61993J0128

Arrêt de la Cour du 28 septembre 1994. - Geertruida Catharina Fisscher contre Voorhuis Hengelo BV et Stichting Bedrijfspensioenfonds voor de Detailhandel. - Demande de décision préjudicielle: Kantongerecht Utrecht - Pays-Bas. - Egalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins - Droit à l'affiliation à un régime de pensions professionnel - Limitation des effets dans le temps de l'arrêt C-262/88, Barber. - Affaire C-128/93.

Recueil de jurisprudence 1994 page I-04583
édition spéciale suédoise page I-00127
édition spéciale finnoise page I-00129


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


++++

1. Politique sociale ° Travailleurs masculins et travailleurs féminins ° Égalité de rémunération ° Rémunération ° Notion ° Droit à l' affiliation à un régime professionnel privé de pensions ° Inclusion ° Exclusion des femmes mariées du droit à l' affiliation ° Inadmissibilité

(Traité CEE, art. 119)

2. Politique sociale ° Travailleurs masculins et travailleurs féminins ° Égalité de rémunération ° Article 119 du traité ° Applicabilité au droit à l' affiliation à un régime professionnel privé de pensions ° Constatation dans l' arrêt du 13 mai 1986, 170/84 ° Limitation des effets dans le temps ° Absence ° Possibilité d' exiger rétroactivement l' égalité de traitement depuis la reconnaissance par la Cour de l' effet direct de l' article 119, le 8 avril 1976 ° Obligation de paiement des cotisations afférentes à la période d' affiliation concernée ° Application des règles nationales concernant les délais de recours ° Conditions

(Traité CEE, art. 119)

3. Politique sociale ° Travailleurs masculins et travailleurs féminins ° Égalité de rémunération ° Rémunération ° Notion ° Prestations servies par un régime professionnel privé de pensions ° Inclusion ° Régime géré par des administrateurs indépendants ° Défaut de pertinence ° Possibilité pour le travailleur discriminé de faire valoir ses droits à l' encontre des administrateurs

(Traité CEE, art. 119)

4. Politique sociale ° Travailleurs masculins et travailleurs féminins ° Égalité de rémunération ° Protocole n 2 sur l' article 119, annexé au traité sur l' Union européenne ° Champ d' application ° Droit à l' affiliation à un régime professionnel de sécurité sociale ° Exclusion

(Traité CE, protocole n 2 sur l' art. 119)

Sommaire


1. Relève de la notion de rémunération au sens de l' article 119 du traité, avec cette conséquence qu' il est soumis à l' interdiction de discrimination en considération du sexe édictée par cet article, le droit à l' affiliation à un régime de pensions professionnel, dont les règles n' ont pas été fixées directement par la loi, mais résultent d' une concertation entre partenaires sociaux, les pouvoirs publics s' étant limités, à la demande des organisations patronales et syndicales considérées comme représentatives, à déclarer le régime obligatoire à l' ensemble du secteur professionnel.

Il s' ensuit que contrevient à l' article 119 du traité un régime de pensions professionnel qui, en excluant l' affiliation des femmes mariées, opère une discrimination directement fondée sur le sexe.

2. La limitation dans le temps des effets de l' arrêt du 17 mai 1990, Barber, C-262/88, ne concerne que les types de discriminations que, en raison des exceptions transitoires prévues par le droit communautaire susceptible d' être appliqué en matière de pensions professionnelles, les employeurs et les régimes de pensions ont pu raisonnablement considérer comme tolérées. N' en fait pas partie la discrimination en matière d' affiliation aux régimes de pensions professionnels dont le caractère inadmissible au regard de l' article 119 du traité a été affirmé dans l' arrêt du 13 mai 1986, Bilka, 170/84, qui lui-même ne comporte aucune limitation dans le temps de ses effets. En l' absence d' une telle limitation, l' effet direct de l' article 119 peut être invoqué afin d' exiger rétroactivement l' égalité de traitement quant au droit à l' affiliation à un régime de pensions professionnel, et ce depuis le 8 avril 1976, date de l' arrêt Defrenne, 43/75, qui a reconnu pour la première fois l' effet direct dudit article.

