ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

14 avril 1994 ( *1 )

«Fonctionnaires — Recrutement — Personne porteuse du VIH — Refus d'engagement — Inaptitude physique — Légalité de l'article 33 du statut — Droit au respect de la vie privée — Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales»

Dans l'affaire T-10/93,

A, demeurant à Xalapa (Mexique), représenté par Mc Nathalie Leclerc-Petit, avocat au barreau de Montpellier, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Mc François Prum, 13 B, avenue Guillaume,

partie requérante,

soutenu par

Union syndicale-Bruxelles, représentée par Mc Jean-Noël Louis, avocat au barreau de Bruxelles, et par Union syndicale-Luxembourg, représentée par Mes Gérard Collin et Thierry Demaseure, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la fiduciaire Myson SARL, 1, rue Glesener,

parties intervenantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Sean van Raepenbusch, membre du service juridique, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Georgios Kremlis, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d'une part, l'annulation de la décision du 16 mars 1992 de la Commission, confirmant l'avis médical négatif émis par son service médical et refusant de recruter le requérant pour l'exercice de fonctions d'administrateur, et, d'autre part, l'indemnisation du préjudice moral allégué par le requérant,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

composé de MM. R. Garcia-Valdecasas, président, B. Vesterdorf et J. Biancarelli, juges,

greffier: M. H. Jung,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 26 janvier 1994,

rend le présent

Arrêt

Les faits à l'origine du litige

1

Le requérant est lauréat du concours général COM/A/696 visant à la constitution d'une liste de réserve d'administrateurs spécialistes de la coopération au développement, en particulier dans le domaine de l'agriculture des zones tropicales et subtropicales. Par lettre du 5 juillet 1991, la Commission a informé le requérant que son nom avait été placé sur la liste de réserve.

2

Le 24 octobre 1991, le requérant a effectué, auprès du service médical de la Commission, la visite médicale prévue à l'article 33, premier alinéa, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «statut»).

3

Il est constant que, au cours de cet examen, le requérant a déclaré spontanément au médecin-conseil sa séropositivité et s'est soumis de son plein gré aux tests de dépistage du virus d'immunodéficience humaine (VIH). Lors de l'examen, il a été convenu qu'un rapport médical actualisé du médecin traitant du requérant, le D' F., serait envoyé comme complément d'information aux examens effectués ou prescrits par le médecin-conseil de l'institution.

4

Par lettre du 28 novembre 1991, le médecin-conseil de la Commission a émis un avis d'inaptitude physique. Cette lettre se lit comme suit:

«Le 24. 10. 1991, vous avez effectué au service médical de la CCE la visite médicale d'embauché, conformément au statut des fonctionnaires de la CEE, et ce comme candidat à une fonction d'administrateur en délégations Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP).

Au cours de cet examen, vous m'avez indiqué la nature de l'affection dont vous êtes atteint. Nous avons convenu qu'un rapport médical actualisé de votre médecin traitant, le D' F., me sera envoyé comme complément d'information aux examens effectués dans le cadre de votre visite d'embauché.

Le rapport du D' F. daté du 14 novembre 1991 m'est parvenu le 25 novembre 1991.

Je suis au regret de vous informer que sur base de notre examen effectué dans le service, et sur base du rapport du D' F., il n'est pas possible au service médical d'émettre un avis d'aptitude physique favorable pour l'exercice de la fonction à laquelle vous êtes candidat.

Il est évident que cette inaptitude est à mettre en liaison avec la nature de la fonction postulée.»

5

Le requérant a alors saisi la commission médicale visée à l'article 33, deuxième alinéa, du statut.

6

Dans une note adressée le 5 mars 1992 aux services administratifs compétents de la Commission, la commission médicale a confirmé l'avis émis par le médecin-conseil, dans les termes suivants:

«Après avoir examiné le dossier médical d'embauché de l'intéressé, et les rapports afférents du médecin spécialiste consulté, ainsi que les rapports médicaux soumis à la commission médicale par l'intéressé, et après avoir entendu le médecin qui a émis l'avis d'inaptitude, la commission médicale est d'avis que A ne possède pas les aptitudes physiques requises pour l'exercice de ses fonctions.»

7

Par la suite, la partie défenderesse a notifié sa décision au requérant par lettre du 16 mars 1992. Cette lettre est libellée de la manière suivante:

«Suite à votre lettre du 17 décembre 1991, je vous prie de noter que la commission médicale s'est réunie le 5 mars 1992, afin d'examiner l'avis d'inaptitude médicale émis suite à votre visite médicale du 24 octobre 1991.

J'ai le regret de vous informer que cette commission n'a pu que confirmer cet avis négatif. En conclusion de quoi il apparaît que vous ne possédez pas les aptitudes physiques requises pour l'exercice des fonctions d'administrateur au sein de la Commission, au titre de l'article 28, alinéa e), du statut.

Votre candidature ne peut malheureusement plus être prise en considération.»

8

Par lettre du 12 juin 1992, le requérant a présenté, à l'encontre de la décision du 16 mars 1992, une réclamation, au sens des dispositions de l'article 90, paragraphe 2, du statut, à l'appui de laquelle il a invoqué, entre autres, les conclusions 89/C 28/02 du Conseil et des ministres de la Santé des États membres, réunis au sein du Conseil, du 15 décembre 1988, concernant le SIDA et le lieu de travail (JO 1989, C 28, p. 2, ci-après «conclusions du Conseil et des ministres de la Santé»), selon lesquelles «une personne porteuse du VIH et ne présentant pas de symptômes pathologiques liés au SIDA doit être considérée et traitée comme un travailleur normal, apte au travail».

9

Dans sa décision du 9 octobre 1992, communiquée au requérant par lettre du 16 octobre 1992, la Commission a répondu, en substance, que sa décision de ne pas recruter le requérant était conforme aux textes émanant des organismes de la Communauté, et notamment aux conclusions du Conseil et des ministres de la Santé, le requérant étant entré en maladie et le stade de la seule séropositivité étant dépassé dans son cas. Elle ajoutait, en outre, que, dès lors que le requérant s'était engagé formellement à accomplir une partie substantielle de ses tâches dans les délégations situées dans des pays en voie de développement, les exigences et les conditions d'environnement du poste de travail probable, de même que l'infrastructure médicale locale déficiente, constituaient des éléments supplémentaires à prendre en considération.

La procédure

10

C'est dans ces conditions que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 janvier 1993, le requérant a introduit le présent recours.

11

Par actes déposés au greffe du Tribunal le 5 mai 1993, l'Union syndicale-Bruxelles et l'Union syndicale-Luxembourg ont demandé à être admises à intervenir au litige, à l'appui des conclusions de la partie requérante. Par ordonnance du 22 juin 1993, le président de la troisième chambre a admis l'intervention. Les parties intervenantes ont déposé un mémoire en intervention commun le 1er septembre 1993. La partie requérante n'a pas présenté d'observations sur le mémoire en intervention.

12

A la demande du requérant, le Tribunal (troisième chambre) a décidé que la procédure orale se déroulerait à huis clos et que son nom serait remplacé par la lettre A dans toutes les publications.

13

Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d'inviter le requérant à déposer le dossier médical de l'examen effectué par le Dr P., du Centre médical des entreprises travaillant à l'extérieur, établi à Paris, et à confirmer son accord sur la production, par la Commission, de son dossier médical. Le requérant ayant déféré à cette invitation en déposant le dossier médical établi par le Dr F. et en confirmant son accord sur la production du dossier médical de la Commission, et celle-ci ayant produit ce dossier, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables. Le Tribunal a invité les deux parties principales à se faire accompagner, lors de l'audience, de médecins de leur choix, susceptibles de répondre à des questions d'ordre médical de caractère général. Lors de l'audience, la partie requérante et les parties intervenantes étaient accompagnées par le Dr W., chef de clinique adjoint pour les maladies infectieuses, à l'hôpital Saint-Pierre de Bruxelles, et l'agent de la Commission par le médecin-conseil de l'institution, le Dr S.

14

Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l'audience du 26 janvier 1994.

Conclusions des parties

15

Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

1)

annuler la décision de la Commission du 16 mars 1992 ayant refusé de prendre en considération sa candidature;

2)

annuler la décision de rejet de sa réclamation, rendue le 9 octobre 1992 par la Commission;

3)

condamner la Commission à lui verser la somme de 50000 FF, à titre d'indemnisation du préjudice moral;

4)

condamner la Commission aux dépens.

16

La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

1)

rejeter le recours comme non fondé;

2)

statuer sur les dépens comme de droit.

17

Les parties intervenantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

1)

allouer au requérant le bénéfice des conclusions telles que présentées dans la requête introductive d'instance;

2)

condamner la Commission aux dépens, en ce compris ceux exposés par les parties intervenantes.

Sur les conclusions en annulation

18

A l'appui de ces conclusions, la partie requérante a invoqué cinq moyens tirés, respectivement, d'une violation des droits de la défense, d'un défaut de motivation de la décision attaquée, d'une violation du principe d'égalité, d'une violation du droit au respect de la vie privée, et, enfin, d'une erreur manifeste d'appréciation ainsi que d'une violation des conclusions du Conseil et des ministres de la Santé.

19

Les parties intervenantes ont invoqué, outre les moyens présentés par la partie requérante, un moyen tiré de l'illégalité de l'article 33, deuxième alinéa, du statut. Le Tribunal estime qu'il convient d'examiner, en premier lieu, ce dernier moyen.

Sur le moyen tiré de l'illégalité de l'article 33, deuxième alinéa, du statut

20

Les parties intervenantes ont fait valoir que la décision attaquée doit être annulée en ce qu'elle est basée sur un avis médical entaché d'illégalité, dès lors que cet avis est intervenu sur le fondement de l'article 33, deuxième alinéa, du statut, relatif à la composition et au fonctionnement de la commission médicale, lui-même illégal. Les parties intervenantes soutiennent, en premier lieu, que l'article 33, deuxième alinéa, en ce qu'il dispose que la commission médicale est composée de trois médecins choisis par l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après «AIPN»), parmi les médecins-conseils des institutions, viole les droits de la défense des candidats. En l'espèce, la violation serait d'autant plus grave que ce serait le médecin-conseil ayant émis l'avis initial d'inaptitude qui a indiqué à la direction générale du personnel et de l'administration les trois médecins qu'il souhaitait voir siéger dans la commission médicale. Une commission constituée dans de telles conditions ne fournirait guère de garantie d'impartialité ni d'indépendance vis-à-vis des institutions communautaires, en violation du principe du respect des droits de la défense du requérant. En deuxième lieu, les parties intervenantes font valoir que le fonctionnement de la commission médicale, tel que prévu par l'article 33, deuxième alinéa, du statut, entraîne, lui aussi, une violation des droits' de la défense du candidat en ce que c'est dans l'ignorance totale du contenu de l'avis médical d'inaptitude qu'un candidat, évincé à la suite d'un tel avis, doit prendre lui-même l'initiative de demander à la commission médicale d'être entendu et de demander que son médecin traitant soit entendu. Il s'ensuivrait que, dans la plupart des cas, cette commission médicale se réunirait et statuerait sur pièces, sans entendre ni le candidat ni son médecin-traitant. En troisième lieu, les parties intervenantes soutiennent qu'elles ne savaient pas, et ne savent toujours pas, sur quels éléments d'appréciation se fonde la commission médicale. Il semble, selon elles, que la commission médicale fonctionne comme une simple chambre de confirmation de ce qui a été décidé par le médecin-conseil de l'institution.

21

La Commission a fait valoir, d'une part, que le moyen est irrecevable, faute d'avoir été soulevé par le requérant ni dans sa réclamation, ni dans sa requête et, d'autre part, qu'il n'est pas fondé, aucun élément du dossier n'indiquant que la commission médicale n'a pas examiné le dossier établi à la suite de la visite médicale d'embauché du requérant avec toute l'objectivité et toute l'impartialité qui s'imposaient.

