61993O0280

Ordonnance de la Cour du 29 juin 1993. - République fédérale d'Allemagne contre Conseil des Communautés européennes. - Bananes - Organisation commune des marchés - Echanges avec les pays tiers - Recours en annulation - Mesures provisoires. - Affaire C-280/93 R.

Recueil de jurisprudence 1993 page I-03667


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Dispositif

Mots clés


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1. Référé - Sursis à exécution - Mesures provisoires - Conditions d' octroi - Préjudice grave et irréparable - Préjudices susceptibles d' être invoqués par un État membre

(Traité CEE, art. 185 et 186; Règlement de procédure de la Cour, art. 83, § 2)

2. Référé - Sursis à exécution - Mesures provisoires - Conditions d' octroi - Préjudice grave et irréparable - Mise en balance de l' ensemble des intérêts en cause - Demande d' un État membre visant à être autorisé, en ce qui le concerne, à différer l' application de certains mécanismes d' une nouvelle organisation commune des marchés agricoles

(Traité CEE, art. 185 et 186; Règlement de procédure de la Cour, art. 83, § 2; Règlement du Conseil n 404/93)

Sommaire


1. Le caractère urgent d' une mesure en référé doit être apprécié par rapport à la nécessité de statuer provisoirement afin d' éviter qu' un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné par l' application immédiate de la mesure faisant l' objet du recours principal. En ce qui concerne la nature du préjudice susceptible d' être invoqué, il importe de relever que les États membres sont responsables des intérêts, notamment économiques et sociaux, considérés comme généraux sur le plan national, et ont, à ce titre, qualité pour agir en justice en vue d' en assurer la défense. En conséquence, ils peuvent faire état de préjudices affectant un secteur entier de leur économie, notamment lorsque la mesure communautaire contestée est susceptible d' entraîner des répercussions défavorables sur le niveau de l' emploi et le coût de la vie.

2. Doit être rejetée la demande en référé introduite par un État membre et visant, en fait, à obtenir, uniquement en ce qui le concerne, un sursis à l' application d' une partie importante d' une nouvelle organisation commune des marchés, dès lors que, d' une part, la réalisation du risque pour un secteur entier de l' économie nationale dont il est fait état dépend de la survenance d' un ensemble de facteurs n' apparaissant pas comme prévisible avec un degré de probabilité suffisant, que, d' autre part, ladite organisation commune comporte des mécanismes permettant aux autorités communautaires de réagir au cas où ce risque se concrétiserait et que, par ailleurs, il existerait un risque sérieux de préjudice pour d' autres États membres si l' ensemble des mécanismes prévus par l' organisation commune n' étaient pas mis en place dans les conditions prévues.

Parties


Dans l' affaire C-280/93 R,

République fédérale d' Allemagne, représentée par M. Ernst Roeder, Ministerialrat au ministère fédéral de l' Économie, Villemombler Str. 76, D-W-5300 Bonn 1, et Me Jochim Sedemund, avocat au barreau de Cologne, Heumarkt 14, D-W-5000 Koeln 1, en qualité d' agents,

partie requérante,

contre

Conseil des Communautés européennes, représenté par MM. Jean-Paul Jacqué, directeur au service juridique, Bernhard Schloh, Arthur Brautigam et Juergen Huber, conseillers juridiques, en qualité d' agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Xavier Herlin, directeur de la direction des affaires juridiques de la Banque européenne d' investissement, 100, boulevard Konrad Adenauer,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. Peter Gilsdorf, conseiller juridique principal, Eugenio de March, conseiller juridique, et Ulrich Woelker, membre du service juridique, en qualité d' agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Nicola Annecchino, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

République hellénique, représentée par M. Vasileios Kontolaimos, assesseur auprès du conseil juridique de l' État, et Mme Vasileia Pelekou, représentant judiciaire, en qualité d' agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l' ambassade de Grèce, 117, Val Sainte-Croix,

royaume d' Espagne, représenté par M. Alberto Navarro González, directeur général de la coordination juridique et institutionnelle communautaire, et Mme Rosario Silva de Lapuerta, abogado del Estado, du service juridique chargé de représenter le gouvernement espagnol devant la Cour de justice, en qualité d' agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l' ambassade d' Espagne, 4-6, boulevard E. Servais,

