61989A0016

Arrêt du Tribunal de première instance (deuxième chambre) du 26 février 1992. - Hans Herkenrath et autres contre Commission des Communautés européennes. - Fonctionnaires - Rémunérations - Intérêts moratoires et compensatoires. - Affaire T-16/89.

Recueil de jurisprudence 1992 page II-00275


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


++++

1 . Fonctionnaires - Rémunération - Adaptation quinquennale - Rappels de traitement - Droit à des intérêts moratoires - Absence, faute d' une créance certaine ou déterminable

( Statut des fonctionnaires, art . 65 )

2 . Fonctionnaires - Rémunération - Coefficients correcteurs - Adaptation quinquennale - Rappels de traitement - Préjudice résultant de la dépréciation monétaire - Demande d' intérêts compensatoires - Rejet en l' absence de faute de l' administration

( Statut des fonctionnaires, art . 65, § 2 )

Sommaire


1 . Une obligation de verser des intérêts moratoires ne peut être envisagée qu' à la condition que la créance principale soit certaine quant à son montant ou du moins déterminable sur la base d' éléments objectifs établis . Les compétences que le Conseil tient de l' article 65 du statut pour adapter les rémunérations et pensions des fonctionnaires et autres agents et pour fixer les coefficients correcteurs dont elles sont affectées comportant un pouvoir d' appréciation, aucune certitude quant au montant de ces adaptations et fixations n' existe avant que le Conseil n' ait exercé ces compétences et adopté le règlement prévu, de sorte que, cette condition faisant défaut, les rappels de traitement, dès lors qu' ils sont versés sans retard injustifié après l' adoption dudit règlement, n' ont pas à être assortis d' intérêts moratoires .

2 . Il résulte de l' article 65, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires que les décisions d' adaptation des coefficients correcteurs dont sont affectées les rémunérations doivent être prises sans retard injustifié . Dès lors, tout retard inexcusable dans l' établissement de la réglementation en ce domaine doit être considéré comme fautif . S' agissant d' apprécier si un retard est injustifié, il convient de tenir compte du fait que les institutions doivent disposer d' un délai raisonnable, en fonction des circonstances de l' espèce et de la complexité du dossier, pour mettre au point soit leurs propositions, soit leurs décisions .

Lorsqu' une réglementation relative à l' adaptation des coefficients correcteurs est élaborée, puis adoptée, dans un délai justifié par les circonstances de l' espèce, le préjudice résultant pour les intéressés de la perte du pouvoir d' achat des arriérés de rémunération ne saurait, en l' absence de toute faute imputable à l' administration, ouvrir droit au versement d' intérêts compensatoires .

Parties


Dans l' affaire T-16/89,

Hans Herkenrath e.a . ( omissis ), fonctionnaires et agents de la Commission des Communautés européennes, représentés par Mes B . Potthast et H . J . Rueber, avocats au barreau de Cologne, ayant élu domicile à Luxembourg en l' étude de Me Ernest Arendt, 4, avenue Marie-Thérèse,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M . Henri Étienne, conseiller juridique, en qualité d' agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M . Roberto Hayder, représentant du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet l' octroi d' intérêts moratoires et compensatoires, en réparation du préjudice prétendument subi par les requérants du fait d' un retard dans l' adaptation, à la suite de la vérification quinquennale de 1986, des coefficients correcteurs applicables à leurs rémunérations,

LE TRIBUNAL ( deuxième chambre ),

composé de MM . A . Saggio, président, C . Yeraris, C . P . Briët, D . Barrington et B . Vesterdorf, juges,

greffier : Mme B . Pastor, administrateur

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 29 mai 1991,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


Les faits à l' origine du litige

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 23 décembre 1986, M . H . Herkenrath et autres fonctionnaires et agents de la Commission des Communautés européennes, affectés au Centre commun de recherche d' Ispra ( Varese, Italie ), ont introduit, après épuisement de la procédure précontentieuse préalable, un recours visant, d' une part, à l' annulation de certains de leurs bulletins de rémunération établis en 1986 et, d' autre part, à l' octroi d' intérêts moratoires et compensatoires en réparation du dommage pécuniaire qu' ils estiment avoir subi du fait du retard survenu, selon eux, dans l' adaptation, à la suite de la vérification quinquennale de 1986, des coefficients correcteurs applicables à leurs rémunérations .