22

Le Tribunal rappelle, liminairement, que, selon l'article 33, premier alinéa, du statut, «avant qu'il ne soit procédé à sa nomination, le candidat retenu est soumis à l'examen médical d'un médecin-conseil de l'institution, afin de permettre à celle-ci de s'assurer qu'il remplit les conditions exigées à l'article 28, point e)», et que, selon le deuxième alinéa de l'article, «lorsque l'examen médical prévu au premier alinéa a donné lieu à un avis médical négatif, le candidat peut demander, dans les vingt jours de la notification qui lui en est faite par l'institution, que son cas soit mis à l'avis d'une commission médicale composée de trois médecins choisis par l'autorité investie du pouvoir de nomination parmi les médecins-conseils des institutions. Le médecin-conseil qui a émis le premier avis négatif est entendu par la commission médicale. Le candidat peut saisir le commission médicale de l'avis d'un médecin de son choix...».

23

Le Tribunal constate, en premier lieu, que le législateur communautaire, lorsqu'il a inclus dans le statut une disposition prévoyant un examen médical préalable à toute embauche, n'était tenu par aucune norme de droit communautaire d'un rang supérieur, ni par aucune autre règle contraignante, d'établir un quelconque système interne d'appel à l'encontre de l'avis émis par le médecin-conseil, à la suite de cet examen médical. Si le législateur a néanmoins institué, à l'article 33, deuxième alinéa, du statut, précité, une commission médicale d'appel, c'est dans le but d'établir une garantie supplémentaire pour les candidats et d'améliorer ainsi la protection de leurs droits.

24

Dans ces circonstances, le Tribunal estime, en deuxième lieu, qu'une commission médicale constituée par trois médecins, parmi lesquels ne figure pas le médecin-conseil ayant émis l'avis initial d'inaptitude, choisis parmi les médecins-conseils des institutions, et non pas uniquement parmi les médecins-conseils de l'institution en cause, représente une garantie supplémentaire réelle pour les candidats. Le Tribunal constate, en outre, que l'argumentation des parties intervenantes, selon laquelle ces trois médecins ne seraient ni suffisamment compétents ni suffisamment impartiaux, n'est étayée d'aucun élément permettant d'en apprécier le bien-fondé. Il s'ensuit que le Tribunal ne saurait accueillir l'argument des parties intervenantes, selon lequel l'article 33, deuxième alinéa, en ce qu'il fixe les règles de composition de la commission médicale, viole le principe du respect des droits de la défense du requérant.

25

Le Tribunal constate, en troisième lieu, qu'il résulte clairement de l'article 33, deuxième alinéa, précité, que le candidat peut saisir la commission médicale de l'avis d'un médecin de son choix. En outre, il ressort du dossier que, en l'espèce, le service médical de la Commission n'a pas uniquement invité le requérant à présenter à la commission médicale tous les documents qu'il jugerait utiles, mais l'a, de plus, invité à se présenter en personne ou à être représenté par un médecin de son choix. Par ailleurs, selon une jurisprudence bien établie, un candidat peut toujours demander et obtenir que les motifs d'un avis d'inaptitude soient communiqués au médecin traitant de son choix (voir l'arrêt de la Cour du 13 avril 1978, Mollet/Commission, 75/77, Rec. p. 897, et l'arrêt du Tribunal du 18 septembre 1992, X/Commission, T-121/89 et T-13/90, Rec. p. II-2195). Une telle communication peut être faite avant la convocation de la commission médicale.

26

En l'espèce, le Tribunal relève qu'il est constant que le requérant a reçu, par téléphone, communication des motifs de l'avis d'inaptitude avant même d'avoir reçu communication de l'avis d'inaptitude, par écrit. Dans ces circonstances, l'argument des parties intervenantes, tiré de ce que c'est dans l'ignorance du contenu médical de l'avis d'inaptitude que les candidats évincés doivent prendre l'initiative de demander à la commission médicale d'être entendu, manque en fait.

27

Quant à la question de savoir sur quels éléments se fonde la commission médicale, il ressort, d'une part, de l'article 33, deuxième alinéa, précité, qu'elle doit se fonder sur le dossier médical établi au sein de l'institution, sur l'audition du médecin-conseil ayant émis l'avis d'inaptitude, ainsi que, le cas échéant, sur l'avis émis par un médecin choisi librement par le candidat. D'autre part, ainsi que le confirme le dossier en l'espèce, la commission médicale peut se fonder sur un entretien avec le candidat et/ou son médecin traitant et sur tous documents que le candidat juge utile de lui présenter. De plus, la commission médicale peut, si elle l'estime opportun, soumettre le candidat à un nouvel examen, en ordonnant éventuellement des tests complémentaires ou en demandant l'avis d'autres médecins spécialistes. Il s'ensuit que la commission médicale est en mesure de procéder à un réexamen complet et impartial de la situation du candidat (voir l'arrêt X/Commission, précité).

28

Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que le moyen tiré de l'illégalité de l'article 33, deuxième alinéa, précité, doit, en tout état de cause, être rejeté, sans qu'il soit nécessaire d'examiner la recevabilité de ce moyen.

Sur le moyen tiré d'une violation des droits de la défense

29

Lors de l'audience, la partie requérante a fait siens les griefs, présentés par les parties intervenantes dans leur mémoire en intervention, tirés d'une violation des droits de la défense. La partie requérante et les parties intervenantes soutiennent, à cet égard, que le requérant n'a pas été suffisamment informé de la procédure prévue par l'article 33, deuxième alinéa, précité, particulièrement en ce qui concerne le caractère définitif, quant aux appréciations d'ordre médical, de la décision de la commission médicale. Ce serait ainsi en violation des droits de la défense que la Commission aurait refusé de tenir compte d'un rapport médical établi le 28 septembre 1992 par le Dr F., dont il ressortirait que la décision attaquée est fondée sur un avis médical entaché d'une erreur manifeste d'appréciation. Les parties intervenantes ajoutent que c'est également en violation des droits de la défense que le médecin-conseil n'a communiqué au médecin traitant du requérant ni les constatations faites lors de l'examen d'embauché ni le résultat de cet examen. Ainsi, le requérant n'aurait pas été en mesure de préparer sa défense.

30

Le Tribunal considère que, comme l'a soutenu la Commission, ce moyen manque en fait. En effet, il ressort du dossier, d'une part, que, par lettre du 20 février 1992, le service médical de la Commission a informé le requérant qu'il lui était «loisible de présenter à la commission médicale tous les documents (rapports, radios, analyses, épreuves fonctionnelles, etc.) que vous jugerez utiles» et que, «selon l'article 33 du statut, le médecin-conseil qui a émis le premier avis négatif est entendu par la commission médicale», le candidat pouvant «saisir la commission médicale de l'avis d'un médecin de son choix». Il ressort également du dossier, d'autre part, que, avant la communication, par écrit, du premier avis négatif au requérant, le médecin-conseil avait informé ce dernier par téléphone du résultat de l'examen médical d'embauché et des raisons de l'avis négatif qu'il avait émis. Il s'ensuit que le requérant a été suffisamment informé de la procédure prévue par l'article 33, deuxième alinéa, précité. Le Tribunal relève, en outre, que la lettre du 20 février 1992, précitée, a attiré expressément l'attention du requérant sur la possibilité de saisir la commission médicale de l'avis d'un médecin de son choix. Le grief, par lequel le requérant reproche à la Commission d'avoir refusé de tenir compte du rapport médical établi par son médecin traitant le 28 septembre 1992, soit six mois après l'avis médical émis par la commission médicale, n'est donc pas fondé. Enfin, aucune règle statutaire n'impose au médecin-conseil de communiquer au médecin-traitant, et non à l'intéressé lui-même, le résultat de l'examen médical d'embauché. En effet, si le Tribunal, dans son arrêt X/Commission, précité, a indiqué que l'obligation de motiver une décision faisant grief doit se concilier avec les nécessités du secret médical et que cette conciliation s'opère par la faculté, pour l'intéressé, de demander et d'obtenir que les motifs d'inaptitude soient communiqués au médecin traitant de son choix, cette faculté n'exclut nullement que, s'il l'estime opportun et compatible avec la déontologie médicale, le médecin-conseil communique les motifs d'inaptitude directement à l'intéressé. En l'espèce et en tout état de cause, ce choix, opéré par le médecin-conseil, n'a pas constitué une violation du principe du respect des droits de la défense, compte tenu de la connaissance, par le requérant, de son état de santé, telle qu'elle résulte de l'ensemble des pièces du dossier.

31

Il s'ensuit que le moyen doit être rejeté.

Sur le moyen tiré du défaut de motivation de la décision attaquée.

32

La partie requérante et les parties intervenantes ont fait valoir, lors de la procédure orale, qu'en violation de l'article 25 du statut ni l'avis médical négatif, émis le 28 novembre 1991 par le médecin-conseil de la Commission, ni l'avis confirmatif, émis le 5 mars 1992 par la commission médicale, ni la décision attaquée, ni la réponse de la Commission, en date du 16 octobre 1992, à la réclamation, présentée par le requérant, ne contiennent une motivation permettant au requérant de savoir sur quelle base médicale se fonde la décision attaquée.

33

La Commission oppose que le requérant connaissait parfaitement sa situation médicale, dès lors qu'il avait lui-même déclaré sa séropositivité de son plein gré au médecin-conseil de la Commission, lors de l'examen médical d'embauche. De plus, le médecin-conseil avait, avant de communiquer, par écrit, son avis médical négatif, informé personnellement le requérant, par téléphone, de l'avis qu'il avait émis et de sa motivation, ce que le requérant a expressément reconnu dans sa lettre, du 17 décembre 1991, à la Commission.

34

Le Tribunal rappelle, liminairement, que, selon une jurisprudence constante, l'obligation de motivation, inscrite à l'article 25, premier alinéa, du statut, a pour but, d'une part, de fournir à l'intéressé une indication suffisante pour apprécier le bien-fondé de l'acte lui faisant grief et l'opportunité d'introduire un recours devant le Tribunal et, d'autre part, de permettre à celui-ci d'exercer son contrôle (voir l'arrêt de la Cour du 26 novembre 1981, Michel/Parlement, 195/80, Rec. p. 2861, et l'arrêt du Tribunal du 12 février 1992, Volger/Parlement, T-52/90, Rec. p. II-121).

35

Cette obligation de motivation doit, cependant, selon une jurisprudence constante, «se concilier avec les nécessités du secret médical qui font chaque médecin — sauf circonstances exceptionnelles - juge de la possibilité de communiquer aux patients qu'il soigne ou examine la nature des affections dont ils pourraient être atteints. Cette conciliation s'opère par la faculté, pour l'intéressé, de demander et d'obtenir que les motifs d'inaptitude soient communiqués au médecin traitant de son choix» (voir l'arrêt de la Cour du 27 octobre 1977, Moli/Commission, 121/76, Rec. p. 1971, et l'arrêt X/Commission, précité). En outre, en ce qui concerne l'étendue de l'obligation de motivation, il y a lieu de tenir compte du contexte dans lequel une décision est intervenue et de la connaissance éventuelle de ce contexte par l'intéressé (voir les arrêts de la Cour du 24 février 1981, Carbognani et Zabetta/Commission, 161/80 et 162/80, Rec. p. 543, et du 23 mars 1988, Hecq/Commission, 19/87, Rec. p. 1681).

36

Au regard des principes qui viennent d'être exposés, le Tribunal constate, en premier lieu, que tant l'avis médical négatif émis par le médecin-conseil de la Commission que l'avis émis par la commission médicale se bornent à faire état, d'une part, des résultats des examens médicaux effectués et, d'autre part, du fait que ces résultats sont basés sur l'examen effectué au service médical de la Commission et sur le rapport du 14 novembre 1991 du D' F. Ainsi, par eux-mêmes, aucun de ces deux avis ne permet, en première analyse, au requérant de savoir sur quelles constatations plus précises ils sont basés.

37

Le Tribunal constate toutefois, en deuxième lieu, au vu de l'ensemble des pièces versées au dossier, que le requérant avait, dès avant l'examen médical d'embauché, une connaissance certaine de son état physique et de l'affection dont il était atteint, comme il ressort, entre autres, du fait qu'il a lui-même, de son plein gré, informé le médecin-conseil de la Commission de sa séropositivité lors de cet examen médical.