Cependant, le fait pour un travailleur de pouvoir prétendre à l' affiliation rétroactive à un régime de pensions professionnel ne lui permet pas de se soustraire au paiement des cotisations afférentes à la période d' affiliation concernée.

Les règles nationales relatives aux délais de recours de droit interne sont opposables aux travailleurs qui font valoir leur droit à l' affiliation à un régime de pensions professionnel, à condition qu' elles ne soient pas moins favorables pour ce type de recours que pour les recours similaires de nature interne et qu' elles ne rendent pas impossible en pratique l' exercice du droit communautaire.

3. Bien qu' étrangers à la relation de travail, les administrateurs d' un régime de pensions professionnel sont appelés à servir des prestations qui constituent une rémunération au sens de l' article 119 et sont, de ce fait, tenus, tout comme l' employeur, de respecter les dispositions dudit article, en faisant tout ce qui relève de leurs compétences pour assurer en la matière le respect du principe de l' égalité de traitement que les affiliés doivent pouvoir invoquer à leur encontre.

En effet, l' effet utile de l' article 119 serait considérablement amoindri et il serait sérieusement porté atteinte à la protection juridique qu' exige une égalité effective, si un travailleur ne pouvait invoquer cette disposition qu' à l' égard de l' employeur, à l' exclusion des administrateurs du régime expressément chargés d' exécuter les obligations de ce dernier.

4. Le protocole n 2 sur l' article 119 du traité, annexé au traité sur l' Union européenne, concerne l' ensemble des prestations servies par un régime professionnel de sécurité sociale, mais non le droit à l' affiliation à un tel régime.

Le domaine de l' affiliation demeure ainsi régi par l' arrêt du 13 mai 1986, Bilka, 170/84, aux termes duquel violerait l' article 119 du traité une entreprise qui, sans justification objective et étrangère à toute discrimination fondée sur le sexe, établirait une différence de traitement entre hommes et femmes par exclusion d' une catégorie d' employés d' un régime de pensions d' entreprise.

Parties


Dans l' affaire C-128/93,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l' article 177 du traité CEE, par le Kantongerecht te Utrecht (Pays-Bas) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Geertruida Catharina Fisscher

et

1) Voorhuis Hengelo BV,

2) Stichting Bedrijfspensioenfonds voor de Detailhandel,

une décision à titre préjudiciel sur l' interprétation de l' article 119 du traité CEE au regard du droit à l' affiliation aux régimes de pensions professionnels de l' arrêt de la Cour du 17 mai 1990, Barber (C-262/88, Rec. p. I-1889), ainsi que du protocole n 2 sur l' article 119 du traité instituant la Communauté européenne annexé au traité sur l' Union européenne du 7 février 1992,

LA COUR,

composée de MM. O. Due, président, G. F. Mancini (rapporteur), J. C. Moitinho de Almeida, M. Diez de Velasco et D. A. O. Edward, présidents de chambre, C. N. Kakouris, R. Joliet, F. A. Schockweiler, G. C. Rodríguez Iglesias, F. Grévisse, M. Zuleeg, P. J. G. Kapteyn et J. L. Murray, juges,

avocat général: M. W. Van Gerven,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,

considérant les observations écrites présentées:

° pour Mme Fisscher, par Me T. P. J. de Graaf, avocat au barreau d' Utrecht,

° pour Voorhuis Hengelo BV et la Stichting Bedrijfspensioenfonds voor de Detailhandel, par Me O. W. Brouwer, avocat au barreau d' Amsterdam,

° pour le gouvernement allemand, par MM. E. Roeder, Ministerialrat au ministère fédéral de l' Économie, et C.-D. Quassowski, Regierungsdirektor au même ministère, en qualité d' agents,

° pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. J. E. Collins, Assistant Treasury Solicitor, en qualité d' agent, assisté de M. N. Paines, barrister,