La réglementation communautaire relative à l' adaptation périodique des rémunérations des fonctionnaires étant complexe, il convient, avant de décrire les différentes procédures qui ont précédé l' adaptation quinquennale en cause, de rappeler le contenu des dispositions applicables .

Le cadre juridique de l' affaire

2 Les articles 64 et 65 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes ( ci-après "statut ") prévoient l' adaptation périodique des rémunérations des fonctionnaires . Ces dispositions sont applicables aux agents temporaires et auxiliaires en vertu des articles 20 et 64 du régime applicable aux autres agents des Communautés européennes .

Les articles susvisés du statut, pour autant qu' ils sont pertinents pour la solution du présent litige, sont libellés comme suit :

"Article 64

La rémunération du fonctionnaire exprimée en francs belges, après déduction des retenues obligatoires visées au présent statut ou aux règlements pris pour son application, est affectée d' un coefficient correcteur supérieur, inférieur ou égal à 100 %, selon les conditions de vie aux différents lieux d' affectation .

...

Article 65

1 . Le Conseil procède annuellement à un examen du niveau des rémunérations des fonctionnaires et des autres agents des Communautés . Cet examen aura lieu en septembre sur base d' un rapport commun présenté par la Commission et fondé sur la situation, au 1er juillet et dans chaque pays des Communautés, d' un indice commun établi par l' Office statistique des Communautés européennes en accord avec les services nationaux de statistiques des États membres .

Au cours de cet examen, le Conseil étudie s' il est approprié, dans le cadre de la politique économique et sociale des Communautés, de procéder à une adaptation des rémunérations . Sont notamment prises en considération l' augmentation éventuelle des traitements publics et les nécessités du recrutement .

2 . En cas de variation sensible du coût de la vie, le Conseil décide, dans un délai maximum de deux mois, des mesures d' adaptation des coefficients correcteurs et, le cas échéant, de leur effet rétroactif .

..."

3 Aux fins de l' application pratique de ces règles, le Conseil a adopté une méthode d' adaptation . Les modalités de cette méthode ont été arrêtées, pour la période du 1er juillet 1981 au 30 juin 1991, par la décision 81/1061/Euratom, CECA, CEE, du 15 décembre 1981, portant modification de la méthode d' adaptation des rémunérations des fonctionnaires et autres agents des Communautés ( JO L 386, p . 6, ci-après "décision de 1981 "). Selon cette décision, les coefficients correcteurs pour les pays d' affectation autres que la Belgique et le Luxembourg sont adaptés périodiquement en fonction de l' évolution du coût de la vie dans les différents États membres (( annexe à la décision, point II, 4, sous c ), dernier tiret )). Il ressort de la décision qu' il convient de distinguer les adaptations annuelles et les adaptations quinquennales . Le Conseil procède, selon ces règles, aux adaptations annuelles sur la base de propositions de la Commission fondées sur des données émanant des instituts statistiques nationaux . Ces données reflètent les habitudes de consommation de la population en général et les prix applicables dans les capitales de chaque État membre . Toutefois, cette méthode créant parfois des distorsions par rapport aux conditions de vie réelles des fonctionnaires européens à leurs lieux d' affectation, la décision prévoit, en vue d' y remédier, que la Commission procède tous les cinq ans à des enquêtes sur les habitudes de consommation des fonctionnaires européens et sur les prix que ceux-ci paient, afin de cerner, comme l' exige l' article 64 du statut, les "conditions de vie aux différents lieux d' affectation" ( annexe, point II, 1, 1.1, deuxième alinéa ). Sur la base d' une proposition de la Commission fondée sur les résultats de ces enquêtes, le Conseil procède alors à l' adaptation quinquennale éventuelle des coefficients correcteurs .

