61990J0258

Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 7 mai 1992. - Pesquerias De Bermeo SA et Naviera Laida SA contre Commission des Communautés européennes. - Pêche - Projet de campagne de pêche expérimentale - Décision de la Commission constatant que le projet ne remplit pas les conditions pour obtenir un concours financier communautaire au titre du règlement n. 4028/86 du Conseil. - Affaires jointes C-258/90 et C-259/90.

Recueil de jurisprudence 1992 page I-02901


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


++++

1. Pêche - Politique commune des structures - Pêche expérimentale - Concours financier communautaire - Délai imparti à la Commission pour décider de l' octroi d' une prime d' encouragement - Caractère non impératif

(Règlement du Conseil n 4028/86, art. 16, § 3; règlement de la Commission n 1871/87, art. 3, § 2)

2. Pêche - Politique commune des structures - Pêche expérimentale - Concours financier communautaire - Décision de la Commission - Pouvoir d' appréciation assorti de garanties procédurales - Obligation de motivation

((Règlement du Conseil n 4028/86, art. 13 et 14, § 1 et 2, sous c) ))

3. Droit communautaire - Principes - Protection de la confiance légitime - Limites - Secteur de la pêche expérimentale - Pouvoir d' appréciation des institutions communautaires

(Règlement du Conseil n 4028/86, art. 16, § 3)

4. Responsabilité non contractuelle - Conditions - Illicéité - Préjudice - Lien de causalité

(Traité CEE, art. 215, alinéa 2)

Sommaire


1. Il résulte tant de l' économie du règlement n 4028/86, relatif à des actions communautaires pour l' amélioration et l' adaptation des structures du secteur de la pêche et de l' aquaculture, que de l' article 3, paragraphe 2, du règlement n 1871/87, portant modalités d' application dudit règlement en ce qui concerne les actions d' encouragement à la pêche expérimentale, que le délai de deux mois suivant la présentation d' un projet de pêche expérimentale, imparti par l' article 16, paragraphe 3, du règlement n 4028/86 à la Commission pour décider de l' octroi d' une prime d' encouragement, n' est pas impératif.

2. Lorsque la Commission est amenée à prendre une décision, en vertu de l' article 14 du règlement n 4028/86, sur l' octroi d' un concours financier à un projet de campagne de pêche expérimentale, telle que définie à l' article 13 du même règlement, elle jouit d' un large pouvoir d' appréciation quant à l' existence des conditions justifiant l' octroi du concours, et notamment de celle exigeant que le projet concerne des zones de pêche dont le potentiel halieutique estimé permet d' envisager, à terme, une exploitation stable et rentable. Ce pouvoir d' appréciation confère une importance fondamentale au respect des garanties dont l' ordre juridique communautaire assortit le déroulement des procédures administratives. Parmi ces garanties figure notamment l' obligation de motiver la décision de façon suffisante. Cette motivation doit faire apparaître, d' une manière claire et non équivoque, le raisonnement de l' auteur de l' acte, de façon à permettre à l' intéressé de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre ses droits et à la Cour d' exercer son contrôle.

3. Les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance dans le maintien d' une situation existante qui peut être modifiée dans le cadre du pouvoir d' appréciation des institutions communautaires. Il en est ainsi dans un domaine comme celui du secteur de la pêche expérimentale, dont l' objet comporte une constante adaptation en fonction, notamment, des résultats des campagnes de pêche antérieures. Dès lors, les opérateurs économiques ne sauraient invoquer leur confiance légitime à obtenir des primes d' encouragement pour des projets en invoquant l' octroi de telles primes pour des campagnes antérieures. Ils ne peuvent pas davantage fonder une telle confiance sur l' expiration du délai imparti par l' article 16, paragraphe 3, du règlement n 4028/86 à la Commission pour décider de l' octroi d' une prime étant donné, d' une part, que ce délai n' est pas impératif et, d' autre part, que son expiration n' a pas pour effet de conférer aux demandeurs un droit au concours financier instauré par ledit règlement.

4. L' engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté, au sens de l' article 215, deuxième alinéa, du traité, est subordonné à la réunion d' un ensemble de conditions en ce qui concerne l' illégalité du comportement reproché aux institutions communautaires, la réalité du dommage et l' existence d' un lien de causalité entre le comportement et le préjudice invoqué.