° pour la Commission des Communautés européennes, par Mme K. Banks et M. B. J. Drijber, membres du service juridique, en qualité d' agents,

vu le rapport d' audience,

ayant entendu les observations orales de Mme Fisscher, représentée par Me M. Greebe, avocat au barreau d' Utrecht, du Voorhuis Hengelo BV et de la Stichting Bedrijspensioenfonds voor de Detailhandel, représentés par Me O. W. Brouwer et Me F. P. Louis, avocat au barreau de Bruxelles, du gouvernement allemand, du gouvernement du Royaume-Uni ainsi que de la Commission à l' audience du 26 avril 1994,

ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 7 juin 1994,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par jugement du 18 mars 1993, parvenu à la Cour le 26 mars suivant, le Kantongerecht te Utrecht a posé, en vertu de l' article 177 du traité CEE, des questions préjudicielles sur l' interprétation de l' article 119 du même traité au regard du droit à l' affiliation aux régimes de pensions professionnels, de l' arrêt de la Cour du 17 mai 1990, Barber (C-262/88, Rec. p. I-1889, ci-après l' "arrêt Barber"), ainsi que du protocole n 2 sur l' article 119 du traité instituant la Communauté européenne annexé au traité sur l' Union européenne du 7 février 1992 (ci-après le "protocole n 2").

2 Ces questions ont été posées dans le cadre d' un litige opposant Mme Fisscher à Voorhuis Hengelo BV et à la Stichting Bedrijfspensioenfonds voor de Detailhandel, au sujet de son affiliation au régime de pensions professionnel.

3 Mme Fisscher a été au service de Voorhuis Hengelo BV (ci-après "Voorhuis") du 1er janvier 1978 au 10 avril 1992, en travaillant 30 heures par semaine.

4 Les travailleurs de Voorhuis sont affiliés au régime de pensions professionnel de la Stichting Bedrijfspensioenfonds voor de Detailhandel. Toutefois, jusqu' au 31 décembre 1990, Mme Fisscher n' a pas été admise au régime, du fait que le règlement de celui-ci en excluait les femmes mariées.

5 Le 1er janvier 1991, ce régime a été étendu aux femmes mariées de sorte que Mme Fisscher a pu s' y affilier, et ce à partir du 1er janvier 1988.

6 Mme Fisscher a alors contesté l' ancien règlement, au motif qu' il était incompatible avec l' article 119 du traité. Elle estimait en effet que, depuis le 8 avril 1976, date de l' arrêt Defrenne (43/75, Rec. p. 455), où la Cour a reconnu pour la première fois l' effet direct de l' article 119, ce régime aurait dû être ouvert aux femmes mariées également. Aussi a-t-elle réclamé son affiliation rétroactive à partir du 1er janvier 1978, date de son entrée en service.

7 Saisi de la demande de Mme Fisscher, le Kantongerecht te Utrecht a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice les questions préjudicielles suivantes:

"1) Le droit à l' affiliation à un régime professionnel de pensions, tel que celui dont il est question en l' espèce, qui est imposé par l' autorité des pouvoirs publics, relève-t-il également du droit à la rémunération (à l' égalité de rémunération) visé à l' article 119 du traité CEE?

2) En cas de réponse affirmative à la question précédente, la limitation dans le temps que la Cour a instaurée dans l' arrêt Barber pour une mesure en matière de pensions telle que celle dont il était question dans l' arrêt Barber (' contracted out schemes' , régimes conventionnellement exclus) s' applique-t-elle également à un droit à l' affiliation à un régime professionnel de pensions tel que celui dont il est question en l' espèce et dont, en tant que femme mariée, la demanderesse avait été exclue?

3) Pour les cas où le régime de pensions en usage dans une entreprise est rendu obligatoire en vertu de la loi, l' organisme qui met en oeuvre ce régime et qui le gère (la caisse professionnelle de retraite) est-il tenu d' appliquer le principe de l' égalité de traitement inscrit à l' article 119 du traité CEE et le travailleur qui est désavantagé par le non-respect de cette règle peut-il citer directement la caisse de retraite comme s' il s' agissait de l' employeur?