38

En troisième lieu, ainsi qu'il a été dit ci-dessus (voir point 30), il ressort du dossier, et il n'est pas contesté par le requérant, que le médecin-conseil de la Commission, avant de communiquer au requérant par écrit, le 28 novembre 1991, l'avis médical négatif qu'il avait émis, a informé celui-ci, par téléphone, du résultat de l'examen médical et de ses motifs. Lors de l'audience, le médecin-conseil de la Commission a affirmé, à cet égard, sans être contredit par la partie requérante, qu'il avait, à cette occasion, informé le requérant des constatations de nature médicale et des motifs sur lesquels était basé son avis négatif. Cette affirmation est, d'ailleurs, confirmée par la lettre du 12 décembre 1991, envoyée par le requérant lui-même à la Commission et dans laquelle il écrit:

«J'ai bien reçu votre lettre du 28 novembre 1991 m'indiquant la décision que vous avez prise suite aux résultats de ma visite médicale. Je vous suis reconnaissant de m'en avoir informé préalablement par téléphone... Honnêtement, je pense que la (commission médicale) confirmera votre avis...»

39

Le Tribunal constate, enfin, que la réponse de la Commission à la réclamation du requérant contient des informations supplémentaires par rapport à celles figurant dans les avis du médecin-conseil et de la commission médicale. En effet, il y est, entre autres, exposé, à titre de motivation de la décision attaquée, que les conclusions du Conseil et des ministres de la Santé dont avait fait état le requérant dans sa réclamation «font référence aux personnes ‘ne présentant pas de symptômes liés au SIDA’, ce qui - d'après les renseignements fournis par le service médical — n'est pas le cas de A», que, «selon le service médical (tout en respectant le secret médical et sans fournir les détails sur l'état de santé de l'intéressé), le réclamant est entré en maladie», que, «dans son cas, le stade de la seule séropositivité est dépassé», et qu'«il a été constaté que A est sous traitement spécifique pour cette symptomatologie sans qu'il puisse être considéré comme porteur asymptomatique».

40

Sur la base de ces constatations, le Tribunal estime que, dans les circonstances de l'espèce, la Commission a respecté l'obligation de motivation qui lui incombait, laquelle, ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus (point 35), devait se concilier avec les nécessités du secret médical. Il s'ensuit que les droits de la défense du requérant n'ont pas, par manque de motivation, été violés et que le Tribunal n'a pas non plus été placé dans l'impossibilité de contrôler la légalité de la décision. Dès lors, le deuxième moyen doit, en tout état de cause, être rejeté, sans qu'il soit nécessaire de statuer sur sa recevabilité.

Sur le moyen tiré de la violation du principe d'égalité

41

La partie requérante et les parties intervenantes font valoir que le fait, pour le requérant, d'avoir déclaré spontanément sa séropositivité a entraîné, dans les circonstances de l'espèce, une inégalité de traitement, à son détriment, par rapport aux candidats qui ne révèlent pas leur séropositivité. Cette inégalité de traitement et cette discrimination résultent, selon le requérant, de l'impossibilité pour le service médical d'imposer aux candidats un test de dépistage du VIH, ce qui implique que la mise en évidence d'une éventuelle séropositivité chez ces personnes dépend exclusivement de leur bonne foi et revêt donc un caractère aléatoire, parfaitement discriminatoire.

42

Selon une jurisprudence constante, il y a violation du principe d'égalité de traitement lorsque deux catégories de personnes dont les situations factuelle et juridique ne présentent pas de différence essentielle se voient appliquer un traitement différent ou lorsque des situations qui sont différentes sont traitées de manière identiques (voir l'arrêt du Tribunal du 7 février 1991, Tagaras/Cour de justice, T-18/89 et T-24/89, Rec. p. II-53).

43

Le Tribunal constate que, en l'espèce, la situation du requérant, telle que décrite au point 3 ci-dessus, n'est nullement comparable à celle d'un autre candidat qui n'aurait pas procédé à une telle déclaration spontanée au cours de l'examen médical d'embauche. Dans les circonstances, et même si le requérant avait déclaré être séropositif, il était du devoir du médecin-conseil, puis de la commission médicale, d'examiner, conformément aux dispositions combinées des articles 28, sous e), et 33, premier alinéa, du statut, si le requérant remplissait les conditions d'aptitude physique requises. A cette constatation s'ajoute la considération qu'une déclaration faite spontanément par un candidat, lors de l'examen médical d'embauche, qu'il est atteint d'une certaine maladie ne saurait avoir pour conséquence que le médecin-conseil ne pourrait plus examiner cette circonstance plus avant. Si tel était le cas, l'examen médical, qui doit nécessairement, dans une certaine mesure, se baser sur les déclarations du candidat, perdrait toute utilité.

44

II résulte de ce qui précède que le moyen doit être rejeté, sans qu'il soit nécessaire de statuer sur sa recevabilité.

Sur le moyen tiré de la violation du respect de la vie privée et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

45

La partie requérante soutient que la décision de l'écarter d'un emploi correspondant aux fonctions pour lesquelles il avait réussi les épreuves d'un concours, en raisons d'indications qu'il a spontanément fournies au service médical sur son état de santé et qu'il n'était nullement tenu de donner, constitue une atteinte évidente au droit de tout individu de gérer sa santé, et même sa vie, et de prendre éventuellement les risques inhérents à la satisfaction de ses aspirations profondes, tant professionnelles que personnelles.

46

Les parties intervenantes relèvent qu'il ressort de l'arrêt de la Cour du 4 octobre 1991, Commission/Gill (C-185/90P, Rec. p. I-4779), que l'examen médical d'embauché est dans l'intérêt exclusif de l'institution. Il a donc, selon les parties intervenantes, été institué, en réalité, pour préserver l'équilibre budgétaire de l'institution concernée, afin d'éviter qu'elle ait à supporter, à un terme plus ou moins rapproché, des dépenses importantes. Or, un tel objectif ne serait pas conciliable avec le droit au respect de la vie privée, tel qu'il est inscrit à l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après «convention»). Les parties intervenantes ont ajouté que le seul fait d'avoir procédé, en l'espèce, à un test de dépistage du VIH constitue, en soi, une violation du droit au respect de la vie privée, dès lors qu'un tel test était parfaitement inutile et superflu, le requérant ayant déjà déclaré sa séropositivité.

47

Le Tribunal rappelle, liminairement, que, aux termes de l'article 8, paragraphe 1, de la convention, «toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance».

48

C omme la Cour l'a jugé dans son arrêt du 18 juin 1991, ERT (C-260/89, Rec. p. I-2925), «les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect. A cet effet, la Cour s'inspire des traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l'homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré (voir, notamment, arrêt du 14 mai 1974, Nold/Commission, 4/73, Rec. p. 491, point 13). La convention européenne des droits de l'homme revêt, à cet égard, une signification particulière (voir, notamment, arrêt du 15 mai 1986, Johnston, 222/84, Rec. p. 1651, point 18). Il en découle que, comme la Cour l'a affirmé dans l'arrêt du 13 juillet 1989, Wachauf (5/88, Rec. p. 2609, point 19), ne saurait être admises dans la Communauté des mesures incompatibles avec le respect des droits de l'homme ainsi reconnus et garantis».

49

Par ailleurs, aux termes de l'article F, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne, entré en vigueur le 1er novembre 1993, «l'Union respecte les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire».

50

le Tribunal considère, en premier lieu, que l'exigence, requise par l'article 33 du statut, précité, d'un examen médical préalable au recrutement de tout fonctionnaire communautaire n'est nullement contraire au principe fondamental du respect de la vie privée, tel que stipulé par l'article 8 de la convention. En effet, d'une part, cet examen médical a pour finalité de permettre à l'institution de ne pas procéder à la nomination d'un candidat inapte aux fonctions prévues, ou de le recruter en l'affectant à des fonctions compatibles avec son état de santé. Cet objectif est parfaitement légitime, dans le cadre de tout système de fonction publique et il correspond tant à l'intérêt des institutions qu'à celui des fonctionnaires communautaires. D'autre part, le Tribunal relève que l'exigence d'un examen médical préalable au recrutement des fonctionnaires est une exigence commune à la plupart des ordres juridiques des États membres. Dans ces circonstances, le principe même d'un examen médical d'embauché ne saurait être jugé contraire au principe du droit au respect de la vie privée. Cette conclusion n'est pas infirmée par la circonstance que l'avis négatif émis, lors de l'examen, repose partiellement sur des déclarations spontanées, faites par le candidat à un emploi dans la fonction publique communautaire.

51

Le Tribunal estime, en second lieu, qu'un tel examen médical, préalable au recrutement, doit, sous peine d'être parfaitement inutile, comporter nécessairement un examen clinique et, le cas échéant, les tests biologiques complémentaires, estimés nécessaires par le médecin-conseil. En l'espèce, le Tribunal relève que le requérant s'est spontanément déclaré séropositif et qu'il est constant qu'il a accepté qu'il soit procédé à un test de dépistage du VIH. Dès lors, l'argument des parties intervenantes, selon lequel ce test de dépistage était inutile et superflu, n'est nullement étayé et le Tribunal, ne pouvant que constater qu'un tel test a été estimé nécessaire ou, du moins, utile par le médecin-conseil, ne saurait critiquer, dans le cadre de son contrôle de légalité, une telle appréciation d'ordre purement médical.

Sur le moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation et d'une violation des conclusions du Conseil et des ministres de la Santé des États membres, réunis au sein du Conseil, du 15 décembre 1988, concernant le SIDA

Arguments des parties

52

La partie requérante et les parties intervenantes font valoir, tout d'abord, que la décision attaquée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'elle repose sur des appréciations erronées faites par le service médical, selon lesquelles le requérant serait entré en maladie et le stade de la seule séropositivité serait, dans son cas, dépassé. Ces constatations seraient contredites, d'une part, par les constatations médicales faites par le médecin-conseil de la Commission, lors de la visite médicale d'embauché, à l'occasion de laquelle celui-ci n'avait constaté aucune affection particulière, et, d'autre part, par l'affirmation, contenue dans le rapport médical établi le 14 novembre 1991 par le médecin traitant du requérant, le Dr F., spécialiste en la matière, selon laquelle l'état clinique et le statut immunologique du requérant étaient satisfaisants. Selon le requérant, il est significatif qu'à aucun moment son «taux de T4» n'est descendu en deçà du seuil considéré comme celui de la déclaration de la maladie. Le requérant souligne que chacun des bilans établis périodiquement par le Dr F. permettait à ce médecin de conclure que les résultats de l'examen clinique restaient dans les limites de la normale.

53

Le requérant relève, ensuite, que les appréciations portées par la Commission quant à l'inadaptation des conditions d'environnement et à l'insuffisance des infrastructures médicales dans les pays en voie de développement, au regard de sa séropositivité, sont démenties, non seulement par les appréciations médicales versées aux débats, mais également par son activité professionnelle actuelle. Il explique, à cet égard, qu'il exerce actuellement, depuis le mois de mars 1991, une activité de chercheur au service du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement et, à ce titre, est, depuis le mois de janvier 1992, responsable d'un projet agricole de développement situé au Mexique, à Xalapa. Selon lui, il s'agit d'une fonction parfaitement similaire à celle qui lui aurait été proposée dans le cadre d'un emploi d'administrateur spécialisé au service de la Commission. Il souligne, dans ce contexte, que, préalablement à son départ pour le Mexique, il a subi un examen auprès du Centre médical des entreprises travaillant à l'extérieur, au terme duquel le D' P. a émis, le 27 janvier 1992, un avis favorable à son départ pour le Mexique, dès lors qu'un retour périodique à Montpellier était envisageable. Le requérant considère qu'une telle décision s'identifie à un avis d'aptitude physique à son profit. Il fait valoir, au demeurant, que le bien-fondé de cet avis d'aptitude est confirmé par sa propre expérience, dans la mesure où il exerce déjà, depuis un certain temps, son activité professionnelle dans un pays en voie de développement. Sur la base de cette expérience, le requérant conclut à la parfaite compatibilité de sa séropositivité avec ses fonctions de chercheur dans des pays en voie de développement qui ne disposent que d'une infrastructure médicale limitée.

