61993J0063

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 15 février 1996. - Fintan Duff, Liam Finlay, Thomas Julian, James Lyons, Catherine Moloney, Michael McCarthy, Patrick McCarthy, James O'Regan, Patrick O'Donovan contre Minister for Agriculture and Food et Attorney General. - Demande de décision préjudicielle: Supreme Court - Irlande. - Prélèvement supplémentaire sur le lait - Quantités spécifiques de référence en raison d'un plan de développement - Obligation ou faculté. - Affaire C-63/93.

Recueil de jurisprudence 1996 page I-00569


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


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1 Agriculture - Organisation commune des marchés - Lait et produits laitiers - Prélèvement supplémentaire sur le lait - Détermination des quantités de référence exemptes du prélèvement - Modalités particulières en faveur des producteurs ayant souscrit un plan de développement de la production laitière - Obligation des États membres d'octroyer une quantité spécifique de référence - Absence - Pouvoir d'appréciation - Limites

(Règlement du Conseil n_ 857/84, art. 3, point 1; directive du Conseil 72/159)

2 Agriculture - Organisation commune des marchés - Lait et produits laitiers - Prélèvement supplémentaire sur le lait - Détermination des quantités de référence exemptes du prélèvement - Producteurs ayant souscrit un plan de développement de la production laitière - Absence de droit à une quantité de référence spécifique à ce titre - Principe de protection de la confiance légitime - Principe de non-discrimination - Principes de proportionnalité et de sécurité juridique - Droit de propriété - Libre exercice des activités professionnelles - Violation - Absence

(Traité CE, art. 40, § 3; règlement du Conseil n_ 857/84, art. 3, point 1; directive du Conseil 72/159)

Sommaire


3 L'article 3, point 1, premier tiret, du règlement n_ 857/84, lu à la lumière de son troisième considérant, doit être interprété en ce sens qu'il n'impose pas aux États membres l'obligation d'octroyer une quantité spécifique de référence exempte du prélèvement supplémentaire sur le lait aux titulaires d'un plan de développement de la production laitière au titre de la directive 72/159, concernant la modernisation des exploitations agricoles.

Toutefois, même si les États membres jouissent d'un pouvoir d'appréciation pour décider s'ils veulent ou non attribuer des quantités spécifiques de référence, ils sont au moins tenus, ainsi qu'il ressort de la première phrase de l'article 3 dudit règlement, avant d'adopter une telle décision, de prendre en considération, en vue de la détermination des quantités de référence visées à l'article 2, la situation de cette catégorie de titulaires d'un plan de développement.

4 Les exigences résultant de la protection des principes généraux du droit tels que la protection de la confiance légitime, l'interdiction de discrimination, les principes de proportionnalité et de sécurité juridique, ainsi que les droits fondamentaux tels que le droit de propriété et celui du libre exercice des activités professionnelles n'imposent à l'autorité nationale compétente aucune obligation, dans le cadre de l'article 3, point 1, premier tiret, du règlement n_ 857/84, d'octroyer des quantités spécifiques de référence exemptes du prélèvement supplémentaire sur le lait aux titulaires de plans de développement, même lorsque ces plans avaient été approuvés par les autorités compétentes.

En effet, en premier lieu, s'agissant du principe de protection de la confiance légitime, ni la réglementation relative aux plans de développement, ni le contenu et l'objectif de ces plans, ni le contexte dans lequel les opérateurs intéressés les ont souscrits ne font apparaître que la Communauté a créé une situation permettant auxdits opérateurs de s'attendre légitimement à bénéficier de l'octroi d'une quantité spécifique de référence visée à l'article 3, point 1, premier tiret, précité, et à être de ce fait déclarés partiellement exempts des restrictions imposées par le régime des prélèvements supplémentaires.

