ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

15 février 1996

Affaire T-589/93

Susan Ryan-Sheridan

contre

Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail

«Fonctionnaires — Agents de la Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail — Procédure de recrutement — Rejet d'une candidature interne — Recours en annulation — Recours en indemnité»

Texte complet en langue française   II-77

Objet:

Recours ayant pour objet l'annulation de la décision de rejet de la candidature de la requérante à un emploi d'administrateur de programme de publication et la condamnation de la Fondation à des dommages-intérêts.

Résultat:

Rejet.

Résumé de l'arrêt

Mme Ryan-Sheridan occupe en catégorie B l'emploi de «responsable des publications». A ce titre, elle assure l'administration générale et la gestion du programme des publications de la Fondation, sous l'autorité de M. N. W. le chef du service.

Le Directeur de la Fondation adresse à M. N. W. une note l'informant de l'organisation prochaine d'un concours, en vue du recrutement d'un administrateur de programme de publication, de grade A 7/A 6, responsable de la politique et de la stratégie d'un programme de publication.

La note envisage un concours réservé, dans un premier temps, aux agents des organes communautaires, mais prévoit également, en cas de besoin, la préparation d'un concours général sur la base des titres des candidats et d'un entretien.

Les conditions spécifiques d'aptitude envisagées consistent en une formation universitaire sanctionnée par un diplôme pertinent, suivi par cinq ans au moins d'expérience professionnelle pertinente, la pratique courante d'une langue communautaire et la connaissance d'au moins une autre langue communautaire. Le comité de recrutement examinera les candidatures présentées par les agents des autres organes communautaires avant les candidatures introduites au titre du concours général.

La Fondation publie un avis de vacance d'emploi destiné à tous ses agents de catégorie A susceptibles d'être mutés à l'emploi vacant. La description des fonctions afférentes à l'emploi à pourvoir reprend intégralement celle figurant dans la note précitée du directeur mais l'avis de vacance n'exige des candidats internes aucune condition d'aptitude particulière.

Aucun agent de la Fondation ne se présente. La Fondation publie ensuite un avis identique au précédent, mais destiné, cette fois, à tous les membres de son personnel, ainsi qu'un avis de concours restreint destiné aux agents d'autres organes communautaires. Ce dernier avis exige, en outre, des candidats externes, l'accomplissement d'études universitaires sanctionnées par un diplôme pertinent au regard de la spécialisation demandée, une expérience professionnelle pertinente de 5 ans postérieure à l'obtention du diplôme, ainsi qu'une connaissance approfondie de l'anglais ou du français et une connaissance satisfaisante d'une deuxième langue communautaire.

Dans sa note relative aux «résultats des concours interne et restreint» adressée au directeur de la Fondation, le comité de recrutement indique qu'il a, en premier lieu, examiné trois candidatures internes, dont celle de la requérante, et que, à l'unanimité, aucun de ces trois candidats n'a été estimé suffisamment qualifié et expérimenté dans les différents domaines des fonctions décrits pour mériter d'être convoqué à un entretien.

En se fondant sur ce motif, le directeur de la Fondation informe la requérante que sa candidature à l'emploi à pourvoir ne sera pas retenue.

La requérante introduit une réclamation et forme d'emblée un recours en annulation et en indemnité, auquel est jointe une demande de suspension des actes attaqués et de la procédure de recrutement. Cette demande de référé est rejetée (ordonnance du Tribunal du 11 mars 1994, Ryan-Sheridan/FEACVT, T-589/93 R RecFP p. II-257).

La Fondation rejette la réclamation de la requérante, au motif, notamment, que l'emploi qu'elle occupe et l'emploi à pourvoir sont différents tant au regard de leur nature que de leur niveau.

Sur la compétence du Tribunal

Le Tribunal constate que le règlement no 1860/76 lui attribue compétence pour statuer sur les litiges survenus entre la Fondation et ses agents. Même si la Fondation n'est pas une institution des Communautés, au sens du statut des fonctionnaires des Communautés européennes, la présente affaire constitue un litige entre la Communauté européenne et un de ses agents, au sens de l'article 179 du traité CE.

Sur les conclusions en annulation

Sur la recevabilité

Le Tribunal constate que la décision faisant grief est l'acte contenu dans la lettre du directeur de la Fondation informant la requérante du rejet de sa candidature, en ce que cet acte fixe définitivement la position de la Fondation au terme d'une procédure de recrutement comportant l'avis interne, l'avis de concours restreint et l'avis du comité de recrutement (point 23).

