Ordonnance de la Cour du 5 mars 1993. - Ferriere Acciaierie Sarde SpA contre Commission des Communautés européennes. - Aides d'Etat - CECA - Recours en annulation contre la décision de la Commission portant recouvrement d'une aide - Irrecevabilité. - Affaire C-102/92.
Recueil de jurisprudence 1993 page I-00801
Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
++++
Recours en annulation - Délais - Point de départ - Acte non notifié au requérant - Obligation de demander le texte intégral de l' acte dans un délai raisonnable une fois connue son existence
(Traité CECA, art. 33, alinéa 3)
Indépendamment de la question de savoir si une décision ordonnant la récupération d' une aide d' État relevant du traité CECA devrait être notifiée à l' entreprise concernée, celle-ci ne saurait échapper à la forclusion de son recours pour tardiveté, au motif que la décision ne lui a pas été notifiée, si, connaissant l' existence de ladite décision, elle n' en a pas demandé communication dans un délai raisonnable.
Dans l' affaire C-102/92,
Ferriere Acciaierie Sarde SpA, société de droit italien, établie à Cagliari (Italie), représentée par Mes Giuseppe Michele Giacomini et Giuseppe Conte, avocats au barreau de Gênes, ayant élu domicile à Luxembourg en l' étude de Me Ernest Arendt, 8-10, rue Mathias Hardt,
partie requérante,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée par M. Antonino Abate, conseiller juridique principal, en qualité d' agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Roberto Hayder, représentant du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,
partie défenderesse,
ayant pour objet l' annulation de la décision n 91/547/CECA de la Commission, du 5 juin 1991, concernant l' aide octroyée par la région autonome de Sardaigne en faveur de la société Ferriere Acciaierie Sarde (JO L 298, p. 1),
LA COUR,
composée de MM. O. Due, président, C. N. Kakouris, G. C. Rodríguez Iglesias, M. Zuleeg et J. L. Murray, présidents de chambre, G. F. Mancini, R. Joliet, F. A. Schockweiler, J. C. Moitinho de Almeida, F. Grévisse, M. Díez de Velasco, P. J. G. Kapteyn et D. A. O. Edward, juges,
avocat général: M. C. Gulmann
greffier: M. J.-G. Giraud
l' avocat général entendu,
rend la présente
Ordonnance
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 27 mars 1992, Ferriere Acciaierie Sarde SpA (ci-après "FAS") a, en vertu de l' article 33, troisième alinéa, du traité CECA, ou de l' article 173, deuxième alinéa, du traité CEE, demandé l' annulation de la décision n 91/547/CECA de la Commission, du 5 juin 1991, concernant l' aide octroyée par la région autonome de Sardaigne en faveur de la société Ferriere Acciaierie Sarde (JO L 298, p. 1).
2 Le 26 janvier 1989, les autorités italiennes ont notifié à la Commission, d' une part, un régime d' aides institué par une loi régionale n 41 du 14 septembre 1987 qui vise à favoriser la protection de l' environnement dans l' île de Sardaigne grâce à l' élimination sélective, le recyclage et la réutilisation des déchets, d' autre part, une aide accordée au titre de ce régime, en 1987, à la FAS d' un montant de 1,796 milliard de LIT. La Commission a approuvé ce régime à la condition que les entreprises relevant du traité CECA soient exclues du bénéfice de celui-ci, condition que les autorités italiennes ont accepté de respecter par lettre du 24 avril 1990.
3 Par lettre du 8 juin 1990, les autorités italiennes ont fait savoir à la requérante qu' elles avaient l' intention de récupérer l' aide qu' elles lui avaient versée et que les modalités de ladite récupération étaient à l' étude. Le 26 novembre 1990, elles ont indiqué à la Commission que le remboursement de l' aide était en cours de négociation avec la FAS.
4 Aucun plan de remboursement n' ayant toutefois été établi, la Commission a engagé, le 19 décembre 1990, la procédure prévue à l' article 6, paragraphe 4, de sa décision n 322/89/CECA, du 1er février 1989, instituant des règles communautaires pour les aides à la sidérurgie (JO L 38, p. 8), en envoyant une lettre de mise en demeure aux autorités italiennes afin que celles-ci lui présentent leurs observations au sujet des mesures en cause. La lettre a été publiée au Journal officiel des Communautés européennes du 7 février 1991 (C 32, p. 4) sous forme d' une communication, et adressée "aux autres États membres et autres intéressés concernant des aides que l' Italie a accordées à la société Ferriere Acciaierie Sarde", afin que ceux-ci présentent également leurs observations à ce sujet.
