61989A0073

Arrêt du Tribunal de première instance (cinquième chambre) du 8 novembre 1990. - Giovanni Barbi contre Commission des Communautés européennes. - Fonctionnaires - Rapport de notation tardif - Faute de service - Réparation du préjudice matériel et moral. - Affaire T-73/89.

Recueil de jurisprudence 1990 page II-00619


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


++++

1 . Fonctionnaires - Notation - Rapport de notation - Établissement - Tardiveté - Inadmissibilité - Faute de service génératrice de préjudice moral

( Statut des fonctionnaires, art . 43 )

2 . Fonctionnaires - Notation - Rapport de notation - Établissement - Tardiveté - Demande du fonctionnaire tendant à la condamnation de l' administration au réexamen de sa situation administrative - Réparation adéquate du préjudice - Compétence du juge communautaire

( Statut des fonctionnaires, art . 43 et 91 )

Sommaire


1 . Un retard de trois ans apporté à l' établissement d' un rapport de notation n' est pas compatible avec le principe de bonne administration . Ni l' absence d' un directeur ni la restructuration d' un service ne peuvent justifier une telle méconnaissance du délai prévu par les dispositions générales d' exécution adoptées par l' institution défenderesse pour la notation des fonctionnaires .

Un tel retard constitue une faute de service causant un préjudice moral au fonctionnaire en raison de l' état d' incertitude et d' inquiétude dans lequel le maintient le caractère irrégulier et incomplet de son dossier individuel .

2 . Dans le cadre d' un recours en annulation, le juge communautaire ne saurait, sans empiéter sur les prérogatives de l' autorité administrative, ordonner à une institution de prendre les mesures que comporte l' exécution d' un arrêt annulant une décision de cette institution .

En revanche, doit être considérée comme recevable dans le cadre d' un recours de plein contentieux la demande d' un fonctionnaire tendant à la condamnation de principe de l' administration au réexamen de sa situation administrative dès lors que, sans pour autant affecter la marge d' appréciation dont doit disposer l' autorité investie du pouvoir de nomination, une telle mesure apparaît de nature à assurer, le cas échéant, une réparation appropriée du préjudice que l' intéressé prétend avoir subi en raison de la tardiveté de son rapport de notation .

Parties


Dans l' affaire T-73/89,

Giovanni Barbi, fonctionnaire du cadre scientifique de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Varese ( Italie ), représenté par Me Giuseppe Marchesini, avocat près la Cour de cassation de la République italienne, ayant élu domicile à Luxembourg en l' étude de Me Ernest Arendt, 4, avenue Marie-Thérèse,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M . Sergio Fabro, membre du service juridique, en qualité d' agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M . Guido Berardis, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet la réparation du préjudice matériel et moral allégué par le requérant,

LE TRIBUNAL ( cinquième chambre ),

composé de MM . H . Kirschner, président, C . P . Briët et J . Biancarelli, juges,

greffier : Mme B . Pastor, administrateur

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 20 juin 1990, rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


Les faits à l' origine du recours

1 Le requérant, licencié en chimie industrielle de l' université de Turin, est entré au service de la Commission en 1961 au Centre commun de recherche ( ci-après "CCR ") d' Ispra . Aujourd' hui, il est fonctionnaire de grade A 5 du cadre scientifique de la Commission . Depuis plus de quatorze ans, il se trouve au dernier échelon de son grade .

2 Son rapport de notation pour la période 1983-1985 n' a pas été établi à la date prescrite, c' est-à-dire, dans son cas, le 30 novembre 1985 . Le 26 mars 1987, le requérant a envoyé un mémorandum à son supérieur hiérarchique pour attirer son attention sur ce retard .