Les procédures administratives, réglementaires et judiciaires antérieures au présent recours

4 Dans le cadre de la révision quinquennale des coefficients correcteurs prévue pour l' année 1981, le 26 novembre 1986, le Conseil a adopté le règlement ( CEE, Euratom, CECA ) n 3619/86, rectifiant les coefficients correcteurs dont sont affectées au Danemark, en Allemagne, en Grèce, en France, en Irlande, en Italie, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni les rémunérations et pensions des fonctionnaires et autres agents des Communautés européennes ( JO L 336, p . 1, ci-après "règlement n 3619/86 "), en s' écartant sur deux points de la proposition qui, conformément à la procédure décrite ci-avant, lui avait été soumise par la Commission . Cette dernière a introduit, le 15 janvier 1987, un recours devant la Cour de justice, dirigé contre le Conseil et visant à l' annulation du règlement susvisé .

5 Par un arrêt du 28 juin 1988, Commission/Conseil ( 7/87, Rec . p . 3401 ), la Cour a annulé le règlement n 3619/86, reconnu contraire aux dispositions de l' article 64 du statut,

a ) en ce qu' il avait fixé des coefficients correcteurs calculés, en ce qui concerne l' élément "logement", d' après le coût de cet élément pour la population en général dans chaque État membre pris globalement, au lieu de le mesurer par rapport aux frais de logement supportés par les seuls fonctionnaires européens, et

b ) en ce qu' il avait fixé comme date de prise d' effet des nouveaux coefficients correcteurs le 1er juillet 1986 au lieu du 1er janvier 1981, date à laquelle la vérification se rapportait .

6 Le Conseil a pris les mesures que comportait l' exécution de cet arrêt en arrêtant, sur proposition de la Commission du 5 juillet 1988, le règlement ( CECA, CEE, Euratom ) n 3294/88, du 24 octobre 1988, rectifiant avec effet au 1er janvier 1981, les coefficients correcteurs dont sont affectées, entre autres, en Italie les rémunérations des fonctionnaires et autres agents des Communautés européennes ( JO L 293, p . 1, ci-après "règlement n 3294/88 "). Par son règlement ( CECA, CEE, Euratom ) n 3295/88 du même jour, le Conseil a également modifié, avec effet au 1er janvier 1986, les coefficients correcteurs applicables dans le cadre de la période quinquennale suivante ( JO L 293, p . 5, ci-après "règlement n 3295/88 "). C' est la modification des coefficients correcteurs apportée par le règlement n 3295/88 qui constitue l' objet du présent litige .

7 A la suite de l' adoption par le Conseil de ces deux règlements, la Commission a procédé, en novembre 1988, à la liquidation et au versement des arriérés de rémunération dus sur leur base . Dans le cadre d' un règlement à l' amiable intervenu dans une série d' affaires parallèles à celle en cause, la Commission a accepté d' accorder aux fonctionnaires des intérêts moratoires pour la période allant de décembre 1986 à la date du paiement effectif des arriérés, mais uniquement en ce qui concerne les arriérés dus au titre du règlement n 3294/88 et résultant de la vérification quinquennale effectuée en 1981 .

La procédure devant la Cour et le Tribunal

8 Dans la requête même, les requérants ont proposé que la procédure soit suspendue jusqu' à ce que le Conseil ait statué sur la proposition de la Commission concernant l' adaptation des coefficients correcteurs dans le cadre de la vérification quinquennale de 1981 . Par lettre du 21 janvier 1987, la Commission a donné son accord à cette proposition . Par le même courrier, elle a conclu au rejet du recours ainsi qu' à la condamnation des requérants aux dépens . Le 27 janvier 1987, la Cour, devant laquelle l' affaire était alors pendante, a décidé de suspendre la procédure jusqu' à ce que soit prononcé l' arrêt Commission/Conseil, précité ( 7/87 ). Après le prononcé de cet arrêt, les parties ont demandé que la procédure demeure suspendue jusqu' à ce que le Conseil ait pris les mesures que comportait l' exécution dudit arrêt . Le 30 novembre 1988, la Cour a décidé de proroger la suspension de la procédure jusqu' au 16 janvier 1989 .