5 Suite aux observations formulées par les autorités italiennes et une association professionnelle dans le cadre de cette procédure, la Commission a adopté, le 5 juin 1991, la décision n 91/547, précitée, visée par le présent recours.
6 Cette décision dispose que la subvention accordée en 1987 par les autorités de la région autonome de Sardaigne à la FAS est une aide d' État illégale, parce qu' elle a été mise en oeuvre sans autorisation préalable de la Commission et qu' elle est incompatible avec le marché commun, et que, dès lors, elle doit être supprimée par voie de récupération. La décision a été notifiée au gouvernement italien le 27 juin 1991 et a été publiée au Journal officiel des Communautés européennes le 29 octobre 1991.
7 La FAS précise que son recours aux fins d' annulation de la décision n 91/547 a été introduit tout à la fois sur le fondement de l' article 33 du traité CECA et sur celui de l' article 173 du traité CEE au motif que la décision ainsi attaquée présente quelque ambiguïté quant au point de savoir si sa mise en oeuvre relève des dispositions du traité CECA ou de celles du traité CEE.
8 Par mémoire déposé au greffe de la Cour le 16 juin 1992, la Commission a soulevé une exception d' irrecevabilité au titre de l' article 91, paragraphe 1, du règlement de procédure, fondée en substance sur la tardiveté du recours.
9 Dans ses observations sur cette exception, la requérante a invoqué plusieurs moyens tirés de la violation des principes de la confiance légitime et des droits de la défense, de sa prétendue ignorance tant de l' intervention de la décision litigieuse que de la procédure qui l' a précédée ainsi que de l' inexistence juridique de cette décision.
10 La requérante fait ainsi valoir, à titre principal, qu' elle avait eu une confiance légitime en la légalité de l' aide en cause et que, en tant que seule bénéficiaire de cette aide, elle aurait dû recevoir une notification individuelle de la décision n 91/547 ainsi que de la communication parue au Journal officiel du 7 février 1991 au motif qu' à cet égard elle ne pouvait être tenue de contrôler et de vérifier l' ensemble des textes publiés au Journal officiel. Elle souligne que, sans commettre de négligence, elle n' a pas eu l' occasion, pendant la procédure administrative, de présenter des observations et que ce n' est que le 16 janvier 1992 que la région autonome de Sardaigne l' a informée de l' existence de la décision de la Commission en lui enjoignant de procéder au remboursement. La requérante déclare n' avoir reçu copie de la décision n 91/547 de la part des autorités italiennes que par lettre du 23 mars 1992, et ce sur sa propre demande. N' ayant aucune connaissance des reproches que la Commission avait adressés aux autorités italiennes, ce n' est qu' à cette date qu' elle a pu avoir une connaissance exacte du contenu de la décision et ainsi pouvoir faire usage de son droit de recours. La requérante ajoute que la copie de la décision qui lui a été envoyée, à la différence de la décision publiée, ne contenait aucune mention "CECA". Invoquant l' arrêt du Tribunal de première instance du 27 février 1992, BASF e.a./Commission (T-79/89, T-84/89, T-85/89, T-86/89, T-89/89, T-91/89, T-92/89, T-94/89, T-96/89, T-98/89, T-102/89 et T-104/89, Rec. p. II-315), elle demande dès lors à la Cour d' ordonner à la Commission de produire l' original de la décision. La requérante prétend enfin que la violation des principes de protection de la confiance légitime et des droits de la défense entraîne l' inexistence juridique de la décision en cause et que, dès lors, le recours n' est pas soumis aux délais légaux.
11 La requérante fait valoir, à titre subsidiaire, que les circonstances indiquées ci-dessus sont, dans leur ensemble, susceptibles de constituer un cas de force majeure ou de cas fortuit au sens de l' article 39 du statut CECA de la Cour.
12 Aux termes de l' article 92, paragraphe 1, du règlement de procédure, lorsqu' une requête est manifestement irrecevable, la Cour, l' avocat général entendu, peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d' ordonnance motivée. Au vu des éléments de la présente affaire, la Cour a décidé de faire application de ces dispositions.