République française, représentée par MM. Jean-Pierre Puissochet, directeur des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères, Philippe Pouzoulet, sous-directeur à la direction des affaires juridiques et par Mme Catherine de Salins, conseiller des affaires étrangères, au même ministère, en qualité d' agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l' ambassade de France, 9, boulevard du Prince Henri,

République italienne, représentée par M. le professeur Luigi Ferrari Bravo, chef du service du contentieux diplomatique du ministère des Affaires étrangères, assisté de M. Maurizio Greco, avvocato dello Stato, en qualité d' agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l' ambassade d' Italie, 5, rue Marie-Adélaïde,

République portugaise, représentée par M. Luis Fernandes, directeur du service juridique à la direction générale pour les Communautés européennes, Mme Maria Luisa Duarte, conseiller juridique, et M. José Santos Cardoso, assesseur principal, l' un et l' autre membres du service juridique à la direction générale pour les Communautés européennes, en qualité d' agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l' ambassade du Portugal, 33, allée Scheffer,

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d' Irlande du Nord, représenté par Mme S. Lucinda Hudson, du Treasury Solicitor' s Department, en qualité d' agent, assistée de M. David Anderson, barrister, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l' ambassade du Royaume-Uni, 14, boulevard Roosevelt,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande de mesures provisoires visant à permettre à la République fédérale d' Allemagne d' autoriser, jusqu' à ce que la Cour ait statué au principal, l' importation, en franchise de droits de douane, de bananes originaires de pays tiers, au sens du règlement (CEE) n 404/93 du Conseil, du 13 février 1993, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la banane (JO L 47, p. 1), dans les mêmes quantités annuelles qu' en 1992,

LA COUR,

composée de MM. O. Due, président, C. N. Kakouris, G. C. Rodríguez Iglesias, M. Zuleeg et J. L. Murray, présidents de chambre, R. Joliet, F. A. Schockweiler, J. C. Moitinho de Almeida, F. Grévisse, M. Díez de Velasco et P. J. G. Kapteyn, juges,

avocat général: M. C. Gulmann

greffier: M. J.-G. Giraud

l' avocat général entendu,

rend la présente

Ordonnance

Motifs de l'arrêt


1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 14 mai 1993, la République fédérale d' Allemagne a, en vertu de l' article 173, premier alinéa, du traité CEE, demandé l' annulation du titre IV et de l' article 21, paragraphe 2, du règlement (CEE) n 404/93 du Conseil, du 13 février 1993, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la banane (JO L 47, p. 1, ci-après "règlement").

2 Par acte séparé, déposé au greffe de la Cour le 19 mai 1993, la République fédérale d' Allemagne a, en vertu des articles 185 et 186 du traité et de l' article 83 du règlement de procédure, demandé que la Cour lui permette d' autoriser, jusqu' à ce que celle-ci ait statué au principal, l' importation, en franchise de droits de douane, de bananes originaires de pays tiers, au sens de l' article 15, point 3, du règlement, dans les mêmes quantités annuelles qu' en 1992.

3 Par décision du 9 juin 1993, le président de la Cour a, en application de l' article 85, premier alinéa, du règlement de procédure, déféré à la Cour la demande en référé.

4 Par ordonnances du 10 juin 1993, la Commission des Communautés européennes, la République hellénique, le royaume d' Espagne, la République française, la République italienne, la République portugaise et le Royaume-Uni ont été admis à intervenir dans la procédure en référé à l' appui des conclusions du Conseil.

5 Le règlement fixe, au titre IV, le régime des échanges avec les pays tiers. A cet égard, il prévoit que les importations traditionnelles de bananes en provenance des États ACP, dont les quantités sont fixées en annexe, peuvent continuer à être effectuées, en franchise de droits de douane, dans la Communauté.

6 Aux termes de l' article 18, paragraphe 1, du règlement,

"un contingent tarifaire de 2 millions de tonnes/poids net est ouvert pour chaque année pour les importations des bananes pays tiers et des bananes non traditionnelles ACP.

Dans le cadre de ce contingent tarifaire, les importations des bananes pays tiers sont assujetties à la perception de 100 écus par tonne, les importations de bananes non traditionnelles ACP sont soumises à un droit nul..."