En deuxième lieu, le principe d'égalité, dont l'interdiction de discrimination prévue à l'article 40, paragraphe 3, du traité est l'expression spécifique, ne s'oppose pas à ce que les titulaires d'un plan de développement ne se voient, comme tous les producteurs, octroyer qu'une quantité de référence reflétant leur production de l'année de référence. En effet, eu égard à l'objectif du régime de prélèvement qui est de rétablir l'équilibre entre l'offre et la demande sur le marché laitier, caractérisé par des excédents structurels, au moyen d'une limitation de la production laitière au niveau de la production de l'année de référence, c'est l'année de référence qui est décisive pour la comparaison de la situation des différentes catégories de producteurs. Or, par rapport à celle-ci, les opérateurs intéressés ne sauraient prétendre, indépendamment de ce qu'ils ont envisagé comme production future, qu'ils se trouvent dans une situation qui diffère de celle des autres producteurs et leur permet de réclamer un droit à l'attribution d'une quantité spécifique de référence.

En troisième lieu, l'absence d'attribution des quantités spécifiques de référence ne porte pas davantage atteinte au principe de proportionnalité, les législateurs communautaire et national n'ayant pas méconnu le pouvoir d'appréciation dont ils disposent dans le cadre de la politique agricole commune en s'abstenant d'octroyer des quantités spécifiques de référence. En effet, l'absence d'une telle obligation ne saurait être considérée comme inappropriée à l'objectif du régime de prélèvement supplémentaire.

En dernier lieu, cette réglementation, qui répond aux objectifs d'intérêt général tendant à remédier à la situation excédentaire sur le marché laitier, ne touche pas à la substance même du droit de propriété et de libre exercice des activités professionnelles. En effet, même si elle autorise les autorités nationales à faire usage de leur pouvoir d'appréciation afin que les titulaires d'un plan de développement se voient, en dernière conséquence, empêchés d'augmenter leur production, elle permet néanmoins à ces derniers de continuer leur activité laitière au niveau de leur production pendant l'année de référence.

Parties


Dans l'affaire C-63/93,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par la Supreme Court, Ireland, et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Fintan Duff, Liam Finlay, Thomas Julian, James Lyons, Catherine Moloney, Michael McCarthy, Patrick McCarthy, James O'Regan, Patrick O'Donovan,

et

Minister for Agriculture and Food, Ireland,

Attorney General,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation et la validité de l'article 3, point 1, premier tiret, du règlement (CEE) n_ 857/84 du Conseil, du 31 mars 1984, portant règles générales pour l'application du prélèvement visé à l'article 5 quater du règlement (CEE) n_ 804/68 dans le secteur du lait et des produits laitiers (JO L 90, p. 13),

LA COUR

(sixième chambre),

composée de MM. C. N. Kakouris, président de chambre, G. Hirsch (rapporteur), G. F. Mancini, F. A. Schockweiler et P. J. G. Kapteyn, juges,

avocat général: M. G. Cosmas,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,

considérant les observations écrites présentées:

- pour M. Duff e.a., par MM. Frank Clarke, SC, James O'Reilly, SC, et John Gleeson, barrister, mandatés par Lavelle Coleman, Solicitors,

- pour le Minister for Agriculture and Food, Ireland, et l'Attorney General, par M. Michael A. Buckley, Chief State Solicitor, en qualité d'agent, assisté par MM. Eoghan Fitzsimons SC, Brian Lenihan, barrister, et Mme Finola Flanagan, Office of the Attorney General, conseiller juridique,

- pour le Conseil de l'Union européenne, par MM. Arthur Brautigam, conseiller juridique, et Michael Bishop, membre du service juridique, en qualité d'agents,

- pour la Commission des Communautés européennes, par M. Christopher Docksey, membre du service juridique, en qualité d'agent,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de M. Duff e.a., représentés par MM. James O'Reilly et John Gleeson, du Minister for Agriculture and Food et de l'Attorney General, représentés par M. Michael A. Buckley, assisté par M. John Cooke, SC, et de la Commission, représentée par M. Christopher Docksey, à l'audience du 23 mars 1995,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 8 juin 1995,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par ordonnance du 14 janvier 1993, parvenue à la Cour le 11 mars suivant, la Supreme Court, Ireland, a posé, en application de l'article 177 du traité CEE, trois questions relatives à l'interprétation et à la validité de l'article 3, point 1, du règlement (CEE) n_ 857/84 du Conseil, du 31 mars 1984, portant règles générales pour l'application du prélèvement visé à l'article 5 quater du règlement (CEE) n_ 804/68 dans le secteur du lait et des produits laitiers (JO L 90, p. 13).