9 A l' expiration de ce délai, les parties ont informé la Cour de l' état des négociations entamées en vue de résoudre les problèmes restants, à savoir le sort à réserver aux demandes des requérants tendant à se voir accorder des intérêts moratoires et compensatoires . Il est apparu que les parties n' avaient pas pu arriver à un accord .

10 Dans ce contexte, en annexe aux observations qu' ils ont déposées le 13 janvier 1989 sur la reprise de la procédure, les requérants ont produit le compte rendu d' un entretien qui avait eu lieu le 29 novembre 1988 entre, d' une part, leur représentant et, d' autre part, l' agent de la Commission dans la présente affaire . Par lettre déposée le 8 mars 1989, la Commission a demandé à la Cour de reprendre la procédure et de lui fixer un délai pour déposer son mémoire en défense . Dans ladite lettre, elle a toutefois fait valoir que le recours était prématuré . Elle a, enfin, demandé que le compte rendu annexé aux observations déposées par les requérants le 13 janvier 1989 soit retiré du dossier, au motif qu' il leur était parvenu de manière irrégulière .

11 Par décision du 14 avril 1989, la Cour a mis fin à la suspension de la procédure et a fixé à la Commission un délai expirant le 22 mai 1989 pour le dépôt de son mémoire en défense . Un tel mémoire n' ayant pas été déposé dans le délai imparti, la Cour a décidé, le 30 mai 1989, d' inviter les requérants à lui faire savoir s' ils demandaient, conformément à l' article 94, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, de leur adjuger leurs conclusions . Une lettre à cet effet leur a été adressée le 2 juin 1989 . Par ordonnance du 15 juin 1989, la Cour a ordonné que le compte rendu produit en annexe aux observations déposées par les requérants le 13 janvier 1989 soit retiré du dossier .

12 Par ordonnance du 15 novembre 1989, la Cour a renvoyé l' affaire devant le Tribunal, en application de la décision du Conseil du 24 octobre 1988 instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes .

13 Par lettre du 23 mai 1990, le greffier du Tribunal a informé les requérants que le Tribunal, après avoir constaté, d' une part, que la défenderesse avait déposé, le 8 mars 1989, une pièce contenant une prise de position sur l' affaire et, d' autre part, que les requérants n' avaient pas répondu à la lettre qui leur avait été adressée par la Cour le 2 juin 1989, avait décidé de leur impartir un délai pour le dépôt d' un mémoire en réplique .

14 Par mémoire du 12 juin 1990, les requérants ont demandé

a ) la réintroduction dans le dossier de l' annexe qui en avait été retirée en exécution de l' ordonnance de la Cour du 15 juin 1989;

b ) la jonction de la présente affaire aux affaires T-17/89, Brazzelli, T-21/89, Bertolo et T-25/89, Alex;

c ) le prononcé d' un arrêt par défaut, au cas où la "chambre ne ferait pas droit à leurs ( autres ) conclusions ".

15 Par lettre du 22 juin 1990, le greffier du Tribunal a fait savoir aux requérants qu' un délai avait été fixé à la partie défenderesse pour le dépôt de son mémoire en duplique . La Commission a déposé son mémoire en duplique le 24 juillet 1990, dans le délai imparti .

16 Par ordonnance du 13 novembre 1990, le Tribunal a rejeté les deux premières demandes présentées par les requérants le 12 juin 1990 et réservé la décision sur leur demande tendant à ce que le Tribunal rende un arrêt par défaut .

17 Sur proposition de la troisième chambre, à laquelle l' affaire avait été dévolue, le Tribunal a décidé, le 6 décembre 1990, de renvoyer l' affaire à une chambre composée de cinq juges et de l' attribuer à la deuxième chambre .

18 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d' ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d' instruction préalable .

19 Les parties ont été entendues en leur plaidoirie à l' audience du 29 mai 1991 . Le président a prononcé la clôture de la procédure orale à l' issue de l' audience .