54

La partie requérante et les parties intervenantes soutiennent encore que, dès lors qu'il est établi que le stade de la seule séropositivité n'est pas dépassé, dans le cas du requérant, et qu'il est établi que celui-ci ne présente pas de symptômes pathologiques liés au SIDA, la Commission a violé les conclusions du Conseil et des ministres de la Santé, parce que le requérant aurait dû être traité comme un «travailleur normal, apte au travail» et non pas être écarté pour inaptitude physique.

55

Les parties intervenantes ont, en outre, fait valoir que ni le médecin-conseil de la Commission, ni les médecins constituant la commission médicale ne justifiaient, à leur connaissance, de titres ou d'expériences spécifiques prouvant leur compétence dans le domaine des maladies infectieuses et, plus particulièrement, des problèmes liés aux déficiences immunitaires résultant de l'infection par le VIH.

56

La Commission oppose que le moyen soulevé par le requérant revient à remettre en cause l'appréciation proprement médicale portée successivement par le médecin-conseil de l'institution et la commission médicale d'appel. A cet égard, la Commission rappelle la jurisprudence de la Cour et du Tribunal sur l'étendue du contrôle juridictionnel exercé sur la légalité d'un refus de recrutement motivé par une inaptitude physique. L'avis médical, qui a été émis sur la base des résultats de l'examen clinique et du rapport médical du Dr F., présenterait un lien compréhensible entre les constatations médicales qu'il contient et la conclusion d'inaptitude à laquelle il parvient et ne saurait, en conséquence, être considéré comme étant entaché d'une erreur manifeste d'appréciation. Selon la Commission, le rapport du 14 novembre 1991, établi par le médecin traitant du requérant, le Dr F., fait, en effet, état d'une altération immunitaire, d'une chute du «taux de T4», associée à une symptomatologie qui relève des manifestations cliniques habituelles d'une infection par le VIH, à savoir une leucoplaste chevelue de la langue et une Candidose buccale. L'existence même de ces infections permet, selon la défenderesse, d'affirmer que le requérant avait, lors de l'examen médical d'embauché, dépassé le stade de séropositivité asymptomatique et qu'il était entré dans une phase évolutive avancée de la maladie. Le rapport médical établi ex post, le 28 septembre 1992, par le même Dr F. et qui fait état d'un état clinique satisfaisant du requérant et d'une amélioration de son statut immunitaire, ne serait pas de nature à établir l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation commise par le médecin-conseil de l'institution, au regard des données médicales qui étaient en sa possession lors de l'examen auquel il a procédé.

57

La Commission ajoute, à cet égard, que les fonctions postulées dans le domaine de l'agriculture des zones tropicales et subtropicales sont destinées à être exercées dans des «pays à risque», compte tenu des dangers d'infections et de l'absence d'infrastructures de surveillance médicale appropriées. Il s'agirait là d'une circonstance importante que le médecin-conseil aurait à juste titre prise en compte, comme il ressort de l'avis d'inaptitude.

58

La Commission affirme, enfin, que la pratique qu'elle suit en général et qu'elle a suivie en l'espèce correspond exactement à la position arrêtée dans les conclusions du Conseil et des ministres de la Santé. En effet, le service médical avait constaté, chez le requérant, des symptômes pathologiques liés au SIDA, de sorte que le requérant n'aurait pas été couvert par lesdites conclusions.

Appréciation du Tribunal

59

Le Tribunal relève qu'il ressort des conclusions du Conseil et des ministres de la Santé qu'une «personne porteuse du VIH et ne présentant pas de symptômes pathologiques liés au SIDA doit être considérée et traitée comme un travailleur normal, apte au travail».

60

Il ressort tant des mémoires déposés par la Commission que de sa plaidoirie, lors de l'audience, que celle-ci se considère liée par lesdites conclusions. Dans ces circonstances, le Tribunal estime que ces conclusions, si elles ne peuvent être regardées comme des dispositions statutaires ou réglementaires, doivent néanmoins être considérées comme des règles de conduite indicatives que l'administration s'impose à elle-même et dont elle ne peut s'écarter, le cas échéant, qu'en précisant les raisons qui l'y ont amenée, sous peine d'enfreindre le principe de l'égalité de traitement (voir l'arrêt du Tribunal du 7 février 1991, Ferreira de Freitas/Commission, T-2/90, Rec. p. II-103).

61

Il y a lieu, ensuite, de rappeler, en ce qui concerne l'étendue du contrôle juridictionnel exercé sur la légalité d'un refus de recrutement motivé par une inaptitude physique, qu'il est de jurisprudence constante que le juge communautaire ne saurait substituer sa propre appréciation à un avis d'ordre spécifiquement médical. Toutefois, il appartient au Tribunal, dans le cadre de son contrôle juridictionnel, de vérifier si la procédure de recrutement s'est déroulée légalement et, plus particulièrement, d'examiner si la décision de l'AIPN, refusant le recrutement d'un candidat en raison d'une inaptitude physique, repose sur un avis médical motivé, établissant un lien compréhensible entre les constatations médicales qu'il comporte et la conclusion à laquelle il arrive (voir l'arrêt de la Cour du 26 janvier 1984, Seiler e.a./Conseil, 189/82, Rec. p. 229, et l'arrêt X/Commission, précité).

62

Enfin, selon la jurisprudence de la Cour et du Tribunal, il est possible, pour le médecin-conseil d'une institution, de fonder son avis d'inaptitude non seulement sur l'existence de troubles physiques ou psychiques actuels, mais encore sur un pronostic, médicalement fondé, de troubles futurs, susceptibles de mettre en cause, dans un avenir prévisible, l'accomplissement normal des fonctions envisagées (voir l'arrêt de la Cour du 10 juin 1980, Mlle M./Commission, 155/89, Rec. p. 1797, et l'arrêt X/Commission, précité).

63

Il incombe ainsi au Tribunal, d'une part, de contrôler si, en l'espèce, il existe un lien compréhensible entre les constatations médicales faites par le service médical de l'institution et la conclusion qu'en a tirée l'AIPN dans la décision attaquée et, d'autre part, d'examiner si les conclusions du Conseil et des ministres de la Santé ont été respectées en l'espèce.

64

Quant à l'existence d'un lien compréhensible entre les constatations médicales, faites à l'occasion de l'examen médical d'embauché, et la conclusion relative à l'inaptitude physique du requérant, le Tribunal constate, d'une part, qu'il ressort du dossier médical produit par la Commission, qui comprend l'examen clinique et biologique auquel a procédé le médecin-conseil et le rapport médical établi le 14 novembre 1991 par le médecin traitant du requérant, le Dr F., que l'examen médical avait révélé, chez le requérant, l'existence d'une leucoplaste chevelue persistante, d'une Candidose buccale probable, d'une sous-population de T4 à 293/mm3 (valeur normale 675-1575) et d'un rapport T4/T8 à 0,6 (valeur normale 1-3), et, d'autre part, qu'il ressort des réponses fournies par les deux médecins présents à l'audience qu'une personne porteuse du VIH présentant de tels symptômes est classée dans le groupe IV (symptomatique), sous-groupe C2 (infections associées), selon la classification des différents stades de l'évolution vers la maladie du SIDA, utilisée à la date des examens médicaux en cause par l'ensemble de la communauté scientifique, comme l'ont admis les deux médecins présents à l'audience.

65

Dans ces circonstances, le Tribunal constate qu'il n'a pas été établi que l'avis médical, émis par le médecin-conseil et confirmé par le commission médicale, est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation. Le Tribunal considère, au contraire, que, ainsi que l'a soutenu la Commission, il existe bien, en l'espèce, un lien compréhensible entre les constatations médicales que comporte l'avis et la conclusion à laquelle il parvient, en ce qui concerne l'inaptitude physique du requérant à exercer les fonctions auxquelles il postulait, et ceci d'autant plus que ces fonctions devaient être exercées dans des pays en voie de développement, où les risques d'infections, comme l'ont admis la partie requérante et les parties intervenantes lors de l'audience, sont plus élevés que sur le territoire européen.

66

Pour ce qui est de l'argument de la partie requérante, selon lequel l'avis d'inaptitude révélerait une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il serait contraire à la conclusion à laquelle est parvenu le Dr F. dans son rapport du 14 novembre 1991, rapport dont il ressort que l'état clinique et le statut immunologique du requérant étaient satisfaisants, le Tribunal constate, à la lecture de ce rapport, que la conclusion du Dr F. ne peut être raisonnablement interprétée qu'en ce sens que c'est au vu des caractéristiques spécifiques du cas du requérant que son état pouvait être considéré comme satisfaisant. Cette conclusion n'est ainsi en rien contradictoire avec la conclusion à laquelle est parvenu le médecin-conseil de la Commission et qui a été confirmée par la commission médicale d'appel. Cet argument du requérant ne peut donc pas être accueilli.

67

Quant à l'argument du requérant, tiré du fait qu'il a travaillé, pendant une certaine période, au Mexique, sans le moindre problème physique, il suffit de constater, d'une part, que le Mexique n'appartient pas au groupe de pays dit «ACP» (Afrique-Caraïbes-Pacifique), dans lesquels devaient être exercées les fonctions auxquelles le requérant était candidat, et, d'autre part, que, comme l'ont reconnu les deux médecins présents lors de l'audience, l'infrastructure médicale existante au Mexique n'est, de manière générale, pas comparable avec celle, plus rudimentaire, qui existe dans les pays ACP.

68

Pour ce qui est de l'argument des parties intervenantes concernant les compétences du médecin-conseil de la Commission et des médecins membres de la commission médicale, il suffit de constater que, dans le cadre du contrôle juridictionnel qu'il exerce sur les avis d'inaptitude physique, il n'appartient pas au juge communautaire de porter une appréciation sur la compétence scientifique des médecins ayant émis un tel avis. Au surplus, et en tout état de cause, il convient de relever que la Commission a expliqué, d'une part, que le médecin-conseil a suivi plusieurs cours de formation et assisté à plusieurs congrès concernant le SIDA, qu'il est diplômé de l'Institut de médecine tropicale d'Anvers et qu'il a exercé, durant six ans, sa profession sur le terrain dans un pays d'Afrique centrale et, d'autre part, que le médecin-conseil et la commission médicale, ainsi qu'il ressort des avis qu'ils ont émis, se sont basés notamment sur le rapport médical établi le 14 novembre 1991 par le Dr F., spécialiste reconnu en la matière.

69

Enfin, en ce qui concerne la prétendue violation des conclusions du Conseil et des ministres de la Santé, le Tribunal estime que le requérant, relevant, à l'époque des faits considérés, du groupe IV (symptomatique), sous-groupe C2 (infections associées), selon la classification des différents stades dans l'évolution vers le SIDA applicable à cette date, n'était pas couvert par ces conclusions, qui ne visent, comme il a été dit plus haut, que les personnes ne présentant pas de symptômes pathologiques liés au SIDA, ce qui n'est pas le cas du requérant. Il s'ensuit que la Commission n'a pas violé lesdites conclusions.

70

Il résulte de ce qui précède que le moyen ne peut être accueilli, et que, par voie de conséquence, les conclusions en annulation doivent être rejetées.

Sur les conclusions en indemnité

71

Le requérant fait valoir que la Commission est tenue de réparer le préjudice moral qu'il a subi, en raison de la faute de service qu'elle a commise, consistant en une appréciation erronée de son aptitude physique et en une violation caractérisée de certains principes généraux du droit communautaire et des droits fondamentaux.

72

Le Tribunal rappelle que l'examen des moyens présentés au soutien des conclusions en annulation n'a révélé aucune violation, par la Commission, des droits du requérant, non plus qu'aucune erreur manifeste d'appréciation, de sorte qu'il n'a pas été établi que la Commission a commis une faute de nature à engager sa responsabilité. Dans ces circonstances, les conclusions en indemnité doivent également être rejetées.

73

Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté dans son ensemble.

Sur les dépens

74

Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, en vertu de l'article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. Il y a donc lieu d'ordonner que chaque partie, y compris les parties intervenantes, supportera ses propres dépens.

 

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre) déclare et arrête:

 

1)

Le recours est rejeté.

 

2)

Chacune des parties supportera ses propres dépens.

 

Garcia-Valdecasas

Vesterdorf

Biancarelli

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 avril 1994.