Pour expliciter cette question, il peut être utile de relever que le Kantonrechter n' est pas compétent pour connaître d' une action en responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle, car l' importance de l' action dépasse les limites de sa compétence. Dans la présente procédure, il importe donc de savoir si, sur le fondement de son contrat de travail, la demanderesse peut citer la caisse de retraite (la partie défenderesse sous 2.).

4) Si, sur le fondement de l' article 119 du traité CEE, la demanderesse possède un droit à l' affiliation à la caisse professionnelle de retraite à partir d' une date antérieure au 1er janvier 1991, cela veut-il dès lors dire qu' elle n' est pas obligée de payer les cotisations qu' elle aurait dû payer si elle avait été auparavant admise par la caisse de retraite?

5) Le fait que la demanderesse n' ait pas réagi plus tôt afin d' exiger l' octroi des droits auxquels elle prétend à l' heure actuelle présente-t-il un intérêt en l' espèce?

6) Le protocole sur l' article 119 du traité CEE joint en annexe au traité de Maastricht (le 'protocole Barber' ) ainsi que l' article III comportant dispositions transitoires de la proposition de loi n 20 890 (la proposition de loi modifiant cet article), visant à mettre en oeuvre la quatrième directive, comportent-ils des conséquences aux fins de l' appréciation de la présente affaire, dont le Kantonrechter a été saisi par citation signifiée le 16 juillet 1992?"

Sur la première question

8 Par la première question, la juridiction nationale demande si le droit à l' affiliation à un régime de pensions professionnel entre dans le champ d' application de l' article 119 du traité et relève donc de l' interdiction de discrimination édictée par cet article.

9 Il convient de rappeler à cet égard que, dans l' arrêt du 13 mai 1986, Bilka (170/84, Rec. p. 1607), la Cour a déjà reconnu que, dans la mesure où un régime de pensions, bien qu' adopté en conformité avec les dispositions prévues par la législation nationale, trouve son origine dans un accord avec les travailleurs ou leurs représentants et dans la mesure où les pouvoirs publics n' interviennent pas dans son financement, un tel régime ne constitue pas un régime de sécurité sociale directement réglé par la loi et soustrait, de ce fait, au champ d' application de l' article 119, et que les prestations servies aux employés en vertu de ce régime constituent un avantage payé par l' employeur au travailleur en raison de l' emploi de ce dernier, au sens de l' article 119, deuxième alinéa (points 20 et 22).

10 Ces principes ont été confirmés par l' arrêt Barber à propos des régimes de pensions professionnels "conventionnellement exclus" de droit britannique et par l' arrêt du 6 octobre 1993, Ten Oever (C-109/91, Rec. p. I-4879).

11 Dans ce dernier arrêt, la Cour a reconnu l' applicabilité de l' article 119 à des prestations dues en vertu d' un régime professionnel de droit néerlandais semblable à celui qui est en cause dans la présente affaire, en soulignant en particulier le fait que les règles du régime n' ont pas été fixées directement par la loi, mais qu' elles sont le résultat d' une concertation entre partenaires sociaux, les pouvoirs publics s' étant limités, à la demande des organisations patronales et syndicales considérées comme représentatives, à déclarer le régime obligatoire à l' ensemble du secteur professionnel (point 10).

12 Il résulte en outre de l' arrêt Bilka, précité, que relèvent du champ d' application de l' article 119 non seulement le droit aux prestations servies par un régime de pensions professionnel, mais également le droit d' être affilié à ce régime.

13 Cette décision est motivée (point 27) par la considération que si, comme il ressort de l' arrêt du 31 mars 1981, Jenkins (96/80, Rec. p. 911), une pratique salariale consistant à fixer une rémunération horaire moins élevée pour le travail à temps partiel que pour le travail à temps plein peut, dans certains cas, concrétiser une discrimination entre travailleurs masculins et féminins, il en va de même du refus du bénéfice d' une pension d' entreprise opposé aux travailleurs à temps partiel. En effet, dès lors qu' une telle pension relève de la notion de rémunération au sens du deuxième alinéa de l' article 119, la rémunération globale payée par l' employeur aux travailleurs à temps plein est plus élevée, à parité d' heures travaillées, que celle payée aux travailleurs à temps partiel.