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant M. Duff e.a. (ci-après les «demandeurs au principal»), propriétaires d'exploitation et producteurs de lait, au Minister for Agriculture and Food et à l'Attorney General, au sujet d'une quantité spécifique de référence qu'ils réclament, sur le fondement de l'article 3, point 1, premier tiret, du règlement n_ 857/84, en raison des plans de développement qu'ils ont souscrits au titre de la directive 72/159/CEE du Conseil, du 17 avril 1972, concernant la modernisation des exploitations agricoles (JO L 96, p. 1).

3 Après l'instauration du régime des quotas laitiers, les demandeurs ont obtenu, à l'exception de deux d'entre eux, des quantités de référence sur la base de leur seule livraison de lait au titre de l'année 1983. Ces quantités ne prennent cependant pas en considération l'augmentation de la capacité de production laitière prévue dans leurs plans de développement, l'autorité nationale compétente ne leur ayant attribué aucune quantité spécifique de référence au titre de l'article 3, point 1, premier tiret, du règlement n_ 857/84. Les demandeurs au principal sont donc tenus d'acquitter un prélèvement supplémentaire pour toute quantité de lait correspondant au plan de développement, dès lors que leur production dépasse les quantités de référence qui leur ont été octroyées sur la base de leur production en 1983.

4 Dans le cadre de ces plans, déposés avant le 1er mars 1984 et approuvés par l'autorité nationale compétente, des investissements financiers personnels ont été prévus et en partie effectués. Une partie de ces investissements a été financée par les autorités nationales compétentes. Aucun de ces plans, dont la mise en oeuvre devait s'échelonner sur plusieurs années, n'était achevé au moment de l'instauration du régime des quotas laitiers.

5 En vue d'obtenir les quantités de référence correspondant à l'objectif fixé par leurs plans de développement, les demandeurs au principal ont introduit un recours devant la High Court of Ireland. Ayant été déboutés de leur action, ils ont interjeté appel de cette décision.

6 Estimant que la décision à rendre dépendait de l'interprétation et de la validité de l'article 3, point 1, premier tiret, du règlement n_ 857/84, la Supreme Court, saisie du litige en appel, a sursis à statuer et a posé à la Cour les trois questions suivantes:

«1) Eu égard au troisième considérant du préambule au règlement (CEE) n_ 857/84 du Conseil et à l'article 40, paragraphe 3, du traité instituant la Communauté économique européenne, y-a-t-il lieu, en droit communautaire, d'interpréter le premier tiret de l'article 3, point 1), du règlement (CEE) n_ 857/84 du Conseil, précité, en ce sens qu'il impose aux États membres, lors de l'attribution des quantités de référence, l'obligation d'octroyer une quantité spécifique de référence aux producteurs qui ont souscrit un plan de développement de la production laitière au titre de la directive 72/159/CEE du Conseil et qui ont investi de considérables sommes d'argent empruntées pour faire aboutir ces plans?

2) Ou bien, eu égard aux principes fondamentaux du droit communautaire, et en particulier aux principes de la protection de la confiance légitime, de non-discrimination, de proportionnalité, de sécurité juridique et du respect des droits fondamentaux, le pouvoir discrétionnaire conféré à l'autorité compétente en Irlande par le premier tiret de l'article 3, point 1), précité, du règlement (CEE) n_ 857/84 du Conseil doit-il être compris comme une obligation d'octroyer une quantité spécifique de référence aux appelants en considération du fait que leurs plans de développement de la production laitière ont été approuvés par l'autorité compétente en Irlande?

