61990J0213

Arrêt de la Cour du 4 juillet 1991. - Association de soutien aux travailleurs immigres (ASTI) contre Chambre des employés privés. - Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation - Grand-Duché de Luxembourg. - Libre circulation des travailleurs - Egalité de traitement - Participation à la gestion d'organismes de droit public et exercice d'une fonction de droit public. - Affaire C-213/90.

Recueil de jurisprudence 1991 page I-03507
édition spéciale suédoise page I-00289
édition spéciale finnoise page I-00301


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


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Libre circulation des personnes - Travailleurs - Égalité de traitement - Exercice des droits syndicaux - Législation nationale excluant les travailleurs étrangers de la participation à l' élection des membres d' une chambre professionnelle à laquelle ils sont obligatoirement affiliés - Inadmissibilité - Justification tirée d' une éventuelle participation à l' exercice de la puissance publique - Absence

( Règlement du Conseil n 1612/68, art . 8, § 1 )

Sommaire


L' article 8, paragraphe 1, du règlement n 1612/68 constitue une expression particulière du principe de non-discrimination dans le domaine spécifique de la participation des travailleurs aux organisations et aux activités syndicales, et sa portée ne saurait être limitée en fonction de considérations tenant à la forme juridique de l' organisme en cause . Au contraire, l' exercice des droits syndicaux visés par cette disposition sort du cadre des organisations syndicales proprement dites et inclut notamment la participation des travailleurs à des organismes qui, tout en n' ayant pas la nature juridique d' organisations syndicales, exercent des fonctions analogues de défense et de représentation des intérêts des travailleurs .

Cette disposition doit, dès lors, être interprétée en ce sens qu' elle s' oppose à ce que le législateur refuse aux travailleurs étrangers le droit de vote aux élections des membres d' une chambre professionnelle à laquelle ils sont obligatoirement affiliés et doivent cotiser, qui est chargée de la défense des intérêts des travailleurs affiliés et exerce une fonction consultative dans le domaine législatif . Ni la nature juridique de la chambre en cause selon le droit national ni la circonstance que certaines de ses fonctions pourraient comporter une participation à l' exercice de la puissance publique ne sauraient justifier l' exclusion des travailleurs des autres États membres de la participation à l' élection de ses membres .

Parties


Dans l' affaire C-213/90,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l' article 177 du traité CEE, par la Cour de cassation du Luxembourg et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Association de soutien aux travailleurs immigrés ( ASTI )

et

Chambre des employés privés,

une décision à titre préjudiciel sur l' interprétation des articles 7, 48, 117, 118, 118 A et 189, deuxième alinéa, du traité CEE et 7 et 8 du règlement ( CEE ) n 1612/68, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l' intérieur de la Communauté ( JO L 257, p . 2 ),

LA COUR,

composée de MM . G . F . Mancini, président de chambre, f.f . de président, T . F . O' Higgins et G . C . Rodríguez Iglesias, présidents de chambre, Sir Gordon Slynn, MM . R . Joliet, F . A . Schockweiler et F . Grévisse, juges,

avocat général : M . F . G . Jacobs

greffier : Mme D . Louterman, administrateur principal

considérant les observations écrites présentées :

- pour l' ASTI, par Me G . Thomas, avocat-avoué au barreau de Luxembourg,

- pour la chambre des employés privés, par Me A . T . Ries, avocat-avoué au barreau de Luxembourg,

- pour le gouvernement luxembourgeois, par M . J . Zahlen, conseiller de gouvernement au ministère du Travail, en qualité d' agent,

- pour la Commission des Communautés européennes, par M . D . Gouloussis, conseiller juridique, en qualité d' agent,

vu le rapport d' audience,

ayant entendu les observations orales du gouvernement luxembourgeois, représenté par Me L . Schiltz, avocat au barreau de Luxembourg, de l' ASTI, de la chambre des employés privés et de la Commission à l' audience du 14 mars 1991,

ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 8 mai 1991,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par arrêt du 12 juillet 1990, parvenu à la Cour le 17 juillet suivant, la Cour de cassation du Luxembourg a posé, en vertu de l' article 177 du traité CEE, une question préjudicielle concernant l' interprétation des articles 7, 48, 117, 118, 118 A et 189, deuxième alinéa, du traité CEE et 7 et 8 du règlement ( CEE ) n 1612/68, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l' intérieur de la Communauté ( JO L 257, p . 2 ).

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d' un litige opposant l' Association de soutien aux travailleurs immigrés ( ci-après "ASTI ") à la chambre des employés privés .