14 Il en découle qu' un régime de pensions professionnel qui exclut l' affiliation des femmes mariées comporte une discrimination directement fondée sur le sexe, contraire à l' article 119 du traité.

15 Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question préjudicielle que le droit à l' affiliation à un régime de pensions professionnel entre dans le champ d' application de l' article 119 du traité et relève donc de l' interdiction de discrimination édictée par cet article.

Sur la deuxième question

16 Par la deuxième question, la juridiction nationale demande si la limitation des effets dans le temps de l' arrêt Barber s' applique également au droit à l' affiliation à un régime de pensions professionnel, tel que celui en cause au principal.

17 Pour répondre à cette question, il y a lieu de rappeler le contexte dans lequel la limitation des effets dans le temps de l' arrêt Barber a été décidée.

18 Conformément à une jurisprudence constante, selon laquelle la Cour peut, à titre exceptionnel, par application d' un principe général de sécurité juridique inhérent à l' ordre juridique communautaire, compte tenu des troubles graves que son arrêt pourrait entraîner pour le passé dans des relations juridiques établies de bonne foi, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d' invoquer une disposition qu' elle a interprétée en vue de remettre en cause ces relations juridiques (voir arrêt Defrenne, précité), la Cour s' est attachée à vérifier l' existence des deux critères essentiels pour qu' une telle limitation puisse être décidée, à savoir la bonne foi des milieux intéressés et le risque de troubles graves.

19 En ce qui concerne le critère de la bonne foi, elle a d' abord constaté (point 42) que l' article 9, sous a), de la directive 86/378/CEE du Conseil, du 24 juillet 1986, relative à la mise en oeuvre du principe de l' égalité de traitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale (JO L 225, p. 40), prévoyait la possibilité de différer la mise en application obligatoire du principe de l' égalité de traitement en ce qui concerne la fixation de l' âge de la retraite pour l' octroi des pensions de vieillesse, à l' instar de l' exception prévue par l' article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l' égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale (JO 1979, L 6, p. 24).

20 La Cour a ensuite considéré que, au vu de ces dispositions, les États membres et les milieux intéressés avaient pu raisonnablement estimer que l' article 119 ne s' appliquait pas à des pensions versées par des régimes conventionnellement exclus et que des exceptions au principe d' égalité entre travailleurs masculins et travailleurs féminins continuaient d' être admises en cette matière (point 43).

21 Il convient d' observer à cet égard que, dans l' arrêt du 14 décembre 1993, Moroni (C-110/91, Rec. p. I-6591), la Cour, tout en rappelant et confirmant les principes énoncés dans les arrêts Defrenne, Bilka et Barber, précités, a relevé que ce dernier traitait pour la première fois la question relative à l' appréciation de l' inégalité de traitement résultant de la fixation d' âges de la retraite différents selon le sexe au regard de l' article 119 (point 16).

22 S' agissant du critère des troubles graves, la Cour a par ailleurs considéré, dans l' arrêt Barber, que, si tout travailleur masculin intéressé pouvait, à l' instar de M. Barber, faire valoir rétroactivement le droit à l' égalité de traitement dans les cas de discriminations qui avaient pu jusqu' alors être considérées comme admises sur la base des exceptions prévues par la directive 86/378, précitée, l' équilibre financier de nombreux régimes professionnels risquerait d' être rétroactivement bouleversé (point 44).

23 Dans ces conditions, la Cour a décidé que l' effet direct de l' article 119 du traité ne peut être invoqué, afin d' exiger l' égalité de traitement en matière de pensions professionnelles, que pour les prestations dues au titre de périodes d' emploi postérieures au 17 mai 1990, exception faite pour les travailleurs ou leurs ayants droit qui ont, avant cette date, engagé une action en justice ou introduit une réclamation équivalente selon le droit national applicable (point 45 de l' arrêt Barber, tel que précisé dans l' arrêt Ten Oever, précité).