3) S'il est répondu par la négative aux deux premières questions, le règlement (CEE) n_ 857/84 du Conseil est-il invalide au motif qu'il est contraire au droit communautaire, et en particulier à un ou plusieurs des principes suivants:

a) proportionnalité; b) confiance légitime;

c) non-discrimination, énoncée à l'article 40, paragraphe 3, du traité instituant la Communauté économique européenne;

d) sécurité juridique et e) respect des droits fondamentaux,

en ce qu'il n'exige pas des États membres qu'ils prennent en compte, lors de l'attribution des quantités de référence, la situation particulière des producteurs qui avaient souscrit un plan de développement de la production laitière au titre de la directive 72/159/CEE du Conseil?»

7 Afin de donner une réponse utile concernant l'interprétation et la validité de l'article 3, point 1, premier tiret, du règlement n_ 857/84, il convient tout d'abord de préciser le cadre réglementaire dans lequel s'inscrit cette disposition.

Sur le cadre réglementaire

8 Le règlement (CEE) n_ 856/84 du Conseil, du 31 mars 1984, modifiant le règlement (CEE) n_ 804/68 portant organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers (JO L 90, p. 10), a institué un prélèvement supplémentaire lorsque les quantités de lait produites dépassent une quantité de référence à déterminer. Selon les formules A ou B proposées dans le cadre du régime, la quantité de référence exempte du prélèvement supplémentaire est en principe égale soit, selon la formule A (formule producteur), à la quantité de lait livrée pendant l'année de référence par un producteur, soit, selon la formule B (formule acheteur), à la quantité de lait achetée pendant l'année de référence par un acheteur, à savoir une laiterie. L'Irlande a opté pour la formule B et a pris l'année 1983 comme année de référence. Dans le cadre de cette formule, l'acheteur redevable du prélèvement est tenu de répercuter ce dernier sur les seuls producteurs ayant augmenté leurs livraisons, proportionnellement à leurs contributions au dépassement de la quantité de référence de l'acheteur.

9 Pour être en mesure de faire face à certaines situations exceptionnelles, le législateur communautaire a prévu des dérogations au régime de prélèvement, parmi lesquelles l'article 3, point 1, du règlement n_ 857/84. Cet article permet notamment aux titulaires d'un plan de développement de la production laitière de bénéficier de l'augmentation de la quantité de lait exempte du prélèvement supplémentaire par l'attribution d'une quantité spécifique de référence. A cette fin, l'article 3, point 1, du règlement n_ 857/84, précise:

«Pour la détermination des quantités de référence visées à l'article 2 et dans le cadre de l'application des formules A et B, sont prises en compte certaines situations particulières dans les conditions suivantes:

1) les producteurs qui ont souscrit un plan de développement de la production laitière au titre de la directive 72/159/CEE, déposé avant le 1er mars 1984, peuvent obtenir, selon la décision de l'État membre:

- si le plan est en cours d'exécution, une quantité spécifique de référence qui tient compte des quantités de lait et de produits laitiers prévues par le plan de développement,

- si le plan a été exécuté après le 1er janvier 1981, une quantité spécifique de référence qui tient compte des quantités de lait et de produits laitiers qu'ils ont livrées l'année au cours de laquelle le plan a été achevé.

Peuvent également être pris en compte, si l'État membre dispose d'informations suffisantes, les investissements effectués sans plan de développement.»

10 C'est dans ce contexte que s'inscrivent les trois questions posées par la juridiction nationale. Par ces trois questions, qu'il convient de traiter ensemble, il est demandé en substance si l'article 3, point 1, premier tiret, du règlement n_ 857/84, interprété à la lumière de son troisième considérant ou, à défaut, interprété à la lumière de certains principes généraux et de droits fondamentaux avancés par la juridiction nationale, impose aux États membres l'obligation d'octroyer une quantité spécifique de référence aux titulaires d'un plan de développement.