3 Le 3 mars 1988, le requérant a introduit une demande auprès de la Commission . Il se plaignait de ce que la Commission ne lui avait pas confié de nouvelles tâches de recherche depuis que le programme pluriannuel de recherche "Hydrogen production, energy storage and transportation", auquel il avait consacré 80 % de son temps de travail, avait pris fin le 31 décembre 1983 . Pendant de longues années, il aurait été tenu dans un état d' isolement quasi absolu qui aurait engendré chez lui "un état d' insatisfaction, de frustration et de souffrance psychologique ". Cette situation ainsi que l' absence de rapport de notation pour la période 1983-1985 auraient bloqué sa carrière . Le requérant a demandé que "son activité de travail depuis le 1er juillet 1983 soit appréciée conformément au statut ... et qu' en conséquence le déroulement de sa carrière soit réexaminé ".

4 Par note du 3 mai 1988, la Commission a informé le requérant que sa demande avait été transmise au directeur général de la science, de la recherche et du développement du CCR .

5 Le 18 mai 1988, le directeur du CCR a préparé une réponse à la demande introduite par le requérant . Il faisait valoir que ce dernier n' avait pas accepté les nouvelles tâches proposées par son chef de division, ni fait d' autres propositions de sa propre initiative . En ce qui concerne le déroulement de la carrière du requérant, le chef de division l' aurait informé que, pour le moment, sa candidature à une promotion au grade A 4 ne serait pas considérée comme prioritaire . A la suite d' une erreur administrative, due à la restructuration du CCR et au départ de son directeur, cette réponse n' a pas été envoyée au requérant .

6 Le 26 septembre 1988, le requérant a introduit une réclamation auprès de la Commission contre la décision implicite de rejet de sa demande . Il y reprenait les termes de sa demande du 3 mars 1988 .

7 Le 16 novembre 1988, le directeur du CCR a signé, en qualité de notateur, le rapport de notation pour la période 1985-1987 . Le requérant a visé ce rapport le 2 décembre 1988 .

8 Le 30 novembre 1988, le même directeur a signé le rapport de notation pour la période 1983-1985 . Selon les déclarations de son représentant à l' audience, le requérant a refusé de viser ce rapport .

9 Le Tribunal a constaté d' office qu' il ressort du dossier individuel du requérant que sa réclamation a été rejetée par une décision de la Commission du 16 février 1989, qui lui a été transmise par une lettre du directeur général du personnel du 1er mars 1989 . La Commission, se référant à la réponse du directeur du 18 mai 1988 visée ci-dessus ( point 5 ), constatait tout d' abord que la réclamation avait été introduite hors délai . Elle ajoutait qu' elle avait décidé d' y répondre néanmoins . Sur le premier point de la réclamation - la demande d' évaluation des activités du requérant - , elle faisait valoir que la réclamation était désormais sans objet, étant donné que les rapports de notation relatifs aux périodes 1983-1985 et 1985-1987 avaient été établis entre-temps . Quant au deuxième point de la réclamation, la Commission faisait savoir qu' elle avait décidé de ne pas lui réserver une suite favorable .

Le déroulement de la procédure

10 C' est dans ces conditions que, par requête déposée au greffe de la Cour le 14 mars 1989, M . Barbi a introduit le présent recours contre la Commission .

11 Le requérant conclut à ce qu' il plaise au Tribunal :

- déclarer que, en établissant et en communiquant au requérant avec au moins trois années de retard le rapport de notation relatif à la période s' étendant du 1er juillet 1983 au 30 juin 1985, la Commission a violé l' article 43 du statut des fonctionnaires et l' article 6 des dispositions générales d' exécution de cet article, ainsi que les principes de non-discrimination et de bonne administration;

- déclarer que la Commission est tenue de réexaminer la situation administrative du requérant, du point de vue de sa vocation à être promu au grade supérieur et à se voir confier des compétences professionnelles appropriées, tenant compte des éléments d' appréciation tardivement établis;

- condamner la défenderesse aux dépens .

12 Dans sa réplique, le requérant conclut en outre à ce qu' il plaise au Tribunal :

- déclarer que la Commission a violé en l' espèce l' article 43 du statut et l' article 6 des dispositions générales d' exécution ainsi que, par conséquent, l' article 45 du statut;

- déclarer que la Commission est tenue, d' une part, de réexaminer la position du requérant sous l' angle de sa vocation à être promu au grade supérieur et investi de responsabilités adéquates et, d' autre part, de réparer le dommage moral qu' il y a lieu de déterminer en toute équité .