Parties


Dans les affaires jointes C-258/90 et C-259/90,

Pesquerias De Bermeo SA et Naviera Laida SA, sociétés de droit espagnol, établies à las Arenas-Guecho (Espagne), représentées par Mes Antonio Ferrer Lopez et Luis María Angulo Errazquin, avocats au barreau de Vizcaya, ayant élu domicile à Luxembourg en l' étude de Mes Arendt et Harles, 4, avenue Marie-Thérèse,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. José Luis Iglesias Buhigues, conseiller juridique, en qualité d' agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Roberto Hayder, représentant du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet l' annulation des décisions de la Commission, respectivement EXP/ES/1/90 et EXP/ES/2/90, du 6 juin 1990, constatant que les projets de campagnes de pêche expérimentale dans les eaux de la zone de l' Atlantique du Sud-Ouest ne remplissent pas les conditions nécessaires pour l' octroi d' un concours financier communautaire au titre du règlement (CEE) n 4028/86 du Conseil, du 18 décembre 1986, relatif à des actions communautaires pour l' amélioration et l' adaptation des structures du secteur de la pêche et de l' aquaculture (JO L 376, p. 7),

LA COUR (deuxième chambre),

composée de MM. F. A. Schockweiler, président de chambre, G. F. Mancini et J. L. Murray, juges,

avocat général: M. C. Gulmann

greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, administrateur principal

vu le rapport d' audience,

ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l' audience du 12 novembre 1991, au cours de laquelle les parties requérantes ont été représentées par Mes A. Ferrer Lopez et L. M. Angulo Errazquin, avocats au barreau de Vizcaya, et la Commission par M. J. L. Iglesias Buhigues, en qualité d' agent,

ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 21 janvier 1992,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par deux requêtes déposées au greffe de la Cour le 23 août 1990, les sociétés anonymes Naviera Laida (ci-après "Naviera") et Pesquerias De Bermeo (ci-après "Pesquerias"), établies à las Arenas-Guecho (Espagne), ont introduit plusieurs demandes. La première, fondée sur l' article 173, deuxième alinéa, du traité CEE, vise l' annulation des décisions EXP/ES/1/90 et EXP/ES/2/90 de la Commission, du 6 juin 1990, constatant que les projets de campagnes de pêche expérimentale dans les eaux de la zone de l' Atlantique du Sud-Ouest ne remplissent pas les conditions nécessaires pour l' octroi d' un concours financier communautaire au titre du règlement (CEE) n 4028/86 du Conseil, du 18 décembre 1986, relatif à des actions communautaires pour l' amélioration et l' adaptation des structures du secteur de la pêche et de l' aquaculture (JO L 376, p. 7). La deuxième demande tend à ce que la Cour dise pour droit qu' en vertu de l' article 15 du même règlement les requérantes avaient droit aux concours financiers communautaires pour les projets de campagnes de pêche en question. La troisième, fondée sur les articles 178 et 215, deuxième alinéa, du traité CEE, vise la réparation des préjudices qu' elles auraient subis en raison de l' adoption des décisions litigieuses.

2 Le 14 février 1990, Naviera et Pesquerias ont introduit, auprès de la Commission des Communautés européennes, par l' intermédiaire des autorités espagnoles, deux demandes de primes d' encouragement pour des projets de campagnes de pêche expérimentale à réaliser avec les navires "Geminis" et "Ceres" dans les eaux de la zone de l' Atlantique du Sud-Ouest.

3 Les deux navires ont commencé ces campagnes respectivement le 15 février 1990 à Montevideo (Uruguay) et le 22 février 1990 à Punta Arenas (Chili).

4 La Commission a accusé réception des demandes susmentionnées le 7 mars 1990.

5 Le 24 avril suivant, devant le comité permanent des structures de la pêche (ci-après "comité") prévu à l' article 16 du règlement n 4028/86, la Commission a fait savoir qu' en ce qui concerne l' année 1990 elle n' estimait plus opportun de poursuivre de telles campagnes dans les zones de l' Atlantique du Sud-Ouest où les campagnes antérieures s' étaient déroulées. La Commission a basé cette déclaration sur l' octroi, entre 1987 et 1989, de 42 primes d' encouragement, dont 25 concernaient des campagnes effectuées dans la même zone de l' Atlantique du Sud-Ouest et pour les mêmes espèces que celles visées par Naviera et Pesquerias dans leurs demandes. Par lettres du 25 avril 1990, la Commission a informé les intéressées que des campagnes de pêche expérimentale dans l' Atlantique du Sud-Ouest ne bénéficieraient plus de primes d' encouragement.

