CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. MICHAEL B. ELMER
présentées le 20 juin 1995 ( *1 )
1. |
Dans la présente affaire, la Pretura circondariale di Genova a saisi la Cour de justice en vue d'obtenir l'interprétation d'un certain nombre de dispositions du traité, au regard, entre autres, de la réglementation italienne sur la commercialisation des tabacs manufacturés. |
La législation italienne applicable
2. |
Selon l'article 1er de la loi no 907 du 17 juillet 1942, telle qu'elle a été modifiée par la loi no 1293 du 22 décembre 1957 ( 1 ), l'État italien a le monopole de la production de l'importation et de la vente au détail des tabacs manufacturés. Ce monopole est géré par l'Amministrazione Autonoma dei Monopoli di Stato (administration autonome des monopoles d'État, ci-après: ľ« AAMS »). La production des tabacs manufacturés est assurée en partie par l'AAMS elle-même, en partie par des entreprises qui y ont été autorisées, et pour le compte de fabricants étrangers sous le contrôle de l'AAMS. Outre la TVA, les tabacs manufacturés sont assujettis à un droit d'accise. Les dépôts contrôlés par l'AAMS ont un rôle central dans l'administration du monopole et procèdent au recouvrement et au versement au Trésor public de la taxe prélevée sur les articles de monopole et de toutes les recettes intéressant l'AAMS. |
3. |
Selon l'article 1er de la loi no 724 du 10 décembre 1975 ( 2 ), l'importation en Italie et le commerce en gros de tabacs manufacturés en provenance d'autres États membres de la Communauté sont autorisés sous la condition que ces marchandises soient stockées dans des dépôts de l'AAMS ou des dépôts privés qui ont reçu à cet effet une autorisation spéciale ( 3 ). Selon l'article 1er, paragraphe 2, de la loi précitée, l'importation n'est autorisée que pour les produits préalablement insérés dans des barèmes de prix de vente et il ne peut être procédé à l'importation de tabacs dans des conditionnements différents de ceux définis par décret du ministre des Finances. Les tabacs importés sont soumis, en application de l'article 3 de la loi, à une surtaxe à l'importation égale à la taxe à la consommation que l'importateur doit payer contre la délivrance de certaines vignettes spéciales de l'État qui doivent être apposées sur chaque conditionnement. Dans la pratique, d'après ce que nous savons, la seule importation réalisée l'a été par l'intermédiaire des dépôts de l'AAMS. |
4. |
Seuls les détaillants qui ont obtenu une autorisation spéciale de l'AAMS peuvent procéder à la vente au détail de tabacs manufacturés. Il existe deux types de point de vente ( 4 ). Les débits de tabac ordinaires, au nombre d'environ 60000, sont exploités par des personnes privées, selon les conditions prévues par l'autorisation administrative aux lieux et aux heures d'ouverture que l'AAMS a fixés. Cette dernière prend en considération, entre autres, les distances entre les débits de tabac existants, les rapports entre le nombre de débits de tabac et les besoins des consommateurs, notamment, compte tenu à la fois du chiffre de la population locale et de l'existence de besoins spéciaux. Les débits de tabac spéciaux qui sont au nombre d'environ 16000 sont notamment exploités par des hôtels, des restaurants, des hôpitaux et des prisons. Ce sont les inspecteurs régionaux de l'AAMS qui fixent leurs heures d'ouverture, après consultation de l'autorité municipale, et les points de vente doivent être ouverts à tour de rôle pendant les jours fériés. |
5. |
Les barèmes de tabacs manufacturés sont fixés périodiquement par le ministre des Finances (voir loi no 76 du 7 mars 1985 ( 5 ) qui a modifié la loi no 825 du 13 juillet 1965 ( 6 )). |
6. |
La détention illégale de tabacs nationaux est punie en application de l'article 66 de la loi no907 du 17 juillet 1942 ( 7 ) réprimant le délit de contrebande. Ce délit est en vertu de la loi no 27 du 3 janvier 1951 ( 8 ) passible d'une amende de 150000 à 400000 LIT (correspondant actuellement à environ 70 à 185 écus) par kilo ou fraction de kilo de tabac manufacturé. La loi précitée prévoit aussi la confiscation des marchandises et des peines de réclusion pouvant aller jusqu'à deux ans si la contrebande porte sur plus de 15 kg de tabac. |
7. |
Selon l'article 341 du Testo unico delle disposizioni legislative in materia doganale (texte unique des dispositions législatives en matière douanière ( 9 ) ci-après: le « TULD »), les délits de contrebande ayant pour objet des tabacs manufacturés d'origine étrangère relèvent exclusivement des dispositions pénales de la législation douanière italienne fixées par ce décret. Le délit de contrebande prévu par la législation douanière italienne consiste, selon l'article 292 du TULD, dans la soustraction de marchandises au paiement des droits de douane qui les frappent. Selon l'article 282, sous f), ce délit est puni d'une amende non inférieure à deux fois et non supérieure à dix fois le montant des droits qui n'ont pas été acquittés et l'article 301 dispose la confiscation de l'objet du délit. Les articles 295 et 296 du décret prévoient des peines de réclusion en cas de récidive (jusqu'à un an) ou en cas de circonstances aggravantes (trois à cinq ans). Selon l'article 25, paragraphe 2, du TULD, le détenteur de marchandises étrangères soumises aux droits de douane doit démontrer leur provenance légitime. Dans le cas contraire, il est réputé coupable de contrebande. |
Les faits de l'affaire
8. |
Lors d'une vérification de comptabilité opérée le 25 octobre 1990 dans les locaux de l'entreprise unipersonnelle Sebastiano fiancherò, il a été trouvé un lot de 2,320 kg de tabac manufacturé étranger, consistant en 116 paquets de cigarettes de marques différentes dont aucun ne portait la vignette de l'État italien attestant le paiement des droits de douane et d'accise. |