Sur l'interprétation de l'article 3, point 1, premier tiret, du règlement n_ 857/84, lu à la lumière de son troisième considérant

11 Il convient de rappeler que l'article 3, point 1, du règlement n_ 857/84 a déjà été interprété dans les arrêts du 11 juillet 1989, Cornée e.a. (196/88, 197/88 et 198/88, Rec. p. 2309), et du 12 juillet 1990, Spronk (C-16/89, Rec. p. I-3185). S'agissant de la situation visée au premier tiret de cette disposition, il ressort notamment du point 13 de l'arrêt Cornée e.a., précité, que le texte même de la disposition fait apparaître qu'elle confère aux États membres un pouvoir d'appréciation pour prévoir ou non l'attribution de quantités spécifiques de référence aux producteurs visés par cette disposition et pour fixer, le cas échéant, le volume de ces attributions.

12 Bien que cette interprétation ait été donnée dans le cadre d'affaires dans lesquelles, à l'inverse de la présente situation, les États membres concernés avaient précisément fait usage de l'habilitation, celle-ci ne saurait être remise en question en l'espèce, eu égard à l'objectif poursuivi par l'article 3, point 1, du règlement n_ 857/84.

13 En effet, aux termes du troisième considérant de ce règlement, «il convient de permettre aux États membres d'adapter les quantités de référence pour prendre en compte la situation particulière de certains producteurs et d'établir à cette fin, en tant que de besoin, une réserve à l'intérieur de la quantité garantie précitée».

14 Cette réglementation vise donc à permettre aux États membres de faire face aux situations exceptionnelles prévues à l'article 3, point 1, du règlement n_ 857/84, auxquelles se trouvent confrontés certains producteurs. En revanche, il ne peut en être déduit que le législateur communautaire ait voulu imposer à l'État membre concerné l'obligation d'octroyer des quantités spécifiques de référence permettant ainsi aux titulaires d'un plan de développement qu'ils puissent réclamer un droit à de telles quantités.

15 Dans ce contexte, il y a lieu de préciser, comme l'a fait à juste titre la Commission, que, même si les États membres jouissent d'un pouvoir d'appréciation pour décider s'ils veulent ou non attribuer des quantités spécifiques de référence, ils sont au moins tenus, ainsi qu'il ressort de la première phrase de l'article 3 du règlement n_ 857/84, avant d'adopter une telle décision, de prendre en considération, en vue de la détermination des quantités de référence visées à l'article 2, la situation de cette catégorie de titulaires d'un plan de développement.

16 En l'espèce, il ressort des observations du gouvernement irlandais, qui décrivent les discussions entre les différents secteurs économiques précédant l'adoption de sa décision, que celui-ci a pris en compte la situation des titulaires d'un plan de développement lorsqu'il a mis en balance, dans le cadre de l'article 2 du règlement n_ 857/84, les intérêts des différentes catégories de producteurs.

17 Il s'ensuit que l'article 3, point 1, premier tiret, du règlement n_ 857/84, lu à la lumière de son troisième considérant, doit être interprété en ce sens qu'il n'impose pas aux États membres l'obligation d'octroyer une quantité spécifique de référence aux titulaires d'un plan de développement de la production laitière au titre de la directive 72/159.

Sur les principes généraux du droit communautaire et les droits fondamentaux

18 Les demandeurs au principal et le Conseil invoquent en premier lieu, parmi les principes généraux du droit communautaire, celui du respect de la confiance légitime. Ils estiment ainsi qu'il serait incompatible avec ce principe d'exclure du bénéfice d'une quantité spécifique de référence les producteurs dont les plans de développement ont été approuvés sans condition ni restriction par l'autorité nationale compétente. Les demandeurs au principal font notamment le parallèle entre leur situation et celle des producteurs dont l'exclusion initiale de toute quantité de référence en raison de leur participation au programme de non-commercialisation en vertu du règlement (CEE) n_ 1078/77 du Conseil, du 17 mai 1977, instituant un régime de primes de non-commercialisation du lait et des produits laitiers et de reconversion de troupeaux bovins à orientation laitière (JO L 131, p. 1), a été reconnue contraire au principe de la confiance légitime par la Cour (voir, notamment, arrêts du 28 avril 1988, Mulder, 120/86, Rec. p. 2321, et Von Deetzen, 170/86, Rec. p. 2355).