Conclusions des parties

20 Dans leur requête, les requérants ont présenté les conclusions suivantes :

1 ) dire pour droit que les résultats de la vérification quinquennale des coefficients correcteurs de l' année 1985 doivent être pris en compte à partir du 1er janvier 1986;

2 ) déclarer illégaux et annuler leurs bulletins de rémunération à partir du 1er janvier 1986, dans la mesure où ils ne prennent pas en compte les résultats de la vérification quinquennale des coefficients correcteurs de 1985;

3 ) condamner la défenderesse à leur verser les sommes correspondant à la différence résultant des calculs effectués suivant la demande précitée au point 2 à partir du 1er janvier 1986;

4 ) condamner la défenderesse à réparer le préjudice qu' ils ont subi du fait de l' application tardive des résultats de la vérification quinquennale des coefficients correcteurs de 1985;

5 ) condamner la défenderesse à adapter les arriérés de rémunération pour tenir compte de la modification du coût de la vie au lieu d' affectation et à verser sur ce montant des intérêts moratoires au taux de 6 %;

6 ) condamner la défenderesse aux dépens .

Lors de l' audience, les requérants se sont désistés des premier, deuxième et troisième chefs de leurs conclusions, ainsi que de la demande, contenue dans leur mémoire du 12 juin 1990, tendant à ce que le Tribunal rende un arrêt par défaut .

La Commission conclut à ce qu' il plaise au Tribunal :

1 ) rejeter le recours comme irrecevable et, à titre subsidiaire, le déclarer non fondé;

2 ) condamner les requérants aux dépens .

Sur la recevabilité

21 La Commission fait valoir que le recours est irrecevable au motif que, au moment du dépôt de la requête, le 23 décembre 1986, la fixation des rémunérations des requérants sans adaptation, au 1er janvier 1986, des coefficients correcteurs qui leur étaient applicables ne pouvait pas être un acte faisant grief aux requérants . Elle allègue à ce propos que la notion de "recours provisionnel", invoquée par les requérants, est incompatible avec les articles 90 et 91 du statut, qui présupposent un acte faisant grief émanant de l' autorité investie du pouvoir de nomination ( ci-après "AIPN "). Selon la défenderesse, le premier chef des conclusions figurant dans la requête ne s' adressait pas à elle en sa qualité d' AIPN et d' organe exécutif, mais à l' institution en sa qualité d' organe législatif . Toujours selon la défenderesse, les requérants ne pouvaient avoir aucun intérêt à ce que le juge communautaire statue sur un acte juridique non encore publié . Le premier chef des conclusions serait, par conséquent, "soit un empiétement sur des compétences qui n' avaient pas encore été exercées par les institutions, soit une demande d' adoption définitive d' un principe abstrait sans aucun rapport avec un acte faisant grief au fonctionnaire ". Finalement, la Commission soutient que, la demande principale étant irrecevable, les demandes subsidiaires doivent également être rejetées comme irrecevables .

22 Les requérants rétorquent que le recours, dans la mesure où il tendait à l' annulation de leurs bulletins de rémunération, tels qu' ils ont été établis à compter de janvier 1986, était fondé sur le fait qu' un acte administratif pris en application d' un règlement du Conseil devient illégal lorsque le règlement sur la base duquel il a été arrêté est entaché d' un vice . S' il est vrai, poursuivent les requérants, que, en l' espèce, ledit règlement n' a pas été entaché d' un tel vice pendant des années, il est néanmoins devenu illégal à partir du moment où ses dispositions n' ont plus été conformes aux droits statutaires des fonctionnaires, c' est-à-dire dès lors que le Conseil n' a pas procédé, au 1er janvier 1986, à l' adaptation des coefficients correcteurs qui, selon la décision de 1981, aurait dû intervenir à cette date .

23 En présence de cette argumentation, le Tribunal rappelle liminairement qu' il ressort d' une jurisprudence constante de la Cour que le bulletin de rémunération constitue, en tant que tel, un acte susceptible de faire grief au fonctionnaire et, ainsi, susceptible de faire l' objet d' une réclamation et éventuellement d' un recours, en vertu des articles 90 et 91 du statut, même si l' institution défenderesse n' a fait qu' appliquer les règlements en vigueur ( voir, par exemple, l' arrêt de la Cour du 19 janvier 1984, Andersen/Parlement, point 4, 262/80, Rec . p . 195 ).

