61993C0342

Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 6 juin 1995. - Joan Gillespie et autres contre Northern Health and Social Services Boards, Department of Health and Social Services, Eastern Health and Social Services Board et Southern Health and Social Services Board. - Demande de décision préjudicielle: Court of Appeal (Northern Ireland) - Royaume-Uni. - Egalité de traitement entre hommes et femmes - Rémunération pendant le congé de maternité. - Affaire C-342/93.

Recueil de jurisprudence 1996 page I-00475


Conclusions de l'avocat général


++++

1 Par ordonnance en date du 25 juin 1993, la Court of Appeal in Northern Ireland (ci-après la «Court of Appeal») a posé quatre questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 119 du traité CEE et de certaines dispositions de la directive 75/117/CEE du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins (1), ainsi que de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (2).

Le cadre factuel

2 Dans le courant de l'année 1988, dix-sept femmes, dont Mme Gillespie (ci-après les «requérantes au principal»), employées auprès de plusieurs Health Boards publics en Irlande du Nord (3) (ci-après les «défendeurs au principal»), ont bénéficié d'un congé de maternité.

3 Conformément aux dispositions conventionnelles (4) régissant leurs salaires durant ces congés, elles ont perçu au cours de cette période:

- un salaire hebdomadaire complet pendant quatre semaines; - les neuf dixièmes de ce salaire complet pendant deux semaines; - la moitié de ce salaire complet pendant douze semaines.

4 En novembre 1988, des négociations au sein des services de santé ont abouti à des augmentations salariales rétroactives prenant effet à compter du 1er avril 1988.

5 Les méthodes de calcul de la rémunération des requérantes au principal durant leur congé de maternité, telles qu'elles résultent de la loi nationale, auraient entraîné:

- une réduction de salaire; - une perte du bénéfice d'une partie de l'augmentation du salaire.

6 Estimant que toute diminution de salaire et toute exclusion du bénéfice de majoration de salaire durant un congé de maternité seraient contraires au principe d'égalité de rémunérations posé par les articles 119 du traité et 1er de la directive 75/117 et au principe d'égalité de traitement posé par la directive 76/207, les requérantes au principal ont demandé à bénéficier du nouvel accord salarial et ont interjeté appel de la décision rendue le 10 juin 1991 par l'Industrial Tribunal qui ne faisait pas droit à leur demande.

7 C'est dans ces conditions que la Court of Appeal vous a saisis des quatre questions préjudicielles suivantes:

«1) Les dispositions suivantes, ou l'une d'entre elles, à savoir (i) l'article 119 du traité de Rome, (ii) la directive relative à l'égalité de rémunération (75/117/CEE), ou (iii) la directive sur l'égalité de traitement (76/207/CEE) (ci-après les `dispositions pertinentes') imposent-elles que, lorsqu'une femme est absente de son travail en raison du congé de maternité que lui accorde la législation nationale pertinente ou son contrat de travail, elle reçoive la totalité du salaire auquel elle aurait eu droit si, à ce moment-là, elle avait travaillé normalement pour son employeur?

2) En cas de réponse négative à la première question, les dispositions pertinentes exigent-elles que, lorsqu'une femme se trouve en congé de maternité, le montant de son salaire soit déterminé par référence à certains critères particuliers?

3) En cas de réponse affirmative à la deuxième question, quels sont ces critères?

4) En cas de réponse négative à la première question comme à la deuxième question, convient-il de constater qu'aucune des dispositions pertinentes n'est applicable ou ne produit d'effet en ce qui concerne le montant du salaire auquel a droit une femme en congé de maternité?»

8 Ces questions préjudicielles en interprétation sont très étroitement liées entre elles. A la première question, il vous est demandé de dire si les textes communautaires imposent que la femme, durant son congé de maternité, reçoive l'intégralité du salaire qui aurait été le sien si elle avait travaillé normalement durant cette période. Nous répondrons à cette question en premier lieu. La troisième question précise la deuxième. En cas de réponse négative à la première question, il vous est demandé, en substance, de dire si ces mêmes textes permettent de déterminer les critères qu'une prestation inférieure à ce salaire devrait respecter. En cas de réponse négative aux première et deuxième questions, il vous est demandé de dire si le montant du salaire de la femme durant son congé de maternité n'est pas prévu par le législateur communautaire. Nous traiterons ces trois questions dans une deuxième partie. C'est, à notre connaissance, la première fois que vous avez à vous prononcer sur ces points.