24 De ce qui précède, il découle, en particulier, que la limitation des effets dans le temps de l' arrêt Barber ne concerne que les types de discriminations que, en raison des exceptions transitoires prévues par le droit communautaire susceptible d' être appliqué en matière de pensions professionnelles, les employeurs et les régimes de pensions ont pu raisonnablement considérer comme tolérées.

25 Or, force est de constater que, en ce qui concerne le droit à l' affiliation aux régimes professionnels, aucun élément ne permet d' estimer que les milieux professionnels concernés ont pu se méprendre quant à l' applicabilité de l' article 119.

26 En effet, depuis l' arrêt Bilka, précité, il est évident qu' une violation de la règle d' égalité dans la reconnaissance dudit droit tombe sous le coup de l' article 119.

27 De surcroît, puisque l' arrêt Bilka n' a prévu aucune limitation de ses effets dans le temps, l' effet direct de l' article 119 peut être invoqué afin d' exiger rétroactivement l' égalité de traitement quant au droit d' affiliation à un régime de pensions professionnel, et ce depuis le 8 avril 1976, date de l' arrêt Defrenne, précité, qui a reconnu pour la première fois effet direct audit article.

28 Il y a lieu dès lors de répondre à la deuxième question que la limitation des effets dans le temps de l' arrêt Barber ne s' applique pas au droit à l' affiliation à un régime de pensions professionnel.

Sur la troisième question

29 Par la troisième question, la juridiction nationale demande si les administrateurs du régime de pensions professionnel sont tenus, tout comme l' employeur, de respecter les dispositions de l' article 119 du traité et si le travailleur discriminé peut faire valoir ses droits directement à l' encontre de ces administrateurs.

30 A cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans l' arrêt Barber, la Cour, après avoir constaté que les pensions versées par des régimes professionnels conventionnellement exclus relèvent du champ d' application de l' article 119, a considéré que cette conclusion reste valable même si le régime est constitué sous la forme d' un trust et géré par des trustees jouissant d' une indépendance formelle vis-à-vis de l' employeur, étant donné que l' article 119 vise également les avantages payés par l' employeur de manière indirecte (points 28 et 29).

31 Dès lors que, bien qu' étrangers à la relation de travail, ils sont appelés à servir des prestations qui constituent une rémunération au sens de l' article 119, les administrateurs d' un régime de pensions sont tenus de respecter cette disposition en faisant tout ce qui relève de leurs compétences pour assurer le respect du principe de l' égalité de traitement en la matière et les affiliés doivent pouvoir l' invoquer à leur encontre. L' effet utile de l' article 119 serait considérablement amoindri et il serait sérieusement porté atteinte à la protection juridique qu' exige une égalité effective, si un travailleur ne pouvait invoquer cette disposition qu' à l' égard de l' employeur, à l' exclusion des administrateurs du régime expressément chargés d' exécuter les obligations de ce dernier.

32 Il y a lieu dès lors de répondre à la troisième question que les administrateurs d' un régime de pensions professionnel sont tenus, tout comme l' employeur, de respecter les dispositions de l' article 119 du traité et que le travailleur discriminé peut faire valoir ses droits directement à l' encontre de ces administrateurs.

Sur la quatrième question

33 Par la quatrième question, il est demandé si le fait, pour un travailleur, de pouvoir prétendre à l' affiliation rétroactive à un régime de pensions professionnel lui permet de se soustraire au paiement des cotisations afférentes à la période d' affiliation concernée.

34 Il suffit de constater à cet égard que, en ce qui concerne le droit à l' affiliation à un régime professionnel, l' article 119 exige que le travailleur ne subisse pas une discrimination fondée sur le sexe en étant exclu d' un tel régime.