24 En ce qui concerne la question de savoir si le recours était prématuré, il y a lieu de remarquer que le recours n' est pas fondé, comme le prétend à tort la défenderesse, sur une omission ( illégale ) d' arrêter un règlement, mais sur la violation des articles 64 et 65 du statut et de la décision de 1981, dans la mesure où elle prévoit une adaptation quinquennale des coefficients correcteurs . Dans ces conditions, les requérants étaient recevables à demander l' annulation de leurs bulletins de rémunération à compter de janvier 1986, en faisant valoir que le règlement sur la base duquel ils avaient été établis était entaché, depuis cette date, d' un vice, dans la mesure où il n' était plus conforme aux exigences de la décision de 1981, laquelle requérait une adaptation des coefficients correcteurs au 1er janvier 1986 .

Il s' ensuit que le deuxième et le troisième chefs des conclusions présentées dans la requête étaient recevables et, partant, que les quatrième et cinquième chefs de conclusions, qui s' y rattachent et qui constituent l' objet du présent litige, doivent être déclarés recevables .

25 Le recours est donc recevable .

Sur le fond

Quant aux intérêts moratoires

26 A l' appui de leur demande d' intérêts moratoires, les requérants ont fait valoir un moyen unique, tiré du retard injustifié avec lequel la Commission leur a versé les arriérés de rémunération qui leur étaient dus .

27 Au soutien de ce moyen, les requérants prétendent que, selon l' ordre juridique de tous les États membres, le débiteur n' est pas en droit de tirer profit d' un retard dans la liquidation de sommes dues . Le créancier ne doit pas se voir privé des fruits produits par les sommes en cause, au moyen desquelles il aurait pu, dès la date à laquelle il y avait droit, subvenir à ses besoins .

28 La Commission fait valoir que les conditions requises pour l' octroi d' intérêts moratoires ne sont pas réunies pour la période sur laquelle porte le présent litige, c' est-à-dire celle allant du 1er janvier 1986 au mois de novembre 1988, date à laquelle ont été liquidés les arriérés de rémunération dus au titre du règlement n 3295/88 . A cet égard, elle fait observer que les sommes dues en vertu de ce règlement ont été versées moins de trois ans après la date retenue comme date de référence, c' est-à-dire le 1er janvier 1986 . La Commission fait valoir, dans ce contexte, que les enquêtes nécessaires en vue de la vérification quinquennale de 1986 ont été effectuées, dans les délais, en 1985 et qu' elle a transmis sa proposition au Conseil le 7 octobre 1987 . Selon elle, le délai mis pour le traitement des données et pour la préparation de la proposition du règlement n' a pas été excessif . Elle ajoute que le fait "que les autorités aient préféré présenter une proposition inattaquable a également porté ses fruits, car la proposition a été acceptée telle quelle les 24/25 octobre 1988 ...".

29 Au support de cette argumentation, la Commission se réfère à la jurisprudence de la Cour, selon laquelle l' octroi d' intérêts moratoires présuppose que le montant de la somme due soit déterminé ou déterminable, à moins que le délai nécessaire à la fixation de la somme ne soit imputable à un comportement fautif de l' institution .

30 Le Tribunal constate, en premier lieu, que, avant le 24 octobre 1988, date de l' adoption par le Conseil du règlement n 3295/88, aucune institution communautaire ne savait si les coefficients correcteurs en vigueur feraient l' objet d' une rectification et, dans l' affirmative, quels seraient les nouveaux coefficients applicables . Il s' ensuit que, avant cette date, il n' existait, dans le chef des requérants, aucun droit acquis au versement d' arriérés de rémunération et, corrélativement, qu' il n' existait, dans le chef des institutions communautaires, aucune obligation ni aucune possibilité de verser de tels arriérés . Dans ces conditions, il ne pouvait, jusqu' à cette date, y avoir de retard dans la liquidation d' une dette due .