Le greffier

H. Jung

Le président

R. García-Valdecasas


( *1 ) Langue de procédure: le français


ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

14 avril 1994 ( *1 )

Dans l'affaire T-10/93,

A, demeurant à Xalapa (Mexique), représenté par Me Nathalie Leclerc-Petit, avocat au barreau de Montpellier, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me François Prüm, 13 Β, avenue Guillaume,

partie requérante,

soutenu par

Union syndicale-Bruxelles, représentée par Me Jean-Noël Louis, avocat au barreau de Bruxelles, et par Union syndicale-Luxembourg, représentée par Mes Gérard Collin et Thierry Demaseure, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la fiduciaire Myson SARL, 1, rue Glesener,

parties intervenantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Sean van Raepenbusch, membre du service juridique, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Georgios Kremlis, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d'une part, l'annulation de la décision du 16 mars 1992 de la Commission, confirmant l'avis médical négatif émis par son service médical et refusant de recruter le requérant pour l'exercice de fonctions d'administrateur, et, d'autre part, l'indemnisation du préjudice moral allégué par le requérant,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

composé de MM. R. Garcia-Valdecasas, président, B. Vesterdorf et J. Biancarelli, juges,

greffier: M. H. Jung,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 26 janvier 1994,

rend le présent

Arrêt

Les faits à l'origine du litige

1

Le requérant est lauréat du concours général COM/A/696 visant à la constitution d'une liste de réserve d'administrateurs spécialistes de la coopération au développement, en particulier dans le domaine de l'agriculture des zones tropicales et subtropicales. Par lettre du 5 juillet 1991, la Commission a informé le requérant que son nom avait été placé sur la liste de réserve.

2

Le 24 octobre 1991, le requérant a effectué, auprès du service médical de la Commission, la visite médicale prévue à l'article 33, premier alinéa, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après « statut »).

3

Il est constant que, au cours de cet examen, le requérant a déclaré spontanément au médecin-conseil sa séropositivité et s'est soumis de son plein gré aux tests de dépistage du virus d'immunodéficience humaine (VIH). Lors de l'examen, il a été convenu qu'un rapport médical actualisé du médecin traitant du requérant, le Dr F., serait envoyé comme complément d'information aux examens effectués ou prescrits par le médecin-conseil de l'institution.

4

Par lettre du 28 novembre 1991, le médecin-conseil de la Commission a émis un avis d'inaptitude physique. Cette lettre se lit comme suit:

« Le 24. 10. 1991, vous avez effectué au service médical de la CCE la visite médicale d'embauché, conformément au statut des fonctionnaires de la CEE, et ce comme candidat à une fonction d'administrateur en délégations Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP).

Au cours de cet examen, vous m'avez indiqué la nature de l'affection dont vous êtes atteint. Nous avons convenu qu'un rapport médical actualisé de votre médecin traitant, le Dr F., me sera envoyé comme complément d'information aux examens effectués dans le cadre de votre visite d'embauché.

Le rapport du Dr F. daté du 14 novembre 1991 m'est parvenu le 25 novembre 1991.

Je suis au regret de vous informer que sur base de notre examen effectué dans le service, et sur base du rapport du Dr F., il n'est pas possible au service médical d'émettre un avis d'aptitude physique favorable pour l'exercice de la fonction à laquelle vous êtes candidat.

Il est évident que cette inaptitude est à mettre en liaison avec la nature de la fonction postulée. »

5

Le requérant a alors saisi la commission médicale visée à l'article 33, deuxième alinéa, du statut.

6

Dans une note adressée le 5 mars 1992 aux services administratifs compétents de la Commission, la commission médicale a confirmé l'avis émis par le médecin-conseil, dans les termes suivants:

« Après avoir examiné le dossier médical d'embauché de l'intéressé, et les rapports afférents du médecin spécialiste consulté, ainsi que les rapports médicaux soumis à la commission médicale par l'intéressé, et après avoir entendu le médecin qui a émis l'avis d'inaptitude, la commission médicale est d'avis que A ne possède pas les aptitudes physiques requises pour l'exercice de ses fonctions. »

7

Par la suite, la partie défenderesse a notifié sa décision au requérant par lettre du 16 mars 1992. Cette lettre est libellée de la manière suivante:

« Suite à votre lettre du 17 décembre 1991, je vous prie de noter que la commission médicale s'est réunie le 5 mars 1992, afin d'examiner l'avis d'inaptitude médicale émis suite à votre visite médicale du 24 octobre 1991.

J'ai le regret de vous informer que cette commission n'a pu que confirmer cet avis négatif. En conclusion de quoi il apparaît que vous ne possédez pas les aptitudes physiques requises pour l'exercice des fonctions d'administrateur au sein de la Commission, au titre de l'article 28, alinéa e), du statut.

Votre candidature ne peut malheureusement plus être prise en considération. »

8

Par lettre du 12 juin 1992, le requérant a présenté, à l'encontre de la décision du 16 mars 1992, une réclamation, au sens des dispositions de l'article 90, paragraphe 2, du statut, à l'appui de laquelle il a invoqué, entre autres, les conclusions 89/C 28/02 du Conseil et des ministres de la Santé des États membres, réunis au sein du Conseil, du 15 décembre 1988, concernant le SIDA et le lieu de travail (JO 1989, C 28, p. 2, ci-après « conclusions du Conseil et des ministres de la Santé »), selon lesquelles « une personne porteuse du VIH et ne présentant pas de symptômes pathologiques liés au SIDA doit être considérée et traitée comme un travailleur normal, apte au travail ».

9

Dans sa décision du 9 octobre 1992, communiquée au requérant par lettre du 16 octobre 1992, la Commission a répondu, en substance, que sa décision de ne pas recruter le requérant était conforme aux textes émanant des organismes de la Communauté, et notamment aux conclusions du Conseil et des ministres de la Santé, le requérant étant entré en maladie et le stade de la seule séropositivité étant dépassé dans son cas. Elle ajoutait, en outre, que, dès lors que le requérant s'était engagé formellement à accomplir une partie substantielle de ses tâches dans les délégations situées dans des pays en voie de développement, les exigences et les conditions d'environnement du poste de travail probable, de même que l'infrastructure médicale locale déficiente, constituaient des éléments supplémentaires à prendre en considération.

La procédure

10

C'est dans ces conditions que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 janvier 1993, le requérant a introduit le présent recours.

11

Par actes déposés au greffe du Tribunal le 5 mai 1993, l'Union syndicale-Bruxelles et l'Union syndicale-Luxembourg ont demandé à être admises à intervenir au litige, à l'appui des conclusions de la partie requérante. Par ordonnance du 22 juin 1993, le président de la troisième chambre a admis l'intervention. Les parties intervenantes ont déposé un mémoire en intervention commun le 1er septembre 1993. La partie requérante n'a pas présenté d'observations sur le mémoire en intervention.

12

A la demande du requérant, le Tribunal (troisième chambre) a décidé que la procédure orale se déroulerait à huis clos et que son nom serait remplacé par la lettre A dans toutes les publications.

13

Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d'inviter le requérant à déposer le dossier médical de l'examen effectué par le Dr P., du Centre médical des entreprises travaillant à l'extérieur, établi à Paris, et à confirmer son accord sur la production, par la Commission, de son dossier médical. Le requérant ayant déféré à cette invitation en déposant le dossier médical établi par le Dr F. et en confirmant son accord sur la production du dossier médical de la Commission, et celle-ci ayant produit ce dossier, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables. Le Tribunal a invité les deux parties principales à se faire accompagner, lors de l'audience, de médecins de leur choix, susceptibles de répondre à des questions d'ordre médical de caractère général. Lors de l'audience, la partie requérante et les parties intervenantes étaient accompagnées par le Dr W., chef de clinique adjoint pour les maladies infectieuses, à l'hôpital Saint-Pierre de Bruxelles, et l'agent de la Commission par le médecin-conseil de l'institution, le Dr S.

14

Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l'audience du 26 janvier 1994.

Conclusions des parties

15

Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

1)

annuler la décision de la Commission du 16 mars 1992 ayant refusé de prendre en considération sa candidature;

2)

annuler la décision de rejet de sa réclamation, rendue le 9 octobre 1992 par la Commission;

3)

condamner la Commission à lui verser la somme de 50000 FF, à titre d'indemnisation du préjudice moral;

4)

condamner la Commission aux dépens.

16

La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

1)

rejeter le recours comme non fondé;

2)

statuer sur les dépens comme de droit.

17

Les parties intervenantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

1)

allouer au requérant le bénéfice des conclusions telles que présentées dans la requête introductive d'instance;

2)

condamner la Commission aux dépens, en ce compris ceux exposés par les parties intervenantes.

Sur les conclusions en annulation

18

A l'appui de ces conclusions, la partie requérante a invoqué cinq moyens tirés, respectivement, d'une violation des droits de la défense, d'un défaut de motivation de la décision attaquée, d'une violation du principe d'égalité, d'une violation du droit au respect de la vie privée, et, enfin, d'une erreur manifeste d'appréciation ainsi que d'une violation des conclusions du Conseil et des ministres de la Santé.

19

Les parties intervenantes ont invoqué, outre les moyens présentés par la partie requérante, un moyen tiré de l'illégalité de l'article 33, deuxième alinéa, du statut. Le Tribunal estime qu'il convient d'examiner, en premier lieu, ce dernier moyen.

Sur le moyen tiré de l'illégalité de l'article 33, deuxième alinéa, du statut

20

Les parties intervenantes ont fait valoir que la décision attaquée doit être annulée en ce qu'elle est basée sur un avis médical entaché d'illégalité, dès lors que cet avis est intervenu sur le fondement de l'article 33, deuxième alinéa, du statut, relatif à la composition et au fonctionnement de la commission médicale, lui-même illégal. Les parties intervenantes soutiennent, en premier lieu, que l'article 33, deuxième alinéa, en ce qu'il dispose que la commission médicale est composée de trois médecins choisis par l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après « AIPN »), parmi les médecins-conseils des institutions, viole les droits de la défense des candidats. En l'espèce, la violation serait d'autant plus grave que ce serait le médecin-conseil ayant émis l'avis initial d'inaptitude qui a indiqué à la direction générale du personnel et de l'administration les trois médecins qu'il souhaitait voir siéger dans la commission médicale. Une commission constituée dans de telles conditions ne fournirait guère de garantie d'impartialité ni d'indépendance vis-à-vis des institutions communautaires, en violation du principe du respect des droits de la défense du requérant. En deuxième lieu, les parties intervenantes font valoir que le fonctionnement de la commission médicale, tel que prévu par l'article 33, deuxième alinéa, du statut, entraîne, lui aussi, une violation des droits de la défense du candidat en ce que c'est dans l'ignorance totale du contenu de l'avis médical d'inaptitude qu'un candidat, évincé à la suite d'un tel avis, doit prendre lui-même l'initiative de demander à la commission médicale d'être entendu et de demander que son médeein traitant soit entendu. Il s'ensuivrait que, dans la plupart des cas, cette commission médicale se réunirait et statuerait sur pièces, sans entendre ni le candidat ni son médecin-traitant. En troisième lieu, les parties intervenantes soutiennent qu'elles ne savaient pas, et ne savent toujours pas, sur quels éléments d'appréciation se fonde la commission médicale. Il semble, selon elles, que la commission médicale fonctionne comme une simple chambre de confirmation de ce qui a été décidé par le médecin-conseil de l'institution.

21

La Commission a fait valoir, d'une part, que le moyen est irrecevable, faute d'avoir été soulevé par le requérant ni dans sa réclamation, ni dans sa requête et, d'autre part, qu'il n'est pas fondé, aucun élément du dossier n'indiquant que la commission médicale n'a pas examiné le dossier établi à la suite de la visite médicale d'embauché du requérant avec toute l'objectivité et toute l'impartialité qui s'imposaient.