Réponse à la première question: Le droit communautaire s'oppose-t-il à ce que la travailleuse, durant son congé de maternité, ne perçoive pas l'intégralité du salaire qu'elle aurait perçu si elle avait travaillé normalement?

9 Pour répondre à cette question, il est nécessaire de délimiter la portée du principe de l'égalité des rémunérations contenu dans les articles 119 du traité et 1er de la directive 75/117 (II) et celui de la légitimité du droit à la protection de la travailleuse enceinte prévu par la directive 76/207 (III), après avoir opéré la présentation des dispositions nationales et communautaires pertinentes (I).

I - Le cadre juridique

A - Le régime national légal et conventionnel applicable à la femme durant son congé de maternité

10 En Irlande du Nord, le régime légal est contenu dans le Social Security (Northern Ireland) Order 1986 et dans le Statutory Maternity Pay (General) Regulations (Northern Ireland) 1987. Quant au régime conventionnel, il est prévu par le Council Handbook, adopté par le Joint Councils for the Health and Personal Social Services (Northern Ireland).

11 Le régime légal et le régime conventionnel présentent les similitudes suivantes:

1) sous réserve de remplir les conditions requises (5) permettant l'ouverture du droit à la perception d'un salaire durant le congé de maternité, la travailleuse aura droit à dix-huit semaines de congé de maternité rémunérées;

2) le salaire hebdomadaire accordé durant le congé de maternité (ci-après le «SHCM») est calculé selon la méthode prévue à l'article 21 du régime de 1987, à savoir:

a) total des salaires bruts de l'employée durant les deux mois précédant la semaine de référence (6) (ci-après le «SB»),

b) multiplié par six, c) divisé par cinquante-deux; ou encore: SHCM = SB x 6 52

12 Le SHCM servira de base de calcul (7) à la rémunération versée à l'employée durant son congé de maternité.

13 Le montant de ce salaire est différent selon que l'on se situe dans le régime légal ou dans le régime conventionnel.

14 Ainsi, le régime légal prévoit que la travailleuse aura droit:

a) aux neuf dixièmes du SHCM pendant six semaines,

b) puis à une indemnité forfaitaire de 47,95 UKL durant douze semaines.

15 En revanche, le régime conventionnel est plus favorable puisqu'il lui accorde:

a) le SHCM entier pendant quatre semaines; b) les neuf dixièmes du SHCM pendant deux semaines; c) la moitié du SHCM pendant douze semaines.

16 Il est incontestable que l'application de ces régimes, légal et conventionnel, a pour effet de réduire le montant des salaires versés aux travailleuses irlandaises pendant la durée de leur congé de maternité.

B - Les textes communautaires

17 Les demanderesses au principal fondent leur action sur trois textes communautaires: l'article 119 du traité et certaines dispositions des directives 75/117 et 76/207.

18 L'article 119 du traité dispose que:

«Chaque État membre assure au cours de la première étape, et maintient par la suite, l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins pour un même travail.

Par rémunération, il faut entendre, au sens du présent article, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier.

L'égalité de rémunération, sans discrimination fondée sur le sexe, implique:

a) que la rémunération accordée pour un même travail payé à la tâche soit établie sur la base d'une même unité de mesure,

b) que la rémunération accordée pour un travail payé au temps soit la même pour un même poste de travail.»

19 Quant à l'article 1er de la directive 75/117, il énonce que:

«Le principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins, qui figure à l'article 119 du traité et qui est ci-après dénommé `principe de l'égalité des rémunérations', implique, pour un même travail ou pour un travail auquel est attribuée une valeur égale, l'élimination, dans l'ensemble des éléments et conditions de rémunération, de toute discrimination fondée sur le sexe.

En particulier, lorsqu'un système de classification professionnelle est utilisé pour la détermination des rémunérations, ce système doit être basé sur des critères communs aux travailleurs masculins et féminins et établi de manière à exclure les discriminations fondées sur le sexe.»

20 Les dispositions pertinentes de la directive 76/207 sont prévues aux articles 2, paragraphes 1 et 3, et 5, paragraphes 1 et 2, sous c):

«Article 2

1) Le principe de l'égalité de traitement au sens des dispositions ci-après implique l'absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement par référence, notamment, à l'état matrimonial ou familial.