9. |
Le patron de l'entreprise, M. Giorgio Domingo Banchero, a été inculpé par la Pretura circondariale di Genova du délit de contrebande prévu par les articles 282, sous f), et 341 du TULD pour avoir été en possession de marchandises étrangères, à savoir du tabac manufacturé sur lequel n'avait pas été apposé le signe distinctif délivré par le monopole, sans pouvoir prouver que ces marchandises avaient été acquises de manière légale. L'inculpé a expliqué au cours de la procédure qu'il avait acheté les tabacs en cause à un inconnu dans la rue près du Ponte Monumentale à Gênes. |
L'ordonnance de renvoi
10. |
La Pretura circondariale di Genova a constate qu'il importait d'obtenir l'interprétation du droit communautaire pour pouvoir statuer dans la présente affaire pénale et a adressé à la Cour le 14 mars 1992 une ordonnance de renvoi comportant plusieurs questions préjudicielles. Par ordonnance du 19 mars 1993, Banchero ( 10 ), la Cour de justice a toutefois déclaré irrecevables les questions au motif que la juridiction de renvoi n'avait pas fourni une description des faits et de la législation italienne applicable suffisante pour permettre à la Cour de répondre utilement aux questions posées. |
11. |
La Pretura circondariale di Genova a par la suite, par ordonnance du 30 juillet 1993, déféré à la Cour de justice un certain nombre de questions préjudicielles portant sur la compatibilité de la législation italienne et du droit communautaire, s'agissant de la vente de tabac:
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12. |
La juridiction nationale indique dans l'ordonnance de renvoi que les tabacs manufacturés étrangers dont il s'agit dans la présente affaire proviennent de la Communauté. |
La recevabilité
13. |
Selon l'ordonnance de renvoi, la première question part de l'idée qu'une éventuelle déclaration d'incompatibilité entre les dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises entre les États membres et la réglementation italienne du monopole des tabacs peut avoir des conséquences sur les sanctions pénales en droit national. A cet égard, la juridiction de renvoi indique qu'il est exclu de retenir une responsabilité pénale du prévenu pour inobservation de règles disproportionnées visant à protéger un monopole incompatible avec la législation communautaire. De la même manière, la juridiction de renvoi fait observer, en ce qui concerne la troisième question, que si le monopole italien du tabac est contraire aux dispositions combinées des articles 90 et 86 du traité, il y a nécessairement des répercussions sur l'infraction pénale. Le chef d'accusation concernerait en effet dans ce cas l'inobservation de dispositions « tendant à la protection d'un monopole incompatible avec l'ordre communautaire ». |
14. |
L'avocat de l'inculpé a fait valoir que la réponse aux questions posées est nécessaire pour statuer sur le point de savoir si M. Banchero est coupable de l'infraction pénale qui lui est reprochée, qui est décrite comme « la détention de marchandises étrangères ... dont il n'a pu démontrer la provenance légale ». Il a en outre attiré l'attention sur les dispositions de l'article 25, paragraphe 2, du TULD. |
15. |
Selon le gouvernement italien, il y a lieu de considérer les première et troisième questions comme irrecevables. L'expression « provenance légitime » à l'article 25, paragraphe 2, du TULD indique seulement qu'il a été versé un droit d'accise pour les marchandises, mais ne permet pas de savoir si les marchandises ont été achetées auprès du monopole ou non. Cela résulte du fait que les dispositions précitées trouvent également application à d'autres marchandises étrangères, par exemple les alcools et les huiles minérales qui ne font pas l'objet d'un monopole commercial. |
16. |
La Commission a fait valoir que les dispositions que M. Banchero est inculpé d'avoir enfreint sont des dispositions de caractère fiscal. La sévérité avec laquelle les infractions à ces dispositions ont été sanctionnées doit toutefois, selon l'avis de la Commission, faire naître le doute sur la compatibilité de la législation applicable avec le droit communautaire, si l'on prend en considération le fait que l'on peut également penser que la législation en cause a pour objectif de protéger le monopole. Même si les questions posées ne sont pas, de l'avis de la Commission, irrecevables de manière générale, la Commission — ainsi que le gouvernement français et le gouvernement espagnol— est cependant d'avis que la juridiction nationale n'a pas indiqué pourquoi elle considère que les articles 5, 85, 92 et 95 du traité sont pertinents pour la solution de l'affaire et que la première question est irrecevable en ce qui concerne ces dispositions. |
17. |
Compte tenu du fait que M. Banchero est inculpé d'un délit d'ordre fiscal — détention de tabac pour lequel il n'a pas été acquitté de droit d'accise —, il peut, selon nous, être à première vue surprenant que l'on doive, le cas échéant, le relaxer en indiquant que le traité doit être interprété de telle manière que la réglementation italienne sur le commerce du tabac n'est pas compatible avec le traité. Il n'est en effet pas contesté dans la présente affaire qu'il n'a pas été versé d'accise sur les marchandises et que la perception d'une accise sur le tabac est compatible avec le droit communautaire ( 11 ). |
18. |