Aux termes du paragraphe 2 de ce même article,

"en dehors du contingent visé au paragraphe 1:

- les importations de bananes non traditionnelles ACP sont assujetties à la perception de 750 écus par tonne,

- les importations de bananes des pays tiers sont assujetties à la perception de 850 écus par tonne."

L' article 19 prévoit, en son paragraphe 1, que

"le contingent tarifaire est ouvert, à partir du 1er juillet 1993, à concurrence de:

a) 66,5 % à la catégorie des opérateurs qui ont commercialisé des bananes pays tiers et/ou des bananes non traditionnelles ACP;

b) 30 % à la catégorie des opérateurs qui ont commercialisé des bananes communautaires et/ou des bananes traditionnelles ACP;

c) 3,5 % à la catégorie des opérateurs établis dans la Communauté qui ont commencé à commercialiser des bananes autres que les bananes communautaires et/ou traditionnelles ACP à partir de 1992..."

7 L' article 21, paragraphe 2, du règlement supprime le contingent tarifaire prévu par le protocole concernant le contingent tarifaire pour les importations de bananes (ci-après "protocole"), annexé à la convention d' application relative à l' association des pays et territoires d' outre-mer à la Communauté prévue à l' article 136 du traité.

8 Conformément au protocole, annexé à la convention d' application, précitée, laquelle a cessé d' être en vigueur depuis le 31 décembre 1962, la République fédérale d' Allemagne bénéficiait d' un contingent annuel d' importation de bananes en franchise de droits de douane. La base de calcul de ce contingent était, en vertu du paragraphe 5 du protocole, la quantité importée en 1956, à savoir 290 000 tonnes. Cette quantité devait être augmentée, pour chaque année d' application ultérieure, conformément aux règles de calcul prévues aux paragraphes 3 et 4 du protocole. Si, au cours d' une année donnée, la quantité ainsi calculée n' était pas suffisante pour couvrir les besoins de consommation en République fédérale d' Allemagne, le paragraphe 6 du protocole prévoyait que les États membres intéressés se sont déclarés prêts à donner leur accord sur une augmentation correspondante du contingent, pour le cas où les pays et territoires d' outre-mer se trouveraient dans l' impossibilité de fournir intégralement les quantités supplémentaires demandées. Aux termes du paragraphe 4, troisième alinéa, du protocole, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, sur proposition de la Commission, pouvait décider de la suppression ou de la modification de ce contingent.

9 En application du protocole, la République fédérale d' Allemagne a importé, en 1992, 1 371 000 tonnes de bananes, en franchise de droits de douane, dont une quantité de 721 000 tonnes calculée conformément au protocole et une quantité supplémentaire de 650 000 tonnes demandée en application du paragraphe 6 du protocole.

10 La République fédérale d' Allemagne, partie requérante, le Conseil, partie défenderesse et les parties intervenantes ont été entendus en leurs observations orales à l' audience de la Cour du 18 juin 1993.

11 En cours d' audience, la République fédérale d' Allemagne a aménagé sa demande en ce sens qu' elle accepte, à titre subsidiaire, d' assujettir les quantités de bananes qu' elle serait autorisée à importer, par voie de mesure provisoire, à un droit de douane de 100 écus par tonne.

12 Le Conseil, sans s' opposer à la prise en considération de cet aménagement de la demande, a déclaré que celui-ci n' était pas de nature à modifier sa position.

13 En fin d' audience, la République fédérale d' Allemagne a modifié l' objet même de sa demande en sollicitant, à titre plus subsidiaire, en premier lieu, une augmentation du contingent tarifaire de 900 000 tonnes par an et, en second lieu, une répartition du contingent à raison de 90 % au profit des importateurs établis, en fonction des quantités de bananes importées au cours des années précédentes, et de 10 % au profit des nouveaux venus.

14 Le Conseil a considéré cette dernière modification comme une demande nouvelle à l' égard de laquelle il ne lui était pas possible de prendre position, faute d' avoir pu en examiner les incidences.

