Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 25 mai 1993. - Chaussures Bally SA contre Etat belge, Ministère des finances. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal de première instance de Bruxelles - Belgique. - Taxe sur la valeur ajoutée - Sixième directive - Base d'imposition. - Affaire C-18/92.
Recueil de jurisprudence 1993 page I-02871
Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
++++
Dispositions fiscales - Harmonisation des législations - Taxes sur le chiffre d' affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Base d' imposition - Opération de vente avec paiement par carte de crédit - Commission retenue par l' émetteur de la carte - Inclusion dans la base d' imposition
((Directive du Conseil 77/388, art. 11 A, § 1, sous a) ))
L' article 11 A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive 77/388 en matière d' harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires doit être interprété en ce sens que, au cas où, dans le cadre d' une opération de vente, le prix de la marchandise est payé par l' acheteur au moyen d' une carte de crédit et versé au fournisseur par l' émetteur de la carte, après retenue d' un pourcentage comme commission rémunérant une prestation de service de ce dernier au fournisseur de la marchandise, cette retenue doit être comprise dans la base d' imposition de la taxe que le fournisseur assujetti doit verser au fisc.
Dans l' affaire C-18/92,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l' article 177 du traité CEE, par le tribunal de première instance de Bruxelles et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre
Chaussures Bally SA
et
État belge,
une décision à titre préjudiciel sur l' interprétation de la directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d' harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1),
LA COUR (sixième chambre),
composée de MM. C. N. Kakouris, président de chambre, G. F. Mancini, F. A. Schockweiler, M. Díez de Velasco et P. J. G. Kapteyn, juges,
avocat général: M. C. Gulmann
greffier: M. H. A. Ruehl, administrateur principal
considérant les observations écrites présentées:
- pour SA Chaussures Bally, par Me Luc Simonet, avocat au barreau de Bruxelles,
- pour l' État belge, par Me Ignace Maselis, avocat au barreau de Bruxelles,
- pour le gouvernement britannique, par M. John Collins, du Treasury Solicitor' s Department, en qualité d' agent, assisté de M. David Anderson, barrister,
- pour la Commission des Communautés européennes, par M. Henri Étienne, conseiller juridique principal, et M. Johannes Fons Buhl, conseiller juridique, en qualité d' agents,
vu le rapport d' audience,
ayant entendu les observations orales de SA Chaussures Bally, de l' État belge, du gouvernement britannique, représenté par M. David Anderson, et Mme Susan Cochrane, du Treasury Solicitor' s Department, en qualité d' agents, et de la Commission des Communautés européennes, à l' audience du 14 janvier 1993,
ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 3 mars 1883,
rend le présent
Arrêt
1 Par jugement du 10 janvier 1992, parvenu à la Cour le 23 janvier suivant, le tribunal de première instance de Bruxelles a posé, en vertu de l' article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles relatives à l' interprétation de la directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d' harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après "sixième directive").
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d' un litige qui oppose la société SA Chaussures Bally (ci-après "Bally") à l' État belge, au sujet de la restitution des sommes payées par Bally à l' État belge au titre de l' imposition de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après "TVA").
3 Il résulte du jugement de renvoi que Bally, qui commercialise des chaussures portant la marque du même nom, se fait payer par ses clients le prix de leurs achats soit en liquide, soit en chèque, soit par carte de crédit. Pour ce dernier cas, Bally a conclu avec divers émetteurs de cartes de crédit des conventions qui prévoient que lorsque le client, titulaire de la carte de crédit, achète un bien en utilisant ladite carte, l' émetteur de la carte rembourse au fournisseur de la marchandise le prix de cette dernière, après avoir retenu une commission, généralement de l' ordre de 5 %, sur les paiements.
4 Bally, qui est assujettie à la TVA conformément à l' article 4 du code belge sur la TVA, avait des doutes sur la question de savoir si elle était redevable de la taxe sur le montant net qu' elle perçoit des émetteurs de cartes de crédit, après déduction de la commission retenue par eux, ou sur le montant brut, à savoir le prix du bien avant déduction de ladite commission. Toutefois, Bally a toujours acquitté la TVA sur le montant net jusqu' à l' année 1988, lorsque, suite à un contrôle fiscal portant sur les années précédentes en remontant jusqu' à 1984, le contrôleur de l' inspection spéciale des impôts, ayant procédé à une régularisation pour les années 1984 à 1987, a décidé que "les commissions ne sont pas déductibles du prix pour le calcul de la base imposable" et a exigé de Bally une somme supplémentaire de 2 206 000 FB au titre de la TVA, majorée d' amendes fiscales et d' intérêts.