Le fait de savoir si une telle interprétation du droit communautaire au regard de la législation italienne applicable sur le commerce des tabacs manufacturés doit avoir cet effet relève de l'interprétation du droit national — ici, la notion de « provenance légitime » à l'article 25, paragraphe 2, du TULD. La juridiction nationale a indiqué dans l'ordonnance de renvoi que la réponse de la Cour aux questions posées devait nécessairement avoir une influence sur l'appréciation du délit puisqu'à son avis les dispositions applicables ont été introduites pour protéger le monopole. La Cour ne peut, selon nous, prendre position sur l'argument du gouvernement italien, selon lequel il y a lieu d'interpréter l'expression « provenance légitime » figurant à l'article 25, paragraphe 2, d'une manière différente de l'interprétation faite par la juridiction nationale dans l'ordonnance de renvoi. C'est uniquement aux juridictions nationales qu'il incombe de statuer sur les questions d'interprétation du droit national. La procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour de justice telle que prévue à l'article 177 du traité CEE a pour conséquence, selon une jurisprudence constante, que la Cour n'a aucune compétence pour se prononcer à cet égard ( 12 ). |
19. |
De la même manière, les procédures de coopération entre juridictions impliquent que c'est à la juridiction nationale d'apprécier si la réponse donnée par la Cour de justice à la question de l'interprétation du droit communautaire est pertinente pour la décision qu'elle doit prendre dans l'affaire au principal. La Cour ne peut refuser de répondre à une question qui lui a été posée que si le renvoi préjudiciel a été utilisé pour l'amener à statuer par le biais d'un litige construit ou dans les cas où il serait manifeste que la disposition du droit communautaire soumise à l'interprétation de la Cour ne peut trouver à s'appliquer. Les procédures de coopération prévues par l'article 177 du traité ne donnent pas à la Cour pour mission de formuler des opinions consultatives sur des questions générales et hypothétiques mais au contraire de prendre position sur des problèmes définis plus précisément dans le droit communautaire qui sont l'expression d'une nécessité objective pour résoudre un litige ( 13 ). |
20. |
La juridiction nationale ayant justifié le renvoi préjudiciel des questions, il n'y a pas, à notre avis, de base suffisante pour juger globalement que les première et troisième questions sont irrecevables. |
21. |
Par contre, nous partageons l'avis de la Commission selon lequel la juridiction nationale n'a pas suffisamment motivé de quelle manière les articles 5, 85, 92 et 95 du traité mentionnés dans la première question seraient pertinents pour la décision à prendre dans la présente affaire ( 14 ). Nous sommes d'avis par conséquent qu'il n'est pas nécessaire que la Cour prenne position sur la question de savoir si les dispositions précitées font obstacle à l'application d'une législation nationale en cause ici. |
Question 1
22. |
Par sa première question, la juridiction nationale demande à la Cour, en substance, d'apprécier la législation italienne relative au commerce des tabacs manufacturés au regard des dispositions figurant aux articles 30 à 36 du traité sur la libre circulation des marchandises et à l'article 37 sur les monopoles commerciaux. |
23. |
Selon nous, les faits de l'affaire ne fournissent pas de base suffisante pour étudier plus en détail les rapports de la législation nationale et de l'article 37. Dans sa jurisprudence constante, la Cour de justice a jugé que seuls les monopoles à l'importation sont absolument contraires à l'article 37 du traité. Par contre, l'article en lui-même ne fait pas obstacle à un régime national prévoyant un monopole de vente (voir précisément, s'agissant du monopole italien des tabacs manufacturés, l'arrêt du 7 juin 1983, Commission/Italie, 78/82, Rec. p. 1955, point 11). Cet article prescrit un aménagement des règles nationales régissant les droits exclusifs, de manière à ce que soit assurée, dans les conditions de débouchés, l'exclusion de toute discrimination entre les ressortissants des États membres (voir l'arrêt du 13 décembre 1990, Commission/Grèce, C-347/88, Rec. p. I-4747, points 32 et 42, ainsi que l'arrêt du 19 janvier 1993, Commission/Portugal, C-361/90, Rec. p. I-95, point 13). |
24. |
Cependant, depuis l'entrée en vigueur de la loi no 724 du 10 décembre 1975, l'AAMS ne dispose plus du droit exclusif d'importation du tabac, et les possibilités de maintenir une vente d'État, notamment par l'intermédiaire de débits de tabac contrôlés par l'A AMS, ont été supprimées par la loi no 198 du 13 mai 1983. Selon les informations dont nous disposons, les détaillants peuvent, par ailleurs, déterminer eux-même quelles marques de tabac ils entendent vendre. Nous pensons — tout comme la Commission et le gouvernement français — qu'il n'a pas été fourni à la Cour d'indications suffisantes démontrant que le monopole commercial de l'État ne devrait pas être adapté aux exigences de l'article 37 de façon que soit assurée, dans les conditions d'approvisionnement et de débouchés, l'exclusion de toute discrimination entre les ressortissants des États membres. |
25. |
S'agissant de l'article 30 du traité, la Cour a dans sa jurisprudence antérieure jugé qu'une législation nationale qui confère à une catégorie professionnelle déterminée la distribution de certains produits, par le fait qu'elle canalise les ventes, est susceptible d'affecter les possibilités de commercialisation de produits importés et peut, dans ces conditions, constituer une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation ( 15 ). |
26. |
