61991C0271

Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 26 janvier 1993. - M. Helen Marshall contre Southampton and South-West Hampshire Area Health Authority. - Demande de décision préjudicielle: House of Lords - Royaume-Uni. - Directive 76/207/CEE - Egalité de traitement entre hommes et femmes - Droit à réparation en cas de discrimination. - Affaire C-271/91.

Recueil de jurisprudence 1993 page I-04367
édition spéciale suédoise page I-00315
édition spéciale finnoise page I-00349


Conclusions de l'avocat général


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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Cette affaire a pour objet une demande de décision préjudicielle formée par la House of Lords et portant sur l' interprétation de l' article 6 de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe d' égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l' accès à l' emploi, à la formation et à la promotion professionnelles et les conditions de travail (1) (ci-après "directive"). Les questions déférées à la Cour ont été soulevées dans le cadre d' un litige entre Madame Marshall (appelante au principal) et la South West Hampshire Area Health Authority (intimée au principal; ci-après "Authority").

Les termes de l' article 6 de la directive sont les suivants:

"Les États membres introduisent dans leur ordre juridique interne les mesures nécessaires pour permettre à toute personne qui s' estime lésée par la non-application à son égard du principe de l' égalité de traitement au sens des articles 3, 4 et 5 de faire valoir ses droits par voie juridictionnelle après, éventuellement, le recours à d' autres instances compétentes."

Antécédents de la procédure

2. Dans un arrêt rendu le 26 février 1986, la Cour a répondu à une question préjudicielle qui lui avait été déférée par la Court of Appeal à propos de l' article 5, paragraphe 1er, de la directive. Cet article interdit toute discrimination fondée sur le sexe en ce qui concerne l' accès à l' emploi et les conditions de travail. La Cour a jugé qu' un particulier pouvait invoquer l' article 5, paragraphe 1er à l' encontre d' une autorité d' un État membre agissant en qualité d' employeur pour écarter l' application de toute disposition nationale incompatible avec ledit article 5, paragraphe 1er (2). Madame Marshall, qui avait fait l' objet d' une discrimination interdite par l' article 5, paragraphe 1er, était demanderesse dans le cadre de la procédure principale qui était à l' origine de l' arrêt.

Après l' arrêt du 26 février 1986, la Court of Appeal a renvoyé l' affaire à l' Industrial Tribunal, juridiction compétente en ce qui concerne les discriminations en matière d' emploi, afin qu' il fixe le montant de l' indemnité à accorder à Madame Marshall. Avant même que le Tribunal ait statué sur la demande de Mme Marshall, l' Authority a versé à celle-ci une indemnité de 6 250 UKL. D' après l' article 65, paragraphe 2, du Sex Discrimination Act 1975 (loi britannique de 1975 relative aux discriminations fondées sur le sexe; ci-après "SDA"), c' était l' indemnité maximale que pouvait octroyer un Industrial Tribunal.

L' Industrial Tribunal a, cependant, accordé à Mme Marshall une indemnité de 19 405 UKL, ce qui incluait une somme de 7 710 UKL à titre d' intérêts (3) et un montant de 1 000 UKL en réparation du préjudice moral. Après cette décision, l' Authority a encore fait à Mme Marshall un paiement de 5 445 UKL, ce qui portait à 11 695 UKL l' indemnité totale versée. L' Authority a, toutefois, formé un recours contre l' inclusion d' une somme de 7 710 UKL à titre d' intérêts, recours que l' Employment Appeal Tribunal a déclaré fondé.

Mme Marshall a fait appel devant la Court of Appeal de cette décision de l' Employment Appeal Tribunal. Mais, son recours a été rejeté, au motif qu' il n' était pas possible d' invoquer l' effet direct de l' article 6 de la directive pour écarter la limite maximale imposée par l' article 65, paragraphe 2, du SDA.

3. Enfin, la demande de Mme Marshall est parvenue à la House of Lords, qui a déféré trois questions préjudicielles à la Cour. On trouvera dans le rapport d' audience le texte intégral de ces questions, ainsi qu' un exposé plus détaillé des faits de l' espèce.

Bien que le recours introduit devant la House of Lords concerne exclusivement le point de savoir si l' Industrial Tribunal a le pouvoir d' accorder des intérêts, il résulte de l' exposé des faits joint à l' ordonnance de renvoi que, pour la House of Lords, la limite maximale définie à l' article 65, paragraphe 2, du SDA est également en cause. En effet, "s' il est applicable au dédommagement accordé à Mme Marshall, l' article 65, paragraphe 2 apporterait une réponse complète à sa demande d' intérêts puisque le montant en capital de sa perte excédait la limite légale" (point 12). En d' autres termes, l' octroi d' intérêts est, en l' espèce, déjà rendu impossible du fait de l' existence de cette limite maximale et pas seulement parce que l' Industrial Tribunal est incompétent pour accorder des intérêts (incompétence qui, du reste, n' est pas certaine selon le droit national; voir point 8(5) de l' exposé des faits). Étant donné cette argumentation qui est invoquée, nous proposons à la Cour de ne pas se rallier à la suggestion que lui font le gouvernement du Royaume-Uni et le gouvernement irlandais, qui l' invitent à ne statuer que sur la validité d' une éventuelle interdiction d' accorder des intérêts à titre d' indemnité, mais d' examiner aussi la validité de dispositions légales définissant une limite maximale d' indemnisation.

Les particuliers peuvent-ils invoquer l' article 6 de la directive devant les juridictions nationales?

4. Nous analyserons d' abord la troisième question préjudicielle. Par cette question, la House of Lords veut savoir si celui qui a fait l' objet d' une discrimination interdite par la directive peut invoquer l' article 6 de celle-ci devant une juridiction nationale à l' encontre d' une autorité émanant de l' État membre dont il est ressortissant afin d' écarter des dispositions du droit national qui définissent une limite maximale d' indemnisation (4).

5. Effet direct (vertical) de l' article 6 dans la mesure où il prévoit un recours juridictionnel. La question de l' effet direct de l' article 6 de la directive a déjà été abordée par la Cour dans l' arrêt qu' elle a rendu le 15 mai 1986 dans l' affaire Johnston (5). La Cour a distingué deux éléments dans l' article 6: l' obligation pour les États membres de prévoir une possibilité de recours juridictionnel effectif et l' obligation d' infliger des sanctions en cas de discrimination interdite. A propos de ce premier élément, la Cour a déclaré:

"[point 18] Le contrôle juridictionnel imposé [par l' article 6 de la directive] est l' expression d' un principe général de droit qui se trouve à la base des traditions constitutionnelles communes aux États membres. Ce principe a également été consacré par les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l' homme et des libertés fondamentales...

[point 19] En vertu de l' article 6 de la directive, interprété à la lumière du principe général indiqué, toute personne a droit à un recours effectif devant une juridiction compétente contre les actes dont elle estime qu' ils portent atteinte à l' égalité de traitement entre hommes et femmes prévu par la directive 76/207. Il appartient aux États membres d' assurer un contrôle juridictionnel effectif sur le respect des dispositions applicables du droit communautaire et de la législation nationale destinée à mettre en oeuvre les droits prévus par la directive.

[point 58] ...pour autant qu' il résulte de cet article, interprété à la lumière d' un principe général dont il est l' expression, que toute personne qui s' estime lésée par une discrimination entre hommes et femmes doit disposer d' un recours juridictionnel effectif, cette disposition est suffisamment précise et inconditionnelle pour être susceptible d' être invoquée à l' encontre d' un État membre qui n' en assurerait pas l' entière application dans son ordre juridique interne."

6. Absence d' effet direct (vertical) de l' article 6 dans la mesure où il exige que les discriminations éventuelles soient sanctionnées, existence seulement d' une obligation d' interpréter le droit national dans un sens conforme à la directive? En ce qui concerne, par contre, l' obligation de sanctionner les discriminations interdites par la directive, la Cour a décidé dans le même arrêt Johnston que, à cet égard, la directive ne comportait aucune obligation inconditionnelle et suffisamment précise pouvant être invoquée, à défaut de mesures d' application prises dans les délais, par un particulier, en vue d' obtenir une réparation déterminée en vertu de la directive lorsqu' une telle conséquence n' est pas prévue ou permise par la législation nationale (6). La Cour confirmait en cela deux de ses arrêts antérieurs, les arrêts von Colson et Harz, où elle avait déjà formulé des considérations identiques (7) (voir ci-après, n 10).