19 Ces arguments tirés par les demandeurs au principal et le Conseil d'une violation du principe de la confiance légitime ne sauraient être accueillis.

20 Ce principe, qui fait partie de l'ordre juridique communautaire (voir, arrêt du 21 septembre 1983, Deutsche Milchkontor e.a., 205/82 à 215/82, Rec. p. 2633, point 30), est le corollaire du principe de sécurité juridique qui exige que les règles de droit soient claires et précises, et vise à garantir la prévisibilité des situations et des relations juridiques relevant du droit communautaire. A cet égard, il convient de rappeler tout d'abord que, selon une jurisprudence constante, dans le domaine des organisations communes de marchés, dont l'objet comporte une constante adaptation en fonction des variations de la situation économique, les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le fait qu'ils ne seront pas soumis à des restrictions résultant d'éventuelles règles de la politique des marchés ou de la politique de structure (voir, notamment, arrêt du 10 janvier 1992, Kuehn, C-177/90, Rec. p. I-35, point 13). Selon cet arrêt, point 14, le principe de la confiance légitime ne peut être invoqué à l'encontre d'une réglementation communautaire que dans la mesure où la Communauté elle-même a créé au préalable une situation susceptible d'engendrer une confiance légitime.

21 Or, il convient de constater que ni la réglementation communautaire relative aux plans de développement, ni le contenu et l'objectif de ces plans, ni le contexte dans lequel les demandeurs au principal ont souscrit les plans de développement ne font apparaître que la Communauté a créé une situation permettant aux producteurs qui ont mis en oeuvre un plan de développement de s'attendre légitimement à l'octroi d'une quantité spécifique de référence visée à l'article 3, point 1, premier tiret, du règlement n_ 857/84 et d'être de ce fait déclarés partiellement exempts des restrictions imposées par le régime des prélèvements supplémentaires.

22 C'est ainsi que la Cour a considéré, dans l'arrêt Cornée e.a., précité, point 26, que la réalisation d'un plan de développement de la production laitière, approuvé par les autorités nationales compétentes, ne confère pas à son titulaire le droit de produire la quantité de lait correspondant à l'objectif de ce plan, sans être soumis à d'éventuelles restrictions résultant de règles communautaires arrêtées postérieurement à l'approbation de ce plan en sorte que, point 27, les titulaires d'un plan de développement, même approuvé antérieurement à l'entrée en vigueur du régime, ne peuvent pas se prévaloir d'une quelconque confiance légitime tirée de la réalisation de leur plan pour s'opposer à d'éventuelles réductions de ces quantités de référence. Cette jurisprudence a été confirmée et précisée par l'arrêt Spronk, précité, point 29, dans lequel la Cour souligne que la réalisation d'investissements, même dans le cadre d'un plan de développement, ne permet pas à l'opérateur intéressé de se prévaloir d'une quelconque confiance légitime tirée de la réalisation de ces investissements pour pouvoir prétendre à une quantité spécifique de référence attribuée précisément en raison de ces investissements.

23 De surcroît, à l'époque où les demandeurs au principal ont souscrit leur plan de développement, dont la réalisation a débuté au plus tôt en 1981 selon les réponses données à une question posée par la Cour lors de l'audience, ils ne pouvaient pas ignorer que le législateur communautaire s'était déjà, avant cette date, efforcé de maîtriser les excédents structurels du marché laitier par différentes mesures, dont notamment le programme de non-commercialisation de lait au titre du règlement n_ 1078/77, précité.