13 La Commission conclut à ce qu' il plaise au Tribunal :

- rejeter les griefs adressés contre la Commission;

- statuer comme de droit sur les dépens .

14 La procédure écrite s' est entièrement déroulée devant la Cour . Cette dernière, par ordonnance du 15 novembre 1989, a renvoyé l' affaire devant le Tribunal en application de l' article 14 de la décision du Conseil du 24 octobre 1988 instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes .

15 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal ( cinquième chambre ) a décidé d' ouvrir la procédure orale sans instruction préalable . Il a toutefois posé deux questions aux parties concernant la résidence du requérant et la signature du rapport de notation pour la période 1983-1985 .

16 La procédure orale s' est déroulée le 20 juin 1990 . Le représentant du requérant a déclaré, lors de l' audience, que le requérant ne demande pas un dédommagement pécuniaire de son préjudice . Une telle demande ne correspondrait "ni au style ni aux intentions" du requérant . Celui-ci serait attaché à son travail et demanderait une réparation spécifique sous la forme d' un réexamen de sa situation administrative .

17 Le représentant de la Commission a soulevé alors une exception d' irrecevabilité à l' encontre de la demande concernant la réparation du préjudice moral à déterminer en toute équité par le Tribunal . Cette demande, n' ayant figuré pour la première fois que dans la réplique, serait, pour cette raison, irrecevable .

18 Le Tribunal ayant demandé au représentant du requérant de préciser ses conclusions, celui-ci a déclaré "retirer le chef du recours relatif au remboursement du dommage moral qui figure, pour la première fois, dans la réplique ".

19 Le président a prononcé la clôture de la procédure orale à l' issue de l' audience .

Sur le premier chef du recours

Sur la recevabilité

20 Le premier chef du recours vise à obtenir une déclaration du Tribunal constatant que la Commission a violé certaines dispositions ainsi que certains principes généraux du droit communautaire . La Commission n' a pas contesté sa recevabilité . Cependant, il appartient au Tribunal d' en examiner d' office certains aspects .

21 Il convient de relever, tout d' abord, que de telles conclusions peuvent être présentées dans le cadre d' un recours en indemnité . La Cour a précédemment accueilli des conclusions visant à la constatation d' une faute administrative ( voir l' arrêt du 12 juillet 1973, Di Pillo/Commission, 10/72 et 47/72, Rec . p . 763, 765, 772 ). De même a-t-elle constaté, dans le dispositif de son arrêt du 8 juillet 1965, Luhleich/Commission de la CEEA ( 68/63, Rec . p . 727, 755 ), l' existence d' une faute de service à la charge de l' institution défenderesse .

22 Le recours trouvant son origine dans le lien d' emploi qui unit le requérant à l' institution défenderesse, il y a lieu toutefois d' examiner si les dispositions des articles 90 et 91 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes ( ci-après "statut ") ont été respectées ( voir les arrêts de la Cour du 22 octobre 1975, Meyer-Burckhardt/Commission, 9/75, Rec . p . 1171, 1181, et du 7 octobre 1987, Schina/Commission, 401/85, Rec . p . 3911, 3929 ).

23 Il ressort du dossier que le requérant a saisi la Commission au mois de mars 1988 d' une demande au titre de l' article 90, paragraphe 1, du statut . Se plaignant "d' un état d' insatisfaction, de frustration et d' une véritable souffrance psychologique" dus à son isolement et à l' absence de rapport de notation pour la période 1983-1985, il a demandé que ledit rapport soit établi et que le déroulement de sa carrière soit réexaminé .

24 Étant donné que le projet de réponse préparé le 18 mai 1988 par le directeur du CCR n' a pas été envoyé au requérant, il convient de constater qu' un rejet implicite de cette demande est intervenu au mois de juillet 1988 . La réclamation du 26 septembre 1988 a donc été introduite dans le délai de trois mois prévu par l' article 90, paragraphe 2, du statut .