3 La chambre des employés privés a été créée par la loi luxembourgeoise du 4 avril 1924, portant création des chambres professionnelles à base élective . Cette loi a institué également les chambres d' agriculture, des artisans, de commerce et de travail . La loi du 12 février 1964 créa la chambre des fonctionnaires et employés publics, permettant ainsi que soit couvert l' ensemble des activités professionnelles, à l' exception des professions libérales . La loi assigne comme mission générale aux chambres professionnelles la sauvegarde et la défense des intérêts de leurs ressortissants, c' est-à-dire de leurs affiliés .

4 Les chambres professionnelles ont le droit de faire au gouvernement des propositions que ce dernier est obligé d' examiner et de soumettre à la chambre des députés . Le législateur est tenu de demander l' avis des chambres professionnelles pour toutes les lois et tous arrêtés et règlements les concernant .

5 L' article 6 de la loi de 1924 n' accorde la qualité d' électeur des membres des chambres qu' aux personnes possédant la nationalité luxembourgeoise . Pour faire face à leurs dépenses, les chambres peuvent, conformément à l' article 3, tel que modifié par la loi du 3 juin 1926, percevoir sur leurs ressortissants une cotisation par voie de retenue opérée par l' employeur sur les traitements ou salaires . Avant cette modification de la loi, la cotisation ne pouvait être perçue que sur les électeurs .

6 Par lettre adressée le 17 mars 1987 à la chambre des employés privés, l' ASTI a informé celle-ci qu' en sa qualité d' employeur et en accord avec ses trois salariés étrangers, ressortissants d' autres États membres, elle avait décidé de ne pas verser les cotisations à ladite chambre au motif qu' il lui paraissait illogique de cotiser à un organisme pour le compte de salariés qui en étaient exclus .

7 La chambre des employés privés a saisi le tribunal de paix de Luxembourg, qui, par jugement du 13 octobre 1989, a condamné l' ASTI à payer les cotisations qu' elle n' avait pas versées . L' ASTI a formé contre ce jugement un pourvoi devant la Cour de cassation du Luxembourg, qui, par arrêt du 12 juillet 1990, a sursis à statuer jusqu' à ce que la Cour de justice se soit prononcée, à titre préjudiciel, sur la question suivante :

"Les articles 7, 48, 117, 118, 118 A et 189, deuxième alinéa, du traité CEE et les articles 7 et 8 du règlement ( CEE ) n 1612/68 du Conseil, ou certains de ces textes, sont-ils à interpréter en ce sens qu' ils s' opposent à ce que la législation d' un État membre impose le paiement d' une cotisation à un travailleur étranger ressortissant d' un État membre, obligatoirement affilié à une chambre professionnelle, tout en lui refusant le droit de participer à l' élection des personnes composant la chambre, ce droit restant réservé aux seuls nationaux?"

8 Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites présentées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d' audience . Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour .

9 A la lumière de la motivation de l' arrêt de renvoi et des débats menés devant la Cour, la question posée par la juridiction nationale doit être comprise comme visant à savoir si le droit communautaire s' oppose à ce qu' une législation nationale refuse aux travailleurs étrangers le droit de vote aux élections des membres d' une chambre professionnelle à laquelle ils sont obligatoirement affiliés, à laquelle ils doivent cotiser, qui est chargée de la défense des intérêts des travailleurs affiliés et qui exerce une fonction consultative dans le domaine législatif .

10 Il ressort du dossier que les personnes affiliées à la chambre des employés privés ont la condition de travailleur . Par conséquent, la compatibilité avec le droit communautaire de la différence de traitement entre nationaux et étrangers relevée ci-dessus doit être appréciée au regard des dispositions relatives à la libre circulation des travailleurs et non de l' article 7 du traité, car ce dernier article ne s' applique de façon autonome que dans des situations régies par le droit communautaire pour lesquelles le traité ne prévoit pas de règles spécifiques de non-discrimination ( voir, en dernier lieu, arrêt du 7 mars 1991, Masgio, C-10/90, Rec . p . I-1119 ).

11 Dans le domaine de la libre circulation des travailleurs, le principe fondamental de la non-discrimination en raison de la nationalité est énoncé à l' article 48, paragraphe 2, du traité . Ce principe est rappelé dans les cinquième et sixième considérants du règlement n 1612/68 et dans plusieurs dispositions particulières de ce règlement, dont notamment les articles 7 et 8, visés par la question de la juridiction nationale .

