des Communautés européennes, représentée par MM. Jean-Marie Stenier et Jan Inghelram, membres du service juridique, en qualité d' agents, ayant élu domicile au siège de la Cour des comptes, 12, rue Alcide de Gasperi, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l' exécution de la décision du 25 mars 1993, par laquelle la défenderesse a exclu le requérant de la liste des fonctionnaires promouvables élaborée dans le cadre de la procédure de promotion au titre de l' exercice 1993, une demande de suspension de la publication des décisions de promotion dans la même procédure, ainsi qu' une demande de sursis immédiat à l' exécution de ces deux actes jusqu' à la date de la notification de l' ordonnance qui mettra fin à la procédure de référé,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

rend la présente

Ordonnance

Motifs de l'arrêt


Les faits et la procédure

1 Par requête enregistrée au greffe du Tribunal le 7 septembre 1993, le requérant a déposé, en vertu de l' article 91, paragraphe 4, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après "statut"), un recours en annulation de la décision de la défenderesse du 25 mars 1993, par laquelle il a été exclu de la liste des fonctionnaires promouvables établie dans le cadre de la procédure de promotion au titre de l' exercice 1993 à la Cour des comptes.

2 Par acte séparé enregistré au greffe du Tribunal le même jour, le requérant a également déposé, en vertu de l' article 91, paragraphe 4, une demande de mesures provisoires visant à obtenir qu' il soit sursis à l' exécution de l' acte litigieux, une demande de suspension de la publication des décisions de promotion de la Cour des comptes pour 1993, ainsi qu' une demande de sursis immédiat à l' exécution de ces deux actes jusqu' à la date de la notification de l' ordonnance qui mettra fin à la procédure de référé.

3 Par requête enregistrée au greffe du Tribunal le 14 juillet 1993, le requérant avait aussi formé un recours en annulation de la procédure de promotion au titre de l' exercice 1992 à la Cour des comptes (affaire T-45/93).

4 La défenderesse a déposé ses observations écrites sur la présente demande en référé le 24 septembre 1993.

5 Avant d' examiner le bien-fondé de la demande en référé, il convient de rappeler, de manière succincte, les éléments de fait du litige, tels qu' ils sont exposés dans l' argumentation développée par les parties.

6 Le requérant a été fonctionnaire à la Cour des comptes des Communautés européennes du 1er octobre 1989 au 1er avril 1993, date à laquelle il a été transféré à la Commission des Communautés européennes.

7 Dans sa communication au personnel n 21-93, du 25 mars 1993, l' autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après "AIPN") a publié, dans le cadre de la procédure de promotion au titre de l' exercice 1993, la liste des fonctionnaires promouvables, conformément aux dispositions combinées de l' article 45 du statut et de la décision n 90-38 de la Cour des comptes, du 12 octobre 1990, relative aux étapes de la procédure envisagée dans le cadre des promotions décidées par le secrétaire général. Dans le coin supérieur droit de la première page de cette liste figurait la mention "Établi à la date du 1er avril 1993". Le nom du requérant ne figurait pas sur cette liste.

8 Par lettre du 26 mars 1993, le requérant a demandé à l' AIPN, d' une part, que la liste précitée soit établie à la date du 25 mars 1993 qui, selon lui, est la date d' ouverture de la procédure de promotion et, d' autre part, qu' il soit inclus dans cette liste comme fonctionnaire promouvable avec la mention "Transfert à la Commission le 1er avril 1993". Il a fait valoir que l' administration avait suivi cette pratique dans la procédure de promotion au titre de l' exercice 1992, dans laquelle un fonctionnaire aurait été inclus dans la liste des fonctionnaires promouvables, et cela tant dans sa première version, établie le 20 avril 1992, que dans sa version définitive du 20 mai 1992, avec une mention équivalente: "Transfert à la Commission le 1er septembre 1992".