15 En ce qui concerne l' aménagement de la demande formulé à titre subsidiaire en cours d' audience, il convient de constater qu' il se situe dans le cadre de la mesure sollicitée dans la requête en référé; il s' agit en réalité d' une réduction de la portée de celle-ci, en ce qu' elle devrait en atténuer les effets du moins sur le plan des ressources financières de la Communauté. A ce titre, rien ne s' oppose à la prise en considération de cet aménagement.

16 Il en va toutefois différemment de la modification de la demande présentée à titre plus subsidiaire en fin d' audience. En effet, elle est d' une nature substantiellement différente de la demande introduite par la République fédérale d' Allemagne et en modifie fondamentalement l' objet. En l' absence d' une possibilité, pour les autres parties intéressées, de prendre position à l' égard de ce qui doit ainsi être considéré comme une demande nouvelle, la Cour ne peut que rejeter ces conclusions prises à l' audience comme irrecevables.

17 Aux termes de l' article 185 du traité, les recours formés devant la Cour n' ont pas d' effet suspensif. Toutefois, conformément aux articles 185 et 186 du traité, la Cour peut, si elle estime que les circonstances l' exigent, ordonner le sursis à l' exécution de l' acte attaqué ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

18 Selon l' article 83, paragraphe 2, du règlement de procédure, une décision ordonnant le sursis à l' exécution d' un acte ou une mesure provisoire est subordonnée à l' existence de circonstances établissant l' urgence, ainsi que de moyens de fait et de droit justifiant, à première vue, l' octroi de la mesure provisoire sollicitée.

19 En ce qui concerne les moyens de fait et de droit justifiant, à première vue, l' octroi de la mesure provisoire, la République fédérale d' Allemagne expose que le titre IV et l' article 21, paragraphe 2, du règlement sont entachés d' illégalité.

20 A cet égard, la République fédérale d' Allemagne avance un certain nombre de moyens tirés, en substance, du défaut de nouvelle consultation du Parlement européen à propos de la version définitive du règlement, de la violation de l' obligation de motivation, de la méconnaissance des dispositions du traité relatives à la politique agricole commune, aux règles de concurrence et à la politique commerciale commune, de la violation des principes de non-discrimination et de proportionnalité, de même que de certains droits fondamentaux, ainsi que de la méconnaissance des dispositions de la quatrième convention de Lomé et des règles du GATT.

21 Sur ce point, il suffit de constater que le recours soulève des questions juridiques complexes qui méritent un examen approfondi après discussion contradictoire et que la demande n' apparaît pas, à première vue, comme étant dénuée de toute justification. Dès lors, elle ne saurait être rejetée pour ce motif.

22 En ce qui concerne la condition relative à l' urgence, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, le caractère urgent d' une mesure en référé, mentionné à l' article 83, paragraphe 2, du règlement de procédure, doit être apprécié par rapport à la nécessité qu' il y a de statuer provisoirement afin d' éviter qu' un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné par l' application immédiate de la mesure faisant l' objet du recours principal.

23 Sur ce point, la République fédérale d' Allemagne fait valoir qu' un préjudice irréparable risque de lui être causé par l' application immédiate des dispositions du règlement faisant l' objet du recours principal. Elle soutient, à cet égard, que l' instauration du contingent tarifaire et les règles de répartition de ce contingent vont conduire à une réduction du volume des bananes pays tiers accordé aux opérateurs économiques allemands. Il en résulterait une augmentation substantielle du prix des bananes sur le marché allemand, au détriment, en particulier, des ménages à faible revenu, une perte importante d' emplois dans les ports d' importation de bananes, une réduction sensible du fret acheminé par les chemins de fer ainsi qu' une diminution, pour les opérateurs économiques allemands concernés, d' au moins un tiers de leurs parts de marché, susceptible d' entraîner des faillites.

24 Elle ajoute que même si elle obtenait gain de cause au principal, il ne serait plus possible de revenir sur la modification des conditions du marché provoquée par le rétrécissement artificiel de l' offre et le transfert des parts de marché.

25 Le Conseil, partie défenderesse, fait d' abord valoir que la République fédérale d' Allemagne n' est pas fondée à invoquer la lésion d' intérêts purement privés, distincts de l' intérêt général assumé par le gouvernement.