22

Le Tribunal rappelle, liminairement, que, selon l'article 33, premier alinéa, du statut, « avant qu'il ne soit procédé à sa nomination, le candidat retenu est soumis à l'examen médical d'un médecin-conseil de l'institution, afin de permettre à celle-ci de s'assurer qu'il remplit les conditions exigées à l'article 28, point e) », et que, selon le deuxième alinéa de l'article, « lorsque l'examen médical prévu au premier alinéa a donné lieu à un avis médical négatif, le candidat peut demander, dans les vingt jours de la notification qui lui en est faite par l'institution, que son cas soit mis à l'avis d'une commission médicale composée de trois médecins choisis par l'autorité investie du pouvoir de nomination parmi les médecins-conseils des institutions. Le médecin-conseil qui a émis le premier avis négatif est entendu par la commission médicale. Le candidat peut saisir le commission médicale de l'avis d'un médecin de son choix... ».

23

Le Tribunal constate, en premier lieu, que le législateur communautaire, lorsqu'il a inclus dans le statut une disposition prévoyant un examen médical préalable à toute embauche, n'était tenu par aucune norme de droit communautaire d'un rang supérieur, ni par aucune autre règle contraignante, d'établir un quelconque système interne d'appel à l'encontre de l'avis émis par le médecin-conseil, à la suite de cet examen médical. Si le législateur a néanmoins institué, à l'article 33, deuxième ali néa, du statut, précité, une commission médicale d'appel, c'est dans le but d'établir une garantie supplémentaire pour les candidats et d'améliorer ainsi la protection de leurs droits.

24

Dans ces circonstances, le Tribunal estime, en deuxième lieu, qu'une commission médicale constituée par trois médecins, parmi lesquels ne figure pas le médecin-conseil ayant émis l'avis initial d'inaptitude, choisis parmi les médecins-conseils des institutions, et non pas uniquement parmi les médecins-conseils de l'institution en cause, représente une garantie supplémentaire réelle pour les candidats. Le Tribunal constate, en outre, que l'argumentation des parties intervenantes, selon laquelle ces trois médecins ne seraient ni suffisamment compétents ni suffisamment impartiaux, n'est étayée d'aucun élément permettant d'en apprécier le bien-fondé. Il s'ensuit que le Tribunal ne saurait accueillir l'argument des parties intervenantes, selon lequel l'article 33, deuxième alinéa, en ce qu'il fixe les règles de composition de la commission médicale, viole le principe du respect des droits de la défense du requérant.

25

Le Tribunal constate, en troisième lieu, qu'il résulte clairement de l'article 33, deuxième alinéa, précité, que le candidat peut saisir la commission médicale de l'avis d'un médecin de son choix. En outre, il ressort du dossier que, en l'espèce, le service médical de la Commission n'a pas uniquement invité le requérant à présenter à la commission médicale tous les documents qu'il jugerait utiles, mais l'a, de plus, invité à se présenter en personne ou à être représenté par un médecin de son choix. Par ailleurs, selon une jurisprudence bien établie, un candidat peut toujours demander et obtenir que les motifs d'un avis d'inaptitude soient communiqués au médecin traitant de son choix (voir l'arrêt de la Cour du 13 avril 1978, Mollet/Commission, 75/77, Rec. p. 897, et l'arrêt du Tribunal du 18 septembre 1992, X/Commission, T-121/89 et T-13/90, Rec. p. II-2195). Une telle communication peut être faite avant la convocation de la commission médicale.

26

En l'espèce, le Tribunal relève qu'il est constant que le requérant a reçu, par téléphone, communication des motifs de l'avis d'inaptitude avant même d'avoir reçu communication de l'avis d'inaptitude, par écrit. Dans ces circonstances, l'argument des parties intervenantes, tiré de ce que c'est dans l'ignorance du contenu médical de l'avis d'inaptitude que les candidats évincés doivent prendre l'initiative de demander à la commission médicale d'être entendu, manque en fait.

27

Quant à la question de savoir sur quels éléments se fonde la commission médicale, il ressort, d'une part, de l'article 33, deuxième alinéa, précité, qu'elle doit se fonder sur le dossier médical établi au sein de l'institution, sur l'audition du médecin-conseil ayant émis l'avis d'inaptitude, ainsi que, le cas échéant, sur l'avis émis par un médecin choisi librement par le candidat. D'autre part, ainsi que le confirme le dossier en l'espèce, la commission médicale peut se fonder sur un entretien avec le candidat et/ou son médecin traitant et sur tous documents que le candidat juge utile de lui présenter. De plus, la commission médicale peut, si elle l'estime opportun, soumettre le candidat à un nouvel examen, en ordonnant éventuellement des tests complémentaires ou en demandant l'avis d'autres médecins spécialistes. Il s'ensuit que la commission médicale est en mesure de procéder à un réexamen complet et impartial de la situation du candidat (voir l'arrêt X/Commission, précité).

28

Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que le moyen tiré de l'illégalité de l'article 33, deuxième alinéa, précité, doit, en tout état de cause, être rejeté, sans qu'il soit nécessaire d'examiner la recevabilité de ce moyen.

Sur le moyen tiré d'une violation des droits de la défense

29

Lors de l'audience, la partie requérante a fait siens les griefs, présentés par les parties intervenantes dans leur mémoire en intervention, tirés d'une violation des droits de la défense. La partie requérante et les parties intervenantes soutiennent, à cet égard, que le requérant n'a pas été suffisamment informé de la procédure prévue par l'article 33, deuxième alinéa, précité, particulièrement en ce qui concerne le caractère définitif, quant aux appréciations d'ordre médical, de la décision de la commission médicale. Ce serait ainsi en violation des droits de la défense que la Commission aurait refusé de tenir compte d'un rapport médical établi le 28 septembre 1992 par le Dr F., dont il ressortirait que la décision attaquée est fondée sur un avis médical entaché d'une erreur manifeste d'appréciation. Les parties intervenantes ajoutent que c'est également en violation des droits de la défense que le médecin-conseil n'a communiqué au médecin traitant du requérant ni les constatations faites lors de l'examen d'embauché ni le résultat de cet examen. Ainsi, le requérant n'aurait pas été en mesure de préparer sa défense.

30

Le Tribunal considère que, comme l'a soutenu la Commission, ce moyen manque en fait. En effet, il ressort du dossier, d'une part, que, par lettre du 20 février 1992, le service médical de la Commission a informé le requérant qu'il lui était « loisible de présenter à la commission médicale tous les documents (rapports, radios, analyses, épreuves fonctionnelles, etc.) que vous jugerez utiles » et que, « selon l'article 33 du statut, le médecin-conseil qui a émis le premier avis négatif est entendu par la commission médicale », le candidat pouvant « saisir la commission médicale de l'avis d'un médecin de son choix ». Il ressort également du dossier, d'autre part, que, avant la communication, par écrit, du premier avis négatif au requérant, le médecin-conseil avait informé ce dernier par téléphone du résultat de l'examen médical d'embauché et des raisons de l'avis négatif qu'il avait émis. Il s'ensuit que le requérant a été suffisamment informé de la procédure prévue par l'article 33, deuxième alinéa, précité. Le Tribunal relève, en outre, que la lettre du 20 février 1992, précitée, a attiré expressément l'attention du requérant sur la possibilité de saisir la commission médicale de l'avis d'un médecin de son choix. Le grief, par lequel le requérant reproche à la Commission d'avoir refusé de tenir compte du rapport médical établi par son médecin traitant le 28 septembre 1992, soit six mois après l'avis médical émis par la commission médicale, n'est donc pas fondé. Enfin, aucune règle statutaire n'impose au médecin-conseil de communiquer au médecin-traitant, et non à l'intéressé lui-même, le résultat de l'examen médical d'embauché. En effet, si le Tribunal, dans son arrêt X/Commission, précité, a indiqué que l'obligation de motiver une décision faisant grief doit se concilier avec les nécessités du secret médical et que cette conciliation s'opère par la faculté, pour l'intéressé, de demander et d'obtenir que les motifs d'inaptitude soient communiqués au médecin traitant de son choix, cette faculté n'exclut nullement que, s'il l'estime opportun et compatible avec la déontologie médicale, le médecin-conseil communique les motifs d'inaptitude directement à l'intéressé. En l'espèce et en tout état de cause, ce choix, opéré par le médecin-conseil, n'a pas constitué une violation du principe du respect des droits de la défense, compte tenu de la connaissance, par le requérant, de son état de santé, telle qu'elle résulte de l'ensemble des pièces du dossier.

31

II s'ensuit que le moyen doit être rejeté.

Sur le moyen tiré du défaut de motivation de la décision attaquée

32

La partie requérante et les parties intervenantes ont fait valoir, lors de la procédure orale, qu'en violation de l'article 25 du statut ni l'avis médical négatif, émis le 28 novembre 1991 par le médecin-conseil de la Commission, ni l'avis confirmatif, émis le 5 mars 1992 par la commission médicale, ni la décision attaquée, ni la réponse de la Commission, en date du 16 octobre 1992, à la réclamation, présentée par le requérant, ne contiennent une motivation permettant au requérant de savoir sur quelle base médicale se fonde la décision attaquée.

33

La Commission oppose que le requérant connaissait parfaitement sa situation médicale, dès lors qu'il avait lui-même déclaré sa séropositivité de son plein gré au médecin-conseil de la Commission, lors de l'examen médical d'embauché. De plus, le médecin-conseil avait, avant de communiquer, par écrit, son avis médical négatif, informé personnellement le requérant, par téléphone, de l'avis qu'il avait émis et de sa motivation, ce que le requérant a expressément reconnu dans sa lettre, du 17 décembre 1991, à la Commission.

34

Le Tribunal rappelle, liminairement, que, selon une jurisprudence constante, l'obligation de motivation, inscrite à l'article 25, deuxième alinéa, du statut, a pour but, d'une part, de fournir à l'intéressé une indication suffisante pour apprécier le bien-fondé de l'acte lui faisant grief et l'opportunité d'introduire un recours devant le Tribunal et, d'autre part, de permettre à celui-ci d'exercer son contrôle (voir l'arrêt de la Cour du 26 novembre 1981, Michel/Parlement, 195/80, Rec. p. 2861, et l'arrêt du Tribunal du 12 février 1992, Volger/Parlement, T-52/90, Rec. p. II-121).

35

Cette obligation de motivation doit, cependant, selon une jurisprudence constante, « se concilier avec les nécessités du secret médical qui font chaque médecin — sauf circonstances exceptionnelles — juge de la possibilité de communiquer aux patients qu'il soigne ou examine la nature des affections dont ils pourraient être atteints. Cette conciliation s'opère par la faculté, pour l'intéressé, de demander et d'obtenir que les motifs d'inaptitude soient communiqués au médecin traitant de son choix » (voir l'arrêt de la Cour du 27 octobre 1977, Moli/Commission, 121/76, Rec. p. 1971, et l'arrêt X/Commission, précité). En outre, en ce qui concerne l'étendue de l'obligation de motivation, il y a lieu de tenir compte du contexte dans lequel une décision est intervenue et de la connaissance éventuelle de ce contexte par l'intéressé (voir les arrêts de la Cour du 24 février 1981, Carbognani et Zabetta/Commission, 161/80 et 162/80, Rec. p. 543, et du 23 mars 1988, Hecq/Commission, 19/87, Rec. p. 1681).

36

Au regard des principes qui viennent d'être exposés, le Tribunal constate, en premier lieu, que tant l'avis médical négatif émis par le médecin-conseil de la Commission que l'avis émis par la commission médicale se bornent à faire état, d'une part, des résultats des examens médicaux effectués et, d'autre part, du fait que ces résultats sont basés sur l'examen effectué au service médical de la Commission et sur le rapport du 14 novembre 1991 du Dr F. Ainsi, par eux-mêmes, aucun de ces deux avis ne permet, en première analyse, au requérant de savoir sur quelles constatations plus précises ils sont basés.

37

Le Tribunal constate toutefois, en deuxième lieu, au vu de l'ensemble des pièces versées au dossier, que le requérant avait, dès avant l'examen médical d'embauche, une connaissance certaine de son état physique et de l'affection dont il était atteint, comme il ressort, entre autres, du fait qu'il a lui-même, de son plein gré, informé le médecin-conseil de la Commission de sa séropositivité lors de cet examen médical.