Dans son arrêt du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard ( 16 ), la Cour a cependant revu sa jurisprudence dans ce domaine et l'a précisée. La Cour a fait d'abord observer que « ... conformément à la jurisprudence Cassis de Dijon (arrêt du 20 février 1979, Rewe-Zentral, 120/78, Rec. p. 649), constituent des mesures d'effet équivalent, interdites par l'article 30, les obstacles à la libre circulation des marchandises résultant, en l'absence d'harmonisation des législations, de l'application à des marchandises en provenance d'autres États membres, où elles sont légalement fabriquées et commercialisées, de règles relatives aux conditions auxquelles doivent répondre ces marchandises (telles que celles qui concernent leur dénomination, leur forme, leurs dimensions, leur poids, leur composition, leur présentation, leur étiquetage, leur conditionnement), même si ces règles sont indistinctement applicables à tous les produits, dès lors que cette application ne peut être justifiée par un but d'intérêt général de nature à primer les exigences de la libre circulation des marchandises » ( 17 ). La Cour a considéré ensuite que, contrairement à ce qui avait été jugé jusqu'ici « ... n'est pas apte à entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement le commerce entre les États membres au sens de la jurisprudence Dassonville (arrêt du 11 juillet 1974, 8/74, Rec. p. 837), l'application à des produits en provenance d'autres États membres de dispositions nationales qui limitent ou interdisent certaines modalités de vente, pourvu qu'elles s'appliquent à tous les opérateurs concernés exerçant leur activité sur le territoire national, et pourvu qu'elles affectent de la même manière, en droit comme en fait, la commercialisation des produits nationaux et de ceux en provenance d'autres États membres. En effet, dès lors que ces conditions sont remplies, l'application de réglementations de ce type à la vente de produits en provenance d'un autre État membre et répondant aux règles édictées par cet État n'est pas de nature à empêcher leur accès au marché ou à le gêner davantage qu'elle ne gêne celui des produits nationaux. Ces réglementations échappent donc au domaine d'application de l'article 30 du traité » ( 18 ). La Cour a donc répondu à la question préjudicielle qui lui avait été posée que l'article 30 du traité doit être interprété en ce sens qu'il ne s'applique pas à une législation d'un État membre interdisant de façon générale la revente à perte. |
27. |
Il y a lieu d'en tirer la conclusion que selon la Cour il y a lieu, lors de l'application de l'article 30 du traité, de faire une distinction entre deux groupes de dispositions nationales. Le premier groupe est constitué par des dispositions qui limitent ou interdisent certaines modalités de vente ( 19 ). Le fait que ces dispositions soient appliquées à des produits en provenance d'autres États membres n'est pas apte à entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce entre les États membres, pourvu qu'elles s'appliquent à tous les opérateurs concernés exerçant leur activité sur le territoire national et pourvu qu'elles affectent de la même manière, en droit comme en fait, la commercialisation des produits nationaux et de ceux en provenance d'autres États membres. |
28. |
Si ces conditions ne sont pas remplies, les dispositions qui limitent ou interdisent certaines modalités de vente constituent des mesures d'effet équivalent interdites par l'article 30 du traité. Dans l'arrêt du 10 novembre 1994, Ortscheit ( 20 ), la Cour a jugé que l'interdiction de faire de la publicité pour des médicaments étrangers n'affectait pas de la même manière la commercialisation des médicaments en provenance d'autres États membres et celle des médicaments nationaux et n'était pas par conséquent susceptible d'échapper d'emblée à l'application de l'article 30 du traité. Il y avait lieu de constater par conséquent que l'interdiction litigieuse pouvait restreindre potentiellement le volume des importations des médicaments dans l'État membre en cause et qu'elle constituait par conséquent une mesure d'effet équivalent au sens de l'article 30 du traité. Dans le domaine des prestations de services, la Cour a également jugé, dans son arrêt du 10 mai 1995, Alpine Investments BV ( 21 ), que l'interdiction de prendre contact par teléphone avec des clients potentiels se trouvant dans un autre État membre sans leur consentement préalable est susceptible de constituer une restriction à la libre prestation de services au sens de l'article 59 du traité CEE. La Cour a souligné que l'interdiction en cause émanait de l'État membre dans lequel était établi le prestataire et qu'elle ne concernait pas seulement l'interdiction des offres qu'il avait faites à des destinataires qui sont établis sur le territoire de cet État ou qui s'y déplacent afin de recevoir des services, mais également les offres adressées à des destinataires se trouvant sur le territoire d'un autre État membre. De ce fait, elle conditionne directement l'accès au marché des services dans les autres États membres. |
29. |
Dans son arrêt Keck et Mithouard, la Cour a jugé qu'une disposition nationale qui interdisait la revente à perte faisait partie du groupe de « dispositions qui limitent ou interdisent certaines modalités de vente » et qui ne constituaient pas de manière générale des mesures d'effet équivalent telles que mentionnées à l'article 30 du traité ( 22 ). A ce groupe, la Cour a en outre, par un arrêt du 15 décembre 1993, Hünermund e.a., ajouté une règle déontologique interdisant aux pharmaciens de faire de la publicité, en dehors de l'officine, pour les produits parapharmaceutiques ( 23 ). A cette catégorie, il faut, après l'arrêt du 2 juin 1994, Tankstation 't Heukske et Boermans, rattacher également les règles portant sur les heures d'ouverture des stations services, puisque cette réglementation concerne les circonstances de temps et de lieu dans lesquelles les « marchandises en cause ... peuvent être vendues... » ( 24 ). Dans son arrêt du 2 juin 1994, Punto Casa et PPV, la Cour a par ailleurs ajouté à ce groupe les dispositions nationales relatives à l'interdiction pour les magasins de détail d'ouvrir le dimanche, en indiquant que la réglementation en cause concernait les circonstances « dans lesquelles les marchandises peuvent être vendues aux consommateurs... » ( 25 ). Dans l'arrêt Leclerc-Siplec, la Cour a dernièrement rattaché à ce groupe la réglementation sur l'interdiction de publicité télévisée pour une entreprise du secteur de la distribution puisqu'elle a constaté qu'il s'agissait de l'interdiction « d'une certaine forme de promotion (publicité télévisée) d'une certaine méthode de commercialisation (distribution) de produits » ( 26 ). |