Référenceà: Cour 21 janvier 1987. Stroghi.i/Courdes comptes, 204/85 Rec. p 389 poinit 6 Tribunal 24 juin 1993. Seghers/Conseil. T-69/92.Rec. p. II-651.po.m 28; Cour 13 juillet 1993, Moat/Commission. T-20/92. Rec. p. II-799, point 43

En tant qu'elle est dirigée contre la décision de rejet de sa candidature, la demande d'annulation de la requérante est donc recevable et, lors de l'examen de la legalite de cette décision, le Tribunal peut, au vu de la cohésion des différents actes composant la procédure de recrutement, examiner si les trois actes préparatoires, qui sont étroitement liés à la décision attaquée, sont éventuellement entaches d'illégalité (point 25).

Référence à: Cour 31 mars 1965, Ley/Commission, 12/64 et 29/64, Rec p. 143; Cour 14 décembre 1966. Alfieri/Parlement. 3/66, Rec. p. 633; Cour 11 août 1995. Commission/Noonan. C-448/93 P, Rec. p. I-2321. points 17 à 19; Tribunal 24 février 1994, Caló/Commissìon. T-108/92. RecFP p. II-213, point 13

Sur le fond

1. Quant à la violation de l'article 29 du statut

Le Tribunal estime que, contrairement aux allégations de la requérante, il ne ressort pas des éléments de la cause que la défenderesse se soit écartée de l'ordre de priorité établi par l'article 29 du statut, à supposer cette disposition applicable a la Fondation (point 32).

2. Quant à la violation du principe d'égalité de traitement

Le Tribunal relève que, ayant pu présenter sa candidature à l'emploi à pourvoir, la requérante n'a, en tout état de cause, aucun intérêt à alléguer que, contrairement à l'ayis interne, l'avis de concours restreint comportait des conditions d'aptitude précises mettant les agents des autres organes communautaires en mesure d'apprécier l'opportunité de leur candidature. Au surplus, le Tribunal constate que le moyen manque en fait, dès lors que les conditions d'accès à l'emploi à pourvoir n'ont pas été plus exigeantes pour le personnel de la Fondation que pour celui des autres organes communautaires (points 41 et 42).

3. Quant à l'illégalité de l'avis interne

Le Tribunal constate que la requérante n'a pas d'intérêt à se prévaloir de l'imprécision éventuelle de l'avis interne, quelle que soit sa nature juridique exacte, avis de vacance ou avis de concours. En effet, l'imprécision alléguée, à la supposer établie, ne lui fait pas grief, dès lors que la requérante a pu présenter sa candidature à l'emploi à pourvoir. En outre, le Tribunal estime que l'avis interne répond aux conditions exigées par la jurisprudence des avis de vacance d'emploi et des avis de concours (points 55 et 56).

Référenceà: Tribunal 17 mai 1995, Benecos/Commission, T-16/94, RecFPp. II-335, point 18; Seghers/Conseil, précité, point 34

4. Quant à la violation de l'avis interne

Le Tribunal constate que, la Fondation ayant estimé que la requérante n'était pas suffisamment qualifiée et expérimentée dans les différents domaines des fonctions, tels que décrits par l'avis interne, la décision rejetant sa candidature n'est pas fondée sur des conditions ne figurant pas expressément dans cet avis (points 61 et 62).

5. Quant à l'erreur manifeste d'appréciation

Le Tribunal rappelle que, selon une jurisprudence bien établie, il appartenait à la défenderesse d'apprécier si la requérante remplissait les conditions requises par l'avis interne et que cette appréciation ne saurait être mise en cause qu'en cas d'erreur manifeste. En conséquence, le Tribunal ne peut pas se substituer a la défenderesse et contrôler les appréciations portées par celle-ci sur les aptitudes professionnelles des candidats, sauf à constater une erreur manifeste d'appréciation (point 75).

Référenceà: Tribunal 13 décembre 1990. Kalavros/Courde justice. T-160/89et T-161/89.Rec. p. II-871. point 29

Après avoir comparé les fonctions afférentes à l'emploi de la requérante et à l'emploi à pourvoir, le Tribunal conclut que la requérante, à laquelle incombe la charge de la preuve, n'a pas été en mesure d'établir la correspondance alléguée entre les fonctions afférentes aux deux emplois et que, par conséquent, c'est donc sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation sur ce point que la Fondation a pu estimer que la requérante n'était pas suffisamment qualifiée et expérimentée dans les différents domaines des fonctions décrits dans l'avis interne (points 76 à 86).