9 Par réclamation introduite le 25 juin 1993 en vertu de l' article 90, paragraphe 2, du statut, le requérant, se fondant sur le principe d' égalité de traitement, a demandé à être inclus dans la liste définitive des fonctionnaires promouvables en 1993 avec la mention "Transfert à la Commission le 1er avril 1993", et cela conformément à une pratique suivie par la Cour des comptes non seulement dans le cas déjà cité dans sa lettre du 26 mars 1993, mais aussi dans un cas qui s' était produit dans le cadre de la procédure de promotion au titre de l' exercice 1991, dans lequel la liste des fonctionnaires promouvables, publiée le 13 mars 1991, comprenait un candidat avec la mention "Transfert à la Commission le 1er avril 1991".

10 Le 14 juin 1993, la Cour des comptes a arrêté la décision n 93-41, relative aux étapes de la procédure envisagée dans le cadre des promotions décidées par le secrétaire général. L' article 1er de cette décision prévoit que le secrétaire général de la Cour des comptes applique la nouvelle procédure "dès les promotions qu' il se proposerait d' attribuer au titre de l' exercice 1993". L' article 2 de la même décision a, quant à lui, expressément annulé la décision n 90-38, du 12 octobre 1990. La nouvelle procédure ne se distingue de la procédure antérieure que par la participation des directeurs de la Cour des comptes dans les étapes postérieures à la publication de la liste des fonctionnaires promouvables.

11 Le 21 juillet 1993, l' AIPN a publié la communication au personnel n 44-93, comprenant la liste mise à jour des fonctionnaires promouvables "compte tenu des modifications intervenues dans l' organigramme de la Cour depuis la publication de la communication au personnel ... n 21-93, du 25 mars 1993". Dans le coin supérieur droit de la liste mise à jour figure la mention "Établi à la date du 15 juillet 1993". Le nom du requérant ne figure pas sur cette liste.

En droit

12 En vertu des dispositions combinées des articles 185 et 186 du traité CEE et de l' article 4 de la décision du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes, le Tribunal peut, s' il estime que les circonstances l' exigent, ordonner le sursis à l' exécution de l' acte attaqué ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

13 L' article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal prévoit que les demandes de sursis à l' exécution d' un acte d' une institution doivent spécifier l' objet du litige, les circonstances établissant l' urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l' octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Celles-ci doivent présenter un caractère provisoire en ce sens qu' elles ne doivent pas préjuger la décision sur le fond (voir, en dernier lieu, l' ordonnance du président du Tribunal du 29 septembre 1993, Hogan/Cour de justice, T-497/93 R II, non encore publiée au Recueil).

Arguments des parties

14 Le requérant allègue tout d' abord que, la procédure de promotion au titre de l' exercice 1993 ayant débuté le 25 mars 1993 par la publication de la liste des fonctionnaires promouvables, son nom devrait figurer sur cette liste, étant donné qu' il était encore au service de la Cour des comptes à cette date et qu' il remplissait toutes les conditions pour y figurer. Il estime que si le Tribunal ne décidait, sur la base de ces faits, que la défenderesse aurait dû l' inclure dans la procédure de promotion au titre de l' exercice 1993 qu' à un moment où cette procédure aurait déjà pris fin et où les décisions de promotion auraient été publiées, l' irrégularité, qui a déjà, selon lui, vicié la procédure de promotion au titre de l' exercice 1992, à savoir le fait que la comparaison de ses mérites a été effectuée en dehors de la période prévue, de manière partielle et dans des conditions d' inégalité de traitement par rapport aux candidats qui ont été promus entre-temps, risquerait de se répéter.

15 Dans ces conditions, le requérant estime que ses intérêts ne peuvent être dûment protégés que par le sursis à l' exécution de la décision par laquelle il a été exclu de la liste des fonctionnaires promouvables et, partant, par sa prise en considération à titre provisoire et conditionnelle comme fonctionnaire promouvable, de telle sorte que la comparaison de ses mérites puisse, conformément au statut, être effectuée en même temps et dans les mêmes conditions que pour les fonctionnaires inscrits sur la liste définitive des fonctionnaires promouvables. Il juge encore nécessaire à cet effet qu' il soit fait interdiction à la Cour des comptes de publier une quelconque décision de promotion de ces fonctionnaires jusqu' au prononcé de l' arrêt du Tribunal qui décidera si le requérant doit être considéré comme promouvable ou, du moins, jusqu' au 16 décembre 1993, date à laquelle, au cours des années précédentes, les décisions de promotion étaient publiées.