...

3) La présente directive ne fait pas obstacle aux dispositions relatives à la protection de la femme, notamment en ce qui concerne la grossesse et la maternité.»

«Article 5

1) L'application du principe de l'égalité de traitement en ce qui concerne les conditions de travail, y compris les conditions de licenciement, implique que soient assurées aux hommes et aux femmes les mêmes conditions, sans discrimination fondée sur le sexe.

2) A cet effet, les États membres prennent les mesures nécessaires afin que:

...

c) soient révisées celles des dispositions législatives, réglementaires et administratives contraires au principe de l'égalité de traitement lorsque le souci de protection qui les a inspirées à l'origine n'est plus fondé; que, pour les dispositions conventionnelles de même nature, les partenaires sociaux soient invités à procéder aux révisions souhaitables.»

II - Le principe d'égalité des rémunérations contenu aux articles 119 du traité et 1er de la directive 75/117 implique-t-il l'obligation de maintenir l'intégralité du salaire de la travailleuse en congé de maternité?

Répondre à cette question nécessite de procéder à l'analyse du contenu et de la portée de ce principe.

21 S'il est manifeste - et ce n'est pas contesté - que le salaire perçu par les requérantes au principal, en application des textes nationaux visés, constitue une rémunération au sens de l'article 119 du traité et de l'article 1er de la directive 75/117 (8), peut-on tirer argument du fait que l'énoncé de ces textes communautaires ne fasse pas référence à l'état de grossesse des employées pour soutenir que cette catégorie de travailleurs est exclue du champ d'application de cette réglementation? La réponse à cette question nécessite l'étude de la ratio legis des textes communautaires ainsi invoqués.

22 Dès 1974 (9), le législateur communautaire constate que le principe d'égalité entre les hommes et les femmes en matière de rémunérations (10) ainsi qu'en matière d'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, aux conditions de travail (11), est souvent formel (12). Dans la mesure où il considère ce principe comme fondamental, il s'assigne un but qu'il pose comme étant un objectif prioritaire (13), à savoir celui de se doter d'instruments juridiques permettant l'adéquation des faits au droit. Sur le fondement de l'article 2 du traité CE, il annonce un programme d'actions sociales à venir. Il indique également que ce programme d'actions sociales positives, tendant à coordonner les législations nationales, sera mis en oeuvre progressivement. Il se dotera ainsi d'instruments juridiques spécifiques afin de protéger la femme dans sa vie professionnelle contre tout traitement inégalitaire constaté dans les faits.

23 Parmi les mesures sociales positives permettant de réaliser cet objectif, il annonce une proposition de directive sur la mise en oeuvre du principe de l'égalité des rémunérations entre les hommes et les femmes. Il s'agit de la directive 75/117 qui constitue donc la première mesure d'action sociale menée par le Conseil. Le but de cette directive est de donner valeur positive au principe d'égalité des rémunérations entre travailleurs féminins et masculins tel qu'il figure à l'article 119 du traité (14).

24 Les mesures destinées à protéger la travailleuse en raison de sa grossesse sont des applications concrètes et spéciales des textes généraux applicables aux femmes.

25 A l'article 1er de la directive 75/117, il n'est pas question de la travailleuse enceinte mais dans la mesure où seules les femmes peuvent mettre au monde un enfant cette différence biologique entre la femme et l'homme ne doit pas être facteur de discrimination en matière de rémunérations.

26 Ainsi, il ne pourrait être tiré argument du fait qu'une femme est enceinte pour réduire son salaire en soutenant que sa productivité a diminué, ou encore que son état de grossesse nécessite des aménagements particuliers justifiant une baisse de salaire. Par conséquent, conformément aux dispositions de l'article 119 du traité et de l'article 1er de la directive 75/117, l'état de grossesse d'une femme est sans aucune influence sur la rémunération de cette dernière lorsqu'elle travaille, c'est-à-dire avant son congé de maternité. En disposer différemment constituerait, à n'en point douter, une discrimination directe fondée sur le sexe.