6 Au cours du mois de mai, Naviera et Pesquerias ont relevé dans deux lettres que leurs demandes avaient été introduites le 14 février 1990 et que la Commission en avait accusé réception le 7 mars 1990. Les lettres de la Commission du 25 avril 1990 auraient fait apparaître que les décisions, qui devaient être prises en vertu du règlement n 4028/86, n' avaient pas encore été adoptées et cela en méconnaissance du délai de deux mois prévu à l' article 16, paragraphe 3, dudit règlement.

7 Le 6 juin 1990, la Commission a arrêté les deux décisions litigieuses, adressées au royaume d' Espagne ainsi qu' à Pesquerias et Naviera. Aux articles 1ers de ces décisions, elle constate que les projets de campagnes de pêche expérimentale dans les eaux de l' Atlantique du Sud-Ouest ne remplissent pas les conditions nécessaires pour obtenir un concours financier communautaire au titre du règlement n 4028/86. Les deuxième et troisième considérants des décisions attaquées sont libellés comme suit:

"Considérant que les pêcheurs communautaires connaissent le potentiel marin de cette zone; que l' on connaît par ailleurs les résultats de l' exploitation de ladite zone et qu' une campagne de pêche expérimentale dans le but d' évaluer la rentabilité d' une exploitation régulière et durable des ressources halieutiques de la zone ne se justifie pas;

considérant par conséquent que cette campagne de pêche expérimentale ne remplit pas les conditions prévues pour le concours financier communautaire, en particulier les conditions visées à l' article 14, paragraphe 2, sous c), du règlement (CEE) n 4028/86 ..."

8 Il y a lieu de rappeler que, le 7 novembre 1989, la Commission avait octroyé des primes d' encouragement à des campagnes de pêche expérimentale qui avaient été réalisées par les mêmes bateaux "Geminis" et "Ceres" dans les mêmes zones de l' Atlantique du Sud-Ouest et pour les mêmes espèces que ceux qui faisaient l' objet des décisions attaquées.

9 En vertu de l' article 1er du règlement n 4028/86, la Commission peut apporter un concours financier communautaire à certaines actions entreprises, notamment, dans le domaine de la réorientation de l' activité de pêche par la mise en place de campagnes de pêche expérimentale. Ce concours est apporté afin de faciliter l' évolution structurelle du secteur de la pêche dans le cadre des orientations de la politique commune de la pêche.

10 Aux termes de l' article 13 du règlement précité,

"on entend par campagne de pêche expérimentale toute opération de pêche à des fins commerciales effectuée dans une zone donnée, dans le but d' évaluer la rentabilité d' une exploitation régulière et durable des ressources halieutiques de cette zone".

11 Conformément aux paragraphes 2 et 3 de l' article 14 du règlement n 4028/86,

"2. pour bénéficier d' un concours financier communautaire, les projets visés au paragraphe 1 doivent en outre:

a) ...

b) ...

c) concerner des zones de pêche dont le potentiel halieutique estimé permet d' envisager, à terme, une exploitation stable et rentable ...

d) ...

3. Un projet peut comporter plusieurs campagnes successives à effectuer dans la même zone de pêche en vue d' établir les bases d' une exploitation stable et durable de celle-ci".

12 En vertu de l' article 16 du règlement précité, les projets de campagnes de pêche expérimentale sont introduits auprès de la Commission par l' intermédiaire des autorités nationales compétentes et après avoir recueilli leur avis favorable. Aux termes du paragraphe 3 de cet article,

"Dans les deux mois suivant la présentation d' un projet, la Commission décide de l' octroi de la prime ... Cette décision est notifiée aux bénéficiaires ainsi qu' à l' État membre ou aux États membres concernés. Les autres États membres en sont informés dans le cadre du comité permanent des structures de la pêche ..."

13 Selon les dispositions de l' article 3, paragraphe 2, du règlement (CEE) n 1871/87 de la Commission, du 16 juin 1987, portant modalités d' application du règlement n 4028/86 du Conseil en ce qui concerne les actions d' encouragement à la pêche expérimentale (JO L 180, p. 1), pour pouvoir bénéficier d' une prime d' encouragement les campagnes ne peuvent débuter qu' après la date de l' enregistrement de la demande de concours auprès de la Commission.