25 En ce qui concerne le rapport de notation, la Commission a réservé une suite favorable à la réclamation en procédant à son établissement . Sur les autres points de la réclamation, la Commission n' a pas réagi dans le délai de quatre mois prévu à l' article 90, paragraphe 2, du statut . Elle a, par conséquent, implicitement rejeté la réclamation dans la mesure où le requérant demandait le réexamen du déroulement de sa carrière . Sans qu' il soit nécessaire de prendre en compte la décision explicite de rejet de la réclamation adoptée après l' expiration du délai de quatre mois, il y a donc lieu de constater que le recours a été introduit dans le délai prévu à l' article 91, paragraphe 3, du statut . Il s' ensuit que le premier chef du recours est recevable .

Sur le fond

26 A l' appui de son recours, le requérant se prévaut, en premier lieu, de la violation de l' article 43 du statut et de l' article 6 des dispositions générales d' exécution de l' article 43 du statut arrêtées par la Commission . Le retard de trois ans apporté à l' établissement de son rapport de notation constitue, selon le requérant, une violation des règles de caractère impératif contenues dans ces dispositions . Aucune disposition supplétive ne permet, à son avis, de déroger au système de notation fixé par ces règles . Le retard en cause ne saurait être justifié par des circonstances particulières, étant donné que ses supérieurs hiérarchiques auraient été les mêmes depuis plusieurs années .

27 Le requérant invoque, en second lieu, la violation des principes de non-discrimination et de bonne administration . Le retard de trois ans dont il fait état aurait constitué une discrimination par rapport à la majorité des fonctionnaires qui ont également à connaître, lors de l' établissement de leurs rapports de notation, de retards habituels, eux aussi inexcusables, mais limités toutefois à environ une année au maximum .

28 En troisième lieu, le requérant fait valoir qu' il y a eu violation de l' article 45 du statut et des règles de procédure relatives aux promotions à l' intérieur d' une même carrière . Le rapport de notation, qui lui serait nettement favorable, n' aurait pas pu être pris en considération dans le cadre des procédures de promotion relatives aux années 1986, 1987 et 1988 . Son cas aurait été probablement ignoré ou, tout au plus, examiné en l' absence d' un élément d' appréciation fondamental . Étant donné que sa production scientifique serait exceptionnelle par rapport à celle de la moyenne des fonctionnaires scientifiques du CCR, le requérant estime qu' il aurait dû être placé en position privilégiée après un examen comparatif régulier des mérites des candidats . L' évaluation des mérites d' un fonctionnaire ne devrait pas, comme le prétend la Commission, être fondée sur d' autres éléments tels que la connaissance directe que les supérieurs hiérarchiques ont de leurs subordonnés . En effet, un tel mode d' évaluation aurait pour conséquence d' introduire des éléments d' appréciation subjectifs et incontrôlables, ce qui ne correspondrait pas à l' examen comparatif des mérites prévu par le statut . En outre, les supérieurs hiérarchiques du requérant auraient manifesté un désintérêt total pour ses activités . Ils n' auraient jamais eu d' entretien avec lui à leur sujet . Pour cette raison, ils n' auraient pas été en mesure d' examiner sa candidature en conscience et en toute connaissance de cause, dans le cadre des procédures de promotion au titre des années 1986, 1987 et 1988 .

29 La Commission ayant produit en annexe à son mémoire en défense le texte de la note préparée le 18 mai 1988 par le directeur du CCR en réponse à la demande introduite par le requérant, celui-ci a contesté dans son mémoire en réplique le contenu de ladite note . Contrairement aux affirmations du directeur, il n' aurait pas refusé d' effectuer une étude sur les détecteurs électrochimiques . Le requérant fait valoir, en outre, que, contrairement aux assertions contenues dans la note du 18 mai 1988, il avait proposé à ses anciens supérieurs deux tâches nouvelles qui auraient pu lui être confiées après la fin du programme pluriannuel .

30 Le requérant estime que l' établissement d' un rapport de notation trois ans après l' expiration du délai prescrit constitue une faute dont la Commission doit répondre . Il invoque, à cet égard, la jurisprudence de la Cour selon laquelle un fonctionnaire "subit un préjudice moral résultant du fait de posséder un dossier individuel irrégulier et incomplet" ( arrêt du 17 juillet 1977, Geist/Commission, 61/76, Rec . p . 1419, 1435 ).