30. |
L'autre groupe comporte tous les autres cas qualifiés, dans l'arrêt Keck et Mithouard précités, d'obstacles à la libre circulation des marchandises résultant de l'application à des marchandises en provenance d'autres États membres où elles sont légalement fabriquées et commercialisées, de règles relatives aux conditions auxquelles doivent répondre ces marchandises, telles que celles qui concernent leur dénomination, leur forme, leurs dimensions, leur poids, leur composition, leur présentation, leur étiquetage, leur conditionnement. Il est sans importance que les règles de ce groupe soient appliquées uniformément aux marchandises nationales et à celles provenant des autres États membres dès lors qu'une telle application ne peut pas être justifiée d'un point de vue général qui prévaudrait sur les considérations liées à la libre circulation des marchandises. La jurisprudence de la Cour, après l'arrêt Keck et Mithouard, assimile à ce groupe les dispositions nationales qui interdisent l'importation et la vente d'une marchandise portant une certaine dénomination ( 27 ) ou qui limitent les possibilités d'indiquer la date de péremption sur l'emballage des marchandises ( 28 ). Ce groupe ne se limite cependant pas aux dispositions nationales applicables à des conditions que les marchandises doivent remplir. Ainsi la Cour a-t-elle, dans l'arrêt du 15 décembre 1993, Ligur Carni e.a. ( 29 ) jugé que des dispositions nationales qui imposaient aux importateurs de viande fraîche soit d'utiliser une certaine entreprise pour le transport et la livraison des marchandises, soit de verser une certaine somme à l'entreprise en cause étaient des mesures d'effet équivalent telles que visées à l'article 30. De la même manière, la Cour, dans son arrêt du 7 octobre 1994, Centre d'insémination de la Crespelle ( 30 ), a jugé que des dispositions nationales imposant à un opérateur économique important des semences bovines provenant d'un autre État membre de la Communauté de livrer à un centre de production agréé était une mesure d'effet équivalent. |
31. |
L'avocat de l'inculpé a fait valoir que les dispositions de l'ordre juridique italien réglementant le commerce de tabac doivent dans leur ensemble être considérées comme des mesures d'effet équivalent au sens de l'article 30 du traité. Il a par ailleurs attiré l'attention sur le fait qu'elles comportent une restriction à l'importation de tabac en Italie puisque ce tabac doit être stocké soit auprès de l'AAMS, soit dans un dépôt auquel il a été accordé une autorisation spéciale. Une restriction réside également dans le fait que les tabacs manufacturés ne peuvent être importés et vendus dans d'autres conditionnements que ceux qui sont prévus par la réglementation italienne et que, d'autre part, ces marchandises doivent figurer dans le barème de prix fixés par le ministre des Finances, ce qui équivaut à exiger une autorisation officielle pour vendre lesdites marchandises. Ces règles ont en pratique pour conséquence que les fabricants étrangers de tabac qui souhaitent vendre leurs marchandises sur le marché italien doivent conclure un accord avec le monopole en ce qui concerne le stockage et la distribution de leurs marchandises. |
32. |
Le gouvernement italien a attiré l'attention sur la récente jurisprudence de la Cour s'agissant de dispositions nationales qui limitent ou interdisent certaines formes de vente. Selon le gouvernement italien, l'ordre juridique italien ne limite pas l'importation de tabac provenant des autres États membres. Ces dispositions tiennent compte, par ailleurs, de considérations en matière de santé publique en même temps qu'elles protègent des recettes publiques dans un domaine dans lequel les marchandises sont soumises à de lourdes taxes. |
33. |
Les gouvernements français et espagnol ont fait valoir que la jurisprudence de la Cour dans les affaires jointes Keck et Mithouard a nécessairement pour conséquence que les dispositions nationales sur les monopoles du commerce de détail ne sont pas des restrictions au sens de l'article 30, pourvu qu'elles s'appliquent de la même façon aux marchandises nationales et étrangères. Des monopoles pour la vente au détail de tabac existent également en France et en Espagne et ils sont motivés, entre autres, par la prévention de l'évasion fiscale. Le gouvernement français a par ailleurs souligné que, dans les villages, les débits de tabac étaient souvent combinés avec des cafés ou avec la vente de journaux et qu'ils ont de ce fait une fonction sociale importante. |
34. |
La Commission a fait valoir que la réglementation italienne du commerce du tabac constitue une mesure d'effet équivalent telle que prévue à l'article 30 du traité. L'interdiction faite à un groupe autre qu'un groupe déterminé de détaillants de vendre du tabac canalise la vente au détail de ces produits de telle manière qu'elle est de nature à limiter leur importation. Selon la Commission, on ne saurait penser qu'une telle interdiction est couverte par la nouvelle jurisprudence que la Cour a introduite avec son arrêt dans les affaires jointes Keck et Mithouard et, même si tel était le cas, cette mesure constituerait une mesure d'effet équivalent puisque le gouvernement italien n'a pas justifié que la réglementation en cause affecte de la même manière, en droit comme en fait, la commercialisation des marchandises nationales et étrangères. Cela est particulièrement clair dans la présente affaire dans laquelle il existe une autorité qui contrôle toute la chaîne du commerce du tabac et dans laquelle il existe en fait un monopole de la vente en gros. On ne saurait justifier la restriction imposée par cette réglementation selon l'article 36 du traité parce qu'elle ne respecte pas le principe de proportionnalité. |