27 De ce fait, l'article 1er de la directive 75/117 disposant, rappelons-le, que «Le principe d'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins, qui figure à l'article 119 du traité et qui est ci-après dénommé `principe de l'égalité des rémunérations', implique, pour un même travail ou pour un travail auquel est attribuée une valeur égale, l'élimination, dans l'ensemble des éléments et conditions de rémunération, de toute discrimination fondée sur le sexe» doit être interprété en ce sens que la femme enceinte, lorsqu'elle travaille, doit être traitée de façon identique à la situation qui était la sienne avant ce nouvel état, c'est-à-dire sa grossesse. Le législateur communautaire ne donne aucune indication sur le montant qu'un tel salaire doit respecter. La détermination du montant de ce salaire est du ressort des autorités nationales compétentes. Toutefois, il rappelle que le principe fondamental d'égalité entre les sexes commande à ce que soit attribué pour un même travail accompli par un homme ou une femme ou pour un travail de même valeur un même salaire.

28 Pour illustrer notre propos, en reprenant les faits décrits dans l'affaire présente, le principe de l'égalité des rémunérations impose que la travailleuse enceinte quittant son travail pour congé de maternité postérieurement au mois d'avril doive bénéficier d'un salaire intégral majoré, antérieurement à son congé de maternité, c'est-à-dire durant les mois au cours desquels elle a effectivement travaillé. Ainsi la travailleuse quittant son travail en juillet devra bénéficier d'un rattrapage de salaire, tenant compte de l'intégralité de l'augmentation accordée en novembre, pour les mois d'avril à juillet. L'inverse reviendrait à violer les dispositions de l'article 119 du traité et de l'article 1er de la directive 75/117.

29 Mais, dans l'affaire qui nous occupe, les requérantes au principal contestent le montant des salaires perçus au cours de leur congé de maternité, donc à une période durant laquelle elles ne travaillaient pas. Sur le fondement du principe de l'égalité des rémunérations prévu à l'article 119 du traité et à la directive 75/117, elles soutiennent qu'elles ont droit au salaire qui aurait été le leur si elles avaient continué à travailler.

30 Nous l'avons vu, la mise en oeuvre de ce principe suppose l'existence d'une discrimination fondée sur le sexe. S'agissant de la notion de discrimination, votre jurisprudence constante est claire et clairement établie (15). Vous l'avez encore jugé récemment dans un arrêt du 14 février 1995, Schumacker, et avez, par là même, confirmé cette jurisprudence:

«(La) discrimination ne peut consister que dans l'application de règles différentes à des situations comparables ou bien dans l'application de la même règle à des situations différentes» (16).

31 Or, dans un arrêt en date du 14 juillet 1994, Webb (17), vous avez dit pour droit que la situation d'un travailleur féminin se trouvant dans l'incapacité d'accomplir la tâche pour laquelle il a été recruté en raison de sa grossesse constitue une situation sui generis nullement comparable à celle d'un homme également dans l'incapacité de travailler pour raisons médicales ou autre: «... l'état de grossesse n'(étant) aucunement assimilable à un état pathologique, a fortiori à une indisponibilité d'origine non médicale, situations qui, elles, peuvent motiver le licenciement d'une femme sans que pour autant ce licenciement soit discriminatoire en raison du sexe.»

32 Il serait a fortiori juridiquement incorrect de vouloir comparer la situation d'un travailleur à son poste de travail à celle d'une travailleuse en congé de maternité. Dès lors, les dispositions des articles 119 du traité et 1er de la directive 75/117 ne sont pas pertinentes dans notre affaire.

33 Toutefois, avant d'aborder le dernier point de notre premier développement, il convient d'observer que les pièces de procédure ne nous permettent pas d'exclure de façon certaine une des prétentions des requérantes au principal (bénéfice rétroactif de la majoration salariale (18)). En effet, le principe de l'égalité des rémunérations résultant des dispositions communautaires susvisées s'opposerait à ce que, par l'effet conjugué de la méthode légale de recalcul du SHCM majoré (19) et du régime d'octroi de la majoration de salaire fixé par les défendeurs au principal (20), le groupe particulier des travailleuses enceintes ne soit essentiellement exclu du bénéfice de la majoration salariale ainsi accordée. En toutes hypothèses, il appartiendrait au juge de renvoi de procéder à cette vérification.

III - Le principe du droit légitime de protection de la femme enceinte contenu dans la directive 76/207 implique-t-il l'obligation de maintenir le salaire de la travailleuse en congé de maternité?