14 Pour un plus ample exposé des faits du litige, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties il est renvoyé au rapport d' audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Sur les conclusions aux fins d' annulation

15 A l' appui de leurs conclusions aux fins d' annulation, Naviera et Pesquerias avancent des moyens tirés en substance, d' abord, de la méconnaissance, par la Commission, du délai de deux mois prévu à l' article 16, paragraphe 3, du règlement n 4028/86, ensuite, du non-respect des conditions exigées par ce règlement pour qu' une campagne de pêche expérimentale puisse bénéficier du concours financier communautaire ainsi que de l' obligation de motivation et, enfin, de la violation du principe de la confiance légitime.

Quant au moyen tiré de la méconnaissance du délai de deux mois

16 Naviera et Pesquerias estiment que, en vertu de l' article 16, paragraphe 3, précité, la Commission est obligée de statuer sur l' octroi de la prime d' encouragement à un projet de campagne de pêche expérimentale dans les deux mois suivant la présentation du projet. Les décisions de la Commission adoptées après l' expiration dudit délai seraient entachées d' une illégalité susceptible d' entraîner leur annulation. Par ailleurs, par de telles décisions tardives, la Commission ne pourrait qu' accorder les concours financiers communautaires sollicités.

17 La Commission est d' avis que le délai de deux mois, prévu à l' article 16, paragraphe 3, n' est pas impératif mais simplement indicatif. A partir de sa date d' expiration, les demandeurs de primes seraient en droit d' employer les moyens que le traité met à leur disposition pour faire remédier à la carence de l' institution. En tout état de cause, le non-respect du délai serait sans effet sur le contenu de la décision concernant une demande de prime d' encouragement pour une campagne de pêche expérimentale.

18 A cet égard, il convient de constater, d' abord, qu' aucune disposition spécifique du règlement n 4028/86 ne prévoit de conséquences en cas de non-respect par la Commission du délai prévu à l' article 16, paragraphe 3, dudit règlement.

19 Il y a lieu de relever, ensuite, qu' il résulte de la finalité que le règlement attribue aux décisions de la Commission concernant l' octroi des primes d' encouragement que ce délai n' est pas impératif.

20 En effet, aucune disposition du règlement n 4028/86 ne permet de considérer que l' amélioration des possibilités de pêche en dehors des eaux soumises à la réglementation communautaire, soulignée aux quatrième et onzième considérants de ce règlement, est subordonnée au respect du délai prévu à l' article 16, paragraphe 3, du règlement n 4028/86.

21 Par ailleurs, le caractère non impératif du délai en cause est confirmé par les dispositions de l' article 3, paragraphe 2, du règlement n 1871/87. En vertu de celles-ci, il est loisible au demandeur d' une prime d' encouragement de faire débuter la campagne de pêche expérimentale dès le lendemain de l' enregistrement de sa demande, donc bien avant que la Commission ait arrêté sa décision, et en tout cas avant l' expiration du délai de deux mois en cause. Le demandeur qui opte pour cette possibilité le fait à son propre risque, compte tenu de ce que la Commission peut arrêter une décision refusant le concours sollicité.

22 Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance, par la Commission, du délai de deux mois prévu à l' article 16, paragraphe 3, du règlement n 4028/86 n' est pas fondé.

Quant aux moyens tirés de la violation des conditions d' application du règlement n 4028/86 et de l' obligation de motivation

23 A cet égard, Naviera et Pesquerias font valoir que leurs demandes de 1990, de même que de celles de 1989, remplissaient toutes les conditions exigées par le règlement n 4028/86, et plus particulièrement celle prévue en son article 14, paragraphe 2, sous c). Ainsi, pour envisager, à terme, une exploitation stable et rentable il faudrait plusieurs campagnes successives, au sens du paragraphe 3 de cet article. Par ailleurs, pour refuser les primes d' encouragement, la Commission se serait fondée sur des critères adoptés postérieurement à la date d' expiration du délai prévu à l' article 16, paragraphe 3, du règlement, précité. Enfin, les décisions attaquées, qui ne contiennent aucune explication au sujet des critères ainsi retenus, méconnaîtraient l' obligation de motivation prévue à l' article 190 du traité CEE.

24 La Commission estime que, avant d' arrêter une décision sur l' octroi d' un concours financier à une campagne de pêche expérimentale, elle doit évaluer les données techniques du projet, en le situant dans le cadre général et complexe du secteur de la pêche. Pour faire cette évaluation, elle disposerait d' un pouvoir d' appréciation, qu' elle n' aurait pas dépassé en prenant en compte les résultats des campagnes de pêches expérimentales antérieures effectuées dans l' Atlantique du Sud-Ouest. Ainsi qu' il résulterait de la motivation des décisions attaquées, les projets en cause ne rempliraient pas certaines des conditions exigées pour l' octroi de la prime. Par ailleurs, il ne découlerait pas de l' article 14, paragraphe 3, précité, qui prévoit qu' un projet peut comporter plusieurs campagnes successives à effectuer dans la même zone, que la Commission serait contrainte d' approuver plus d' une campagne par projet pour évaluer la rentabilité, à terme, d' une exploitation stable dans une zone déterminée.

