ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

27 octobre 1994

Affaire T-47/93

C

contre

Commission des Communautés européennes

«Fonctionnaires — Recrutement — Prolongation du délai de validité de la liste d'aptitude au concours EUR/B/16 — Avis médical d'inaptitude — Recours en annulation — Recours en indemnité»

Texte complet en langue française   II-743

Objet:

Recours ayant pour objet l'annulation de la décision prorogeant la durée de validité de la liste d'aptitude du concours EUR/B/16 à l'égard du requérant et une demande d'indemnité.

Résultat:

Condamnation de l'institution au paiement d'une indemnité et rejet pour le surplus.

Résumé de l'arrêt

Les services de la Commission demandent, le 22 février 1991, la publication d'un avis de vacance d'emploi en vue de recruter le requérant, lauréat d'un concours général.

Le 24 avril 1991, le médecin-conseil de la Commission émet un avis d'inaptitude physique motivé par la constatation d'une hépatite à virus B et confirmé, le 31 mai 1991, sous réserve d'un réexamen ultérieur, par la commission médicale, saisie par le requérant.

Bien qu'elle ait informé le requérant, le 26 avril 1991, qu'elle lui communiquerait sa décision relative à la reconnaissance de son aptitude physique, la Commission n'adopte pas de décision à son égard quant à l'emploi pour lequel il a été initialement retenu.

Le 12 mai 1992, l'intéressé est informé qu'après réexamen de son dossier la commission médicale a adopté un avis d'aptitude physique «sous réserve».

La durée de validité de la liste d'aptitude du concours ayant entre-temps expiré le 30 juin 1991, le requérant, qui n'est plus susceptible d'être nommé à un emploi vacant, introduit, le 27 mai 1992, une demande d'indemnisation des préjudices moral et matériel qu'il aurait subis pour n'avoir pas été recruté en raison des avis d'inaptitude physique initiaux.

Le 16 septembre suivant, l'institution proroge la durée de validité de la liste d'aptitude à l'égard du requérant.

Par réclamation du 21 décembre 1992, celui-ci conteste la légalité tant du refus de recrutement consécutif aux avis d'inaptitude physique que de la décision du 16 septembre 1992. Il demande en outre le paiement des rémunérations auxquelles il aurait eu droit s'il avait été recruté au poste de bibliothécaire-archiviste et 100000 BFR à titre de réparation du préjudice matériel et moral.

Après le rejet de cette réclamation par lettre du 26 avril 1993, le requérant introduit le présent recours le 21 juillet 1993.

I — Sur les conclusions visant à l'annulation de la décision prorogeant, à l'égard du requérant, la durée de validité de la liste d'aptitude

Le Tribunal constate d'emblée que, bien que n'appartenant pas à la fonction publique communautaire, le requérant a qualité pour agir en vertu de l'article 179 du traité CE, ainsi que des articles 90 et 91 du statut, dès lors qu'il revendique, en tant que lauréat d'un concours général écarté d'un emploi, la qualité de fonctionnaire et possède donc celle de «personne visée au statut», au sens de son article 90, paragraphe 1 (point 21).

Référence à: Tribunal 16 mai 1994, Stagakis/Parlement, T-37/93, RecFP p. II-451, point 16

Le Tribunal relève également que l'existence d'un acte faisant grief, au sens des articles 90, paragraphe 2, et 91, paragraphe 1, du statut, est une condition indispensable à la recevabilité de tout recours en annulation formé par un fonctionnaire contre une institution et que seuls font grief les actes susceptibles d'affecter directement la position juridique d'un requérant (point 22).

Référence à: Tribunal 20 mai 1994, Obst/Commission, T-510/93, RecFP p. II-461, point 22

Or, pour autant qu'elle proroge, à l'égard du requérant, la durée de validité de la liste d'aptitude, la décision attaquée ouvre à l'intéressé de nouvelles perspectives de recrutement et, n'étant pas susceptible de porter atteinte à ses droits, elle ne lui fait pas grief. Dans cette mesure, le requérant n'a aucun intérêt à attaquer la décision litigieuse et la demande en annulation est irrecevable (points 23 et 24).

II — Sur les conclusions en indemnisation

1. Sur la recevabilité

Le Tribunal rappelle, tout d'abord, que, lorsqu'un fonctionnaire entend diriger une action en indemnité contre l'institution qui l'emploie, la procédure précontentieuse exigée par le statut est différente selon que le dommage dont la réparation est demandée a été causé par un acte faisant grief au sens de l'article 90, paragraphe 2, du statut ou que le préjudice a été causé par un comportement dépourvu de caractère décisionnel. Dans la première hypothèse, la recevabilité du recours en indemnité est subordonnée à la condition que l'intéressé ait saisi l'autorité investie du pouvoir de nomination, dans les délais impartis, d'une réclamation contre l'acte qui lui a causé préjudice et qu'il ait introduit le recours dans un délai de trois mois à compter du rejet de cette réclamation. Dans la seconde, en revanche, la procédure administrative qui doit obligatoirement précéder le recours en indemnité, conformément aux articles 90 et 91 du statut, comporte deux étapes, à savoir, d'abord, une demande et, ensuite, une réclamation contre le rejet explicite ou implicite de cette demande (point 30).