35. |
Selon nous, l'ensemble des règles prévues pour la vente des tabacs manufacturés en cause dans la présente affaire sont différentes des règles que la Cour a assimilées dans les affaires jointes Keck et Mithouard et des arrêts plus récents aux « dispositions qui limitent ou interdisent certaines modalités de vente ». Ces arrêts portaient tous sur des dispositions qui limitaient les possibilités, pour tout ou une partie des opérateurs économiques, de certaines formes de commercialisation d'une manière générale et si peu restrictive que l'on ne pouvait pas établir une présomption selon laquelle il y aurait eu une restriction importante de commercialisation des marchandises importées. |
36. |
Il est, selon nous, logique de conclure que des règles nationales qui disposent que certaines marchandises peuvent uniquement être vendues par un groupe donné de détaillants doivent figurer dans le groupe de règles qui « limitent ou interdisent certaines modalités de ventes ». Dans la présente affaire, il s'agit, au contraire, d'un ensemble de règles qui, pour une marchandise spécifique, à savoir le tabac manufacturé, canalisent la production, l'importation, le stockage et la commercialisation qui sont tous réglementés par une autorité qui perçoit en même temps, par là, les impôts publics et d'autres recettes. Cette réglementation comporte également des exigences en ce qui concerne le conditionnement des marchandises. Il faut également que ces marchandises figurent sur un barème de prix établis par le ministère des Finances pour pouvoir être importées des autres États membres. La réglementation applicable est également combinée dans les faits avec un monopole de la vente en gros; les marchandises importées doivent être stockées dans les dépôts agréés, si elles ne sont pas stockées dans les dépôts de l'autorité publique (voir à cet égard les arrêts Ligur Carni e.a., et Centre d'insémination de la Crespelle, précités. Il n'y a aucun doute, selon nous, sur le fait que l'ensemble de la réglementation italienne relative à la vente du tabac manufacturé est de nature à affecter les possibilités de commercialiser des marchandises importées et qu'il y a lieu, de ce fait, de considérer qu'elle constitue une mesure d'effet équivalent au sens de l'article 30 du traité. |
37. |
Selon l'article 36 du traité, des raisons de protection de la santé et de la vie des personnes peuvent justifier des restrictions à la libre circulation des marchandises. |
38. |
Il est aujourd'hui bien connu que le tabagisme actif et passif est extrêmement dangereux pour la vie et la santé des personnes. Les initiatives que pourraient prendre les États membres en vue de limiter ce risque pour la santé doivent, selon nous, être pleinement soutenues par la Cour, même si de telles initiatives ont pour conséquence des restrictions dans des domaines importants, comme par exemple la libre circulation des marchandises. Plusieurs États membres ont ainsi pris diverses réglementations visant à limiter les risques pour la santé liés au tabagisme actif et passif, comme par exemple par des interdictions de fumer dans les locaux ouverts au public, les restaurants ou autres lieux publics, et limitant le contenu des tabacs en nicotine et en goudrons, l'interdiction de certains tabacs ainsi que l'interdiction de publicité pour les tabacs, etc. |
39. |
Selon nous, il n'y a pas de motif de penser que la réglementation italienne relative à la vente des tabacs ait eu pour objectif de ou soit de nature à protéger la vie et la santé publique en limitant le tabagisme actif ou passif. Il existe, en Italie, 76000 points de vente de tabac manufacturé qui sont implantés, entre autres, en tenant compte des besoins des consommateurs, à la fois selon le chiffre de la population locale et les besoins spécifiques. Les débits de tabac doivent être ouverts à tour de rôle pendant les jours fériés. Il n'existe pas non plus d'élément démontrant que cette réglementation devrait avoir pour conséquence de diminuer la consommation du tabac davantage en Italie que dans les autres États membres. Ces mesures ne peuvent par conséquent pas être justifiées par des considérations de protection de la vie et de la santé des personnes. |
40. |
Des considérations tenant à une perception effective et à un contrôle des impôts et des taxes peuvent justifier certaines restrictions aux échanges dans la Communauté, (voir à cet égard l'arrêt Cassis de Dijon précité, point 26). Il ne peut y avoir aucun doute sur le fait que la réglementation italienne constitue un moyen effectif de garantir le contrôle de la perception des accises sur le tabac manufacturé. Une telle réglementation n'est toutefois selon nous pas nécessaire pour garantir le contrôle effectif de la perception d'accises sur des marchandises fortement imposées. Cet objectif peut également être atteint avec des mesures moins restrictives qui ne sont pas liées à la canalisation de la production, de l'importation, du stockage et de la vente. D'autres États membres ont également un système de contrôle de la perception des impôts dans le domaine du tabac sans avoir besoin d'une telle réglementation. On peut en outre indiquer qu'en Italie les alcools par exemple sont taxés sans qu'il ait été nécessaire d'introduire une réglementation de monopole correspondant. Les dispositions nationales applicables ne sauraient ainsi être justifiées par des considérations liées au contrôle de la perception des accises sur le tabac manufacturé. |
41. |