16 Le requérant fait valoir, en outre, que la décision de la défenderesse de l' exclure de la liste des fonctionnaires promouvable au titre de l' exercice 1993 lui a causé des préjudices moraux importants, certains et directs en raison de l' état d' insécurité, d' incertitude et d' inquiétude dans lequel il se trouve pendant la durée de la procédure de recours qu' il a, entre-temps, été obligé d' engager et en raison de la détérioration de sa réputation professionnelle, qui résulte de la marginalisation à laquelle cette décision l' a contraint.

17 La Cour des comptes, quant à elle, invoque à titre liminaire l' irrecevabilité de la demande en référé en cause, tant en ce qu' elle conclut au sursis à l' exécution de la décision d' exclure le requérant de la liste des fonctionnaires promouvables qu' en ce qu' elle conclut à l' inclusion provisoire et conditionnelle du requérant dans les étapes ultérieures de la procédure de promotion en cause, que, enfin, en ce qu' elle conclut à la suspension de la publication des décisions de promotion au titre de l' exercice 1993. D' une part, la défenderesse estime que le requérant n' a manifestement pas d' intérêt à agir. Le défaut d' intérêt légitime, actuel et effectif à obtenir l' annulation de cette décision résulte, selon elle, du fait que le requérant n' était plus fonctionnaire à la Cour des comptes à la date où la liste en cause a été établie, à savoir le 1er avril 1993. La Cour des comptes aurait par conséquent cessé d' être compétente pour prendre une quelconque décision en ce qui concerne la carrière du requérant. En tout état de cause, même si la liste litigieuse devait être considérée comme ayant été établie à la date de sa publication, le 25 mars 1993, elle aurait perdu toute importance pour la procédure de promotion en cause, étant donné qu' elle a été remplacée par une liste définitive le 15 juillet 1993. En outre, la défenderesse relève que la demande d' inclusion provisoire du requérant dans la liste litigieuse vise à obtenir une injonction, adressée à l' AIPN, pour laquelle le Tribunal est incompétent selon une jurisprudence constante (en dernier lieu, arrêt du Tribunal du 15 juillet 1993, Camara Alloisio e.a./Commission, T-17/90, T-28/91 et T-17/92, non encore publié au Recueil, point 44). Selon la défenderesse, cela vaut aussi pour la demande de sursis à l' exécution des décisions de promotion, qui viserait à obtenir non pas le sursis à l' exécution d' un acte déjà accompli, mais une injonction de ne pas accomplir un acte déterminé.

18 La défenderesse fait valoir, d' autre part, que le requérant n' a pas démontré l' existence de préjudices graves et irréparables, établissant l' urgence à prendre les mesures provisoires demandées. Le requérant aurait seulement invoqué en termes vagues l' existence de "préjudices moraux énormes", sans démontrer que ces préjudices ne pourraient pas être réparés dans le cadre de l' exécution d' un arrêt du Tribunal qui annulerait la décision litigieuse. Selon la défenderesse, les mesures provisoires demandées sont, en tout état de cause, manifestement hors de proportion avec l' intérêt de la Cour des comptes à poursuivre normalement la procédure de promotion.

Appréciation du juge des référés

19 Il ressort des pièces du dossier que, bien que la liste des fonctionnaires promouvables au titre de l' exercice 1993 à la Cour des comptes ait été publiée le 25 mars 1993, elle avait expressément trait à la situation administrative du personnel à la date du 1er avril 1993, c' est-à-dire quelques jours après cette publication. Il ressort également des pièces du dossier que cette liste a été remplacée par une liste datée du 15 juillet 1993 et arrêtée en application de la décision n 93-41, relative à la procédure de promotion à la Cour des comptes, qui a expressément annulé la décision n 90-38, sur la base de laquelle la première liste avait été établie. Enfin, il ressort des pièces du dossier que le requérant a effectivement cessé d' être fonctionnaire de la Cour des comptes le 1er avril 1993.