Répondre à cette question nécessite également de procéder à l'analyse du contenu et de la portée de ce principe.

34 Nous soutenons que, sur le fondement de la directive 76/207, il doit également être répondu par la négative à cette question préjudicielle pour trois raisons essentielles: la lettre du texte communautaire en question, sa ratio legis ainsi que votre jurisprudence.

35 En premier lieu, la directive 76/207 ne contient aucune disposition ni aucune indication sur le montant de la rémunération qui devrait être accordé à la travailleuse durant son congé de maternité. Aux termes de l'article 2, paragraphes 1 et 3, et 5, paragraphe 1, cette directive pose le principe de la légitimité du droit à la protection de la travailleuse enceinte. Par conséquent, ce texte autorise, subsidiairement, les États membres à prendre des mesures spécifiques de protection à l'égard des femmes, mais il n'a pas pour but d'opérer une harmonisation dans ce domaine. Cette matière, c'est-à-dire la détermination du montant du salaire de la travailleuse durant son congé de maternité, relève donc du pouvoir exclusif des États membres.

36 La seule mesure d'harmonisation prévue par la directive 76/207 - cela résulte de la combinaison des paragraphes 1 de ses articles 2 et 5 - réside dans l'interdiction du licenciement durant la période de congé de maternité. Vous l'avez d'ailleurs constamment décidé en disant pour droit qu'un tel licenciement constitue une mesure discriminatoire directement fondée sur le sexe (21). Vous avez également assimilé le refus d'embauche pour raison de grossesse à pareil licenciement (22).

37 En second lieu, la ratio legis de cette directive est clairement exposée dans son préambule par le renvoi à la résolution du Conseil en date du 21 janvier 1974. Elle fait partie du programme d'actions sociales annoncé par le législateur communautaire dès 1974. Son but est d'étendre l'application du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes à l'accès à l'emploi et aux conditions de travail autres que celles touchant à la rémunération (23). En effet, la directive 76/207 n'a pour objet ni d'harmoniser les textes en matière de rémunérations - la directive 75/117 a été spécialement édictée pour ce faire (24) - ni d'instaurer un régime communautaire spécifique de protection en faveur de la travailleuse enceinte. La directive 76/207 a pour but de rétablir l'égalité des chances entre les hommes et les femmes «... en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes dans les domaines visés à l'article 1er, paragraphe 1» (25). Elle légitime les dérogations au strict principe d'égalité entre les sexes dans le but de réduire ou d'éliminer les conséquences inégalitaires qui résultent de la condition biologique de la femme durant cette période très particulière. En d'autres termes, et en empruntant les mots de la doctrine, cette directive, qui consacre le droit à la protection de la femme en cas de grossesse et de maternité «... en réservant aux femmes l'usage de certains droits, ou même en leur refusant l'exercice de certaines activités néfastes, (a pour but) de rétablir concrètement une égalité que la stricte parité des normes juridiques ne conduirait qu'à rompre» (26). Sur ce point, notre analyse rejoint celle de l'avocat général M. Tesauro dans ses conclusions présentées le 6 avril 1995 dans l'affaire Kalanke, en cours (27).

38 En troisième lieu, l'analyse de votre jurisprudence nous permet également d'affirmer qu'aucune disposition de la directive 76/207 ne permet de répondre affirmativement aux questions posées par la Court of Appeal.

39 Tout d'abord, vous vous êtes prononcés sur la ratio legis de cette directive à l'occasion d'un arrêt du 12 juillet 1984, Hofmann:

«... la directive n'a pas pour objet de régler des questions relatives à l'organisation de la famille ou de modifier la répartition des responsabilités au sein du couple» (28).

«Il y a lieu de préciser ensuite, en ce qui concerne le paragraphe 3 en particulier, qu'en réservant aux États membres le droit de maintenir ou d'introduire des dispositions destinées à protéger la femme en ce qui concerne `la grossesse et la maternité', la directive reconnaît la légitimité, par rapport au principe de l'égalité, de la protection de deux ordres de besoins de la femme. Il s'agit d'assurer, d'une part, la protection de la condition biologique de la femme au cours de sa grossesse et à la suite de celle-ci, jusqu'à un moment où ses fonctions physiologiques et psychiques sont normalisées à la suite de l'accouchement, et, d'autre part, la protection des rapports particuliers entre la femme et son enfant au cours de la période qui fait suite à la grossesse et à l'accouchement, en évitant que ces rapports soient troublés par le cumul des charges résultant de l'exercice simultané d'une activité professionnelle» (29).