Référence à: Tribunal 9 juin 1994, X/Commission, T-94/92, RecFP p. II-481, point 29

Le Tribunal constate que cette dernière procédure, applicable en l'espèce, en l'absence de décision relative à l'emploi pour lequel le requérant avait été initialement retenu, a suivi un cours régulier. Il s'ensuit que la demande en indemnité est recevable, le présent recours ayant été introduit dans les délais statutaires, contrairement aux allégations de la Commission (points 32 et 37).

En effet, après s'être rendu compte le 12 mai 1992, au moment où il a eu connaissance de l'avis d'aptitude «sous réserve», que ses chances d'être recruté avaient été anéanties en raison des avis d'inaptitude physique initiaux, le requérant a présenté une demande d'indemnisation le 27 mai 1992, suivie, le 21 décembre 1992, d'une réclamation dirigée contre la décision du 16 septembre 1992. Bien que cette réclamation ne fasse pas directement état de la demande d'indemnisation, elle vise en substance son rejet implicite par la décision du 16 septembre 1992, le contenu des demande et réclamation devant être interprété et compris par l'administration avec toute la diligence qu'une grande organisation bien équipée doit à ses justiciables. En tout état de cause, une décision implicite de rejet de la demande d'indemnisation était intervenue le 27 septembre 1992 (points 34 à 36).

Référence à: Cour 9 mars 1978, Herpels/Commission, 54/77, Rec. p. 585, point 47

2. Sur lefond

L'examen médical prévu par l'article 33 du statut a pour objet de permettre à l'institution concernée de déterminer si, du point de vue de son état de santé, le candidat est capable de remplir toutes les obligations susceptibles de lui incomber, compte tenu de la nature de ses fonctions. Le Tribunal relève que, s'agissant de cette détermination, le statut confie aux médecins-conseils et, le cas échéant, à la commission médicale l'appréciation de toutes les questions d'ordre médical. Par conséquent, le contrôle juridictionnel du Tribunal ne saurait s'étendre aux appréciations médicales proprement dites, qui doivent être tenues pour définitives dès lors qu'elles sont intervenues dans des conditions régulières. En revanche, le contrôle juridictionnel peut s'exercer sur la régularité de la procédure suivie lors de l'examen médical, en particulier en cas de saisine de la commission médicale, ainsi que sur la régularité des avis émis, afin de vérifier si leur motivation permet d'apprécier les considérations sur lesquelles leurs conclusions sont basées et si un lien compréhensible est établi entre les constatations médicales qu'ils comportent et les conclusions auxquelles ils arrivent (points 46 et 47).

Référence à: Tribunal 27 février 1992, Plug/Commission, T-165/89, Rec. p. II-367, point 75

Bien que l'état de santé du requérant n'ait pas donné lieu à des troubles quelconques susceptibles de l'empêcher de remplir toutes les obligations susceptibles de lui incomber dans l'exercice des fonctions envisagées, la commission médicale l'a néanmoins déclaré inapte au motif que l'évolution de son affection n'était pas terminée. Si un avis d'inaptitude peut être fondé sur un pronostic, médicalement fondé, de troubles futurs, susceptibles de mettre en cause, dans un avenir prévisible, l'accomplissement normal des fonctions envisagées, tel n'est pas le cas en l'espèce, puisque la commission médicale est revenue sur son avis d'inaptitude non pas en raison de l'état de santé du requérant, lequel est resté stable, mais à la suite du réexamen de sa situation, au vu notamment de son bilan hépatologique et de l'avis émis par un médecin tiers. Il s'ensuit que les deux avis d'inaptitude physique émis en mai 1991 sont entachés d'une erreur manifeste d'appréciation (points 48 à 50).

Référence à: X/Coramission, précité, point 45

Comme le requérant aurait été recruté au poste proposé s'il n'avait pas été déclaré physiquement inapte, le Tribunal considère que les avis médicaux erronés ont privé le requérant d'une chance d'être recruté. En outre, en procédant au pourvoi du poste avant que la commission médicale n'ait pris sa décision d'aptitude «sous réserve» ou, à tout le moins, en ne prenant pas, contrairement à ce qu'elle avait annoncé, de décision au sujet du recrutement du requérant susceptible d'être attaquée, la Commission lui a ôté toute possibilité d'être recruté (point 53).

La perte d'une chance étant susceptible de constituer un préjudice réparable, le Tribunal évalue ex æquo et bono à 500000 BFR le montant de l'indemnisation adéquate (points 54 et 55).

Référence à: Tribunal 17 mars 1993, Moat/Commission, T-13/92, Rec. p. II-287

Dispositif:

1)

La Commission est condamnée à verser au requérant un montant de 500000 BFR à titre de dommages et intérêts.

2)

Le recours est rejeté pour le surplus.


Fonctionnaires — Recrutement — Prolongation du délai de validité de la liste d'aptitude au concours EUR/B/16 — Avis médical d'inaptitude — Recours en annulation — Recours en indemnité (ARRÊT DU 27. 10. 1994 — AFFAIRE T-47/93 - C / COMMISSION)   II-743