35 Cela signifie que, dans le cas où une telle discrimination a été subie, le rétablissement de l' égalité de traitement doit replacer le travailleur discriminé dans la même situation que celle des travailleurs de l' autre sexe.

36 Par conséquent, ledit travailleur ne saurait exiger, notamment sur le plan financier, un traitement plus favorable que celui qu' il aurait eu s' il avait été régulièrement affilié.

37 Il y a lieu dès lors de répondre à la quatrième question que le fait, pour un travailleur, de pouvoir prétendre à l' affiliation rétroactive à un régime de pensions professionnel ne lui permet pas de se soustraire au paiement des cotisations afférentes à la période d' affiliation concernée.

Sur la cinquième question

38 Par la cinquième question, la juridiction nationale demande en substance si les règles nationales relatives aux délais de recours de droit interne sont opposables aux travailleurs qui font valoir leur droit à l' affiliation à un régime de pensions professionnel.

39 Il suffit de rappeler à cet égard que, selon une jurisprudence constante, en l' absence d' une réglementation communautaire en la matière, les règles nationales relatives aux délais de recours sont applicables également aux recours fondés sur le droit communautaire, à condition qu' elles ne soient pas moins favorables pour ces derniers que pour les recours similaires de nature interne et qu' elles ne rendent pas impossible en pratique l' exercice du droit communautaire (voir, notamment, arrêt du 16 décembre 1976, Rewe, 33/76, Rec. p. 1989, points 5 et 6).

40 Il y a lieu dès lors de répondre à la cinquième question que les règles nationales relatives aux délais de recours de droit interne sont opposables aux travailleurs qui font valoir leur droit à l' affiliation à un régime de pensions professionnel, à condition qu' elles ne soient pas moins favorables pour ce type de recours que pour les recours similaires de nature interne et qu' elles ne rendent pas impossible en pratique l' exercice du droit communautaire.

Sur la sixième question

41 Par la sixième question, la juridiction nationale souhaite savoir quelle incidence pourrait avoir, dans le contexte de la présente affaire, le projet de loi nationale visant à mettre en oeuvre la directive 86/378, précitée, d' une part, et le protocole n 2, d' autre part.

42 S' agissant du projet de loi nationale, il suffit de rappeler que, selon une jurisprudence constante, il n' appartient pas à la Cour d' interpréter le droit national ni d' apprécier ses effets dans le cadre de la procédure de l' article 177 du traité (voir, notamment, arrêt du 3 février 1977, Benedetti/Munari, 52/76, Rec. p. 163, point 25).

43 Quant au protocole n 2, qui, en vertu de l' article 239 du traité, fait partie intégrante de ce dernier, il est ainsi rédigé:

"Aux fins de l' application de l' article 119, des prestations en vertu d' un régime professionnel de sécurité sociale ne seront pas considérées comme rémunération si et dans la mesure où elles peuvent être attribuées aux périodes d' emploi antérieures au 17 mai 1990, exception faite pour les travailleurs ou leurs ayants droit qui ont, avant cette date, engagé une action en justice ou introduit une réclamation équivalente selon le droit national applicable."

44 Il ressort du dossier ainsi que des débats ayant eu lieu devant la Cour que le problème à résoudre est en substance celui de savoir si ce protocole vise seulement à préciser la limitation des effets dans le temps de l' arrêt Barber, telle qu' elle a été rappelée ci-dessus, ou s' il a une portée plus vaste.

45 Selon Voorhuis, la Stichting Bedrijfspensioenfonds voor de Detailhandel et le gouvernement du Royaume-Uni, la formulation large du protocole indique que celui-ci s' applique à toutes les discriminations fondées sur le sexe pouvant exister dans le cadre des régimes de pensions professionnels, y compris celles relatives au droit d' affiliation à ces derniers.

46 La requérante au principal, le gouvernement allemand et la Commission soutiennent au contraire que, en dépit des termes très généraux dans lesquels il est rédigé, le protocole doit être lu en liaison avec l' arrêt Barber et ne saurait avoir une portée plus vaste que la limitation de ses effets dans le temps.