31 Cette ligne de pensée est corroborée par l' arrêt de la Cour du 30 septembre 1986, Ammann/Conseil ( 174/83, Rec . p . 2647 ). Dans cet arrêt, la Cour, en formation plénière, a jugé qu' une obligation de verser des intérêts moratoires ne peut être envisagée qu' à la condition que la créance principale soit certaine quant à son montant ou, du moins, déterminable sur la base d' éléments objectifs établis . La Cour a retenu que les compétences que le Conseil tient de l' article 65 du statut pour adapter les rémunérations et pensions des fonctionnaires et autres agents et pour fixer les coefficients correcteurs dont sont affectées ces rémunérations et pensions comportent un pouvoir d' appréciation et, partant, qu' aucune certitude quant au montant de ces adaptations et fixations n' existe avant que le Conseil n' ait exercé ses compétences et adopté le règlement prévu . La Cour a également précisé que, si dans un arrêt antérieur ( en l' espèce, arrêt du 6 octobre 1982, Commission/Conseil, 59/81, Rec . p . 3329 ), par lequel elle avait annulé un premier règlement illégal du Conseil, elle avait constaté que le Conseil devait tenir compte, dans l' exercice de son pouvoir d' appréciation, de certains éléments, elle n' avait toutefois ni déterminé les montants qui seraient effectivement dus au personnel au titre de l' article 65 du statut ni établi les éléments objectifs permettant d' arrêter avec une précision suffisante ces montants .

32 Le Tribunal constate, en second lieu, qu' après l' adoption par le Conseil, le 24 octobre 1988, du règlement n 3295/88, la Commission a procédé, en novembre 1988, à la liquidation et au versement des arriérés de rémunération dus au titre de ce règlement . La Commission s' est ainsi, à compter du moment où il a été certain que de tels arriérés devaient être payés et où leur montant a été déterminé, acquittée avec diligence de son obligation de paiement . Sous cet aspect, aucun retard ne saurait donc lui être imputé .

33 Il s' ensuit que les conclusions des requérants tendant à se voir allouer des intérêts moratoires doivent être rejetées .

Quant au préjudice résultant de la perte de pouvoir d' achat

34 En ce qui concerne la demande y afférente, les requérants font valoir un moyen unique, tiré de la violation des articles 64 et 65 du statut . Au support de ce moyen, ils soutiennent que le statut garantit l' équivalence des rémunérations versées au personnel des institutions en termes de valeur réelle et que la Commission, en ne versant que la somme numérique correspondant au calcul des arriérés de rémunération, sans plus, a violé les articles 64 et 65 du statut, parce que lesdits arriérés n' ont été payés qu' en valeur nominale, laquelle ne permet pas d' assurer l' équivalence des rémunérations en termes de pouvoir d' achat . Les requérants allèguent qu' ils ont subi, en conséquence, un préjudice résidant dans le fait que, à partir du 1er janvier 1986, ils n' ont pu disposer au 15 de chaque mois d' une partie de la rémunération qui leur était due . Afin de préciser ce préjudice, ils indiquent qu' ils auraient acheté, avec la partie de la rémunération qui ne leur a été versée qu' ultérieurement sous forme d' arriérés, des obligations de l' État italien, dont le taux d' intérêt atteignait 12,5 % au 1er avril 1986 .

35 La Commission rétorque que les coefficients correcteurs, tels qu' ils sont adaptés en application de la décision de 1981, tiennent compte de la dépréciation monétaire et règlent tous les problèmes inhérents au fait que l' adaptation est nécessairement rétroactive . Les nouveaux coefficients correcteurs couvriraient ainsi les préjudices qui pourraient éventuellement résulter de cette situation . Les exigences du statut auraient donc été respectées en l' espèce .