Sur la base de cette jurisprudence, on pourrait répondre à la troisième question préjudicielle qu' une personne qui a fait l' objet d' une discrimination interdite par la directive ne peut pas invoquer l' article 6 de celle-ci, même à l' encontre d' (une autorité qui est l' émanation d' ) un État membre pour obtenir que le juge national rende inopérante la limite maximale d' indemnisation définie par la législation nationale. Les développements qui suivent (voir n 11 ci-après) révéleront, cependant, que nous sommes d' un avis différent.

7. Les considérations qui précèdent ne signifient pas que les particuliers qui subissent l' application de la limite maximale précitée ne puissent emprunter aucun moyen de droit à la jurisprudence actuelle de la Cour. Celle-ci a, en effet, sensiblement renforcé, par d' autres voies, la protection juridictionnelle des particuliers, notamment en imposant aux juridictions nationales l' obligation d' interpréter le droit national dans un sens conforme au droit communautaire. Afin de définir la portée de cette obligation, il convient que nous rappelions, d' abord, la jurisprudence de la Cour précisant les règles formulées par le droit communautaire quant à la sanction de ses dispositions.

A la base de cette jurisprudence, il y a l' idée que les États membres sont tenus de garantir la pleine efficacité du droit communautaire et, notamment, des directives. Cela implique qu' ils doivent frapper la violation des interdictions formulées par les directives d' une sanction pénale, administrative ou civile selon le cas. La Cour fonde cette obligation sur le devoir de loyauté qui incombe aux États membres en vertu de l' article 5 du traité:

"[L]orsqu' une réglementation communautaire ne comporte aucune disposition spécifique prévoyant une sanction en cas de violation ou renvoie sur ce point aux dispositions législatives, réglementaires et administratives nationales, l' article 5 du traité impose aux États membres de prendre toutes mesures propres à garantir la portée et l' efficacité du droit communautaire (8)."

A propos également de la directive en cause en l' espèce, la Cour a confirmé qu'

"une égalité de chances effective ne peut être établie en dehors d' un système de sanctions approprié. Une telle conséquence résulte non seulement de la finalité même de la directive, mais plus particulièrement de son article 6 qui, en ouvrant un droit de recours juridictionnel aux candidats à un emploi ayant fait l' objet d' une discrimination, reconnaît en leur chef l' existence de droits pouvant être invoqués en justice" (9).

8. L' article 189, troisième alinéa, du traité CEE laisse, néanmoins, les États membres libres de choisir les moyens et les méthodes propres à assurer l' exécution des directives. A propos de l' obligation de sanction formulée par l' article 6 de la directive, la Cour a précisé:

"De telles mesures peuvent, par exemple, comprendre des dispositions exigeant de l' employeur d' engager le candidat discriminé ou assurant une indemnisation pécuniaire adéquate, renforcées, le cas échéant, par un système d' amendes. Il convient, cependant, de constater que la directive n' impose pas une sanction déterminée mais laisse aux États membres la liberté de choisir parmi les différentes solutions propres à réaliser son objectif" (10).

Cette liberté des États membres n' est, toutefois, pas illimitée. En effet, selon le dernier passage cité au paragraphe précédent, il résulte de la finalité de la directive et de son article 6 que les États membres doivent prévoir "un système de sanctions approprié", ce qui présuppose, comme l' indique la suite du texte des arrêts von Colson et Harz,

"que cette sanction soit de nature à assurer une protection juridictionnelle effective et efficace. Elle doit en outre avoir à l' égard de l' employeur un effet dissuasif réel. Il en résulte que lorsque l' État membre choisit de sanctionner la violation de l' interdiction de discrimination par l' octroi d' une indemnité, celle-ci doit être en tout cas adéquate au préjudice subi.

Il apparaît en conséquence qu' une législation nationale limitant les droits à réparation des personnes ayant fait l' objet d' une discrimination dans l' accès à l' emploi, à une indemnisation purement symbolique, comme par exemple le remboursement des frais occasionnés par leur candidature, ne serait pas conforme aux exigences d' une transposition efficace de la directive" (11).

En ce qui concerne les sanctions pénales, la Cour a précisé ultérieurement que les États membres les choisissent librement, mais qu' elles doivent avoir un caractère effectif, proportionné et dissuasif (12).

9. La Cour a jugé aussi que les violations du droit communautaire devaient être frappées de sanctions qui soient non seulement "suffisamment contraignantes" mais aussi "comparables" à celles applicables aux violations du droit national d' une nature et d' une importance similaires, c' est-à-dire dans des conditions de fond et de procédure qui soient analogues:

"En outre, les autorités nationales doivent procéder, à l' égard des violations du droit communautaire, avec la même diligence que celle dont elles usent dans la mise en oeuvre des législations nationales correspondantes" (13).

D' ailleurs, ce ne sont pas seulement les sanctions proprement dites qui doivent être "suffisamment contraignantes" et "comparables", mais aussi les modalités de la procédure conduisant à l' application de ces sanctions. Ces modalités ne peuvent être "moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne ni aménagées de manière à rendre pratiquement impossible l' exercice des droits conférés par l' ordre juridique communautaire" (14).

10. Donc, même si, en ce qui concerne les règles présidant à l' application des sanctions, les particuliers ne peuvent pas invoquer directement l' article 6 de la directive (n 6 ci-dessus, mais voir n 11 ci-dessous), en l' absence de transposition dans les délais ou en cas de transposition incomplète ou incorrecte d' une disposition contenue dans une directive qui est dépourvue d' effet direct, il appartient néanmoins aux juridictions nationales d' interpréter les sanctions prévues par leur droit national en conformité avec les règles du droit communautaire se dégageant de l' article 6 de la directive et décrites ci-dessus.

Cette obligation qu' a le juge national, "dans toute la mesure où une marge d' appréciation lui est accordée par son droit national" (15), d' interpréter les dispositions nationales - non seulement postérieures, mais aussi antérieures à la directive (16) - dans un sens aussi conforme que possible même à une directive dénuée d' effet direct (17) n' est pas absolue. Elle ne lui impose pas, notamment, de faire de son droit national, par exemple d' une disposition prévoyant une sanction spécifique, une interprétation "contra legem" (18). Le juge national doit, toutefois, interpréter en conformité avec le droit communautaire une disposition ambiguë, telle que, comme on le donne à entendre en l' espèce, celle qui interdit à l' Industrial Tribunal d' accorder des intérêts (19). De surcroît, si les règles nationales d' interprétation le lui permettent, il peut être tenu de substituer une sanction de droit commun, plus conforme à la directive, à une sanction spécifique incompatible avec elle (20).

11. L' exigence d' une sanction formulée par l' article 6 de la directive a, néanmoins, un effet direct. Le juge national ne pourra donc toujours être conduit, par le biais de l' interprétation, au résultat qu' impose le droit communautaire. En conséquence, si on veut rendre suffisamment effective l' exigence d' une sanction formulée par l' article 6 de la directive, cette exigence doit, exactement comme l' exigence d' une protection juridictionnelle qui y est également contenue (voir n 5 ci-dessus), être conçue comme une disposition ayant un effet direct du moins à l' égard des États membres. Nous estimons qu' on a toutes les raisons de penser ainsi.

Déjà dans les arrêts von Colson et Harz, la Cour a déclaré que l' égalité de chances exigée par la directive ne pouvait être établie en dehors d' un système de sanctions approprié (voir n 7 ci-dessus). De la jurisprudence de la Cour, on peut, en outre, inférer (voir n 8-9 ci-dessus) quels sont les critères à prendre en considération en vue d' instituer ce système de sanctions approprié. Ces critères suffisamment précis, la Cour les a déduits des principes du droit communautaire. Il nous semble que, de ce fait, il est d' emblée acquis que l' exigence d' une sanction découlant de la directive possède, en raison de ces principes du droit communautaire, un effet direct à l' égard des États membres et des autorités qui en sont les émanations.