25 Sur ce point, il convient de constater, d' abord, que l' article 13 du règlement n 4028/86 définit la pêche expérimentale comme toute opération de pêche à des fins commerciales effectuée, dans une zone donnée, dans le but d' évaluer la rentabilité d' une exploitation régulière et durable des ressources halieutiques de cette zone. Ainsi, la Commission ne peut allouer un concours financier à un tel projet que si celui-ci concerne, d' une part, une zone bien définie et située dans des eaux déterminées à l' article 14, paragraphe 1, du règlement n 4028/86 et, d' autre part, des zones de pêche dont le potentiel halieutique estimé permet d' envisager, à terme, une exploitation stable et rentable, au sens du paragraphe 2, sous c), de ce même article. Lorsque la Commission est amenée à prendre une décision, en vertu de l' article 14 du règlement n 4028/86, elle jouit d' un large pouvoir d' appréciation quant à l' existence des conditions justifiant l' octroi d' un concours financier.

26 Il y a lieu de rappeler, ensuite, la jurisprudence de la Cour (voir arrêt du 21 novembre 1991, TU-Muenchen, points 14 et 26, C-269/90, Rec. p. I-0000) selon laquelle, dans le cas où les institutions de la Communauté disposent d' un tel pouvoir d' appréciation, le respect des garanties conférées par l' ordre juridique communautaire dans les procédures administratives revêt une importance fondamentale. Parmi ces garanties figurent notamment l' obligation de motiver la décision de façon suffisante. Cette motivation doit faire apparaître, d' une manière claire et non équivoque, le raisonnement de l' auteur de l' acte, de façon à permettre à l' intéressé de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre ses droits et à la Cour d' exercer son contrôle.

27 A cet égard, il convient de constater, d' une part, que dans les considérants des décisions attaquées du 6 juin 1980, la Commission précise que les pêcheurs communautaires connaissent le potentiel de la zone de pêche en cause, que les résultats de l' exploitation de ladite zone sont connus par les opérateurs concernés et qu' une campagne de pêche expérimentale dans le but d' évaluer la rentabilité d' une exploitation régulière et durable des ressources halieutiques de cette zone ne se justifie pas; la Commission ajoute que ces campagnes de pêches expérimentales ne remplissent pas les conditions prévues pour le concours financier communautaire, en particulier celles visées à l' article 14, paragraphe 2, sous c), du règlement n 4028/86.

28 D' autre part, la Commission, se basant sur les résultats de 25 campagnes de pêche expérimentale, dont certaines avaient d' ailleurs été faites par Naviera et Pesquerias elles-mêmes, entre 1987 et 1989 dans la zone de l' Atlantique du Sud-Ouest, avait dès le mois d' avril 1990 communiqué sa position au comité ainsi qu' à Naviera et Pesquerias.

29 Il résulte des développements qui précèdent que la Commission a suffisamment motivé ses décisions de refus et que, dès lors, les moyens tirés de la violation des conditions d' application du règlement n 4028/86 et de l' obligation de motivation doivent être rejetés.

Quant au moyen tiré de la violation du principe de la confiance légitime

30 Naviera et Pesquerias considèrent que la Commission a en substance méconnu le principe de la confiance légitime, dans la mesure où elles s' attendaient à obtenir des primes d' encouragement pour les projets 1990 en cause, étant donné qu' ils étaient substantiellement identiques à ceux présentés en 1989 et pour lesquels de telles primes avaient été octroyées.

31 La Commission considère à titre principal que ce moyen est irrecevable, au motif qu' il aurait été soulevé pour la première fois dans la réplique.

32 A cet égard, il suffit de constater que Naviera et Pesquerias ont fait état dans leurs requêtes de cette prétendue violation du principe de la confiance légitime. Dès lors, il ne s' agit pas d' un moyen nouveau introduit au cours de la procédure et, partant, l' exception soulevée par la Commission doit être rejetée.