26 Le Conseil, soutenu par les parties intervenantes, conteste, par ailleurs, l' existence d' un préjudice imminent, certain et irréparable dans le chef de la République fédérale d' Allemagne. Le seul intérêt d' ordre général invoqué, à savoir l' augmentation du prix des bananes au détriment du consommateur allemand, ne serait pas établi, l' effet des nouvelles mesures sur le revenu du consommateur moyen restant négligeable. L' instauration d' un contingent tarifaire de même que les règles de répartition de celui-ci seraient indispensables pour préserver l' écoulement des bananes communautaires et pour réaliser les conditions d' un véritable marché unique se substituant aux différents marchés nationaux soumis à des régimes divergents.

27 En ce qui concerne la nature des préjudices susceptibles d' être invoqués par la République fédérale d' Allemagne, il importe de relever que les États membres sont responsables des intérêts, notamment économiques et sociaux, considérés comme généraux sur le plan national, et ont, à ce titre, qualité pour agir en justice en vue d' en assurer la défense. En conséquence, ils peuvent faire état de préjudices affectant un secteur entier de leur économie, notamment lorsque la mesure communautaire contestée est susceptible d' entraîner des répercussions défavorables sur le niveau de l' emploi et le coût de la vie.

28 Les préjudices invoqués par la République fédérale d' Allemagne relevant de cette catégorie, on ne saurait lui dénier la qualité pour agir de ce chef.

29 Pour apprécier si la requérante a apporté la preuve de la nécessité à voir adopter la mesure provisoire sollicitée, il convient d' analyser le préjudice allégué à la lumière de l' ensemble des intérêts en présence.

30 A cet égard, il importe de constater que la demande de la République fédérale d' Allemagne vise, en fait, à accorder, sous le couvert d' une mesure provisoire, à un seul État membre un sursis quant à l' application d' une partie importante d' une nouvelle organisation commune des marchés.

31 Le règlement portant organisation commune des marchés dans le secteur de la banane a, en effet, pour objectifs de garantir aux producteurs de la Communauté des revenus satisfaisants, de faciliter l' écoulement de la production communautaire, d' assurer la libre circulation des bananes dans le marché commun et de maintenir un régime préférentiel pour l' importation traditionnelle de bananes en provenance des États ACP. Ces objectifs sont mis en oeuvre, d' une part, par un régime d' aides destiné à compenser les déficiences de la production communautaire et, d' autre part, par l' instauration d' un régime commun des échanges avec les pays tiers. Cette nouvelle organisation doit se substituer aux différents marchés nationaux plus ou moins cloisonnés et mettre ainsi un terme à une situation incompatible avec les objectifs du traité.

32 En ce qui concerne le risque allégué par la requérante d' une augmentation des prix à la consommation et de son incidence sur le niveau de vie de la population allemande, sa réalisation dépend de la survenance d' un ensemble de facteurs dont, notamment, l' insuffisance, présupposée par la République fédérale d' Allemagne, des importations de bananes par rapport à la demande des consommateurs.

33 Il en est de même des allégations faites par la République fédérale d' Allemagne selon lesquelles des pertes se produiront au niveau de l' utilisation des équipements d' infrastructure et au niveau de l' emploi.

34 En conséquence, il y a lieu d' examiner si une raréfaction de l' offre sur le marché allemand doit, à ce stade, apparaître comme prévisible avec un degré de probabilité suffisant.

35 A cet égard, force est de constater que les chiffres de référence de la consommation de bananes en 1992 restent controversés. D' une part, il apparaît que les données fournies par certains États membres étaient surestimées et qu' en conséquence les chiffres retenus par Eurostat doivent être revus à la baisse. D' autre part, il n' est pas établi que la totalité des bananes importées a été effectivement consommée dans la Communauté, une partie plus ou moins importante pouvant avoir été réexportée vers d' autres États. En outre, le Conseil a soutenu que les importateurs de bananes pays tiers ont artificiellement gonflé le volume de leurs importations pour pouvoir bénéficier de quantités de référence favorables lors de l' introduction, prévisible en 1992, de l' organisation commune des marchés.