En effet, dans l' arrêt Johnston, à propos de l' obligation de prévoir une protection juridictionnelle effective imposée par l' article 6, la Cour avait reconnu l' existence d' un effet direct de cet article 6, parce que "cet article, interprété à la lumière d' un principe général dont il est l' expression" est une disposition "suffisamment précise et inconditionnelle pour être susceptible d' être invoquée à l' encontre d' un État membre qui n' en assurerait pas l' entière application dans son ordre juridique interne" (voir n 5 ci-dessus). Nous estimons que l' exigence d' une sanction formulée par l' article 6 (voir n 6 ci-dessus) a maintenant, elle aussi, un effet direct à l' égard des États membres, parce que les principes généraux du droit communautaire sur lesquels repose cette exigence ont été entre-temps définis de façon suffisamment précise par la Cour dans la jurisprudence que nous avons commentée ci-dessus (et dans l' arrêt qui interviendra au terme de la présente affaire) (21). La position adoptée sur ce point par la Cour dans les arrêts von Colson, Harz et Johnston nous paraît donc maintenant dépassée.

Reconnaître un effet direct (vertical) également à l' exigence d' une sanction contenue dans l' article 6 aurait naturellement pour conséquence d' uniformiser davantage l' application du droit communautaire, puisque, alors, la réponse à la question de savoir si le juge national a la faculté d' interpréter son droit national en conformité avec le droit communautaire ne serait plus fonction des règles nationales d' interprétation. D' ailleurs, dans l' arrêt Zuckerfabrik, la Cour a reconnu, à propos des règles nationales relatives au sursis à l' exécution des actes administratifs internes, qu' une telle uniformité dans la mise en oeuvre des droits découlant pour les particuliers de la législation communautaire était une exigence fondamentale de l' ordre juridique communautaire (22). Pour ce motif, la Cour s' est révélée, dans l' arrêt précité, disposée à définir de manière uniforme les conditions auxquelles les juridictions nationales pouvaient octroyer un sursis à l' exécution des actes administratifs internes.

12. Au cours de la procédure orale, a été évoquée l' anomalie suivante: les travailleurs occupés par les autorités publiques (au sens large que la jurisprudence de la Cour confère à ce terme) peuvent invoquer à leur profit et à l' encontre de l' employeur les dispositions suffisamment précises et inconditionnelles d' une directive - également, comme en l' espèce, en vue d' obtenir une indemnité (23) - tandis que les travailleurs du secteur privé ne disposent pas d' un tel recours contre leur employeur. Ainsi qu' il ressort de l' arrêt Harz (24), ces derniers travailleurs ne peuvent invoquer devant la juridiction nationale que l' obligation d' interpréter le droit national dans un sens conforme à la directive, obligation à laquelle nous avons fait référence ci-dessus.

Pour la solution de la présente affaire - qui concerne un travailleur occupé par une autorité publique - il n' est pas strictement nécessaire d' aborder ce point. Qu' il nous soit, cependant, permis de dire, par souci d' être complet, que, si la Cour reconnaissait désormais aussi un effet direct horizontal aux dispositions d' une directive qui sont suffisamment précises et inconditionnelles, la cohérence de sa jurisprudence en serait, à notre avis, renforcée. Si on la considère dans sa globalité, la jurisprudence de la Cour relative à la protection des droits des particuliers pour le cas où des directives n' ont pas été transposées dans les délais ou l' ont été de manière incomplète ou incorrecte, donne une image satisfaisante. Du fait du caractère particulier du processus judiciaire de découverte du droit, qui progresse de cas d' espèce en cas d' espèce, cette image n' est, cependant, pas exempte d' incohérences et de distorsions. Nous en mentionnerons trois. En premier lieu, il résulte de l' interprétation extensive qui a été faite de la notion d' État membre que les dispositions contenues dans les directives ont un effet direct (vertical) à l' égard des institutions et des entreprises publiques, mais non à l' égard des institutions ou entreprises privées (dont les premières sont pourtant parfois les concurrentes (25)), et cela quoique les manquements commis par "l' " État membre en ce qui concerne la transposition des directives soient le plus souvent aussi peu imputables aux premières qu' aux secondes. En deuxième lieu, du fait de l' obligation qui leur incombe d' interpréter le droit national en conformité avec une directive, les juridictions nationales sont tenues, à cause de la négligence du législateur national, d' aller jusqu' à la limite de leurs possibilités et de leurs compétences afin de permettre l' insertion adéquate de la directive dans leur droit national (26). Cette situation peut susciter des problèmes de délimitation de la compétence judiciaire dans le contexte du droit national concerné. Enfin, d' après l' arrêt rendu par la Cour dans l' affaire Francovich (27), en cas de transposition incorrecte de directives, l' État membre responsable de ce manquement peut, sous certaines conditions, être cité en paiement de dommages-intérêts. Cette évolution, favorable en soi, n' empêche, cependant, pas que des particuliers qui travaillent dans un État membre qui a correctement transposé la directive et sont donc déjà soumis aux obligations découlant pour eux de celle-ci soient pénalisés par rapport à ceux (qui sont peut-être leurs concurrents) qui travaillent dans un État membre qui n' a pas encore transposé correctement la directive.

Il nous semble possible de remédier à ces incohérences et à ces distorsions en reconnaissant un effet direct aux dispositions des directives qui sont suffisamment précises et inconditionnelles, également à l' égard des particuliers à qui la directive aurait imposé des obligations si elle avait été correctement mise en oeuvre (28).

13. Conclusion. Sur la base des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre à la troisième question préjudicielle dans les termes suivants. L' exigence d' une sanction découlant de l' article 6 de la directive - exigence dont la jurisprudence de la Cour a, entre-temps, précisé la portée en se fondant sur des principes généraux du droit communautaire - peut être, en tout cas, invoquée directement par les particuliers à l' encontre de l' État membre concerné (et des institutions et entreprises publiques qui en sont l' émanation). Pour le cas où la Cour refuserait de reconnaître un tel effet direct, il appartiendrait néanmoins à la juridiction nationale d' interpréter et d' appliquer son droit national autant que possible en conformité avec le système de sanctions prévu par l' article 6, tel que précisé par la jurisprudence de la Cour.

Une limite maximale d' indemnisation imposée par la loi est-elle compatible avec l' article 6 de la directive?

14. L' article 65, paragraphe 1er, du Sex Discrimination Act 1975 dispose que, lorsqu' il déclare fondée une plainte pour discrimination fondée sur le sexe et exercée en matière d' emploi, un Industrial Tribunal peut condamner le responsable au paiement d' une indemnité. En vertu de l' article 65, paragraphe 2, de ce SDA, le montant de cette indemnité ne peut cependant pas excéder une limite maximale donnée. Lorsque la demande de Mme Marshall a été examinée par l' Industrial Tribunal, cette limite maximale était fixée à 6 250 UKL. Elle a été, entre-temps, plusieurs fois relevée, de telle sorte qu' elle est actuellement de 10 000 UKL.

Par sa première question, la House of Lords veut savoir si une telle limite maximale est compatible avec l' article 6 de la directive. Par sa deuxième question, elle veut savoir si une application correcte de cet article requiert que le dédommagement à accorder ne soit pas inférieur au montant du préjudice subi et inclue l' attribution d' intérêts sur le montant principal du préjudice à partir de la date de la discrimination illégale jusqu' à la date de versement du dédommagement.

15. Avant de répondre à ces questions, nous voulons signaler la relation existant entre les deux critères retenus par la Cour quant aux dispositions nationales destinées à sanctionner les prescriptions du droit communautaire. Ces critères ont été désignés ci-dessus (n 9) comme le critère de la sanction suffisamment contraignante et le critère de la sanction comparable. Ces deux critères sont cumulatifs. En d' autres termes, il ne suffit pas qu' une violation du droit communautaire soit frappée d' une sanction équivalente à celle applicable à une violation similaire du droit national, s' il s' avère que, dans un cas comme dans l' autre, les sanctions prévues ne sont pas en mesure d' assurer une protection juridictionnelle effective et efficace ou ont un effet dissuasif insuffisant, et ne sont donc pas adéquates au préjudice subi. Cela résulte, selon nous, de la nécessité d' appliquer le droit communautaire de manière uniforme (voir n 11 ci-dessus), qui exige qu' une même violation du droit communautaire soit frappée d' une sanction suffisamment efficace et dissuasive dans tous les États membres.

Nous analyserons maintenant successivement chacun de ces deux critères en relation avec la présente affaire.