24 Pour autant que les demandeurs au principal réclament, en raison d'une violation de leur confiance légitime, le même traitement que celui réservé par la Cour aux producteurs ayant pris un engagement de non-commercialisation au titre du règlement n_ 1078/77, il convient d'observer que la situation de ces deux catégories de producteurs n'est pas identique. A l'inverse de la catégorie de producteurs ayant pris un engagement de non-commercialisation, le législateur communautaire n'a imposé, aux titulaires d'un plan de développement, aucune restriction particulière du chef de l'application de leur plan. Dans l'hypothèse où l'État membre ne fait pas usage, comme en l'espèce, de la faculté conférée par l'article 3, point 1, premier tiret, du règlement n_ 857/84, le titulaire d'un plan de développement est soumis aux mêmes restrictions que les autres producteurs. Dès lors, à l'inverse de la situation des producteurs totalement exclus de toute quantité de référence et, par là, de toute production laitière en raison de leur engagement au titre du règlement n_ 1078/77, le maintien de la production laitière au niveau de celle de l'année de référence est garanti - comme à tous les producteurs - aux titulaires d'un plan de développement.

25 En deuxième lieu, la juridiction nationale évoque une violation éventuelle de l'article 40, paragraphe 3, du traité CE et du principe général de non-discrimination. Or, ce point de vue ne saurait être retenu.

26 L'interdiction de discrimination prévue à l'article 40, paragraphe 3, du traité n'est que l'expression spécifique du principe d'égalité faisant partie des principes généraux du droit communautaire. Pour autant que ce principe s'oppose à ce que des situations différentes soient traitées de manière égale, à moins qu'un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt du 13 décembre 1984, Sermide, 106/83, Rec. p. 4209, point 28), il ne s'oppose cependant pas à ce que les titulaires d'un plan de développement ne se voient octroyer, comme tous les producteurs, qu'une quantité de référence reflétant leur production de l'année de référence. En effet, eu égard à l'objectif du régime de prélèvement qui est de rétablir l'équilibre entre l'offre et la demande sur le marché laitier, caractérisé par des excédents structurels, au moyen d'une limitation de la production laitière au niveau de la production de l'année de référence, c'est l'année de référence qui est décisive pour la comparaison de la situation des deux catégories de producteurs. Or, par rapport à cette année-là, les demandeurs au principal ne sauraient prétendre, indépendamment de ce qu'ils ont envisagé comme production future, qu'ils se trouvent dans une situation qui diffère de celle des autres producteurs leur permettant de réclamer un droit à l'attribution d'une quantité spécifique de référence.

27 En troisième lieu, contrairement aux allégations des demandeurs au principal, l'absence d'attribution des quantités spécifiques de référence ne porte pas davantage atteinte au principe de proportionnalité. Les législateurs communautaire et national n'ont pas méconnu le pouvoir d'appréciation dont ils disposent dans le cadre de la politique agricole commune en s'abstenant d'octroyer des quantités spécifiques de référence. En effet, l'absence d'une telle obligation ne saurait être considérée comme inappropriée à l'objectif du régime de prélèvement supplémentaire, tel qu'énoncé au point 26.

28 En dernier lieu, la juridiction nationale fait référence à la protection des droits fondamentaux. A cet égard, il ressort notamment des observations des demandeurs au principal que cette référence ne vise que le droit de propriété et le droit au libre exercice des activités professionnelles reconnus en droit communautaire (voir, notamment, arrêt du 13 décembre 1994, SMW Winzersekt, C-306/93, Rec. p. I-5555, point 22).

29 Ainsi qu'il résulte de l'arrêt du 13 juillet 1989, Wachauf (5/88, Rec. p. 2609, point 19), les exigences découlant de la protection des droits fondamentaux dans l'ordre juridique communautaire lient également les États membres lorsqu'ils mettent en oeuvre des réglementations communautaires.

30 Cependant, il y a lieu de constater que l'application de la réglementation en cause n'est pas de nature à porter atteinte à l'un ou à l'autre des droits fondamentaux visés par la juridiction nationale. Il convient en effet de constater que la réglementation en cause, qui répond aux objectifs d'intérêt général tendant à remédier à la situation excédentaire sur le marché laitier, ne touche pas à la substance même du droit de propriété et de libre exercice des activités professionnelles. En effet, même si elle autorise les autorités nationales à faire usage de leur pouvoir d'appréciation afin que les titulaires d'un plan de développement se voient, en dernière conséquence, empêchés d'augmenter leur production, elle permet néanmoins à ces derniers de continuer leur activité laitière au niveau de leur production de 1983.