47 Il y a lieu de constater à cet égard que, par la généralité de ses termes, le protocole précité est applicable aux prestations servies par un régime de pensions professionnel.

48 Toutefois, cette constatation comporte un tempérament. Elle concerne les prestations, d' ailleurs seules mentionnées par le protocole n 2, et non pas le droit à l' affiliation à un régime professionnel de sécurité sociale.

49 En effet, le protocole présente un lien évident avec l' arrêt Barber, précité, puisqu' il se réfère à la même date du 17 mai 1990. Cet arrêt condamne une discrimination entre homme et femme qui résulte d' une condition d' âge variable selon le sexe pour obtenir une pension de retraite à la suite d' un licenciement pour cause économique. Des interprétations divergentes ont été données de l' arrêt Barber qui limite, à compter de sa date, c' est-à-dire du 17 mai 1990, l' effet de l' interprétation qu' il donne de l' article 119 du traité. Ces divergences ont été levées par l' arrêt Ten Oever, précité, qui est antérieur à l' entrée en vigueur du traité sur l' Union européenne. Tout en l' étendant à l' ensemble des prestations versées par un régime professionnel de sécurité sociale et en l' incorporant au traité, le protocole n 2 a retenu en substance la même interprétation de l' arrêt Barber que celle de l' arrêt Ten Oever, mais n' a, pas plus que l' arrêt Barber, abordé ni donc réglé les conditions d' affiliation à ces régimes professionnels.

50 Le domaine de l' affiliation demeure ainsi régi par l' arrêt Bilka, précité, qui relève la violation de l' article 119 du traité par une entreprise qui, sans justification objective et étrangère à toute discrimination fondée sur le sexe, établirait une différence de traitement entre hommes et femmes par l' exclusion d' une catégorie d' employés d' un régime de pensions d' entreprise. Il convient de rappeler que l' arrêt Bilka ne limite d' ailleurs pas, dans le temps, les effets de l' interprétation qu' il donne de l' article 119 du traité.

51 Il y a lieu dès lors de répondre à la sixième question que le protocole n 2 n' a aucune incidence sur le droit à l' affiliation à un régime de pensions professionnel, qui demeure régi par l' arrêt Bilka.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

52 Les frais exposés par les gouvernements allemand et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l' objet d' un remboursement. La procédure revêtant, à l' égard des parties au principal, le caractère d' un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur les questions à elle soumises par le Kantongerecht te Utrecht, par jugement du 18 mars 1993, dit pour droit:

1) Le droit à l' affiliation à un régime de pensions professionnel entre dans le champ d' application de l' article 119 du traité CEE et relève donc de l' interdiction de discrimination édictée par cet article.

2) La limitation des effets dans le temps de l' arrêt du 17 mai 1990, Barber (C-262/88) ne s' applique pas au droit à l' affiliation à un régime de pensions professionnel.

3) Les administrateurs d' un régime de pensions professionnel sont tenus, tout comme l' employeur, de respecter les dispositions de l' article 119 du traité et le travailleur discriminé peut faire valoir ses droits directement à l' encontre de ces administrateurs.

4) Le fait, pour un travailleur, de pouvoir prétendre à l' affiliation rétroactive à un régime de pensions professionnel ne lui permet pas de se soustraire au paiement des cotisations afférentes à la période d' affiliation concernée.

5) Les règles nationales relatives aux délais de recours de droit interne sont opposables aux travailleurs qui font valoir leur droit à l' affiliation à un régime de pensions professionnel, à condition qu' elles ne soient pas moins favorables pour ce type de recours que pour les recours similaires de nature interne et qu' elles ne rendent pas impossible en pratique l' exercice du droit communautaire.

6) Le protocole n 2 sur l' article 119 du traité instituant la Communauté européenne, annexé au traité sur l' Union européenne, n' a aucune incidence sur le droit à l' affiliation à un régime de pensions professionnel, qui demeure régi par l' arrêt du 13 mai 1986, Bilka (170/84).