16. Le critère de la sanction suffisamment contraignante. A propos de ce critère, la Cour a déclaré que "lorsque l' État membre choisit de sanctionner la violation de l' interdiction de discrimination par l' octroi d' une indemnité, celle-ci doit être en tout cas adéquate au préjudice subi." "Une indemnisation purement symbolique, comme par exemple le remboursement des frais occasionnés par leur candidature" n' est pas suffisante (voir les passages des arrêts von Colson et Harz, cités à la fin du n 8 ci-dessus).

Du membre de phrase indiquant que la sanction dont est frappée la violation de l' interdiction de discrimination doit être "en tout cas" adéquate au préjudice subi, la Commission semble déduire qu' une disposition nationale formulant une limite maximale telle que celle prévue par l' article 65, paragraphe 2, du SDA ne peut satisfaire aux critères définis par la Cour. Cet argument ne nous convainc pas (29). Comme le gouvernement du Royaume-Uni et le gouvernement irlandais le font observer, l' intention ne peut avoir été d' exclure catégoriquement toute limite imposée à l' indemnisation, d' autant plus qu' il s' avère qu' un certain nombre de directives du Conseil - énumérées par la Commission elle-même dans ses observations écrites - prévoient aussi une telle limite maximale (30). En indiquant que l' indemnité doit être "en tout cas" adéquate au préjudice subi, la Cour veut, au contraire, dire qu' une indemnisation purement symbolique n' est pas suffisante, comme il ressort, du reste, du considérant qui suit immédiatement dans le texte des arrêts susmentionnés, considérant qui a été cité ci-dessus.

17. L' idée que le dédommagement doit être "adéquat" au préjudice subi signifie, selon nous, aussi que la Cour - dans l' état actuel du droit communautaire et donc en l' absence de règles visant à l' harmonisation des dispositions nationales divergentes en matière de responsabilité - est disposée à se contenter d' une indemnité ne couvrant pas l' intégralité du dommage. En d' autres termes, le dédommagement doit être adéquat au préjudice subi, mais il ne doit pas lui correspondre exactement.

Cette conception n' est pas contredite, mais, au contraire, confirmée, par l' arrêt Francovich, que la Cour a rendu récemment à propos de la responsabilité encourue par les États membres en raison d' une violation du droit communautaire en général et en cas de transposition incorrecte d' une directive en particulier. Sur ce second point, la Cour a défini quelques conditions minimales uniformes relatives à la responsabilité des États membres. L' une de celles-ci est "l' existence d' un lien de causalité entre la violation de l' obligation qui incombe à l' État et le dommage subi par les personnes lésées (31)". On ne peut, toutefois, y lire des règles uniformes relatives à la nature ou à l' ampleur du dommage. Au contraire, "en l' absence d' une réglementation communautaire", la Cour renvoie expressément au droit des États membres, disant que "c' est dans le cadre du droit national de la responsabilité qu' il incombe à l' État de réparer les conséquences du préjudice causé (32)." Cela vaut plus précisément, ainsi qu' il ressort du considérant suivant, pour "les conditions, de fond et de forme, fixées par les diverses législations nationales en matière de réparation des dommages". Il est, cependant, indiqué à cet égard que ces législations "ne sauraient être moins favorables que celles qui concernent des réclamations semblables de nature interne et ne sauraient être aménagées de manière à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l' obtention de la réparation" (33).

Ces dernières conditions restrictives imposées par l' arrêt Francovich aux législations nationales relatives à la responsabilité ne diffèrent pas, quant au fond, des critères précités, celui de la "sanction comparable" et celui de la "sanction suffisamment contraignante" (34). En ce qui concerne le second critère analysé ici, la position exprimée dans l' arrêt Francovich correspond à la conception exprimée ci-dessus, selon laquelle une "indemnité adéquate" - nous le répétons: dans l' état actuel du droit communautaire - ne doit pas nécessairement s' identifier à une réparation de l' intégralité du dommage. L' octroi d' une "indemnité adéquate" n' est pas, à notre avis, de nature "à rendre pratiquement impossible ... l' obtention de la réparation". Une disposition prévoyant une "indemnité adéquate" (plutôt qu' intégrale) contenue dans une législation nationale (ayant, en l' espèce, une portée spécifique) peut, en effet, être considérée comme une des "conditions de fond en matière de réparation" pour lesquelles l' arrêt Francovich renvoie à l' ordre juridique interne des États membres. Étant donné qu' une telle indemnité adéquate, telle que définie ci-dessus, ne rend pas "pratiquement impossible" la réparation du préjudice subi, elle est donc suffisante au regard du droit communautaire (35).

18. En l' état actuel de la réglementation communautaire, la définition d' une limite maximale d' indemnisation au niveau national ne me paraît donc pas incompatible avec le droit communautaire, à condition, toutefois, que cette limite soit fixée à un niveau suffisamment élevé pour ne pas priver la sanction de son caractère "effectif, proportionné et dissuasif" et l' empêcher d' être "adéquate" au préjudice résultant normalement de la violation concernée.

Nous estimons, cependant, ne pouvoir nous en tenir à cette analyse générale. Dans le but d' établir avec plus de certitude encore que la sanction pécuniaire consistant dans l' indemnisation, pour laquelle un État membre a opté, est adéquate au préjudice subi, le dédommagement doit être de nature à réparer adéquatement compte tenu des diverses composantes essentielles du dommage traditionnellement envisagées par les législations relatives à la responsabilité. Nous pensons à la perte d' actifs matériels ("damnum emergens"), au manque à gagner ("lucrum cessans"), au dommage moral et au dommage résultant du retard dans l' exécution de l' obligation concernée (36). Nous reviendrons ultérieurement sur cette composante de manière plus détaillée.

En ce qui concerne ces quatre composantes du dommage, ce qui précède ne signifie pas qu' une législation nationale qui ne prévoit pas explicitement de dédommagement pour chacune d' entre elles est incompatible avec le droit communautaire. Nous pensons, cependant, que la juridiction nationale doit prendre en compte chacune de ces composantes lorsqu' elle vérifie si le dédommagement est adéquat au préjudice subi. A défaut d' une réglementation communautaire plus précise, il lui appartient, en effet, de juger concrètement si le dédommagement est adéquat, étant donné les limitations que son droit national impose à ce dédommagement. Si ces limitations sont telles que normalement une des quatre catégories de préjudice (dans la mesure où elle vaut pour le type d' infraction concerné) ne fait l' objet d' aucune réparation ou fait l' objet d' une réparation insignifiante, on ne peut pas dire que, considéré dans sa globalité, ce dédommagement soit adéquat au préjudice subi.

19. En l' espèce, l' Industrial Tribunal a évalué à 19 405 UKL le préjudice réellement subi par Mme Marshall, ce qui inclut 1 000 UKL pour le préjudice moral, 8 220 UKL pour la perte de salaire, 2 475 UKL notamment pour la perte de pension et 7 710 UKL d' intérêts sur les sommes perdues. En ce qui concerne ces intérêts, il s' agit, pour autant que nous puissions en juger, des intérêts échus entre la date où la discrimination illégale a été exercée et celle du jugement rendu par l' Industrial Tribunal, à savoir le 21 juin 1988.

Le dédommagement maximal que pouvait recevoir Mme Marshall conformément à l' article 65, paragraphe 2, s' élevait à 6 250 UKL, ce qui correspond environ au tiers du préjudice subi si on y inclut les intérêts échus jusqu' à la décision de l' Industrial Tribunal ou à la moitié du préjudice subi si on en exclut les intérêts. Il s' agit indubitablement d' une somme qui est plus que symbolique. Mais nous osons douter que la limitation qui a été appliquée permette un dédommagement adéquat au préjudice subi, tel qu' exigé par l' article 6 de la directive. Le montant susdit exclut, en effet, le dédommagement soit d' au moins une des composantes précitées, à savoir la totalité des intérêts échus jusqu' à la décision du Tribunal (et, a fortiori, les intérêts correspondant à la période postérieure; sur ce point, voir n 26 ci-dessous), soit des trois autres composantes.