40 Vous avez donc reconnu aux États membres la possibilité de mettre en oeuvre des textes d'exception en faveur des femmes enceintes mais avez posé des limites au pouvoir d'appréciation que vous leur avez reconnu.

41 Vous avez ainsi jugé, dans un arrêt en date du 15 mai 1986, Johnston (30), que l'article 2, paragraphe 3, de la directive 76/207 est d'interprétation stricte:

«... tout comme l'article 2, paragraphe 2, de la directive, son paragraphe 3, qui détermine également la portée de l'article 3, paragraphe 2, sous c), est d'interprétation stricte. Il résulte de la mention expresse de la grossesse et de la maternité que la directive entend assurer, d'une part, la protection de la condition biologique de la femme et, d'autre part, les rapports particuliers entre la femme et son enfant. Cette disposition de la directive ne permet donc pas d'exclure les femmes d'un emploi au motif que l'opinion publique exigerait qu'elles soient davantage protégées que les hommes contre des risques qui concernent les hommes et les femmes de la même manière et qui sont distincts des besoins de protection spécifiques de la femme tels que les besoins expressément mentionnés.»

42 De même, dans un arrêt du 25 octobre 1988, Commission/France (31), vous avez confirmé cette position en disant pour droit que le paragraphe 3 de l'article 2 ne saurait justifier des mesures visant à la protection des femmes au titre de qualités qui ne leur sont pas propres, par exemple: les qualités de travailleur âgé ou de parent.

43 Vous avez de ce fait limité le pouvoir d'appréciation des États membres, en ce qui concerne les mesures sociales qu'ils prennent en vue d'assurer la protection de la femme enceinte et accouchée, d'une part, à la compensation des désavantages de fait en matière de conservation de l'emploi que la femme subit à la différence de l'homme, d'autre part, la protection de deux ordres de besoins de la femme tels qu'ils sont définis par votre arrêt Hofmann, précité (32).

44 Vous vous êtes également prononcés sur le point de savoir comment interpréter ces textes communautaires en l'absence de réglementation nationale particulière prévoyant des mesures en faveur des femmes enceintes.

45 Ainsi, dans l'affaire «Hertz», qui a donné lieu à un arrêt en date du 8 novembre 1990 (33), il vous était demandé de dire si un licenciement motivé par les absences répétées d'une travailleuse pour cause de maladie trouvant son origine dans la grossesse était contraire aux dispositions de la directive 76/207. Vous avez refusé - en l'absence de règle nationale spécifique justifiée par les dispositions de l'article 2, paragraphe 3 - de considérer que les dispositions combinées des articles 2, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, de la directive 76/207 s'y opposaient et avez dit pour droit que pareil licenciement ne constituait pas une mesure discriminatoire (34).

46 Vous avez donc refusé d'étendre le champ d'application ratione materiae de la protection des travailleuses enceintes prévue par la directive 76/207 (35), en l'absence de règles nationales prises en application des dispositions de l'article 2, paragraphe 3, de la directive 76/207. De ce fait, vous ne sauriez admettre qu'une disposition nationale, de nature légale ou conventionnelle, n'imposant pas aux employeurs de maintenir le salaire d'une travailleuse durant son congé de maternité soit contraire au droit communautaire.

47 En outre, comme le fait observer le gouvernement irlandais, les salaires reçus par les requérantes au principal ne représentent pas à eux seuls l'ensemble des prestations accordées à la travailleuse en congé de maternité. Ainsi, dans le cadre de la politique sociale poursuivie par les autorités irlandaises, d'autres prestations assurant la protection de la travailleuse peuvent exister. Cette observation nous paraît très importante et, en reprenant vos propres termes énoncés dans l'arrêt Hofmann, précité:

«De telles mesures (les mesures de protection de la femme en ce qui concerne la grossesse et la maternité), ainsi que le gouvernement du Royaume-Uni l'a relevé avec raison, sont étroitement liées à l'ensemble du système de protection sociale des différents États membres. Il convient, dès lors, de constater que ces États disposent d'une marge d'appréciation raisonnable en ce qui concerne la nature des mesures de protection et les modalités concrètes de leur réalisation» (36).