Les États membres doivent naturellement pouvoir prendre des mesures suffisantes en vue de garantir l'existence indispensable de possibilités d'achat dans les villages. Il est cependant difficile de penser que ces considérations à elles seules peuvent justifier une réglementation aussi sévère que la réglementation italienne. Ces considérations ne sauraient en toute hypothèse justifier le maintien d'un système de monopole en d'autres endroits, notamment dans les grandes villes. Dans certains cas, il faudrait également établir que la vente de tabac a une réelle importance économique et permet de maintenir des kiosques à journaux, des cafés, des bureaux de poste et autres dans les villages. Or, les mesures applicables en Italie ne sauraient non plus être justifiées en invoquant les considérations précitées. |
42. |
En conclusion, nous estimons qu'il convient de répondre à la première question qu'il y a lieu d'interpréter les articles 30 et 36 du traité en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale sur le commerce des tabacs manufacturés telle que celle qui est décrite dans l'ordonnance de renvoi. |
Question 2
43. |
Nous entendons cette question en ce sens que la juridiction de renvoi vise à obtenir une appréciation de la compatibilité de l'article 30 du traité avec une réglementation nationale telle que la réglementation italienne qui prévoit que la détention de tabacs manufacturés n'ayant pas acquitté le droit d'accise fait l'objet d'une sanction pénale et d'autres conséquences juridiques. Une telle réglementation peut-elle constituer une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation contraire à l'article 30 du traité CEE? |
44. |
Des prescriptions ou interdictions sanctionnées pénalement qui visent les importateurs d'une marchandise peuvent selon la jurisprudence de la Cour dans certains cas constituer des mesures d'effet équivalant à l'article 30 du traité. Dans l'arrêt du 15 décembre 1976, Donckerwolcke ( 31 ) la Cour a ainsi constaté qu'une règle nationale qui impose l'exigence de l'indication du pays d'origine sur le document de déclaration en douane d'une marchandise importée tombe sous le coup de la prohibition de l'article 30 du traité s'il est demandé à l'importateur de déclarer, au sujet de l'origine, autre chose que ce qu'il connaît ou peut raisonnablement connaître, ou si l'omission ou l'inexactitude de cette déclaration est frappée de sanctions disproportionnées à la nature d'une infraction à caractère purement administratif. La Cour a par ailleurs dans son arrêt du 11 mai 1989, Wurmser ( 32 ), jugé qu'une disposition nationale imposant aux responsables de la première mise sur le marché national d'un produit de vérifier, sous peine d'engager sa responsabilité pénale, la conformité de ce produit aux prescriptions en vigueur sur ledit marché n'est compatible avec les articles 30 et 36 du traité, qu'à condition que l'importateur puisse se dégager de sa responsabilité en présentant une attestation comme moyen de preuve qu'il a rempli les obligations de contrôle des marchandises qui lui incombent. |
45. |
Dans la présente affaire, la situation est tout autre. M. Banchero est inculpé pour avoir été trouvé en possession de tabacs pour lesquels il n'avait pas acquitté de droit d'accise. Il n'est pas inculpé d'avoir importé, sans payer de droit d'accise, des marchandises qu'il a, selon les renseignements dont nous disposons, achetées à un inconnu dans la rue près du Ponte Monumentale à Gênes. |
46. |
Les dispositions en vertu desquelles il est inculpé ont pour objectif de mettre en œuvre les accises applicables au tabac visées dans la directive 72/464 ( 33 ). Il est normal que les États membres prévoient des sanctions pénales pour imposer la mise en oeuvre de dispositions précitées et qu'ils prévoient une sanction et la confiscation pour ceux qui se trouveraient en possession de marchandises pour lesquelles aucune accise n'a été payée. Ces règles pénales ne font pas obstacle à une importation de marchandises qui respecte les dispositions applicables en matière d'accises qui sont par ailleurs conformes au droit communautaire. |
47. |
Selon nous, il convient de répondre à la question 2 en ce sens qu'une réglementation qui prévoit de punir de sanctions pénales et autres la détention de tabacs pour lesquels il n'a pas été acquitté de droit d'accise ne relève pas de l'article 30 du traité. |
Question 3
48. |
Par sa troisième question, la juridiction de renvoi vise à connaître la position de la Cour sur la question de savoir si une réglementation nationale telle que la réglementation italienne sur la distribution au détail des tabacs est compatible avec les dispositions des articles 86 et 90 du traité. Cette question se pose parce que la juridiction de renvoi a des doutes sur le point de savoir si le détaillant — en raison, entre autres, des règles fixant les heures d'ouverture et compte tenu des grèves — peut satisfaire la demande du consommateur. |
49. |
L'avocat de l'inculpé a fait valoir que l'ensemble des activités de l'AAMS au stade de la vente au détail relevait de l'article 90 du traité puisque les débits de tabac peuvent être considérés comme une partie de l'AAMS ou occupent collectivement une position dominante. Il serait par conséquent contraire à l'article 86 d'accorder des droits exclusifs à l'AAMS, au motif que les fumeurs devraient pouvoir acheter du tabac toute la journée et librement dans les débits de tabac qui souhaitent leur en vendre et que la limitation du nombre des détaillants constitue une limitation à la commercialisation des tabacs préjudiciable aux consommateurs. |
50. |