Nous voyons aussi dans le supplément de 5 445 UKL que l' Authority a versé par souci d' équité un indice complémentaire tendant à prouver que la limite maximale appliquée ne permet pas un dédommagement adéquat. Grâce à ce supplément, le dédommagement est peut-être, en l' espèce, adéquat au préjudice subi jusqu' à la date de la décision de l' Industrial Tribunal (il est dans un rapport de presque 2 à 3), mais ce résultat est obtenu en dépit de l' application de la limite maximale légale. Un autre indice du caractère insuffisant de la sanction applicable au moment des faits pourrait se déduire de la circonstance que, au Royaume-Uni, les personnes qui font à l' heure actuelle l' objet d' un licenciement discriminatoire ont la faculté d' invoquer d' autres moyens de droit d' une portée considérable (37).

20. Le critère de la sanction comparable. Comme nous l' avons dit, ce critère et le précédent doivent faire l' objet d' une application cumulative. Cela implique que, si, pour des violations similaires du droit national, est prévu un dédommagement plus important - par exemple un dédommagement intégral - que le dédommagement adéquat requis par le droit communautaire, ce dédommagement plus important doit valoir aussi pour les violations du droit communautaire. Pour décider si la législation britannique n' est pas défectueuse sur ce point (aussi), il convient d' analyser le système de sanctions prévu par le SDA tel qu' il existait à l' époque des faits.

Alors que la directive n' envisage l' égalité de traitement entre les hommes et les femmes que pour ce qui concerne l' accès à l' emploi, à la formation et à la promotion professionnelles et les conditions de travail, le SDA couvre aussi d' autres domaines. C' est ainsi qu' un bailleur ne souhaitant contracter qu' avec des personnes d' un sexe donné semble pouvoir être condamné au regard du régime défini par le SDA, mais non au regard de celui défini par la directive. Quoique le SDA aborde donc des domaines plus nombreux, il fait, en matière de sanction, une distinction entre la discrimination exercée en matière d' emploi et celle exercée dans d' autres secteurs. La première forme de discrimination relève, en vertu de ce texte, de la compétence de l' Industrial Tribunal (38), qui ne peut accorder qu' un dédommagement limité au plafond imposé par la loi et qui, en outre, ne dispose d' aucune compétence, du moins d' aucune compétence qui lui soit conférée par la loi, pour octroyer des intérêts. Les autres discriminations peuvent être poursuivies devant une County Court, qui peut appliquer les mêmes sanctions que celles dont dispose une High Court (39), ce qui signifie concrètement que la loi ne prévoit aucune limite maximale pour les éventuels dédommagements et que des intérêts peuvent être accordés (40). Pour ces autres types de discrimination, c' est, dès lors, le principe du dédommagement intégral qui s' applique (41).

21. A première vue, on pourrait déduire de ce qui précède que le Royaume-Uni adopte une attitude moins énergique à l' égard d' une violation du droit communautaire (discrimination fondée sur le sexe en matière d' emploi) qu' à l' égard d' une violation similaire du droit national (discrimination fondée sur le sexe dans les autres domaines). A notre avis, cette déduction ne se justifie pas. Il existe, en effet, une raison péremptoire expliquant cette distinction faite par le Royaume-Uni: les Industrial Tribunals, institués en 1965, connaissent de toute plainte pour licenciement abusif ("unfair dismissal"), délit défini par la loi ("statutory tort") et introduit par l' Employment Protection (Consolidation) Act 1978. C' est ainsi qu' un Industrial Tribunal connaît aussi des plaintes pour discrimination raciale en matière d' emploi et les dédommagements qui peuvent être octroyés dans de tels cas sont soumis à des limites maximales identiques à celles définies par l' article 65, paragraphe 2, du SDA (42).

Au lieu d' opter pour un système juridique conférant à une juridiction unique compétence pour connaître de toutes les plaintes pour discrimination fondée sur le sexe (en matière d' emploi ou dans quelque autre domaine), le législateur britannique a choisi un système prévoyant que, en matière d' emploi, toutes les plaintes pour licenciement abusif sont traitées par une juridiction unique selon des règles de fond et de procédure spécifiques. Dans ce cadre, on envisage le licenciement abusif, que ce licenciement résulte d' une discrimination fondée sur le sexe, sur la race ou sur quelque autre critère illégitime ou qu' il soit illicite pour un autre motif et sans égard pour le point de savoir si la plainte est fondée sur le droit national ou sur le droit communautaire. Ces deux options nous paraissent équivalentes. En conséquence, on ne peut pas déduire du choix opéré par le Royaume-Uni que, dans ce pays, la sanction du droit communautaire est moins effective que celle du droit national correspondant.

En ce qui concerne le critère de la sanction comparable, nous concluons donc que la limite maximale d' indemnisation définie par l' article 65, paragraphe 2, du SDA n' est pas incompatible avec l' article 6 de la directive.

La circonstance que la juridiction concernée n' ait, éventuellement, pas compétence pour accorder des intérêts est-elle compatible avec l' article 6 de la directive?

22. L' exposé des faits joint à la demande préjudicielle indique qu' "à l' époque litigieuse, l' Industrial Tribunal n' avait aucune compétence - ou les dispositions applicables du droit anglais étaient ambiguës quant à la question de savoir s' il était compétent - pour accorder des intérêts sur le montant du dédommagement, ou comme élément de celui-ci, en raison d' un acte de discrimination illégale fondée sur le sexe dans le cadre d' une relation d' emploi".

Au préalable, nous souhaitons rappeler qu' un juge national qui constate que son droit national est ambigu est, en tout cas, tenu de l' interpréter et de l' appliquer en conformité avec les dispositions des directives, en l' espèce avec l' article 6 de la directive concernée. C' est un fait établi que cette obligation vaut aussi pour les dispositions nationales adoptées avant la directive dans un domaine ultérieurement couvert par celle-ci (voir n 10 ci-dessus). Tel est aussi le cas si l' article 6 de la directive est dépourvu d' effet direct (vertical et, a fortiori, horizontal) en matière de sanction. Si, cependant, le système de sanctions évoqué à l' article 6 de la directive a un effet direct, conformément à la thèse que nous avons défendue ci-dessus (n 11 et suiv. ci-dessus), une disposition contraire à cet article doit naturellement demeurer inappliquée dans tous les cas.

23. Intérêts compensatoires opposés aux intérêts judiciaires. Comme il ressort du passage cité dans le paragraphe précédent, la demande préjudicielle concerne les intérêts accordés "sur le montant du dédommagement, ou comme élément de celui-ci". A la lettre b) de sa deuxième question préjudicielle, la House of Lords veut, en fait, savoir si une application correcte de l' article 6 de la directive requiert que le dédommagement à accorder inclue l' attribution d' intérêts sur le montant principal du préjudice jusqu' à la date du versement de l' indemnité.

Pour répondre à cette question, il y a lieu, selon nous, de distinguer deux périodes et donc deux sortes d' intérêts. D' une part, il y a les intérêts, désignés ci-après comme les intérêts judiciaires, qui, en règle générale (43), commencent à courir à partir du prononcé de la décision judiciaire (pour autant que celle-ci soit, le cas échéant, confirmée en appel) fixant le montant du dédommagement dû à la date de cette décision. Il s' agit des intérêts sur l' indemnité fixée par le juge. D' autre part, il y a les intérêts, désignés ci-après comme les intérêts compensatoires, qui constituent un élément du dédommagement total destiné à réparer l' injustice commise, dédommagement dont le montant est, ainsi que nous l' avons dit, fixé par le juge. La réponse à la question de savoir si des intérêts de ce type sont dus est fonction de la mesure dans laquelle le juge qui a statué sur le montant du préjudice a pu tenir compte de l' évolution de celui-ci jusqu' au jour du prononcé de sa décision (en première instance et éventuellement en appel). S' il clôture l' évaluation du préjudice à une date antérieure, par exemple parce qu' il ne dispose pas de données fiables lui permettant de déterminer le montant du dommage subi jusqu' au jour du prononcé de sa décision ou parce que, comme en l' espèce, le préjudice subi concerne exclusivement une période déjà (depuis longtemps) révolue au moment où intervient cette décision (44), alors (et c' est ainsi que l' Industrial Tribunal a procédé en l' espèce) il ajoutera au montant du préjudice subi des intérêts courant jusqu' au prononcé de la décision. Il s' agit dans ce cas d' intérêts constituant un élément du préjudice.

Nous insistons sur cette distinction parce que nous pensons que la réponse qu' il y a lieu de faire à la question posée varie selon le type d' intérêts considérés. Avant d' aborder ce point, nous voulons voir, brièvement, s' il est possible de tirer un enseignement de la jurisprudence de la Cour relative à l' octroi d' intérêts (45).