48 Par conséquent, en l'absence de texte communautaire d'harmonisation, il ne peut être valablement soutenu qu'une législation nationale ne prévoyant pas le maintien du salaire durant le congé de maternité est contraire aux dispositions combinées des articles 2, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, de la directive 76/207. En décider autrement, comme l'a fait observer le gouvernement irlandais, comporterait le risque de bouleverser l'équilibre d'un système global de protection sociale.

49 Un régime spécifique de protection de la travailleuse enceinte, accouchée et allaitante a été édicté par le législateur communautaire. Il s'agit de la directive 92/85/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992 (37). Ce texte communautaire, qui entend coordonner les conditions de travail de cette catégorie de travailleuses dans les États membres, est entré en vigueur le 19 octobre 1994. Bien qu'il ne soit pas applicable à la présente affaire, il est intéressant de noter que le texte initial relatif à la protection au travail de la femme enceinte ou venant d'accoucher, tel que rédigé par la Commission et proposé au Conseil le 17 octobre 1990 (38), comportait, en son article 5 (39), le maintien de la rémunération de la femme durant son congé de maternité (à savoir au moins quatorze semaines). Cette proposition n'a pas été retenue par le Conseil. En effet, l'article 11 de la directive 92/85 dispose que:

«En vue de garantir aux travailleuses, au sens de l'article 2 (c'est-à-dire les travailleuses enceintes, accouchées ou/et allaitantes), l'exercice des droits de protection de leur sécurité et de leur santé reconnus dans le présent article, il est prévu que:

...

2) dans le cas visé à l'article 8 (à savoir le congé de maternité), doivent être assurés:

...

b) le maintien d'une rémunération et/ou le bénéfice d'une prestation adéquate des travailleuses au sens de l'article 2;

3) la prestation visée au point 2, b), est jugée adéquate lorsqu'elle assure des revenus au moins équivalents à ceux que recevrait la travailleuse concernée dans le cas d'une interruption de ses activités pour des raisons liées à son état de santé, dans la limite d'un plafond éventuel déterminé par les législations nationales.»

50 Il s'agit là d'un argument supplémentaire au soutien de notre position. En effet, par l'adoption de ce texte, le Conseil a manifesté son intention de laisser compétence aux États membres en matière de droit au maintien du salaire intégral durant le congé de maternité.

51 Nous concluons donc que les requérantes au principal sont également mal fondées sur le terrain des dispositions de la directive 76/207 pour soutenir que les dispositions communautaires imposent que, durant son congé de maternité, la travailleuse reçoive l'intégralité de son salaire. Qu'ainsi, faute de régime communautaire spécifique le prévoyant, cette question est du ressort des États membres.

Réponse aux deuxième, troisième et quatrième questions: Le droit communautaire n'imposant pas que la travailleuse, durant son congé de maternité, perçoive l'intégralité de son salaire et ne donnant aucune indication sur le montant du salaire qui doit être accordé à cette travailleuse (40), y a-t-il lieu de déterminer les critères qu'une prestation inférieure à ce salaire devrait respecter?

52 Faute de base juridique communautaire sur laquelle fonder notre raisonnement, répondre à cette question reviendrait à porter une appréciation sur l'ensemble du système social national relatif à la protection du travailleur féminin durant son congé de maternité, en quelque sorte, à apprécier la légalité voire l'opportunité du droit national. Or, aux termes d'une jurisprudence constante (41), vous avez jugé qu'il n'appartient pas à la Cour dans le cadre de la procédure prévue à l'article 177 du traité CEE d'apprécier, au regard du droit communautaire, les caractéristiques d'une mesure prise par l'un des États membres.

53 En conclusion, pour les considérations développées ci-dessus, nous vous proposons de répondre comme suit aux questions posées par la Court of Appeal:

«1) L'article 119 du traité CEE, la directive 75/117/CEE du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins, et la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail, ne font pas obligation aux États membres d'attribuer à la femme absente de son travail en raison du congé de maternité que lui accorde la législation nationale pertinente ou son contrat de travail la totalité du salaire auquel elle aurait eu droit si elle avait travaillé normalement pendant cette période.