38

En troisième lieu, ainsi qu'il a été dit ci-dessus (voir point 30), il ressort du dossier, et il n'est pas contesté par le requérant, que le médecin-conseil de la Commission, avant de communiquer au requérant par écrit, le 28 novembre 1991, l'avis médical négatif qu'il avait émis, a informé celui-ci, par téléphone, du résultat de l'examen médical et de ses motifs. Lors de l'audience, le médecin-conseil de la Commission a affirmé, à cet égard, sans être contredit par la partie requérante, qu'il avait, à cette occasion, informé le requérant des constatations de nature médicale et des motifs sur lesquels était basé son avis négatif. Cette affirmation est, d'ailleurs, confirmée par la lettre du 12 décembre 1991, envoyée par le requérant lui-même à la Commission et dans laquelle il écrit:

« J'ai bien reçu votre lettre du 28 novembre 1991 m'indiquant la décision que vous avez prise suite aux résultats de ma visite médicale. Je vous suis reconnaissant de m'en avoir informé préalablement par téléphone... Honnêtement, je pense que la (commission médicale) confirmera votre avis... »

39

Le Tribunal constate, enfin, que la réponse de la Commission à la réclamation du requérant contient des informations supplémentaires par rapport à celles figurant dans les avis du médecin-conseil et de la commission médicale. En effet, il y est, entre autres, exposé, à titre de motivation de la décision attaquée, que les conclusions du Conseil et des ministres de la Santé dont avait fait état le requérant dans sa réclamation « font référence aux personnes ‘ne présentant pas de symptômes liés au SIDA’, ce qui — d'après les renseignements fournis par le service médical — n'est pas le cas de A », que, « selon le service médical (tout en respectant le secret médical et sans fournir les détails sur l'état de santé de l'intéressé), le réclamant est entré en maladie », que, « dans son cas, le stade de la seule séropositivité est dépassé », et qu'« il a été constaté que A est sous traitement spécifique pour cette symptomatologie sans qu'il puisse être considéré comme porteur asymptomatique ».

40

Sur la base de ces constatations, le Tribunal estime que, dans les circonstances de l'espèce, la Commission a respecté l'obligation de motivation qui lui incombait, laquelle, ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus (point 35), devait se concilier avec les nécessités du secret médical. Il s'ensuit que les droits de la défense du requérant n'ont pas, par manque de motivation, été violés et que le Tribunal n'a pas non plus été placé dans l'impossibilité de contrôler la légalité de la décision. Dès lors, le deuxième moyen doit, en tout état de cause, être rejeté, sans qu'il soit nécessaire de statuer sur sa recevabilité.

Sur le moyen tiré de la violation du principe d'égalité

41

La partie requérante et les parties intervenantes font valoir que le fait, pour le requérant, d'avoir déclaré spontanément sa séropositivité a entraîné, dans les circonstances de l'espèce, une inégalité de traitement, à son détriment, par rapport aux candidats qui ne révèlent pas leur séropositivité. Cette inégalité de traitement et cette discrimination résultent, selon le requérant, de l'impossibilité pour le service médical d'imposer aux candidats un test de dépistage du VIH, ce qui implique que la mise en évidence d'une éventuelle séropositivité chez ces personnes dépend exclusivement de leur bonne foi et revêt donc un caractère aléatoire, parfaitement discriminatoire.

42

Selon une jurisprudence constante, il y a violation du principe d'égalité de traitement lorsque deux catégories de personnes dont les situations factuelle et juridique ne présentent pas de différence essentielle se voient appliquer un traitement différent ou lorsque des situations qui sont différentes sont traitées de manière identiques (voir l'arrêt du Tribunal du 7 février 1991, Tagaras/Cour de justice, T-18/89 et T-24/89, Rec. p. II-53).

43

Le Tribunal constate que, en l'espèce, la situation du requérant, telle que décrite au point 3 ci-dessus, n'est nullement comparable à celle d'un autre candidat qui n'aurait pas procédé à une telle déclaration spontanée au cours de l'examen médical d'embauché. Dans les circonstances, et même si le requérant avait déclaré être séropositif, il était du devoir du médecin-conseil, puis de la commission médicale, d'examiner, conformément aux dispositions combinées des articles 28, sous e), et 33, premier alinéa, du statut, si le requérant remplissait les conditions d'aptitude physique requises. A cette constatation s'ajoute la considération qu'une déclaration faite spontanément par un candidat, lors de l'examen médical d'embauché, qu'il est atteint d'une certaine maladie ne saurait avoir pour conséquence que le médecin-conseil ne pourrait plus examiner cette circonstance plus avant. Si tel était le cas, l'examen médical, qui doit nécessairement, dans une certaine mesure, se baser sur les déclarations du candidat, perdrait toute utilité.

44

II résulte de ce qui précède que le moyen doit être rejeté, sans qu'il soit nécessaire de statuer sur sa recevabilité.

Sur le moyen tiré de la violation du respect de la vie privée et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

45

La partie requérante soutient que la décision de l'écarter d'un emploi correspondant aux fonctions pour lesquelles il avait réussi les épreuves d'un concours, en raisons d'indications qu'il a spontanément fournies au service médical sur son état de santé et qu'il n'était nullement tenu de donner, constitue une atteinte évidente au droit de tout individu de gérer sa santé, et même sa vie, et de prendre éventuellement les risques inhérents à la satisfaction de ses aspirations profondes, tant professionnelles que personnelles.

46

Les parties intervenantes relèvent qu'il ressort de l'arrêt de la Cour du 4 octobre 1991, Commission/Gill (C-185/90P, Rec. p. I-4779), que l'examen médical d'embauché est dans l'intérêt exclusif de l'institution. Il a donc, selon les parties intervenantes, été institué, en réalité, pour préserver l'équilibre budgétaire de l'institution concernée, afin d'éviter qu'elle ait à supporter, à un terme plus ou moins rapproché, des dépenses importantes. Or, un tel objectif ne serait pas conciliable avec le droit au respect de la vie privée, tel qu'il est inscrit à l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après « convention »). Les parties intervenantes ont ajouté que le seul fait d'avoir procédé, en l'espèce, à un test de dépistage du VIH constitue, en soi, une violation du droit au respect de la vie privée, dès lors qu'un tel test était parfaitement inutile et superflu, le requérant ayant déjà déclaré sa séropositivité.

47

Le Tribunal rappelle, liminairement, que, aux termes de l'article 8, paragraphe 1, de la convention, « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».

48

Comme la Cour ľa jugé dans son arrêt du 18 juin 1991, ERT (C-260/89, Rec. p. I-2925), « les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect. A cet effet, la Cour s'inspire des traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l'homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré (voir, notamment, arrêt du 14 mai 1974, Nold/Commission, 4/73, Rec. p. 491, point 13). La convention européenne des droits de l'homme revêt, à cet égard, une signification particulière (voir, notamment, arrêt du 15 mai 1986, Johnston, 222/84, Rec. p. 1651, point 18). Il en découle que, comme la Cour l'a affirmé dans l'arrêt du 13 juillet 1989, Wachauf (5/88, Rec. p. 2609, point 19), ne saurait être admises dans la Communauté des mesures incompatibles avec le respect des droits de l'homme ainsi reconnus et garantis ».

49

Par ailleurs, aux termes de l'article F, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne, entré en vigueur le 1er novembre 1993, « l'Union respecte les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire ».

50

Le Tribunal considère, en premier lieu, que l'exigence, requise par l'article 33 du statut, précité, d'un examen médical préalable au recrutement de tout fonctionnaire communautaire n'est nullement contraire au principe fondamental du respect de la vie privée, tel que stipulé par l'article 8 de la convention. En effet, d'une part, cet examen médical a pour finalité de permettre à l'institution de ne pas procéder à la nomination d'un candidat inapte aux fonctions prévues, ou de le recruter en l'affectant à des fonctions compatibles avec son état de santé. Cet objectif est parfaitement légitime, dans le cadre de tout système de fonction publique et il correspond tant à l'intérêt des institutions qu'à celui des fonctionnaires communautaires. D'autre part, le Tribunal relève que l'exigence d'un examen médical préalable au recrutement des fonctionnaires est une exigence commune à la plupart des ordres juridiques des États membres. Dans ces circonstances, le principe même d'un examen médical d'embauché ne saurait être jugé contraire au principe du droit au respect de la vie privée. Cette conclusion n'est pas infirmée par la circonstance que l'avis négatif émis, lors de l'examen, repose partiellement sur des déclarations spontanées, faites par le candidat à un emploi dans la fonction publique communautaire.

51

Le Tribunal estime, en second lieu, qu'un tel examen médical, préalable au recrutement, doit, sous peine d'être parfaitement inutile, comporter nécessairement un examen clinique et, le cas échéant, les tests biologiques complémentaires, estimés nécessaires par le médecin-conseil. En l'espèce, le Tribunal relève que le requérant s'est spontanément déclaré séropositif et qu'il est constant qu'il a accepté qu'il soit procédé à un test de dépistage du VIH. Dès lors, l'argument des parties intervenantes, selon lequel ce test de dépistage était inutile et superflu, n'est nullement étayé et le Tribunal, ne pouvant que constater qu'un tel test a été estimé nécessaire ou, du moins, utile par le médecin-conseil, ne saurait critiquer, dans le cadre de son contrôle de légalité, une telle appréciation d'ordre purement médical.

Sur le moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation et d'une violation des conclusions du Conseil et des ministres de la Santé des Etats membres, réunis au sein du Conseil, du 15 décembre 1988, concernant le SIDA

Arguments des parties

52

La partie requérante et les parties intervenantes font valoir, tout d'abord, que la décision attaquée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'elle repose sur des appréciations erronées faites par le service médical, selon lesquelles le requérant serait entré en maladie et le stade de la seule séropositivité serait, dans son cas, dépassé. Ces constatations seraient contredites, d'une part, par les constatations médicales faites par le médecin-conseil de la Commission, lors de la visite médicale d'embauché, à l'occasion de laquelle celui-ci n'avait constaté aucune affection particulière, et, d'autre part, par l'affirmation, contenue dans le rapport médical établi le 14 novembre 1991 par le médecin traitant du requérant, le Dr F., spécialiste en la matière, selon laquelle l'état clinique et le statut immunologique du requérant étaient satisfaisants. Selon le requérant, il est significatif qu'à aucun moment son « taux de T4 » n'est descendu en deçà du seuil considéré comme celui de la déclaration de la maladie. Le requérant souligne que chacun des bilans établis périodiquement par le DrF. permettait à ce médecin de conclure que les résultats de l'examen clinique restaient dans les limites de la normale.

53

Le requérant relève, ensuite, que les appréciations portées par la Commission quant à l'inadaptation des conditions d'environnement et à l'insuffisance des infrastructures médicales dans les pays en voie de développement, au regard de sa séropositivité, sont démenties, non seulement par les appréciations médicales versées aux débats, mais également par son activité professionnelle actuelle. Il explique, à cet égard, qu'il exerce actuellement, depuis le mois de mars 1991, une activité de chercheur au service du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement et, à ce titre, est, depuis le mois de janvier 1992, responsable d'un projet agricole de développement situé au Mexique, à Xalapa. Selon lui, il s'agit d'une fonction parfaitement similaire à celle qui lui aurait été proposée dans le cadre d'un emploi d'administrateur spécialisé au service de la Commission. Il souligne, dans ce contexte, que, préalablement à son départ pour le Mexique, il a subi un examen auprès du Centre médical des entreprises travaillant à l'extérieur, au terme duquel le Dr P. a émis, le 27 janvier 1992, un avis favorable à son départ pour le Mexique, dès lors qu'un retour périodique à Montpellier était envisageable. Le requérant considère qu'une telle décision s'identifie à un avis d'aptitude physique à son profit. Il fait valoir, au demeurant, que le bien-fondé de cet avis d'aptitude est confirmé par sa propre expérience, dans la mesure où il exerce déjà, depuis un certain temps, son activité professionnelle dans un pays en voie de développement. Sur la base de cette expérience, le requérant conclut à la parfaite compatibilité de sa séropositivité avec ses fonctions de chercheur dans des pays en voie de développement qui ne disposent que d'une infrastructure médicale limitée.