31 Après avoir pris connaissance des explications fournies par le requérant dans sa réplique, la Commission n' est pas revenue sur son allégation concernant le refus du requérant d' accepter de nouvelles tâches . Le retard intervenu dans la rédaction du rapport de notation est, selon la Commission, imputable à une double série de circonstances . En second lieu, à partir de 1985, le département auquel le requérant appartenait serait resté sans directeur . Il aurait été géré par son ancien directeur, devenu directeur de l' établissement d' Ispra . En second lieu, le CCR aurait été restructuré en 1987 . Pendant une telle période, les supérieurs hiérarchiques "ne peuvent pas prendre en temps utile toutes les décisions qui devraient l' être ". Le requérant n' aurait pas été le seul fonctionnaire à s' être trouvé dans cette situation, "ce fut également le lot de la plupart de ses collègues ".

32 La Commission conteste que le retard en question ait occasionné un préjudice au requérant en entravant le déroulement de sa carrière . Il conviendrait, à cet égard, de distinguer, conformément à la jurisprudence de la Cour, deux types de procédure de promotion . Dans le cadre de l' article 29 du statut, la consultation du rapport de notation serait indispensable au comité chargé de choisir un nombre restreint de candidats à un poste déclaré vacant . En revanche, dans le cadre de l' article 45 du statut, la seule absence d' un rapport de notation n' a jamais été sanctionnée, selon la Commission, par l' annulation de la décision prise à l' issue de la procédure . La décision portant promotion d' un fonctionnaire serait prise par les supérieurs hiérarchiques dont il relève et pourrait donc reposer sur la connaissance qu' ont ces supérieurs des mérites de l' intéressé . Il s' ensuivrait qu' au cours des différentes phases de la procédure le rapport de notation ne serait pas indispensable . En l' espèce, le directeur dont dépendait le requérant aurait été le président du comité chargé de formuler la première proposition des candidats retenus en vue d' une promotion . Le chef de division du requérant aurait été également membre de ce comité . La Commission, qui en conclut que l' absence du rapport de notation n' a pas eu une incidence décisive susceptible de mettre en cause la validité des procédures de promotion, ajoute qu' en 1989 les nouveaux supérieurs du requérant, qui disposaient de son rapport de notation, ne l' ont pas davantage proposé pour une promotion .

33 De l' avis de la Commission, le requérant aurait dû fournir, pour soutenir la "thèse de la promotion manquée", la preuve de l' existence d' un lien de causalité entre, d' une part, sa non-inscription sur la liste des fonctionnaires jugés les plus méritants pour la promotion concernant l' exercice 1988 et, d' autre part, l' absence de son rapport de notation . Il lui aurait fallu démontrer que les différents comités qui se sont occupés des promotions vers le grade A 4 pour l' exercice en question, dans le cadre du CCR, n' ont pas disposé des appréciations favorables au requérant qu' ils auraient pu trouver dans le rapport . La Commission observe que le requérant n' a jamais proposé de fournir cette preuve .

34 Il convient tout d' abord de constater que le rapport litigieux n' a pas été établi à la date prescrite, le 30 novembre 1985 . Le directeur notateur ne l' a signé que le 30 novembre 1988, soit avec un retard de trois années .

35 Un tel retard n' est pas compatible avec le principe de bonne administration ( voir l' arrêt de la Cour du 6 février 1986, Castille/Commission, 173/82, 157/83 et 186/84, Rec . p . 497, 526 ). Ni l' absence d' un directeur ni la restructuration d' un service ne peuvent justifier une telle méconnaissance du délai prévu par l' article 6 des dispositions générales d' exécution de l' article 43 du statut pour la notation des fonctionnaires . Sans qu' il soit nécessaire de vérifier si la Commission a également violé les principes généraux du droit invoqués par le requérant, ni d' examiner le bien-fondé des reproches, d' ailleurs imprécis, que le requérant a formulés contre ses supérieurs hiérarchiques, il convient donc de constater l' existence d' une faute de service imputable à la Commission .