12 Il convient d' examiner, tout d' abord, cette dernière disposition, qui est la plus spécifique .

13 Aux termes de l' article 8, paragraphe 1, premier alinéa,

"le travailleur ressortissant d' un État membre occupé sur le territoire d' un autre État membre bénéficie de l' égalité de traitement en matière d' affiliation aux organisations syndicales et d' exercice des droits syndicaux, y compris le droit de vote; il peut être exclu de la participation à la gestion d' organismes de droit public et de l' exercice d' une fonction de droit public . Il bénéficie, en outre, du droit d' éligibilité aux organes de représentation des travailleurs dans l' entreprise ".

14 Contrairement à la Commission et à l' ASTI, le gouvernement luxembourgeois conteste l' applicabilité de cette disposition à un cas comme celui de l' espèce au principal au motif que la chambre professionnelle en cause constitue une voie de représentation institutionnelle organisée par la loi, que l' affiliation est obligatoire, et qu' elle se distingue ainsi des structures syndicales libres .

15 Il y a lieu de relever que la portée de l' article 8, paragraphe 1, précité, qui constitue une expression particulière du principe de non-discrimination dans le domaine spécifique de la participation des travailleurs aux organisations et aux activités syndicales, ne saurait être limitée en fonction de considérations tenant à la forme juridique de l' organisme en cause .

16 Au contraire, l' exercice des droits syndicaux visés par cette disposition déborde le cadre des organisations syndicales proprement dites et inclut, notamment, la participation des travailleurs à des organismes qui, tout en n' ayant pas la nature juridique d' organisations syndicales, exercent des fonctions analogues de défense et de représentation des intérêts des travailleurs .

17 Il en résulte que le droit de participer à l' élection d' un organisme tel que la chambre professionnelle des employés privés, dont aussi bien la mission générale de sauvegarder les intérêts des travailleurs qui y sont affiliés que la plupart des fonctions sont caractéristiques de celles d' une organisation syndicale, doit être considéré comme un droit syndical au sens de la disposition précitée, sans qu' il soit même nécessaire de prendre position sur la question de savoir si une telle chambre professionnelle doit être qualifiée ou non d' organisation syndicale .

18 A titre subsidiaire, le gouvernement luxembourgeois fait valoir qu' une telle chambre professionnelle relève, en tout état de cause, de l' exception prévue à l' article 8, paragraphe 1, précité, en raison de sa nature d' organisme de droit public et de son association à l' exercice de la puissance publique par le biais de sa fonction consultative .

19 A cet égard, il convient de relever que, ainsi qu' il découle déjà de l' arrêt du 17 décembre 1980, Commission/Belgique, point 15 ( 149/79, Rec . p . 3881 ), l' exclusion "de la participation à la gestion d' organismes de droit public et de l' exercice d' une fonction de droit public" prévue à l' article 8, paragraphe 1, du règlement n 1612/68 correspond à l' exception prévue à l' article 48, paragraphe 4, du traité et permet seulement d' exclure éventuellement les travailleurs des autres États membres de certaines activités qui impliquent la participation à la puissance publique .

20 Par conséquent, l' exclusion, pour les travailleurs des autres États membres, du droit de vote aux élections des chambres professionnelles ne peut pas être justifiée, en vertu de l' article 8, paragraphe 1, par la nature juridique de la chambre en cause selon le droit national ni par la circonstance que certaines de ses fonctions pourraient comporter une participation à l' exercice de la puissance publique .

21 Il convient donc de répondre à la question posée que l' article 8, paragraphe 1, du règlement n 1612/68 doit être interprété en ce sens qu' il s' oppose à ce qu' une législation nationale refuse aux travailleurs étrangers le droit de vote aux élections des membres d' une chambre professionnelle à laquelle ils sont obligatoirement affiliés, à laquelle ils doivent cotiser, qui est chargée de la défense des intérêts des travailleurs affiliés et qui exerce une fonction consultative dans le domaine législatif .

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

22 Les frais exposés par le gouvernement luxembourgeois et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l' objet d' un remboursement . La procédure revêtant, à l' égard des parties au principal, le caractère d' un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens .

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur la question à elle soumise par la Cour de cassation du Luxembourg, par arrêt du 12 juillet 1990, dit pour droit :

L' article 8, paragraphe 1, du règlement ( CEE ) n 1612/68, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l' intérieur de la Communauté, doit être interprété en ce sens qu' il s' oppose à ce qu' une législation nationale refuse aux travailleurs étrangers le droit de vote aux élections des membres d' une chambre professionnelle à laquelle ils sont obligatoirement affiliés, à laquelle ils doivent cotiser, qui est chargée de la défense des intérêts des travailleurs affiliés et qui exerce une fonction consultative dans le domaine législatif .