2) Les textes communautaires susvisés ne concernent pas le montant du salaire auquel a droit une femme en congé de maternité et, de ce fait, ne permettent pas de déterminer les critères qu'une prestation inférieure à ce salaire devrait respecter.»

(1) - JO L 45, p. 19.

(2) - JO L 39, p. 40.

(3) - Services de santé de l'Irlande du Nord.

(4) - Dispositions plus avantageuses que celles prévues par le régime légal.

(5) - Ces conditions - que nous n'examinerons pas dans la mesure où elles ne font pas l'objet de questions ou de contestations - sont différentes selon que l'on se situe dans le régime légal ou conventionnel.

(6) - La semaine de référence est déterminée en fonction du début de la semaine d'accouchement présumée. Il s'agit de la quinzième semaine précédant le début de la semaine d'accouchement présumée.

(7) - Ou de recalcul du SHCM en cas d'augmentation salariale durant le congé de maternité.

(8) - Bien que, à notre connaissance, vous n'ayez jamais eu à vous prononcer sur ce point, il ne semble guère douteux que vous appliqueriez dans la présente affaire la même solution que celle exprimée par votre juridiction dans l'arrêt du 13 juillet 1989, Rinner-Kuehn (171/88, Rec. p. 2743, point 7). A l'occasion de cet arrêt, vous avez reconnu la qualité de rémunération au salaire maintenu en cas de maladie, bien qu'une fraction de ce salaire soit remboursée à l'employeur par les caisses d'assurance maladie.

(9) - Résolution du Conseil du 21 janvier 1974 concernant un programme d'action sociale (JO C 13, p. 1).

(10) - Autrement dénommé le «principe d'égalité des rémunérations».

(11) - Autrement dénommé le «principe d'égalité de traitement».

(12) - Résolution du Conseil précitée note 9, «Réalisation du plein et du meilleur emploi dans la Communauté», quatrième tiret, p. 2.

(13) - Ibidem, p. 3, paragraphe 4.

(14) - Premier considérant de la directive 75/117.

(15) - Voir, notamment, votre arrêt du 13 novembre 1984, Racke (283/83, Rec. p. 3791, point 7).

(16) - C-279/93, non encore publié au Recueil, point 30.

(17) - C-32/93, Rec. p. I-3567, point 25.

(18) - Voir point 6 de nos conclusions.

(19) - Voir points 11 à 15 de nos conclusions.

(20) - Voir point 4 de nos conclusions.

(21) - En ce sens, vos arrêts du 5 mai 1994, Habermann-Beltermann (C-421/92, Rec. p. I-1657, point 26), et Webb, précité, point 17.

(22) - En ce sens, votre arrêt du 8 novembre 1990, Dekker (C-177/88, Rec. p. I-3941, points 12 et 14).

(23) - Cela résulte de l'analyse des deuxième et troisième considérants de la directive 76/207.

(24) - Ibidem. Ce qui ne veut pas dire harmonisation du montant des rémunérations.

(25) - Article 2, paragraphe 4, de la directive 76/207.

(26) - Darmon, M. et Huglo, J. G.: «L'égalité de traitement entre les hommes et les femmes dans la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes: un univers en expansion», RTDE (1) janvier-mars 1992, p. 10.

(27) - C-450/93, point 17.

(28) - 184/83, Rec. p. 3047, point 24.

(29) - Ibidem, point 25.

(30) - 222/84, Rec. p. 1651, point 44.

(31) - 312/86, Rec. p. 6315, points 12 à 16.

(32) - Point 27.

(33) - Handels- og Kontorfunktionaerernes Forbund i Danmark (C-179/88, Rec. p. I-3979).

(34) - Point 19.

(35) - Tel qu'il résulte de la combinaison de ses articles 2, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, à savoir le licenciement durant le congé de maternité. Voir nos conclusions, point 36.

(36) - Point 27, souligné par nous.

(37) - Concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes ou allaitantes au travail (dixième directive particulière au sens de l'article 16, paragraphe 1, de la directive 89/391/CEE) (JO L 348, p. 1).

(38) - COM(90) 406 final - SYN 303 (JO C 281, p. 3).

(39) - Ibidem, p. 32.

(40) - Voir points 22, 23, 27, 35, 37 et 48 de nos conclusions.

(41) - Arrêt du 6 octobre 1970, Grad (9/70, Rec. p. 825).