6. Quant à l'absence ou à l'insuffisance de motivation

Le Tribunal rappelle que, selon une jurisprudence constante la motivation d'une décision faisant grief a pour but de fournir à l'intéressé les indications nécessaires pour savoir si cette décision est ou non bien fondée, afin qu'il puisse éventuellement exercer les voies de recours nécessaires à la défense de ses droits et intérêts. Par ailleurs, l'obligation de motivation a pour objet de permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision. En outre, l'étendue de l'obligation de motivation doit, dans chaque cas, être appréciée en fonction des circonstances concrètes. En particulier, une décision est suffisamment motivée, dès lors qu'elle est intervenue dans un contexte connu de l'agent intéressé, lui permettant de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (points 90 92 et 95).

Référence à: Cour 1er juin 1983, Seton/Commission, 36/81, 37/81 et 218/81, Rec. p. 1789, point 47; Cour 21 juin 1984, Lux/Cour des comptes, 69/83, Rec. p. 2447, point 36; Cour 30 mai 1984, Picciolo/Parlement, 111/83, Rec. p. 2323; Cour 13 décembre 1989, Prelle/Commission, C-169/88, Rec. p. 4335, point 9; Tribunal 20 juin 1990, Burban/Parlement, T-133/89, Rec. p. II-245, point 43; Tribunal 21 avril 1993, Tallarico/Parlement, T-5/92, Rec. p. II-477, point 35; Tribunal 16 décembre 1993, Turner/Commission, T-80/92, Rec. p. II-1465, point 62; Tribunal 6 juillet 1995, Ojha/Commission, T-36/93, RecFP p. II-497, point 60

Or le Tribunal estime que la motivation de la décision rejetant la candidature de la requérante a mis, à elle seule, l'intéressée en mesure d'en contester le bien-fondé et permis au Tribunal de constater qu'aucune erreur manifeste d'appréciation ne pouvait être reprochée à la Fondation. En outre, la requérante savait parfaitement que, à tout le moins, elle n'était pas suffisamment expérimentée et qualifiée à l'égard de l'intégralité des fonctions afférentes à l'emploi à pourvoir. Enfin, le Tribunal constate que la décision rejetant la réclamation de la requérante énonce avec suffisamment de clarté et de précision les différences de nature et de niveau existant entre l'emploi de la requérante et l'emploi à pourvoir (points 91, 93, 96 et 97).

7. Quant au défaut d'impartialité formelle du comité de recrutement et à la violation de l'article 10 du règlement no 1860/76

Le Tribunal considère que, conformément aux dispositions de l'article 10 précité, le directeur de la Fondation a été, en fait, informé en temps utile du conflit personnel qui avait opposé la requérante à M. N. W. Par conséquent, à supposer l'article 10 du règlement no 1860/76 applicable, ses dispositions ont été, en tout état de cause, respectées (points 104 et 105).

Le Tribunal retient, par ailleurs, qu'il était objectivement utile que M. N. W. siège dans le comité de recrutement, en sa double qualité de chef du service intéressé et de supérieur hiérarchique direct du futur titulaire de l'emploi à pourvoir. En outre, s'il appartenait à l'administration de veiller à l'impartialité de la composition du comité de recrutement, les appréciations que M. N. W. a portées sur les qualités professionnelles de la requérante, tout en contenant des observations critiques à son égard, sont néanmoins motivées, modérées et exemptes de tout élément de nature à révéler une animosité incompatible avec le devoir d'impartialité incombant au membre d'un comité de recrutement. Enfin, il est constant que le comité de recrutement a donné son avis à l'unanimité des voix de ses trois membres, dont celle du représentant du comité du personnel. Dans ces conditions, il n'apparaît pas que la présence de M. N. W. au sein du comité de recrutement ait pu être de nature à affecter l'objectivité des délibérations de ce comité (points 106, 107, 108 et 109).

8. Quant au détournement de pouvoir et de procédure et à la violation de l'article 23 du règlement no 1860/76

Le Tribunal rappelle que le détournement de pouvoir exige la preuve, sur la base d'éléments objectifs, pertinents et concordants, que la décision litigieuse a été prise pour atteindre des fins autres que celles excipées ou que l'administration a utilisé ses pouvoirs à d'autres fins que celles pour lesquelles ils lui ont été conférés (point 117).