24. Jurisprudence de la Cour relative à l' octroi d' intérêts. Nous concentrerons d' abord notre attention sur la jurisprudence relative à l' octroi d' intérêts dans le contexte de procédures fondées sur les articles 178 et 215 du traité CEE. Cette jurisprudence bien établie ne laisse subsister aucun doute quant à la recevabilité d' une action visant à l' octroi d' intérêts. C' est ainsi que, dans l' arrêt Sofrimport, la Cour s' est exprimée dans les termes suivants:

"S' agissant d' une demande liée à la responsabilité non contractuelle de la Communauté en vertu de l' article 215, deuxième alinéa, elle doit être appréciée à la lumière des principes communs aux droits des États membres auxquels renvoie cette disposition. Il en résulte qu' une demande d' intérêts est, en général, admissible. Compte tenu des critères retenus par la Cour dans les affaires similaires, l' obligation de payer des intérêts naît à partir du présent arrêt, en tant qu' il constate l' obligation de réparer le préjudice..." (46).

Cet arrêt n' indique pas s' il s' agit d' intérêts compensatoires ou d' intérêts judiciaires au sens que nous avons donné précédemment à ces mots. A notre avis, on a affaire à un mélange des deux (et, donc, à des intérêts moratoires au sens général (47)), étant donné qu' ils commencent à courir à la date de l' arrêt qui constate l' obligation de dédommagement, c' est-à-dire un jour qui, dans les affaires fondées sur l' article 215, ne coïncide pas nécessairement avec celui où, en l' absence d' un accord des parties quant au montant du dommage, la Cour elle-même détermine l' ampleur de celui-ci.

Il convient de remarquer encore que le taux des intérêts accordés dans la jurisprudence citée est variable. Initialement, on appliquait un taux de 6 %; plus tard, dans l' arrêt Sofrimport (point 32) précité, ce taux a été porté à 8 %. Dans l' arrêt Mulder (point 35), cité ci-avant en note, la Cour a ajouté que ce taux ne pouvait être en aucun cas "supérieur à celui demandé dans les conclusions des recours". Dans une autre affaire, qui concernait un sursis à exécution fondé sur l' article 39 du traité CECA (et non donc une demande fondée sur les articles 178 et 215 du traité CEE), le président a subordonné l' octroi du sursis

"à la condition que la requérante constitue au préalable une garantie bancaire garantissant le paiement de l' amende ... et des intérêts de retard éventuels calculés, pour les besoins de la présente ordonnance, au taux d' escompte de la Banque de France augmenté de 1 %" (48).

25. Quoique les affaires de fonctionnaires soient soumises au régime spécial défini par le statut des fonctionnaires, nous ne voulons cependant pas négliger complètement cette partie de la jurisprudence de la Cour, vu qu' elle comporte aussi l' application d' autres dispositions du droit communautaire.

C' est ainsi qu' il ressort des arrêts rendus en ces matières notamment que, en ce qui concerne l' octroi d' intérêts, des considérations d' équité peuvent jouer un rôle. Déjà dans un arrêt rendu en 1978 (49), la Cour avait jugé, par exemple:

"[point 35] que ... il apparaît raisonnable de fixer la date de départ pour le calcul des intérêts moratoires au 1er septembre 1968;

[point 37] qu' enfin, l' application d' un taux de 8 % l' an, à titre d' intérêts moratoires, sur les années susdites, pour le calcul des dommages-intérêts, apparaît justifié dans les circonstances de l' espèce, compte tenu, notamment, du caractère forfaitaire de ce taux et de l' importance du retard avec lequel le dossier de l' accident a pu être traité" (italiques ajoutées par nous).

En outre, ces arrêts confirment qu' une partie qui, en vertu d' une décision de la Cour, a droit à un dédommagement, peut prétendre à des intérêts moratoires. La Commission cite à ce propos l' affaire Samara (50). Cette affaire concernait une décision de la Commission annulée par un arrêt de la Cour rendu le 15 janvier 1985 (51), décision ayant pour objet le classement d' un fonctionnaire à un grade et un échelon déterminés. La Commission n' avait exécuté que partiellement et tardivement cet arrêt, en conséquence de quoi la Cour a, par son arrêt du 17 février 1987, accordé à Mme Samara des intérêts moratoires sur la différence de traitement à laquelle son reclassement à un échelon supérieur lui donnait droit:

"[point 9] Dans ces conditions, une exécution correcte de l' arrêt exige, afin de remettre l' intéressée dans la situation qui aurait légalement dû être la sienne, la prise en considération du préjudice qu' elle a subi du fait que ce rétablissement est intervenu seulement après un laps de temps plus ou moins long et qu' elle n' a pu disposer des sommes auxquelles elle avait droit à leurs dates d' échéances normales. A cet effet, il y a lieu d' accorder à la requérante des intérêts moratoires évalués forfaitairement au taux de 8 % l' an à partir des dates d' échéances respectives jusqu' à solde."

26. Octroi d' intérêts obligatoire en cas d' application de l' article 6 de la directive? La jurisprudence de la Cour analysée ci-dessus prouve, en tout cas, que le droit communautaire permet l' octroi d' intérêts en considération du temps qui s' est écoulé depuis le moment où le juge a constaté l' irrégularité qui est à l' origine de l' obligation de dédommagement et donc, certainement, depuis le prononcé de la décision judiciaire qui a déterminé le montant du dommage. Mais, l' octroi d' intérêts est-il obligatoire?

Sur ce point, la distinction entre intérêts compensatoires et intérêts judiciaires est importante. Nous envisagerons d' abord le cas de ces derniers (sur lequel l' Industrial Tribunal ne s' est pas prononcé). A notre avis, il résulte de l' exigence d' une protection juridictionnelle contenue dans l' article 6 de la directive - lequel a, selon la jurisprudence actuelle de la Cour, en tout cas un effet direct à l' égard des États membres; voir n 5 ci-dessus - que l' octroi d' intérêts judiciaires est obligatoire, sans aucune restriction, pour la période commençant à courir à la date de la décision par laquelle le premier juge a déterminé le montant du dommage subi, pour autant que cette décision soit confirmée ultérieurement de manière définitive. En ce qui concerne ce type d' intérêts, on ne peut, par conséquent, pas invoquer une limite maximale d' indemnisation définie par la loi. En effet, comme la Cour l' a déclaré dans l' arrêt Johnston (déjà cité au n 5 ci-dessus), c' est, en effet, un principe général du droit, dont le contrôle juridictionnel imposé par l' article 6 de la directive est l' expression, qui veut que toute personne ait droit à un recours effectif devant une juridiction compétente contre les discriminations interdites par la directive. Cependant, ce principe général du droit communautaire exige aussi, à notre avis, que, dans la mesure où l' ordre juridique national permet à une personne d' interjeter appel de la décision du premier juge ou de se pourvoir contre celle-ci, elle puisse utiliser cette voie de recours sans subir de perte financière. Cela implique qu' elle doive être dédommagée du retard avec lequel l' indemnité due lui est versée en conséquence de cet appel ou de ce pourvoi. En décider autrement signifierait qu' une partie réclamant un dédommagement serait pénalisée financièrement si elle décidait d' interjeter appel d' une décision judiciaire qui ne lui donne pas satisfaction et qu' elle serait même éventuellement amenée à y renoncer en raison de considérations qui n' ont rien de juridique. En décider autrement signifierait aussi que la partie condamnée en première instance au versement d' un dédommagement serait, en tout cas, encouragée à faire appel de la décision en raison de l' avantage financier qu' elle pourrait en retirer.

En l' espèce, les considérations qui précèdent sont particulièrement pertinentes. Déjà dans un arrêt du 26 février 1986, la Cour a interprété l' article 5, paragraphe 1er, de la directive d' une manière telle qu' on pouvait en déduire l' existence d' une discrimination à l' égard de Mme Marshall. En conséquence de cela, la Court of Appeal a renvoyé l' affaire à l' Industrial Tribunal le 22 juillet 1986, afin que celui-ci statue sur le dédommagement à accorder. Le 21 juin 1988, l' Industrial Tribunal a fixé le montant de ce dédommagement à 19 405 UKL, montant que la Court of Appeal a ensuite réduit par application de la limite maximale prévue par la loi, dans la mesure où il ne s' agissait pas de sommes déjà versées par l' Authority (voir n 2 ci-dessus). C' est l' application de cette limite maximale prévue par la loi qui est concernée en l' espèce. S' il s' avère que cette limite maximale a été appliquée abusivement, il est, selon nous, sûr et certain que des intérêts judiciaires doivent être payés sur le montant dont le dédommagement a été indûment réduit (sauf si le dommage résultant du paiement tardif était réparé par une décision judiciaire ultérieure ou selon d' autres modalités), et cela à partir de la date de la décision de l' Industrial Tribunal.