36 En ce qui concerne le niveau des importations pour le second semestre 1993, le Conseil fait, en outre, valoir qu' un approvisionnement suffisant devrait être assuré même au cas où le contingent tarifaire serait basé sur une appréciation sous-évaluée de la consommation prévisible. A cet égard, il signale que, d' une part, les stocks existant au 1er juillet permettront de couvrir l' ensemble des besoins du mois de juillet, de sorte que, pour l' année 1993, le contingent ne s' applique en fait qu' à cinq mois et, d' autre part, que les bananes pays tiers embarquées avant le 23 juin ne seront pas imputées sur le contingent tarifaire et ne seront assujetties qu' au droit de douane privilégié de 100 écus par tonne.

37 Les besoins effectifs du marché dans les mois à venir ne pouvant, à l' heure actuelle, être établis avec une probabilité suffisante, il n' est pas possible d' escompter d' ores et déjà un déficit prévisible dans les approvisionnements.

38 Au cas où il devrait s' avérer, à l' avenir, que les prévisions sur lesquelles le Conseil s' est fondé se révèlent erronées, la procédure de l' article 16, paragraphe 3, du règlement permet, ainsi qu' il sera précisé plus loin, de remédier à une éventuelle insuffisance de l' offre.

39 A l' encontre de la répartition du contingent tarifaire, la République fédérale d' Allemagne fait valoir qu' elle aboutit à priver d' une partie substantielle de parts de marché les opérateurs économiques allemands qui, jusqu' ici, se sont consacrés à l' importation de bananes pays tiers.

40 Le Conseil, soutenu par la Commission, fait valoir que cette répartition est indispensable pour réaliser un véritable marché unique ainsi qu' une organisation commune des marchés devant notamment assurer un accès égal au marché et une concurrence effective, de sorte que des droits acquis des opérateurs économiques résultant du régime juridique particulier dont bénéficiait un marché national ne sauraient, dans l' optique des objectifs d' une politique commune, prévaloir sur ces exigences.

41 Sans qu' à ce stade il y ait lieu de statuer sur cette question, il convient de constater qu' en l' état actuel il n' est pas suffisamment certain que le régime de répartition critiqué privera les importateurs allemands d' une partie substantielle de parts de marché, alors surtout qu' il n' apparaît pas pour quels motifs ces importateurs ne parviendraient pas à s' approvisionner en bananes communautaires et ACP dont l' organisation commune des marchés a pour fonction de favoriser la commercialisation. Au cas où une telle impossibilité devait se révéler par la suite, la République fédérale d' Allemagne aura toujours la possibilité de déclencher la procédure de l' article 16, paragraphe 3, ou celle de l' article 30 du règlement.

42 S' agissant de la première de ces dispositions, la Commission fait, en effet, valoir que si les prévisions retenues par le Conseil en ce qui concerne, notamment, les besoins d' approvisionnement et la répartition du contingent devaient, à l' expérience, s' avérer erronées, l' article 16, paragraphe 3, permet de remédier à une insuffisance éventuelle des approvisionnements.

43 Le Conseil admet que les prévisions sur lesquelles il s' est fondé peuvent s' avérer erronées, étant donné qu' il ne dispose pas en la matière d' une expérience suffisante. Il est vrai, comme l' a fait valoir la République fédérale d' Allemagne, que le Conseil n' envisage une possibilité de modifier les contingents arrêtés à l' article 18 que dans l' hypothèse d' une modification importante constatée dans les mouvements conjoncturels. Il admet cependant qu' au cas où une pénurie de l' ampleur de celle alléguée par la République fédérale d' Allemagne se réaliserait, les institutions communautaires seraient obligées d' agir.

44 A cet égard, il y a lieu de relever que l' article 16, paragraphe 3, du règlement oblige en fait les institutions d' adapter le contingent tarifaire lorsqu' en cours de campagne une telle nécessité est constatée pour tenir compte de circonstances exceptionnelles affectant notamment les conditions d' importation. Dans ce cas, l' adaptation doit être opérée selon la procédure de l' article 27, c' est-à-dire qu' il appartient à la Commission d' arrêter des mesures, sur avis du comité de gestion de la banane. Si les mesures adoptées ne sont pas conformes à l' avis du comité de gestion, le Conseil peut y substituer sa propre décision dans le délai d' un mois.