Référence à: Cour 4 février 1982, Buyl e.a./Commission, 817/79, Rec. p. 245, point 28; Lux/Cour des comptes, précité, point 30; Tribunal 12 juillet 1990, Scheuer/Commission, T-108/89, Rec. p. II-411, points 49 et 50; Tribunal 7 décembre 1995, Abello e.a./Commission, T-544/93 et T-566/93, RecFP p. II-815, point 86

Or, le Tribunal considère que, contrairement aux allégations de la requérante, il n'est pas apparu que la Fondation ait entendu d'emblée donner la préférence à un candidat externe, que le comité de recrutement ait examiné les candidatures externes présentées au titre de l'avis de concours restreint avant les candidatures internes, ni que la candidature de la requérante ait été rejetée en raison du conflit personnel l'ayant opposée à M. N. W. (points 118, 119 et 120).

9. Quant à la violation du principe de protection de la confiance légitime et au droit de la requérante à la prise en considération effective de ses titres

D'une part, le Tribunal estime que ni l'expérience de la requérante, ni ses diplômes universitaires, ni ces deux éléments pris ensemble ne permettent d'établir que, en ne convoquant pas la requérante à l'entretien préliminaire, le comité de sélection ait commis une erreur manifeste d'appréciation. D'autre part, il ne ressort pas des éléments du dossier que la Fondation ait donné à la requérante, contrairement à ce que celle-ci prétend, des assurances suffisamment précises pour fonder des espérances légitimes en sa vocation à occuper l'emploi à pourvoir (points 126 et 127).

10. Quant à la violation du devoir de sollicitude

Le Tribunal estime que la requérante ne saurait utilement invoquer ce moyen, puisqu'elle n'a pas été en mesure d'établir la correspondance alléguée entre les fonctions afférentes à son emploi et à l'emploi vacant.

Au surplus, le Tribunal rappelle que les exigences du devoir de sollicitude ne sauraient empêcher l'autorité publique d'adopter les mesures qu'elle estime nécessaires dans l'intérêt du service, puisque le pourvoi de chaque emploi doit se fonder en premier lieu sur cet intérêt. Compte tenu de l'étendue du pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité pour évaluer l'intérêt du service, le contrôle du Tribunal doit se limiter à la question de savoir si celle-ci s'est tenue dans des limites non critiquables et n'a pas usé de son pouvoir de manière manifestement erronée (points 131 et 132).

Référence à: Turner/Commission précité, point 77

Or, aucune irrégularité ne pouvant lui être reprochée à cet égard, la Fondation n'a pas méconnu le devoir de sollicitude qui lui incombe (point 133).

Sur les conclusions en indemnité

Le Tribunal rappelle que, selon une jurisprudence constante, l'engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté suppose la réunion d'un ensemble de conditions constituées par l'illégalité du comportement reproché à l'organe communautaire, la réalité du dommage et l'existence d'un lien de causalité entre le comportement et le préjudice invoqué (point 141).

Référence à: Tribunal 9 février 1994. Latham/Commission. T-3/92, RecFP p. II-83, point 63

Or, la requérante n'ayant fourni aucune preuve de l'irrégularité de la procédure de recrutement litigieuse, la demande en réparation du préjudice prétendument subi paila requérante en raison de la décision rejetant sa candidature doit être rejetée (point 142).

Référence à: Latham/Commission, précité, points 65 et 66

Le Tribunal considère, à titre surabondant, que, pour autant que la demande formulée par la requérante au cours de l'audience et tendant à la majoration à 500000 BFR du préjudice allégué au cours de la procédure écrite repose, ainsi que le prétend la Fondation, sur une cause distincte, elle constitue une demande nouvelle et doit dès lors, en tant que telle, être rejetée comme irrecevable (point 144).

Référence à: Tribunal 8 mars 1990, Schwedler/Parlement, T-41/89, Rec. p. II-79, point 34; Tribunal 26 octobre 1993, Weißenfels Parlement, T-22/92, Rec. p. II-1095, points 27 et 28

Dispositif:

Le recours est rejeté.


Fonctionnaires — Agents de la Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail — Procédure de recrutement — Rejet d'une candidature interne — Recours en annulation — Recours en indemnité (ARRÊT DU 15. 2. 1996 — AFFAIRE T-589/93 - RYAN-SHERIDAN / FEACVT)   II-77