31 Par conséquent, les exigences résultant de la protection des principes généraux du droit tels que la protection de la confiance légitime, l'interdiction de discrimination, les principes de proportionnalité et de sécurité juridique, ainsi que les droits fondamentaux n'imposent à l'autorité nationale compétente aucune obligation, dans le cadre de l'article 3, point 1, premier tiret, du règlement n_ 857/84, d'octroyer des quantités spécifiques de référence aux titulaires de plans de développement, même lorsque ceux-ci avaient été approuvés par les autorités compétentes.

32 Si les exigences découlant des principes généraux et droits fondamentaux susmentionnés n'imposent aucune obligation d'accorder des quantités spécifiques de référence aux titulaires de plans de développement, il en résulte également que ces mêmes principes ne portent pas atteinte à la validité de l'article 3, point 1, premier tiret, du règlement n_ 857/84.

33 Dès lors, il convient de constater que l'examen des principes généraux et des droits fondamentaux reconnus en droit communautaire n'a pas fait apparaître d'élément de nature à affecter la validité de l'article 3, point 1, premier tiret, du règlement n_ 857/84.

34 Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions de la juridiction nationale que

- l'article 3, point 1, premier tiret, du règlement n_ 857/84, lu à la lumière de son troisième considérant, doit être interprété en ce sens qu'il n'impose pas aux États membres l'obligation d'octroyer une quantité spécifique de référence aux titulaires de plans de développement de la production laitière au titre de la directive 72/159;

- les exigences résultant de la protection des principes généraux du droit tels que la protection de la confiance légitime, l'interdiction de discrimination, les principes de proportionnalité et de sécurité juridique, ainsi que les droits fondamentaux tels que le droit de propriété et celui du libre exercice des activités professionnelles n'imposent à l'autorité nationale compétente aucune obligation, dans le cadre de l'article 3, point 1, premier tiret, du règlement n_ 857/84, d'octroyer des quantités spécifiques de référence aux titulaires de plans de développement, même lorsque ces plans avaient été approuvés par les autorités compétentes;

- l'examen des principes généraux et des droits fondamentaux susmentionnés n'a pas fait apparaître d'élément de nature à affecter la validité de l'article 3, point 1, premier tiret, du règlement n_ 857/84.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

35 Les frais exposés par le gouvernement irlandais, par le Conseil de l'Union européenne et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR

(sixième chambre),

statuant sur les trois questions à elle soumises par la Supreme Court, Ireland, par ordonnance du 14 janvier 1993, dit pour droit:

1) L'article 3, point 1, premier tiret, du règlement (CEE) n_ 857/84 du Conseil, du 31 mars 1984, portant règles générales pour l'application du prélèvement visé à l'article 5 quater du règlement (CEE) n_ 804/68 dans le secteur du lait et des produits laitiers, lu à la lumière de son troisième considérant, doit être interprété en ce sens qu'il n'impose pas aux États membres l'obligation d'accorder une quantité spécifique de référence aux titulaires de plans de développement de la production laitière au titre de la directive 72/159/CEE du Conseil, du 17 avril 1972, concernant la modernisation des exploitations agricoles.

2) Les exigences résultant de la protection des principes généraux du droit tels que la protection de la confiance légitime, l'interdiction de discrimination, les principes de proportionnalité et de sécurité juridique, ainsi que les droits fondamentaux tels que le droit de propriété et celui du libre exercice des activités professionnelles n'imposent à l'autorité nationale compétente aucune obligation, dans le cadre de l'article 3, point 1, premier tiret, du règlement n_ 857/84, d'octroyer des quantités spécifiques de référence aux titulaires de plans de développement, même lorsque ces plans avaient été approuvés par les autorités compétentes.

3) L'examen des principes généraux et des droits fondamentaux susmentionnés n'a pas fait apparaître d'élément de nature à affecter la validité de l'article 3, point 1, premier tiret, du règlement n_ 857/84.