33 La Commission fait valoir, à titre subsidiaire, que l' approbation des projets de 1989 n' entraîne pas automatiquement celle des projets ultérieurs, même s' ils concernent les mêmes bateaux, espèces et zone de pêche. Par ailleurs, la Commission estime que les parties requérantes avaient reçu, avant l' expiration du délai de deux mois prévu à l' article 16, paragraphe 3, précité, des informations qui laissaient prévoir le rejet des demandes en question.

34 S' agissant de la prétendue violation du principe de la confiance légitime, il y a lieu de rappeler qu' il est de jurisprudence constante que, si ce principe s' inscrit parmi les principes fondamentaux de la Communauté, les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance dans le maintien d' une situation existante qui peut être modifiée dans le cadre du pouvoir d' appréciation des institutions communautaires (voir en ce sens arrêt du 14 février 1990, Delacre/Commission, point 33, C-350/88, Rec. p. I-395). Il en est ainsi dans un domaine comme celui du secteur de la pêche expérimentale, dont l' objet comporte une constante adaptation en fonction, notamment, des résultats des campagnes de pêche antérieures.

35 Dès lors, les opérateurs économiques ne sauraient invoquer leur confiance légitime à obtenir des primes d' encouragement pour des projets en invoquant l' octroi de telles primes pour des campagnes antérieures.

36 Les opérateurs économiques ne peuvent pas davantage fonder une telle confiance sur l' expiration du délai de deux mois prévu à l' article 16, paragraphe 3, précité. En effet, d' une part, ce délai n' est pas impératif et, d' autre part, son expiration n' avait pas pour effet de conférer aux demandeurs un droit au concours financier en cause. Par ailleurs, la Commission avait informé Naviera et Pesquerias, dès le mois d' avril, de ce qu' elle ne pouvait pas envisager l' octroi de primes à des projets concernant la zone de l' Atlantique du Sud-Ouest.

37 Par conséquent, Naviera et Pesquerias ne sauraient être fondées à se prévaloir de la méconnaissance par la Commission du principe de la confiance légitime.

38 Ce moyen n' étant pas davantage fondé, il convient de rejeter les conclusions aux fins d' annulation des décisions attaquées dans leur ensemble.

Sur les conclusions tendant à ce que la Cour dise pour droit que Naviera et Pesquerias avaient droit aux primes d' encouragement pour les projets de campagnes en cause

39 Naviera et Pesquerias estiment que, suite à l' annulation des décisions attaquées, la Cour devrait déclarer que les parties requérantes avaient droit aux primes d' encouragement pour les projets de campagnes de pêche expérimentale dans l' Atlantique du Sud-Ouest.

40 A cet égard, il suffit de constater que, dans le cadre d' un recours en annulation, les conclusions tendant à voir déclarer par la Cour que les requérantes avaient droit à certaines prestations sont irrecevables, de sorte que les conclusions correspondantes de leurs recours ne peuvent qu' être rejetées.

Sur les conclusions aux fins d' indemnités

41 Naviera et Pesquerias considèrent que les conditions pour engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté sont réunies en l' espèce, dans la mesure où, en refusant illégalement de leur accorder les concours financiers communautaires, la Commission leur aurait causé un préjudice.

42 Il convient de rappeler à cet égard que, selon une jurisprudence constante, l' engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté, au sens de l' article 215, deuxième alinéa, du traité, est subordonné à la réunion d' un ensemble de conditions en ce qui concerne l' illégalité du comportement reproché aux institutions communautaires, la réalité du dommage et l' existence d' un lien de causalité entre le comportement de l' institution et le préjudice invoqué (voir en ce sens arrêt du 27 mars 1990, Grifoni/Commission, point 6, C-308/87, Rec. p. I-1203).

43 Il résulte des développements qui précèdent qu' aucune illégalité de nature à engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté ne peut être retenue à l' encontre de la Commission en relation avec l' adoption des décisions attaquées.

44 Par conséquent, et sans qu' il y ait lieu d' examiner la réalité des préjudices invoqués ni l' existence d' un lien de causalité entre le comportement de l' institution et ces préjudices, il convient de rejeter les conclusions aux fins d' indemnités.

45 Ces dernières conclusions étant également rejetées, il convient de rejeter les recours de Naviera et Pesquerias dans leur ensemble.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

46 Aux termes de l' article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s' il est conclu en ce sens. Naviera et Pesquerias ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR (deuxième chambre)

déclare et arrête:

1) Les recours sont rejetés.

2) Les requérantes sont condamnées aux dépens.