La Commission a indiqué — soutenue en cela par le gouvernement italien — que, selon la législation italienne applicable, l'AAMS ne peut pas opérer elle-même comme entreprise ayant pour objet la vente en détail des tabacs manufacturés et que, sur ce marché, l'activité de l'AAMS à l'égard des débits de tabacs constitue une activité d'autorité publique consistant à délivrer des autorisations. Selon la Commission, l'AAMS ne peut donc être définie comme une entreprise qui exerce sur les détaillants un contrôle tel que ceux-ci n'opèrent en réalité que comme organes de l'AAMS. L'article 90 du traité ne s'applique par conséquent pas. |
51. |
Selon le droit italien, l'AAMS n'est pas autorisée à vendre des tabacs au détail. Le fait qu'une activité donnée dépende de l'octroi d'une autorisation n'a pas en soi pour conséquence que l'organisme qui délivre ladite autorisation ou son titulaire puissent être considérés comme une seule entreprise au sens de l'article 86 du traité. L'AAMS et les divers négociants qui commercialisent les tabacs manufacturés peuvent dans le cadre des règles de concurrence du traité uniquement être considérés comme une seule et même entreprise, si ces entreprises forment une unité économique à l'intérieur de laquelle chaque détaillant ne jouit pas d'une autonomie réelle dans la détermination de sa ligne d'action sur le marché et si ces accords ou pratiques ont pour but d'établir une répartition interne des tâches entre les entreprises ( 34 ). |
52. |
Il est sûr que c'est l'État italien (par l'intermédiaire du ministre des Finances) qui fixe les prix de vente ainsi que les avances que doivent verser les détaillants tout comme c'est également l'État (par l'intermédiaire des inspecteurs régionaux de l'AAMS) qui, après avoir entendu les autorités municipales, fixe les heures d'ouverture des débits de tabac. Cependant, ces circonstances ne sauraient, selon nous, être considérées comme suffisantes pour dire que l'AAMS et les 76000 détaillants peuvent être considérés comme constituant une seule et même entreprise pour l'application des règles de concurrence du traité. Il n'y a par exemple aucun rapport de propriété entre l'AAMS et les différents débits de tabac qui constituent des unités juridiques indépendantes. Selon les informations dont nous disposons, les détaillants supportent eux-mêmes le risque de perte sur les tabacs qu'ils ne vendent pas. Enfin, il faut accorder de l'importance au fait que les détaillants décident eux-mêmes quelles sont les marques de tabac qu'ils entendent commercialiser parmi les marques distribuées par l'AAMS. Dans ce contexte, les conditions posées par la troisième question de la juridiction de renvoi, à savoir que l'AAMS opère sur le marché de détail des tabacs manufacturés, ne sont pas réunies. |
53. |
Nous proposons par conséquent à la Cour de répondre à la troisième question en ce sens qu'une autorité publique qui ne peut pas procéder elle-même à la vente au détail de tabacs manufacturés et qui a compétence pour délivrer des autorisations d'exercer cette activité à d'autres opérateurs économiques qui vendent lesdites marchandises au détail ne constitue pas une entreprise au sens des articles 86 et 90 du traité. |
Conclusion
54. |
Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre aux questions posées par l'ordonnance du Pretore di Genova du 30 juillet 1993 comme suit:
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( *1 ) Langue originale: le danois.
( 1 ) GURI no 9 du 13 janvier 1958.
( 2 ) GURI no 4 du 7 janvier 1976.
( 3 ) Sur la compatibilité avec l'article 37 du monopole d'importation qui existait jusqu'à la mise en œuvre de la loi précitée, voir l'arrêt de la Cour du 3 février 1976, Mangnera e.a., (59/75, Rec. p. 91).
( 4 ) La possibilité de maintenir une vente d'État, notamment par l'intermédiaire de débits de tabacs de l'AAMS, a été supprimée par la loi no 198 du 13 mai 1983 (GURI no 138 du 21 mai 1983).
( 5 ) GURI no 65 du 16 mars 1985.
( 6 ) Voir, à cet égard, l'arrêt de la Cour du 28 avril 1993, Commission/Italie (C-306/91, Rec. p. I-2133).
( 7 ) GURI no 199 du 26 juillet 1942.
( 8 ) GURI no 27 du 2 février 1951.
( 9 ) Décret no 43 du président de la république du 23 janvier 1973 tel qu'il a été modifié ultérieurement.
( 10 ) C-157/92, Rec. p. I-1085.
( 11 ) Voir articles 2 et 4 de la directive 72/464/CEE du Conseil, du 19 décembre 1972, concernant les impôts autres que les taxes sur le chiffre d'affaires frappant la consommation des tabacs manufacturés, telle que modifiée par la directive 77/805/CEE du Conseil, du 19 décembre 1977 (JO L 338, p. 22).
( 12 ) Voir par exemple l'arrêt du 16 avril 1991, Eurim-Pharm (C-347/89, Rec. p. I-1747).
( 13 ) Voir les arrêts du 16 décembre 1981, Foglia (244/80, Rec. p. 3045), du 8 novembre 1990, Gmurzynska/Bscher (C-231/89, Rec. p. I-4003, point 23), et du 9 février 1995, Leclerc-Siplec (C-412/93, Rec. p. I-179).
( 14 ) Voir par exemple arrêt du 28 mars 1979, ICAP (222/78, Rec. p. 1163).
( 15 ) En dernier lieu, l'arrêt du 25 mai 1993, LPO (C-271/92, Rec. p. I-2899, point 7).
( 16 ) C-267/91 et C-268/91, Rec. p. I-6097.
( 17 ) Point 15.
( 18 ) Points 16 et 17.
( 19 ) L'autre groupe est décrit plus précisément ci-dessous au point 30.
( 20 ) C-320/93, Rec. p. I-5243.
( 21 ) C-384/93, Rec. p. I-1141.
( 22 ) Arrêt précité note 16.
( 23 ) C-292/92, Rec. p. I-6787.
( 24 ) C-401/92 et C-402/92, Rec. p. I-2199.
( 25 ) C-69/93 et C-258/93, Rec. p. I-2355, point 13.
( 26 ) Arrêt précité note 13.
( 27 ) Arrêt du 2 février 1994, Verband Sozialer Wettberverb (C-315/92, Rec. p. I-317).
( 28 ) Arrêt du 1er juin 1994, Commission/Allemagne (C-317/92, Rec. p. I-2039).
( 29 ) C-277/91, C-318/91 et C-319/91, Rec. p. I-6621.
( 30 ) C-323/93, Rec. p. I-5077.
( 31 ) 41/76, Rec. p. 1921.
( 32 ) 25/88, Rec. p. 1105.
( 33 ) JO L 303, p. 1.
( 34 ) Voir les arrêts de la Cour du 31 octobre 1974, Centrafarm, (15/74, Rec. p. 1147, point 41); du 12 juillet 1984, Hydrotherm (170/83, Rec. p. 2999, point 11, ainsi que du 4 mai 1988, Bodson (30/87, Rec. p. 2479, points 19 et 20).