5 Bally, après avoir acquitté ce montant sous réserve et effectuant à partir de l' année 1989 le paiement de la TVA sur le montant brut, a introduit un recours devant le tribunal de première instance de Bruxelles en demandant la restitution de toute somme perçue, à son avis, illégalement dans le cadre de l' imposition de la TVA, majorée des intérêts légaux ainsi que des dommages et intérêts.
6 Le tribunal de première instance de Bruxelles, estimant que l' issue du litige dépendait de l' interprétation de la sixième directive, a, par jugement contradictoire avant dire droit, du 10 janvier 1992, décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
"1 Article 11, 1 , a) de la directive:
Dans le cadre d' une opération de vente dont le paiement est effectué par carte de crédit, ne doit-on pas considérer que la contrepartie obtenue par le commerçant affilié pour la livraison d' un bien de la part de l' organisme de crédit se limite au seul montant perçu de cet organisme par le commerçant affilié?
ou
2 Article 11, 3 , c) de la sixième directive:
Le montant de la commission ou escompte retenu par l' organisme émetteur sur le prix affiché doit-il être considéré comme un remboursement des frais exposés pour le compte du commerçant affilié afin de lui garantir un paiement sécurisé et, à ce titre, ne pas faire partie de la base d' imposition par application de l' article 11, 3 , c) de la sixième directive?"
7 Pour un plus ample exposé de la réglementation communautaire, des faits du litige au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d' audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
Sur le contexte factuel et juridique
8 Pour répondre utilement au problème d' interprétation soulevé par les questions posées il faut le circonscrire à la lumière du contexte factuel et juridique résultant des constatations de la juridiction nationale.
9 Il résulte du dossier transmis à la Cour que, lorsque l' acheteur paye le prix de la marchandise au moyen d' une carte de crédit, l' on se trouve en présence de deux transactions: d' une part, la vente de la marchandise par le fournisseur, lequel calcule dans le prix global exigé aussi la TVA qui sera payée par l' acheteur en tant que consommateur final et perçue par le fournisseur pour le compte du fisc, et, d' autre part, la prestation de services au fournisseur par l' émetteur de la carte. Cette dernière prestation a pour objet la garantie de paiement de la marchandise dont l' achat avait été effectué au moyen de la carte, la promotion des affaires du fournisseur par la possibilité d' acquérir une nouvelle clientèle, la publicité éventuellement faite en faveur du fournisseur ou un autre objet quelconque.
10 Il résulte également du dossier que la seconde transaction ci-dessus est exonérée de la TVA en Belgique, conformément à l' article 13 B, sous d), de la sixième directive, lequel permet aux États membres d' exonérer, parmi d' autres, certaines opérations relatives à l' octroi, la négociation de crédits, la gestion de crédits effectuée par celui qui les a octroyés, la négociation et la prise en charge d' engagements, de cautionnements et d' autres sûretés et garanties.
Sur la première question
11 Par la première question, la juridiction nationale pose en substance le problème de savoir si l' article 11 A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, doit être interprété en ce sens que au cas où, dans le cadre d' une opération de vente, le prix de la marchandise est payé par l' acheteur au moyen d' une carte de crédit et versé au fournisseur par l' émetteur de la carte, après retenue d' un pourcentage comme commission rémunérant une prestation de service de ce dernier au fournisseur de la marchandise, cette retenue doit être comprise dans la base d' imposition de la taxe que le fournisseur assujetti doit verser au fisc.
12 Selon l' article 11 A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, la base d' imposition à l' intérieur du pays est constituée pour les livraisons de biens par tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur de la part de l' acheteur, du preneur ou d' un tiers. Cette disposition a, donc, pour objet d' harmoniser, ainsi qu' il résulte du neuvième considérant de la sixième directive, la base d' imposition.