36 En ce qui concerne la demande des requérants tendant à l' allocation d' intérêts compensatoires en réparation du préjudice prétendument subi du fait de la perte de pouvoir d' achat des arriérés de rémunération qui leur ont été versés au titre du règlement n 3295/88, le Tribunal tient, tout d' abord, à relever que "un litige entre un fonctionnaire et une institution dont il dépend ... se meut, lorsqu' il trouve son origine dans le lien d' emploi qui unit l' intéressé à l' institution, dans le cadre de l' article 179 du traité CEE et des articles 90 et 91 du statut" ( arrêt de la Cour du 22 octobre 1975, Meyer-Burckhardt/Commission, 9/75, Rec . p . 1171, 1181 ). Selon une jurisprudence établie, il importe, pour que les requérants puissent prétendre à l' allocation d' intérêts compensatoires, qu' ils démontrent une faute de l' institution, la réalité d' un préjudice certain et évaluable, ainsi qu' un lien de causalité entre la faute et le préjudice allégué ( arrêt du Tribunal du 13 décembre 1990, Moritz/Commission, T-20/89, Rec . p . II-769 ).

37 Le Tribunal rappelle que, si la décision du Conseil de 1981 ne fixe pas de délai dans lequel l' adaptation quinquennale qu' elle prévoit doit avoir lieu, l' article 65, paragraphe 2, du statut, en prévoyant un délai maximal de deux mois pour la prise de mesures d' adaptation des coefficients correcteurs, doit être interprété comme étant l' expression d' un principe général, selon lequel les décisions en ce domaine doivent être prises sans retard injustifié . Tout retard inexcusable dans l' établissement de la réglementation servant de base légale à l' adaptation des rémunérations des fonctionnaires et autres agents doit donc être considéré comme fautif .

38 S' agissant de la question de savoir quand il y a retard et si un tel retard est injustifié, il y a lieu de tenir compte du fait que les institutions doivent disposer d' un délai raisonnable, en fonction des circonstances de l' espèce et de la complexité du dossier, pour mettre au point soit leurs propositions, soit leurs décisions . Il s' ensuit qu' il n' est pas possible de fixer, de manière générale, un délai dans lequel une réglementation comme celle en cause doit être adoptée .

39 Dans le cas d' espèce, il convient de souligner que la proposition de règlement de la Commission a été soumise au Conseil le 7 octobre 1987, c' est-à-dire moins de deux ans après le début de la révision quinquennale en question . Au vu de la complexité du dossier, et compte tenu du processus de concertation avec le personnel inhérent au système d' adaptation, ce retard ne saurait être qualifié d' excessivement long .

40 En ce qui concerne l' adoption par le Conseil de la proposition soumise par la Commission, il y a lieu de rappeler que, à l' époque, un litige opposant la Commission au Conseil et concernant les modalités de calcul des coefficients correcteurs était pendant devant la Cour . De la solution donnée à ce litige dépendaient aussi les modalités de calcul des nouveaux coefficients correcteurs dans le cadre de l' adaptation quinquennale de 1986 .

41 Dans ces circonstances, et compte tenu du fait que la proposition de règlement de la Commission a été soumise en octobre 1987, que l' arrêt de la Cour dans l' affaire opposant la Commission au Conseil a été rendu le 26 juin 1988 et que, selon la procédure adoptée par le Conseil pour l' examen et l' adoption des propositions d' actes réglementaires, l' examen d' une proposition de règlement de la Commission comporte un examen à plusieurs niveaux au sein du Conseil, il ne saurait être reproché à ce dernier de ne pas avoir adopté la proposition de la Commission avant la date à laquelle il l' a fait, soit en octobre 1988 . La période qui s' est écoulée entre la date de référence de l' adaptation quinquennale ( 1er janvier 1986 ) et la date à laquelle a été arrêté le règlement pertinent ( 24 octobre 1988 ), prise dans son ensemble, ne peut, au vu des circonstances de l' espèce, être jugée excessive . Il y a donc lieu de conclure qu' une faute dans le chef de la Commission ou du Conseil n' a pas été établie .

42 Il s' ensuit que les conclusions des requérants tendant à se voir allouer des intérêts compensatoires doivent être rejetées .

43 Il ressort de ce qui précède que le recours, dans son ensemble, doit être rejeté .

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

44 Selon le règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s' il est conclu en ce sens . Toutefois, les frais exposés par les institutions dans les recours des agents des Communautés européennes restent à la charge de celles-ci .

Dispositif


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL ( deuxième chambre )

déclare et arrête :

1 ) Le recours est rejeté .

2 ) Chacune des parties supportera ses propres dépens .