13 A titre liminaire, il convient tout d' abord de rappeler, pour ce qui concerne les arguments tirés par la requérante de la violation du principe de la confiance légitime et de l' inexistence de l' acte attaqué, qu' un opérateur diligent doit s' assurer de la conformité d' une aide avec le droit communautaire (arrêt du 20 septembre 1990, Commission/Allemagne, C-5/89, Rec. p. I-3437), et qu' en tout état de cause aucun élément du dossier ne permet de considérer la décision attaquée comme juridiquement inexistante.
14 Il convient, ensuite, de relever, eu égard à la tardiveté du recours soulevée par la Commission, que la décision litigieuse est fondée sur le traité CECA et que ce sont donc les règles de ce traité qui sont applicables en l' espèce.
15 Aux termes de l' article 33, troisième alinéa, du traité CECA, le recours en annulation contre une décision de la Commission doit être formé dans un délai d' un mois à compter, suivant le cas, de la notification ou de la publication de la décision. La décision litigieuse ayant été publiée au Journal officiel le 29 octobre 1991, il est constant que le recours a été introduit largement en dehors de ce délai.
16 Sans contester le bien-fondé des délais de recours prévus par le traité, la requérante prétend toutefois qu' en l' espèce le délai ne commençait pas à courir à compter de la date de publication de la décision litigieuse, puisque celle-ci aurait dû lui être notifiée en tant que seule bénéficiaire de l' aide en cause. En l' absence d' une telle notification, le délai ne pouvait commencer à courir en l' espèce qu' à partir de la date où elle a eu une connaissance exacte du contenu et des motifs de cette décision.
17 En ce qui concerne l' argument, tiré par la requérante, de l' absence de notification de la décision litigieuse, il y a lieu de relever que, conformément au système prévu par le traité CECA et la décision de la Commission n 322/89, précitée, la destinataire de cette décision était la République italienne, à laquelle incombait l' obligation de prendre les mesures nécessaires pour s' y conformer. Aucune notification individuelle d' une telle décision aux entreprises intéressées n' est prévue par les textes.
18 Toutefois, sans qu' il y ait lieu de juger si, dans les circonstances de l' espèce, la décision litigieuse aurait dû être notifiée à la requérante, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, il appartient à celui qui a connaissance de l' existence d' un acte qui le concerne d' en demander le texte intégral dans un délai raisonnable (voir arrêts du 6 juillet 1988, Dillinger Huettenwerke/Commission, 236/86, Rec. p. 3761, point 14, et du 6 décembre 1990, Wirtschaftsvereinigung Eisen- und Stahlindustrie/Commission, C-180/88, Rec. p. I-4413, points 22-24). Or, il est constant que la requérante a eu connaissance de l' existence de la décision litigieuse, au plus tard, lorsqu' elle a reçu la lettre des autorités sardes du 16 janvier 1992, susmentionnée. Il ressort du dossier que cette lettre lui est parvenue le 18 janvier 1992.
19 Il ressort également du dossier que ce n' est que le 18 mars 1992, à savoir deux mois après qu' elle a eu connaissance de l' existence de la décision, que la requérante s' est adressée aux autorités sardes pour en obtenir le texte intégral, alors qu' elle avait déjà, le 10 mars 1992, donné mandat à ses avocats pour attaquer cette même décision devant la Cour. Il s' ensuit qu' un délai raisonnable pour demander le texte intégral de la décision litigieuse a été, dans les circonstances de l' espèce, largement dépassé et que l' introduction du recours a été, en tout état de cause, tardive.
20 Pour ce qui concerne le moyen tiré de la force majeure ou d' un cas fortuit, il y a lieu de rappeler que la notion de force majeure vise essentiellement, abstraction faite des particularités des domaines spécifiques où elle est utilisée, des difficultés anormales, indépendantes de la volonté de la personne intéressée et apparaissant comme inévitables, alors même que toutes les diligences utiles ont été mises en oeuvre (arrêt du 9 février 1984, Busseni/Commission, 284/82, Rec. p. 557). Aucune des circonstances invoquées par la requérante n' est susceptible de constituer un tel cas de force majeure ou cas fortuit.
21 Il ressort des développements qui précèdent que le recours doit être rejeté comme manifestement irrecevable.
Sur les dépens
22 Aux termes de l' article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La partie requérante ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
ordonne:
1) Le recours est rejeté comme manifestement irrecevable.
2) La partie requérante est condamnée aux dépens.
Fait à Luxembourg, le 5 mars 1993