13 Bally fait observer qu' en cas de paiement par carte de crédit la contrepartie qui sert à déterminer la base d' imposition devrait être constituée par le montant net réellement perçu par le fournisseur, après déduction de la commission retenue par l' émetteur de la carte, parce que, s' il en était autrement, le fournisseur qui se fait verser par l' émetteur de la carte un montant inférieur à la totalité du prix, supporterait ainsi indûment les conséquences de l' exemption de la TVA accordée en Belgique aux émetteurs de la carte.
14 Cette argumentation ne saurait être accueillie. En effet, l' harmonisation visée par l' article 11 A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, ne saurait atteindre son objectif, lorsque la base d' imposition est variable selon qu' il s' agit de calculer la TVA qui sera supportée par le consommateur final ou de déterminer le montant à verser au fisc par l' assujetti. Il s' ensuit que lorsque le fournisseur a calculé sur la totalité du prix la TVA à acquitter par l' acheteur en vue de la percevoir pour le compte du fisc, c' est la même base d' imposition qui doit être prise en considération pour déterminer le montant correspondant de la TVA que le fournisseur en tant qu' assujetti versera au fisc.
15 Bally relève également que ce n' est pas le fournisseur qui, contraint pour des raisons de concurrence d' accepter le paiement par carte, est le bénéficiaire d' un service quelconque, de la part de l' émetteur, mais l' acheteur, titulaire de la carte, et que le pourcentage sur le prix retenu par l' émetteur de la carte ne constitue pas la contrepartie d' un service rendu au fournisseur par l' émetteur.
16 Il y a lieu de relever à cet égard que le fait que l' acheteur n' a pas payé le prix convenu directement au fournisseur, mais par l' intermédiaire de l' émetteur de la carte, qui a retenu un pourcentage calculé sur le prix, ne saurait modifier la base d' imposition. En effet, cette retenue effectuée par l' émetteur de la carte constitue la contrepartie d' un service qui est offert par ce dernier au fournisseur. Ce service fait l' objet d' une transaction indépendante à l' égard de laquelle l' acheteur est un tiers.
17 Il y a lieu d' ajouter que les modalités de paiement utilisées dans les relations entre acheteur et fournisseur ne sauraient modifier la base d' imposition. En effet, le paiement de la contrepartie pour la livraison de biens peut être effectué, selon l' article 11 A, paragraphe 1, sous a), non seulement par l' acheteur mais aussi par un tiers, en l' occurrence l' émetteur de la carte.
18 Par conséquent, il y a lieu de répondre à la première question que l' article 11 A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, doit être interprété en ce sens que, au cas où, dans le cadre d' une opération de vente, le prix de la marchandise est payé par l' acheteur au moyen d' une carte de crédit et versé au fournisseur par l' émetteur de la carte, après retenue d' un pourcentage comme commission rémunérant une prestation de service de ce dernier au fournisseur de la marchandise, cette retenue doit être comprise dans la base d' imposition de la taxe que le fournisseur assujetti doit verser au fisc.
Sur la seconde question
19 Par la seconde question la juridiction nationale demande en substance une interprétation de l' article 11 A, paragraphe 3, sous c), de la sixième directive, qui lui serait utile dans l' hypothèse où le pourcentage retenu par l' émetteur de la carte constituerait au sens de cette disposition des frais exposés par l' émetteur au nom ou pour le compte du fournisseur.
20 Il y a lieu de relever à cet égard que l' hypothèse sur laquelle est fondée cette question est contredite par les constatations de la juridiction nationale sur la base desquelles cette dernière a posé la première question.
21 Dans ces conditions, il n' y a pas lieu de répondre à la seconde question.
Sur les dépens
22 Les frais exposés par le gouvernement belge, le gouvernement britannique et la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l' objet d' un remboursement. La procédure revêtant, à l' égard des parties au principal, le caractère d' un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre),
statuant sur la question à elle soumise par le tribunal de première instance de Bruxelles, par jugement du 10 janvier 1992, dit pour droit:
L' article 11 A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, doit être interprété en ce sens que, au cas où, dans le cadre d' une opération de vente, le prix de la marchandise est payé par l' acheteur au moyen d' une carte de crédit et versé au fournisseur par l' émetteur de la carte, après retenue d' un pourcentage comme commission rémunérant une prestation de service de ce dernier au fournisseur de la marchandise, cette retenue doit être comprise dans la base d' imposition de la taxe que le fournisseur assujetti doit verser au fisc.