36 Le requérant a expressément conclu que le Tribunal constate, dans le dispositif du présent arrêt, que la Commission a violé certaines règles de droit . Toutefois, il n' y a pas lieu de constater l' existence de cette faute dans le dispositif du présent arrêt, dans la mesure où il ne s' agit pas d' un élément indépendant et détachable du deuxième chef du recours .

Sur le deuxième chef du recours

Sur la recevabilité

37 Le deuxième chef du recours a trait au réexamen de la situation administrative du requérant et au préjudice qu' il soutient avoir subi . La Commission n' a pas contesté la recevabilité de ce chef du recours . Cependant, il incombe au Tribunal, dans ce contexte également, d' en examiner d' office certains aspects .

38 Dans le cadre d' un recours en annulation, le juge communautaire ne saurait, sans empiéter sur les prérogatives de l' autorité administrative, ordonner à une institution communautaire de prendre les mesures qu' implique l' exécution d' un arrêt procédant à l' annulation d' une décision ( voir l' arrêt de la Cour du 9 juin 1983, Verzyck/Commission, 225/82, Rec . p . 1991, 2005 ). En l' espèce, toutefois, il s' agit d' un recours de plein contentieux . Le réexamen sollicité par le requérant apparaît comme une mesure de nature à assurer, le cas échéant, une réparation appropriée du préjudice qu' il allègue . En outre, le requérant n' a sollicité que le principe d' un réexamen de sa situation administrative, sans en préciser les modalités concrètes . La marge d' appréciation dont l' autorité investie du pouvoir de nomination doit disposer ne serait donc pas affectée, en l' espèce, par une éventuelle condamnation en ce sens de l' institution défenderesse . Par conséquent, le caractère des mesures demandées par le requérant ne s' oppose pas à la recevabilité de ce chef du recours .

39 Il ressort des constatations effectuées à propos du premier chef du recours que l' introduction du présent recours a été précédée d' une procédure précontentieuse conforme aux dispositions du statut . Le deuxième chef du recours est donc également recevable .

Sur le fond

40 Pour établir le bien-fondé de ce chef du recours, le requérant doit démontrer que la faute de service commise par la Commission lui a causé un préjudice dont la réparation exige le réexamen de sa situation administrative . En conséquence, il convient d' examiner d' abord si le requérant a subi un tel préjudice .

41 Selon la jurisprudence de la Cour, un fonctionnaire qui ne possède qu' un dossier individuel irrégulier et incomplet subit de ce fait un préjudice moral tenant à l' état d' incertitude et d' inquiétude dans lequel il se trouve quant à son avenir professionnel ( voir les arrêts du 14 juillet 1977, Geist/Commission, 61/76, Rec . p . 1419, 1435, et du 15 mars 1989, Bevan/Commission, 140/87, Rec . p . 702 ).

42 En l' espèce, le requérant s' est trouvé, pendant trois années, dans un tel état d' incertitude et d' inquiétude étant donné que son rapport de notation pour la période 1983-1985 n' a été établi qu' avec un retard considérable . Il convient de constater, par conséquent, que la faute de service commise par la Commission lui a effectivement causé un préjudice moral . Cependant, ce préjudice moral ne s' est pas prolongé après l' établissement du rapport de notation le 30 novembre 1988 . La réparation de ce préjudice moral n' exige donc pas, à elle seule, un réexamen de la situation administrative du requérant pour l' avenir, puisqu' elle peut prendre la forme d' une réparation pécuniaire .

43 Il s' ensuit que, pour justifier sa demande tendant à un réexamen de principe de sa situation administrative, le requérant devait démontrer que la faute de service commise par la Commission lui a causé un préjudice non seulement certain, mais également actuel .

44 A cet égard, le requérant a fait valoir que l' absence de rapport de notation l' a empêché d' être promu ainsi que de se voir attribuer, après la promotion prétendument manquée, de nouvelles compétences correspondant à un poste plus élevé .