20 Par ailleurs, il ressort de la demande en référé que le requérant demande au juge des référés d' ordonner quatre mesures provisoires: en premier lieu, le sursis à l' exécution de la décision de l' AIPN de l' exclure de la liste des fonctionnaires promouvables, qui a été publiée le 25 mars 1993; en second lieu, "son inclusion provisoire et conditionnelle comme personne promouvable et la comparaison de ses mérites et de son dossier ... par la commission paritaire des promotions"; en troisième lieu, la suspension de la dernière étape de la procédure de promotion au titre de l' exercice 1993, qui consiste dans la publication des décisions de promotion en cause; en quatrième lieu, le sursis immédiat à l' exécution de la décision de l' exclure de la liste concernée, ainsi que la suspension de la publication des décisions de promotion jusqu' à la date de la notification de l' ordonnance qui mettra fin à la procédure de référé.

21 En ce qui concerne la première demande, il y a lieu de constater qu' elle tend à obtenir une mesure provisoire manifestement inopérante. En effet, la suspension d' un acte négatif tel que la décision litigieuse serait, en tout état de cause, dénuée d' effet utile pour le requérant. C' est ce que le requérant a lui-même admis en formulant sa deuxième demande. En ce qui concerne cette deuxième demande, il convient de constater qu' elle vise en réalité à obtenir une injonction du juge des référés à l' AIPN, tendant à ce que l' AIPN inclue le requérant dans les étapes ultérieures de la procédure de promotion au titre de l' exercice 1993. Or, selon une jurisprudence constante (voir en dernier lieu l' arrêt Camara Alloisio e.a./Commission, précité, point 44), une telle injonction n' entre pas dans les compétences du juge communautaire. En ce qui concerne la troisième demande, il y a lieu de constater qu' elle vise en fait à obtenir non pas le sursis à l' exécution d' un acte déjà accompli, mais une injonction tendant à ce que l' AIPN n' accomplisse pas un acte déterminé, qui est en l' espèce l' acte qui met fin à la procédure de promotion elle-même. Or, l' adoption d' une telle mesure, qui se traduit en pratique par la suspension de la procédure de promotion elle-même, serait manifestement hors de proportion avec l' intérêt de la Cour des comptes à mettre fin à cette procédure (voir l' ordonnance du président de la troisième chambre de la Cour, du 11 juillet 1988, Hanning/Parlement, 176/88 R, Rec. p. 3915, point 9). Enfin, en ce qui concerne la quatrième demande, il suffit de constater que, eu égard aux considérations développées en ce qui concerne les première et troisième demandes, elle est manifestement devenue sans objet.

22 Il convient de souligner en tout état de cause que l' urgence des mesures provisoires demandées doit être appréciée en fonction de la nécessité d' éviter par ces mesures que ne survienne, avant une décision dans la procédure principale, un préjudice grave et irréparable pour la partie qui les a sollicitées.

23 A cet égard, il y a essentiellement lieu de constater que le requérant se borne à faire état de "préjudices moraux énormes" en raison de l' état d' insécurité, d' incertitude et d' inquiétude, créé par la décision qui fait l' objet du recours en annulation, et de la détérioration de sa réputation professionnelle, qui résulte de la marginalisation à laquelle cette décision l' a contraint. Or, une certaine marge d' incertitude doit être considérée pour le requérant comme inhérente au fait qu' un recours de cette nature est pendant devant une juridiction.

24 Quoi qu' il en soit, le requérant n' a pas établi que, dans les circonstances spécifiques du cas d' espèce, l' absence de mesures provisoires pourrait avoir pour effet de lui causer un préjudice qui ne serait pas susceptible d' être réparé, même dans l' hypothèse où l' acte litigieux dans la procédure principale serait annulé. En effet, les préjudices subis par le requérant pourraient être réparés en exécution d' un arrêt rendu dans la procédure principale et favorable au requérant, en particulier par son inclusion adéquate dans la procédure de promotion en cause ou, du moins, par l' allocation de dommages-intérêts.

25 Il résulte de ce qui précède, et sans qu' il soit nécessaire d' analyser le bien-fondé prima facie du recours principal, que les moyens de fait et de droit invoqués par le requérant ne sont pas de nature à justifier l' adoption des mesures provisoires demandées et que la demande en référé doit dès lors être rejetée.

Dispositif


Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne:

1) La demande en référé est rejetée.

2) Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 8 octobre 1993.