27. Mais cela ne répond que partiellement à la question préjudicielle, telle que la House of Lords l' a formulée. Cette question concerne, en effet tous les intérêts dus à partir de la date de la discrimination illégale jusqu' à la date du versement du dédommagement. Nous devons donc encore aborder la question de savoir dans quelle mesure le droit communautaire impose l' octroi d' intérêts compensatoires, en tant qu' élément du dédommagement fixé par le premier juge. Comme nous l' avons dit précédemment, la somme de 7 710 UKL accordée par l' Industrial Tribunal constitue de tels intérêts compensatoires. Elle couvre, en effet, le préjudice subi par Mme Marshall jusqu' à la date de la décision du Tribunal.

Ces intérêts sont un élément, dans le plein sens du terme, du préjudice subi par Mme Marshall en conséquence et à partir de la discrimination constatée jusqu' à l' évaluation de ce préjudice par l' Industrial Tribunal. A propos de ce préjudice, nous avons dit précédemment d' une manière générale qu' une limite maximale d' indemnisation imposée par la législation nationale ne permet pas d' accorder à la personne qui a fait l' objet d' une discrimination le dédommagement adéquat au préjudice subi qu' exige l' article 6 de la directive, du fait notamment que cette limite empêche l' indemnisation d' une composante essentielle du dommage par le biais d' intérêts compensatoires.

28. Par souci d' être complet, nous voulons encore dire un mot du taux d' intérêt. Il s' agit, en principe, d' un problème qui, en l' absence de dispositions communautaires sur ce point, doit être tranché par le juge national. Cependant, pour constituer un dédommagement adéquat, les intérêts accordés doivent correspondre à la perte de pouvoir d' achat subie par le créancier du fait de l' écoulement du temps. Cela signifie, à notre avis, que le taux d' intérêt appliqué peut varier selon les pays, vu qu' il est lié au taux d' inflation observé dans le pays concerné et à la manière dont le capital y est habituellement rémunéré.

Conclusion

29. En conclusion, nous suggérons à la Cour de répondre aux questions déférées par la House of Lords dans l' ordre où elles ont été abordées ci-dessus et dans les termes suivants:

"1) S' il se révèle que la législation d' un État membre ne comporte pas de système de sanctions adéquat, tel que requis aussi bien par l' objectif de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, que par l' article 6 de celle-ci, une personne qui a fait l' objet d' une discrimination interdite par cette directive peut se prévaloir directement des dispositions de l' article 6 à l' encontre, en tout cas, d' une autorité qui est une émanation de cet État membre.

2) Si la législation nationale d' un État membre prévoit qu' une personne qui a fait l' objet d' une discrimination interdite par la directive 76/207/CEE peut réclamer en justice le versement d' un dédommagement à titre de réparation, dans l' état actuel du droit communautaire, cet État membre n' est pas automatiquement coupable d' un manquement à l' obligation qui lui incombe d' exécuter cette directive, s' il prévoit dans sa législation nationale une limite maximale d' indemnisation.

3) Une telle limite maximale est cependant incompatible avec l' article 6 de la directive 76/207/CEE si elle a pour conséquence que le dédommagement alloué n' est pas adéquat au préjudice subi, compte tenu des composantes essentielles de ce dédommagement et notamment des intérêts compensatoires. En outre, cette limite ne peut conduire à ce que le droit communautaire soit sanctionné moins efficacement que le droit national correspondant.

4) L' exigence d' une protection juridictionnelle, qui est formulée par l' article 6 de la directive 76/207/CEE et que les particuliers peuvent invoquer directement, implique que, en cas d' appel ou de pourvoi, des intérêts judiciaires soient dus depuis la date de la décision par laquelle le premier juge a déterminé le montant du préjudice subi, pour autant que cette décision soit ultérieurement confirmée à titre définitif."

(*) Langue originale: le néerlandais.

(1) - JO 1976, L 39, p. 40.

(2) - Arrêt du 26 février 1986, Marshall (152/84, Rec. p. 723).

(3) - L' exposé des faits joint à l' ordonnance de la House of Lords mentionne une somme de 7 700 UKL à titre d' intérêts . Je déduis, cependant, du point 11 de cet exposé des faits , qui indique que l' Authority a alors versé la somme de 5 445 UKL, représentant le solde du montant en capital accordé à Mme Marshall par l' Industrial Tribunal , que ce premier chiffre est le fruit d' une erreur matérielle. Dans les observations écrites qu' ils ont soumises à la Cour, la Commission comme le Royaume-Uni parlent d' ailleurs d' un montant de 7 710 UKL.

(4) - Déjà en 1982, la Cour a jugé que, sous certaines conditions, les particuliers pouvaient invoquer directement les dispositions d' une directive devant une juridiction nationale à l' encontre de l' autorité publique (voir arrêt du 19 janvier 1982, Becker, 8/81, Rec. p. 53, point 25).

(5) - Arrêt du 15 mai 1986 (222/84, Rec. p. 1651). Voir aussi arrêt du 15 octobre 1987, Heylens (222/86, Rec. p. 4097), point 14.

(6) - Arrêt Johnston, point 58.

(7) - Arrêt du 10 avril 1984, von Colson (14/83, Rec. p. 1891), point 27; arrêt du 10 avril 1984, Harz (79/83, Rec. p. 1921), point 27.

(8) - Voir arrêts du 21 septembre 1989, Commission/Grèce (68/88, Rec. p. 2965), point 23; arrêt du 10 juillet 1990, Hansen (C-326/88, Rec. p. I-2911), point 17; arrêt du 2 octobre 1991, Vandevenne (C-7/90, Rec. p. I-4371), point 11. On peut déjà trouver une amorce de cette jurisprudence dans l' arrêt du 2 février 1977, Amsterdam Bulb (50/76, Rec. p. 137), points 32-33.

(9) - Arrêts von Colson et Harz, point 22. Voir aussi point 15.

(10) - Arrêts von Colson et Harz, point 18.

(11) - Arrêts von Colson et Harz, points 23-24.

(12) - Voir les arrêts cités ci-dessus à la note 8: Commission/Grèce, point 24; Hansen, point 17 et Vandevenne, point 11.

(13) - Arrêts Commission/Grèce, points 24-25; Hansen, point 17 et Vandevenne, point 11. Quoique ces arrêts concernent les sanctions pénales, le critère de la sanction comparable ne vaut pas moins pour les sanctions civiles: voir arrêt du 19 novembre 1991, Francovich et Bonifaci (C-6/90 et C-9/90, Rec. p. I-5357), point 43.

(14) - Arrêt du 25 juillet 1991, Emmott (C-208/90, Rec. p. I-4269), point 16.

(15) - Arrêts von Colson et Harz, point 28.

(16) - Arrêt du 13 novembre 1990, Marleasing (C-106/89, Rec. p. I-4135), point 8.

(17) - Bien sûr dans le respect des principes généraux du droit, comme le principe de la sécurité juridique et celui de la non-rétroactivité: voir arrêt du 8 octobre 1987, Kolpinghuis Nijmegen (80/86, Rec. p. 3969), point 13.

(18) - Y. Galmot et J.C. Bonichot, La Cour de justice des Communautés européennes et la transposition des directives en droit national , Rev. fr. droit adm. 1988, 1, en particulier les pp. 20 et suiv.

(19) - Comme il résulte du point 8(5) de l' exposé des faits (déjà cité au n 3 ci-dessus).

(20) - Ainsi que l' a fait le juge allemand statuant après l' arrêt von Colson, Arbeitsgericht Hamm, arrêt du 6 septembre 1984, Der Betrieb Rec. p. 2700.