54

La partie requérante et les parties intervenantes soutiennent encore que, dès lors qu'il est établi que le stade de la seule séropositivité n'est pas dépassé, dans le cas du requérant, et qu'il est établi que celui-ci ne présente pas de symptômes pathologiques liés au SIDA, la Commission a violé les conclusions du Conseil et des ministres de la Santé, parce que le requérant aurait dû être traité comme un « travailleur normal, apte au travail » et non pas être écarté pour inaptitude physique.

55

Les parties intervenantes ont, en outre, fait valoir que ni le médecin-conseil de la Commission, ni les médecins constituant la commission médicale ne justifiaient, à leur connaissance, de titres ou d'expériences spécifiques prouvant leur compétence dans le domaine des maladies infectieuses et, plus particulièrement, des problèmes liés aux déficiences immunitaires résultant de l'infection par le VIH.

56

La Commission oppose que le moyen soulevé par le requérant revient à remettre en cause l'appréciation proprement médicale portée successivement par le médecin-conseil de l'institution et la commission médicale d'appel. A cet égard, la Commission rappelle la jurisprudence de la Cour et du Tribunal sur l'étendue du contrôle juridictionnel exercé sur la légalité d'un refus de recrutement motivé par une inaptitude physique. L'avis médical, qui a été émis sur la base des résultats de l'examen clinique et du rapport médical du Dr F., présenterait un lien compréhensible entre les constatations médicales qu'il contient et la conclusion d'inaptitude à laquelle il parvient et ne saurait, en conséquence, être considéré comme étant entaché d'une erreur manifeste d'appréciation. Selon la Commission, le rapport du 14 novembre 1991, établi par le médecin traitant du requérant, le Dr F., fait, en effet, état d'une altération immunitaire, d'une chute du « taux de T4 », associée à une symptomatologie qui relève des manifestations cliniques habituelles d'une infection par le VIH, à savoir une leucoplasie chevelue de la langue et une Candidose buccale. L'existence même de ces infections permet, selon la défenderesse, d'affirmer que le requérant avait, lors de l'examen médical d'embauché, dépassé le stade de séropositivité asymptomatique et qu'il était entré dans une phase évolutive avancée de la maladie. Le rapport médical établi ex post, le 28 septembre 1992, par le même Dr F. et qui fait état d'un état clinique satisfaisant du requérant et d'une amélioration de son statut immunitaire, ne serait pas de nature à établir l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation commise par le médecin-conseil de l'institution, au regard des données médicales qui étaient en sa possession lors de l'examen auquel il a procédé.

57

La Commission ajoute, à cet égard, que les fonctions postulées dans le domaine de l'agriculture des zones tropicales et subtropicales sont destinées à être exercées dans des « pays à risque », compte tenu des dangers d'infections et de l'absence d'infrastructures de surveillance médicale appropriées. Il s'agirait là d'une circonstance importante que le médecin-conseil aurait à juste titre prise en compte, comme il ressort de l'avis d'inaptitude.

58

La Commission affirme, enfin, que la pratique qu'elle suit en général et qu'elle a suivie en l'espèce correspond exactement à la position arrêtée dans les conclusions du Conseil et des ministres de la Santé. En effet, le service médical avait constaté, chez le requérant, des symptômes pathologiques liés au SIDA, de sorte que le requérant n'aurait pas été couvert par lesdites conclusions.

Appréciation du Tribunal

59

Le Tribunal relève qu'il ressort des conclusions du Conseil et des ministres de la Santé qu'une « personne porteuse du VIH et ne présentant pas de symptômes pathologiques liés au SIDA doit être considérée et traitée comme un travailleur normal, apte au travail ».

60

Il ressort tant des mémoires déposés par la Commission que de sa plaidoirie, lors de l'audience, que celle-ci se considère liée par lesdites conclusions. Dans ces circonstances, le Tribunal estime que ces conclusions, si elles ne peuvent être regardées comme des dispositions statutaires ou réglementaires, doivent néanmoins être considérées comme des règles de conduite indicatives que l'administration s'impose à elle-même et dont elle ne peut s'écarter, le cas échéant, qu'en précisant les raisons qui l'y ont amenée, sous peine d'enfreindre le principe de l'égalité de traitement (voir l'arrêt du Tribunal du 7 février 1991, Ferreira de Freitas/Commission, T-2/90, Rec. p. II-103).

61

II y a lieu, ensuite, de rappeler, en ce qui concerne l'étendue du contrôle juridictionnel exercé sur la légalité d'un refus de recrutement motivé par une inaptitude physique, qu'il est de jurisprudence constante que le juge communautaire ne saurait substituer sa propre appréciation à un avis d'ordre spécifiquement médical. Toutefois, il appartient au Tribunal, dans le cadre de son contrôle juridictionnel, de vérifier si la procédure de recrutement s'est déroulée légalement et, plus particulièrement, d'examiner si la décision de 1ΆΙΡΝ, refusant le recrutement d'un candidat en raison d'une inaptitude physique, repose sur un avis médical motivé, établissant un lien compréhensible entre les constatations médicales qu'il comporte et la conclusion à laquelle il arrive (voir l'arrêt de la Cour du 26 janvier 1984, Seiler e.a./Conseil, 189/82, Rec. p. 229, et l'arrêt X/Commission, précité).

62

Enfin, selon la jurisprudence de la Cour et du Tribunal, il est possible, pour le médecin-conseil d'une institution, de fonder son avis d'inaptitude non seulement sur l'existence de troubles physiques ou psychiques actuels, mais encore sur un pronostic, médicalement fondé, de troubles futurs, susceptibles de mettre en cause, dans un avenir prévisible, l'accomplissement normal des fonctions envisagées (voir l'arrêt de la Cour du 10 juin 1980, Mlle M./Commission, 155/89, Rec. p. 1797, et l'arrêt X/Commission, précité).

63

II incombe ainsi au Tribunal, d'une part, de contrôler si, en l'espèce, il existe un lien compréhensible entre les constatations médicales faites par le service médical de l'institution et la conclusion qu'en a tirée l'AIPN dans la décision attaquée et, d'autre part, d'examiner si les conclusions du Conseil et des ministres de la Santé ont été respectées en l'espèce.

64

Quant à ľexistence d'un lien compréhensible entre les constatations médicales, faites à l'occasion de l'examen médical d'embauché, et la conclusion relative à l'inaptitude physique du requérant, le Tribunal constate, d'une part, qu'il ressort du dossier médical produit par la Commission, qui comprend l'examen clinique et biologique auquel a procédé le médecin-conseil et le rapport médical établi le 14 novembre 1991 par le médecin traitant du requérant, le Dr F., que l'examen médical avait révélé, chez le requérant, l'existence d'une leucoplasie chevelue persistante, d'une Candidose buccale probable, d'une sous-population de T4 à 293/mM3 (valeur normale 675-1575) et d'un rapport T4/T8 à 0,6 (valeur normale 1-3), et, d'autre part, qu'il ressort des réponses fournies par les deux médecins présents à l'audience qu'une personne porteuse du VIH présentant de tels symptômes est classée dans le groupe IV (symptomatique), sous-groupe C2 (infections associées), selon la classification des différents stades de l'évolution vers la maladie du SIDA, utilisée à la date des examens médicaux en cause par l'ensemble de la communauté scientifique, comme l'ont admis les deux médecins présents à l'audience.

65

Dans ces circonstances, le Tribunal constate qu'il n'a pas été établi que l'avis médical, émis par le médecin-conseil et confirmé par le commission médicale, est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation. Le Tribunal considère, au contraire, que, ainsi que l'a soutenu la Commission, il existe bien, en l'espèce, un lien compréhensible entre les constatations médicales que comporte l'avis et la conclusion à laquelle il parvient, en ce qui concerne l'inaptitude physique du requérant à exercer les fonctions auxquelles il postulait, et ceci d'autant plus que ces fonctions devaient être exercées dans des pays en voie de développement, où les risques d'infections, comme l'ont admis la partie requérante et les parties intervenantes lors de l'audience, sont plus élevés que sur le territoire européen.

66

Pour ce qui est de l'argument de la partie requérante, selon lequel l'avis d'inaptitude révélerait une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il serait contraire à la conclusion à laquelle est parvenu le Dr F. dans son rapport du 14 novembre 1991, rapport dont il ressort que l'état clinique et le statut immunologique du requérant étaient satisfaisants, le Tribunal constate, à la lecture de ce rapport, que la conclusion du Dr F. ne peut être raisonnablement interprétée qu'en ce sens que c'est au vu des caractéristiques spécifiques du cas du requérant que son état pouvait être considéré comme satisfaisant. Cette conclusion n'est ainsi en rien contradictoire avec la conclusion à laquelle est parvenu le médecin-conseil de la Commission et qui a été confirmée par la commission médicale d'appel. Cet argument du requérant ne peut donc pas être accueilli.

67

Quant à l'argument du requérant, tiré du fait qu'il a travaillé, pendant une certaine période, au Mexique, sans le moindre problème physique, il suffit de constater, d'une part, que le Mexique n'appartient pas au groupe de pays dit « ACP » (Afrique-Caraïbes-Pacifique), dans lesquels devaient être exercées les fonctions auxquelles le requérant était candidat, et, d'autre part, que, comme l'ont reconnu les deux médecins présents lors de l'audience, l'infrastructure médicale existante au Mexique n'est, de manière générale, pas comparable avec celle, plus rudimentaire, qui existe dans les pays ACP.

68

Pour ce qui est de l'argument des parties intervenantes concernant les compétences du médecin-conseil de la Commission et des médecins membres de la commission médicale, il suffit de constater que, dans le cadre du contrôle juridictionnel qu'il exerce sur les avis d'inaptitude physique, il n'appartient pas au juge communautaire de porter une appréciation sur la compétence scientifique des médecins ayant émis un tel avis. Au surplus, et en tout état de cause, il convient de relever que la Commission a expliqué, d'une part, que le médecin-conseil a suivi plusieurs cours de formation et assisté à plusieurs congrès concernant le SIDA, qu'il est diplômé de l'Institut de médecine tropicale d'Anvers et qu'il a exercé, durant six ans, sa profession sur le terrain dans un pays d'Afrique centrale et, d'autre part, que le médecin-conseil et la commission médicale, ainsi qu'il ressort des avis qu'ils ont émis, se sont basés notamment sur le rapport médical établi le 14 novembre 1991 par le Dr F., spécialiste reconnu en la matière.

69

Enfin, en ce qui concerne la prétendue violation des conclusions du Conseil et des ministres de la Santé, le Tribunal estime que le requérant, relevant, à l'époque des faits considérés, du groupe IV (symptomatique), sous-groupe C2 (infections associées), selon la classification des différents stades dans l'évolution vers le SIDA applicable à cette date, n'était pas couvert par ces conclusions, qui ne visent, comme il a été dit plus haut, que les personnes ne présentant pas de symptômes pathologiques liés au SIDA, ce qui n'est pas le cas du requérant. Il s'ensuit que la Commission n'a pas violé lesdites conclusions.

70

Il résulte de ce qui précède que le moyen ne peut être accueilli, et que, par voie de conséquence, les conclusions en annulation doivent être rejetées.

Sur les conclusions en indemnité

71

Le requérant fait valoir que la Commission est tenue de réparer le préjudice moral qu'il a subi, en raison de la faute de service qu'elle a commise, consistant en une appréciation erronée de son aptitude physique et en une violation caractérisée de certains principes généraux du droit communautaire et des droits fondamentaux.

72

Le Tribunal rappelle que l'examen des moyens présentés au soutien des conclusions en annulation n'a révélé aucune violation, par la Commission, des droits du requérant, non plus qu'aucune erreur manifeste d'appréciation, de sorte qu'il n'a pas été établi que la Commission a commis une faute de nature à engager sa responsabilité. Dans ces circonstances, les conclusions en indemnité doivent également être rejetées.

73

II résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté dans son ensemble.

Sur les dépens

74

Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, en vertu de l'article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. Il y a donc lieu d'ordonner que chaque partie, y compris les parties intervenantes, supportera ses propres dépens.

 

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête:

 

1)

Le recours est rejeté.

 

2)

Chacune des parties supportera ses propres dépens.

 

Garcia-Valdecasas

Vesterdorf

Biancarelli

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 avril 1994.

Le greffier

H. Jung

Le président

R. García-Valdecasas


( *1 ) Langue de procédure: le français.