45 Cependant, le requérant n' a pas été en mesure d' établir un lien de causalité quelconque entre l' absence du rapport litigieux et les décisions relatives aux promotions des années 1986, 1987 et 1988 . Ses allégations générales sont, dans ce contexte, insuffisantes . La Commission a relevé, à juste titre, que le requérant aurait dû fournir des preuves - concrètes et spécifiques - de l' existence d' un lien de causalité entre la non-inscription du requérant sur la liste des fonctionnaires jugés les plus méritants pour la promotion concernant l' exercice budgétaire 1988 et l' absence de rapport de notation pour la période 1983-1985 . Le même argument vaut également pour les exercices 1986 et 1987 .

46 Par conséquent, il y a lieu de constater que le requérant n' a pas démontré que l' absence de rapport de notation a eu une incidence sur les procédures de promotion en question . Par suite, il n' a pas établi l' existence d' un préjudice exigeant le réexamen de sa situation administrative . Dès lors, sa demande visant à obtenir un tel réexamen doit être rejetée .

47 Toutefois, le Tribunal ayant constaté que le requérant a subi un préjudice moral, il convient d' examiner, d' une part, s' il n' en a pas, à titre subsidiaire, demandé la réparation et, d' autre part, quelles peuvent être les modalités de cette réparation .

48 Lors de l' audience, le requérant s' est désisté de ses conclusions visant à voir condamner la Commission à "rembourser le dommage moral ... ( à ) déterminer en toute équité" au motif qu' elles n' avaient figuré, pour la première fois, que dans la réplique . Cependant, ce désistement n' a porté que sur la demande de réparation en argent . Il y a donc lieu de considérer qu' il ne s' est pas étendu à une demande tendant à l' attribution éventuelle d' un montant symbolique, laquelle ne constitue pas une réparation en argent .

49 Par conséquent, il convient d' examiner le contenu de la réclamation et de la requête pour vérifier si le requérant a également conclu à une telle réparation . Quoique le requérant n' ait pas formulé de conclusions formelles à cet effet, il y a lieu de constater que le requérant a fait état, dans la demande initialement adressée à la Commission et dans sa réclamation, d' un "état de frustration et de souffrance psychologique ". Dans la requête, il s' est également plaint de son état d' isolement et a demandé, en termes généraux, que son dommage soit réparé . Les conclusions formelles du requérant - le réexamen de sa situation administrative - ne visent pas expressément la réparation de ce dommage par l' attribution d' un montant symbolique . Cependant, malgré l' absence de conclusions expresses à cet effet, le Tribunal estime que les passages susvisés de la requête doivent être interprétés comme concluant, à titre subsidiaire, à une telle réparation ( voir l' arrêt de la Cour du 10 décembre 1957, ALMA/Haute Autorité, 8/56, Rec . p . 179, 191 ).

50 Compte tenu des considérations qui précèdent, il convient de conclure que la faute de service de la Commission a causé un préjudice moral au requérant . Ce préjudice moral ne saurait être considéré comme intégralement réparé par le seul fait que le Tribunal l' a constaté dans le présent arrêt . Il convient, dès lors, de condamner la Commission à verser au requérant, à titre symbolique, une somme correspondant à 1 écu, en réparation du préjudice moral qu' il a subi .

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

51 Il y a lieu de constater que le requérant a en partie succombé dans son recours . Cependant, il ressort de ce qui précède que l' introduction du recours est due à une faute de service imputable à l' institution défenderesse . Dans ces circonstances, il y a lieu, conformément à l' article 69 du règlement de procédure de la Cour, de condamner la Commission aux dépens de l' instance ( voir l' arrêt de la Cour du 15 juillet 1972, Heinemann/Commission, 79/71, Rec . p . 579, 591 ).

Dispositif


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL ( cinquième chambre )

déclare et arrête :

1 ) La Commission est condamnée à verser au requérant une somme correspondant à 1 écu, en réparation du préjudice moral qu' il a subi .

2 ) Le recours est rejeté pour le surplus .

3 ) La Commission est condamnée aux dépens .