(21) - Il ressort de la jurisprudence de la Cour que, en ce qui concerne les dispositions du droit national, la portée d' une disposition législative doit être définie en tenant compte de l' interprétation qu' en ont faite les décisions judiciaires: voir le récent arrêt du 16 décembre 1992, Katsikas e.a. (C-132/91, C-138/91 et C-139/91, Rec. p. I-0000, point 39; voir arrêt du 16 avril 1991, Eurim-Pharm (C-347/89, Rec. p. I-1747), point 15.

(22) - Arrêt du 21 février 1991, Zuckerfabrik (C-143/88 et C-92/89, Rec. p. I-415), points 25 et suiv.

(23) - Arrêt du 12 juillet 1990, Foster (C-188/89, Rec. p. I-3313), point 22.

(24) - Dans l' affaire au terme de laquelle est intervenu cet arrêt, la discrimination que contestait la demanderesse était le fait d' une société de droit privé, plus précisément d' une GmbH allemande.

(25) - Voir notamment l' arrêt Foster déjà cité.

(26) - Au sujet des problèmes que cette situation soulève en Grande-Bretagne, voir G. de Búrca, Giving effect to European Community Directives , The Modern Law Review, 1992, 215-240.

(27) - Voir note 13.

(28) - Voir, dans le même sens, F. Emmert, Horizontale Drittwirkung von Richtlinien ? Lieber ein Ende mit Schrecken als ein Schrecken ohne End , Europaeisches Wirtschafts- & Steuerrecht - EWS 1992, p. 56 et suiv. Dans cet article, est réfutée l' opinion erronée selon laquelle, si on conférait un effet horizontal direct aux directives au moment - et pas avant - où expire le délai prévu pour leur transposition, cette mesure aurait pour effet de gommer la distinction faite par l' article 189 du traité CEE entre règlements et directives.

(29) - L' expression en tout cas ( in any event , in elk geval ) ne me paraît nullement synonyme de l' expression dans chaque cas [particulier] ( in each [particular] case , in ieder [afzonderlijk] geval ).

(30) - Il s' agit des directives 80/987/CEE du 20 octobre 1980 (JO 1980, L 283, p. 23), 85/374/CEE du 25 juillet 1985 (JO 1985, L 210, p. 29) et 90/314/CEE du 13 juin 1990 (JO 1990, L 158, p. 59) concernant respectivement les créances des travailleurs salariés à l' égard des entreprises insolvables, la responsabilité du fait des produits et les voyages à forfait.

(31) - Arrêt Francovich et Bonifaci (déjà cité à la note 13), point 40.

(32) - Idem, point 42.

(33) - Idem, point 43.

(34) - Rien, du reste, n' est plus logique. Le système de sanctions requis par l' article 6 de la directive peut, en effet, être considéré comme une lex specialis - relative à l' indemnisation des discriminations interdites par la directive - par rapport à la règle définie en matière de responsabilité par l' arrêt Francovich, qui constitue la lex generalis , plus précisément en ce qui concerne la transposition incorrecte des directives.

(35) - Cela n' empêche pas que les législations nationales, comme, d' ailleurs, l' article 215 du traité CEE, prévoient le plus souvent, par voie de règle générale, l' obligation de réparer intégralement (ou quasi-intégralement: voir note 41) le préjudice subi. Nous estimons, pourtant, que, dans son état actuel, le droit communautaire ne fait pas obstacle à ce qu' un État membre définisse une limite légale d' indemnisation en ce qui concerne des demandes en dommages-intérêts spécifiques, à condition, toutefois, qu' il soit satisfait aux critères de la sanction suffisamment contraignante et de la sanction comparable analysés ci-dessus dans le corps du texte.

(36) - D' après l' exposé des faits joint à l' ordonnance de renvoi, une juridiction ordinaire peut décider d' octroyer une indemnité pour dommage moral ( injury to feelings ) et des intérêts.

(37) - Il ressort notamment des observations présentées par le Royaume-Uni - qui n' a été contredit sur ce point par aucune des parties en cause - que ces personnes peuvent maintenant exiger aussi d' être réintégrées. Si l' employeur ne se conforme pas à une recommandation en ce sens qui lui est adressée par un tribunal, ces personnes ont droit à une indemnité supplémentaire pouvant s' élever jusqu' à 10 650 UKL.

(38) - Article 63, paragraphe 1er, du SDA.

(39) - Article 66, paragraphe 4, du SDA.

(40) - D' après les observations écrites de la Commission, l' Industrial Tribunal peut, comme les County Courts, faire application d' autres formes de sanction (par exemple, ordonner la réintégration de la personne discriminée, même si une telle ordonnance est rarement prononcée).

(41) - Le principe du dédommagement intégral (ou quasi-intégral, car il subsiste des divergences entre les systèmes juridiques nationaux, par exemple en ce qui concerne la réparation du préjudice moral et le préjudice imprévisible) est, nous semble-t-il, le régime de droit commun dans les États membres. Cela n' empêche pas que, dans tous les pays et aussi dans le droit communautaire lui-même (voir note 30), il existe, pour des motifs divers, des limitations valant pour certains types spécifiques de demandes fondées sur une discrimination, comme c' est le cas au Royaume-Uni pour la législation en cause en l' espèce. Seul le législateur communautaire peut introduire une plus grande uniformité sur ce plan.

(42) - Voir article 54 du Race Relations Act 1976 (loi de 1976 sur les relations entre les races).

(43) - Nous disons en règle générale parce que ces intérêts sont parfois présentés comme commençant à courir à dater de l' acte introductif d' instance.

(44) - Le préjudice patrimonial évalué par l' Industrial Tribunal englobait essentiellement, abstraction faite des intérêts, les revenus professionnels dont Mme Marshall a été privée et qui correspondaient à la période située entre son licenciement discriminatoire à l' âge de 62 ans et le moment où elle atteindrait l' âge de 65 ans (c' est-à-dire l' âge auquel elle aurait été admise à la retraite s' il n' y avait pas eu de discrimination), ainsi que la perte de prestations de pension due à ce licenciement prématuré.

(45) - Dans les développements qui précèdent, nous avons évité de parler d' intérêts moratoires . Cette expression a une portée plus générale: elle englobe en effet les deux sortes d' intérêts mentionnées précédemment, à savoir les intérêts compensatoires et les intérêts judiciaires, et fait référence à tous les intérêts accordés, en raison de l' écoulement du temps, avant ou après la décision judiciaire.

(46) - Arrêt du 26 juin 1990, Sofrimport/Commission (C-152/88, Rec. p. I-2477), point 32, confirmé ultérieurement par l' arrêt du 19 mai 1992, Mulder (C-104/89 et C-37/90, Rec. p. I-3062), point 35. Voir aussi précédemment l' arrêt du 4 octobre 1979, Ireks-Arkady/Conseil et Commission (238/78, Rec. p. 2955), point 20; arrêt du 4 octobre 1979, DGV/Conseil et Commission (241/78, 242/78, 245/78 à 250/78, Rec. p. 3017), point 22; arrêt du 4 octobre 1979, Interquell et Staerke-Chemie/Conseil et Commission (261/78 et 262/78, Rec. p. 3045), point 23; arrêt du 4 octobre 1979, Dumortier Frères/Conseil (64/76 et 113/76, 167/78 et 239/78, 27/79, 28/79 et 45/79, Rec. p. 3091), point 25; arrêt du 19 mai 1982, Dumortier Frères/Conseil (64/76 et 113/76, 167/78 et 239/78, 27/79, 28/79 et 45/79, Rec. p. 1733), point 11; arrêt du 18 mai 1983, Pauls Agriculture/Conseil et Commission (256/81, Rec. p. 1707), point 17; arrêt du 13 novembre 1984, Birra Wuehrer/Conseil et Commission (256/80, 257/80, 265/80 et 267/80, 5/81 et 51/81 et 282/82, Rec. p. 3693), point 37.

(47) - Voir note 45.

(48) - Ordonnance du président de la Cour du 5 juillet 1983, Usinor/Commission (78/83 R, Rec. p. 2183), point 1 du dispositif.

(49) - Arrêt du 16 mars 1978, Leonardini/Commission (115/76, Rec. p. 735).

(50) - Arrêt du 17 février 1987, Samara/Commission (21/86, Rec. p. 795).

(51) - Arrêt du 15 janvier 1985, Samara/Commission (266/83, Rec. p. 189).