45 Il en résulte que si la Commission aboutissait, sur la base de données objectives fiables, à la constatation que le contingent est insuffisant pour satisfaire raisonnablement la demande et que les prévisions faites antérieurement par le Conseil devaient s' avérer erronées, le règlement oblige en fait la Commission et, le cas échéant, le Conseil à procéder aux adaptations nécessaires, avec possibilité pour les États membres de former un recours devant la Cour au cas où ces institutions manqueraient à leurs obligations.

46 Il convient d' ajouter que, comme il résulte du vingt-deuxième considérant du règlement, l' article 30 est également destiné à faire face à la perturbation du marché intérieur que risque d' entraîner la substitution de l' organisation commune des marchés aux différents régimes nationaux.

47 A cet effet, l' article 30 oblige la Commission à prendre toutes les mesures transitoires jugées nécessaires "si des mesures spécifiques sont nécessaires, à compter de juillet 1993, pour faciliter le passage des régimes existant avant l' entrée en vigueur du présent règlement à celui établi par ce règlement, en particulier pour surmonter des difficultés sensibles" .

48 Dans ces conditions, il faut admettre que le recours à la procédure soit de l' article 16, paragraphe 3, soit de l' article 30 constitue un remède utile pour réagir au cas où la situation redoutée par la République fédérale d' Allemagne devrait se réaliser.

49 En ce qui concerne enfin la pondération des intérêts en présence, le Conseil ainsi que notamment la République française, le royaume d' Espagne, la République portugaise et le Royaume-Uni ont affirmé que l' exclusion de la République fédérale d' Allemagne du régime des échanges avec les pays tiers et de la préférence communautaire aboutira dans l' immédiat à compromettre irrémédiablement le débouché des bananes communautaires et entraînera des conséquences intolérables pour l' économie des régions productrices, pouvant engendrer des troubles sociaux.

50 La République fédérale d' Allemagne, sans contester la nature et l' importance des préjudices invoqués par d' autres États membres, soutient que l' octroi de la mesure sollicitée n' aura pas de telles conséquences, les producteurs communautaires étant suffisamment protégés par le régime d' aides qui leur permettrait d' obtenir la compensation de toutes pertes de recettes subies dans la commercialisation de leurs produits. D' après la requérante, ce régime devrait pouvoir fonctionner normalement, même en l' absence d' instauration d' un contingent tarifaire.

51 Sur ce point, le Conseil fait valoir que le régime interne d' aides et le régime externe du contingent tarifaire sont intrinsèquement liés, en ce que ce dernier est destiné non seulement à financer le premier, mais surtout à créer des conditions favorables pour la commercialisation de la production communautaire.

52 Le Conseil soutient, en outre, que le régime d' aides ne peut intervenir qu' au cas où les bananes produites dans la Communauté sont effectivement vendues, sa fonction étant d' assurer la compensation de la différence entre le prix effectivement obtenu à la commercialisation et un prix de référence retenu pour la période précédant l' instauration de l' organisation commune des marchés. Or, l' exclusion de la République fédérale d' Allemagne du régime du contingent tarifaire aurait pour conséquence de compromettre les possibilités de commercialisation des bananes communautaires.

53 Au regard de ces arguments, on ne saurait dès lors exclure qu' il existe un risque sérieux qu' en l' absence du régime des échanges avec les pays tiers, valant pour toute la Communauté, le régime d' aides ne pourra pas fonctionner convenablement et ne sera, partant, pas à même d' éviter les préjudices redoutés par les États membres concernés.

54 Compte tenu du caractère sérieux de ce risque, de la considération que le préjudice allégué par la requérante n' a pas été établi avec une probabilité suffisante ainsi que de l' obligation incombant aux institutions communautaires de prendre les mesures nécessaires pour faire face aux difficultés éventuelles engendrées par la mise en place de l' organisation commune des marchés, il n' y a pas lieu d' ordonner la mesure provisoire sollicitée par la requérante, même telle qu' aménagée à l' audience.

55 Il y a dès lors lieu de rejeter la demande.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR

ordonne:

1) La demande est rejetée.

2) Les dépens sont réservés y compris ceux exposés par les parties intervenantes.

Fait à Luxembourg, le 29 juin 1993.